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INTÉGRATION RÉGIONALE ET POLITIQUE DE LA CONCURRENCE DANS

L'ESPACE CEDEAO

Mbissane NGOM

De Boeck Supérieur | « Revue internationale de droit économique »

2011/3 t.XXV | pages 333 à 349


ISSN 1010-8831
ISBN 9782804165321
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-
economique-2011-3-page-333.htm
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INTÉGRATION RÉGIONALE ET POLITIQUE
DE LA CONCURRENCE
DANS L’ESPACE CEDEAO

Mbissane NGOM1

Résumé : Organisation sous-régionale dont la vocation est l’intégration de ses


États membres pour assurer leur développement économique, la CEDEAO n’a
commencé à s’intéresser à l’encadrement de la compétition économique qu’au début
du XXIe siècle. Ce n’est qu’en 2008 qu’elle s’est dotée d’un cadre de promotion et
d’encadrement de la concurrence dans ses États membres, en faisant de la politique
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de la concurrence un élément central de son dispositif de création d’un marché
communautaire ouest-africain.
Mais l’analyse du droit matériel de la concurrence de la CEDEAO montre que
celui-ci répond peu aux besoins des populations et des entreprises de cette zone. Il
semble plus orienté vers la promotion des investisseurs que vers la réponse à un réel
besoin d’encadrement de la concurrence. En effet, la politique de la concurrence de
la CEDEAO promeut peu la compétitivité des entreprises locales et ne les protège
pas contre les multinationales. On peut donc douter de l’efficacité de ce droit de la
concurrence dans la perspective du développement économique.
Par ailleurs, ce droit est concurrencé dans sa zone d’influence par le droit de
l’UEMOA, plus ancien, ainsi que par ses instances de mise en œuvre. Il s’ensuit
une concurrence normative qui brouille les repères de l’application du droit de la
concurrence et ne favorise guère son appropriation par les acteurs économiques
locaux. Il reste cependant que les instances nationales et communautaires de la
concurrence utilisent les outils modernes de l’analyse économique et de la régu-
lation pour préserver le caractère concurrentiel des différents marchés auxquels
elles s’intéressent.

1. Maître de conférences agrégé, Université Gaston Berger de Saint-Louis.

Revue Internationale de Droit Économique – 2011 – pp. 333-349 – DOI: 10.3917/ride.253.0333


334 Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO

1 Introduction
2 Une politique de la concurrence dédiée…
2.1 … au service de l’intégration régionale
2.1.1 La constitution d’un marché commun régional
2.1.2 Un marché commun complexe
2.2 … pour le développement économique
2.2.1 La centralité de la politique de concurrence
2.2.2 La tentation d’un développement extraverti
3 Un droit de la concurrence éprouvé
3.1 La concurrence normative
3.1.1 Une cohabitation normative perfectible
3.1.2 Des règles de la concurrence parfois divergentes
3.2 Une architecture institutionnelle non hiérarchisée
3.2.1 Un contrôle institutionnel diversifié
3.2.2 Une unité de méthode
Summary

1 INTRODUCTION
L’ouverture à la concurrence est devenue aujourd’hui une exigence fondamentale et
conditionne à bien des égards le développement économique. Les expériences des
pays du Sud-Est asiatique le démontrent à suffisance. Certes, parfois, ce dévelop-
pement à marche forcée s’est fait au détriment du respect des droits de l’Homme.
Mais il reste que les progrès économiques réalisés par ces « dragons » peuvent ins-
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pirer certains pays en développement. La création de l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) et la mondialisation de l’économie ont rendu nécessaire la mise
en place, pour tous les pays, d’une politique de la concurrence favorisant la rivalité
entre les opérateurs économiques. Les pays en développement, et notamment les
pays de l’Afrique de l’Ouest, s’efforcent, ensemble, à instaurer une telle discipline
de marché. Ainsi, s’explique que la Communauté Économique des États de l’Afrique
de l’Ouest (CEDEAO)2 se soit attelée à se doter d’une politique et d’un droit de
la concurrence, à l’instar de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine
(UEMOA).
La CEDEAO a été créée à Lagos le 28 mai 1975. Son traité institutif a été modifié
à Cotonou le 24 juillet 1993. Ses initiateurs lui ont assigné comme objectif principal
la constitution d’un marché intra-régional ouest-africain. Pour ce faire, elle a recours
à l’instrument juridique pour l’harmonisation des législations et l’élaboration de
politiques communes. Mais, de 1975 au début du XXIe siècle, la CEDEAO ne s’est
pas véritablement préoccupée de l’élaboration d’une politique de la concurrence,

2. Les États membres sont aujourd’hui au nombre de 15 : le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert,
la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mali, le Niger,
le Nigeria, le Sénégal, la Sierra Leone et le Togo. La CEDEAO, c’est aujourd’hui 290 millions
d’habitants/consommateurs.
Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO 335

