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LA « GRANDE STANDARDISATION » ET LES TRANSFORMATIONS DU

SAVOIR DANS LES SOCIÉTÉS TECHNOSCIENTIFIQUES

Jean-Claude Ruano-Borbalan

De Boeck Supérieur | « Innovations »

2017/1 n° 52 | pages 17 à 41
ISSN 1267-4982
ISBN 9782807391086
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LA « GRANDE STANDARDISATION »
ET LES TRANSFORMATIONS
DU SAVOIR DANS LES SOCIÉTÉS
TECHNOSCIENTIFIQUES
Jean-Claude RUANO-BORBALAN
Conservatoire National des Arts et Métiers
jean-claude.ruanoborbalan@lecnam.net
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RÉSUMÉ
L’article montre la généralisation depuis deux siècles de la technoscience industrielle, l’ex-
tension de l’éducation et de la formation dans les pays développés, le développement des
médias de masse. Il souligne l’avènement d’un nouveau régime dominant de production
technoscientifique depuis les années 1980, la généralisation planétaire de la scolarisation
et de la communication de masse ou en réseau, tous processus fondés sur une forte standar-
disation. La standardisation du savoir porte aujourd’hui sur les comportements et de l’ac-
quisition des « compétences » (key competencies, transfer of economic valuable knowledge).
Cette mise en standard des comportements se nourrit d’un contrepoint : la promotion
de la créativité et de l’identité individuelle. Ces derniers discours, fondés sur une tradi-
tion longue d’innovation pédagogique ou entrepreneuriale, sont aujourd’hui promus par
de nombreux acteurs institutionnels, économiques, politiques et sociaux. Ils constituent
l’envers en tension de la généralisation des formes de la standardisation massive du savoir
et de la connaissance.
Mots-clés : Standardisation, Société de la connaissance, Science, Éducation, Institutions,
Histoire économique

ABSTRACT

The « Great Standardization » and the Transformations


of Knowledge in Techno-Scientific Societies
The article shows, for the last two centuries, the growth and spread of education and
training, techno-science and development of mass-media. It underlines, for the last half
century, the advent of a new regime of scientific and knowledge production, related to
schooling, generalization of mass communication and networks. The standardization of
knowledge nowadays integrates skills, competencies and behaviors (key competencies,

n° 52 – innovations 2017/1 DOI: 10.3917/inno.052.0017 17


Jean-Claude Ruano-Borbalan

transfer of economic valuable knowledge). As a counterpart, one sees the development


of discourses that promote creativity and individual identity. Those discourses, initialized
and promoted by marketing for about a century, are part of a non-intentional enchanting
strategy that avoid and mask the standardization of technics and the rationalization of
knowledge for economic production or state administration purposes. The contemporary
period is characterized by the combination (and the tension) between those discourses pro-
moting creativity and innovation on the one hand, and standardization and rationalization
of knowledge, information and economic production on the other hand.
Keywords: Standardization, Knowledge Society, Science, Education, Institutions, Economic
History
JEL Codes: O31, Y80

Le développement industriel et l’affirmation du rôle de l’État dans la


période contemporaine sont classiquement vus comme conjoints à la pro-
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duction et diffusion du savoir en société :
–– la généralisation de l’éducation et de la formation à partir de la fin
du 18e siècle pour la scolarisation primaire, durant la seconde moitié du
20e siècle pour la scolarisation secondaire et supérieure ;
–– l’institutionnalisation de la science et des technosciences, devenues
progressivement le mode de production dominant du savoir durant
l’après seconde guerre mondiale ;
–– l’avènement de la communication de masse et en réseau, au cours du
20e et début du 21e siècle.
On constate à ce point de vue l’existence de plusieurs moments histo-
riques, cristallisés dans des configurations dominantes et « régimes de pro-
duction des savoirs » (Pickstone, 2001)1. Les guerres, et particulièrement la
première, puis la seconde guerre mondiale, joueront un rôle considérable
d’accélération des processus de production de la connaissance : la réalisa-
tion de la première bombe atomique (projet Manhattan) qui mobilisera plus
de 100 000 collaborateurs et scientifiques constituant, par exemple, un saut

1.  John Pickstone (2001) propose, pour la période qui va de la fin du 19e siècle à nos jours, trois
étapes, qui sont peu ou prou communément admises aujourd’hui :
– au 19e siècle, le règne de l’expérimentation et de l’invention lors de l’émergence industrielle ;
– au 20e siècle, l’alliance des industries désormais puissantes et des universités dans le cadre de ce
qu’il nomme un technoscientific complex ;
– depuis les années 1970-1980, la dialectique entre technoscience et public understanding of
science, soit la confrontation entre le « progrès » technoscientifique et les réactions politico-
sociales, qui sont aujourd’hui une préoccupation majeure des Sciences sociales.

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La « grande standardisation » et les transformations du savoir

qualitatif et quantitatif irréversible dans les formes de la discussion scien-


tifique, de la rationalisation des procédures d’administration, des finance-
ments, de la structuration de la recherche, etc.
L’une des caractéristiques les plus fortes des deux derniers siècles de déve-
loppement du savoir et de la connaissance est le renforcement constant
de la rationalisation et surtout de la standardisation sous toutes ses formes.
Cette standardisation est en premier lieu un processus d’unification par des
« standards » et normes des produits (Busch, 2011), de procédures et formes
d’administration (Gardey, 2008). C’est aussi une unification des contenus
intellectuels ou scientifiques. C’est enfin une convergence (plus récemment),
des comportements et interactions individuelles, notamment en raison de la
généralisation de la scolarisation et de l’émergence de systèmes médiatiques
et communicationnels massifs.
Ce processus d’affermissement des standardisations s’inscrit précisé-
ment dans un double mouvement : d’une part le développement historique
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de l’Etat-Nation et l’emprise des cadres et normes administratives (Bezes,
2014), et d’autre part, le développement de la science, c’est-à-dire des cadres
et procédures scientifiques tant au plan matériel (les instruments) que du
point de vue des procédures et théories, comme le soulignent nombre de
travaux contemporains d’histoire des sciences et notamment le travail de
Françoise Waquet (2016).
L’article examine en premier lieu la période du 19e et du premier 20e siècle
où se sont cristallisées, en lien avec l’industrialisation, les formes dominantes
de cadrage de la science et de l’ordre étatique contemporain. Il reprend
l’analyse désormais très documentée de la co-évolution des systèmes indus-
triels, étatiques et scientifiques (Jones, Zeitlin, 2007) qui, sous l’impulsion
d’une « rationalité » issue des sciences de l’ingénieur et de la production
scientifique, ont convergé pour former un ordre industriel dont les résultats
furent contradictoirement catastrophiques (idéologies totalitaires, conflits
mondiaux), et, au contraire, porteurs d’avancées sanitaires, de développe-
ment humain.
En second lieu, l’article examine le développement des formes de cadrage
et standardisation à l’œuvre dans la société de l’information et de la connais-
sance, particulièrement spectaculaire après la seconde guerre mondiale.
Il souligne le rôle des théories de l’information (cybernétique notamment)
et la prise en compte de l’immatériel dans la théorie économique.
Pour cette période, l’article note la congruence de plusieurs phénomènes
majeurs : la généralisation de la technoscience industrielle, l’extension de
l’éducation et de la formation dans les pays développés, le développement
des médias de masse. Il rappelle que, dans les années 1970-1980, la mutation

