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Jacques-Alain Miller
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Le regard
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Deuxièmement, il y a le fait – vous l’avez évoqué – qu’il va se faire voir par un cer-
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la Cause freudienne n° 73 65
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K1 K2 K3
oral anal génital
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Essayons d’ordonner ces trois castrations. Freud lui-même nous propose des for-
mules pour ces castrations, sauf pour la troisième qui reste problématique. Pour la
première, Freud nous dit qu’il y avait la pensée de la castration, la pensée de la dif-
férence des sexes, mais sans croyance, Gedanke sans Glaube. La seconde castration,
celle qui est atteinte dans l’expérience même du rêve où le sujet est cette fois-ci
convaincu que la femme est châtrée dans la réactivation de la scène primitive, ce
que nous pouvons écrire : Gedanke + Glaube. En K1, nous avons seulement une
possibilité. En K2, il y a vraiment conviction de la réalité de la castration :
K3 Assomption du symbole
Après y avoir réfléchi à nouveau, il ne me paraît pas abusif – même si les termes
freudiens ne recouvrent pas exactement ceux de Lacan – de considérer que la pre-
mière castration est imaginaire et que la seconde est réelle. Cela nous dirait que la
troisième castration, celle que Freud appelle de ses vœux, est symbolique. Dans ce
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Nous pouvons encore compléter ce schéma avec les catégories mises en jeu par Freud
lui-même. L’inversion de la passivité a pour résultat un certain comportement, soit
la méchanceté du sujet comme conséquence de la séduction et de la première cas-
tration. Sous la colonne du comportement, nous avons le terme de sadique. Sur la
deuxième ligne, nous allons trouver la phobie, le comportement phobique.
J’ai employé le mot de comportement, car je voudrais laisser à part quelque chose
qui est traduit dans le texte sous le nom d’attitude : « l’attitude du sujet ». La dis-
tinction du comportement et de l’attitude est un petit forçage sur le texte de Freud.
Mais elle rend compte du fait que ce qui se présente comme un comportement
sadique est encore susceptible d’une interprétation de la part de Freud, à savoir que,
derrière ce comportement sadique, se cache une attitude foncièrement masochiste :
le sujet vise à être battu.
Jouissance et identification
Tout cela est évidemment en rapport avec la position de jouissance, qui est aussi un
certain mode de satisfaction masochiste, avec cette distinction qu’ici le but sexuel
est d’être touché sur les organes génitaux, et qu’après avoir suivi tout ce parcours,
on arrive au être battu. On ne peut pas identifier purement et simplement la posi-
tion de jouissance et la position subjective. Freud le dit d’une certaine façon : l’at-
titude masochiste va, elle, rester dominante. Elle a l’air de traverser les différents
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niveaux, d’être transhistorique. Mais on peut quand même lui donner cette
inflexion : à partir du moment où elle tombe sous le coup de la signification géni-
tale, on peut la qualifier d’attitude masochiste féminine. C’est à ce moment-là que
l’on peut dire que le féminin entre en jeu, puisque, avant, la femme n’est pas recon-
nue dans la réalité de sa castration.
Voilà donc un schéma qui me semble assez fondé par le texte et qui nous donne un
bon repère pour considérer comment cela va se transformer. Avant le chapitre VII,
nous avons là une belle symétrie, quoiqu’elle soit déjà perturbée par le fait que, dans
le chapitre sur la névrose obsessionnelle, nous n’avons pas des termes symétriques
qui s’imposent. Dans ce chapitre, nous n’avons rien qui viendrait nous donner des
termes correspondants à ce niveau-là. Tout ce schéma s’ordonne aussi à la différen-
ce entre l’oral et l’anal.
Quel est le terme qui introduit une perturbation dans ce schématisme symétrique ?
C’est, me semble-t-il, la problématique de l’identification qui vient perturber cette
construction et qui rend difficile de la maintenir jusqu’au bout. Dans le texte de
Freud, l’identification va devenir un terme central qui va conduire à quelques dif-
ficultés dans ce schéma.
Deux grands types d’identification sont repérés par Freud.
Le premier est évoqué dès les premiers chapitres : c’est celui de l’identification au
père. On peut même remarquer que cette problématique de l’identification est tout
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IDENTIFICATION
1) au père
(être comme le père)
{
{
Inconscient Homosexualité Être baisé
2) à l’objet du père Névrose Cannibalisme Être mangé
Attitude Masochisme Être battu
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dire son identification à l’objet du père. C’est dans cette expression freudienne,
« langue de l’érotisme anal », que s’établit l’identification à l’objet du père.
C’est même pour cela que Freud peut mettre en parallèle l’érotisme anal et la cas-
tration. Au fond, la castration est ce qui devrait permettre au sujet de parler l’iden-
tification au père. Si l’on se demande ce qu’est le terme freudien de castration, on
peut dire que c’est la langue normale de l’identification au père, avec des tensions
et des affects qui peuvent être très divers à son égard. C’est le Tu seras un homme
mon fils, c’est-à-dire : Tu ne l’es pas encore mais ce n’est pas pour autant que tu es une
femme, tu es en puissance d’être homme. La confrontation érotisme anal / castration,
c’est qu’il y a une langue que le sujet n’a pas à sa disposition, et Freud, au lieu de
l’identification au père, parle de l’identification à l’objet du père.
