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DE LA SPHINGE GRECQUE À LA SURMOITIÉ

Joëlle Fabrega

L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir »

2013/2 N° 84 | pages 103 à 108


ISSN 2258-8051
ISBN 9782905040817
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2013-2-page-103.htm
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exthème
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De la sphinge grecque à la surmoitié
Joëlle Fabrega
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Chimère au buste de femme, au corps de lion, et pourvue d’ailes de rapace, la
sphinge apparaît pour la première fois au VIIIe siècle avant Jésus-Christ dans La Théogonie
d’Hésiode sous le nom de Phyx. Elle fait partie d’une grande lignée de monstres descen-
dant des Titans. Elle appartient « à la même famille de génies funèbres ravisseurs d’âme
que les Sirènes, les Èrinyes ou les Kères »1. Parallèlement à cette tradition, elle est le prota-
goniste de scènes de persécutions ou de rapts « dans lesquelles la victime est toujours un
homme jeune, représenté nu ou à moitié nu, et encore vivant »2. Diverses sources aussi
bien littéraires qu’artistiques de l’époque rendent compte d’une manière précise du carac-
tère sexuel des agressions de la sphinge. Ana Iriarte nous fait remarquer qu’elle ne s’at-
taque qu’aux hommes.
On la dit ravisseuse. Sophocle la désigne comme la « vierge aux ongles crochus »,
attribut de virginité qui, nous le verrons, n’est qu’un semblant de paradoxe. Une étymo-
logie populaire rapproche le nom de Sphinx de sphingein qui signifie étreindre, serrer,
étouffer. L’historienne helléniste Nicole Loraux a montré que, chez les Grecs, la mort
par étouffement est une mort spécifiquement féminine opposée à la mort glorieuse des
guerriers3. Dans Les Sept contre Thèbes d’Eschyle, on retrouve la sphinge qualifiée de
« mangeuse de chair crue »4. C’est une ennemie de la polis et de Thèbes en particulier.
Son espace est littoral entre le sauvage et le civilisé. Aux portes de la ville, elle met la civi-
lisation en péril.

Parole énigmatique et vérité


L’autre caractère de la sphinge c’est, bien sûr, sa parole énigmatique. Dans l’Œdipe roi
de Sophocle, la sphinge est l’« horrible Chanteuse »5 qui, comme les sirènes, immobilise

Joëlle Fabrega est membre de l’ACF–Esterel-Côte d’Azur.


1. Iriarte A., « L’ogresse contre Thèbes », Métis. Anthropologie des mondes grecs anciens, volume II, n° 1, 1987, p. 91,
consultable sur le site : www.persee.fr
2. Ibid., p. 92.
3. Cf. Loraux N., Les expériences de Tirésias. Le féminin et l’homme grec, Paris, Gallimard, 1989.
4. Eschyle, Les sept contre Thèbes, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 39.
5. Sophocle, Œdipe Roi, Paris, Les Belles Lettres, 1958, p. 11.

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Joëlle Fabrega De la sphinge grecque à la surmoitié

et fascine ses auditeurs. Au IVe siècle avant Jésus-Christ, Pindare parle de « l’énigme sortie
des mâchoires sauvages de la vierge »6. L’énigme est là associée directement à la voracité
du monstre. Sophocle l’appelle aussi « la sphinge aux chants divers »7. C’est un chant
« éblouissant » et « insaisissable ». Elle « tisse » une « énigme bariolée »8 qui captive et para-
lyse. Cet être est cependant associé aux Muses qui selon certains auteurs lui auraient
soufflé le texte de ses énigmes. La parole énigmatique a une place éminente dans la civi-
lisation grecque. Jean-Pierre Vernant explique que l’oracle ne ment pas mais ne dévoile
pas pour autant la vérité. « Dans la tragédie, l’oracle est toujours énigmatique, jamais
mensonger. Il ne trompe pas, il donne à l’homme l’occasion d’errer. »9 Héraclite disait
déjà : « Le maître dont l’oracle est à Delphes ne dit ni ne cache, il indique. »10 Dans « La
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logique du fantasme », Lacan avance quant à lui : « la Sphinge, c’est ce qui se présente
chaque fois que la vérité est en cause : la vérité se jette dans l’abîme quand Œdipe tranche
l’énigme »11. Le premier oracle donné à Œdipe n’en fait pas un innocent comme on se
plaît trop à le dire, ainsi que nous le fait remarquer J.-P. Vernant dans Œdipe et ses mythes.
Œdipe qui veut tout savoir, n’a rien voulu savoir du fait qu’il n’était pas l’enfant de
Corinthe12.

