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Introduction : Regards croisés sur la digitalisation de

l’économie
Béatrice Van Haeperen
Dans Reflets et perspectives de la vie économique 2017/3 (Tome LVI), pages 5 à 8
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 0034-2971
ISBN 9782807391598
DOI 10.3917/rpve.563.0005
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 04/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.64.171.101)

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Introduction : Regards croisés
sur la digitalisation de l’économie
Introduction: Different perspectives
on the digitalization of the economy
Béatrice Van Haeperen

En quelques clics, nous effectuons dorénavant nos virements bancaires depuis


notre domicile, nous louons un logement pour notre prochain séjour de vacances
ou déplacement professionnel, nous commandons pour le soir même un repas
sur mesure, nous offrons une place libre dans notre voiture pour un trajet déter-
miné, nous louons notre appartement à des vacanciers. Nous voyageons déjà
dans des métros sans conducteur, bientôt, avec le développement de l’intel-
ligence artificielle, nous nous déplacerons dans des véhicules complètement
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autonomes. Sous des formes diverses – la robotisation, d’un côté, la multiplicité
des transactions rendues possibles grâce à Internet de l’autre –, ce ne sont là
que quelques manifestations de la digitalisation de l’économie.
Au-delà d’aspects purement quantitatifs tels que la réduction des coûts de
transaction et l’accès à un plus grand nombre de biens et services en ligne, la
digitalisation favorise l’émergence et/ou le développement de pratiques inno-
vantes, influençant nos modes de production, de consommation et d’échange.
Le nombre de termes utilisés pour désigner ces nouvelles pratiques – notam-
ment : économie de plateformes, économie collaborative, économie de par-
tage, production collaborative, échanges gratuits et de pair-à-pair via Internet,
consommation collaborative, plateformes d’emploi (Perret, 2015 ; Montel, 2016) –
témoigne d’une diversité d’objectifs et de modalités de fonctionnement. D’un
côté, l’Internet renforce la logique marchande en intensifiant le jeu du marché par
la confrontation instantanée des choix possibles, de l’autre, il facilite le dévelop-
pement d’autres types d’échanges soutenus par une logique de démarchandi-
sation au sens où l’entend B. Perret (2015, p. 13 ) : « S’il faut parler ici [économie
de partage ou collaborative (BlaBlaCar, Airbnb, logiciels libres, etc.)] de démar-
chandisation, malgré le but lucratif de la plupart de ces services, c’est qu’une
partie de l’utilité produite n’est pas monétarisée. Cela peut résulter de la gratuité
des échanges ou de la mutualisation des biens, mais aussi d’une désintermédia-
tion totale ou partielle qui réduit le coût économique de la transaction. »
Ces nouvelles pratiques représentent une part encore limitée des activi-
tés économiques, mais leur progression est rapide. Par exemple, en France,

