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Armand Zaloszyc
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.191.85.192 - 30/10/2019 15:39 - © L'École de la Cause freudienne
ISBN 9782905040732
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.inforevue-la-cause-freudienne-2011-3-page-286.htm
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Armand Zaloszyc
Comment Jacques Lacan lit-il Freud ? Poser cette question revient à traiter le
texte de Freud comme une énigme que Lacan interprète – mais ce n’est pas moins,
dès lors, traiter le texte de Lacan lui-même comme une énigme dont nous serons les
interprètes, à notre tour. S’il est certain qu’il n’y a pas une réponse univoque à la
question de cette énigme, ne serait-ce qu’en raison de cette stratification potentielle,
j’en privilégie un exemple qui nous amènera au plus près du cœur de l’énonciation
qui fonde, précisément, l’interrogation qui me sollicite.
Constamment, Lacan se préoccupe des limites de l’inconscient où nous conduit
Freud. L’une de ces limites est l’Unerkannt : Freud avance cette notion qui restera chez
lui un hapax dans deux très brèves notes de l’Interprétation des rêves, où il la met en
rapport avec ce qu’il appelle l’ombilic du rêve. Dans une intervention donnée en
janvier 1975 à Strasbourg1, à laquelle j’ai eu l’occasion d’assister, Lacan a longue-
ment développé ce dont il s’agit, selon lui, avec cet Unerkannt, ce non-reconnu.
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Jouissance et forclusion
Je lis ceci, que Lacan avance dans son Séminaire D’un Autre à l’autre : « la jouis-
sance sexuelle n’est pas dans le système du sujet. Il n’y a pas de sujet de la jouissance
sexuelle. […] Le phallus est le signifiant hors système, et, pour tout dire, le signifiant
conventionnel à désigner ce qui est, de la jouissance sexuelle, radicalement forclos »2.
Ne nous obnubilons pas sur le phallus, qui est défini ici comme le signifiant d’une
jouissance absolue, ce qui veut dire impossible à dire, c’est une fonction qui sera
prise en charge dans l’enseignement ultérieur de Lacan par la jouissance pas toute. Je
veux mettre l’accent sur le terme de forclusion. Voici comment Lacan poursuit : « J’ai
ajouté que tout ce qui est refoulé dans le symbolique reparaît dans le réel, et c’est bien
en quoi la jouissance est tout à fait réelle, car, dans le système du sujet, elle n’est nulle
part symbolisée, ni, non plus, symbolisable. »
Nous devons ici, tout d’abord, nous accorder sur une question de terminologie.
Qu’est-ce, dans son principe, que la forclusion ? C’est une forclusion du signifiant.
D’où le savons-nous ? De la démonstration qu’en donne Lacan dans la première
section du chapitre IV de son écrit « D’une question préliminaire à tout traitement
possible de la psychose »3. J’en rappelle brièvement le linéament, mais, plus que ce
rappel, importera la conséquence que j’en soulignerai.
Lacan montre que, dans la formation de l’appareil psychique primitif, la Verwer-
fung est articulée par Freud comme l’absence d’une Bejahung primordiale, comme
l’absence du consentement donné à un signifiant primordial. Lacan reconnaît ce
signifiant dans le terme de Zeichen [signe], et plus précisément Wahrnehmungszei-
chen [signe de perception], que Freud a isolé dans le schéma de la lettre 52 de sa
correspondance avec Wilhelm Fliess. Ce Wahrnehmungszeichen, c’est le signe d’une
2. Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 320-321.
3. Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 558.
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Entours de la lettre
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féminine – et c’est ce qui fait celle-ci tout à fait réelle, pour parler comme Lacan, c’est-
à-dire, aussi bien, impossible à dire. Si néanmoins nous pouvons désigner cette jouis-
sance impossible par un signifiant, ce sera un signifiant marqué d’une forclusion.
C’est pourquoi nous pouvons l’écrire comme le signifiant de La femme – écriture qui
veut dire que le signifiant de La femme a été primordialement verworfen.
