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Financement de l'investissement et neutralité fiscale : la

déduction pour capital à risque en perspective


Michel Aujean, Vieri Ceriani, Christian Valenduc
Dans Reflets et perspectives de la vie économique 2014/1 (Tome LIII), pages 49 à 62
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 0034-2971
ISBN 9782804188825
DOI 10.3917/rpve.531.0049
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Financement de l’investissement
et neutralité fiscale : la déduction
pour capital à risque en perspective
Michel Aujean 1, Vieri Ceriani 2
et Christian Valenduc 3

Abstract – The debt-equity bias is present in many tax systems since a significant
number of decades: while interest is tax deductible, the return on equity is subject
to tax at the corporate level and may be taxed again at the personal level. The re-
cent financial and economic crisis has clearly made the point the excessive leverage
may be damaging, so there is a renewed interest in the consequence of the debt-
Equity bias. This article sets out the main solutions for the debt-equity bias that have
been suggested in the economic literature. We nest present the Belgian and Italian
reforms: both counties have introduced an Allowance for Corporate Equity (ACE) but
the design of the allowance is very different. We describe the two reforms and some
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elements of assessment, and next conclude on the what we could learn from that
comparison for the future of the ACE in Belgium
Keywords: Tax Policy, Debt-Equity Bias, Allowance for Corporate Equity.
JEL: H2, H25, G3

Résumé – L’introduction de la déduction pour capital à risque, plus connue sous le


nom d’« intérêts notionnels », est une réforme à la fois fondamentale et controversée.
Elle est en outre une réforme emblématique de la première décennie de ce siècle en
Belgique. Son caractère controversé donne naissance à de multiples propositions de
modifications, voire de suppression, tandis que ses défenseurs la considèrent comme
primordiale pour l’attractivité fiscale de la Belgique et donc par là pour sa compétiti-
vité. Bien avant d’être mise en œuvre en Belgique, cette réforme a été proposée dans
la littérature économique sous le nom d’Allowance for Corporate Equity (ACE). Elle a
connu une première mise en œuvre, très temporaire, en Croatie au début du proces-
sus de transition de ce pays vers l’économie de marché. Elle a été mise en œuvre
plus récemment dans d’autres pays, dont l’Italie.

1. Ancien directeur de la politique fiscale à la Commission européenne, Associé TAJ, Paris.


2. Secrétaire d’État à l’économie dans le gouvernement italien.
3. Service d’études du SPF Finances, UCLouvain et Université de Namur.

DOI: 10.3917/rpve.531.0049 Reflets et Perspectives, LIII, 2014/1 — 49


Michel Aujean , Vieri Ceriani et Christian Valenduc

Le but de cet article est de mettre la réforme belge en perspective, dans le


contexte plus large de la neutralité de l’impôt à l’égard des modes de finance-
ment des entreprises. Une première section présente le problème et l’éventail
des solutions théoriques qui peuvent être apportées. La seconde section pré-
sente l’expérience belge et la troisième section, l’expérience italienne. Nous
concluons sur les enjeux pour la Belgique.

1 L
 A PROBLÉMATIQUE ET LES SOLUTIONS
POSSIBLES
La neutralité de la fiscalité au regard des décisions économiques et notamment
des décisions d’investissement est généralement considérée comme un objectif
important s’agissant de la conception des systèmes fiscaux. Dans la pratique,
cela se révèle souvent comme un objectif difficile à atteindre comme en té-
moignent tant le goût immodéré des décideurs politiques pour faire de la fiscalité
un instrument d’intervention économique que l’accumulation des niches fiscales
qui bien souvent en résultent 4.
Ce thème revêt aujourd’hui une importance particulière lorsqu’on se penche
sur le traitement fiscal des différentes modalités de financement des entreprises.
En effet, en matière de fiscalité des sociétés, on constate le plus souvent que
fonds propres et fonds empruntés reçoivent un traitement différent du fait même
de la déductibilité des intérêts d’emprunts, alors que la rémunération des fonds
propres ne donne lieu de son côté à aucune déduction.
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Le biais ainsi créé peut induire deux sortes de distorsions économiques.
D’une part, cette différence de traitement conduit les sociétés à rechercher un
effet de levier, et donc un ratio emprunt/fonds propres excessif, ce qui in fine ac-
croît le risque systémique pour les marchés financiers. D’autre part, le traitement
favorable aux emprunts incite les entreprises multinationales à utiliser la déducti-
bilité des intérêts ou à recourir à des instruments hybrides pour opérer des trans-
ferts de bénéfices vers des lieux moins imposés. Ainsi, la dette des filiales est
située dans des pays où l’impôt sur les sociétés est élevé tandis que les intérêts
sont versés aux sociétés prêteuses du groupe, localisées dans des pays à fiscali-
té faible, ce qui se traduit par une moindre imposition totale au niveau du groupe.
Ces deux types de distorsions économiques ont donné lieu à de nombreux
travaux d’analyses et sont aujourd’hui bien connus des économistes, surtout de-
puis la crise financière de 2008. Fatica, Hemmelgarn et Nicodème (2009) mettent
notamment en évidence ce phénomène de « transfert de dettes ». Ces distor-
sions se doublent le plus souvent de conséquences négatives sous forme d’un
coût réduisant le bien-être d’une ampleur non négligeable, les estimations mini-
males sont de l’ordre de 0,25 % du PIB 5.
Tant les institutions européennes que l’OCDE et le FMI (IMF, 2009) ont in-
sisté sur le rôle que le biais introduit par la déductibilité des intérêts peut avoir

