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POLITIQUE FISCALE ET RÉFORMES STRUCTURELLES

Christian Valenduc

De Boeck Supérieur | « Reflets et perspectives de la vie économique »

2011/3 Tome L | pages 149 à 163


ISSN 0034-2971
ISBN 9782804165406
DOI 10.3917/rpve.503.0149
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-
economique-2011-3-page-149.htm
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Politique fiscale
et réformes structurelles
Christian Valenduc 1
(Service d'Études SPF Finances, UCL)

Abstract – This paper investigates how tax policy could contribute to structural
reforms that benefit the Belgium economy. We start by highlighting two facts: Belgian
has a low employment rate and a high taxation of labour. The main direction for tax
reform should be to reduce the taxation of labour with a targeting on the segments of
the labour market that are the most reactive to such a change. The medium term fis-
cal policy stance clearly requires that such a reform should be at least fully compen-
sated. We suggest a tax shifting to consumption and the integration of external costs
in the prices of energy and transport. Base broadening could also contribute in a sig-
nificant way to the financing of such reforms, while having in itself positive effects on
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the allocation of resources, so that both the reduction in the taxation of labour and the
suggested compensatory measures could contribute to structural reforms in a posi-
tive way.
Keywords – tax policy, tax shifting, tax expenditures, environmental taxation.
JEL Codes: H21, H22, H23, H24, H25

Les débats sur la politique fiscale portent souvent sur le niveau des prélèvements.
Dans cette contribution, nous laissons de côté le débat sur la hauteur du taux de
prélèvement global : celui-ci étant inévitablement lié aux dépenses publiques à
financer, il ne s’agit pas d’un débat de politique fiscale mais d’un débat sur la taille
du secteur public. Notre contribution s’inscrit dans la lignée des travaux sur la «
qualité des recettes publiques » 2. Il s’agit de voir dans quelle mesure des réformes
du système fiscal actuel peuvent contribuer à une meilleure allocation des res-
sources sur les marchés. Dans cet exercice, il faut intégrer les arbitrages et les
contraintes : l’objectif retenu peut entrer en conflit avec d’autres objectifs, dont
principalement l’équité.
Deux contraintes majeures doivent être prises en compte : l’assainissement
budgétaire et l’ouverture de l’économie. La première contrainte rend contre-indiquée

1 L’auteur s’exprime à titre personnel.


2. Voir Deroose et Kastrop (2008) pour un recueil de publications récentes sur ce thème.

DOI: 10.3917/rpve.503.0149 Reflets et Perspectives, L, 2011/3 — 149


CHRISTIAN VALENDUC

toute baisse du montant total des prélèvements et demande même de rechercher


dans quelle mesure la politique fiscale peut contribuer en même temps à l’assai-
nissement budgétaire et à des réformes structurelles. Comme nous le verrons ci-
après, faire reposer l’entièreté de l’assainissement sur une baisse des dépenses
publiques n’est pas justifié, ni sur le plan théorique ni sur le plan pratique. Pour une
petite économie ouverte, comme la Belgique, la contrainte est également interna-
tionale : le contexte de concurrence fiscale qui prévaut en Europe et plus globale-
ment dans une économie globalisée limite les choix possibles. Certes, ce cadre
peut être modifié par une harmonisation fiscale en Europe. Il s’agit là d’un autre
débat, que nous n’abordons pas ici, et nous prenons la situation actuelle comme
une donnée.
Le point de départ de notre article est un constat : celui de la conjonction d’un
niveau élevé de taxation du travail et d’un taux d’emploi trop faible. Ce constat
amène deux conclusions, qui orientent le contenu de l’article : en formulation
« négative », il faut éviter à tout prix d’accroître les prélèvements sur les revenus du
travail. En formulation « positive » : la politique fiscale peut contribuer à de meilleures
performances de croissance et d’emploi par un glissement fiscal de la taxation du
travail vers d’autres bases. Deux voies sont examinées. La première est plutôt
macro-économique : dans la ligne des récents travaux de l’OCDE sur « fiscalité et
croissance », nous examinons les possibilités d’un glissement des revenus du travail
vers d’autres bases. La seconde est davantage micro-économique : nous exami-
nons dans quelle mesure l’élargissement des bases imposables peut financer une
baisse du coin fiscal sur les salaires et contribuer aux objectifs poursuivis par les
réformes structurelles.
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1 RÉFORME FISCALE ET HAUSSE
DU TAUX D’EMPLOI
La hausse du taux d’emploi est un axe politique particulièrement important en Bel-
gique et une réforme fiscale visant cet objectif permettrait également de réconcilier
l’efficacité et l’équité. L’effet est positif sur le taux de croissance potentielle de
l’économie et sortir des personnes du sous-emploi pour les faire revenir sur le
marché du travail réduit assurément l’inégalité. De plus, sur le long terme, la hausse
du taux d’emploi permet d’absorber le choc du vieillissement et évitera donc que
se creusent des inégalités entre actifs et inactifs ou entre générations.
La contribution de la politique fiscale à la hausse du taux d’emploi était au
cœur du Rapport du Conseil supérieur des Finances de 2007. Ce rapport consi-
dère que les politiques les plus efficaces en termes de création d‘emploi sont celles
qui sont ciblées sur les bas salaires : il reprend à son compte la conclusion qui se
dégage de la littérature économique récente (Cockx et al., 2005).
Il s’agirait donc ici de poursuivre une orientation de politique fiscale déjà mise
en œuvre et dont les résultats se lisent sur l’évolution macro-économique de
l’imposition des salaires. Selon l’European Commission (2011), les prélèvements
fiscaux et sociaux sur les salaires, exprimés en pourcent de la masse salariale ont

