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DU PHÉNOMÈNE LACANIEN À L’AVÈNEMENT DE L’INVENTION DU RÉEL

Lilia Mahjoub

L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir »

2018/3 N° 100 | pages 48 à 53


ISSN 2258-8051
ISBN 9782374710167
DOI 10.3917/lcdd.100.0048
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2018-3-page-48.htm
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DU PHÉNOMÈNE LACANIEN À L’AVÈNEMENT
DE L’INVENTION DU RÉEL
Lilia Mahjoub

S i écrire sur l’événement Lacan paraît au prime abord compliqué, cela l’est moins
en sortant des considérations communes qui entourent le terme d’« événement ».
notre époque foisonne en effet d’événements qui se succèdent et se remplacent les
uns après les autres sans que rien n’ait pu être saisi de leur inscription, de leur place
dans le monde ainsi que de leurs conséquences.
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tout fait ainsi événement, parce que c’est spectaculaire, que ça fait du bruit, fait
peur ou sinon enchante et donne ainsi l’illusion d’avoir les yeux ouverts sur le monde
et son actualité. mais, une fois l’événement annoncé, décrit, ressassé, la torpeur du
quotidien reprend vite le dessus, et ce, jusqu’à l’événement suivant qui sera à son tour
voué au même sort.

Freud, un non-événement

au regard de cette entrée en matière, il faut que lacan réfutât qu’on lui accolât
ce terme. il l’écartera également pour Freud, à savoir que celui-ci n’était pas « un
événement historique 1 », parce qu’il avait raté son coup, tout comme lui. nous revien-
drons sur ce qu’il voulait dire par ratage, car ce terme de ratage n’est pas anodin
dans ce que lacan a enseigné.
lacan commença à dire quelque chose de l’expérience psychanalytique, « très
sur le tard », selon son expression, et ce, à la faveur d’une crise politique intérieure
au champ psychanalytique. « Je n’éprouvais aucun besoin, après tout de forcer les
gens 2 », mentionna-t-il encore.
il fit ainsi ce qu’on appela un « retour à Freud », étiquette qu’on lui mit et qu’il
pensait mériter et dira-t-il : « parce que c’est comme ça que je l’ai moi-même
lilia mahjoub est psychanalyste, membre de l’école de la cause freudienne.
1. lacan J., « intervention de Jacques lacan à bruxelles, le 26 février 1977 », Quarto, no 2, 1981 (dispo-
nible sur internet).
2. lacan J., « discours de Jacques lacan à l’université de milan le 12 mai 1972 », Lacan in Italia 1953-1978.
En Italie Lacan, milan, la Salamandra, 1978, p. 43.

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Lilia Mahjoub, du phénomène lacanien à l’avènement de l’invention du réel

produite 3 ». ce fut surtout pour que les psychanalystes auxquels il s’adressait


« s’aperçoivent que ce [qu’il était] en train de leur dire, c’était déjà dans Freud. 4 »
en aucun cas, en effet, lacan ne considéra que ce qu’il avait entrepris, à ce
moment-là, relevât d’un événement. c’est en partant de ce que Freud avait laissé
qu’il articula sa théorie sur le signifiant, à savoir que celui-ci a pour fonction de
déraper, et finit par glisser dans la signification, alors qu’aucun signifiant n’a de
signification assurée. lacan montre ainsi que de ces mots qui font l’inconscient et par
lesquels nous sommes menés, on ne comprend rien. il en dit de même de Freud, qui
tout découvreur de l’inconscient qu’il fut, n’y comprenait rien, et ce, en avançant l’idée
de représentations inconscientes. pour lacan, il n’y a pas de représentations incons-
cientes, unbewusste Vorstellungen, mais des mots.
lacan soulignera que le pas essentiel de Freud, bien plus que savoir ce que veut
dire ou pas l’inconscient, fut d’articuler, à partir de sa pratique avec les hystériques,
que la sexualité est prise dans ces mots.
lacan mentionne toutefois qu’à lire Freud – ce qu’il fit comme aucun analyste ne
le fit avant lui, et sans doute même après – « on peut déduire qu’il pensait que c’était
des effets de signifiant 5 ». d’où la définition que lacan donnera de l’inconscient
structuré comme un langage et non par un langage, soulignant ainsi que le langage
n’en est pas la cause.
en conséquence, la pratique de l’analyste ne sera pas de donner une signification
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à ces mots, mais d’approcher comment ils opèrent. ce qui est radicalement différent.
le signifiant extrait de la linguistique aura dès lors pour définition et « il n’y en a
pas d’autre 6 » pour lacan : « ce qui représente le sujet pour un autre signifiant 7 ».
cette définition qui est ainsi fixée dans un texte de 1960, soit après dix ans d’ensei-
gnement, ne fit pas événement, mais fit entrer le signifiant dans le discours commun,
à savoir que depuis, « tout le monde, enfin, sait que signifiant signifie lacanisation 8 ».