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Jean-Claude Ruano-Borbalan

des modèles de production industriels liée à la globalisation s’est fondée sur


la cristallisation à l’échelle internationale d’un nouveau régime dominant
de production et de circulation des savoirs (techno) scientifiques (Pestre,
2010). Nous suivons en cela les analyses désormais assurées des Sciences and
Technology Studies et de la géographie économique contemporaine.
Dans un troisième temps, l’article examine la place absolument centrale
de la généralisation scolaire et universitaire depuis plus d’un demi-siècle.
La forme scolaire occidentale, désormais peu ou prou étendue à la planète
entière, a un effet majeur de standardisation par ses rituels résumés dans la
formule de la règle des « quatre 1 » : un enseignant, une classe, une leçon,
une unité de temps… à quoi on peut ajouter une forme dominante d’éva-
luation sommative (Ruano-Borbalan, 2006). L’éducation fonctionne de plus
en plus comme tout produit industriel, du moins dans sa structure : une part
essentielle est devenue comparable et comparée/évaluée en permanence
par les institutions internationales, pour des visées de convergence (com-
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pétences pour l’entrepreneuriat et l’économie, l’insertion professionnelle,
etc.).
Dans le même temps, et parfois contradictoirement, l’individualisation
due aux outils de communication en réseau et à la standardisation digitale
s’est développée. Cette émergence de possibilités sans précédent dans l’accès
à l’information et aux connaissances via les réseaux et la communication de
masse a fait penser que l’école, comme l’enseignement supérieur, seraient en
phase de vivre leurs derniers instants, en tout cas dans leur forme dite « tra-
ditionnelle » : de nombreux discours ou initiatives, notamment issus des
milieux industriels de la communication tendent à vouloir en accélérer la
chute. Des formes pédagogiques plus participatives et en lien avec des projets
commandités sont en forte augmentation, notamment dans l’enseignement
supérieur et la formation à l’innovation.
Pour autant, le constat de la réalité institutionnelle ou des pratiques va
dans un sens différent : la standardisation scolaire se nourrit de la standardi-
sation digitale, qui fondamentalement ne la remet pas en cause. On assiste
plutôt à une convergence de multiples formes de rationalisations, qui per-
mettent par leur succès même, le développement de formes « customisées »
des usages, pratiques, et apprentissages individuels.
L’article montre ainsi que le processus progressif d’approfondissement
de la « standardisation » s’est accéléré et renforcé dans la dernière période
(à partir des années 1970), notamment dans l’ordre de la production et du
transfert des informations, de la connaissance et du savoir. Cette standar-
disation de la connaissance et des formes de son transfert constituent l’un
des éléments majeurs des politiques de croissance et d’innovation dans les

20 innovations 2017/1 – n° 52
La « grande standardisation » et les transformations du savoir

principaux pays de l’OCDE et au-delà, notamment sous le couvert du déve-


loppement de sociétés et économies dites de la connaissance dont on inter-
roge les ressorts : asservissement de la science à l’économie d’une part, et à la
technique d’autre part (Paris, Veltz, 2010).
L’hypothèse majeure de l’article est que la standardisation du savoir porte,
dans la période très contemporaine, sur une codification normative de plus
en plus poussée des comportements et des « compétences » individuelles.
Cette mise en standard des comportements sociaux ou professionnels consti-
tue la condition de possibilité de discours en contrepoint, autour de la pro-
motion de la créativité et de l’identité individuelle. Ces derniers discours,
initialement promus par le marketing, sont aujourd’hui en expansion autour
de la promotion de « l’innovation » et de la créativité, en formation et dans
l’enseignement supérieur notamment. Ils constituent en quelque sorte l’en-
vers de la généralisation des formes de la standardisation du savoir et de la
connaissance, dont on montrera que cette dernière s’inscrit dans une dialec-
tique de longue durée avec la forme dominante de production et de transfert
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des savoirs et connaissances.

DU 19E AU 20E SIÈCLES : RATIONALISER


LA SCIENCE, L’ADMINISTRATION
ET LA PRODUCTION
Les racines de la configuration politico-économique liant consubstantiel-
lement les activités scientifiques, étatiques (administration, scolarisation,
etc.) ou industrielles a débuté historiquement en Europe, dans la période
qui court de la renaissance au 19e siècle. L’affaire est complexe et a occa-
sionné une littérature nombreuse et contradictoire, que la World History a
notamment renouvelée. Il ne s’agit ni plus ni moins que de ce que l’on nom-
mait jadis « la dynamique de l’occident ». C’est en premier lieu la guerre et
les activités ou l’organisation militaire, tant terrestre que maritime, qui ont
joué un rôle de premier plan, depuis la révolution militaire européenne des
14e au 18e siècle.
Au 19e siècle, et particulièrement dans sa deuxième moitié, plusieurs
tendances amorcées dans la période précédente, mais catalysées désormais
par le développement économique et les mutations juridico-politiques, se
conjuguent pour renforcer la « rationalisation » et la connaissance des socié-
tés ou de la nature, comme de la production industrielle. L’État, pas par-
tout et pas non plus au même rythme, accompagna alors la mise en place
des instruments d’organisation et de connaissance de la population (vie
sociale, politique, économique). À ce moment s’est affirmée l’émergence de

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Jean-Claude Ruano-Borbalan

la science comme pratique, doctrine et institution autonome. Elle devint


une « idéologie » politique et sociale puissante, s’imposant comme l’aune du
raisonnement politique ou économique en bien des aspects.
D’autres aspects vont conjointement se développer, notamment des
aspects commerciaux, économiques, politiques, qui ont, eux aussi, fait l’objet
de nombreux travaux, notamment pour étudier les causes de l’essor de la
« révolution industrielle » (Pomeranz, 2010) ou l’avènement de la modernité
politique (Bayli, 2004). Les temporalités sont discutées, mais on s’accorde
à penser que le 19e siècle Européen est central : il vit parallèlement la mise
en place des systèmes de transmission et diffusion de savoir et connaissance
massifs. Ces derniers étaient basés sur des techniques et formes intellectuelles
de plus en plus puissantes : l’industrialisation des journaux et de l’édition
permettant notamment la vulgarisation scientifique (Bensaude-Vincent,
1993) et le développement de l’institution scolaire et de sa forme scolaire
« normale » (Troger, Ruano-Borbalan, 2015).
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Une mention spéciale doit revenir à l’extension et l’efficacité des tech-
niques et savoirs des ingénieurs. La rationalité technique se déploya dans
de multiples domaines : du management à la construction en passant bien
entendu par la production industrielle (Grossetti, 2004).2
Ces diverses techniques et formes ont été produites (et ont contribué à) de
fortes « rationalisations », corollaires notamment du développement indus-
triel. Il convient de noter que les divers dispositifs institutionnels ou intel-
lectuels ayant contribué à la rationalisation et standardisation des savoirs
n’étaient pas donnés d’avance comme victorieux. Les pratiques institution-
nelles ou techniques intellectuelles devenues dominantes furent concurren-
cées. Leur avènement ne constitue en rien une « nécessité », mais corres-
pond à la mise en place de configurations et solutions ayant émergé au sein
de processus conflictuels. On le constate notamment en éducation, où des
formes institutionnelles et pédagogiques différentes se sont concurrencées
fortement : formes mutualistes, libertaires ou coopératives (Querrien, 2005).
Enfin, durant le 19e et le début du 20e siècle, l’organisation disciplinaire
de la science s’affirme et deviendra dominante (Blankaert, 2006). Les règles
et procédures de ce qui fait la « bonne science » qui, au début du 19e siècle,
faisait encore l’objet d’âpres débats vont se codifier autour de la définition
de « l’objectivité ». Cette notion se traduit par un ensemble de pratiques

2.  Michel Grossetti (2004), s’appuyant sur l’histoire des institutions de formation et de science
de l’ingénieur, réfute l’hypothèse d’un mode 1 et 2 de savoir, se succédant (Nowotny et al.,
2003). Il souligne que ce sont souvent les milieux universitaires ou académiques, et non les
milieux industriels, qui ont poussé à la mise en place de liens entre science et industrie, notam-
ment dans les écoles d’ingénieurs en France.