DOI: 10.3917/rpve.563.0005 Reflets et Perspectives, LVI, 2017/3 — 5


Béatrice Van Haeperen

le secteur de l’hébergement touristique a connu, entre 2015 et 2016, une pro-


gression de 29,9 % pour les logements particuliers loués par l’intermédiaire de
plateformes, contre une baisse de 1,3 % pour les hébergements professionnels
(Franceschi, 2017, in Montel, 2017). Autre exemple : selon une enquête sur les
plateformes de travail en ligne (crowdworking) menée en 2015 dans plusieurs
pays européens (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Suède, Autriche), la part
de la population active ayant travaillé via une plateforme au cours de l’année
2015 est comprise entre 11 % au Royaume-Uni et 24 % en Autriche (Huws et
Joyce, 2016, in Montel, 2017). Enfin, une étude de Price Waterhouse Cooper
pour la Commission européenne (2016, in Calay et Guyot, dans ce numéro) nous
apprend qu’en Europe, entre 2013 et 2015, la croissance du montant global des
transactions générées sur les plateformes d’économie collaborative s’est élevée
à 175 %, pendant que la croissance des revenus européens de ces plateformes
s’élevait à 260 %.
En dépit des bénéfices qu’elle peut générer, la digitalisation de l’économie est
source de questionnements, voire d’inquiétudes, notamment à propos de l’emploi
et du travail. Fondamentalement, il s’agit d’intégrer de nouvelles formes d’activités
dans des cadres économiques, juridiques, législatifs et statistiques où ils n’ont
pas de place. Ces questions, ainsi que les enjeux qu’elles soulèvent en termes de
politiques publiques, sont au cœur des articles présentés dans ce numéro.
Centré sur La mesure des économies circulaires et collaboratives : vers de
nouvelles méthodes d’analyse de la valeur produite par les économies, l’article
de Vincent Calay et Jean-Luc Guyot apporte au préalable un éclairage théo-
rique sur les diverses formes d’économie collaborative et sur les principes de la
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création de valeur qui sous-tendent leur fonctionnement. Leur propos s’étend à
l’économie circulaire, qui partage avec l’économie collaborative la même logique
de démarchandisation : dans l’économie circulaire, la valeur produite est liée à
l’impact sur la gestion des ressources et aux bénéfices environnementaux autant
qu’à la diminution des coûts que peut engendrer la réduction de la consomma-
tion de ressources.
Cette mise en perspective des particularités des nouvelles formes d’écono-
mie introduit une hypothèse prospective : si ces nouvelles formes d’économie
prennent une place croissante, les instruments de mesure actuels ne permettront
plus d’analyser l’économie dans son ensemble, car une partie de la valeur géné-
rée ne pourra y être mesurée faute d’outils adaptés. La mesure de ces nouvelles
économies devient dès lors un réel enjeu pour la statistique publique. Il importe
en effet que la statistique s’adapte pour appréhender de manière systémique les
nouvelles dynamiques de création de valeur. De nouvelles méthodes sont néces-
saires pour saisir la création de valeur dans sa complexité et la traduire sous
forme d’indicateurs. Comment approcher, par exemple, les aspects sociaux,
culturels et environnementaux présents dans ces nouvelles formes d’économie
alors qu’ils ne sont pas convertis en équivalent monétaire ? Une réflexion collec-
tive menée par l’IWEPS (Institut de statistique de la Région wallonne) avec des
scientifiques et des experts d’usage actifs dans différents domaines des écono-
mies circulaires et collaboratives fournit quelques pistes intéressantes pour rele-
ver ce défi.

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Introduction : Regards croisés sur la digitalisation de l’économie

