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LA FIN DE LA LUTTE FONCIÈRE ?

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Éric Charmes

Fédération Française du Bâtiment | « Constructif »

2020/3 N° 57 | pages 29 à 33
ISSN 1950-5051
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-constructif-2020-3-page-29.htm
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Nouvelles
stratégies et
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nouveaux
horizons

30 La fin de la lutte foncière ?


• Éric Charmes

34 Dissocier foncier et bâti : une idée d’avenir ?


• Bernard Vorms

38 Développer la surélévation
• Didier Mignery

43 Les futurs débats du foncier


• Sonia Guelton

47 Vers des villes flottantes ?


• Julien Damon

52 Conquérir du foncier dans l’espace


• Isabelle Sourbès-Verger
FONCIER : FONDAMENTAUX ET IDÉES NEUVES

La fin
de la lutte
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foncière ?  1

Éric
Charmes
Directeur de recherche à l’École nationale des travaux
publics de l’État (ENTPE), auteur notamment de La revanche
des villages. Essai sur la France périurbaine (2019).

1. Ce texte prend appui sur une recherche dont on trouvera les principaux résultats dans Coline Perrin et Brigitte Nougarèdes (dir.), Le foncier agricole dans une société urbaine.
Émergence d’innovations locales, Cardère, 2020. L’auteur de ces lignes a écrit la postface de l’ouvrage.
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Éric Charmes
Réalités sociales et utilisation des espaces n’opposent plus frontalement un monde
urbain et un monde rural. La dynamique de périurbanisation change la donne, avec une
hybridation croissante entres les villes et les campagnes. Destination et prix du foncier
n’en demeurent pas moins des enjeux d’importance. Fortes disparités et tensions
élevées affectent les terres agricoles, tandis que l’agriculture devient de plus en plus
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périurbaine et multifonctionnelle.

E
n France, le prix moyen des sols exploitables la pression foncière augmente, autour des métro-
en agriculture est de l’ordre de 60 centimes poles notamment, les digues réglementaires tendent
d’euros le mètre carré, contre plusieurs cen- à céder : comment les propriétaires qui siègent au
taines d’euros pour les terrains construc- conseil municipal d’une commune de quelques cen-
tibles autour des grandes métropoles. À l’hectare, cela taines d’habitants peuvent-ils résister à la tentation
signifie quelques milliers d’euros contre quelques de juteuses plus-values ? Pour empêcher les reculs
millions. Dans de telles conditions, l’activité agricole de l’agriculture, l’enjeu est de consolider la ligne de
ne peut se maintenir qu’en étant protégée. Jusqu’ici front et d’empêcher les propriétaires fonciers et les
les digues ont longtemps eu du mal à tenir face à élus locaux de céder à la tentation. L’un des moyens
l’ampleur des enjeux financiers. La pression est de le faire est de changer d’échelle, de construire un
forte et les surfaces agricoles diminuent régulière- cadre national contraignant pour contrer les intérêts
ment. Face à ce constat, depuis quelques années, les qui s’expriment dans les conseils municipaux. L’érec-
discours contre l’artificialisation sont devenus plus tion de la lutte contre l’étalement urbain puis, plus
fermes. Un objectif radical est même affirmé : zéro récemment, du zéro artificialisation nette en enjeux
artificialisation nette (ZAN) 2. Cet objectif s’inscrit nationaux est à comprendre dans cette perspective.
toutefois dans une vision un peu datée des rapports
entre les mondes urbain et agricole, où ce que les La périurbanisation a toutefois brouillé les cartes.
uns gagnent serait perdu par les autres. Les rapports Les espaces urbains s’y entremêlent avec les espaces
entre la ville et l’agriculture s’inscrivent de moins en ruraux. Cette hybridation de la ville et de la cam-
moins dans cette logique dichotomique pour devenir pagne n’est pas transitoire mais stable. Les ménages
plus complémentaires et coopératifs. Les évolutions qui s’installent dans les campagnes proches d’une
restent certes modestes, mais elles semblent plus grande ville ne viennent pas seulement chercher un
prometteuses que l’application des logiques comp- logement. Ils recherchent également un cadre de vie.
tables qu’affectionnent les administrations centrales. Pour ces ménages, la priorité est la préservation du
cadre campagnard dont ils bénéficient, ce qui veut
La fin du front contre front dire protéger les espaces non bâtis, naturels bien sûr,
mais aussi agricoles. Dans les conseils municipaux,
Face à la pression de l’urbanisation, le monde agri- cette priorité conduit à prendre des dispositions
cole n’est pas démuni et dispose d’armes solides pour réglementaires qui bloquent l’urbanisation. Pour cette
défendre ses terres. Dans les campagnes isolées, ses raison, la périurbanisation n’est pas la première étape
représentants dominent largement les conseils muni- d’une avancée du front urbain au terme de laquelle
cipaux et donc les procédures d’élaboration des règle- l’agriculture est appelée à ne plus jouer qu’un rôle
ments d’urbanisme. Or, il suffit que ces règlements résiduel. La périurbanisation correspond plutôt à la
interdisent toute nouvelle construction pour que la disparition de la ligne de front ou, si l’on préfère, à sa
pression foncière exercée par la ville voisine reste démultiplication sur des dizaines, voire des centaines
aux portes de la commune. Cependant, une chose est de communes (la couronne périurbaine d’une métro-
d’avoir des outils, une autre est de s’en servir. Lorsque pole comme Lyon compte environ 370 communes).