Nous sommes donc conduits à soutenir que l’impossible comme tel est ce qui se
produit d’une forclusion4. Dans son Séminaire …ou pire, Lacan remarque – ce qui
semble bien la réciproque de cette thèse – que le réel dont il parle, « nous n’y accé-
dons que dans et par cet impossible que définit le symbolique »5. C’est en même
temps l’indication de la voie par où le discours analytique nous permet d’accéder à
ce réel, c’est-à-dire de revenir, pour en serrer les incidences, sur la Verwerfung primor-
diale du signifiant La femme, qui se trouve donc être tout à fait analogue à ce que
Jacques-Alain Miller a nommé la forclusion généralisée6.
Soutenir que l’impossible pour l’être parlant, c’est ce qui a été verworfen, a des consé-
quences innombrables. Je m’en tiens à une seule, qui est en grande partie extérieure au
champ de l’analyse, c’est que nous avons, avec cette notion, de quoi ressaisir avec acuité
en quoi le Dieu de la théologie apophatique ne saurait être rien de ce que l’on peut en
dire. Ce n’est là qu’une implication de la forclusion du signifiant La femme qui, d’un autre
côté, vient à supporter de ce Dieu qu’il s’agit d’un Dieu bien réel, trop réel peut-être.
4. Comme J.-A. Miller le souligne (cf. « L’esp d’une hallucination », Quarto, n° 90, juin 2007, p. 21), Lacan a soute-
nu cela dans la « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite », Écrits, op. cit., p. 388.
5. Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, Paris, Seuil, 2011, p. 141.
6. Miller J.-A., « Forclusion généralisée », Cahier, n° 1, automne 1993, p. 4-8.
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Séminaire D’un Autre à l’autre que j’ai cité, où il paraît confondre, faire équivaloir
forclusion et refoulement en affirmant : « tout ce qui est refoulé dans le symbolique
reparaît dans le réel ». Après tout, peut-être, avec cette équivalence, devrait-on être
conduit à revoir et à généraliser la conclusion du commentaire où Lacan avance que
l’Unerkannt de la note de Freud n’est autre que l’Urverdrängt, le refoulé originaire.
Cette assertion gagne une autre raison si l’Unerkannt vient à désigner la racine du
refoulement primordial qu’on voit apparaître dans la forclusion du signifiant La
femme, qui porte celle-ci à l’ex-sistence comme réelle.
À titre de parenthèse, une interrogation se déduit de ce que je viens de proposer,
concernant la notion, dans la psychose, de l’effet de pousse-à-la-femme que Lacan isole
comme tel dans son écrit « L’étourdit »9. Si la forclusion généralisée du signifiant La
femme commande en effet l’inexistence du rapport sexuel, l’effet de pousse-à-la-femme,
inversement, n’est-il pas un corrélat du fait que, dans la psychose, le rapport sexuel
peut être porté à l’existence ? – même si ce n’est qu’asymptotiquement, c’est-à-dire en
tant que repoussé à l’infini potentiel qui est, en fait, à chaque instant, autrement dit
chaque fois que vous en énoncez la borne ultime possible, transmuté en quantité finie.
Un réel précaire
L’Unerkannt sur lequel s’élève l’élucubration du savoir inconscient n’est donc rien
d’autre que le réel, en tant qu’inconscient. Et c’est parce qu’il est l’impossible à recon-
naître, précisément, que le réel peut faire, avec vraisemblance, de la part d’un sujet ou
d’une collectivité, l’objet d’une extrême méconnaissance, voire d’un total refus. Rien
sans doute n’est plus précaire que la reconnaissance de la fonction de l’impossible.
7. Cf. Freud S., Métapsychologie, Paris, Gallimard, coll. Idées, 1968 : « Le refoulement », p. 48-49 ; « L’inconscient », p. 88-89.
8. Cf. Lacan J. : Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, op. cit., p. 55 & Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la
psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 102.
9. Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 466.
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