4. Voir l’article de Samantha Haulotte et de Christian Valenduc dans ce même numéro.


5. Voir Fatica et al. (2012).

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Financement de l’investissement et neutralité fiscale Financement de l’investissement et neutralité fiscale 

joué dans le développement de la crise financière et sur les options de politique


économique et fiscale à mettre en œuvre pour réduire ou même éliminer ce biais.
En particulier, le tableau 1 montre bien l’écart que crée dans le taux marginal
effectif d’imposition le choix de financer l’investissement par l’emprunt par rap-
port à un financement sur fonds propres : pour des investissements financés sur
fonds propres, si aucune déduction n’est prévue pour le coût de financement, le
système fiscal décourage l’investissement en ce sens qu’un investissement qui
atteint juste le seuil de rentabilité avant impôt devient à perte après impôt : le taux
marginal effectif d’imposition est positif. En revanche, pour un investissement
financé par l’emprunt, la combinaison de la déductibilité des intérêts d’emprunt
et des amortissements (généralement plus généreux que la dépréciation écono-
mique) se traduit par un subside fiscal net : le taux marginal effectif d’imposition
est négatif !
Dans le cas de la Belgique, cela a été mis en évidence antérieurement
(Valenduc 1999, 2009) et le graphique 1 met à jour ces estimations. Jusqu’en
1996, un système fiscal classique, avec taxation des bénéfices réservés et
des bénéfices distribués créait une discrimination entre financement par fonds
propres et financement par emprunt. Cette discrimination a disparu dès 1996,
avec l’effet d’un crédit d’impôt sur les nouveaux fonds propres, au niveau de
l’investissement marginal. Les taux moyens effectifs des investissements finan-
cés par fonds propres restaient tout de même, dans beaucoup de cas de fi-
gure, supérieurs à ceux des investissements financés par emprunt. La neutralité
a été accrue avec l’introduction de la déduction pour capital à risque en 2006
(Valenduc, 1999, 2009).
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Tableau 1. Taux marginal effectif des sociétés – 2005
France Allemagne Italie Royaume-Uni États-Unis
Fonds Propres 20 29 19 20 24
Emprunt –36 –37 –48 –28 –46

Source : Mise à jour de Devereux et al. (2002), www.ifs.org.uk.

De son côté, la Commission européenne dès son Examen de la croissance


2012, élaboré dans le cadre du semestre européen 6, mettait en évidence deux
éléments spécifiques utiles au renforcement de l’efficacité économique dans de
nombreux États membres : « Les règles des États membres en matière d’imposi-
tion des revenus des sociétés et des investissements dans le logement entraînent
une distorsion en faveur de l’endettement pour le financement des investisse-
ments. […] Le coût économique de cette distorsion en faveur de l’endettement
pourrait ne pas être négligeable. Plus important encore, des niveaux d’endette-
ment excessifs augmentent la probabilité de défaillance, et la récente crise finan-
cière a prouvé que les coûts d’ajustement peuvent être considérables. »

6. Commission européenne (2011). Voir en particulier le chapitre : « Une meilleure conception des
différents impôts et taxes ».

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Michel Aujean , Vieri Ceriani et Christian Valenduc

Graphique 1. Coin fiscal sur les revenus de l’investissement Belgique,


Impôt des sociétés et impôt sur les revenu
10,0 %

8,0 %

6,0 %

4,0 %
Coin fiscal (p-s)

2,0 %

0,0 %

–2,0 %

–4,0 %

–6,0 %

–8,0 %

–10,0 %
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
Augmentation de capital Emprunt Autofinancement

Cette entorse à la neutralité fiscale a donné lieu depuis longtemps à des ré-
flexions fort diverses chez les économistes, les solutions envisageables oscillant
entre deux positions extrêmes :
–– la non-déductibilité intégrale des intérêts d’emprunts, souvent présentée
comme Comprehensive Business Income Tax, CBIT, du nom donné à cette
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tentative de réforme proposée en 1992 par le Trésor américain 7 ;
–– la déductibilité des intérêts fictifs (intérêts notionnels) correspondant à une
rémunération des capitaux propres, appelée Allowance for Corporate Equity
(Devereux et Freeman, 1991), aujourd’hui mise en œuvre en Belgique, en
Lettonie et en Italie, mais selon des modèles différents.
De Mooij et Devereux (2008) et l’OECD (2007) fournissent une bonne pré-
sentation des deux approches et de leurs avantages et inconvénients respectifs.
La première solution conduit à élargir l’assiette de l’impôt sur les sociétés.
À taux inchangé, il y a un accroissement du coût du capital pour les investis-
sements financés par emprunt. L’élargissement de la base imposable permet
cependant, à recette constante, une baisse du taux d’imposition. Il n’en demeure
pas moins que l’investissement marginal reste taxé et qu’il peut même l’être plus
lourdement dans certains cas de figure. Toutefois, lorsqu’elle est introduite dans
le cadre d’une réforme fiscale avec une baisse du taux de l’IS, elle se traduit par
une amélioration du bien-être. Selon De Mooij et Devereux (2008), cette amélio-
ration est sensible pour des pays comme l’Allemagne (avant la baisse du taux
d’IS) ou la France du fait de leur taux d’impôt des sociétés relativement élevé.