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POLITIQUE FISCALE ET RÉFORMES STRUCTURELLES

baissé de 43,8 % en 2004 à 41,5 % en 2009. La baisse serait plus nette encore si
on intègre l’effet des subventions salariales, dont les récentes dispenses de verse-
ment de précompte professionnel 3. Il n’empêche qu’au niveau du salaire moyen
du secteur marchand, les taux nominaux de ces prélèvements fiscaux et sociaux
génèrent toujours le coin fiscal le plus élevé de toute l’OCDE 4.
En raisonnant à salaires bruts inchangés – et donc à court terme –, les baisses
de cotisations sociales ciblées sur les bas salaires peuvent avoir deux types
d’effets : du côté de la demande de travail, elles permettent de réduire le « piège à
la productivité » qui provient de l’écart entre le coût salarial et la productivité des
peu qualifiés, en sauvegardant le salaire minimum : elles se traduisent en effet
dans une baisse du taux effectif moyen qui peut atteindre près de 25 points en cas
de suppression totale des cotisations patronales. Du côté de l’offre de travail, elles
contribuent à réduire les pièges à l’emploi. À terme, la distinction entre les effets
sur le coût salarial et sur le salaire net peut s’estomper si une partie des réductions
de cotisations patronales est reprise en hausse des salaires bruts. L’effort de
réduction du coin fiscal a surtout porté sur le côté « demande de travail » et sur les
prélèvements qui sont en amont du salaire brut.
Le ciblage des réductions sur les bas salaires permet de maximiser l’effet sur
l’emploi pour un coût budgétaire donné. Il a cependant aussi pour effet de porter
les taux marginaux à des niveaux très élevés dans les zones où les réductions sont
reprises : chaque euro gagné y est non seulement soumis au barème progressif
de l’impôt mais aussi à une « taxe » additionnelle, sous forme de la « réduction de
la réduction » de cotisation sociale. Des crédits d’impôt ciblés sur les bas salaires
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ont des effets similaires. Ces politiques amplifient en fait un autre problème de
l’imposition des revenus : on atteint très rapidement un taux marginal de 40 % qui,
ajouté aux cotisations personnelles de sécurité sociale, a pour effet de ramener à
50 cents en net une augmentation d’un euro en brut. Les effets de ces taux mar-
ginaux élevés sur l’offre de travail ne sont pas clairement établis, notamment parce
qu’il s’agit d’un domaine très peu étudié en Belgique. Il faudrait cependant s’inter-
roger quant à leur effet sur l’acceptabilité de l’impôt. Corriger cette progression
trop rapide du barème ne serait pas anti-redistributif mais l’opération a un coût
budgétaire significatif.
Une question particulière concerne le taux d’emploi des travailleurs âgés, qui
est chez nous un des plus bas d’Europe. Dans quelle mesure une réforme fiscale
peut-elle contribuer à une hausse de leur taux d’emploi ? Comme dans le cas
général qui vient d’être discuté, il faut examiner les possibilités d’action tant sur la
demande que sur l’offre de travail.
Vandenberghe (2010) examine les causes de la faible employabilité des tra-
vailleurs âgés du point de vue de la demande de travail et parmi celles-ci le décalage
entre salaires et productivité. La meilleure voie de réforme consiste évidemment à
corriger ce décalage, ce qui reviendrait à revaloriser les salaires en début de carrière.
Beaucoup de profils barémiques reposent sur l’hypothèse d’un contrat implicite :

3. Valenduc (2011) intègre les subventions salariales en déduction du calcul du taux d’imposition im-
plicite des salaires qui revient alors en deçà de 40 %.
4. Voir OECD (2010d).