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La « grande standardisation » et les transformations du savoir

privilégiant l’observation et la fidélité des données se défiant des biais de


la perception ou de l’interprétation en concurrence avec la recherche de
« vérité » (Raj, Blum, 2015). Les principes de ce qui « fait » science seront
progressivement admis : production écrite, dans des publications ouvertes
et évaluées par des communautés de pairs, mise à disposition des protocoles
et sources pour permettre la « réfutabilité », etc. Cette vision que synthéti-
sera Karl Popper (la logique de la découverte scientifique, 1934) et dont le
sociologue Robert K. Merton (Dubois, 2014) renforcera les contours, s’est
d’ailleurs fortement développée et généralisée dans la période plus contem-
poraine, en raison d’une standardisation puissante et supplémentaire du
vaste système institutionnel de production scientifique au niveau mondial
(Larsen, Von Ins, 2010 ; Gingras, 2013).

L’astronome, l’ingénieur et la machine à écrire


La codification des règles et procédures de ce qu’est la (bonne) science,
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comme les formes désormais normalisées d’éducation ou de management en
émergence, constituent une part d’un processus de standardisation et ratio-
nalisation très général des sociétés les plus industrialisées qui s’est affirmé au
19e siècle et au début du 20e siècle. Ce processus global a affecté les sphères
de l’économie et de l’échange ainsi que l’ensemble des rapports politiques et
sociaux. Il est lié autant au rôle progressivement accru de la bureaucratie de
l’État-Nation, qu’au processus conjoint de stabilisation et fiabilisation des
formes de « l’administration de la preuve » scientifique.
La « rationalisation » de l’ensemble des formes administratives, étatiques
ou managériales, correspond à des pratiques devenues dominantes, en lien
avec des techniques ou des groupes professionnels combattant avec force
pour les imposer.
La littérature contemporaine en sciences sociales reconnaît à ce propos
le rôle déterminant de la mesure et de la statistique. Ces techniques et tech-
niques intellectuelles, utilisées notamment au sein des pratiques des agents
d’administration et ingénieurs, tant dans le domaine politique qu’écono-
mique (management, industrialisation, rationalisation de la production,
architecture, urbanisme, etc.), seront l’une des grandes affaires du 19e et du
début du 20e siècles.
Les capacités de mesure et d’observation (astronomiques, océanogra-
phiques, géographiques, médicales, etc.) ont constitué l’un des points cen-
traux du processus d’avènement scientifique au 19e siècle et leur « rationali-
sation ». Ce processus a fortement accompagné le renforcement de l’État et
de l’administration, comme l’industrialisation.

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Jean-Claude Ruano-Borbalan

L’historien Simon Schaffer (2014) a souligné, par exemple, le rôle de la


rigidification des processus d’observation imposée par les astronomes anglais
et européens, qui ont « discipliné les observateurs » en les astreignant à une
stricte division du travail, cherchant absolument à supprimer les possibles
variations dues à « l’équation personnelle », c’est-à-dire aux variations de
l’attention ou de la perception humaine. Les observatoires européens ten-
daient à œuvrer, comme des fabriques et usines à la même époque, avec du
personnel « automate » et des cadres stricts d’organisation. Simon Schaffer
souligne que l’Astronomie servit de prototype à d’autres sciences et surtout
que « les centres d’intérêt de l’éducation, des affaires et de la navigation étaient
liés à ceux des administrateurs de l’observatoire et de l’État. » Il ajoute que
« la discipline et la hiérarchie à l’intérieur des observatoires allait de pair avec un
monde discipliné en dehors de leurs murs » (Schaffer, 2014, p. 264).
L’une des illustrations (la plus connue dans le domaine des sciences
sociales) de ces processus est la mise en place, des années 1880 au début
des années 1930, de méthodes managériales formalisées et de l’organisation
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scientifique du travail, diffusée à partir des États-Unis. Le sociologue Yehouda
Shenhav (1999, chapitre 5 : Engineers and American Exceptionalism) montre
à ce propos que la mise en place de cette « révolution managériale » a eu
lieu aux États-Unis en raison de la structure spécifique des grandes firmes et
entreprises. Dans ce contexte, les dirigeants et « cadres » salariés étaient pro-
portionnellement en nombre plus important qu’en Europe. Les ingénieurs
qui sont à son origine ont alors pu développer une doctrine d’administration
scientifique, détachée de toute vision politique ou morale. Cette doctrine a
fini par apparaître comme détachée de toute conflictualité et supposée fondée
sur la pure « efficacité », ce qui était censé constituer sa justification. Cette
transformation dans la conduite des entreprises et fabriques industrielles a
conduit au renforcement des grandes firmes, à la mise en place de produc-
tions standardisées, à l’essor des processus statistiques et à la mécanisation
de toutes les tâches, jusque et y compris à la « mécanisation des individus »,
dont l’emblème sera définitivement le film de Chaplin : Les temps modernes.
Cette « révolution managériale » s’est fondée notamment sur des proces-
sus et « techniques intellectuelles » comme par exemple la comptabilité et
des techniques de rationalisation des tâches et procédés : particulièrement
les activités de bureau, en croissance exponentielle de la fin du 19e siècle au
20e siècle. La généralisation des machines et de l’organisation de bureau qui
court des années 1880 aux années 1930 constitue, de ce point de vue, l’un des
aspects majeurs des transformations administratives, commerciales et comp-
tables tant des firmes que des institutions publiques. Delphine Gardey qui en a
effectué l’analyse note que : « La tonalité générale est dans les années 1920-1930
à la délégation aux artéfacts. Le discours de l’Automaticité, de la simplicité, de

24 innovations 2017/1 – n° 52
La « grande standardisation » et les transformations du savoir

la vitesse et du succès est omniprésent dans la presse professionnelle et dans les


campagnes publicitaires des fabricants. L’électrification de la plupart des machines
renforce encore ce discours de la vélocité et de l’automaticité qui tend à euphémiser
autant l’ampleur des transformations à l’œuvre dans l’organisation du travail que
la redéfinition des activités et des tâches. Le mouvement général tend vers l’idée de
correspondance automatique. C’est un mouvement ancien et parallèle de standar-
disation des activités, des supports et des contenus.
Très concrètement tributaire des technologies de duplication et de traitement
du courrier, l’idée de la correspondance automatique s’appuie sur une réflexion
antérieure sur la forme et le format des correspondances. Cette réflexion est, une
fois encore, le fait du mouvement américain de systématisation et de taylorisation
du travail de bureau qui émerge au début du XXe siècle » (Gardey, 2008, p. 141).
L’organisation et la mécanisation des tâches de bureau, mais aussi et
parallèlement, le développement de la science, la généralisation de la forma-
tion professionnelle dans les cadres scolaires, eux-aussi fortement « rationa-
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lisés » et standardisés, seront parmi les bases d’une société désormais centrée
sur la consommation et la production massive de biens (Rosenberg, 2009).