7. TreasuryDepartment (1992). Dans cette proposition, les intérêts ne seraient plus ni déductibles ni
imposés lorsque payés à des entités couvertes par CBIT et les dividendes non imposés. Pour une
reprise récente de ces idées, voir Hasen (2013).

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Financement de l’investissement et neutralité fiscale Financement de l’investissement et neutralité fiscale 

Une action coordonnée perd de son efficacité dès lors que le champ d’attraction
de taux plus faibles se réduit si tous les pays européens font de même.
Dans la pratique, aucun pays n’a mis en œuvre une CBIT. Ceci peut s’expli-
quer notamment par les difficultés que peut poser une mise en œuvre unilaté-
rale à l’égard des règles de base de la fiscalité internationale : déductibilité des
intérêts d’emprunt et taxation des bénéfices dans le pays de la source, taxation
des intérêts et élimination de la double imposition des bénéfices distribués dans
le pays de résidence. Beaucoup de pays se sont cependant efforcés de limiter
la déductibilité des intérêts soit en introduisant des règles de sous-capitalisa-
tion qui établissent une relation entre le montant des capitaux empruntés et celui
des capitaux propres (par ex. un ratio dettes/fonds propres < à 4:1 dans des
pays tels que Danemark), soit par des « Earnings-stripping rules » qui limitent la
déductibilité lorsque le montant net des dépenses d’intérêts dépasse un certain
pourcentage de l’EBITDA (Allemagne, Italie et récemment France).
La seconde approche, basée sur l’octroi d’une déduction pour la rémunéra-
tion des fonds propres, améliore l’efficacité économique dans la mesure où elle
élimine la distorsion entre dettes et capitaux propres et réduit le coût du capital.
Utilisée seule, elle est considérée comme attractive pour des pays à taux élevés
et assiette large (Allemagne avant réforme, Espagne, Italie). En revanche, si on
décide d’accroître le taux d’IS pour la financer, cette réforme peut éroder encore
l’assiette par le profit shifting que provoque la hausse du taux et par conséquent
cela tend à réduire le bien-être. Une action coordonnée au niveau européen ré-
duit ces risques en réduisant le champ du profit shifting.
Du fait des conséquences opposées de ces deux approches, leur combinai-
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son peut se révéler intéressante si elle permet de compenser leurs inconvénients
respectifs. C’est en général le but assigné aux approches dites ACC (Allowance
for Corporate Capital) qui reposent sur l’idée de déductibilité d’un rendement
notionnel sans risque du capital, quel que soit son mode de financement (dette
ou fonds propres). Une telle combinaison des deux systèmes conduit à imposer
une limitation à la déductibilité des intérêts, mais permet en revanche une déduc-
tion partielle du rendement des fonds propres afin de respecter la neutralité du
financement. De Mooij et Devereux (2008) vont dans ce sens et montrent qu’une
combinaison des approches CBIT et ACE qui serait neutre du point de vue des
recettes peut renforcer l’efficacité économique en supprimant la distorsion dans
le choix endettement/capitaux propres pour le financement des sociétés. Un
coût du capital plus élevé sur les investissements financés par la dette se trouve
alors compensé par un coût du capital plus faible sur les investissements finan-
cés par capitaux propres. Il en résulte en moyenne un léger accroissement de
l’investissement et une amélioration du bien-être du fait d’une structure financière
plus efficace.
Idéalement, une politique coordonnée en Europe permettrait de restaurer
l’imposition des sociétés par une combinaison appropriée des deux approches.
À défaut, la tendance qui s’est manifestée ces dernières années, dans le cadre
de concurrence fiscale que connaît l’Europe, à l’élargissement de l’assiette et
à la réduction des taux, notamment du fait de politiques de resserrement des
possibilités de déduction des intérêts, risque de se poursuivre au détriment de

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Michel Aujean , Vieri Ceriani et Christian Valenduc

l’efficacité économique. Une telle politique pourrait aussi résulter d’une conver-
gence ordonnée des systèmes fiscaux de la France et de l’Allemagne (et de ses
effets d’entraînement sur les autres pays) à la condition que cette convergence
ne vise pas uniquement la consolidation des recettes comme cela semble trop
souvent être le cas à l’heure actuelle et qu’elle se fonde sur des objectifs de
renforcement de la neutralité et de l’efficacité économique des systèmes d’impo-
sition des sociétés 8.