indispensable pour l’existence d’un marché commun. Certes, certaines politiques


économiques communes ont été mises en œuvre, mais il a toujours manqué un
dispositif juridique garantissant la liberté de la concurrence3. Ce n’est qu’en 2007
qu’a été élaboré le document portant cadre de la politique de la concurrence de la
CEDEAO4. Il répond à l’exigence de fournir les outils nécessaires pour garantir
l’existence d’un marché concurrentiel et de définir les objectifs de la politique de la
concurrence dans la CEDEAO.
Comme toute politique, la politique de la concurrence peut poursuivre plusieurs
objectifs et le droit de la concurrence doit l’exprimer. Ainsi, le Sherman Act et le
Clayton Act répondaient au souci, pour les États-Unis, de combattre le monopole des
compagnies de chemin de fer et son influence néfaste sur l’économie américaine.
Après la Seconde Guerre mondiale, il s’est agi de reconstruire les pays européens
dévastés et de faire face à la pénurie. Aujourd’hui, dans la plupart des pays, l’objec-
tif déclaré est de garantir la liberté du commerce et de l’industrie, la liberté de la
concurrence et la transparence du marché. En filigrane, apparaît le souci d’assurer
la liberté d’exercice des activités économiques et la liberté de la concurrence.
On peut se poser la question de savoir lequel de ces objectifs est poursuivi par
la politique de la concurrence de la CEDEAO, élaborée pour des pays en dévelop-
pement, en vérité pour des pays pauvres et endettés. Une première réponse peut
être fournie par la lecture des différents textes portant législation communautaire
de la concurrence dans cet espace. Il est ainsi soutenu dans le document intitulé
« Cadre régional de politique de concurrence » que « les initiatives actuelles visant
à promouvoir l’intégration économique au sein de l’espace CEDEAO et à stimuler
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la croissance économique à l’échelle régionale seront considérablement renforcées
par l’adoption d’un solide cadre régional en matière de droit de la concurrence »5.
Intégration régionale et développement économique semblent donc les objectifs
recherchés par la politique de la concurrence de la CEDEAO. Pourtant, cette
politique n’apparaît pas comme l’une des politiques devant faire l’objet d’une
harmonisation au sein de cette organisation, même si les articles 50 et 60 du Traité
peuvent servir de base juridique à cette harmonisation. Mais, en raison du fort
lien existant entre la concurrence et le développement, et la nécessité de mettre en
place un marché régional commun, il était impossible d’ignorer l’exigence d’avoir
une politique de la concurrence commune. Le risque aurait été, en effet, de voir
une réglementation privée remettre en cause la liberté de circulation des marchan-
dises et des services devant garantir le développement des échanges commerciaux
intra-communautaires.

3. L’une des raisons est peut-être la diversité des régimes juridiques qui existaient dans les différents
États membres. Créée dans un contexte de guerre froide, la CEDEAO comptait en son sein des
pays communistes, des pays socialistes et des pays de régime plus ou moins capitaliste.
4. CEDEAO, Cadre Régional de Politique de Concurrence, mars 2007, disponible sur : http://www.
ecowas.int/publications/fr/actes_add_commerce/1.Cadre_Regional_Politique_Concurrence_
CEDEAO-final-P.pdf.
5. Ibid., p. 1.
336 Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO

Par ailleurs, l’élaboration d’une politique de la concurrence dans la CEDEAO


semble avoir été fortement recommandée par le Comité ministériel de suivi des
accords de partenariat économique. Cette origine a affecté certaines orientations
du droit de la concurrence qui ont été choisies. Celui-ci trouve sa source dans
l’Acte additionnel A/SA.1/12/08 portant adoption des règles communautaires de
la concurrence et de leurs modalités d’application au sein de la CEDEAO du 19
décembre 2008 pour ce qui concerne sa partie substantielle. Le droit processuel de
la concurrence est partiellement régi par l’Acte additionnel A/SA.2/12/08 portant
création, attributions et fonctionnement de l’Autorité Régionale de la Concurrence
de la CEDEAO.
Malgré cette origine, il n’en reste pas moins que le droit et la politique de la
concurrence de la CEDEAO donnent à voir les fortes interactions qui existent entre
la concurrence et le développement. La mise en œuvre d’une politique implique des
choix de buts, de méthodes, de support. Elle impose une bonne connaissance des
méthodes de la légistique pour bien identifier les enjeux en présence et leur apporter
les solutions juridiques les meilleures. De ce point de vue, l’analyse de la politique et
du droit de la concurrence de la CEDEAO montre que des efforts devront être faits
pour mieux rationaliser le cadre de la concurrence en Afrique de l’Ouest.
En partant de l’idée que « le droit est la traduction d’un projet politique »6, on
ne peut manquer de noter que, si la politique de la concurrence mise en œuvre dans
l’espace CEDEAO est au service de l’intégration régionale pour le développement
(2), le droit qui en est la traduction juridique est doublement éprouvé au plan normatif
et au plan institutionnel (3).
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2 UNE POLITIQUE DE LA CONCURRENCE DÉDIÉE…
Les objectifs assignés à la politique de la concurrence dans la zone CEDEAO
mettent clairement en évidence les enjeux de cette politique pour le dynamisme et
l’économie. Le développement économique et social de la zone apparaît comme une
des priorités. Mais, à cet objectif premier, la CEDEAO ajoute celui de l’intégration
régionale. En effet, la politique de la concurrence est, dans cet espace économique,
instrumentalisée pour servir le dessein de la construction d’un marché commun
régional, capable de garantir aux États de la région une bonne intégration dans
l’économie mondialisée du XXIe siècle.

6. J.-L. Aubert, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Paris, Armand Colin,
collection U, 2004, avant-propos.
Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO 337

2.1 … au service de l’intégration régionale


La promotion, la préservation et la stimulation de la concurrence pour le renforce-
ment de l’efficacité économique des échanges commerciaux au niveau régional sont
quelques-uns des objectifs visés par la politique de la concurrence de la CEDEAO.
L’intégration économique suppose la définition et la mise en œuvre de politiques
économiques communes se rapportant à l’agriculture, à l’énergie, aux télécommuni-
cations, à l’environnement et aux ressources humaines. Mais, seules, ces politiques
sont insuffisantes pour la réalisation d’un marché commun en raison des diversités
culturelles, linguistiques et de développement.