La peste et la vérité
La peste, fléau qui s’abat sur Thèbes au décours du règne d’Œdipe, est un avatar de
la sphinge. L’ordre du monde a été une fois de plus désorganisé et la peste vient signaler
ce dérèglement. Une autre sorte d’énigme se pose : quelle est la cause de cette peste ?
Dans son Séminaire L’envers de la psychanalyse, Lacan réfute une idée courante qui
voudrait que ce soit par le meurtre du père qu’Œdipe ait obtenu la jouissance de sa mère.
« Il l’obtient au titre d’avoir délivré le peuple d’une question qui le décime de ses
meilleurs »13. Mais sa réponse a pour effet de clore la question ; en l’occurrence, la ques-
tion de la vérité sur l’homme14. Œdipe, qui fait le maître, supprime « le suspens qu’in-
troduit ainsi dans le peuple la question de la vérité »15. La vérité n’est peut-être pas toute16

6. Pindare, Œuvre, Isthmiques et fragments, tome IV, Paris, Les Belles Lettres, cité par Iriarte A., « L’ogresse contre
Thèbes », op. cit., p. 99.
7. Sophocle, Œdipe Roi, vers 130-131, cité par Iriarte A., « L’ogresse contre Thèbes », op. cit., p. 100.
8. Plutarque, Bruta animalia, IV, Moralia, 988a, cité par Iriarte A, « L’ogresse contre Thèbes », op. cit., p. 100.
9. Vernant J.-P., Vidal-Naquet P., Œdipe et ses mythes, Bruxelles, Éditions Complexe, 2006, p. 16.
10. Héraclite, Fragments, Paris, Aubier Montaigne, 1977, cité par X. Papaïs, « La voix nouée de l’énigme », juin 2009,
article consultable sur le site : www.psychanalyse.lu
11. Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, « La logique du fantasme », leçon du 26 avril 1967, inédit.
12. Œdipe s’est rendu à Delphes pour poser la question de son origine : « Polybe et Mérope sont-ils mes parents ? », ceci
après avoir été traité de fils supposé par un ivrogne lors d’un festin. La réponse obtenue laissait ouverte la question
posée.
13. Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 139. C’est Créon qui propose sa
sœur Jocaste, veuve de Laïos, en mariage à celui qui, parmi les jeunes gens qui choisissent de se confronter à la
sphinge, résoudra l’énigme.
14. À l’inverse de l’oracle qui ne répond jamais directement à une question mais laisse ouverte l’interprétation, Œdipe
clôt par une réponse unique la question de la sphinge.
15. Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, op. cit., p. 140.
16. Cf. Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 509.

La Cause du désir no 84 105


Exthème

dans cette réponse, comme le fait remarquer Lacan dans son Séminaire. De fait, « la
vérité resurgira pour lui, et ce, parce qu’il aura voulu à nouveau intervenir en présence
d’un malheur […] frappant […] sous cette forme ambiguë qui s’appelle la peste, et dont
la sphinge a la charge dans la thématique de l’Antiquité »17.
Dans la lignée des Labdacides, il n’y a pas un rapport droit à l’ordre des choses, à la
filiation en particulier. Œdipe est boiteux. La dette symbolique, le rapport à la castration,
le rapport au savoir sont tortueux. Œdipe est un homme qui refuse de se faire aider, qui
ne veut rien voir, qui ne veut rien entendre, bref, qui n’en veut rien savoir. En répondant
à l’énigme de la sphinge, il croit détenir le savoir sur l’homme mais ne sait rien de sa vérité
à lui. À la fin, « celui qui a deviné l’énigme comprend qu’il est lui-même cette énigme »18.
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Héra

La plupart des monstres de la mythologie grecque sont élevés par Héra. Elle les utilise
au gré de ses colères et de ses indignations. La sphinge fait partie de son bestiaire et elle
l’enverra à Thèbes pour punir Laïos de ses crimes. Héra, la déesse sans cesse offensée,
envoie donc ses bras armés sous la forme de monstres. Sur son versant de femme offus-
quée, ils sont ses avatars. Héra n’est pas seulement la femme mariée acariâtre que l’on
représente populairement, elle est aussi la plus grande de toutes les déesses olympiennes.
Fille des Titans, Cronos et Rhéa, sœur de Zeus et son épouse légitime, elle porte les attri-
buts de la souveraineté. Et si elle intervient régulièrement pour se venger des infidélités
de Zeus, sa colère a parfois d’autres motifs. On connaît son échec lors du jugement de
Paris, mais aussi l’ire qui lui fit aveugler Tirésias lorsqu’il révéla qui de l’homme ou de la
femme ressentait le plus les plaisirs sexuels. Elle entretient un lien avec ce qui concerne
le savoir, le secret et l’énigme. Contrairement à d’autres déesses, elle est toujours repré-
sentée voilée, tout du moins dans l’Antiquité.
Enfin, concernant l’attribut de la virginité, notons qu’Héra se baignait chaque année dans
l’eau d’une source pour recouvrer son hymen. Or, selon Freud, dans son article « Le tabou de
la virginité »19, la défloration a pour conséquence de délier l’hostilité de la femme vis-à-vis de
l’homme. La vierge est une figure de la femme dangereuse. Il n’est donc pas étonnant qu’Héra
et la sphinge partagent cette particularité d’une virginité toujours renouvelée.