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CHRISTIAN VALENDUC

si en fin de période le salaire excède la productivité, c’est l’inverse en début de vie


active et le « contrat implicite » joue alors à la fois un rôle de compensation et
d’incitation à ne pas changer de contrat. Si ces contrats n’affectent pas les profits
moyens des firmes dans un univers stable, il en est tout autrement en cas de choc
sectoriel et la solution est alors pour l’employeur de se séparer des travailleurs les
plus âgés. Le même résultat peut aussi s‘expliquer par un contrat implicite dont le
terme est, du point de vue de l’employeur, antérieur à l’âge de la retraite. La poli-
tique fiscale peut avoir un rôle en réduisant la composante non salariale du coût du
travail. La proposition de Vanderlinden (2005) de moduler les seuils d’allègements
des cotisations patronales en fonction de l’âge prend ici tout son sens. Une autre
solution possible est d’octroyer des compléments de revenu sous forme d’aide
directe, en cas de reprise d’un emploi à un salaire inférieur.
Du point de vue de l’offre de travail, la question à examiner est l’impact de la
fiscalité sur les décisions de départ en préretraite et en retraite anticipée 5. La dis-
cussion se focalise généralement sur le traitement différencié des salaires et des
(pré)pensions : la réduction d’impôt dont les secondes bénéficient gonfle le taux
de remplacement net. Ceci est assurément positif du point de vue de l’équité, car
le taux de remplacement brut est particulièrement bas. Est-ce contre-incitatif ?
Nous reviendrons sur la question.
Des mesures ont déjà été prises pour ce qui concerne le départ en préretraite
mais elles ont une portée limitée : elles visent simplement à réduire l’imposition
marginale des revenus d’activité en cas de cumul de ceux-ci avec une prépension.
Ce ne sont pas de telles mesures qui vont réduire le recours aux préretraites. La
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solution est d’abord réglementaire, par la limitation par voie légale des possibilités
de recours aux prépensions. Mais il y a dans la jungle des dispositions fiscales un
« petit détail qui tue » : si celui qui a un « troisième pilier » (épargne-pension, assu-
rance-vie) doit attendre l’âge de la retraite pour en bénéficier, on peut partir en pré-
retraite avec son capital d’assurance-groupe. Aligner le deuxième pilier sur le
troisième pilier réduirait assurément l’incitation au départ en préretraite.
Pour ce qui concerne la retraite, on reproche régulièrement au système fiscal
actuel une incitation au départ anticipé, du fait d’une taxation des pensions plus
basse que celle des salaires. L’essentiel du débat se situe en fait ailleurs, dans le gain
de pension qu’engendre une année de travail supplémentaire. Le récent « bonus
pension » octroyé en cas de prolongation de l’activité professionnelle va dans ce
sens. Pour juger de l’effet du système fiscal, il faut comparer le taux moyen
d’imposition des salaires pour une année avec l’imposition de la retraite addition-
nelle. C’est donc le taux marginal d’imposition des retraites qui est prépondérant
et celui-ci n’est pas nécessairement plus bas que celui des salaires 6.

5. Par « retraite anticipée » nous entendons un départ dans les cinq années qui précèdent l’âge légal
de la retraite. La « préretraite » vise les départs antérieurs.
6. Les réductions d’impôt sur les pensions sont plafonnées. Un passage de la pension au-delà du
plafond ne génère donc pas de réduction d’impôt additionnelle : le taux marginal est celui du
barème. De plus, la réduction d’impôt est partiellement reprise lorsque le revenu s’élève. Le taux
marginal d’imposition des pensions peut donc être plus élevé que le taux marginal d’imposition
des salaires, et donc forcément plus élevé que le taux moyen d’imposition des salaires.

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POLITIQUE FISCALE ET RÉFORMES STRUCTURELLES

2 UN GLISSEMENT FISCAL DU TRAVAIL


VERS D’AUTRES BASES ?
La contrainte budgétaire impose que l’effort de réduction des prélèvements sur les
salaires soit au moins intégralement compensé. À cela s’ajoute le nécessaire
assainissement budgétaire qui doit permettre d’enrayer l’effet boule de neige, à
défaut de quoi le choc du vieillissement s’avérerait budgétairement ou socialement
intenable. S’ouvre alors le débat sur la contribution respective des hausses de
recettes et des baisses de dépenses. Assurer l’entièreté de l’assainissement par
une baisse des dépenses publiques n’est pas justifié.
– Sur le plan théorique, la supériorité d’un assainissement budgétaire par une
baisse des dépenses est essentiellement justifiée par des modèles d’équilibre
général qui, en simulant les deux termes de l’alternative, concluent que la
baisse des dépenses a moins d’effets négatifs sur le bien-être. Ces modèles
donnent des résultats de long terme, souvent fragiles, et ne disent rien sur les
coûts et bénéfices des deux termes de l’alternative dans le processus de tran-
sition vers l’horizon retenu pour mesurer les effets des réformes.
– De plus, l’approche dichotomique « recettes versus dépenses » fait l’impasse
sur un aspect majeur de la problématique : celui des dépenses fiscales. La
définition de celles-ci souligne leur position intermédiaire, puisqu’il s’agit de
baisses d’impôt qui pourraient être remplacées par des subventions 7.
– Enfin, d’un point de vue pragmatique, l’ampleur de l’assainissement nécessaire
rend pratiquement inévitable le recours aux deux branches de l’alternative.
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Dès lors que les recettes fiscales seront mises à contribution, le choix des com-
pensations et des recettes additionnelles devrait également se faire en considérant
leurs effets sur les performances de l’économie belge : quelles sont les solutions
les moins défavorables à la croissance ?
Une étude récente (Johansson et al., 2008) a examiné cette question au
niveau des pays de l’OCDE. L’étude est antérieure à la crise économique que nous
venons de traverser mais ses recommandations restent utiles dans un horizon de
moyen terme. De plus, les conclusions de cette étude sont une donnée inévitable
dans les débats de politique économique actuels : tant l’OCDE que la Commission
européenne s’appuient sur elles pour formuler leur recommandation de politique
fiscale aux États membres 8.
Dans son volet macroéconomique, ces travaux s’appuient sur une modélisa-
tion qui explique le taux de croissance du PIB par une série de variables explica-
tives qui comprennent le taux de croissance du capital physique, le capital humain,
le taux de croissance de la population, la charge fiscale globale et la part des