2.1.1 La constitution d’un marché commun régional


L’affirmation de la liberté de circulation des personnes, des biens, des services et
des capitaux ne peut garantir l’efficacité de l’intégration régionale que si un marché
commun est créé. Or celui-ci passe par l’harmonisation, voire l’unification des règles
de la concurrence. Pour ce faire, définir une politique de la concurrence commune
qui accompagne les politiques économiques et commerciales est indispensable. Dans
un monde où l’économie est globalisée, l’espace régional à vocation économique
est tributaire de la pertinence de sa politique de la concurrence. Il a un besoin vital
du droit de la concurrence. Celui-ci parfait l’intégration économique.
La politique de la concurrence de la CEDEAO participe, d’une part, de la liberté
de circulation et, d’autre part, de la création d’un marché commun.
La politique commune de la concurrence est déterminante dans la réalisation
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effective d’une intégration, en assurant aux populations une liberté de circulation,
une liberté de commerce transnational, donc une disparition progressive des fron-
tières héritées de la colonisation. Cette liberté de circulation et d’échange entre
peuples, jadis cloisonnés dans leur espace naturel et limité, permet aux populations,
surtout les commerçants, de se découvrir et d’échanger.
La mise en œuvre d’une politique de la concurrence participe de la réalisation
d’un marché commun. Elle prend appui sur l’élimination des barrières à la libre
circulation instituant une juxtaposition de petits marchés nationaux, parfois trop
exigus. Elle légitime et favorise l’ambition des entreprises nationales de conquérir
de nouveaux marchés dans leur espace géographique proche avant de s’affirmer
dans la mondialisation. En effet, la globalisation des échanges est incompatible
avec l’étroitesse des marchés des États ouest-africains, et l’intégration régionale
permet aux entreprises de se préparer à la compétition internationale. La politique
commune de la concurrence dans l’espace de la CEDEAO doit contribuer de façon
directe au bien-être des consommateurs, des populations car favorisant la mise à
leur disposition d’une pluralité de produits similaires, concurrents ou directement
substituables. Elle devrait également profiter aux entreprises qui vont développer
leur clientèle et innover, et ainsi accroître leur compétitivité.
338 Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO

Il apparaît qu’aucune expérience d’intégration économique ne peut faire


l’économie d’une politique communautaire de la concurrence. Autrement, cette
intégration serait fragilisée par les pratiques anticoncurrentielles qui favoriseraient le
développement de situations de rente pour les sociétés qui les pratiqueraient et l’ins-
titution d’obstacles à l’innovation. Et les chances d’atteindre les objectifs de base
visés par l’organisation d’intégration régionale seraient considérablement réduites.

2.1.2 Un marché commun complexe


La mise en place d’un Marché commun des investissements dans l’espace CEDEAO
a été l’occasion de l’élaboration de la politique de la concurrence de cette zone
d’intégration. Ce marché commun des investissements est présenté comme un « volet
crucial du processus d’intégration économique » de l’Afrique de l’Ouest7. Une étape
majeure de l’intégration régionale est donc réussie avec la communautarisation du
droit des investissements, permettant d’offrir aux investisseurs un même dispositif
juridique, quel que soit le lieu de leur intervention. À ce titre, les chefs d’État de
la CEDEAO ont adopté un acte additionnel fixant les règles communautaires en
matière d’investissement. Une telle uniformisation imposait la détermination des
règles juridiques encadrant la compétition économique entre les entreprises qui
seraient créées par les investisseurs.
Mais, au-delà du marché commun des investissements, il existe incontestable-
ment une interaction entre le commerce, qu’il soit pratiqué dans l’espace national,
communautaire ou international. La reconnaissance de l’interaction entre le com-
merce international et la concurrence date de 1927 à la suite de la Conférence de
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la Société des Nations tenue à Genève8. La Commission européenne a également
souligné avec force qu’ « il existe de plus en plus de problèmes de concurrence qui
sont de dimension et de nature transnationales : cartels internationaux, cartels à l’ex-
portation, ententes dans des domaines par nature internationaux (…), concentration
de dimension mondiale, voire même abus de position dominante sur plusieurs grands
marchés »9. L’intégration économique qui conduit à une ouverture des marchés, à la
naissance d’un marché commun pour les parties concernées, doit donc être accom-
pagnée d’une politique de la concurrence commune qui permet de neutraliser ces
comportements anticoncurrentiels, quelle que soit leur origine (privée ou publique).
Toutefois, la réalisation d’une politique commune de la concurrence n’est pas
chose aisée pour les pays ouest-africains en raison non seulement de la diversité
des systèmes juridiques, mais également de la différence des niveaux de dévelop-
pement économique entre les États concernés. L’une des principales particularités

7. M. Ibn Chambas, Vision du Marché commun des investissements de la CEDEAO, Avant-propos,


2009, p. V, disponible sur : http://www.ecobiz.ecowas.int/fr/pdf/CIM-Vision-French-Version.pdf.
8. Conférence de la Société des Nations, Genève, du 4 au 23 mai 1927, Publication de la SDN, n°
1927, II.52.I et II.
9. Commission européenne, La politique de concurrence dans le nouvel ordre commercial : renforce-
ment de la coopération et des règles au niveau international, COM(95)0359 - C4-0352/95, JOCE
n° C 362 du 2 décembre 1996, p. 0243.
Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO 339

de la région ouest-africaine se rapporte essentiellement à la diversité linguistique,


diversité accentuée par la colonisation qui laisse aux colonisés un système juridique
comme legs historique. Ainsi, certains pays ouest-africains vont se retrouver avec
un système « Common Law », alors que d’autres vont hériter du système romano-
germanique de « Civil Law ». Cette cohabitation de systèmes juridiques obéissant
à des logiques parfois différentes peut être parfois difficile. En effet, dans le sys-
tème romano-germanique, l’intervention économique de l’État est très poussée, le
conduisant souvent à être un producteur, alors que dans le système anglo-saxon,
l’État n’est qu’un arbitre entre les acteurs économiques qui produisent et distribuent
les biens10. Il en découle l’obligation pour la CEDEAO de tenir compte de cette
diversité qui pourrait constituer un véritable obstacle à l’existence et à l’efficacité
économique d’une politique commune de la concurrence. À cette difficulté s’ajoute
la différence du niveau de développement entre les États membres de la CEDEAO.
Les États moins développés, qui se distinguent par un déficit de l’initiative privée,
des capacités de production très insuffisantes pour satisfaire la demande sociale,
sont souvent favorables à un interventionnisme économique fort de l’État qui est
donc amené à produire et distribuer, à orienter les acteurs vers certains secteurs
économiques au détriment parfois de toute rationalité économique et de leur pers-
pective de développement. Par contre, les pays dotés d’un niveau de développement
plus avancé ont tendance à favoriser le secteur privé. Les pays de Common Law
composent principalement cette dernière catégorie avec le Ghana et le Nigeria. Et
ce dernier État est le plus riche et le plus développé de la zone.
Mais, quelles que soient les difficultés, il reste que le développement écono-
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mique des États membres demeure le principal objectif de la politique de la concur-
rence de la CEDEAO.