2 L’EXPÉRIENCE BELGE
La Belgique a introduit en 2006 une déduction pour la rémunération des fonds
propres, dénommée officiellement « déduction pour capital à risque » (DCR) et
plus connue sous le nom d’« intérêts notionnels ». Dès le départ, cette réforme
pourtant fondamentale s’est avérée controversée, ce qui a inspiré le titre de
Valenduc (2009). Ceci tient à une ambiguïté, voire à une confusion, dans les ob-
jectifs poursuivis. L’exposé des motifs de la loi fait la part belle à la suppression
de la discrimination entre les fonds propres et l’emprunt, prenant ainsi le relais
de l’argumentation bien connue de la théorie économique de la politique fiscale.
Ce n’est qu’en fin d’exposé des motifs qu’il est mentionné que cette réforme
apporte une solution au démantèlement du régime fiscal des centres de coor-
dination, alors requis par la Commission européenne dans le cadre de la mise
en œuvre du Code de conduite sur la fiscalité des entreprises et de ses compé-
tences en matière de contrôle des aides d’état. Or c’est ce second motif qui est
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la raison fondamentale de la réforme.
Reprenons donc le processus de réforme par ce point. Au début des an-
nées 1980, la Belgique crée un régime fiscal préférentiel pour attirer en Belgique
les quartiers généraux des entreprises multinationales. Le régime a deux avan-
tages majeurs : une taxation en cost-plus, qui aboutit à ne pas imposer la marge
d’intermédiation financière et crée un taux effectif quasi nul, et un précompte
mobilier fictif pour l’apporteur de fonds ; le second avantage disparaîtra progres-
sivement pendant les années 1990, mais le premier, qui constitue le cœur du ré-
gime reste en vigueur. L’utilisation la plus importante des centres de coordination
se fait dans le domaine du financement intra-groupe : le schéma classique est
le suivant : le centre de coordination est doté en fonds propres par une société
du groupe et prête les capitaux reçus à d’autres sociétés du groupe. Celles-ci
déduisent des intérêts, que le centre de coordination transforme en dividendes,
sans impôt sur la marge d’intermédiation. Ces dividendes ne sont pas impo-
sés lorsque l’apporteur de fonds propres accorde l’exemption sans condition de
taxation en amont suffisamment stricte. Logiquement, les centres de coordina-
tion avaient donc un ratio fonds propres/total du bilan très élevé : une déduction
pour capital à risque était donc une solution de remplacement.

8. Voir à cet égard les pistes de convergence énoncées en matière de déductibilité des intérêts
d’emprunts dans Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie (2012).

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Financement de l’investissement et neutralité fiscale Financement de l’investissement et neutralité fiscale 

Si on accepte que l’objectif prioritaire était bien de fournir une solution de


rechange au régime des centres de coordination, on comprend qu’il fallait appli-
quer la réforme au stock de capital existant. Or, ce n’est pas nécessaire pour que
l’introduction d’une Allowance for Corporate Equity délivre ses bénéfices fonda-
mentaux. Ainsi que le note Valenduc (2009), le stock de capital existant provient
d’investissements antérieurs qui ont été jugés rentables aux conditions fiscales
qui prévalaient alors et ils n’ont pas besoin d’un coup de pouce supplémentaire,
et ceux qui n’étaient pas rentables ne seront pas « ressuscités ». L’octroi de la
déduction pour capital à risque au stock de capital existant est un pur effet d’au-
baine, mais il est considéré comme le prix à payer pour le maintien en Belgique
des sociétés qui bénéficiaient alors du régime fiscal des centres de coordination.
Avec quelques années de recul, que peut-on dire des effets de ce régime ?
L’introduction de la DCR a assurément amené une réduction substantielle
de la discrimination à l’encontre des fonds propres 9. Nous avions noté, en com-
mentant le graphique 1, qu’il existait déjà un crédit d’impôt pour les nouveaux
fonds propres, mais celui-ci était limité aux PME et il n’était octroyé qu’une fois,
de manière incrémentale, alors que la DCR s’applique de manière structurelle au
rendement des fonds propres. Pour les grandes entreprises, la DCR a vraiment
été un élément neuf dans la réduction de la discrimination à l’encontre des fonds
propres. Pour ce qui concerne les PME, Valenduc (2009) compare les avantages
de la DCR et du crédit d’impôt antérieur et conclut que, dans la toute grande
majorité des cas, la DCR est plus favorable que l’ancien incitant.
Qu’en est-il, globalement, de l’imposition des sociétés ? On peut répondre à
cette question en suivant l’évolution d’un indicateur de type « taux d’imposition
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implicite », construit en rapportant les recettes de l’impôt des sociétés à leur
base macroéconomique ; c’est l’optique prise par Valenduc (2011). Il conclut
qu’il y a bien eu une baisse de l’imposition effective, masquée dans un premier
temps par un « effet de timing », à savoir une accélération de la perception de
l’impôt des sociétés. Il constate également un élargissement de la base macro-
économique de l’impôt des sociétés par rapport au PIB, celui-ci s’explique plus
par une hausse de la profitabilité brute (le revenu primaire des sociétés, exprimé
en pourcentage de la valeur ajoutée) que par un élargissement de la taille du sec-
teur (la part de la valeur ajoutée des sociétés dans le PIB). Nous reviendrons sur
ce point ci-après.
Un récent rapport du Conseil supérieur des Finances (2014) apporte davan-
tage d’informations. Il dresse le profil des bénéficiaires de la DCR : l’avantage
retiré de celle-ci est exprimé en termes de réduction de l’imposition effective. Il
conclut que « la réduction de l’imposition effective qui résulte de la DCR est plus
importante pour les grandes sociétés que pour les petites, quels que soient les
critères de définition et de taille retenus ». Ce rapport note également : « Une
forte concentration de déductions […] dans un nombre restreint de sociétés qui