7. L’inventaire annuel des dépenses fiscales les définit comme « une moindre recette, provenant
d’une dérogation au système général de l’impôt, en faveur de certaines activités économiques, so-
ciales ou culturelles et qui aurait pu être remplacée par une subvention directe ». Pour un examen
de la problématique, voir par exemple Valenduc (2004) ou Conseil supérieur des Finances (2002)
pour la Belgique et OECD (2010a) pour une approche internationale.
8. Voir par exemple OCDE (2009), chapitre 4.

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CHRISTIAN VALENDUC

principales catégories d’impôt dans les recettes fiscales totales. Cette modélisa-
tion conclut sur un classement des différents types d’impôts en fonction de leurs
effets sur la croissance, qui est le suivant, en partant du « pro-croissance » :
– les impôts sur la propriété immobilière,
– les impôts sur la consommation,
– les impôts sur le revenu et les cotisations sociales,
– les impôts sur les bénéfices des sociétés.

Une politique fiscale « pro-croissance » consiste donc à modifier la structure des


prélèvements et à privilégier les impôts qui sont dans le haut du classement. Dans
le cas qui nous occupe, cela signifie que la baisse des prélèvements sur le travail
devrait être financée par une hausse des impôts sur la propriété immobilière ou
une hausse des impôts sur la consommation, et que c’est également à ces prélè-
vements qu’il faudrait faire appel pour une contribution des recettes publiques à
l’assainissement budgétaire.
À ces glissements s’ajoute celui vers une fiscalité verte, avec une « taxation » 9
accrue des émissions de CO2 et des autres gaz à effet de serre, ou encore une
intégration de l’ensemble des coûts externes dans la tarification du transport.

2.1 Un report sur la fiscalité immobilière ?


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Accroître les impôts sur la propriété immobilière ne va pas de soi, tant d’un point de
vue économique que d’un point de vue politique et institutionnel. Tout dépend de ce
que l’on entend par « accroître l’imposition immobilière » : dans une version stricte,
on limitera celle-ci à l’impôt foncier et aux droits d’enregistrement mais dans une
vision plus large, on peut prendre en compte les incitants fiscaux. La mesure de
l’imposition effective des différents actifs patrimoniaux fait apparaître que, d’une part
l’investissement dans la « maison d’habitation » est moins imposé qu’un placement à
long terme sans risque mais que d’autre part l’investissement dans l’immobilier de
rapport est déjà plus imposé que le placement à long terme sans risque, et ce malgré
les incitants fiscaux ciblés sur l’accession à la propriété. L’immobilier de rapport, lui,
est encore plus lourdement imposé (VALENDUC, 2003, 2005). Accroître la fiscalité
immobilière, que ce soit par une révision à la baisse des incitants fiscaux ou une
hausse des impôts spécifiques à l’immobilier, ne ferait donc qu’accroître des écarts
d’imposition effective déjà défavorables à l’investissement immobilier de rapport qui
constitue l’offre sur le marché locatif, déjà tendu pour certains de ses segments.
Si nous examinons les différentes modalités de manière plus précises, plu-
sieurs problèmes se posent.
– Une première modalité consisterait à réduire les incitants fiscaux, dont princi-
palement la déduction pour habitation unique. Celle-ci apparaît particulière-
ment généreuse, plus favorable en tout cas que le régime antérieur à 2005
(Valenduc, 2008) et elle véhicule comme tous les incitants antérieurs une inci-

