Vous êtes sur la page 1sur 8

Les fondamentaux d’une transformation digitale pour les

entreprises africaines
Boniface Bampoky
Dans Question(s) de management 2017/3 (n° 18), pages 39 à 45
Éditions EMS Editions
ISSN 2262-7030
DOI 10.3917/qdm.173.0039
© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)

© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-questions-de-management-2017-3-page-39.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour EMS Editions.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Boniface BAMPOKY

Les fondamentaux d’une transformation digitale pour


les entreprises africaines
The fundamentals of digital transformation for the African companies

Boniface BAMPOKY

Résumé n n Summary

Un état de l’art faisant la synthèse des avantages et des A literary review on a summary linked to the advantages
difficultés d’adoption et de développement par les entre- and the difficulties of companies to adopt and develop dig-
prises des technologies digitales en Afrique et dans le reste ital technologies in Africa and all around the world have
du monde est réalisé. Une réflexion sur les facteurs pouvant been carried out. A study on the factors that may go with
accompagner la transformation digitale des entreprises the digital transformation has been done from it.
africaines est par la suite effectuée.
n Keywords: digital companies, African companies, digital
n Mots-clefs : entreprises numériques, entreprises afri- transformation, digital management.
caines, transformation digitale, management digital.
© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)

© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 / 39


LES FONDAMENTAUX D'UNE TRANSFORMATION DIGITALE POUR LES ENTREPRISES AFRICAINES

INTRODUCTION et une très faible instrumentation et rationalisa-


tion de la gestion. Ceci est le résultat de l’his-
Les cultures nationales ont toujours exercé une toire culturelle africaine. La culture africaine de
influence notable sur les modes de gouvernance développement mérite ainsi d’être enrichie par
des entreprises (D’Iribarne, 1989 et 2007 ; une ouverture aux vertus progressistes de la so-
Hofstede, 1980 ; Kamdem et Ongodo, 2004 ; ciété capitaliste. L’Afrique, mis à part quelques
Joannides, 2011, etc.). Les écarts de développe- pays comme l’Afrique du Sud et le Maroc qui
ment entre nations peuvent trouver une explica- ont une histoire assez particulière, n’a pas tra-
tion dans les phénomènes sociaux et culturels. versé les différentes étapes du capitalisme pour
En ce qui concerne l’Afrique, Zadi Kessy (1998) progressivement disposer d’une société tech-
tente d’expliquer ce fait en indiquant que les nicienne capable d’amener, par elle-même, le
modèles de management des entreprises afri- progrès technique comme ce fut le cas dans
caines sont d’inspiration étrangère et peuvent les pays émergents ou développés asiatiques
s’avérer inadaptés aux réalités culturelles afri- (Chine, Corée du Sud, Inde, Japon, Taiwan,
caines. La culture africaine est, selon lui, fon- Hong Kong, Singapour, etc.). Aujourd’hui, on ne
dée sur la mentalité communautaire (relations peut plus refaire l’histoire ni reconduire ou se
familiales) et la solidarité, tandis que le modèle cantonner sur les bases culturelles de la société
capitaliste est fondé sur l’individualisme et la africaine féodale, dans un nouveau contexte de
recherche du profit. Cette pensée ne traduit-elle mondialisation de l’économie. L’intérêt est de
pas aujourd’hui une réalité anachronique ? promouvoir un capital humain apte à adopter les
Si le développement économique est, selon innovations ou à innover. Les fondements de la
Penouil (1989), une forme spécifique du dyna- forme actuelle du capitalisme pourraient alors
misme social, il doit être entendu que l’entre- être adaptés à la nouvelle société africaine.
prise, elle-même cellule de base de l’activité éco- Les difficultés de pilotage de la performance des
nomique, est l’un des principaux lieux d’amorce entreprises autochtones africaines procèdent
et de diffusion du progrès social. Dans les pays ainsi de la superposition de deux facteurs. Il
développés, la société technicienne mise en s’agit de l’absence et la non maîtrise d’une instru-
place de façon progressive est, selon cet auteur, mentation basique ou minimale de gestion pour
édifiée autour de l’individualisme et du progrès amorcer et développer les progrès sociaux déjà
technique sous toutes ses formes. Cet état de réalisés ou pour innover, et le défaut de qualifica-
fait est à la base de toutes les grandes révolu- tion des employés empêchant de démystifier et
tions scientifiques qu’ont connues ces pays. La de maîtriser les caractéristiques techniques des
dernière grande révolution technologique dont innovations qui s’imposent au management de
la diffusion induit un changement radical de la l’entreprise. Ceci ressemble à un cercle vicieux
chaîne de valeur et une modification des fron- de la production : Faible degré de compétence
© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)

© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)


tières de l’entreprise est le digital. La transfor- – Faible degré d’innovation – Faible instrumen-
mation digitale procède du bouleversement par tation de la gestion – Faible niveau de produc-
les entreprises numériques du modèle d’affaires tion et de compétitivité. Ainsi, dans le cadre du
dans un monde plus connecté où les techno- numérique, la question qui suscite notre intérêt
logies numériques présentent des enjeux de est la suivante : comment accompagner la trans-
compétitivité que doivent saisir les entreprises formation digitale des entreprises africaines ?
bâties sur un modèle ancien. Beaucoup d’entre- La question de la transformation digitale des
prises africaines sont en marge de cette révolu- entreprises en Afrique est d’une importance
tion technologique. capitale au regard des nouveaux défis pour l’en-
Des études en contrôle de gestion, par exemple, treprise que sont, d’après Tcheng et al. (2008),
ont déjà établi que les savoir-faire se diffusent l’innovation et la construction de nouveaux busi-
avec un décalage temporel dans les économies ness models. Ces défis constituent une autre
en développement comme le Sénégal (Bampoky voie prometteuse pour tendre vers le dévelop-
et Meyssonnier, 2012) par rapport à la France pement. Les nouveaux produits véhiculés par
où elles se diffusent immédiatement (Alcouffe, la digitalisation sont nombreux et variés : les
Berland, Levant, 2003). Parmi les facteurs de marchés prépayés, le m-payment (payement par
contingence de cette diffusion lente en Afrique, téléphone portable), le m-banking, prestations
on note le défaut de qualification des travailleurs de services et échanges à distance, etc. Au plan

40 / Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 © Éditions EMS


Boniface BAMPOKY

académique, d’innombrables avantages peuvent Par contre, une autre étude réalisée en contexte
être tirés de l’enseignement virtuel. africain sur l’emploi de ces mêmes outils dans
Dans ce travail, nous discutons les voies pos- les pratiques comptables normées (Bampoky et
sibles de transformation digitale de ces entre- Wade, 2017) indique un grand bouleversement
prises. Un état de l’art ayant permis d’avoir un du métier classique de comptable impliquant le
regard croisé sur les progrès de la technos- changement du paradigme de l’enseignement
cience dans les pays du Nord (développés) et de la comptabilité. Au même moment, la profes-
ceux d’Afrique (en développement), révèle tout sion comptable française s’était déjà familiarisée
le gap numérique qu’il reste à combler chez les
avec la comptabilité événementielle qui consti-
africains pour pouvoir arriver au même niveau de
tue une remise en cause de la comptabilité clas-
compétitivité que les pays développés.
sique en partie double (Galanos, 2009 ; Tondeur
Pour accompagner et réussir la transformation
digitale des entreprises africaines, la nouvelle et De La Villarmois, 2003 ; Grenier, 2009), donc
culture managériale fondée sur le digital doit du traditionnel métier de « Bookkeeper » encore
révolutionner la culture africaine de l’entreprise dominant en Afrique.
par un changement radical des habitudes peu fa- Même si elle est amorcée, la transition vers le
vorables à l’amélioration de la performance éco- digital n’est pas effective en Afrique. Quand on
nomique (section 1). La transformation digitale regarde le fonctionnement de la société japo-
souhaitable pour les entreprises africaines est naise ou chinoise, on voit une familiarité dès le
celle qui conduit à une nette amélioration de la bas âge avec l’électronique ou le numérique,
productivité (section 2). Dans cette perspective, avec déjà une capacité de bricolage des outils
les coûts de transferts technologiques doivent extrêmement développée. Cela, au plan de la
parfaitement être maîtrisés (section 3). L’accent formation académique, accélère la maîtrise de
doit être mis sur une dynamique de formation la technologie, et c’est là qu’on peut véritable-
continue à l’usage des technologies digitales ment parler de la « société technicienne » pour
(section 4) dans un environnement digital des illustrer les propos de Penouil (1989). Dans ces
entreprises stable (section 5). La synthèse de pays, les investissements nationaux sont dans
la littérature en matière de développement des la plupart des cas concentrés sur les PME pour
technologies digitales laisse ainsi entrevoir ces
capitaliser ce phénomène social de masse.
cinq aspects comme les cinq piliers d’une trans-
Plus exactement, la nouvelle culture qu’il faille
formation digitale aboutie pour les entreprises
promouvoir est celle qui permet aux entreprises
africaines.
de pouvoir profiter très largement des innom-
brables apports de l’économie numérique. Trois
1. Promotion d’une nouvelle culture
choses complémentaires permettent de réus-
managériale : maîtrise de la transition
sir cette promotion. D’abord, le financement
vers le digital
© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)

© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)


des infrastructures, c’est-à-dire les moyens de
L’économiste Rostow (1970) avait montré, après communication qui permettent la connexion
avoir tenté de dégager les caractéristiques uni- de qualité des usagers (l’infrastructure locale,
formes de la modernisation des sociétés, que le l’infrastructure à longue distance). Ensuite, les
sous-développement n’est qu’une étape dans investissements sur les infostructures que sont
la croissance économique. Cette idée déjà an- les équipements qui fournissent des services
cienne peut être confortée par bien des exemples
intermédiaires aux réseaux d’infrastructures.
pratiques tirés de l’actualité. En ce qui concerne
Enfin, la production dans chaque cas de supers-
l’usage des ERP (Enterprise Ressource Planning)
tructures très profitables grâce à la qualité d’une
ou PGI (Progiciel de Gestion Intégrée), une étude
de Meyssonnier et Pourtier (2006) réalisée en nouvelle couche de ressources humaines bien
contexte de développement (contexte français) formées. Les superstructures ou services finals
dénote l’usage courant de ces technologies fournissent ainsi des prestations différenciées
digitales sans toutefois qu’il y ait modification en prix et en qualité aux clients. Il appartient aux
des comportements et du métier de contrôleur pouvoirs publics locaux de réaliser les investis-
de gestion. Les ERP apportent simplement un sements de base nécessaires et de faire la pro-
certain affinement de ces pratiques. La société motion de la culture digitale à partir de la petite
humaine, dans ce cadre, est déjà dans le digital. enfance. Mais, la transformation digitale d’une

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 / 41


LES FONDAMENTAUX D'UNE TRANSFORMATION DIGITALE POUR LES ENTREPRISES AFRICAINES

entreprise ne doit être opérée que lorsqu’on est à la mode comme cela pourrait être le cas en
certain de ses gains. Afrique. Elle nous garantit toutefois la prudence
dans l’adoption des savoir-faire dans un contexte
2. Réalisation de gains de productivité nouveau comme celui des pays en développe-
comme une autre condition pour la ment. L’adoption d’une innovation ne peut alors
transformation digitale de l’entreprise représenter un isomorphisme d’ordre normatif,
mais plutôt d’ordre adaptatif.
Pour mettre en lumière ce deuxième pilier, on
Dans le domaine de la technologie, il existe des
peut s’inspirer du modèle de Selznick (1957)
modèles d’adoption, de diffusion ou de rejet des
d’institutionnalisation des organisations, selon
lequel l’organisation est un système organique innovations qui participent des isomorphismes
affecté non seulement par les caractères so- d’ordre adaptatif. D’après Rogers (1995), par
ciaux de ses membres, mais également par les exemple, il existerait cinq éléments qui détermi-
pressions de son environnement. La digitalisa- neraient l’adoption ou la diffusion d’une nouvelle
tion d’une entreprise va sans doute se heurter technologie :
aux caractères sociaux de ses acteurs internes. • L’avantage relatif est le degré auquel une
Plusieurs travaux en management peuvent innovation est perçue comme étant meil-
s’inscrire dans le prolongement de la vision de leure à celles qui existent déjà. Il n’est pas
Selznick. En effet, Bourgeois (2006) a, à travers nécessaire que cette innovation possède
une approche sociologique de la théorie néo- beaucoup plus d’avantages que les autres,
institutionnelle, recherché les déterminants de mais ce qui est important, c’est que l’indi-
la diffusion au sein de l’entreprise d’un instru- vidu la perçoive comme étant avantageuse.
ment de management à la mode. De l’étude • La compatibilité est une mesure du degré
empirique réalisée, il apparaît que la décision auquel une innovation est perçue comme
d’adopter un instrument passe par trois facteurs étant consistante avec les valeurs exis-
à savoir : les facteurs déclencheurs, les facteurs tantes, les expériences passées, les pra-
moteurs et les facteurs discriminants. Par fac- tiques sociales et normes des utilisateurs.
teurs déclencheurs, on entend tous facteurs qui Une idée qui serait incompatible avec les
créent les conditions de l’adoption et traduisent valeurs et normes actuelles prendrait plus
le besoin des organisations de s’adapter aux de temps à être adoptée qu’une innovation
contraintes de l’environnement. Les facteurs compatible. De même, dans certains cas,
moteurs, favorisant l’adoption d’un instrument à l’adoption d’une innovation compatible, né-
la mode, correspondent aux isomorphismes nor- cessitera l’adoption au préalable d’un nou-
matif, coercitif et mimétique. En ce qui concerne veau système de valeur, ce qui peut prendre
l’isomorphisme normatif, une entreprise en un temps considérable.
recherche d’une légitimité a la perception que
• La complexité est une mesure du degré
© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)

© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)


ses actions sont désirables et conformes à un
auquel une innovation est perçue comme
système de normes, de valeurs, de croyances
étant difficile à comprendre et à utiliser. Les
et de définitions socialement construit. La légi-
nouvelles idées qui sont simples à com-
timité peut être morale (le fait de privilégier le
prendre vont être adoptées beaucoup plus
bien être social plutôt que la satisfaction des
partenaires), cognitive (le fait d’adopter des rapidement que d’autres qui nécessitent
pratiques comprises et acceptées par son envi- de développer de nouvelles compétences
ronnement) et pragmatique (le fait de chercher avant de pouvoir les comprendre.
à satisfaire les intérêts des partenaires). Selon • La testabilité consiste en la possibilité de tes-
les néo-institutionnels, la légitimité pragmatique ter une innovation et de la modifier avant de
caractérise une institution coercitive dont le rôle s’engager à l’utiliser. L’opportunité de tester
est tenu par les actionnaires, les marchés, les une innovation va permettre aux éventuels
clients qui peuvent sanctionner l’entreprise qui utilisateurs d’avoir plus de confiance dans le
ne se conforme pas à des comportements insti- produit, car ils auront eu la possibilité d’ap-
tutionnalisés. prendre à l’utiliser.
L’intérêt de cette étude empirique est de nous • L’observabilité est le degré de clarté des
avoir exposé les facteurs qui sont en géné- résultats et bénéfices d’une innovation. Plus
ral à l’origine de l’adoption d’une innovation les résultats de l’adoption de l’innovation se-