Le phénomène lacanien

du fait d’événements survenus à l’intérieur de la société psychanalytique, lacan


dut se démettre de cette fonction qu’il assurait avec son séminaire, et, en 1964, il
annoncera néanmoins être en mesure d’y « donner suite 9 ». il le doit notamment au
président d’une section à l’école pratique des hautes études, qui y fit accueil pour lui
permettre la poursuite de cet enseignement dont « ne lui était parvenu rien d’autre
que le style et la réputation 10 ». c’était au moment de ce que lacan désigna comme

3. Ibid.
4. Ibid.
5. lacan J., le Séminaire, livre XXiv, « l’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du
11 janvier 1977, Ornicar ?, no 14, pâques 1978, p. 5.
6. lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, paris, Seuil, 1966, p. 819.
7. Ibid.
8. lacan J., « discours de Jacques lacan à l’université de milan le 12 mai 1972 », op. cit., p. 43.
9. lacan J., Le Séminaire, livre Xi, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par
J.-a. miller, paris, Seuil, 1973, p. 7.
10. Ibid., p. 8.

la cause du désir no 100 49


l’événement lacan

son excommunication, mais aussi au moment où ceux qui venaient l’écouter étaient
nombreux et ne se limitaient pas à des psychanalystes.
c’est d’ailleurs avec une question simple qu’il inaugurera la suite de son sémi-
naire : « Qu’est-ce que la psychanalyse ? 11 », en soulignant que la place d’où il pose
cette question a changé, car elle « n’est plus tout à fait au-dedans, et […] on ne sait
pas si elle est en dehors 12 ». lacan se considère alors, après avoir été négocié 13,
comme « un réfugié 14 » dont l’enseignement est censuré, voire proscrit. et cette pros-
cription deviendra dès lors une condition de l’affiliation à l’International psychoanaly-
tical association.
Si lacan pose cette question, c’est certes pour revenir aux fondements de la
psychanalyse, ce qui s’impose pour lui dans un tel contexte, mais aussi parce qu’il se
demande si dans la communauté psychanalytique quelque chose ne fait pas écho à
une pratique religieuse. c’est ce qui le préoccupa jusqu’à la fin de son enseignement
et partant jusqu’à la dissolution de son école qu’il fonda en juin 1964. À la fin de ce
séminaire, lors de la dernière séance, le 24 juin 1964, il ajoutera deux autres ques-
tions : « quel est l’ordre de vérité que notre praxis engendre ? 15 » et « comment nous
assurer que nous ne sommes pas dans l’imposture ? 16 »
on peut dire que quelque chose de nouveau, voire d’inédit, se produisait dans
cette mise en question de la pratique. ceci fit scandale dans la communauté psycha-
nalytique et c’est justement, ainsi que le nota lacan, « de partir de ce qui peut être
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ici matière à scandale, que nous pourrons serrer d’une façon plus précise ce qui
s’appelle la psychanalyse didactique – cette praxis, où cette étape de la praxis, laissée,
par tout ce qui se publie, complètement dans l’ombre – et apporter quelque lumière
concernant ses buts, ses limites, ses effets 17 ».
d’être confronté à partir de là à un public de plus en plus grandissant à son sémi-
naire, mais aussi à ses conférences, fut certes un appui important pour la place qu’il
pouvait prendre dans le champ psychanalytique dont on avait cru l’exclure, mais ce
fut aussi quelque chose qui ne convenait pas tout à fait à ce qu’il enseignait. en effet,
ce séminaire devint autre chose qu’un séminaire où d’autres pouvaient intervenir, le
questionner, voire donner des développements à ce qu’il énonçait. il exprimera ainsi,
et plus précisément dans les années 1970, la difficulté que c’était pour lui que de
parler devant un auditoire « qui n’est pas de [ses] élèves, qui n’est pas formé, rompu
à quelque chose […] qui est [son] enseignement 18 ». Son séminaire de 1976 est régu-
lièrement ponctué de l’exaspération qu’il ressent devant une salle qui ne désemplit
pas et qui, si elle était diminuée de la moitié, lui permettrait de parler de façon un
petit peu plus intime. il faut rappeler ce qu’il disait de la position de l’analyste qui
enseigne, comme étant celle d’analysant.

11. Ibid., p. 9.
12. Ibid.
13. cf. ibid., p. 10.
14. Ibid., p. 8.
15. Ibid., p. 237.
16. Ibid.
17. Ibid., p. 11.
18. lacan J., « discours de Jacques lacan à l’université de milan le 12 mai 1972 », op. cit., p. 33.