9. Nous incluons la vente de permis de polluer.

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POLITIQUE FISCALE ET RÉFORMES STRUCTURELLES

tation à l’emprunt. Or la responsabilité de ces incitations dans la crise finan-


cière a été pointée du doigt dans différentes études récentes sur les liens entre
fiscalité et crise financière (Keen et al., 2010). Réduire ou supprimer les incitants
fiscaux pose toutefois un problème si ceux-ci sont capitalisés dans les prix. Leur
suppression ferait des bénéficiaires actuels des incitants des doubles perdants
vu que, dans cette hypothèse, ils ne récupéreraient plus par les déductions fis-
cales le supplément de prix qu’ils ont dû consentir lors de l’investissement. On
devrait alors maintenir le bénéfice du système actuel aux contrats en cours, ce
qui limite fortement le rendement budgétaire de l’opération.
– Accroître l’imposition des transactions immobilières serait particulièrement
malvenu : le taux des droits d’enregistrement sur les ventes d’immeubles est
déjà un des plus élevés d’Europe. D’autre part, ces recettes sont régionales.
– Il reste dès lors l’option d’une hausse de l’impôt foncier. Celle-ci devrait logi-
quement s’appuyer sur une péréquation cadastrale, si on veut éviter d’amplifier
les iniquités déjà présentes du fait d’une valorisation qui a 36 ans d’âge et que
l’indexation annuelle ne corrige pas vu qu’elle est appliquée de manière linéaire,
indépendamment des évolutions locales du marché. Une hausse de l’impôt
foncier reviendrait pour l’essentiel aux pouvoirs locaux et la révision des
revenus cadastraux bute sur un cas d’école en matière de choix politique : la
répartition des effets budgétaires et des conséquences politiques génère des
contre-incitations qui bloquent sa mise en œuvre. En effet, le niveau de pouvoir
qui doit en assumer la responsabilité politique n’encaisse même pas les ren-
trées de l’opération tandis que ceux qui encaissent les rentrées ne doivent pas
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assumer la responsabilité politique. Ce problème, déjà souligné par CSF

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(1998), n’a été résolu que très marginalement par la réforme institutionnelle de
2001. En donnant aux Régions la possibilité de prendre une autre base que le
revenu cadastral, cette réforme a changé le niveau de pouvoir qui assume la
responsabilité politique mais la dichotomie avec celui qui encaisse les revenus
subsiste. Le seul changement est que le pouvoir régional, qui devrait assumer
la responsabilité politique, a la tutelle des pouvoirs locaux, qui bénéficient des
rentrées financières de l’opération, ce que le pouvoir fédéral n’avait pas.

Un recours accru à la fiscalité immobilière ne va donc pas nécessairement de soi.


De plus, une option requiert assurément une coordination entre les différents
niveaux de pouvoir.

2.2 Un report sur la consommation


Le deuxième glissement fiscal recommandé comme pro-croissance est celui d’un
report de l’imposition des revenus vers la consommation. Dans la structure institu-
tionnelle belge, il pose moins de problèmes vu que tant l’imposition des revenus
que celle de la consommation sont encore largement fédérales. L’argument « pro-
croissance » rejoint ici un des arguments bien connus de la théorie économique de
la taxation : la taxation du revenu impose l’épargne et crée donc une distorsion dans
l’affectation inter-temporelle des ressources qui a des conséquences négatives

155
CHRISTIAN VALENDUC

sur le taux d’investissement en réduisant l’épargne. En d’autres termes : taxer


l’épargne réduit celle-ci, l’équilibre épargne-investissement se fait donc à un niveau
de taux d’intérêt plus élevé qui rejaillit sur le coût du capital et donc sur le taux
d’investissement et sur la croissance. En fait, tous les maillions du raisonnement
sont critiquables.
– À l’argument « taxer l’épargne la réduit », on opposera les conclusions de la lit-
térature économique qui indiquent plutôt que l’épargne globale des ménages
est peu sensible au taux d’intérêt net mais que la composition du portefeuille
des ménages est très sensible à la dispersion des rendements nets des diffé-
rentes formes de placement 10. Ces conclusions sont un argument pour uni-
formiser la taxation de l’épargne – thème sur lequel nous reviendrons ci-après
– mais non pas pour la supprimer.
– L’argument classique à l’encontre de l’imposition de l’épargne perd égale-
ment de sa pertinence en économie ouverte et plus encore pour les pays
membres de la zone Euro. Une petite économie ouverte est price-taker sur le
marché des capitaux. Dans une telle situation, imposer l’épargne ne grève pas
automatiquement le coût du capital et n’a donc pas d’effet automatique et
négatif sur l’investissement. En effet, en économie ouverte, le coût du capital
est déterminé par le taux d’intérêt d’équilibre qui est « donné » par le marché
mondial auquel s’ajoute l’imposition des bénéfices. Imposer l’épargne des rési-
dents est sans effet sur ce taux d’intérêt d’équilibre, donc sans effet sur le coût
du capital. Le taux d’investissement et la croissance ne sont donc pas
affectés.
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– Une autre justification du caractère pro-croissance d’un glissement de l’impo-
sition des revenus vers l’imposition de la consommation peut provenir des
effets de ce glissement sur l’offre de travail. Il n’y aura toutefois d’effet positif
sur l’offre de travail (et donc sur la croissance potentielle) que si les transferts
sociaux ne sont pas adaptés suite à la hausse de l’imposition de la consom-
mation, ce qui requiert donc une baisse du taux de remplacement net. Les
simulations faites par la Commission européenne sur le modèle QUEST indi-
quent que l’adaptation corrélative des transferts sociaux, considérée comme
l’option politiquement la plus réaliste réduit très considérablement les gains
d’un report de l’imposition des revenus vers la consommation : non seulement
elle accroît l’effet négatif de court terme mais elle réduit l’effet à 10 ans de 0,72
point de croissance supplémentaire à 0,43 point et la croissance additionnelle
de l’emploi de 0,88 point à 0,54 point 11.