Science, industrie, État : la grande alliance du 20e siècle


La première guerre mondiale constituera un premier accélérateur puis-
sant du renforcement des liens entre tous les acteurs scientifiques, éco-
nomiques, étatiques dont on a une très belle illustration avec le rapport
que le ministre du commerce et de l’industrie français Étienne Clémentel
(il était ministre depuis 1915) remet au président du conseil en 1919.
Ce rapport constitue l’une des principales sources pour l’histoire indus-
trielle française de cette période, selon Michel Letté qui en a assuré l’étude.
Le rapport Clémentel synthétise une doctrine plus qu’une pratique géné-
ralisée encore : « le machinisme est présenté comme l’horizon indépassable de
l’économie rationnelle, la panacée pour surmonter toutes les difficultés présentes et
à venir » souligne Michel Letté qui cite le rapport : « dans l’usine modernisée,
les agents d’exécution seront capables d’obtenir un plein rendement du machinisme
le plus perfectionné, créé par nos élites scientifiques et installé par des chefs d’entre-
prise audacieux et novateurs » (Letté, 2010, p. 5).
Une telle perspective se fondait sur des considérations très générales
mêlant des volontés d’efficacité et des réflexions politiques et morales.
Michel Letté note encore que la « distribution rationnelle des fonctions indivi-
duelles dans l’œuvre collective » viendra assurer l’efficacité de la production.
C’est là, souligne-t-il, le domaine de la division sociale du travail et de l’or-
ganisation scientifique de la production industrielle où « l’effort de réflexion

n° 52 – innovations 2017/1 25
Jean-Claude Ruano-Borbalan

est fait à l’origine par les ingénieurs », et où « le manœuvre d’antan vient remplir
son rôle en collaborateur souple et intelligent ». Dans cet univers tout mécanisé
et si harmonieux, la « standardisation » et le « travail en série » sont des impé-
ratifs de gouvernement rationnel que permettent les « laboratoires » et les
« études expérimentales », l’alliance de la science et de l’industrie.
Le rapport Clémentel était parfaitement clair sur la nécessité d’alliance
entre politique, science et industrie : « le savant doit sortir de sa tour d’ivoire
et l’industriel s’élever au-dessus des préoccupations immédiatement utilitaires (...)
Les nécessités de la guerre ont mis en contact le savant et l’industriel ; désormais ils
ne s’ignorent plus ». Le programme défini était net et devait englober, « Non
seulement les énergies humaines [qui] sont mobilisées dans ce grand dessein, mais
aussi les énergies fossiles et celles produites par les centrales électriques. Toute une
série de solutions techniques mais aussi législatives sont préconisées afin d’optimiser
leurs usages. L’agriculture est également soumise à l’injonction de la mécanisation
et à l’utilisation des engrais chimiques que la France peut désormais produire en
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abondance » (Letté, 2010, p. 6).
L’histoire industrielle mondiale de l’entre-deux-guerres et de la seconde
guerre mondiale, on le sait, constituera l’actualisation de ces perspectives,
notamment aux États-Unis, en Europe ou au Japon. La seconde guerre mon-
diale constituant un moment supplémentaire d’accélération, qui ne fléchira
pas durant la guerre froide. La nouvelle période verra le déploiement de
l’alliance désormais consubstantielle et à des niveaux inégalés entre science,
politique publiques et industrie. Cette alliance s’incarnera au travers de
ce qu’à la suite du mot prononcé par le président Eisenhower en 1961 on
dénomme le « complexe militaro-industriel ».
La mobilisation des talents scientifiques pour la guerre aux États-Unis, de
1941 à 1945, s’incarne, par exemple, dans l’implication majeure de l’appa-
reil d’État. Un financement fédéral sans précédent a permis la réalisation de
projets (à des fins militaires) que les chercheurs réalisent au sein de leur uni-
vers habituel universitaire. À cette occasion, naît une « nouvelle alliance »
(Pestre, 2010), qui rassemble autour de la réalisation d’objets techniques
devant être rapidement opérationnels, des scientifiques, des industriels, des
militaires et des politiques. Ce « complexe d’intérêts » fut aussi la consé-
quence du changement qui se mit en place pendant la guerre et continua
ensuite : matrice du développement de ce que l’ensemble des Sciences and
technologies studies contemporaines nomment la « technoscience » et qui
constitue le régime de savoir et d’innovation économique commun à toutes
les sociétés industrielles.
Cependant, il ne faudrait pas avoir une vision univoque et purement
fonctionnelle du « complexe militaro-industriel » : concernant le nucléaire

26 innovations 2017/1 – n° 52
La « grande standardisation » et les transformations du savoir

français notamment, une telle conception serait fausse en ce qu’elle ne pren-


drait pas en compte le consensus idéologique fort autour du développement
des sciences et de la technique considérées comme de nouvelles « lumières »
permettant le développement pacifique et humain. Le développement du
nucléaire n’est ainsi pas uniquement lié à la volonté de retour de puissance
et d’indépendance prônée par le Général de Gaulle à son retour au pouvoir
à la fin des années 1950 (Belot, 2005).

VERS UNE ÉCONOMIE DE L’INFORMATION,


DE LA CONNAISSANCE
On est aujourd’hui bien renseigné sur l’une des dimensions majeures de
l’avènement définitif de la technoscience contemporaine, à savoir le rôle
crucial qu’ont joué le développement des théories de l’information (code et
signal ; cybernétique et informatique) d’une part, et d’autre part, et parallè-
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lement, la mathématisation des sciences économiques. Mathématisation et
modélisation seront initialement employées dans le cadre de la résolution
des problèmes soulevés par la volonté de réalisation de la bombe atomique
dans le projet « Manhattan », notamment liées aux nécessités de calcul et à
la modélisation statistique du comportement des particules durant l’explo-
sion. La mathématisation de l’économie, quoique plus précoce était en phase
d’échouer jusqu’à ce que dans les années 1950 et dans le cadre de ce que
Philip Mirowski nomme la « réorientation mentaliste », la théorie économique
fut ainsi « de plus en plus re-conceptualisée en traitement de l’information ».
Mirowski ajoute que parallèlement la théorie économique avait pris « du
galon (épistémologique), passant du statut d’étude d’une partie de l’expérience
humaine à celui de discipline susceptible d’embrasser toute activité humaine et non
humaine » (Mirowski, 2012, p. 6).
Ainsi l’après-guerre verra une puissante vague de développement de la
théorie de l’information et progressivement l’avènement de la modélisation,
accompagnant non seulement le développement de la technoscience, mais
aussi les formes d’analyse et d’interprétation de l’économie. Cette formali-
sation a donc accompagné l’alliance entre la production de connaissances
et l’opérationnalisation des connaissances dans les processus de production
économiques ou industriels qui caractérise notre époque contemporaine.
La standardisation des formes de la diffusion de l’information et de la
connaissance sera renforcée par l’avènement des technologies de la commu-
nication et des réseaux (Webster, 2014).
Du point de vue de la société et de l’économie réelle, l’information ou
la connaissance ont toujours constitué des éléments centraux (processus

n° 52 – innovations 2017/1 27
Jean-Claude Ruano-Borbalan

et réalités « immatériels », contrats et contraintes, informations, etc.).