Lacan et la surmoitié
Lacan va régulièrement se saisir de la figure de la sphinge, notamment dans les Sémi-
naires « La logique du fantasme », D’un Autre à l’autre et L’envers de la psychanalyse. Mais
c’est dans « L’étourdit » qu’il lui donnera sa valeur finale de surmoi féminin qu’il appel-
lera « la surmoitié »20.

17. Ibid.
18. Interview de J.-P. Vernant par Catherine Unger, « Les grands entretiens », France Culture, 2 mai 2002.
19. Cf. Freud S., « Le tabou de la virginité », La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 66-80.
20. Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, op. cit., p. 468.

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Joëlle Fabrega De la sphinge grecque à la surmoitié

Éric Laurent, dans son bel article « Positions féminines de l’être »21, commente la
prosopopée de la sphinge lacanienne. Il y montre comment Lacan associe dans
« L’étourdit » la position féminine à une position surmoïque lorsque le sujet féminin fait
appel à l’homme à partir de sa jouissance. « Tu m’as satisfaite, petit homme […]. Grâce
à la main qui te répondra à ce qu’Antigone tu l’appelles, la même qui peut te déchirer
de ce que j’en sphynge mon pastoute, tu sauras même vers le soir te faire l’égal de
Tirésias et comme lui, d’avoir fait l’Autre, deviner ce que je t’ai dit. »22 Cet appel est une
exigence de jouissance, mais c’est aussi la proposition d’accéder à un savoir23. À tenter
l’homme d’en faire l’égal de Tirésias, la sphinge fait miroiter la possibilité de la
comprendre, de la deviner. Mais croire la saisir peut revenir à se faire détruire. Lacan fait
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donc de cette exigence de jouissance une exigence surmoïque24.
« C’est là surmoitié qui ne se surmoite pas si facilement »25 ajoute Lacan. On ne peut
répondre à celle-ci avec légèreté. Il ne s’agit pas non plus d’y rajouter en cédant à son
impératif mais plutôt d’y soustraire quelque chose. Il faut amener l’incomplétude de
l’Autre sous les trois formes de l’inconsistance, l’indémontrable, l’indécidable. « Ses dits
ne sauraient se compléter, se réfuter, s’inconsister, s’indémontrer, s’indécider qu’à partir
de ce qui ex-siste des voies de son dire. »26 Quand se fait entendre cet appel de sirène, il
s’agirait de ne pas faire la sourde oreille. Il faut l’affronter de la bonne façon qui serait
ramener le rapport à S(A/) et ainsi, pour le partenaire, de servir « de relais pour que la
femme devienne cet Autre pour elle-même comme elle l’est pour lui »27, soit lui faire
entendre « qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre »28. «[L]es dits de la Sphynge n’ont de
pouvoirs mortels que si on ignore qu’il faut y faire face comme être sexué »29.
Une femme peut se trouver livrée à l’illimité de sa jouissance. C’est l’espace du pas
tout 30. Ainsi, pour certaines, la relation à l’homme peut confiner au ravage et amener à
un état particulier d’affolement et de déréliction. Il revient à celui-ci de lui répondre sans
s’esquiver. Le discours amoureux a en effet fonction de tempérance pour chiffrer sa jouis-
sance. Mais la parole d’amour doit procéder du manque à être et non pas de l’avoir, pour
donner à une femme un supplément d’être qui, dit joliment Dominique Laurent,
« permet le chatoiement de tous les semblants »31, pour que le ravissement n’aille pas
jusqu’à son terme qui est celui de la pulsion de mort.
Quand cet affolement, orchestré par la pulsion de mort, se présente sous sa face agres-
sive, apparaît la femme fatale. Cette figure de la femme dangereuse se retrouve dans