2. Sur l’artificialisation, voir la brève synthèse rédigée pour le site Fonciers en débat par Jean Cavailhès, « L’artificialisation des sols en dix questions-réponses », avril 2020
(https://fonciers-en-debat.com/lartificialisation-des-sols-en-dix-questions-reponses/). Voir aussi, dans cette livraison de Constructif, les contributions de Jean Cavailhès et
Bernard Coloos.

CONSTRUCTIF • no 57 • Novembre 2020


Cet entremêlement de la ville et de la campagne n’être plus qu’une fonction parmi d’autres. L’agri-
est loin d’être une question secondaire. Les cou- culture devient multifonctionnelle. Dans une même
ronnes périurbaines n’accueillent pas seulement exploitation, des démarches de valorisation du
des citadins en mal de campagne, elles constituent patrimoine croisent des actions pédagogiques, des
aujourd’hui le principal lieu d’exercice de l’agricul- initiatives pour l’entretien et la mise en valeur du
ture : environ trois quarts des exploitations agricoles paysage ou encore la promotion des circuits courts.
françaises se trouvent dans le périurbain 3. Dans ce La production agricole n’est parfois plus qu’une par-
contexte, la question du foncier agricole n’est plus tie de l’activité du domaine, et encore celle-ci se
celle d’un territoire bien délimité qu’il faudrait doit-elle d’être bio et non conventionnelle.
défendre face à des agressions extérieures. Il n’y a
plus, front contre front, un monde rural d’un côté et Les nouveaux leviers des politiques
un monde urbain de l’autre. Les deux se sont entre- foncières locales
mêlés et la principale question est de savoir com-
ment les faire fonctionner ensemble. Ces évolutions de l’agriculture sont favorisées par
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l’intervention d’acteurs extérieurs aux mondes agri-
Vers une nouvelle agriculture coles. Si l’on s’en tient aux questions foncières, cette
implication se manifeste par trois leviers principaux.
La nouvelle donne bouleverse les équilibres entre Le premier consiste, sans acquérir le foncier, à trou-
les acteurs agricoles. Les exploitants bio ou écores- ver des usagers intéressés par un projet particulier et
ponsables, encore relativement marginaux il y à convaincre les propriétaires de les accueillir. Cette
a peu, ont de plus en plus le vent en poupe. Cela démarche peut être pilotée par des acteurs du monde
tient évidemment aux mutations de la demande des agricole, mais l’impulsion est souvent urbaine, don-
consommateurs, mais pas seulement. Les voisins née par des municipalités ou des intercommunalités.
des exploitations agricoles sont en effet de plus en Un deuxième levier d’intervention est l’acquisition
plus sensibles à l’impact sur leur santé du recours foncière. Posséder le foncier ne permet pas toujours
aux pesticides. Ils appuient donc les initiatives en d’y faire ce que l’on veut, mais lorsque le contexte s’y
faveur de l’agriculture bio. Ainsi, un acteur tel que prête, il est possible de favoriser l’implantation d’une
Terre de liens, qui vise à faciliter l’accès au fon- exploitation bio, d’attirer des maraîchers désireux