Le développement exponentiel des technologies de l’information et de la
communication, comme le développement des institutions spécifiques de
production et transfert de connaissance (science, recherche, éducation et
formation, médias de vulgarisation, etc.) n’a fait qu’accentuer depuis le
19e siècle cette place centrale. Mais, en revanche, du point de vue de la
« science économique », la mesure du rôle de l’immatériel, de l’information
puis de la « connaissance » ou du « savoir » (Knowledge) dans les rouages de
l’économie réelle (économie qui peut être immatérielle bien entendu) a été
reconnue assez récemment. En effet, l’hypothèse d’une « dématérialisation »
de l’économie a été faite dans les années 1930. Trente ans plus tard, les
théories de la firme de Frank Knight et Ronald Coase ont ajouté les facteurs
informationnels de la coordination entre agents internes et externes à la
firme aux « modèles standards ». Il a fallu cependant attendre les années
1980 pour que la dématérialisation de l’économie soit considérée comme
essentielle, même si au plan théorique, son appréhension fut particulière-
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ment difficile. La théorie économique, qui ne la prenait pas en compte dans
les formes concrètes, a intégré progressivement le fait que l’information est
une dimension cruciale des échanges et de la production : par exemple que
les systèmes productifs intègrent (de plus en plus) de « biens immatériels »,
dont la valeur s’attache notamment aux procédés techniques, brevets, formes
de conception, compétences et capacités des individus, etc. Dans le même
temps, de nombreux travaux de sociologie économique montraient que le
travail avait perdu et surtout allait perdre, pour l’essentiel, sa part manuelle
et énergétique, au profit précisément d’aspects plus immatériels ou intellec-
tuels et informationnels. Il se caractérise la plupart du temps par des opéra-
tions mentales et intellectuelles. Les activités purement mécaniques, cen-
trales dans la période précédente de « mécanisation des travailleurs » étant
remplacées par celle des outils robotiques, physiques ou algorithmiques.

Sociétés de l’information, du savoir, de la connaissance


Les questions de l’information, puis du savoir et de la connaissance, ont
constitué des préoccupations théoriques ou disciplinaires majeures dans
les années d’après-guerre, tant dans le domaine formel (mathématiques et
cybernétique) qu’appliqué. La littérature met en avant les débats autour de
la cybernétique dont les implications politico-diplomatiques ont été souli-
gnées à propos du rôle joué par cette science en République démocratique
allemande (RDA) notamment, et bien entendu le développement progres-
sif de l’informatique et des multiples applications techniques ou concep-
tuelles (automatisation, robotique, simulation et modélisation scientifique).

28 innovations 2017/1 – n° 52
La « grande standardisation » et les transformations du savoir

La modélisation et la simulation sont d’ailleurs devenues l’outil d’observa-


tion et de formalisation scientifique et de production de savoir. De là se
sont développées des sciences du numérique, aujourd’hui particulièrement
en vogue. Ces avancées considérables dans la théorie et l’application des
théories de l’information ont été renforcées (elles en sont pour part constitu-
tives) par les sciences cognitives et les recherches en intelligence artificielle
(Dupuy, 2000).
Les conséquences des technosciences informationnelles et cognitives
sont devenues un point central dans les discours institutionnels et publics
depuis quelques décennies comme une, si ce n’est « la », caractérisation
possible de sociétés, caractérisées comme knowledge societies (Knorr-Cetina,
1999). De fait, on a assisté depuis les années 1980 à la constitution d’un
secteur de production autonome et massif, autour de biens immatériels, dont
la partie la plus visible sera à partir de 1995-1997 la montée en puissance
d’Internet. Internet n’étant d’ailleurs qu’un des aspects d’une explosion de
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la communication et de ses industries, en lien avec les régimes de produc-
tion technoscientifiques contemporains. De nouvelles règles de la standar-
disation productive dans le domaine de la connaissance se sont développées
dans lesquelles jouent à plein les réalités du web et notamment les possibili-
tés du Web 2.0 qui permettent l’intervention des individus, devenant alors
eux-mêmes des auxiliaires de production.
En lien avec l’émergence d’une économie de l’immatériel et de la trans-
formation de la géographie du système mondial de production, les sciences
sociales, les sciences économiques et les pouvoirs publics ont de plus en plus
accordé d’importance à la recherche scientifique, au développement de la for-
mation et de l’éducation et de la connaissance, au sein des entreprises notam-
ment. C’est précisément la conjonction entre des doctrines et analyses de la
théorie économique ou de géographie économique, des politiques publiques
scientifiques et scolaires, ainsi que la promotion de la R&D dans les firmes
qui donne à la période actuelle, depuis les années 1970-1980, sa dynamique.
Cette étape est notamment caractérisée par la généralisation de la scola-
risation au plan mondial dont nous avons fait par ailleurs l’analyse (Ruano-
Borbalan, 2007), par le développement et la standardisation des procédures
de vastes systèmes de production scientifiques eux-aussi intégrés au plan
mondial, et l’avènement des technologies de la communication, des réseaux
et des médias. Bien qu’au plan sociétal on constate un approfondissement
de l’individualisme promu notamment par le marketing (Da Silveira et al.,
2001 ; Da Silveira et al., 2012), la période actuelle ne signifie en rien la fin
de la standardisation des activités intellectuelles ou institutions de savoir,
mais, leur transformation :

n° 52 – innovations 2017/1 29
Jean-Claude Ruano-Borbalan

–– par la « révolution computationnelle » inaugurée par la cybernétique


des années 1940 et 1950 ;
–– par la standardisation des institutions et pratiques scolaires et acadé-
miques ;
–– au travers des technologies et sciences de l’information et de la com-
munication ;
–– grâce à des « techniques intellectuelles » juridiques, managériales ou
d’ingénierie, puissantes et renouvelées.
Les sociétés de l’information et de la connaissance sont aujourd’hui
pilotées par des doctrines économiques et politiques dont la littérature des
sciences sociales fait l’analyse. Ces doctrines mettent en avant la supposée
rationalité managériale étendue à toutes les sphères de la société, voire du
comportement individuel dont le résultat attendu est « la performance ».
Leurs effets réels sont bien plus complexes et souvent « pervers » en termes
d’inégalité, de lien social ou de bien-être.
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Du point de vue des régimes de production et circulation des savoirs
et connaissances l’une des caractéristiques majeure est l’avènement à des
dimensions inégalées des évaluations et comparaisons à toutes les échelles.
Ces évaluations, permises pour l’économie et les activités de production ou
diffusion de la connaissance, par des techniques managériales et de consul-
tance, ont été reprises par les institutions internationales et justifiées par
les sciences de gestion et l’économie. Ces vastes pratiques et doctrines
d’évaluation sont accompagnées par une utilisation de plus en plus forte de
l’expertise scientifique, dans tous les domaines de la vie sociale, au plan juri-
dique, économique, etc. Les institutions scientifiques ou universitaires et les
systèmes d’éducation, quant à eux, usent, sous la pression des institutions
politiques et économiques internationales, mais aussi en raison de luttes et
compétitions internes, de l’évaluation comme forme de cadrage de la pro-
duction de connaissance.
La question de l’évaluation est évidemment au cœur de la gouvernance
des grands systèmes technoscientifiques contemporains, notamment au cœur
des questions posées par le développement humain, social, économique et
les questions majeures que posent les activités humaines en matière environ-
nementale, climatique, etc.
Désormais, les politiques de croissance passent dans de nombreux pays
par des subventions à la recherche, par le développement de l’enseignement
supérieur et du développement des territoires innovants et créatifs : pôles de
compétitivité, districts et clusters. Elles passent, en entreprise, par une meil-
leure information des divers acteurs, par le développement de la R&D ou de
la formation, par des réformes des droits de propriété intellectuelle (brevets,