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Lilia Mahjoub, du phénomène lacanien à l’avènement de l’invention du réel

lacan est pour le moins préoccupé par la façon dont est reçu ce qu’il dit, ce qui
l’amène à cette précision : « mais l’important dans ce que j’énonce c’est que ça ne
glisse jamais qu’à la manière d’un dérapage. 19 » le risque est que ça glisse vers la
signification, comme je le soulignais au début, c’est-à-dire vers le sens, soit ce que
lacan veut justement réduire dans la pratique psychanalytique. c’est ce glissement
vers le sens qui donnerait lieu à l’imposture que lacan dit interroger dans cette
dernière.
en 1974, lors d’une conférence à nice, il accepta de parler sous le titre du « phéno-
mène lacanien », titre qu’il dira avoir eu la faiblesse d’accepter, mais auquel il tâchera
de répondre. il en reparla après, lors de son séminaire, mentionnant qu’il ne pouvait
pas dire d’emblée qu’il n’était pas un phénomène, que cela aurait été une dénéga-
tion, devant l’attroupement qu’il provoquait et qu’avaient souhaité les organisateurs,
car « il y a toujours de l’attroupement pour regarder un phénomène 20 ».

Le discours analytique, un événement historique

lacan remarquera, après nice, lors de son séminaire rSi, que s’il y a un phéno-
mène lacanien, ce sont les effets, au sens d’une répercussion de ce qu’il articule
dans son enseignement, sur un public qui n’en a entendu quelque chose que de très
loin. il distinguera alors ce phénomène lacanien de ce qui fait par contre événement,
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« avènement » précisera-t-il, qui s’appelle le discours analytique, un lien social de
nos jours émergeant. et il donnera alors à cet événement, contrairement à ce qu’il
disait de Freud, « une valeur historique, encore à repérer 21 ».
trois ans auparavant, lacan avait mis sur pied quatre discours fondamentaux, et
avait de la sorte formalisé l’avènement du discours de l’analyste où celui-ci se voit
désigner une place de semblant, de même que pour l’analysant à celle de travail,
ainsi que celle de la vérité qu’il disait en 1964 vouloir interroger dans la praxis, sans
oublier celle de ce que le discours produit en termes de jouissance. il y fait circuler
ses mathèmes essentiels, tels que les signifiants S1 et S2, le sujet et l’objet a. il est
clair que c’est lacan qui donna au discours analytique son statut, et ce, à partir de
cette place où l’analyste fait semblant d’objet a, c’est-à-dire de déchet.
lacan mentionne cependant, concernant cet avènement du discours analytique,
que sa « voix est faible pour le soutenir, mais que c’est peut-être tant mieux, parce
que si elle était un peu plus forte, [il] aurai[t] peut-être moins de chances de
subsister 22 ». ce qui collerait à la définition commune du terme « événement », soit
ce qui arrive à grand bruit pour être aussitôt oublié.
pour lacan, en effet, comme l’a montré l’histoire, il semble difficile que « les liens
sociaux jusqu’ici prévalents ne fassent taire une voix qui soutient un autre discours
émergeant 23 ».

19. Ibid.
20. lacan J., le Séminaire, livre XXii, « r.S.i. », leçon du 10 décembre 1974, Ornicar ?, no 2, mars 1975, p. 92.
21. lacan J., le Séminaire, livre XXii, « r.S.i. », leçon du 8 avril 1975, Ornicar ?, no 5, hiver 1975-1976, p. 37.
22. Ibid.
23. Ibid., p. 37.

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l’événement lacan

c’est pourquoi lacan n’a pas seulement formalisé le discours analytique, mais
aussi trois autres, à partir de quadripodes, tels que le discours du maître, le discours
de l’hystérique et le discours de l’université, lequel à sa façon fait taire l’énonciation,
et ce, dans un glissement vers l’accumulation d’énoncés, c’est-à-dire vers des signi-
fications figées.
le discours fait référence à la jouissance, soit à ce que Freud a apporté d’essen-
tiel avec son discours qui s’avère au plus près de cette faille qu’est, chez les hommes
et chez les femmes, la sexualité, mais si Freud est sur ce point à la hauteur de ce
discours, il « abandonne la question autour de la jouissance féminine 24 ».
c’est donc avec cette formalisation du discours comme lien social émergeant,
que lacan interroge « la vaste connivence sociale qui inverse ce que nous pouvons
appeler la différence des sexes au naturel, en sexualisation de la différence orga-
nique 25 » et lacan ajoute qu’à ce niveau « la question se pose de la place de la
psychanalyse dans le politique 26 ».
cet avènement du discours analytique donne dès lors une place inédite au
psychanalyste, une place qui cependant ne devait pas relever de la voix forte ou de la
volonté de maîtrise, au risque que ce discours se voie ravalé au rang du discours du
maître, lequel est bien impuissant à saisir ce qu’il en est de la jouissance, puisque
celle-ci s’y définit par la consistance imaginaire d’objets, soit de gadgets, d’objets
de consommation au sujet desquels lacan se demandait si par ces gadgets nous
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arriverons nous-mêmes à être animés. cela lui paraissait peu probable, ajoutant
toutefois que nous n’arriverons pas vraiment à faire que le gadget ne soit pas un
symptôme.