Je vous présente ce chapitre VII, « Érotisme anal et castration », avec assez de préci-
sion en l’ordonnant à l’identification, mais le sens de ce chapitre n’apparaît pas tout
de suite, puisqu’il se présente d’abord comme la succession des significations de
l’objet anal, des fèces. Freud montre comment, selon les différentes étapes du déve-
loppement du sujet, ce même élément est susceptible de recevoir des significations
différentes. Rien que cela pourrait nous permettre de faire jouer sur ce chapitre la
distinction du signifiant et du signifié, c’est-à-dire de traiter l’objet anal comme un
signifiant qui reçoit des significations différentes selon les différentes étapes. Chez
Freud, ce point de vue est dominant. On pourrait même dire que c’est justement
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Argent
Ce chapitre VII, comment se déroule-t-il ? D’une façon très retorse. Freud nous
habitue d’abord à la notion que l’objet anal a des significations, c’est-à-dire qu’il
n’est pas tel quel. Il commence par là, en court-circuit et en s’appuyant sur ce qui
4. Ibid., p. 226.
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est fondé par la psychanalyse, à savoir le statut de l’argent – statut qu’il amène dès
le début : « Les analystes s’accordent depuis longtemps sur le fait que les motions
pulsionnelles qu’on rassemble sous le nom d’érotisme anal, possèdent une impor-
tance extraordinaire […] De même, sur le fait que l’une des extériorisations les plus
importantes de l’érotisme transformé à partir de cette source, se trouve dans le trai-
tement de l’argent ». La carte forcée de la clinique antérieure installe d’emblée l’ar-
gent au cœur de cette affaire.
Cela permet à Freud d’aligner un certain nombre de faits, mais ce point de départ
paraît, là, presque arbitraire. Pourquoi Freud commence-t-il par l’argent ? Il y a
deux raisons à ce choix initial.
Si Freud commence par l’argent, c’est d’abord parce que nous allons retrouver l’ar-
gent plus tard, en tant qu’élément essentiel dans le rapport de filiation. Pour
l’Homme aux loups, il y a un rapport au père qui passe par l’argent, c’est-à-dire :
recevoir quelque chose du père. Notons également l’intolérance du sujet quand sa
sœur reçoit quelque chose du père.
Deuxièmement, ce choix accrédite d’emblée la notion très importante que l’objet
anal a une signification. L’équivalence fèces = argent est donc introduite par Freud
comme un préambule nécessaire pour amener l’existence des troubles intestinaux de
son patient : « Nous sommes maintenant préparés à entendre qu’il souffrît dans sa
maladie ultérieure de troubles intestinaux très tenaces, quoique fluctuants à diverses
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S S
Argent = Fèces = Troubles intestinaux
s ?
5. Ibid., p. 228.
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Il y a là des procédés qui relèvent vraiment de la conviction. Ils sont même d’ordre
rhétorique, pour accréditer d’abord, dans le public, une idée sur un certain point, afin
d’en faire bénéficier un autre point plus complexe. Freud fait appel à quelque chose
qui est connu par tout le monde, à savoir fèces = argent, puis il amène le fait des
troubles intestinaux, et il recherche enfin la signification de ces troubles – dont il dit
qu’ils sont apparus très tôt, avant que les fèces aient eu la signification de l’argent.
Le repère de Freud pour répondre à cette question – et c’est la première fois qu’il
en émerge une dans ce chapitre – est une discontinuité, à savoir le changement d’at-
titude du sujet dans son enfance à l’endroit de l’incontinence anale. De part et
d’autre d’une coupure, le sujet incontinent a une attitude de défi ou de honte à l’en-
droit de cette incontinence anale : « Il n’en avait pas du tout honte. C’était une
expression de défi à l’égard de la gouvernante. […] Un an plus tard, […] il lui arri-
va de salir son pantalon en plein jour. Il avait terriblement honte »6. Freud se repè-
re sur la discontinuité entre le défi et la honte :
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effet, avec l’érotisme anal tel que Freud nous le présente ? Du retour du refoulé
qu’est l’homosexualité : Freud traite les symptômes intestinaux de l’Homme aux
loups comme le retour de ce refoulé qu’est l’homosexualité.
Freud apporte encore bien d’autres éléments pour justifier cette connexion qu’il fait
à l’identification à la mère. « Que devait donc signifier l’identification avec la mère ?
Entre l’utilisation hardie de l’incontinence à trois ans et demi et l’effroi qu’elle
engendre à quatre ans et demi, se situe le rêve, avec lequel commence sa période
d’angoisse, qui lui apporta la compréhension après coup de la scène vécue à un an
et demi, et l’explication du rôle de la femme dans l’acte sexuel. »7 Là se trouve cette
notation dont Lacan lui-même essayera de s’arranger avec ses termes de l’époque
dans le rapport de Rome, à savoir montrer comment cela se répartit entre le sujet
et le moi – c’est une grille de lecture que Lacan applique au cas, mais elle ne se
maintiendra pas forcément. Le sujet s’est foncièrement identifié à la position de la
femme ou de la mère dans l’acte sexuel, ce qui est une autre manière de dire la fixa-
tion de la position homosexuelle inconsciente : être baisé par le père. Ce n’est pas
le comme le père, mais le par le père qui est présent dès le début et qui prend la valeur
femme. C’est être baisé par le père comme une femme.