Un report de l’imposition des revenus vers l’imposition de la consommation a par


ailleurs de fortes chances d’être régressif dès lors que l’imposition des revenus est
progressive tandis que l’imposition de la consommation est plutôt proportionnelle

10. Voir par exemple OCDE (1995). Plus globalement, les résultats obtenus dans la plupart des études
empiriques donnent des élasticités très faibles, souvent non significatives, et même dans certains
cas négatives. D’un point de vue théorique, rappelons que les effets-revenu et de substitution ag-
issent en sens inverse et que l’effet est donc ambigu.
11. Voir European Commission (2006).

156
POLITIQUE FISCALE ET RÉFORMES STRUCTURELLES

à la consommation et donc régressive par rapport au revenu. Ceci n’est rien d’autre
qu’un des nombreux cas de conflit entre croissance et répartition. Cette question
doit toutefois être examinée dans un cadre plus global : si la hausse de la taxation
de la consommation permet de financer des politiques qui augmentent le taux
d’emploi des peu qualifiés, ou encore de préserver les prestations sociales de
base en période d’assainissement budgétaire, l’ensemble de l’opération n’est pas
anti-redistributif
Les effets d’un report des prélèvements du travail vers la consommation doi-
vent donc être relativisés. Il n’en reste pas moins vrai que la consommation reste
une des rares bases taxables alternatives suffisamment large et que cette option
ne peut donc être rejetée.

2.3 Faut-il vraiment proscrire une hausse


de l’impôt des sociétés ?
La réponse donnée par les travaux de l’OCDE est clairement négative. La discus-
sion qui vient d’être faite sur l’incidence de l’impôt des sociétés et de l’imposition
de l’épargne en économie ouverte va également dans ce sens : elle indique en
effet qu’une hausse de l’impôt des sociétés peut être défavorable à l’investisse-
ment et à la croissance.
On objectera qu’un telle politique serait redistributive et que la condamner
d’emblée, c’est à nouveau faire l’impasse sur l’arbitrage efficacité-équité. L’argu-
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ment redistributif prend implicitement pour hypothèse que l’incidence économique
de l’impôt des sociétés est dans le chef de l’actionnaire, qui est plutôt dans le haut
de la distribution des revenus. Si cette hypothèse reste crédible pour les PME qui
restent des entreprises locales, elle ne l’est pas dès qu’on considère les grandes
entreprises qui opèrent dans un contexte multinational : dans le cadre conceptuel
que nous avons retenu pour discuter la pertinence de l’argument à l’encontre de la
taxation de l’épargne, l’incidence économique de l’impôt des sociétés n’est pas
chez l’actionnaire mais elle est reportée sur les facteurs de production fixes, dont
principalement le travail 12. Augmenter l’impôt des sociétés ne serait donc pas
nécessairement une politique redistributive.
Faut-il abandonner totalement cette voie ? Pas nécessairement : si une hausse
du taux nominal est à proscrire, un élargissement de la base imposable qui rendrait
l’impôt des sociétés plus neutre reste une politique crédible. Deux pistes peuvent
être examinées.
La première est celle d’une réforme des intérêts notionnels. Leurs détracteurs
citent à souhait le dérapage du coût budgétaire. Les chiffres de coût brut, les plus
souvent cités, ne sont pas pertinents : ils intègrent le coût d’une déduction appli-
quée à des fonds propres qui se sont localisés en Belgique à cause de la réforme

12. Quelques études empiriques récentes confirment d’ailleurs cette intuition théorique. Voir Arulam-
palam et al. (2007).