Escroquerie versus invention du réel par Lacan

À partir de cette conception du discours analytique, qui s’abstient de toute


maîtrise et par laquelle l’analyste ne se donne aucune mission de vérité – puisque ce
qui convient le mieux à celle-ci, en tant que mi-dire, c’est le peu de voix déjà
évoqué – lacan énoncera avoir été saisi par le nœud borroméen, sa trouvaille.
c’est avec l’invention de ce réel qu’est le nœud borroméen, réel, car il noue
ensemble le réel, le symbolique et l’imaginaire, sans qu’aucun de ces trois registres
ne prévale sur un autre, que lacan mettra une limite à l’expansion du symbolique et
partant à ce qu’il désigne comme pouvant glisser à l’escroquerie.
en effet, après avoir parlé du glissement du signifiant vers la signification, il fera
un pas de plus en parlant du glissement de la pratique vers l’escroquerie, ce qui
choqua plus d’un idolâtre du sens. « bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des
mots qui sont du chiqué, c’est quand même ce qu’on appelle d’habitude du chiqué – à
savoir ce que Joyce désignait par ces mots plus ou moins gonflés – d’où nous vient

24. lacan J., Le Séminaire, livre Xvii, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-a. miller, paris, Seuil,
1991, p. 81.
25. Ibid., p. 91.
26. Ibid., p. 90.

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Lilia Mahjoub, du phénomène lacanien à l’avènement de l’invention du réel

tout le mal 27 », énonçait-il en 1977. c’était ce qu’il pouvait constater, à partir du point
de fuite qu’est le réel, et vers lequel tout son enseignement était tendu pour qu’il
puisse en saisir un bout.
il dit encore de cette escroquerie, qui prolonge la question posée en 1964 sur l’im-
posture, que c’était la même chose que le proton pseudos 28 – expression utilisée par
Freud pour expliquer l’origine de l’hystérie, c’est-à-dire « l’erreur initiale » – et que
Freud « ne pouvait quand même pas dire qu’il éduquait un certain nombre d’es-
crocs 29 ».
ainsi lacan, déclarant avoir « inventé ce qui s’écrit comme le réel 30 », sous la
forme du nœud borroméen, ne considéra pas pour autant que c’était une réussite.
car « un nœud, ça se rate. de même, l’inconscient est là pour nous montrer que
c’est à partir de sa consistance à lui, l’inconscient, qu’il y a des ratés ».
on peut ainsi dire que lacan ne renonça jamais à ce ratage et, en dépit de cette
trouvaille, il s’appliqua le même jugement qu’à Freud, à savoir qu’il avait raté, préci-
sant néanmoins que par l’expérience analytique c’est une des formes de la réussite.
il désigne encore son nœud borroméen, dans son enseignement, comme étant un
« traumatisme 31 », en tant que « forçage d’une nouvelle écriture 32 », mais aussi qu’il
était « le négatif de la religion », en tant qu’il fait limite au sens qui est toujours reli-
gieux. c’est ce qu’il dénonça en 1980, lors de la dissolution de son école, comme
étant son symptôme, ou en d’autres termes, que le réel est sa réponse symptoma-
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tique à ce que Freud avait élucubré de l’inconscient.
il en conclut ainsi que ce n’est pas la psychanalyse qui est un symptôme, mais eu
égard à cette réponse symptomatique, c’est le psychanalyste qui en est un. nous
pourrions pour notre part conclure que lacan ne cessa d’exhorter les psychanalystes
qu’il enseignait à se rompre à ce nœud borroméen, non pas pour le regarder, mais
pour le lire, le manipuler, voire le rater et que ce nœud seul est « le support conce-
vable d’un rapport entre quoi que ce soit et quoi que ce soit 33 ». reste à savoir si les
psychanalystes ont réussi, au-delà d’en faire un événement, à se faire dupes de ce
réel, de cette invention et partant de ce sinthome de lacan.

27. lacan J., « intervention de Jacques lacan à bruxelles, le 26 février 1977 », op. cit.
28. cf. Freud S., « psychopathologie », Naissance de la psychanalyse, paris, puF, 1956, p. 363-369.
29. lacan J., « intervention de Jacques lacan à bruxelles, le 26 février 1977 », op. cit.
30. lacan J., Le Séminaire, livre XXiii, Le Sinthome, texte établi par J.-a. miller, paris, Seuil, 2005, p. 129.
31. Ibid., p. 130.
32. Ibid., p. 131.
33. Ibid., p. 37.

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