21. Laurent É., « Positions féminines de l’être », Quarto, n° 90, juin 2007, p. 28.
22. Lacan J., « L’étourdit », op. cit., p. 468.
23. Où l’on voit la parenté, que l’on retrouve dans les textes antiques, entre la sphinge et les sirènes.
24. Lacan introduit là un surmoi spécifiquement féminin à distinguer du surmoi paternel freudien et du surmoi maternel kleinien.
25. Lacan J., « L’étourdit », op. cit., p. 468.
26. Ibid.
27. Lacan J., « Propos pour un congrès sur la sexualité féminine », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 732.
28. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 127.
29. Laurent É., « Positions féminines de l’être », op. cit., p. 30.
30. Laurent D., « Le répons du partenaire », La Cause freudienne, n° 48, mai 2001, p. 74 : « L’homme a un rapport struc-
tural à la limite, par le phallus. La femme ne l’a pas. Le rapport à la limite, pour elle, est contingent et relève de
l’amour, de la certitude de l’amour qui vient fixer la dérive pulsionnelle. »
31. Ibid., p. 76.

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Exthème

d’autres aires mythologiques : Lilith, Mélusine, la Vouivre pour n’en citer que quelques-
unes32. Là encore, il s’agit d’affronter, et comme le dit l’écrivain grec Nikos Kasantzaki :
« sans nous faire attacher, par faiblesse, au mât d’une grande idée, ne nous perdons pas
en écoutant et en embrassant les sirènes. Mais poursuivons notre voyage : enlevons les
sirènes, […] et faisons le voyage avec elles »33.

Retour sur Héra


Héra, la déesse voilée, fait figure de gardienne d’un savoir sur la jouissance féminine,
elle qui punit Tirésias d’en vouloir divulguer quelque chose. La sphinge grecque est une
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figure de la pulsion de mort à l’état pur. La sphinge lacanienne est une figure du surmoi
féminin, de l’appel de la jouissance féminine à l’état sauvage. Héra se sert de la sphinge
pour faire la leçon à ceux qui transgressent « la voie juste »34. C’est au prix de sa castration
assumée que l’homme peut braver la privation féminine. Il faut donc faire face à la sphinge
comme être sexué. Elle se présente comme surmoitié à celui qui ne veut pas l’entendre et
c’est cette face obscure de la déesse Héra que vient incarner, selon nous, la sphinge.

L’amante religieuse
« L’extrême de l’érotisme féminin, c’est le fantasme de tuer l’homme. »35 La femme
satisfaite peut fantasmer de tuer l’homme : « Tu m’as satisfaite petit homme », dit la
surmoitié, et « la main qui te répondra [est], la même qui peut te déchirer »36. Dans le
Séminaire XX, Lacan avance : « plus l’homme peut prêter à la femme à confusion avec
Dieu, c’est-à-dire ce dont elle jouit, moins il hait, moins il est […] et, puisqu’après tout
il n’y a pas d’amour sans haine, moins il aime »37. Le danger vient bien de l’homme qui
se prête à soutenir confusion avec Dieu, qui par une curieuse complaisance s’offre à repré-
senter l’Autre de l’Autre. Mais dans ce cas, il cesse d’aimer car il cesse de donner son
manque. Tuer l’homme, serait-ce s’assimiler Dieu ? Tout est consommé, il n’y a plus qu’à
le bouloter. Ce que la sphinge met en acte. Radicale eucharistie38 ! On pourrait appeler
cela le « principe de l’amante religieuse ». Introduire l’inconsistance, permettre à cette
folle amante de faire l’épreuve qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre serait une solution, si elle
y consentait. Reste à le lui dire très gentiment…

32. Cf. Bril J., Lilith ou la mère obscure, Paris, Payot, 1981.
33. Kasantzaki N., Ascèse, Cognac, Le temps qu’il fait, 1988, p. 99-100.
34. Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, op. cit., p. 141 : « si la castration est ce qui frappe le fils,
n’est-ce pas aussi ce qui le fait accéder par la voie juste à ce qu’il en est de la fonction du père ? »
35. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, op. cit., p. 126 : « L’érotisme féminin semble y être porté à son
extrême, et cet extrême est le fantasme, ni plus ni moins, de tuer l’homme. » Lacan commente ainsi l’érotisme des
Japonaises après avoir assisté à une représentation de L’empire des sens de Nagisa Oshima. Jacques-Alain Miller en
propose cet énoncé sous cette forme condensée lors du Parlement de Montpellier (Cf. « Le Parlement de Montpel-
lier. Autour du Séminaire XXIII », Journées UFORCA pour l’UPJL, 21 & 22 mai 2011, inédit).
36. Lacan J., « L’étourdit », op. cit., p. 468.
37. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 82.
38. Pour les catholiques, dans la transsubstantiation, la consécration est réelle : c’est vraiment le corps et le sang du Christ
qui sont dans l’hostie.

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