2.2 … pour le développement économique


Affirmer que la politique communautaire de la concurrence est mise au service
de l’intégration régionale pour le développement économique suppose la recon-
naissance d’un préalable : l’existence « de règles dont la finalité est la promotion
du développement économique »11. L’existence de telles règles est incontestable
notamment dans le cadre des organisations sous-régionales africaines. Cette mission
de développement économique est assignée à la politique de la concurrence de la

10. Au demeurant, il faut noter que le processus historique de constitution de l’État a une influence sur
l’importance du rôle de celui-ci dans l’économie. Par ailleurs, l’Allemagne est l’exemple parfait
de l’État dans lequel une économie sociale de marché s’est développée avec des rôles importants
pour l’État et les entreprises. V. F. Bilger, La pensée économique libérale dans l’Allemagne
contemporaine, Paris, LGDJ, 1964 ; P. Commun (dir.), L’ordolibéralisme allemand: aux sources
de l’Économie sociale de marché, CIRAC, 2003.
11. M.M. Mohamed Salah, « La problématique du droit économique dans les pays du Sud », RIDE,
n° 1-1998, p. 21.
340 Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO

CEDEAO même si, dans la réalité, cette politique semble destinée à l’attraction des
investisseurs étrangers.

2.2.1 La centralité de la politique de la concurrence


Les autorités de la CEDEAO ont pris conscience de la centralité de la politique de
la concurrence parmi les instruments des économies modernes. Avoir une économie
de marché ouverte et concurrentielle est devenu une exigence pour tous les espaces
intégrés afin de faciliter la promotion de l’efficacité économique. Or la pertinence
de la création de la CEDEAO réside dans l’ambition de ses initiateurs de conjuguer
leurs efforts pour le développement.
Le document portant Cadre régional de politique de concurrence affirme clai-
rement que « les États membres de la CEDEAO, qui cherchent tous de développer
des économies durables et de stabiliser les conditions de marché, ont tout intérêt
d’adopter un cadre régissant la concurrence à l’échelle régionale »12. Cette position
part du constat que la politique et le droit de la concurrence ont contribué de manière
décisive à la prospérité des nations développées, en favorisant une croissance forte,
un entreprenariat dynamique, des avantages pour les consommateurs et la stabilité
sociale qui en découle. Ces résultats sont recherchés par la politique de la concur-
rence de la CEDEAO.
De fait, la mise en place d’un marché commun répond à l’impératif d’harmoni-
sation des efforts des États pour réduire la pauvreté et assurer aux populations l’accès
aux services de base. Elle implique que le développement économique apparaisse
comme un objectif prioritaire à atteindre dans une perspective tant nationale que
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communautaire. Dans cette optique, la politique de la concurrence de la CEDEAO
s’inscrit largement dans les objectifs de cette organisation. L’article 3 du traité
identifie l’harmonisation et la coordination des politiques commerciales nationales
comme moyen de maintien et de renforcement de la stabilité économique dans la
sous-région.
Au demeurant, la lecture du préambule de l’Acte additionnel portant adoption
des règles de la concurrence dans l’espace CEDEAO (sus-mentionné) renseigne
largement sur les objectifs de développement poursuivis par les États membres au
travers de leur politique commune de la concurrence. Ce texte précise, en effet,
que « la promulgation des règles communautaires de la concurrence est compatible
avec les objectifs de développement des États membres de la CEDEAO ». Parmi
ceux-ci, figure la nécessité d’avoir une économie « dynamique et compétitive afin
de promouvoir et de favoriser les conditions nécessaires à la croissance économique
dans la région ». Ce texte établit un lien remarquable entre trois éléments majeurs : la
croissance économique dans la CEDEAO est fonction de l’existence d’une économie
dynamique et compétitive qui la promeut et la favorise. Clairement, la CEDEAO
affirme son choix d’une économie libérale pour garantir son développement.

12. Cadre Régional de Politique de Concurrence, document CEDEAO, op. cit., p. 5.


Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO 341

2.2.2 La tentation d’un développement extraverti


La politique de la concurrence définie par la CEDEAO fait de la concurrence un
moyen efficace pour atteindre un niveau de compétitivité acceptable pour les activi-
tés économiques dans la région en vue d’une intégration profitable dans l’économie
mondiale. De ce point de vue, elle est conforme aux objectifs d’intégration. Deux
conséquences en découlent, l’une positive, l’autre à risque. La première est que
la politique de la concurrence a vocation à préparer les entreprises de la région à
la compétition internationale, et constitue un gage de qualité de l’environnement
juridique des affaires pour l’attraction d’investissements et leur sécurisation. La
politique de la concurrence apparaît alors comme essentielle pour la réalisation du
marché intérieur. Elle doit favoriser l’efficience économique par la création d’un
climat propice à l’innovation et au progrès technique, la réduction des coûts des
facteurs de production et la satisfaction maximale des consommateurs.
Mais, par là même, elle emporte une deuxième conséquence pour l’économie de
la région, celle de son inadaptation. Le choix d’une économie libérale implique des
conséquences considérables pour le statut des entreprises, pour la liberté d’exercice
de l’activité économique mais aussi pour la pérennité des entreprises. En effet, c’est
le choix de l’ouverture au monde extérieur dans un contexte d’exacerbation de la
compétition économique – alors qu’un doute existe sur la compétitivité des entre-
prises nationales – et de la faiblesse des échanges intracommunautaires.
L’un des enseignements que l’on peut tirer de cet état de fait est que la politique
de la concurrence de la CEDEAO ne s’inscrit pas exclusivement dans une logique
de protection de la concurrence mais intègre la nécessité d’attirer les investisseurs.
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Il s’agit de mettre en place un dispositif juridique tourné vers l’extérieur et pouvant
servir de signe de ralliement : un panneau portant la mention « Venez, nous sommes
ouverts à la concurrence ». En effet, l’analyse des règles adoptées au titre du droit de
la concurrence dans la CEDEAO laisse apparaître que l’objectif réel est de satisfaire
les investisseurs étrangers en leur fournissant un cadre sécurisé d’action dans lequel
l’égalité des chances est garantie.
C’est dire que la politique de la concurrence ne prend pas appui sur une concep-
tion endogène du développement, tenant compte du niveau de vie des populations.
On ne peut guère en douter, au regard de l’absence de définition d’une vision ouest-
africaine du développement. En effet, malgré les efforts pour intégrer les différents
États de cette région de l’Afrique, la cohérence d’ensemble des actes posés est peu
évidente. Un faible effort est entrepris pour promouvoir une industrie de dévelop-
pement et de consommation locale. Les entreprises les plus importantes se situent
dans des secteurs d’exportation. Ainsi, une grande majorité de la population se
meut dans des activités de négoce et trouve une porte de sortie de la pauvreté dans
le secteur informel.
Or l’une des ambitions de l’intégration régionale porte sur la promotion d’une
industrie locale, adaptée aux exigences de développement. La liberté de circulation
consacrée dans la CEDEAO doit favoriser les échanges commerciaux entre les pays
342 Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO

membres. Mais elle ne présente un intérêt que si un tissu dense de PME existe dans
les différents pays. De ce point de vue, des programmes ont été élaborés par les
instances communautaires. Mais leur traduction juridique et leur mise en œuvre dans
les États membres font particulièrement défaut. Il serait souhaitable qu’un équilibre
efficace soit trouvé entre la nécessité de garantir la concurrence et l’impérieuse
exigence de protection des entreprises de la zone. L’absence de ce cadre juridique
équilibré explique l’importance considérable du commerce informel transfrontalier
qui nourrit la fraude et la contrebande. De sorte qu’une bonne partie des échanges
commerciaux entre les États membres de la CEDEAO n’est pas prise en compte
dans les statistiques officielles.
La politique de la concurrence de la CEDEAO trouve sa traduction juridique
dans deux actes additionnels portant réglementation de la concurrence et mise en
place d’un organe régional chargé du contrôle de son respect. Cette législation de la
concurrence doit cependant être mise en œuvre dans un contexte difficile.

3 UN DROIT DE LA CONCURRENCE ÉPROUVÉ


À juste titre, l’Afrique de l’Ouest a pu être qualifiée de zone d’intégration à géo-
graphie variable13. Le droit de la concurrence en donne un exemple patent. En effet,
outre la multiplicité des règles juridiques applicables dans cet espace, il faut relever
la diversité des instances chargées du contrôle du respect de la concurrence. En soi,
cette abondance n’est pas nuisible mais elle l’est au regard de l’absence de leur mise
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en cohérence et de leur hiérarchisation.

3.1 La concurrence normative


La région ouest-africaine est marquée par la diversité des organisations d’intégration
qui s’y trouvent. Ces organisations sont mises en place sur la base de critères d’appar-
tenance les plus divers, qu’il s’agisse de la sécheresse14, de la volonté de mettre en
valeur un fleuve15 ou de la communauté de production d’un produit agricole. Elles
sont de ce fait, soit à vocation générale, soit à vocation sectorielle. Seules la CEDEAO
et l’UEMOA visent une intégration générale articulée autour de l’harmonisation
des politiques et des législations. Cette identité d’objectifs, ajoutée au fait que tous

13. Le pr. Alioune Sall retrace avec brio l’historique du regroupement des États en Afrique de l’Ouest
en mettant en perspective les différents objectifs poursuivis par les initiateurs de ce processus au
cours de l’histoire. Voir Les mutations de l’intégration des États en Afrique de l’Ouest. Une approche
institutionnelle, Paris, L’Harmattan, coll. Études africaines, 2006.
14. C’est le cas du Comité permanent Inter-États de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS).
15. Tel est le cas de l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) et de l’Organi-
sation pour la Mise en Valeur du Fleuve Gambie (OMVG).
Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO 343

les États membres de l’UEMOA16 appartiennent également à la CEDEAO, fait que


les risques de concurrence normative sont élevés, les deux organisations utilisant
pareillement le droit pour réaliser leurs objectifs d’intégration17. En outre, il faut
tenir compte de l’existence de droits internes de la concurrence dans un contexte où
des pays de tradition civiliste côtoient des pays de Common Law18.

3.1.1 Une cohabitation normative perfectible


Les différentes organisations d’intégration régionale existant en Afrique de l’Ouest
constituent autant d’espaces juridiques superposés avec des interférences complexes
car ces organisations ne couvrent pas le même espace géographique. Il en découle
une cohabitation normative difficile à gérer dans certains secteurs.
Cette cohabitation normative est aujourd’hui réelle et manifeste concernant le
droit de la concurrence. En effet, autant l’UEMOA que la CEDEAO se sont dotées
d’un cadre juridique régissant la compétition économique. Ces législations com-
munautaires, édictées en 2002 pour l’UEMOA19 et en 2008 pour la CEDEAO, sont
applicables, pour une grande partie, dans le même espace géographique, même si
le droit CEDEAO a un champ d’application territoriale plus vaste. C’est dire qu’au
plan communautaire, la coexistence des législations de la concurrence ne concerne
que les États qui sont membres des deux organisations d’intégration régionale.
Elle met en présence le droit UEMOA de la concurrence tel qu’il résulte de l’art.
88 du Traité de Dakar et de ses textes d’application20 et l’Acte additionnel portant