cier des exploitations paysannes et bio, trouve des d’écouler leur production en circuit court ou, tout
appuis forts, y compris financiers, dans le monde simplement, d’éviter l’enfrichement. Un troisième
périurbain, alors que sa légitimité reste limitée dans levier réside dans la réglementation des usages des
le monde agricole dit conventionnel. sols et dans les documents de planification. Une évo-
lution importante porte sur la dimension temporelle
Les formes de distribution sont également redéfi- du zonage. Il ne suffit pas en effet de maintenir des
nies, avec notamment le développement des circuits terres en zone agricole pour empêcher le déclin de
courts. Outre leurs enjeux pour l’environnement et la l’agriculture. Le maintien de cette dernière peut se
santé, ces évolutions sont le signe d’une demande de heurter à la « rétention foncière », une attente spé-
nouveaux rapports entre consommateurs et produc- culative d’une évolution du zonage. Pour dissuader
teurs, dont témoignent les Amap (associations pour le de telles anticipations, les collectivités périurbaines
maintien d’une agriculture paysanne). Face à de telles se lient de plus en plus souvent les mains sur le
attentes, le caractère périurbain de l’agriculture est temps long. Les zones agricoles protégées (ZAP) et
une ressource. La proximité de la ville garantit une les périmètres de protection et de mise en valeur
clientèle large pour une distribution en circuit court. des espaces agricoles et naturels périurbains (PPAEN,
PEAN ou PENAP selon les cas) comprennent ainsi des
Des transformations des activités agricoles sont clauses qui, sur la longue durée, rendent extrême-
aussi induites par des perceptions négatives de ment difficile toute ouverture à l’urbanisation.
certains de leurs impacts. Le maraîchage est ainsi
critiqué pour la dégradation des paysages due au Ces différents leviers peuvent être articulés. Les pro-
recours extensif aux bâches plastique. L’élevage tections réglementaires sont ainsi souvent accompa-
peut également engendrer des tensions, en raison gnées par des projets de territoire, associant acteurs
de nuisances olfactives ou sonores. Le voisinage de l’agriculture et acteurs de l’aménagement. Dans
entre agriculture et espaces urbanisés soulève éga- ce registre intégré, il faut signaler les parcs naturels
lement des problèmes liés à la circulation des engins régionaux, les schémas de cohérence territoriale
agricoles ou aux horaires de travail (le moissonnage (Scot) ou encore les « agriparcs ». Les Scot sont entrés
tard dans la soirée n’est pas toujours du goût des récemment dans le jeu des relations entre campagnes
habitants des pavillons voisins). et villes. Traditionnellement, l’agriculture y était trai-
Plus largement, les finalités même du métier d’agri- tée comme une filière spécifique dotée de ses enjeux
culteur se trouvent redéfinies par la périurbanisa- propres, ou les terres agricoles apparaissaient comme
tion. La production de denrées alimentaires tend à des réserves foncières. Aujourd’hui, les Scot ont évo-