L’article de Gérard Valenduc – Les relations controversées entre les tech-


nologies numériques et l’emploi – nous invite à une discussion stimulante de
l’impact de la digitalisation sur le volume et la qualité de l’emploi. Rendant de
plus en plus présente la possibilité d’informatiser et de robotiser des tâches non
routinières – jusqu’ici préservées de la robotisation –, les changements technolo-
giques liés aux machines intelligentes, matérielles ou virtuelles, constituent-ils une
menace importante pour l’emploi ? La confrontation et l’analyse des résultats
de plusieurs études récentes mettent en évidence des écarts importants entre
les prévisions : d’un emploi sur deux menacé par les robots à moins de 10 %.
Des différences profondes dans les hypothèses et méthodologies expliquent ces
écarts. L’auteur attire notre attention sur le fait que les divergences entre les ré-
sultats ne sont pas neutres sur le plan des implications politiques.
À côté de la robotisation, le développement des plateformes en lignes consti-
tue une autre menace pour l’emploi. Qu’elles soient ouvertes à la multitude
(crowdworking) ou reposent sur une flexibilité exacerbée de la relation d’emploi –
travail à la demande ou travail sur appel –, les nouvelles formes de travail évoquent
chez l’auteur les bourses de travail et le travail à la criée. Sous des formes variées,
leur point commun est de conduire à un affaiblissement de la relation d’emploi et
au développement d’une économie de petits boulots. La réduction du risque lié à
ces formes d’emploi constitue un important enjeu politique.
L’approche socio-historique adoptée par Christophe Degryse dans son
article Conformer l’économie digitale à un modèle social réinventé s’ouvre sur
une intéressante comparaison entre la Révolution industrielle au XIXe siècle et
la digitalisation de l’économie, vue par certains comme la « 4e révolution indus-
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trielle ». Une perspective de long terme nous rassure quelque peu sur l’évolu-
tion du volume de l’emploi : en dépit des progrès techniques, celui-ci ne cesse
d’augmenter. L’auteur est plus réservé en ce qui concerne la qualité de l’emploi.
Dans le modèle de plateformes, des emplois professionnels et régulés sont mis
en concurrence avec des « jobs » pratiqués par des « profanes ». Ne risque-t-on
pas, dès lors, de voir les emplois régulés siphonnés par les nouvelles formes de
travail ? Quelle protection les plateformes assurent-elles à leurs membres (pres-
tataires de services, consommateurs) ? L’auteur regrette que les organisations
collectives soient à peu près absentes des usines virtuelles. Bien sûr, la tâche est
complexe vu les objectifs et intérêts diversifiés des travailleurs qui offrent leurs
services via ces plateformes en ligne. Mais il est urgent que les interlocuteurs
sociaux dépassent cette complexité et s’emparent des enjeux en termes d’orga-
nisation du travail, de la qualité de l’emploi, de la formation, des qualifications, de
la place du travailleur dans le processus de production.
Dans leur article Des écueils en droit de l’économie de plateformes : regards
renouvelés sur certaines dichotomies fondamentales, Céline Wattecamps, Anne-
Grâce Kleczewski et Enguerrand Marique prennent à bras-le-corps les questions
de la protection de l’emploi évoquées dans les articles de Gérard Valenduc et de
Christophe Degryse, et élargissent leur perspective juridique à la protection des
consommateurs et à la fiscalité dans une économie de plateformes.
La particularité des questions soulevées en droit en rapport avec l’écono-
mie collaborative invite les auteurs à circonscrire leur champ aux transactions

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Béatrice Van Haeperen

par l’intermédiaire de plateformes numériques, ou transactions entre pairs. Ce


qui est déterminant, du point de vue du droit, c’est l’intervention de plateformes
agissant comme intermédiaires entre deux catégories d’utilisateurs – des fournis-
seurs de biens ou prestataires de services et des utilisateurs finaux. La présence
de pairs constitue également un point majeur du débat juridique.
Les auteurs insistent sur l’importance de clarifier les situations pour pouvoir
choisir les réponses légales les plus adéquates aux questions soulevées par
l’économie collaborative. Leur travail se heurte à plusieurs difficultés : l’hétéro-
généité du travail par l’intermédiaire de plateformes numériques ; le manque de
données portant sur le fonctionnement des plateformes numériques en Europe
et sur le profil de leurs travailleurs ; le caractère très dynamique du phénomène.
Comme on l’a déjà mis en évidence dans les articles précédents, les plateformes
créent un marché du travail parallèle, où le travail est effectué dans le cadre de
formes d’emploi atypiques, voire précaires. D’où la nécessité de protéger ces
travailleurs en adaptant le droit social. Les auteurs analysent différentes options
possibles et privilégient des solutions susceptibles de relever de manière durable
et juste les défis de l’emploi atypique en général. Pour suivre, les auteurs s’inté-
ressent au recours dont disposent les utilisateurs à l’égard des prestataires d’une
plateforme en cas de prestation insatisfaisante voire dommageable. En l’état ac-
tuel, les règles du droit de la consommation ne sont applicables qu’à l’encontre
de prestataires de services professionnels. Or les prestataires sont souvent pré-
sentés comme des pairs, soit des « amateurs » indépendants. D’où s’imposent
un questionnement relatif à la qualification comme pair et la recherche de protec-
tions disponibles dans le cadre de transactions conclues entre pairs. Last but not
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least, les auteurs questionnent le droit fiscal en vigueur et concluent à la néces-
sité de revoir les mécanismes de collecte d’impôts.

RÉFÉRENCES
Montel, Olivia (2017), L’économie des plateformes : enjeux pour la croissance, le tra-
vail, l’emploi et les politiques publiques, DARES, document d’études n° 213.
Perret, Bernard (2015), Au-delà du marché : les nouvelles voies de la démarchandi-
sation, Paris, Les Petits Matins/Institut Veblen.

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