16. En l’occurrence, il s’agit du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée-Bissau, du


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Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo.
17. Voir notre contribution « Concurrence de droits communautaires: UEMOA/CEDEAO », Acte Col-
loque « De la concurrence à la cohabitation des droits communautaires. L’environnement juridique
des affaires mis en place par les droits communautaires (OHADA, UEMOA, CEMAC, CEDEAO,
OAPI, CIMA, CIPRES) », 24-26 janvier 2011, Cotonou, Bénin, à paraître.
18. À cette difficulté actuelle, il faut ajouter la possibilité de l’existence d’un droit OHADA de la
concurrence. En effet, cette organisation d’intégration juridique a ajouté le droit de la concurrence
au domaine à harmoniser. Mais nous doutons de la pertinence de ce choix en raison de l’inexistence
d’une politique de concurrence commune dans cet espace. Or le droit substantiel de la concurrence
est la résultante d’un choix de politique économique, choix qui ne saurait exister dans l’espace
OHADA qui n’est pas une organisation d’intégration économique.
19. Sur le droit UEMOA de la concurrence, voir M. Ngom, Droit et intégration économique dans
l’espace UEMOA : le cas de la régulation juridique de la concurrence, thèse de doctorat, Nantes
et Saint-Louis, 2007.
20. Il s’agit notamment de :
• Règlement n°2/2002/CM/UEMOA relatif aux pratiques anticoncurrentielles à l’intérieur de
l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine ;
• Règlement n° 3/2002/CM/UEMOA relatif aux procédures applicables aux ententes et abus de
position dominante à l’intérieur de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine ;
• Règlement n° 4/2002/CM/UEMOA relatif aux aides d’État à l’intérieur de l’Union Économique
et Monétaire Ouest-Africaine et aux modalités d’application de l’article 88 (c) du Traité ;
• Directive n° 02/2002/CM/UEMOA relative à la coopération entre la Commission et les Struc-
tures Nationales de Concurrence des États membres pour l’application des articles 88, 89 et
90 du traité de l’UEMOA.
Textes disponibles sur le site de l’UEMOA à l’adresse suivante : www.uemoa.int.
344 Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO

législation CEDEAO de la concurrence. La cohabitation de ces législations n’est


pas sans soulever des interrogations, particulièrement celles relatives à un risque de
concurrence et de conflit d’applicabilité.
Les rédacteurs de l’Acte additionnel de la CEDEAO n’ont pas ignoré ce risque.
Aussi, la question s’est-elle posée de savoir s’il ne fallait pas considérer la zone
UEMOA comme constitutive d’un État au sein de la CEDEAO, tout au moins au
regard de l’existence d’une législation UEMOA de la concurrence. Mais, à la vérité,
une telle solution ne pouvait prospérer, l’UEMOA n’ayant pas elle-même définitive-
ment réglé la question de l’articulation du droit interne et du droit communautaire de
la concurrence. Au demeurant, il est possible de penser que la cohabitation des légis-
lations communautaires de la concurrence dans la zone ouest-africaine n’aboutira
pas inévitablement à une concurrence normative que le juge serait amené à résoudre.
En effet, en spécifiant le champ d’application des règles communautaires de la
concurrence, l’article 4 de l’Acte additionnel précise qu’elles ne sont applicables
qu’aux pratiques « susceptibles d’affecter les échanges commerciaux au sein de la
CEDEAO ». Ce texte impose donc une analyse de l’incidence du comportement en
cause sur le commerce intra-communautaire dans la CEDEAO. C’est une analyse
difficile, autant pour le juge de la concurrence que pour le plaignant qui l’invoquerait.
Aussi, il peut paraître préférable de se référer au droit UEMOA qui n’exige pas une
telle affectation du commerce entre ses États membres. Face au dilemme du choix
entre deux dispositifs communautaires, a priori également applicables, la solution la
meilleure peut être de mettre en œuvre celui qui pose le moins de difficultés pour la
détermination de son applicabilité. Bien évidemment, c’est une solution de paresse,
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mais aucune des deux législations n’en propose une meilleure.
En outre, la CEDEAO admet la possibilité d’une coexistence entre une régle-
mentation nationale de la concurrence et la réglementation communautaire. Ainsi
s’explique que la législation de la CEDEAO ne soit applicable qu’aux pratiques por-
tant atteinte aux échanges entre États. Il en découle naturellement que les pratiques
dont les effets anticoncurrentiels sont limités à un espace national sont soumises à
la législation interne du pays concerné.

3.1.2 Des règles de la concurrence parfois divergentes


Mise à part cette question de la cohabitation, les droits CEDEAO et UEMOA de la
concurrence se recoupent du point de vue de leur contenu normatif. Non seulement
ils interdisent les ententes illicites et les abus de position dominante, mais également
ils encadrent les aides publiques et soumettent les entreprises publiques au droit de la
concurrence. On note donc que la législation CEDEAO de la concurrence porte sur
les différents aspects des pratiques anticoncurrentielles, qu’il s’agisse de pratiques
des entreprises privées ou de celles imputables aux pouvoirs publics. Les principes
fondamentaux du droit de la concurrence sont donc respectés par la législation de
la CEDEAO.
Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO 345