Là pivote l’affaire de la castration. Je n’apprends rien à ceux qui ont lu le texte. La
castration pivote sur la difficulté que Freud rencontre à ce moment-là : comment
se fait-il que la position féminine du sujet soit par lui parlée dans la langue de l’éro-
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7. Ibid., p. 230-231.
8. Ibid., p. 231.
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raît déjà à Freud comme extrêmement complexe. L’attitude du sujet par rapport à
ce point de réalité est extrêmement complexe : il peut y penser sans y croire, et il
peut voir la castration partout sans en avoir la conviction. C’est vraiment un point
tout à fait énigmatique. Freud lui-même nous a introduits à distinguer là des strates.
En effet, Gedanke sans Glaube et Gedanke avec Glaube sont déjà deux statuts de la
castration, et nous sommes sur le bord de saisir qu’il y a quand même un troisième
niveau qui devrait être placé, à savoir que cette conviction tient le coup, qu’elle tient
le coup jusqu’au bout et dans ses conséquences. Mais là, et même si Freud dit qu’il
y a la conviction, on s’aperçoit que celle-ci ne conduit pas du tout à une identifica-
tion au père, mais qu’elle cède devant une identification à la mère, sur un mode qui
ne prend pas du tout en compte la problématique génitale.
Autrement dit, c’est dans ce premier passage que nous saisissons qu’il y a là comme
un élément invisible qui manque. Il y a un terme qui va au-delà de ceux que Freud
emploie, comme la connaissance, la reconnaissance, etc. Quels que soient les termes
que Freud emploie, on voit bien qu’il en manque un : un terme qui indiquerait que
le sujet tire les conséquences de cette conviction, c’est-à-dire qu’il est sérieux dans
cette conviction. Cette page où se situe l’objection de Freud est le point tournant à
partir duquel nous voyons Freud intégrer immédiatement la Verwerfung et essayer
d’articuler, exactement en ce point-là, le refoulement et la forclusion. Tout le
monde a lu le texte et voit bien que le problème est l’identification à la mère. Nous
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Nous étions arrivés au seuil de la page 232, c’est-à-dire à ce fameux passage qui dis-
tingue, selon la lecture de Lacan, le refoulement et la forclusion. C’était le point
culminant où nous étions arrivés. Vous vous souvenez que l’on pouvait noter, avec
ce fameux chapitre intitulé « Érotisme anal et castration », la problématique tout à
fait insistante de l’identification, et précisément celle de l’identification à la mère.
Nous avions constaté que cette identification à la mère s’exprime dans la langue de
l’analité. C’est à ce point que nous en sommes.
Si nous reprenons ce même schéma, nous pouvons en compléter facilement la cin-
quième colonne. Pour Freud, ce qui s’installe avec le moment de la religion, c’est
très clairement un mécanisme que l’on peut mettre en série avec les précédents,
même s’il s’en distingue : la sublimation. Cette phase traduit l’effort du sujet pour
sublimer les difficultés antérieures, et en particulier ce qui fait la difficulté essen-
tielle de la phase précédente, à savoir sa position à l’égard du père. Je reprends le
chapitre sur la névrose obsessionnelle : « La connaissance de l’Histoire sainte lui
donna la possibilité de sublimer l’attitude masochiste prédominante à l’égard du
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Position de
Castration Registre Répression Opposition Comportement Attitude
jouissance
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orientée vers cette discontinuité. Nous l’avons vu dans la datation très précise qu’il
fait de l’épisode de la séduction. Il y repère une discontinuité dans l’attitude du
patient : il était gentil et, à un moment, il est devenu méchant. C’est à partir de
cette constatation que Freud donne toute sa valeur à l’épisode de la séduction et à
la menace de castration afférente. Pour le rêve, dans lequel il entend s’accomplir un
refoulement décisif pour l’histoire du patient, c’est encore une discontinuité qu’il
note, et même une inversion. Le rêve se situe donc un peu avant l’anniversaire des
quatre ans du sujet. D’habitude, il attend ce moment avec une anticipation de satis-
faction. Il manifeste dans son attitude de la bonne tenue et de l’activité. Mais, à par-
tir de ce moment datable, on va trouver chez lui de l’angoisse, « des phénomènes
d’angoisse torturante ». Eh bien ! tel que je le lis, c’est là le repérage d’une seconde
discontinuité. Ce qu’il s’agit pour Freud d’expliquer, c’est pourquoi cette transfor-
mation se produit à ce moment-là.
De la satisfaction à l’angoisse
Qu’est-ce qui permet de rendre compte de cette transformation ? On peut être frap-
pé, dans cette observation, de l’aspect étiologique du développement de Freud. La
recherche de la cause est vraiment ce qui marque tout le style de l’observation. Freud
a un mot pour qualifier la discontinuité : Scheidung, qui est traduit en français par
séparation. C’est à la dernière phrase du chapitre III : « Quant à l’incident qui auto-
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Esthela Solano-Suárez
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C’est alors que le schéma du rêve est par Freud reconstitué très précisément. Il y a
trois temps. Premièrement : aspiration à la satisfaction sexuelle par le père. On voit
là quel est le désir du rêve. Deuxièmement : compréhension de la castration. Freud
le dit plus lourdement : « Compréhension de la condition relative de la castration »,
ce qui veut dire que cette satisfaction n’est pas tout bénéfice mais qu’il y a un risque
sérieux de perdre une partie du corps. Troisièmement : angoisse, peur – Angst – du
père. L’armature logique est donc extrêmement simple et forte, comme l’est
d’ailleurs le moment précédent de la séduction.