30 innovations 2017/1 – n° 52
La « grande standardisation » et les transformations du savoir

etc.). La question de l’innovation, portée depuis un demi-siècle et de plus


en plus comme idéologie positive des discours politiques ou économiques
en matière économique, constitue un corollaire des théories économiques
mettant en avant le rôle des facteurs informationnels ou de recherche et
développement, tant publics que privés3.
La question pour les pouvoirs publics est donc devenue, dans les années
1990 à 2000, de savoir comment optimiser le processus d’innovation indus-
trielle, par le développement de la formation et de la recherche, mais aussi
de savoir comment articuler le micro-économique (l’entreprise) et le macro-
économique (les territoires et politiques publiques d’incitation, de recherche
et d’éducation). Cette interrogation politique s’est appuyée notamment sur
des travaux de sciences économiques développés autour des « variétés » du
capitalisme ou des systèmes territoriaux de recherche et d’innovation (Paris,
Veltz, 2010).
L’un des versants de l’engagement politique s’est incarné dans la volonté
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affirmée par les Etats de l’OCDE et l’Union Européenne, par exemple, de
promouvoir la formation tout au long de la vie, comme réponse aux boule-
versements en cours dans le système productif et sur le marché du travail.
L’Union européenne, la Banque mondiale et toutes les instances poli-
tiques s’accordent aujourd’hui sur la doctrine selon laquelle « l’apprentissage
tout au long de la vie » est le pendant nécessaire d’une économie globalisée
basée sur la connaissance. Cette volonté politique est relayée dans chaque
institution ou entreprise, par le développement des « ressources humaines »,
également d’une ingénierie de production de connaissances technoscienti-
fiques ou managériales, et enfin d’un développement des systèmes d’informa-
tion comme enjeux majeurs.
Ainsi, pour la période contemporaine, celle qui a vu émerger un monde
connecté, globalisé, le rôle et la place des secteurs et régimes de production
ou de propagation de la connaissance sont devenus l’une des dimensions
majeures du développement économique ou sociétal. L’un des points cen-
traux de la mise en place d’une société et d’une économie de la connais-
sance étant le développement de la formation, et particulièrement dans les

3.  Quoique le terme « innovation » et son utilisation ait une histoire et des acceptions fort diffé-
rentes selon les époques, il permet par sa plasticité, son imprécision et sa généralité de construire
des interprétation à de multiples échelles ( Nations, territoires, firmes, individus), et aux confins
de plusieurs disciplines (économie, science politique, sociologie des sciences et technologies,
urbanisme, design, sciences de gestion, psychologie, sciences de l’ingénieur, etc.) et développer
des vision cohérente de l’évolution économique ou politique: comme dans la communauté des
économistes, politistes et sociologues de l’innovation institutionnelle qui développe des analyses
en termes de systèmes nationaux, régionaux ou locaux d’innovation (voir Boutillier et al., 2014).

n° 52 – innovations 2017/1 31
Jean-Claude Ruano-Borbalan

dernières décennies, celle de l’enseignement secondaire et supérieur, dans


le lien possible et nécessaire avec le développement industriel dans toutes
ses dimensions. La dimension individuelle, en l’occurrence l’emphase sur la
créativité et l’entrepreneuriat est devenue aujourd’hui l’un, si ce n’est sou-
vent le principal, objectif des cursus de formation et des universités dans leur
totalité (Pavlin et al., 2016).

LA STANDARDISATION SCOLAIRE
ET UNIVERSITAIRE
Comme l’ont montré les travaux des historiens et sociologues ou les pro-
ductions des grands organismes internationaux comme l’OCDE, la Banque
mondiale ou l’UNESCO, l’éducation constitue une part absolument essen-
tielle de la société, tant par les coûts ou la taille des institutions, que par les
objectifs qui lui sont assignés. Or, un certain nombre de transformations
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assez massives se sont produites au sein des systèmes éducatifs et de forma-
tion au cours de la seconde moitié du 20e siècle et au début du 21e siècle. On
a observé en particulier au plan mondial une généralisation des institutions
d’enseignement, ayant peu ou prou adopté la forme scolaire occidentale.
Aujourd’hui, par exemple, contrairement à ce qu’on observait un siècle plus
tôt, on trouve des lycées quasiment partout. Ce mouvement est en cours
de généralisation pour les universités, même si la proportion de jeunes qui
fréquentent l’enseignement supérieur n’atteint jamais la totalité d’une classe
d’âge – ce qui est le cas pour la part obligatoire de l’enseignement (de 5/6 ans
à 15/16 ans) – mais plafonne au seuil d’environ 45-50% (Ruano-Borbalan,
2017).
Cette globalisation s’accompagne d’une standardisation majeure des
« processus de production » de transfert/diffusion et d’apprentissage du savoir,
particulièrement du savoir scolaire. La question des types de savoirs et disci-
plines scolaires est certes différenciée selon les pays, pour ce qui concerne les
fondements de l’apprentissage de la langue nationale ou de la citoyenneté,
mais la nature et les formes d’apprentissages dans les disciplines de connais-
sance sont convergentes, et les modalités professionnelles de diffusion et
formes d’évaluation, sont relativement similaires. Comme l’ont montré les
analyses comparatives, les similarités et convergences se sont développées de
plus en plus au plan mondial, notamment sous l’effet puissant de l’importa-
tion des modèles occidentaux de transmission et l’adoption des cursus fondés
sur les disciplines scientifiques ou techniques (Yates, Young, 2010).
Les savoirs d’origine universitaire se sont progressivement imposés
dans le monde comme cadrage du cursus scolaire, au fur et à mesure de

32 innovations 2017/1 – n° 52
La « grande standardisation » et les transformations du savoir

la modernisation industrielle, et particulièrement après la seconde guerre


mondiale. L’historique des réformes des cursus scolaires en France montre,
par exemple, les remplacements de formes disciplinaires au sein du système
éducatif, entre les années 1930 et les années 1980. On y constate notam-
ment la disparition progressive du latin – ancien moyen de sélectionner les
élites – au profit des mathématiques, considérées comme plus démocratiques,
plus accessibles à tous, à l’origine de leur avènement dans les années 1960.
De manière générale, on observe tout au long du 20e siècle une importa-
tion à l’intérieur même du système éducatif des débats et réalités d’avance-
ment des disciplines scientifiques et universitaires, mais il s’agit alors de réa-
lités « digérées » par le système éducatif et inséré grâce à ses propres normes
de fonctionnements institutionnels et justifications.
L’un des aspects visibles de la liaison de plus en plus forte entre système
d’éducation et régime de production scientifique est l’existence et le déve-
loppement dans tous les pays développés de puissantes politiques de diffu-
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sion de la culture scientifique (vision française) et du public understanding of
science ou public communication of science, selon les pays.
Au cours du 20e siècle, on a donc assisté à l’incorporation des formes
scientifiques dans le système éducatif comme déterminant ultime de ce que
l’on doit enseigner, du moins pour les parties supérieures de l’enseignement.
Si les savoirs scientifiques et scolaires sont liés, mais distincts4, nous
savons en revanche de manière de plus en plus renseignée que depuis les
années 1950 la convergence se développe dans un souci de diffusion des
savoirs scientifiques par l’école, tant pour des questions de définition de la
« culture scientifique » nécessaire à des sociétés avancées et de plus en plus,
pour concourir au développement économique (Schiele et al., 2012).
L’interprétation des phénomènes contemporains de standardisation du
savoir suppose la prise en compte d’une triple poussée. D’abord, la comparai-
son et les transferts de forme pédagogique ou administrative, dont l’OCDE
ou l’Union Européenne, par exemple, sont les acteurs principaux. En second
lieu, la standardisation du régime de production de savoir scientifique et sa

4.  Les savoirs scolaires et universitaires ne se confondent pas. Si les disciplines scientifiques,
au plan académique et universitaire, sont déterminées par la capacité à trouver des doctorants
et à avoir des écoles doctorales reconnues, les disciplines scolaires sont quant à elles toujours
déterminées par des considérations politiques et internes aux systèmes eux-mêmes : en France,
par exemple, par la négociation des ordres d’enseignement, représentés par leurs inspections, les
universitaires spécialistes, les syndicats, etc. qui tentent contradictoirement de définir et préser-
ver des territoires qui intègrent certes les savoirs académiques, mais aussi des traditions propres
à l’enseignement. Prenons l’exemple de l’économie. On ne peut que noter la distance entre la
discipline économique académique et la discipline économique enseignée dans les lycées et les
classes préparatoires, distance qui fait d’ailleurs régulièrement l’objet d’âpres débats.

n° 52 – innovations 2017/1 33
Jean-Claude Ruano-Borbalan

massification. Et en troisième lieu, le développement de possibilités liées aux


outils numériques, à l’utilisation des données massives ou à la scientométrie,
etc. On pourrait prendre, pour illustrer ce point, l’exemple de l’architecture
et du design. Dans ces disciplines, qui sont à la fois des secteurs industriels et
des disciplines de connaissance, les formes de conception et de production,
d’accompagnement et suivi de projets étaient jusqu’à une période récente
pour l’essentiel « non standardisées ». Du moins l’étaient-elles au sein de
cultures professionnelles, de lieux d’apprentissage quasi « compagnonique »
du projet, et d’écoles à forte identité. Les pratiques, comme les formes d’ap-
prentissage ou cadrages intellectuels, sont de plus en plus unifiées par la
numérisation et l’usage des outils numériques.