157
CHRISTIAN VALENDUC

et il n’y a pas là de coût net s’il n’y a que la déduction pour capital à risque qui vient
en réduction de l’impôt dû.
L’analyse de cette réforme a été faite dans Valenduc (2009). D’un point de vue
allocatif, elle a deux mérites essentiels : elle supprime la discrimination entre les
fonds propres et les fonds empruntés et annule la taxation de l’investissement
marginal, c’est-à-dire celui dont les revenus équilibrent juste les coûts. L’impôt des
sociétés devient alors un impôt sur le profit pur, ce qui génère moins de distorsions
qu’un impôt des sociétés classique. Valenduc (2009) explique qu’on pouvait obtenir
ces avantages en limitant l’octroi de la mesure aux nouveaux fonds propres, et que
l’appliquer au capital existant a généré un effet d’aubaine.
Si ce choix a été fait, c’est uniquement pour préserver l’activité des centres de
coordination. Au vu du large consensus politique dont ce régime préférentiel a
bénéficié depuis sa création, il semble qu’il « aille de soi » que l’activité de banquier
interne d’un groupe multinational doive être subsidiée et que sans cela, la main-
d’œuvre très qualifiée employée par ces sociétés serait au chômage…
Le coût budgétaire de la réforme a deux causes : l’application au stock de
capital existant et l’absence des mesures anti-abus pour éviter des constructions
juridiques qui génèrent des doubles déductions et/ou des gonflements artificiels
de fonds propres. La première est à mettre au rayon des erreurs passées mais la
seconde reste d’actualité. Réduire la planification fiscale ne devrait pas être trop
dommageable en termes de performance économique et il y a vraisemblablement
un meilleur usage des deniers publics que de la financer. En fait, une réforme des
« intérêts notionnels » pourrait permettre d’obtenir à moindres frais les mêmes
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avantages fondamentaux, ce dont ne fait pas partie la subvention des « banquiers
internes » des groupes multinationaux.
Une autre piste est celle des petites sociétés : L’écart important et croissant
entre les taux réduits d’impôt des sociétés qui leur sont applicables et les taux
marginaux d’imposition du revenu des particuliers s’est traduit par une vague de
transformations d’entreprises individuelles en société. Ces entreprises n’ont, à
quelques rares exceptions près, aucun objectif de croissance et génèrent très peu
d’emploi 13 : une hausse de l’imposition est donc possible et on peut reprendre la
piste examinée dans CSF (2001) : aligner la taxation de ces sociétés (quasi) indivi-
duelles sur celle des revenus imposables au barème progressif de l’IPP.

2.4 Vers une fiscalité verte ?


Un glissement vers la fiscalité verte est une voie largement recommandée. D’un
point de vue environnemental, une taxation accrue des émissions de CO2 s’impose
dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. L’analyse économique
indique que l’intégration des coûts externes qu’opère cette taxation ne crée pas
de perte de bien-être : les activités qui seraient éventuellement éliminées sont

13. Selon Halleux, Haulotte et Valenduc (2006), 59 % des sociétés renseignent un effectif du personnel
nul. Ceci confirme l’importance des transformations d’entreprises individuelles en sociétés.

158
POLITIQUE FISCALE ET RÉFORMES STRUCTURELLES

celles qui génèrent un coût social. Le recyclage des revenus par la réduction, par
exemple, des prélèvements sur le travail serait lui générateur de bien-être. C’est le
fondement de la thèse du « double dividende ». Cette voie est d’autant plus indi-
quée que, en comparaison avec les autre pays européens et/ou membres de
l’OCDE, la Belgique recourt peu à la fiscalité environnementale, surtout dans les
domaines de la taxation de l’énergie et du transport 14, alors qu’elle est pratique-
ment championne de l’imposition des revenus du travail.
Parmi les recommandations politiques, signalons celles du Conseil supérieur
des Finances (2007) qui retenait la taxation au kilomètre du transport de marchan-
dises par route comme un des moyens de financer une baisse de la taxation des
revenus du travail. Dans son Rapport de 2009, le même CSF recommande une
révision profonde de la fiscalité de l’énergie et du transport, qui (1) supprime les
régimes fiscaux qui ont un impact environnemental négatif (au premier rang, les
voitures de sociétés), (2) intègre une taxation des émissions de CO2 à 30 € la
tonne et (3) prône une forme de réduction des incitants fiscaux pour les dépenses
visant à économiser l’énergie, ces investissements étant rendus rentables par la
hausse du prix de l’énergie.
Un tel glissement nécessite assurément des politiques d’accompagnement,
notamment dans le domaine de la fixation des prix hors taxe de l’énergie mais ces
politiques sont en elles-mêmes des réformes structurelles souhaitables. Une autre
politique d’accompagnement importante est celle d’une meilleure transparence
sur la performance énergétique des bâtiments pour le marché immobilier, tant locatif
qu’acquisitif 15. Sur le plan social, une politique de compensation s’avère nécessaire
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pour les bas revenus, la facture énergétique étant dégressive. La meilleure combi-
naison de l’efficacité environnementale et de l’objectif social se fait par une com-
pensation en revenu, et non en réduction de la fiscalité de l’énergie, qui doit
conserver son signal-prix.

2.5 Glissement fiscal, croissance et équité


Il ne faut pas perdre de vue que les recommandations de l’OCDE découlent d’un
modèle où la variable dépendante est la croissance du PIB par tête. Même si elle
domine la pensée économique, cette conception de la croissance est aujourd’hui
remise en question (Stiglitz et al., 2009). En se ciblant sur la croissance du PIB, ces
recommandations n’intègrent pas l’arbitrage efficacité-équité : elles ne font que
privilégier le premier terme. Cet arbitrage – qui est au cœur de biens des choix poli-
tiques – serait mieux intégré en abordant la réflexion à partir d’un concept de crois-
sance inclusive 16. Qu’en serait-il des résultats de la modélisation si la variable
dépendante était la croissance du revenu médian ?

14. Voir, par exemple, Conseil supérieur des Finances (2009) et OECD(2011), chapitre 3.
15. Voir les recommandations de CSF, 2009, chapitre 4.
16. Voir Ravaillon (2004) pour une définition de ce concept.