42 / Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 © Éditions EMS


Boniface BAMPOKY

ront clairs et plus les individus l’adopteront (Build – Own – Operate – Transfer), en D.B.F.O.
facilement. (Design – Build – Finance – Operate), etc. La
Si l’adoption d’une innovation n’est intéressante formule B.O.T. consiste, pour le cessionnaire, à
que lorsqu’elle présente un avantage relatif faire des investissements, à gérer puis transfé-
par rapport aux pratiques existantes et que les rer l’infrastructure à l’État. En B.O.O., le conces-
résultats et les bénéfices sont perçus de façon sionnaire fait son investissement et l’infrastruc-
claire, il ressort de ce modèle de Rogers que ture lui revient. En BLT, un privé construit une
son implémentation dans des contextes nou- infrastructure qu’il loue au gouvernement qui
veaux comme l’Afrique nécessite au préalable se voit transférer le contrôle de l’ouvrage. Le
le développement de nouvelles compétences B.O.O.T signifie en français « Construction –
et la réalisation de certains investissements de Propriété – Exploitation – Transfert » et la diffé-
base. Mais, tout cela va être fonction des fac- rence avec le B.O.T est que le financement de
teurs de contingence spécifiques au contexte l’infrastructure est confié au concessionnaire
de l’entreprise. Cela est d’autant plus vrai que qui exploite puis transfert au concédant. Dans
dans le cadre du contrôle de gestion, une étude le D.B.F.O., le concessionnaire a la charge de
réalisée par De La Villarmois et Tondeur (1996) concevoir, financer et construire l’infrastructure,
a montré qu’en France les déterminants de la tout en gérant les services associés. Le conces-
mise en place d’une innovation managériale, à sionnaire est rémunéré à échéances régulières
savoir la méthode ABC, sont : l’environnement par l’administration.
de l’entreprise, l’activité, la technologie, la struc- Ces types de formules de concession, initiés
ture organisationnelle, les systèmes de contrôle dans les pays de common law, sont petit à petit
et les stratégies. En cas de technologies très d’usage en Afrique subsaharienne dans le finan-
innovantes comme celles digitales, le transfert cement de certains grands projets par les parte-
peut s’avérer très coûteux surtout dans les pays naires au développement. Ils peuvent apparaître
en développement comme ceux d’Afrique. sous plusieurs autres formes, c’est-à-dire qu’ils
peuvent être adaptés au cadre juridique d’un
3. Gestion des coûts de transferts pays. Dans tous les cas, il doit être mis en place
des instances de régulation pour des soucis de
technologiques
performance globale des parties prenantes.
Si la production des entreprises africaines n’est La question de la maîtrise des coûts de trans-
pas en générale compétitive, cela est dû à leur ferts technologiques ne peut être véritablement
difficile accès aux standards internationaux, réglée sans résoudre aussi le problème crucial
l’absence de bourgeoisies nationales à même qui situe à la base du fonctionnement des entre-
de réaliser des investissements privés massifs, prises, à savoir la maîtrise de l’énergie. En effet,
et donc la non maîtrise des coûts de transferts sur la question de l’énergie le constat suivant
technologiques. Là où le secteur public doit na- mérite une attention : « en Afrique subsaha-
© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)

© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)


turellement être présent, il se révèle nettement rienne, le courant électrique est encore un luxe :
hypertrophié (Gaye, 1989 ; Dème, 1995 ; Plane, à peine 8 % de la population a directement ac-
1998). L’interventionnisme étatique s’avère cès aux réseaux électriques nationaux. Dans de
indispensable au niveau de l’infostructure, de nombreux pays, la production d’électricité natio-
l’infrastructure et de la formation des ressources nale équivaut à celle d’une petite ville d’Europe
humaines de haut niveau. Les entreprises, au ou des États-Unis » (Magazine Alternatives1
niveau de la superstructure, peuvent alors inté- n° 10, 2005, p. 16 – 17).
grer les démarches de réduction des coûts pour Il y a alors des investissements que les pouvoirs
tendre in fine vers la compétitivité (benchmar- publics doivent impérativement mettre en place
king en matière de coûts, reengineering, Total et contrôler pour accompagner convenablement
Quality Management, analyse de la valeur, la transformation digitale des entreprises en
kaizen costing, target costing, just on time, six Afrique.
sigma, budget base zéro, etc.).
Les États peuvent, pour pallier leurs difficultés
d’investir, recourir à la concession. La conces-
sion peut se traduire en B.O.T. (Build – Operate
– Transfer), en B.O.O. (Build – Own – Operate), 1 Propos tirés du Magazine Alternatives n° 10 du
en B.L.T. (Build –Lease – Transfer), en B.O.O.T. 4e trimestre 2005 titré : Les autoroutes de l’énergie.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 / 43