Standardisation des compétences


Au début du 21e siècle, l’innovation technoscientifique ou organisa-
tionnelle, le développement du savoir scolaire et universitaire, sont désor-
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mais considérés comme les meilleures manières de développer la croissance
économique. Les débats de politique économique ne portent plus sur ces
points, mais sur les meilleures manières de contribuer au développement
du savoir (politiques et structuration de la recherche) ou du transfert des
savoirs et d’information, qu’ils soient tacites ou formels, incorporés au sein
de systèmes informationnels et de réseaux, etc. De ce fait, on constate d’ail-
leurs aujourd’hui le renouvellement de très vieilles interrogations autour des
connaissances à transmettre : la question des humanités qui a, par exemple,
agité les débats sur les contenus scolaires pendant plus d’un siècle, reprend.
Le débat sur les humanités techniques et scientifiques qui s’est développé
fortement à partir des années 1950-60 est aujourd’hui revivifié, notamment
autour des questions de literacy numérique, de l’apprentissage du « code »
mais aussi des formes de l’enseignement scientifique, ou technologique5.
En contrepoint, la question des compétences a émergé, initiée dans les
années 1960, comme une manière de désigner des types de savoirs com-
plexes, non formatés, que la psychologie ou les sciences de gestion com-
mençaient à mettre au jour : le tacit knowledge notamment. De nombreuses
réflexions sont aujourd’hui développées autour de cette notion de compé-
tences, très présente, mais aussi critiquée, au sein des sciences de l’éducation.
L’OCDE et l’Union Européenne mettent en avant la notion de key compe-
tencies, qu’il faudrait promouvoir et généraliser sur base de modèles standards

5.  Voir par exemple le rapport de l’académie des sciences : enseigner l’informatique à l’école,
il est urgent de ne pas attendre, mai 2013 (http://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/
rads_0513.pdf).

34 innovations 2017/1 – n° 52
La « grande standardisation » et les transformations du savoir

(Hutmacher, 1997). Ces key competencies ne sont pas des savoirs au sens
scolaire ou universitaire de production écrite ou orale, évaluable par une
note ou par jugement des pairs, mais concernent des aspects de communi-
cation, de compétences générales en mathématiques et en technologie, des
compétences digitales, des capacités d’apprendre à apprendre, des capacités
entrepreneuriales, de créativité, etc. Leur définition est un approfondisse-
ment potentiel de la mise en place de comportements commun, destinés à
fournir aux individus des capacités de s’adapter aux exigences économiques,
citoyennes, sociales : core competencies, selon les vocables managériaux ou
technocratiques européens par exemple.
La question de la production, la circulation et la diffusion du savoir légi-
time n’est pas tranchée. Nombreux sont les auteurs qui partant de divers
points de vues (rôle de l’information et de la communication, transformation
des processus économiques, rôle politique des mobilisations et de la démo-
cratie technique, modèles d’éducation coopératifs, future studies, etc.) font
l’hypothèse d’une transformation radicale en cours. L’émergence de l’imma-
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tériel constitue le point nodal d’une transformation majeure de l’histoire
humaine, qui, pour certains, s’accompagnent même de mutations radicales
dans les conceptions, et façons de penser le monde (Passet, 2010).

Savoir formaté versus innovation/créativité :


quel paradoxe ?
Dans cette veine, on se focalise aujourd’hui beaucoup, dans la littérature
sur le savoir et le transfert des connaissances, sur des formes individualisées
ou plus libérales d’apprentissage, historiquement présentes dans les formes
techniques ou spécialisées de l’enseignement obligatoire, là où la reproduc-
tion des élites sociales, économiques ou politiques est moins prégnante, mais
aussi dans des perspectives réformatrices au plan pédagogique. Elle s’incarne
cependant de plus en plus là où l’on a besoin de développer la créativité
destinée à l’innovation, et surtout la customisation marketing (écoles d’ingé-
nieurs ou de design, autour des formes pédagogiques par projet par exemple).
Cette vision lie le développement des apprentissages aux capacités des nou-
velles technologies dites « collaboratives », immersives et autres réseaux (de
Boissieu et al., 2015). Cependant, ces approches prônent le plus souvent
l’innovation pédagogique pluridisciplinaire ou/et la coopération créative
en matière pédagogique au nom des visions du projet et du design thinking.
Une recherche en cours, menée en collaboration par l’auteur, montre d’une
part que la dialectique entre transmission d’un savoir standardisé et défini-
tion d’un savoir situé, par projet, individualisé, est ancienne dans les écoles
techniques ou d’ingénieurs et d’autre part qu’une convergence est en cours,

n° 52 – innovations 2017/1 35
Jean-Claude Ruano-Borbalan

autour de formes dites de design schools entre les approches historiques de


pédagogie actives et les traditions de l’entrepreneuriat. Ce constat s’oppose
notamment à l’idée développée dans certains milieux de l’information et
de la communication selon laquelle une première standardisation (la forme
scolaire) sera remplacée grâce à une modification majeure dans les modes
d’apprentissage, due à l’utilisation des technologies de communication.
De manière plus vraisemblable, les deux phénomènes sont conjoints et le
système standardisé (forme scolaire, production de recherche et de science,
production et traitement de données massives) intègre des formes de « créa-
tivité autorisée », et même souhaitée, pour le développement de l’économie
et de la citoyenneté.
Le constat que nous faisons, ici, au-delà des hypothèses volontaristes de
l’innovation par la « créativité » et l’usage des outils numériques, clef sup-
posée de la performance individuelle et collective, demeure que la base et
arrière-plan des transformations contemporaines réside en une standardisa-
tion de plus en plus forte, de plus en plus complète du savoir et de la connais-
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sance. La forme scolaire de transmission des savoirs, nous l’avons montré par
ailleurs, est massivement victorieuse au plan mondial, pour les parties secon-
daire et supérieure des institutions scolaires et universitaires. C’est en effet
bien le modèle de la classe exporté partout dans le monde, qui cadre et for-
mate la transmission du savoir, bien qu’évidemment il ne s’agisse que d’une
part du savoir social ou individuel. L’introduction des « Moocs », tableaux
interactifs et autres outils connectés au sein des pratiques scolaires ne sont pas
pour l’heure une transgression réelle de ce modèle. La modification en cours,
autour des design schools et de leur cursus renouvelés par projet, s’adresse pour
l’heure à la partie finale du système de transmission scolaire. Ces formes
d’apprentissage par projet ou collaboration interdisciplinaires sont pour l’es-
sentiel très restreintes et cantonnées à des franges spécifiques des systèmes
de production de la connaissance « légitime ». Le tour pris par la standar-
disation des activités de production scientifique (unification mondiale des
formes universitaires et des évaluations individuelles ou institutionnelles)
elles-mêmes, et ce malgré de vibrants plaidoyers pour la reconnaissance du
rôle de la « curiosité » ou de la créativité scientifique, va dans le même sens.
En fait, il semble que le développement technoscientifique, notamment
dans les domaines des réseaux, de l’innovation, de l’intelligence artificielle,
malgré son caractère majeur et global, n’ait pas particulièrement vocation à
transformer le processus dominant de transfert et de production de savoirs et
connaissances légitimes. Ceci étant, et les recherches manquent pour l’heure
pour en mesurer et l’ampleur et la potentialité, des phénomènes intéressants
sont à l’œuvre dans la période récente : création de cadres autonomes de
formation dans les milieux entrepreneuriaux innovateurs ; convergences