159
CHRISTIAN VALENDUC

3 ÉLARGIR LES BASES IMPOSABLES ?

En intégrant dans l’analyse les modalités des prélèvements fiscaux, l’OCDE fait un
certain nombre de constats supplémentaires qui débouchent également sur des
recommandations de politique fiscale. Ainsi, baisser les taux d’imposition et élargir
les bases imposables dans un cadre budgétairement neutre est favorable à la
croissance. À l’inverse de la plupart des autres recommandations, celle-ci ne bute
pas sur le conflit efficacité-équité. Élargir la base imposable, c’est réduire les dis-
torsions créées par l’impôt : à la limite en cas d’impôt parfaitement uniforme, les
prix relatifs ne sont pas modifiés et l’élasticité des bases taxables s’en trouve forte-
ment réduite. Élargir les bases imposables, c’est aussi assurer davantage d’équité
horizontale. Ainsi, à l’impôt sur le revenu, supprimer des dépenses fiscales permet
de progresser vers le principe « à revenu égal, impôt égal ». De plus, les bénéfi-
ciaires des dépenses fiscales sont très souvent concentrés dans les classes supé-
rieures de revenu et élargir la base imposable est donc redistributif.
Mettre en œuvre de telles politiques aujourd’hui, ne va toutefois pas sans
poser un certain nombre de problèmes : ceux-ci sont largement commentés, dans
une optique de Political Economy, dans OECD (2010b) et dans OECD (2010a) pour
ce qui concerne plus particulièrement l’élargissement des bases imposables. Cas-
tanheira et Valenduc (2006) expliquent comment procurer des avantages fiscaux
sélectifs est une stratégie électoralement rentable. Une conséquence commune à
toutes les réformes qui combinent un élargissement de la base imposable et une
baisse des taux d’imposition est que les gains sont largement répandus mais indi-
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viduellement faibles tandis que les pertes sont concentrées chez un nombre res-
treint de contribuables et plus élevées par tête ; les « mécontents » peuvent former
un groupe d’électeurs flottants que les politiciens éviteront de mécontenter : ils évi-
teront donc d’élargir la base imposable.
Dans le cas de la Belgique, plusieurs rapports du Conseil supérieur des Finances
ont souligné le potentiel d’élargissement des bases imposables 17 et l’intérêt de
financer une baisse de l’imposition des revenus du travail par la suppression de
dépenses fiscales (Conseil supérieur des Finances, 2007). L’OCDE formulait des
recommandations similaires dans son étude économique de 2009 (OECD, 2009)
et le FMI a également retenu cette piste dans son récent rapport sur la Belgique
(IMF, 2010). Une autre piste, dont les effets sont largement similaires, est celle
d’une réforme de la fiscalité de l’épargne qui uniformiserait l’imposition proportion-
nelle à tous les types de revenus, qu’il s’agisse d’intérêt, de dividendes et de plus-
values. Une telle réforme est suggérée notamment dans OCDE (2009), Conseil
supérieur des Finances (2007) et Valenduc (2005).

17. Voir notamment CSF (2001) pour l’impôt des sociétés et CSF (2002) pour la rationalisation des dé-
ductions fiscales à l’impôt des personnes physiques.

160
POLITIQUE FISCALE ET RÉFORMES STRUCTURELLES

4 CONCLUSIONS

La politique fiscale peut contribuer aux réformes structurelles dont l’économie


belge a besoin. L’axe majeur retenu dans cette contribution est la réduction de la
taxation du travail, en privilégiant les modalités qui sont les plus profitables en
termes de hausse du taux d’emploi. La trajectoire budgétaire rend impératif un
financement par le glissement vers d’autres bases et/ou par l’élargissement des
bases imposables actuelles.
Le glissement peut se faire sur l’imposition de la consommation et aussi par
une intégration des coûts externes dans les prix de l’énergie et du transport : cette
dernière piste a l’avantage d’être la meilleure en termes de bien-être et de per-
mettre à la Belgique de remplir ses engagements en matière de réduction des
émissions de CO2. L’élargissement des bases imposables concerne tous les
impôts. À l’impôt des personnes physiques, les dépenses fiscales sont particuliè-
rement nombreuses et une réduction de celles-ci est un bon moyen de financer la
baisse de la taxation du travail. À l’impôt des sociétés, un élargissement de la base
imposable peut être obtenu en ciblant mieux les intérêts notionnels sur leurs avan-
tages économiques fondamentaux et la taxation des sociétés « quasi individuelles »
devrait être alignée sur la taxation des revenus des personnes physiques. Une uni-
formisation de la fiscalité de l’épargne contribuerait également de manière positive
au financement des réformes nécessaires, tout en étant positive en elle-même du
point de vue de l’allocation des ressources.
Les choix politiques correspondants sont assurément délicats et demandent
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de faire prévaloir l’intérêt général. La période difficile qui s’annonce sur le plan bud-
gétaire peut en être l’occasion.

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