Toutefois, des différences notables peuvent être constatées dans les définitions
des notions utilisées, différences qui peuvent avoir des conséquences majeures dans
le contrôle de l’activité économique. Nous prendrons quelques exemples pour mettre
en évidence ce risque.
Le premier est relatif au rôle différent que l’on fait jouer, dans les deux ordres
normatifs, à l’affectation du commerce entre les États membres. Alors que dans la
législation UEMOA il n’y est fait référence que dans la directive n° 04/2002 relative
à la coopération entre la Commission et les structures nationales de la concurrence
pour le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, cette exigence de l’affectation
des échanges entre les États membres apparaît dans le droit CEDEAO comme une
condition d’applicabilité. Autrement dit, alors que l’UEMOA fait le choix d’une uni-
fication du droit de la concurrence, avec la substitution d’une législation unique aux
différentes législations nationales, la CEDEAO fait le choix de la double barrière, en
maintenant des législations nationales applicables aux pratiques anticoncurrentielles
à dimension nationale. Cette diversité de choix n’est pas sans conséquence dès lors
que certains États membres appartiennent à la CEDEAO et à l’UEMOA, et que,
dans le cadre de cette dernière appartenance, leur droit national de la concurrence
est neutralisé par la législation UEMOA. Pour ces pays, la question de la détermi-
nation du rôle de l’exigence de l’affectation des échanges commerciaux entre États
membres va se poser. La réponse déterminera soit l’applicabilité du droit CEDEAO
soit la compétence de la Commission de l’UEMOA.
Par ailleurs, en considérant l’interdiction de l’abus de position dominante, il
faut constater que la CEDEAO a une conception sinon incompréhensible du moins
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très restrictive de la position dominante. La position dominante est assimilée à la
détention d’une partie substantielle d’un marché déterminé de manière à pouvoir
contrôler les prix ou en exclure la concurrence21. La définition retenue par le droit
UEMOA rend mieux compte de la subtilité et de la diversité des situations de
domination. Il vise « la situation où une entreprise a la capacité, sur le marché en
cause, de se soustraire à une concurrence effective, de s’affranchir des contraintes
du marché, en y jouant un rôle directeur »22. Clairement, cette dernière définition
est plus complète. Elle est en outre plus adaptée au contexte de l’Afrique de l’Ouest
car permettant d’appréhender la diversité des situations économiques qu’implique
la dualité de l’économie de la région.
Une autre différence fondamentale à relever concerne les pratiques anticoncur-
rentielles pouvant faire l’objet d’une exemption. La législation de la CEDEAO pré-
voit que les pratiques qui contribuent au progrès social peuvent échapper à l’emprise
du droit de la concurrence alors que l’UEMOA n’a pas fait ce choix. L’article 4
(2) de l’Acte additionnel A/SA.1/12/08 vise en effet expressément les accords et

21. Art. 6 (1) Acte additionnel A/SA.1/12/08.


22. Note 5 de l’annexe 1 du règlement n° 3/2002/CM/UEMOA relatif aux procédures applicables aux
ententes et abus de position dominante à l’intérieur de l’Union Économique et Monétaire Ouest-
Africaine, précité.
346 Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO

activités dont l’objet porte sur « les questions relatives au travail, notamment les
activités des employés visant à protéger légitimement leurs intérêts » et « les accords
de négociations collectives conclus entre les employeurs et les employés aux fins
de fixer les termes et modalités de service ». Le constat est donc que la législation
de la CEDEAO tient mieux compte des exigences du droit du travail par rapport au
droit de la concurrence.

3.2 Une architecture institutionnelle non hiérarchisée


Le droit processuel de la concurrence dans la CEDEAO est caractérisé par la diversité
du contrôle institutionnel dont le risque d’inefficacité peut être corrigé par l’unité
de la méthodologie mise en application par les instances de contrôle.

3.2.1 Un contrôle institutionnel diversifié


Appelant à une recomposition du paysage juridique, Mireille Delmas-Marty nous
invite à tenir compte des « hiérarchies discontinues » et des « pyramides inache-
vées »23. Le paysage institutionnel de l’Afrique de l’Ouest est, lui, en perpétuelle
construction, les organisations d’intégration se succédant et cohabitant au gré de
l’évolution des volontés politiques des gouvernants des États membres. Cependant,
une certaine stabilité peut être notée, ces dernières années, avec la cristallisation
de la construction communautaire autour de l’UEMOA et de la CEDEAO. Mais
l’observateur ne peut manquer de se demander s’il existe une quelconque hiérarchie
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ou pyramide en Afrique de l’Ouest concernant le contrôle de la concurrence. De
multiples organes ont été créés aux niveaux interne et communautaire pour assurer
ce contrôle sans tenir compte de la cohérence d’ensemble.
Ainsi, en raison de la concurrence normative, le contrôle de la concurrence
peut être exercé par les organes créés par la CEDEAO ou par ceux auxquels le
droit UEMOA donne cette compétence. Au demeurant, la CEDEAO a fait un choix
de structuration institutionnelle du contrôle de la concurrence différent de celui de
l’UEMOA. En effet, alors que l’UEMOA reproduit le modèle européen en confiant
à la Commission la compétence de contrôle de la concurrence, la CEDEAO opte
pour la création d’un organe spécialisé. Ainsi, l’Acte additionnel A/SA.2/12/08
institue une Autorité régionale de la concurrence de la CEDEAO dont la mission est
la surveillance du marché commun de la CEDEAO en matière de respect des règles
de la concurrence et, le cas échéant, la sanction des pratiques anticoncurrentielles.
La création de cet organe, dont la mise en place effective se fait toujours attendre
près de trois ans après l’adoption de l’acte additionnel, s’explique par le souci
d’éviter la faible effectivité du droit de la concurrence telle qu’on peut la constater
dans l’UEMOA en raison de l’absence d’une structure communautaire de contrôle