36 innovations 2017/1 – n° 52
La « grande standardisation » et les transformations du savoir

de pratiques issues d’horizons très différents dans des lieux comme les
« fab labs » et autres lieux participatifs, mise en avant par les institutions
étatiques ou internationales de la nécessité de promouvoir la controverse, la
délibération, la pluridisciplinarité, etc.
La réalité des institutions de production et de transmission de connais-
sances est pour autant et de manière massive, toujours fondée sur le contrôle
de la qualité dans le cadre d’un vaste processus de certification et de diplômes
ou carrières (par exemple le processus de Bologne en Europe). Les systèmes
scolaires et universitaires sont conçus essentiellement comme des succes-
sions de barrières filtrantes. Ces systèmes de production sont intégrés à des
ensembles plus vastes, politiques et économiques au plan territorial, qui sont
autant de milieux de circulation et de transfert de connaissances multiples,
et pas seulement scientifiques ou scolaires.
L’hypothèse « utopique » d’une transformation radicale de la production
et de la circulation des savoirs, due à la généralisation numérique ou au déve-
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loppement par tache d’huile de formes pédagogiques par projet ou issues des
fortes traditions de pédagogies actives (Montessori, Freinet, etc.), n’est pas
vérifiée dans le cœur des institutions scientifiques ou scolaires. La culture
scolaire et universitaire, si massive, demeure toujours distincte des autres
formes contemporaines de culture, notamment de la culture numérique en
général et de celle des jeunes en particulier.
Si l’école, les universités et l’enseignement supérieur voient leur mode
traditionnel de légitimation contesté, ce n’est pas directement, mais par des
comportements de résistance et de déviance : hacking, plagiat, etc. (Losh,
2014). Psychologues et pédagogues observent aussi que les nouvelles généra-
tions de digital natives résistent par la passivité vis-à-vis des savoirs de l’école
ou de l’Université. Ils pratiquent en toutes circonstances, grâce à des termi-
naux mobiles, une multi-activité et multi-connexion, dont on ne sait pas
encore si elles auront des conséquences sur tout le cycle de vie des individus.
La remise en cause la plus directe des savoirs scolaires et universitaires
provient des cercles de production de la culture numérique et des industries
de la communication elles-mêmes, notamment des essayistes et consultants
américains dont les succès de librairie sont considérables, et plus directement
des milieux industriels eux-mêmes. Le présent article se place en contrepoint
de la littérature fort nombreuse qui, de Manuel Castells à René Passet, des
Future studies aux multiples instituts et think tanks éducatifs, qui « parient »
sur une transformation radicale des modèles de pensée, dont le soubassement
technique serait les réseaux et les outils de communication. Cependant, si
l’on continue de prendre comme point d’analyse les systèmes d’enseignement
et les systèmes de production de la connaissance scientifique, on constate

n° 52 – innovations 2017/1 37
Jean-Claude Ruano-Borbalan

que le renforcement de long terme de la standardisation scientifique, sco-


laire et Etatique exacerbe la contradiction au sein même des institutions
entre des formes routinières et des formes collaboratives ou individualisées
(Wannenmacher, 2014).
Ce que nous avons dénommé la « grande standardisation », qui conduit
globalement à prétendre à la rationalité indiscutable de toutes les formes
dominantes de régulation et de cadrage, notamment au plan du savoir et
de l’économie, s’accompagne en réalité de formes de mobilisations et argu-
mentations plus nombreuses en situation d’actions. Elle s’accompagne égale-
ment et comme toujours, de l’émergence d’un contre discours critique, certes
minoritaire, mais puissant au sein du corps social, comme de la littérature
d’ordre scientifique. L’un des lieux ou les émergences de ces contestations
sont particulièrement visibles est par exemple celui de la « démocratie scien-
tifique et technique », soit l’ensemble des rapports et conflits entre science,
techniques et société politique (Lequin, Lamard, 2014).
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Selon une étude menée par la fondation européenne des sciences, la
science et la technique sont au cœur d’enjeux d’expertise ou de conflits por-
tés par des acteurs de plus en plus divers, mais surtout construites par des
acteurs multiples6. L’élévation des niveaux de scolarité et le développement
des médias et réseaux interactifs influent de manière cruciale sur les rela-
tions entre science et société (Rosanvallon, 2015). De nombreux acteurs
développent des compétences qualifiées « d’expertise interactionnelle » qui
occasionnent et sous-tendent des débats et discussions à propos des activités
technoscientifiques et leurs conséquences environnementales, sociales ou
politiques.

CONCLUSION
L’extension des formes de la standardisation et rationalisation du savoir
et de la connaissance s’enracine en longue durée. Nous avons montré le rôle
central d’une alliance entre les besoins de l’administration, tant industrielle
qu’étatique et les nécessités (ou possibilités des savoirs technoscientifiques).
Cette standardisation est particulièrement spectaculaire dans la période
contemporaine, notamment en raison de trois phénomènes majeurs : la géné-
ralisation de la forme scolaire, la création d’un régime de production scien-
tifique planétaire standardisé dans ses formes et contenus, le développement

6.  Voir notamment les travaux de la Fondation Européenne de la Science (2013) : Science
in Society: Caring for Our Futures in Turbulent Times, Science Policy Briefing, Strasbourg, juin
(http://www.esf.org/fileadmin/Public_documents/Publications/spb50_ScienceInSociety.pdf)

38 innovations 2017/1 – n° 52
La « grande standardisation » et les transformations du savoir

de technologies de la communication puissantes. Aujourd’hui, la standardi-


sation du savoir est reliée à des justifications idéologiques dans lesquelles les
doctrines économique ou managériale joue un rôle central, au travers d’une
exclusive réalité ou volonté de « gouvernance par les nombres » (Supiot, 2015).
L’avènement des cultures et technologies ou industries de l’information
et de la communication ne change pas le fait que la culture scolaire et uni-
versitaire demeure toujours le premier cadre de production des standards de
connaissance et de culture, distincts des autres formes contemporaines de
savoirs ou de cultures, notamment de la culture numérique en général et de
celle des jeunes, qui comporte des codes et pratiques souvent orthogonales à
« l’ethos », aux fonctions ou pratiques scolaires ou universitaires.
Au total, la période contemporaine peut être considérée comme une
étape supplémentaire dans la rationalisation et standardisation des systèmes
de production, tant de connaissances que de bien matériels, désormais prati-
quement indistincts (Paris et Veltz, 2010).
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La standardisation s’effectuant désormais sur des registres multiples, liés
à la production scientifique ou économique, aux modèles et usages urbains,
à la médiatisation, à la formation et éducation, notamment au travers de
modèles comportementaux et de définitions de compétences sociales, cultu-
relles ou politiques communes.

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