Wirklichkeit de la castration
Pourquoi est-on passé de la satisfaction à l’angoisse ? Il faut bien qu’il y ait eu, entre
les deux, un élément opératoire. C’est ça que Freud appelle la castration. La castra-
tion n’est rien d’autre que l’opérateur qui rend compte de la transformation de la
satisfaction en angoisse. Là où nous faisons intervenir un signifiant, Freud fait inter-
venir une image. C’est ce qui est pour lui effectif et opératoire. Vous savez que
Lacan faisait intervenir l’imago là où il fera plus tard intervenir le signifiant. La cas-
tration est donc le facteur de commutation de la satisfaction en angoisse. J’insiste
sur le caractère de Wirklichkeit de la castration.
Nous avons ensuite une notation très intéressante de Freud, à savoir que ce qui est
issu de ce moment-là n’est pas une position, un courant bien décidé, mais un véri-
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Son incidence, c’est qu’il laisse foncièrement le sujet devant deux identifications
possibles, que nous avons parlées en termes de castration.
D’abord, être une femme en train de subir l’accouplement. Ce n’est pas du tout
proscrit, là, par l’émergence de la castration. Au contraire, c’est tout à fait ouvert
comme possibilité pour le sujet, et c’est même ça que l’Homme aux loups considè-
re et qu’il va refouler. Cela donne le sens de sa passivité. Cette passivité oblige, en
quelque sorte, à être conséquent, c’est-à-dire à aller jusqu’à être une femme en train
de subir l’accouplement. C’est une des possibilités qu’amène la castration.
Ensuite, nous avons la deuxième identification qui est celle d’être un homme, d’être le
fils de mon père, ou encore d’être un homme comme mon père. Ce que Freud appel-
le castration, c’est le moment où ce choix se constitue pour le sujet. Il ne s’agit pas de
la nature du choix, mais de la constitution même de ce choix. C’est en quoi la psychose
paranoïaque est le meilleur exemple que l’on puisse donner de la Wirklichkeit de la cas-
tration au sens de Freud. En effet, dans la psychose, nous avons, même sous les formes
les plus catastrophiques, un sujet qui est devant le problème d’être une femme en train
de subir l’accouplement, un sujet qui pense d’abord que c’est beau, puis que c’est
quand même aller un peu loin, pour finalement se réconcilier avec. La psychose est un
excellent exemple de Wirklichkeit de la castration au sens de Freud : « Là s’exprime le
fait d’être prêt à renoncer à sa virilité, si l’on peut ainsi être aimé comme une femme.
D’où précisément cette motion contre Dieu qui est exprimée en mots non équivoques
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veau »10. Cette notation est capitale, puisque l’ancien père est celui dont on espère la
satisfaction sexuelle, celui qui est un objet sexuel, alors que le nouveau père serait le
père sublimé. On pourrait ajouter la colonne du père sur notre schéma. Nous aurions
au départ le père qui bat un enfant. Ensuite nous aurions le père qui coïte et qui est
bien celui du rêve. Enfin, le troisième père devrait être le père de la sublimation.
Comment peut-on l’appeler ? Ce n’est pas un père qui bat. Ce n’est pas un père qui
coïte. C’est un père qui réalise l’assomption. C’est celui qui pacifie, qui promet. C’est
celui où nous incarnons toutes les vertus de la parole. C’est celui qui lie, celui qui pro-
tège, celui qui garantit, celui qui dit : C’est comme ça maintenant mais ça sera mieux plus
tard. C’est celui qui fait attendre. Il faudrait trouver le terme qui rassemble tout ça.
Je ne parlais pas du père de la religion comme tel, mais de celui de la sublimation
– dont la religion est une des formes. Bien sûr, il est ambigu, ambivalent, etc. Ce
que je cherche à travers le terme de sublimation, c’est ce que pourrait être ce
moment-là. C’est le père de la sublimation. C’est celui qui nomme, qui réconcilie.
On va laisser là des points de suspension :
PÈRE
qui bat un enfant
qui coïte
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Cette notation freudienne qu’il défendit l’ancien père contre le nouveau est évi-
demment dans la ligne de la question que nous nous posons sur la délinéation de
ces étapes. Le cas de l’Homme aux loups est aussi – il faut le dire – un des grands
textes de Freud sur la sublimation. Toute la fin est quand même consacrée au fait
de savoir pourquoi l’Homme aux loups ne sublime pas plus. Au fur et à mesure que
la libido se détache de l’homosexualité refoulée, elle est versée au compte de la subli-
mation, nous dit Freud. Cela indiquerait que ce qui est attendu à cette troisième
place de la première colonne, c’est une nouvelle position de jouissance par la subli-
mation. C’est ici que l’on pourrait inscrire la religion ou, comme le dit Freud, les
grands intérêts de l’humanité. Ce que Freud appelle la sublimation, c’est le méca-
nisme qui permettrait que la libido, qui est retenue dans ce qui est refoulé, se
détache pour prendre une forme nouvelle. On voit bien en quel sens sublimation
et refoulement sont dans une même série mais sont distincts.