9. Les résultats des calculs de taux effectifs faits par le ZEW et publiés par la Commission euro-
péenne (2013) maintiennent une discrimination à l’encontre du capital. Ceci provient du fait que
les auteurs imposent un taux d’intérêt à long terme de 5 % dans tous les pays, mais utilisent le
taux légal de la DCR pour la Belgique, en brisant ainsi le lien entre le taux de la DCR et le taux
d’intérêt à long terme. Ils sous-estiment donc l’impact de DCR.

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Michel Aujean , Vieri Ceriani et Christian Valenduc

ont un revenu imposable élevé et un total du bilan élevé. Ces sociétés ne sont
cependant pas importantes en termes de valeur ajoutée et d’emploi. » On voit là
une première trace de l’objectif du maintien en Belgique de l’activité qui était celle
des centres de coordination. Les sociétés financières qui en ont pris le relais ont
toutes les caractéristiques énoncées par le Conseil supérieur des Finances.
Peu d’études ont été faites pour mesurer l’impact de la DCR sur la structure
du bilan des sociétés, à l’exception notoire de Princen (2011). Cette étude pro-
cède suivant la méthode « différence par différence » et conclut que l’introduction
de la DCR a réduit le taux d’endettement des sociétés non financières belges à
concurrence de 2,7 points. Elle ne décèle par contre aucun effet à l’actif du bilan
et aucun effet sur l’emploi.
Un autre point d’évaluation est celui de l’utilisation de la DCR comme outil de
tax planning par les groupes de sociétés à des fins d’érosion de leur base taxable
consolidée. La presse a régulièrement mis en exergue des cas où des groupes
de sociétés localisaient en Belgique une importante activité financière sans payer
d’impôt. Zangari (2014) fait une comparaison systématique des mesures anti-
abus spécifiques en Belgique et en Italie et conclut que l’Italie a pris nettement
plus de mesures anti-abus et les a ciblées sur les transactions entre entreprises
apparentées. Valenduc (2009) pointe également les lacunes des mesures anti-
abus. À la lecture de Zangari (2014) et de la description résumée des mesures
anti-abus italiennes qui est donnée ci-après, le lecteur comprendra que les adop-
ter en Belgique était incompatible avec l’objectif du maintien l’activité exercée
autrefois dans les centres de coordination et maintenant dans les sociétés spé-
cialisées dans le financement intra-groupe.
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Ce point étant fait, nous pouvons revenir à la hausse de la profitabilité brute
consécutive à l’introduction de la DCR. Cette hausse est à première vue surpre-
nante : on voit mal, en économie ouverte, pourquoi une baisse de l’imposition
effective dans un pays donné y accroîtrait la profitabilité brute de l’investissement.
Le résultat constaté est cependant compatible avec un scénario où sont créées
en Belgique de sociétés de financement, largement dotées en fonds propres. Ce
type de société crée peu de valeur ajoutée, mais génère des profits et leur profi-
tabilité brute, exprimée par rapport à la valeur ajoutée, est donc particulièrement
élevée.
Cette explication de la hausse de la profitabilité brute nuance fortement le
caractère de l’effet de retour de la réforme : il n’y a pratiquement pas d’élar-
gissement de la taille du secteur et de création de valeur ajoutée additionnelle.
Ceci relativise donc très fortement la possibilité que la réforme ait créé davantage
d’activité économique, d’investissement et d’emploi.
Que conclure ? Tout peut s’expliquer par l’ambiguïté originelle. Si on consi-
dère que le but était de trouver une solution de substitution aux centres de coor-
dination, l’objectif est atteint. On le lit dans le profil des bénéficiaires, dans la
hausse de la profitabilité brute. Si on considère que le but était de rendre la fis-
calité plus neutre, le constat est beaucoup plus nuancé. Hors « constructions
intra-groupe », le constat est positif : il y a rapprochement des taux effectifs
et amélioration de la part des capitaux propres dans le total du bilan, mais au
prix d’un effet d’aubaine qui a dès le départ gonflé le coût budgétaire brut de la

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réforme. Mais la planification fiscale faite à partir de la DCR, et amplifiée par l’ab-
sence de mesures anti-abus adéquates, va à l’encontre de la neutralité. Quant
aux retombées sur la croissance et sur l’emploi, le constat n’est pas positif.