LES FONDAMENTAUX D'UNE TRANSFORMATION DIGITALE POUR LES ENTREPRISES AFRICAINES

4. Le nécessaire changement du est un autre facteur défavorisant. Les nom-


paradigme de l’enseignement du breuses guerres civiles qui ont sévi ou sévissent
management encore ont souvent endommagé les centrales
Le recours à la concession dans l’investissement et coupé les réseaux. Au Liberia, par exemple,
sur les infostructures et les infrastructures ne il faudrait plus de 100 millions de dollars pour
peut être qu’une solution temporaire et non per- remettre le système en état ». Les pays qui ont
manente. Le développement économique d’un réussi aujourd’hui la transition vers le digital ont
État se situe toujours à la fin de l’extraversion de cette stabilité de l’environnement des entre-
son économie, par la promotion d’une industrie prises.
« industrialisante ». Pour accompagner ce pro- Au niveau des grandes places financières,
cessus, l’éducation nationale doit être modulée les échanges de produits entre investisseurs
vers la maîtrise des technologies nouvelles et résidant dans des pays différents se font à la
la promotion d’un secteur privé dynamique. Au seconde près. Au Burkina Faso ou en Guinée
Sénégal, le modèle de la « case des tout-petits » Bissau, par exemple, les coupures intempes-
est conçu pour en partie permettre de combler tives d’électricité, impactant la connectivité
rapidement le gap numérique par rapport aux internet, entraineraient des pertes énormes de
pays développés, en investissant beaucoup sur
transactions sur les grandes places financières.
la maîtrise du numérique à partir de la très petite
La stabilité de l’environnement des entreprises
enfance. Le modèle est porteur d’espoir et pour-
dans la sphère digitale est liée à la maîtrise de
rait être dupliqué dans bien des pays d’Afrique.
La technologie digitale de l’entreprise est deve- ces types de perturbations. On comprend alors
nue un savoir, une expertise qui s’acquiert et se les types d’investissements à réaliser pour assai-
monnaye comme les autres formes d’expertise nir l’environnement digital. Ces investissements
touchant à l’entreprise. Dans le cadre des ERP vont des installations « haut débit » d'Internet
où les achats et les paiements peuvent se faire à la veille informatique, avec une parfaite maî-
à distance avec transfert de certaines écritures trise des énergies électriques. La veille informa-
comptables aux clients (Bampoky et Wade, tique doit être assimilée à la veille stratégique,
2017), les comptables deviennent des vérifica- et nécessite beaucoup d’investissements pour
teurs et validateurs de l’information comptable la protection de l’environnement digital contre la
qui se déverse automatiquement à la comp- criminalité informatique.
tabilité de l’entreprise à la suite des manipula- En parlant de stratégie, il y a lieu de préciser que
tions faites par le client via internet. Comme la criminalité informatique n’est pas tout à fait
les autres travailleurs de l’entreprise, ils doivent assimilable à un « banditisme », mais plutôt à
être à même de contrôler les « work flow » pour
une forme de management stratégique qui se
repérer d’éventuelles dysfonctionnements et
développe et qui consisterait à provoquer des
© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)

© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)


les corriger. La Maîtrise de l’informatique est de
crises pour survivre.
rigueur. On ne peut plus se passer de ce pro-
cessus de ventes, car il permet d’accéder à un
commerce à distance en éliminant les frais clas- CONCLUSION
siques de transport, de poste, etc. Les entre-
prises qui ont su capter ces avantages liés à la La digitalisation de l’entreprise accroît sa pro-
digitalisation voient leurs avantages compétitifs ductivité et, par-delà, sa compétitivité. Elle offre
ou leurs parts de marché s’accroître. Le nouvel une rapidité et une précision dans le traitement
enseignement du management doit largement de l’information et des tâches grâce à la connec-
intégrer ce volet de compétition via les techno- tivité. La transformation digitale est facilitatrice
logies digitales. de la communication et permet d’effectuer à
distance et en temps réel les transactions finan-
5. La stabilité de l’environnement digital cières et commerciales avec le reste du monde,
des entreprises en raccourcissant ainsi la chaîne de valeur de
Sur la question de l’énergie, le Magazine l’entreprise. Dans l’environnement digital, les
Alternatives, précédemment cité, indique à la frontières de l’entreprise disparaissent. La digi-
même page : « L’instabilité politique chronique talisation est une autre porte d’entrée dans la

44 / Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 © Éditions EMS


Boniface BAMPOKY

mondialisation de l’économie, donc une autre Gaye, M. (1989), « Le désengagement de l’Etat et