23. Pour un droit commun, Paris, Seuil, 1994, p. 92 et suiv.


Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO 347

dédiée. À ce titre, la CEDEAO a essayé de tirer les leçons de l’échec de l’UEMOA


en la matière.
Pour autant, la question de l’efficacité du contrôle de la concurrence en Afrique
de l’Ouest peut se poser au regard de la multiplicité des instances impliquées, qu’il
s’agisse de structures nationales ou d’organes communautaires. Ce sont principa-
lement les risques de contradiction entre les décisions rendues par les différentes
instances communautaires qui retiennent l’attention. Dans cette perspective, la mise
en place d’un mécanisme de coopération peut apporter des solutions efficaces. Il
est envisagé et prévu par le droit de la CEDEAO. Ainsi, l’article 13.3 de l’Acte
additionnel A/SA.1/12/08 dispose que « dans la mise en œuvre des règles de la
concurrence de la Communauté, l’Autorité Régionale collabore avec les autres
agences de concurrence existantes (UEMOA) ».
Hiérarchies enchevêtrées et boucles étranges, donc. Peut-être sommes-nous
dans la perspective d’une forme curviligne24 de mise en œuvre du droit ouest-
africain de la concurrence. Changement de perspective dont l’objet est de garantir
l’inévitable mise en œuvre du droit de la compétition économique, l’applicabilité
d’un dispositif juridique déterminé et l’intervention des organes créés à cet effet,
permettant de couvrir l’inapplicabilité d’un dispositif mis en place concurrent ou la
défaillance de ses instances.
Mais cette option, ce choix serait alors implicite. On ne peut cependant l’exclure
au regard de la diversité des États membres de l’UEMOA qui appartiennent à la
CEDEAO.
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3.2.2 Une unité de méthode
Malgré cette complexité de l’architecture institutionnelle de contrôle de la concur-
rence dans l’espace CEDEAO, des raisons d’avoir confiance existent. Elles se
justifient par l’unité de la méthode de contrôle pratiquée par les instances chargées
de veiller au respect de la législation communautaire de la concurrence. Cette unité
est une exigence de la mise en œuvre du droit de la concurrence.
Différentes par leur nature, les instances de contrôle communautaires et natio-
nales n’en ont pas moins une mission identique : appliquer le droit de la concurrence
dans l’espace CEDEAO. Pour ce faire, elles ont été dotées de pouvoirs particuliers
devant leur permettre d’assurer que la concurrence n’est pas faussée et, le cas
échéant, de sanctionner les atteintes à la concurrence.
La méthodologie utilisée est marquée par l’importance du raisonnement
téléologique dont la référence est la permanence concurrentielle du marché25. Il
s’agit d’assurer que le marché commun de la CEDEAO demeure concurrentiel, en
sanctionnant tous les comportements qui pourraient remettre en cause l’existence

24. V. M. Delmas-Marty, Pour un droit commun, Paris, Seuil, 1994, p. 92 et suiv.


25. M.-A. Frison-Roche, « Le juge du marché », in Le juge de l’économie, numéro spécial Revue de
Jurisprudence commerciale, 2002, p. 45.
348 Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO

de la compétition économique. Le contrôle des pratiques en cause en matière de


concurrence implique des appréciations économiques complexes. En effet, dès 1969,
la CJCE a affirmé que « la question de savoir si un accord est effectivement interdit
repose sur l’appréciation d’éléments économiques et juridiques qui ne sauraient
être supposés acquis en dehors de la constatation explicite de l’espèce, considérable
dans son individualité »26. Cette affirmation vaut aussi pour le droit CEDEAO de
la concurrence. L’évaluation des pratiques anticoncurrentielles exige de l’autorité
de contrôle des compétences nouvelles, qui ne sont plus seulement juridiques. Il ne
s’agit plus de simplement procéder à une analyse de la légalité d’un comportement
mais d’évaluer un comportement économique, de procéder à une appréciation à
la fois juridique et économique. Le mode de fonctionnement, de raisonnement du
juge doit s’imprégner dès lors des théories économiques. Il s’agit pour l’instance
de contrôle « d’accueillir dans son raisonnement d’autres normativités que celles
du droit »27. La fusion des logiques juridique et économique est nécessaire pour
l’efficacité de la mise en œuvre du droit de la concurrence. Dans la composition de
l’Autorité régionale de la concurrence, des efforts ont été faits pour tenir compte
de cette exigence.
L’évaluation des pratiques anticoncurrentielles dans l’espace CEDEAO consti-
tue donc un contrôle de régulation s’articulant autour d’une analyse économique et
d’une analyse juridique. Cette double analyse découle de la nécessité de procéder
au bilan économique et au bilan concurrentiel des pratiques en cause, avant de
décider de les interdire ou de les autoriser. Cette analyse économique incite à avoir
une appréciation objective de la situation économique. L’avantage de cette méthode
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partagée par tous les organes de contrôle de la concurrence est de garantir une relative
objectivité, quelle que soit l’instance intervenant. En outre, elle permet de relativiser
le rôle que peut jouer sur l’analyse juridique l’appartenance des États à la tradition
civiliste ou à la Common Law.
De ce point de vue, la politique et le droit de la concurrence fournissent des
outils utiles pour l’émergence d’un droit adapté à la situation de sous-développement
de l’espace CEDEAO.

26. CJCE, 9 juillet 1969, Portelange, Rec., p. 309.


27. M.-A. Frison-Roche, op. cit., p. 48.
Intégration régionale et politique de la concurrence dans l’espace CEDEAO 349

SUMMARY: REGIONAL INTEGRATION AND COMPETITION


LAW IN THE ECOWAS SPACE
The Economic Community of West African States, ECOWAS, is a sub-regional eco-
nomic organization whose objective is to integrate its Member States economies in
order to promote the economic development of the region. Although ECOWAS was
founded already in 1975, it is only in 2008 that the legislator has created a regio-
nal competition framework with aims at regulating competition within the region.
Competition law has therefore become key to the process of creating a Common
market in West Africa.
However, it stems from the analysis of ECOWAS’ competition regulations that
the regional competition policy does not take duly into account the need of local
businesses to compete. Rather, the regional competition policy seems to be directed
toward promoting foreign direct investment in the region by its focus on a concept
of competition that suits only the interests of the investors. Hence, ECOWAS’ com-
petition policy promotes only marginally the need of local companies to compete.
It does not shelter them from international competition coming from multinational
firms. It is therefore very doubtfully that ECOWAS competition policy take duly
account of the development concerns of its Member States.
Moreover, the competing application of the previously existing West African Econo-
mic and Monetary Union (WAEMU) competition law within the same geographical
space blurs the normative benchmarks of applicability of the respective regional
competition laws which could lead to legal and judicial uncertainty for businesses.
However, the potential conflicts of jurisdiction susceptible to arise from the applica-
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bility of two regional laws could be minimized by the common use of the economic
analysis in competition cases.

Mots clés : CEDEAO, droit de la concurrence, intégration économique, dévelop-


pement économique

Keywords: ECOWAS, competition law, economic integration, economic


development

Subject Descriptors (Econlit Classification System): F130 ; F150 ; L400, L 490

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