3 LA RÉFORME ITALIENNE


En décembre 2011, une Allowance for Corporate Equity (ACE) a été introduite en
Italie par le gouvernement Monti dans le cadre d’un paquet de mesures fiscales
(le décret « Salva-Italia ») visant à consolider les finances publiques et à stabiliser
les incertitudes financières. Bien que l’objectif principal de la manœuvre était de
réduire le déficit, essentiellement via des augmentations de la TVA, des accises
sur les produits énergétiques et des taxes sur les instruments financiers et les
biens immobiliers, il a également été jugé nécessaire d’accorder certains allège-
ments, à la fois sur le capital, via l’ACE, et sur le travail, en augmentant la déduc-
tibilité du coût du travail, de l’impôt local sur la production (IRAP) et des impôts
sur le revenu. Financer des réductions du coin fiscal sur le travail et du coût du
capital pour de nouvelles initiatives entrepreneuriales en augmentant les impôts
sur la consommation et sur le patrimoine était conforme aux recommandations
d’institutions internationales (Commission européenne, FMI, OCDE) : une sorte
de « dévaluation fiscale » a été mise en place en déplaçant la charge fiscale dans
une direction favorable à la croissance.
En introduisant l’ACE, le gouvernement Monti a mis en œuvre une propo-
sition reprise dans le plan de réforme fiscale présenté un an auparavant par le
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gouvernement précédent. L’ACE, qui permet de déduire un rendement présumé
des capitaux propres, vise à favoriser la capitalisation des entreprises via de nou-
veaux fonds propres et bénéfices non répartis, promouvant de ce fait les investis-
sements et la croissance. Cette intention ressort clairement de la version italienne
de l’acronyme : Aiuto alla Crescita Economica (aide à la croissance économique).
Les principales caractéristiques de l’ACE italien sont les suivantes.
i) Le système est incrémental, c’est-à-dire qu’il s’applique aux flux des accrois­
sements nets des fonds propres existants fin 2010. Il diffère sur ce point fon-
damentalement du système belge, qui s’est appliqué d’emblée au stock de
capital existant.
ii) Il exonère totalement le rendement présumé. Il y a toutefois eu un phasing-
in : pour les trois premières années, un taux de 3 % a été appliqué à la base
ACE ; la loi de stabilité 2014 a porté ce taux à 4 %, 4,5 % et 4,75 % respec-
tivement en 2014, 2015 et 2016.
iii) Il s’applique à toutes les entreprises : sociétés, partenariats et entrepreneurs
individuels.
iv) Il contient des dispositions anti-évitement visant à éviter les effets en cas-
cade et la transformation facile du « vieux » capital en « nouveau » capital.
Ces mesures concernent tout particulièrement les transactions entre entre-
prises apparentées.

57
Michel Aujean , Vieri Ceriani et Christian Valenduc

Les caractéristiques fondamentales de l’ACE sont très similaires à celles


d’un système antérieur, appelé DIT, en vigueur à partir de 1997 ; par la suite,
ce système a été affaibli après le changement de gouvernement en 2001 pour
finalement être totalement supprimé en 2004. Le DIT, lui aussi, était incrémental,
s’appliquait à toutes les entreprises et contenait des dispositions anti-abus, tout
comme l’ACE. La principale différence est qu’avec le DIT, le rendement présu-
mé des capitaux propres n’était pas intégralement déductible, mais était taxé au
taux réduit de 19 % 10. Il convient toutefois de noter que jusqu’en 2000, le taux
légal ordinaire de l’impôt des sociétés était de 37 %, alors qu’il est de 27,5 %
depuis 2008. L’ACE actuel peut donc être considéré comme l’héritier d’un sys-
tème similaire introduit il y a 15 ans par un gouvernement de centre-gauche et
aboli 5 ans plus tard par un gouvernement de centre-droit ; l’ACE dans sa forme
actuelle a été proposé initialement par un autre gouvernement de centre-droit
et a finalement été mis en œuvre par la coalition du gouvernement Monti. À la
lumière de sa grande popularité dans le monde des entreprises, il semble très
probable qu’à l’avenir, l’ACE restera une caractéristique permanente du système
fiscal italien. En fait, la coalition du gouvernement Letta, qui est actuellement au
pouvoir, a renforcé le rôle de l’ACE en augmentant le taux d’intérêt présumé pour
les années 2014-2016.

Le fonctionnement de l’ACE en Italie.