opportunité pour les entreprises africaines. la problématique des intrants agricoles au Sénégal »,
Pour saisir les avantages d’une digitalisation, il Revue Sénégalaise des Recherches Agricoles et Ha-
faut un environnement macroéconomique pro- lieutiques », vol. 2, n° 34, P. 87-94.
pice. Les infostructures et les infrastructures Hofstede, G. (1980), Culture’s Consequences :
adéquates doivent être prises en charge par International Différences in Work-Related values, Be-
les pouvoirs publics locaux. Pour une stabilité verly Hills, Sage.
de l’environnement digital, les installations in- Kamdem, E. et Ongodo M. (2004). Faits et méfaits
ternet « haut débit » sont un impératif indiscu- de l’ethnicité dans les pratiques managériales au Ca-
table. Dans cette perspective, il doit être prévu, meroun. Actes du colloque du réseau de recherche en
à l’échelle nationale, des mécanismes de veille sciences de gestion de l’AUF, Beyrouth, 28-29 octobre.
informatique pour la protection des données et
D’Iribarne, P. (1989), La logique de l’honneur, Paris,
des transactions. Afin de pouvoir bénéficier des
Seuil.
investissements nécessaires (physiques, institu-
tionnels et éducatifs), la transformation digitale D’Iribarne, P. (2007), « Islam et management. Le
des entreprises devrait relever du domaine réga- rôle d’un univers de sens », Revue Française de Ges-
lien de l’État. tion, n°171, p. 141-156.
Pour accompagner la transformation digitale des Joannides, V. (2011), « Apport de l'ethnicité à la
entreprises, le paradigme de l’enseignement culture en sciences de gestion », Finance-Contrôle-
du management doit nécessairement changer Stratégie, vol. 14, n°1, p. 33-68.
pour associer la connaissance des techniques et Penouil, M. (1989), Le développement spontané –
outils digitaux. Dans les pays africains en déve- les activités informelles en Afrique, Pedone.
loppement, cette question dépasserait même le Plane, P. (1998), « Les services publics africains
cadre de l’enseignement du management. Cela à l’heure du désengagement de l’Etat. Changement
doit être un problème de culture nationale qui conservateur ou progressiste ? », Gérer et Comprendre
implique la mise en place de dispositifs permet- – Annales des Mines, juin, p. 39-48.
tant la familiarité avec le numérique dès la petite Galanos, J. (2009), « Théorie événementielle de
enfance. la comptabilité », in Encyclopédie de Comptabilité,
Contrôle de Gestion et Audit, 2e édition, Economica,
BILIOGRAPHIE p. 1381-1391.
Grenier, C. (2009), « Système d’information et
Alcouffe S., Berland N. et Levant Y. (2003), « Les comptabilité », in Encyclopédie de Comptabilité,
facteurs de diffusion des innovations managériales en Contrôle de Gestion et Audit, 2e édition, Economica,
comptabilité et contrôle de gestion : une étude compa- p. 1117-1132.
rative », Comptabilité – Contrôle – Audit, Vol 1, numéro Meyssonnier, F. et Pourtier, F. (2006), « Les ERP
spécial, mai.
© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)

© EMS Editions | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.47.133.47)


changent-ils le contrôle de gestion ? », Comptabilité –
Bampoky, B. et Wade, B. (2017), « Effets d’un usage Contrôle – Audit, vol. 1, tome 12, p. 45-64.
d’ERP sur les pratiques normées dans le contexte de
Rogers E. (1995), Diffusion of innovations, Free
l’OHADA », Revue Question(s) de management, vol. 1,
Press, New York, 4th edition.
n° 16, p. 61-76.
Selznick, P. K. (1957), Leadership in Administration,
Bourgeois, C. (2006), « Les déterminants de l’adop-
Row & Peterson and Co., Evanston, Illinois.
tion par l’entreprise d’un instrument de management à
la mode », XVème conférence internationale de Mana- Tondeur, H. et La Villarmois, O. (De) (2003), « L’or-
gement Stratégique, Annecy/Genève, 13 – 16 juin. ganisation de la fonction comptable – Quelle forme de
centralisation : centre de services partagés ou externa-
De La Villarmois, O. et Tondeur, H. (1996), « Les
déterminants de la mise en place d’une comptabilité lisation », Comptabilité – Contrôle – Audit, vol. 1, tome
par activités », Cahiers de la recherche, IAE de Lille. 9, p. 45-64.
Dème, M. (1995), « Les privatisations, une solution Tcheng, H. et al. (2008), « Les télécoms, facteur
pour l’Afrique ? », Politiques et Management Public, de développement en Afrique », L’Expansion Manage-
vol. 13, n° 2, p. 97-140. ment Review, vol. 2, n° 129, p. 110-120.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 / 45

Vous aimerez peut-être aussi