3. Monique Poulot, « Agriculture et ville : des relations spatiales et fonctionnelles en réaménagement. Une approche diachronique », Pour, no 224, 2014, pp. 51-66.
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Éric Charmes
lué, et de plus en plus la question agricole est au cœur Les meilleures protections des activités agricoles
des projets de territoire. Les agriparcs se développent sont celles voulues par les populations locales, par
également. Ils sont conçus comme des espaces visant les exploitants comme par les riverains. Avec la
non seulement la protection de l’agriculture dans des périurbanisation, campagnes et villes sont invitées
zones de forte pression foncière, mais aussi le déve- à sortir de la confrontation pour nouer de nou-
loppement de liens forts entre les mondes urbains veaux rapports, et notamment tenter de définir
et agricoles. Ces initiatives se sont largement déve- les conditions de leur coexistence. Bien sûr, ces
loppées en Italie, et ont été reprises récemment dans rapports ne vont pas miraculeusement devenir
quelques métropoles françaises, dont Montpellier, où harmonieux. À l’aune des valeurs foncières, l’iné-
un agriparc est au cœur du projet métropolitain. galité entre les acteurs porteurs de l’urbanisation
et ceux qui défendent l’agriculture reste immense.
Au-delà du zéro artificialisation nette Les compromis qui peuvent être noués s’en res-
sentent et c’est sans doute là qu’un discours ferme
Dans ce contexte, fait d’interactions complexes, de sur l’artificialisation peut être utile, pour rééquili-
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transactions de diverses natures, impliquant des brer les relations.
acteurs variés, à plusieurs échelles, l’objectif de « zéro
artificialisation nette » est loin d’être une panacée. Il Par ailleurs, les demandes faites à l’agriculture ne
est sans doute utile pour fixer un cadre, pour rappe- peuvent pas être sans limites. Les exploitations agri-
ler l’importance d’être précautionneux et de se méfier coles sont des activités économiques et un règle-
des dégâts irréversibles que l’urbanisation peut cau- ment d’urbanisme ne peut suffire à les préserver.
ser au patrimoine écologique que sont les sols. Il Encore faut-il que des conditions favorables à leur
marque par ailleurs une prise de conscience du fait bon fonctionnement soient réunies. L’agricultrice
que les paysages des campagnes et des villages qui ou l’agriculteur idéal, qui entretient un patrimoine
parsèment la France sont trop souvent malmenés par architectural ancien, produit des aliments bio, vend
des petites communes qui manquent de moyens tech- en circuit court, valorise le paysage et organise
niques et financiers pour maîtriser leur urbanisation. des visites pédagogiques de son exploitation doit
Il n’en demeure pas moins que l’objectif du ZAN s’ins- aussi dégager un bilan positif lorsqu’elle ou il clôt
crit dans une logique binaire opposant urbanisation son exercice en fin d’année. Face à ces contraintes,
et agriculture. Cette logique fait mouche parce que la collectivité locale qui veut promouvoir l’agricul-
l’opposition entre ville et campagne continue à impré- ture multifonctionnelle doit avoir les moyens de ses
gner les imaginaires collectifs. Mais cette opposition ambitions, et ces moyens ne pourront pas être seu-
est aujourd’hui datée, en ce qu’elle fait fi de l’entre- lement réglementaires, ils devront aussi être finan-
mêlement des univers urbains et ruraux. Le ZAN et sa ciers. Ces moyens existent : avec les budgets de la
logique comptable, faite de plus et de moins, opposant politique agricole commune, il y a de quoi agir, pour
ville et campagne 4, ne saurait suffire pour travailler à peu qu’on en redéfinisse les objectifs. 
mieux associer les mondes urbains et ruraux.

4. Pour une critique de cette logique, voir Éric Charmes, « L’artificialisation est-elle vraiment un problème quantitatif ? », Études foncières, no 162, 2013, pp. 23-28.

CONSTRUCTIF • no 57 • Novembre 2020

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