L’accroissement net de la base ACE est le résultat algébrique de certains « flux »
financiers. En ce qui concerne les sociétés résidentes soumises à l’impôt des
sociétés, les composantes positives sont les contributions en espèce aux fonds
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propres 11 (pour les établissements permanents, les contributions à la dotation
provenant de la société mère) et les bénéfices réservés. Les distributions
ultérieures des réserves à partir des bénéfices non distribués, en espèce ou en
nature, constituent des réductions de la base ACE.
Toutes les composantes de la base ACE sont incrémentales et le point de
référence est de la situation fin 2010. Par conséquent, l’ACE est incrémental et
cumulatif pour les sociétés.
Cependant, en ce qui concerne les partenariats et les indépendants qui sont
soumis à l’impôt des personnes physiques, l’ACE est octroyé pour la valeur totale
des fonds propres dans les comptes, c’est-à-dire pour le stock, à condition que
l’entreprise applique les règles comptables ordinaires.
En ce qui concerne les nouvelles sociétés résidentes (constituées après 2010),
l’intégralité de la contribution initiale aux fonds propres entre dans la base ACE ;
pour les établissements permanents, la dotation initiale provenant de la société
mère est prise en considération.
La déduction ACE ne peut excéder le bénéfice imposable : par conséquent, elle
ne peut générer une perte fiscale. La déduction ACE inexploitée peut toutefois
être reportée indéfiniment.

10. Un taux minimum global de 27 % était initialement imposé, mais il a été annulé en 2001.
11. Les instruments financiers hybrides sont exclus, principalement dans un souci de simplification.

58
Financement de l’investissement et neutralité fiscale Financement de l’investissement et neutralité fiscale 

Afin de prévenir l’apparition d’effets en cascade et de scénarios facilitant


l’évitement fiscal, la base ACE est réduite pour :
i) les contributions apportées à des sociétés contrôlées ;
ii) les acquisitions de sociétés (ou de parties de sociétés) qui appartenaient aux
sociétés du groupe ;
iii) les augmentations de prêts aux sociétés du même groupe.
Les contributions aux fonds propres provenant d’entités non résidentes
contrôlées par des entités résidentes, ainsi que les contributions provenant d’en-
tités résidant dans des juridictions qui ne permettent pas un échange appro-
prié d’informations pour les besoins de l’administration fiscale, sont également
exclues de la base ACE. La notion de groupe est très large : elle comprend le
contrôle indirect et n’est pas limitée aux sociétés, mais prend en considération
l’ensemble des relations entre les sociétés, les indépendants et les partenariats.
Ces règles anti-abus sont propres à l’ACE et sont obligatoires : toutes les
entreprises doivent les appliquer lors du calcul de la base ACE 12. Outre ces
règles, des dispositions générales anti-abus existent dans le système fiscal italien
et peuvent également s’appliquer à l’ACE : par exemple, l’administration fiscale
(« Agenzia delle entrate ») peut estimer, après avoir procédé à un audit, que l’ACE
a été indûment dupliqué.
Une évaluation approfondie des effets macroéconomiques de l’ACE est
prématurée. L’introduction de ce système est récente et les tests empiriques
sont toujours peu nombreux. Des données issues de déclarations de revenus
montrent que, durant la première année de la mise en œuvre (2011), près de
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300 000 contribuables ont appliqué l’ACE, plus de la moitié d’entre eux étant des
sociétés (tableau 2) ; près de 25 % des sociétés ont fait usage du DIT. Les parte-
nariats et les indépendants ont bénéficié de la majeure partie de la déduction fis-
cale (près de deux tiers), étant donné que pour ceux-ci, la base ACE est le stock
et non la progression des fonds propres. On s’attend dans un avenir proche à ce
que les bénéfices augmentent plus rapidement pour les sociétés. Durant l’exer-
cice 2011, l’allègement fiscal global s’est élevé à environ 640 millions d’euros
(0,03 % du PIB), soit un montant approximativement conforme aux prévisions.

Tableau 2. Utilisation de l’ACE en 2011


Nombre de contribuables Base ACE Allègement fiscal
(milliers) (millions d’euros) (millions d’euros)
Sociétés 166 830 220
Partenariats 80 830 300
Individus 47 350 120
TOTAL 293 2010 640

Source : Déclarations de revenus (UNICO 2012).

12. Le contribuable peut soumettre un ruling (demande de décision anticipée) à l’administration


fiscale et demander la non-application de la règle anti-abus pour les contributions provenant de
sociétés non résidentes, en prouvant qu’il n’y a pas de duplication de la base ACE dans les cir-
constances spécifiques.

59
Michel Aujean , Vieri Ceriani et Christian Valenduc

Sur la base d’un large échantillon d’entreprises italiennes, Panteghini et al.


