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LA PHILIA D’ARISTOTE DANS L’AIR DU TEMPS

Serge Cottet

L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir »

2016/1 N° 92 | pages 26 à 27
ISSN 2258-8051
ISBN 9782905040954
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2016-1-page-26.htm
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Faire couple… aujourd’hui

LA PHILIA D’ARISTOTE
DANS L’AIR DU TEMPS
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Serge Cottet

I
l arrive à Lacan d’invoquer Aristote pour faire de l’amitié l’essence du lien conjugal1.
La philia est nettement distinguée chez les grecs de l’éros et, comme paradigme du lien
social, elle est décrite hors sexe. Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote distingue trois
types d’amitié. L’une, fondée sur l’utile, c’est l’intérêt commun – on dirait aujour-
d’hui le mariage bourgeois ou arrangé. La deuxième est fondée sur le plaisir, elle n’est pas
stable et ne saurait durer toute la vie. Enfin, l’amitié parfaite caractérise celle des hommes
qui se ressemblent par la vertu : « Ceux qui veulent du bien à leurs amis pour eux-mêmes,
sont les amis par excellence. »2 L’amitié est fondée sur la bienveillance réciproque : « Ceux
qui veulent du bien à quelqu’un sont appelés bienveillants, quand ils ne sont pas payés de
retour. » Mais « l’amitié est bienveillance réciproque ». Et en conclusion : « Il faut donc
pour être ami être bienveillant et se vouloir du bien mutuellement ; et le savoir. »3
Cette référence semble avoir les faveurs de la doxa contemporaine prônant une
conception associative et égalitaire du couple ; cinq types de couples sont ainsi distingués
par un psycho-sociologue de Lausanne qui a les honneurs des colonnes du magazine
Marie-Claire : couple cocon, compagnon, associatif, bastion, parallèle.

1. Lacan J., « De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité », Écrits, Seuil, Paris, 1966, p. 574.
2. Aristote, Éthique à Nicomaque, livre VIII, chapitre II.
3. Ibid.

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Inutile d’entrer dans les détails. Ces couples sont, à peu de chose près, tous pareils.
Dans chacun d’eux règnent la communication, l’échange, la réciprocité : ils font tout
ensemble, sauf l’amour. Le chercheur, qui n’est déjà pas très explicite sur l’existence des
hommes et des femmes en cause dans le couple, écarte toute référence à la sexualité. Ces
couples ne sont fondés que sur l’intensité des échanges qu’ils ont entre eux comme avec
le monde extérieur. L’un fait exception : le « parallèle », mal nommé (oh ! Verlaine) puis-
qu’il qualifie les couples qui s’ignorent et se détestent cordialement, mais coexistent sur
ce contrat de haine ; la démocratie y est néanmoins assurée. En somme, c’est l’idéal répu-
blicain qui triomphe : liberté, égalité, fraternité.
Mais voici que, si l’on fait entrer la question du sexe dans le couple, plus aucune réci-
procité n’est possible. Le fantasme de l’un se branche sur le fantasme de l’autre, parfois
dans une parfaite dissymétrie. En termes techniques, on dira que l’objet petit a dont la
répartition égalitaire fait question, introduit la zizanie dans le couple hétérosexuel, pour
le moins. Ce non-rapport est parfois décrit plaisamment par Lacan comme objection à
la morale sociale. L’adage Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse à
toi-même fait problème dans le coït.
Aujourd’hui, le « déferlement d’une sexualité narcissique », comme dit le magazine,
le culte de l’égalité et de la réciprocité, inscrit le couple sous le régime du pareil au même.
C’est aussi ce que dit le philosophe : l’homme de bien se veut du bien et « désire passer
sa vie avec lui-même » et, comme l’ami, est un autre nous-même ; « l’amitié excessive
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ressemble à ce qu’on éprouve pour soi-même »4.
Si bien que les psychologues doivent rappeler à ces couples fusionnels ou inséparables
que « l’autre est une personne à part entière ». Ce qui ne facilite pas davantage le rapport
sexuel intéressé par le corps morcelé…
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de constater que ces modèles de compa-
gnonnage soient les mêmes qui aspirent à une sexualité extérieure au couple, y trouvant
même la garantie de sa longévité. Une telle revendication s’affirme de plus en plus dans
l’air du temps.

4. Ibid., livre IX, chapitre IV.

La Cause du désir no 92 27

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