Une fois reconstitué ce schéma qui porte sur les chapitres II, III, IV, VI – le cinquiè-
me étant un peu rétrospectif, on le laisse de côté – on voit bien comment s’ordon-
nent maintenant les chapitres VII et VIII. La question centrale de ces deux chapitres,
c’est l’identification à la mère, en ce sens que K3 ne s’est pas accomplie. Freud
reprend cette question de savoir si l’Homme aux loups a accompli ou non le passa-
ge à une attitude masculine. Ces deux chapitres se répondent et sont même anti-
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thétiques. Le fond du chapitre VII, c’est de comprendre en quel sens le sujet reste
identifié à la femme en dépit de la libido génitale narcissique qui l’écartait de cette
identification. Le chapitre VIII, c’est de comprendre en quel sens c’est tout de même
un homme et un vrai. Ces deux chapitres se répondent donc l’un à l’autre, et vien-
nent à la place de la tranquillité qu’on aurait pu avoir dans un développement nor-
mal. À la place de ce développement, nous avons deux chapitres, deux problèmes.
Le chapitre VII, qui porte sur l’érotisme anal, que dit-il ? Interprétant les symptômes
intestinaux de l’Homme aux loups, Freud reconstitue le fait que le sujet s’identifie
là à sa mère : du point de vue de l’érotisme anal, il a les mêmes phrases que sa mère
et il prend la même attitude qu’elle. Mais il y a un problème, et c’est là qu’est le
tournant. En effet, alors que nous avons découvert que le sujet devait refouler son
homosexualité pour ne pas s’identifier à la femme et parce qu’il veut protéger la libi-
do génitale narcissique – il ne veut pas qu’on les lui coupe –, Freud constate non
seulement que l’attitude féminine transparaît, mais aussi qu’elle n’a pas varié. La
question logique de Freud est celle-là. C’est toujours sur un moment de disconti-
nuité qu’il repère la chose. Nous avons déjà vu que l’incontinence anale du sujet
change de sens de part et d’autre du rêve.
Freud considère que le sujet se met à la place de la mère, qu’il lui envie sa relation
avec le père, et que l’organe où s’exprime l’identification avec la femme est la zone
anale. C’est ce que j’ai expliqué la dernière fois. Ensuite, il y a l’objection que Freud
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naire, les choses sont bien entendu mêlées, mais la lecture que Lacan peut faire de
ce passage de Freud ne s’accommode pas tellement du thème de la coexistence des
différents niveaux. Il faut tout de même, par un point essentiel, sortir de cette
mélasse. Le Nom-du-Père, c’est cette visée-là chez Lacan.
« Certes, écrit Freud, cette contradiction existe, et les deux conceptions ne s’accordent
pas du tout entre elles. La question est simplement de savoir s’il est nécessaire qu’elles
s’accordent. Notre embarras provient de ce que nous sommes toujours enclins à trai-
ter les processus psychiques inconscients comme les processus conscients et à oublier
les profondes différences des deux systèmes psychiques. »12 C’est là une profession de
foi très générale de Freud. On pourrait dire que c’est l’Einfühlung de Freud, le rapport
presque affectif qu’il a avec l’inconscient, ou que la Stimmung de l’inconscient pour
lui n’est pas la Stimmung de l’inconscient pour Lacan.
Lacan installe finalement la logique dans l’inconscient. Il montre même que Freud
l’a installée d’emblée sans le savoir. C’est, bien sûr, une logique inconsistante, mais
dire que ça ne fait rien si ça se contredit dans l’inconscient, ce n’est pas exactement
la tonalité que Lacan donne à l’inconscient. Nous sommes d’ailleurs poussés à ins-
crire les choses sous forme logique et à essayer de les accorder. Les formules de la
sexuation de Lacan sont des formules qui ne sont pas des formules de la logique
classique, mais enfin, nous les logifions d’une façon très détaillée, et nous voyons
qu’il y a là, chez Freud, comme un affaiblissement de la logique classique.
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Jacques-Alain Miller
1) accepter l’homosexualité
K2
{ 2) refuser l’homosexualité
« Il rejeta le nouveau […] et s’en tint à l’ancien. Il se décida pour l’intestin contre
le vagin pour des motifs analogues et de la même manière qu’il prit parti plus tard
contre Dieu pour le père. » Autrement dit, ce mouvement de la régression d’étapes,
Freud l’observe, dans le chapitre sur la névrose obsessionnelle, entre K2 et K3. Il
isole le mouvement de rejet du nouveau père pour l’ancien. Il n’est pas si sûr que la
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Mais Freud poursuit : « Non que la nouvelle connaissance soit restée sans effets ;
tout au contraire, elle développa une efficacité extraordinairement forte, en deve-
nant le motif qui agit pour conserver le processus entier du rêve dans le refoulement
et l’exclure d’un travail conscient ultérieur. » Ca, c’est extraordinaire ! Freud ne peut
pas renoncer à la notion qu’il y a eu un refoulement. Ce refoulement n’a pu se faire
que sous le régime de l’UWK (Überzeugung der Wirklichkeit der Kastration13), mais
Freud doit en même temps noter que le sujet en est resté à la théorie cloacale. Il
n’annule pas du tout la colonne du rapport sexuel mais la base en est ici vacillante.
En tout cas, elle est partagée.
13. Cf. Miller J.-A., « Marginalia de “Constructions dans l’analyse” », Cahiers de l’ACF-VLB, no 3, octobre 1994, p. 4-30,
article disponible sur le site de l’ECF (causefreudienne.net).