(2012) ont démontré que l’ACE réduit efficacement l’incitant fiscal au finance-
ment par emprunt : selon leurs estimations, l’élasticité de l’effet de levier de l’ACE
est de -0,064. Ils concluent que l’ACE constitue un pas dans la bonne direction
puisqu’il encourage les entreprises à réduire l’effet de levier et par conséquent,
à diminuer le risque systémique. Cela pourrait être une condition indispensable à
un taux de croissance élevé.
Ces résultats sont conformes à des études antérieures relatives au précé-
dent système DIT, qui lui aussi réduisait les taux effectifs d’imposition sur le finan-
cement par fonds propres et introduisait une réduction de l’effet de levier 13.
Il a été procédé à certaines estimations ex ante des effets de l’ACE italien en
calculant les taux effectifs d’imposition marginal (EMTR) et moyen (EATR). Bilicka
et Devereux (2012) ont comparé les taux effectifs d’imposition dans les pays de
l’OCDE. Sur la base de la législation de 2012, le taux légal de l’ISoc en Italie est
relativement élevé : avec 30,3 %, l’Italie est 27e sur 33 pays. Toutefois, son EATR
se classe à la 18e position (23 %) et son EMTR à la 1re position (‒10 %). La valeur
négative de l’EMTR s’explique principalement par l’ACE. Dans sa forme pure, un
ACE sur l’investissement marginal ramènerait l’imposition effective à zéro, mais
les auteurs estiment que l’ACE italien est légèrement plus généreux, générant un
EMTR négatif pour un investissement marginal financé par les fonds propres 14.
Étant donné que l’EMTR pour les investissements financés par emprunt est éga-
lement négatif (en raison de la déductibilité des intérêts et des déductions pour
amortissement), l’EMTR global est négatif, ce qui implique une subvention fiscale
nette pour un investissement marginal.
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Bilicka, Devereux et Maffini (2012) ont comparé les récents changements en
matière d’impôt des sociétés en Italie et au Royaume-Uni. En 2011, le Royaume-
Uni a diminué le taux d’imposition légal de 28 à 26 %, alors que l’Italie a maintenu
son taux à 27,5 % (31 % en incluant l’IRAP) et a introduit l’ACE. Les entreprises
britanniques et italiennes présentent un ratio de levier similaire, qui se situe légè-
rement au-dessus de celui de la zone euro ; par ailleurs, elles s’appuient plus
fortement sur la dette à court terme et sont plus vulnérables au resserrement du
crédit ainsi qu’aux difficultés financières. La diminution du taux d’imposition ne
corrige pas le biais fiscal en faveur de la dette et au détriment du financement par
fonds propres, mais l’ACE effectue cette correction. Bien que les deux réformes
aient entraîné une réduction du coût du capital, ce sont principalement les inves-
tissements très rentables qui ont bénéficié de la réduction au Royaume-Uni, tan-
dis qu’en Italie, ce sont les entreprises dont la rentabilité est moindre qui en ont
bénéficié davantage. L’EATR italien est inférieur à l’EATR britannique pour des
niveaux de rentabilité jusqu’à 25 %, tandis que l’EATR britannique est inférieur à

13. Bordignon et al. (1999) ont démontré une diminution de la préférence fiscale pour le finance-
ment par l’emprunt et ont estimé que le DIT réduisait le coût du capital dans la plupart des cas.
Bordignon, Giannini et Panteghini (2001) ont calculé les taux effectifs d’imposition et ont fourni
des preuves d’une réduction de la discrimination à l’encontre des fonds propres.
14. Il en est ainsi car la base ACE dépend des bénéfices réservés tels que mesurés sur la base des
règles comptables plutôt que des règles fiscales. Ceci surcompense le fait que le taux de rentabi-
lité utilisé dans le calcul de l’ACE est légèrement inférieur au taux d’intérêt sans risque.

60
Financement de l’investissement et neutralité fiscale Financement de l’investissement et neutralité fiscale 

l’EATR italien pour des niveaux plus élevés. L’ACE pourrait être un moyen plus
efficace de réduire le coût du capital en période de resserrement du crédit et
d’amoindrissement des bénéfices.

4 Q
 UEL AVENIR POUR LA DÉDUCTION
POUR CAPITAL À RISQUE ?
Le récent rapport du Conseil supérieur des Finances a, sur ce sujet aussi, éclairé
le débat : le maintien de la DCR dans sa forme actuelle est parfaitement cohérent
avec une stratégie « de niches » et la Belgique ne s’est finalement écartée de
cette stratégie que pendant les années 1990 (Valenduc, 1999) après l’avoir prati-
quée dans la décennie antérieure et y être revenue au tournant du siècle.
L’autre option est évidemment celle du « taux bas, base large ». Elle serait
défavorable à la localisation des activités de financement intra-groupe, mais fa-
vorable aux activités opérationnelles, et celles-ci créent davantage d’emploi et
de valeur ajoutée. On a quelque difficulté à croire les arguments des lobbyistes
comme quoi la localisation des secondes est liée à celle des premières, dans
un contexte mondial de fragmentation des chaînes de valeur. Il ne faut cepen-
dant pas exagérer la baisse du taux nominal qui serait possible dans une telle
stratégie. Raisonner sur le coût brut n’est pas exact, car la suppression de la
DCR aurait pour conséquence de perdre la base taxable brute des sociétés de
financement. Dans une approche dynamique, le Conseil supérieur des Finances
chiffre la marge de baisse entre 3 et 6 points selon les hypothèses retenues.
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Une option intermédiaire pour la Belgique est évidemment de s’inspirer de
l’Italie. L’expérience italienne montre qu’il est possible de concevoir une telle
réforme en maximisant ses bénéfices économiques. Mais il faut alors oublier la
stratégie de niches et faire son deuil de la localisation en Belgique des sociétés
de financement intra-groupe.

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