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Je continue : « Mais ainsi son effet était épuisé ; elle n’exerça aucune influence sur
la décision du problème sexuel. » Cette décision du problème sexuel, en allemand
c’est : Entscheidung des sexuellen Problems. Ce terme de Entscheidung est un terme
qui appartient typiquement à la marge subjective. C’est saisissant : « elle n’exerça
aucune influence sur la décision du problème sexuel. Ce fut naturellement une
contradiction qu’à partir de là l’angoisse de castration pût exister à côté de l’identi-
fication avec la femme par le moyen de l’intestin mais seulement une contradiction
logique, ce qui ne veut pas dire grand-chose. L’ensemble du processus est bien plu-
tôt maintenant caractéristique de la manière dont travaille l’inconscient. » Et c’est
là que l’on trouve la phrase dont Lacan a tant fait cas : « Un refoulement
[Verdrängung] est autre chose qu’un rejet [Verwerfung]. » C’est sur ce point que se
joue l’essentiel de la théorie de la psychose.
Peut-être pouvons-nous tout de suite juxtaposer à ce passage à celui où Freud reprend
l’ensemble de la position du patient à l’égard de la castration : « Nous connaissons à
présent la position initiale de notre patient à l’égard du problème de la castration. Il
la rejeta [verwarf], et s’en tint au point de vue du rapport par l’anus. Quand j’ai dit
qu’il la rejeta, la signification la plus proche de l’expression est qu’il ne voulut rien
savoir d’elle au sens du refoulement. De la sorte aucun jugement ne fut, à proprement
parler, porté sur son existence, mais ce fut comme si elle n’existait pas. »14
Il me paraît donc indiscutable que Lacan ne force pas du tout le terme de Freud
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conviction de la réalité. Quelque chose agit là, et c’est ce que Freud lui-même appel-
le Verwerfung. Quelque chose met en question la Wirklichkeit de la castration et fait
qu’elle n’est pas opératoire. Quelque chose fait que la castration ne serait pas opé-
ratoire et qu’elle ne remanierait pas toutes les significations de la vie du sujet, en
particulier les significations de sa satisfaction. En effet, qu’est-ce que la castration,
sinon l’opérateur qui fait passer de la satisfaction à l’angoisse et qui change tout ce
que les choses veulent dire ? On peut jouir de se faire battre par papa, et puis, à un
moment de l’existence, ressentir ça comme une chose insupportable et angoissante.
C’est vraiment un changement essentiel des significations de l’existence.
Ce qui est donc mis en question par cette notion de Verwerfung, c’est peut-être que
la Wirklichkeit de la castration n’est pas accomplie pour ce sujet-là. Freud est pris
dans cette contradiction : ce n’est pas accompli à un niveau et ça l’est à un autre.
En un sens, cela n’a pas opéré, cela n’a pas été opératoire, et en un autre sens, ça l’a
été. Freud a vraiment un problème sur ce point.
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châtré. La formule n’est pas probante en elle-même – il faudra voir le sens que
Lacan veut lui donner – puisqu’elle semble ne pas être du côté de la Verwerfung. La
Verwerfung ne permettrait pas de formuler les choses comme ça, au sens de Freud.
Voilà la phrase de Lacan : « pour reconnaître dans l’isolation symbolique du “je ne
suis pas châtré”, où s’affirme le sujet, la forme compulsionnelle où reste rivé son
choix hétérosexuel, contre l’effet de capture homosexualisante qu’a subi le moi
ramené à la matrice imaginaire de la scène primitive »15. Lacan distingue donc là les
deux épisodes les plus anciens de la vie de l’Homme aux loups. D’un côté il situe
la position subjective, et de l’autre, la capture du moi.
Le doigt coupé
Je voudrais signaler un point important du texte, à savoir l’hallucination du doigt
coupé qui vient à cet endroit-là, page 237. Quelle est, dans cette problématique, la
place où Freud inscrit cette hallucination ? Ce qui est patent dans le texte, c’est que
l’hallucination du doigt coupé n’est pas du tout pour Freud un témoignage de la
Verwerfung comme Lacan l’évoquera. L’hallucination du doigt coupé s’inscrit au
contraire nécessairement dans le registre UWK. C’est même une pièce à l’appui pour
Freud – et donc à l’envers de Lacan – pour dire que, bien qu’il y ait eu ce mouve-
ment-ci, il y a eu ce mouvement-là. Si l’on cherche à opposer Freud et Lacan, il faut
savoir sur quel point on le fait. Il est clair, à ce niveau du texte, qu’on ne peut pas
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L’ascèse psychanalytique
Il faut peut-être que je fasse maintenant un petit excursus sur la raison de notre si
grande attention à ce texte sur l’Homme aux loups. Nous ne jouons pas seulement
à déjouer le diagnostic névrose ou psychose, c’est bien plus que ça. Cette question
nous emmerde et on peut dire qu’elle bouche la question qu’il s’agit de poser. C’est
comme toutes les questions qu’on pose. On pose une question à partir de la réponse.
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Il faut donc que l’on se situe sur cette suspension méthodologique qui me paraît
être vraiment adéquate à notre position clinique et la condition pour y progresser.
Je n’ai pas eu à me forcer pour ça. Je suis parti du fait que je ne comprenais abso-
lument rien à la page 232 de ce texte, spécialement le paragraphe qui se termine par
un refoulement est autre chose qu’un rejet. Je pense donc qu’il vaut la peine de
reprendre posément les parties de ce texte.
La page 232
Nous nous trouvons donc au moment où Freud a établi l’identification avec la mère
par le biais des phénomènes intestinaux de son patient. C’est cela qui est au centre
du chapitre intitulé « Érotisme anal et castration ». Ce chapitre pourrait s’appeler
« L’identification avec la mère ». Le chapitre VIII, lui, pourrait s’appeler « La virilité
de l’Homme aux loups ».
Il y a donc cette objection que Freud se fait à lui-même : « À cet endroit, nous devons
écouter une objection dont la discussion peut beaucoup contribuer à la clarification
d’une situation de fait apparemment confuse. Nous avons dû admettre qu’il avait
compris pendant le processus du rêve que la femme était castrée, qu’elle avait à la
place du membre viril une blessure qui servait au rapport sexuel, que la castration
était la condition de la féminité, et qu’à cause de cette perte menaçante il avait refou-
lé l’attitude féminine envers l’homme et s’était réveillé avec angoisse de son exalta-
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castration, que l’orifice de l’intestin est le lieu du rapport sexuel ? » Ce qui va être
durci au paragraphe suivant est introduit par Freud sous la forme d’une question
qui vient comme une réponse problématique à la question de la compatibilité entre
la reconnaissance de la réalité de la castration et l’identification à la femme par le
biais de l’intestin. « Certes, cette contradiction existe, et les deux conceptions ne
s’accordent pas du tout entre elles. La question est simplement de savoir s’il est
nécessaire qu’elles s’accordent. » Freud va donc justifier ce petit paragraphe du bas
de la page 231 où il dit en substance : nous avons vraisemblablement là deux points
de vue opposés mais ces points de vue opposés coexistent. L’introduction de la
Verwerfung vient à cet endroit-là.
Je lis maintenant le paragraphe suivant, celui qui se termine sur la différence entre
refoulement et forclusion. « Quand l’attente excitée du rêve de Noël lui évoqua
l’image du rapport sexuel des parents, rapport naguère observé (ou construit), ce fut
certainement l’ancienne conception de celui-ci qui apparut en premier, selon
laquelle l’endroit du corps de la femme qui accueille le membre était l’orifice de l’in-
testin. Que pouvait-il avoir cru d’autre, quand il fut à un an et demi spectateur de
cette scène ? Puis vint ce qui arriva de nouveau à quatre ans. Les expériences faites
jusque-là, les allusions entendues à la castration, s’éveillèrent et jetèrent un doute
sur la “théorie cloacale”, rapprochèrent de lui la connaissance de la différence des
sexes et du rôle sexuel de la femme. Il se comporta à cette occasion comme se com-
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Chaîne causale
Dans le rêve de l’Homme aux loups, Freud considère que cette conviction s’atteste
chez le sujet. De ce fait, il y a un moteur manifestement décisif des mécanismes psy-
chiques subséquents, à savoir que cette conviction de la réalité opératoire de la cas-
tration entre en conflit avec, du côté mâle, une valeur isolée comme étant la libido
narcissique – narzißtische genitale Libido (NGL). La libido narcissique génitale rentre
en conflit avec la conviction de la réalité opératoire de la castration. UWK entre en
conflit avec NGL et produit ce que Freud appelle la Kastrationsangst, l’angoisse de
castration. C’est logique et simple. Le produit, c’est l’angoisse de castration :
Le résultat du conflit entre UWK et NGL, c’est l’angoisse de castration. Celle-ci porte
sur l’attitude passive à l’égard du père, et son effet sur cette attitude passive est le
refoulement. Quel est alors le produit final à l’égard du comportement ? Eh bien,
c’est la phobie du loup, la Wolfphobie :
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Nous avons là une chaîne causale tout à fait précise. C’est là que l’angoisse de cas-
tration développe son effet. Elle le développe dans le refoulement : « la nouvelle
connaissance […] développa une efficacité extraordinairement forte, en devenant le
motif qui agit pour conserver le processus entier du rêve dans le refoulement et l’ex-
clure d’un travail conscient ultérieur ». Voilà ce que dit Freud. C’est ce qui me fait
considérer comme fondée, dans cette broussaille, la chaîne causale qui est là.
Freud accentue spécialement la force qui s’ensuit de la connaissance nouvelle de la
castration, pour dire qu’après il ne reste rien : « Mais ainsi son effet était épuisé ;
elle n’exerça aucune influence sur la décision du problème sexuel. » J’ai souligné
l’emploi extraordinaire de cette expression : die Entscheidung des sexualen Problems.
Entscheidung, c’est la décision. Autrement dit, il y a tout un registre où cette
connaissance de la castration est active, et puis un autre registre où elle n’a pas d’in-
cidence. Comment peut-on alors qualifier ces deux registres dans lesquels Freud
pense ?
Trois points
Le problème tourne ici autour de la question : que faire à l’endroit du père ? Au lieu
d’une position passive envers le père, on va avoir la peur du père, la peur du loup,
etc. Freud est très explicite là-dessus. C’est ce qu’il appelle le problème du sexuales
Ziel, le problème du but sexuel. Souvenez-vous de la fin du chapitre sur le rêve.
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le sujet n’a pas pris ce but féminin. Il quitte la position ou le but sexuel féminin, ce
but féminin étant de se faire baiser comme une femme. Il saisit que le sens de la posi-
tion passive, c’est la position féminine, et à ce moment-là, il y a refoulement.
Quelle est la valeur des objections faites à la fin de la fois dernière ? C’est simplement
de se demander pourquoi Freud ne se contente pas de dire que le but féminin du sujet
s’est trouvé refoulé, ne se contente pas de traiter l’identification avec la femme comme
un retour du refoulé de la position passive. Ce n’est quand même pas nous qui allons
apprendre à Freud le retour du refoulé. Nous savons qu’à cette date, il l’a depuis long-
temps inventé. Ce qui est le plus remarquable dans cette page, c’est précisément que
Freud ne se contente pas du retour du refoulé pour situer l’identification avec la
femme. Pour lui, ça ne cadre pas suffisamment l’identification avec la femme. C’est
là que s’inscrit la Verwerfung. Il n’y aurait pas besoin de la notion de rejet de la convic-
tion de la réalité de la castration, si l’on avait pu placer l’identification à la femme sim-
plement sur cette ligne. C’est limpide. Freud, à cette place de l’identification avec la
femme, met en jeu cet élément supplémentaire qu’est la Verwerfung.
Théorie sexuelle
À la fin de la page 232, il dit que « l’attitude féminine envers l’homme – die wei-
bliche Einstellung zur Mann – écartée par l’acte de refoulement, se retire dans la
symptomatologie intestinale et s’extériorise dans les diarrhées ». L’attitude féminine
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ment en tant que retour du refoulé. En tout cas, c’est une identification qui ne paraît pas
à Freud pouvoir entièrement se réduire au retour du refoulé. Il y a là l’indice que ce qui
est en cause, c’est le savoir sur le sexe chez le sujet. Il y a, au niveau du sexe, un problème
qui doit être décidé. Ne psychologisons pas cette décision. Le terme d’Entscheidung vaut
aussi bien pour les machines, pour les processus logiques. C’est un terme employé pour
savoir si un élément appartient à un ensemble ou n’y appartient pas.
Comment peut-on formuler ce problème sexuel ? Est-ce seulement un qui suis-je
sur le plan sexuel ? Est-ce que cela va plus loin ? Ne s’agit-il pas essentiellement,
comme le dit Freud, de ce qu’est une femme ? À cet égard, on voit que l’objection
essentielle que se fait Freud à lui-même ne porte pas sur l’identification avec la
femme. Freud sait bien que c’est parfaitement compatible avec le retour du refou-
lé. On peut parfaitement admettre qu’un sujet refoule l’attitude féminine. Ses lap-
sus seront par exemple interprétables à partir de son identification féminine refou-
lée, ainsi que ses faux pas, etc. Ce sur quoi Freud met l’accent, c’est que l’identifi-
cation avec la femme se fait par le moyen des intestins. C’est le biais choisi pour
cette identification qui lui semble échapper au seul registre du retour du refoulé.
C’est ce qu’il dit dans son objection de la page 231 : « Comment cette compré-
hension du rapport sexuel, cette reconnaissance du vagin s’accorde-t-elle avec le
choix de l’intestin pour l’identification avec la femme ? »
C’est quoi le choix de l’intestin, à cet égard ? C’est le trait par lequel le sujet recon-
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diction logique, ce qui ne veut pas dire grand-chose. L’ensemble du processus est
bien plutôt maintenant caractéristique de la manière dont travaille l’inconscient.
Un refoulement [Verdrängung] est autre chose qu’un rejet [Verwerfung]. » La dis-
tinction de ces deux termes me paraît porter essentiellement sur ce qui rend com-
patibles l’existence du refoulement motivé par l’angoisse de castration et l’identifi-
cation à la femme comme retour du refoulé.
Qu’est-ce qui fait l’ambiguïté de cette phrase ? C’est qu’on se demande toujours si
c’est fait pour définir le refoulement ou si c’est fait pour définir la forclusion. Il ne
faut pas oublier qu’au départ, ce dont il est question dans le texte, c’est de la for-
clusion, du rejet du nouveau. Freud a posé le rejet du nouveau et, à la fin du texte,
il revient au refoulement et accentue l’opposition de ces deux termes du point de
vue de la connaissance. Du point de vue du savoir sur le sexe, il dit que c’est tout
l’un ou tout l’autre. Du point de vue du refoulement, ça peut très bien être les deux
ensemble, parce qu’un refoulement n’est pas comme une forclusion. Au fur et à
mesure qu’on descend dans le texte, on arrive à une possibilité de coexistence entre
le refoulement et le retour du refoulé. À cet égard, l’identification avec la femme
change de statut entre les deux. Il y a une identification avec la femme dépendante
de la forclusion de la castration, et il y en a une autre qui est liée au refoulement.
Freud montre qu’il y a une contradiction, mais il dit qu’elle est seulement logique
et qu’« un refoulement est autre chose qu’un rejet ». Cela veut dire qu’un refoule-
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IMW IMW
(3 mars 1988)
Je voudrais reprendre encore une fois cette question de la place que Freud donne à
la forclusion, puisque ça n’a vraiment pas l’air, après ce que nous venons d’entendre,
d’être la place que Lacan lui donne.
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Pourquoi Freud maintient-il cette position ? Repartons du moteur de tout cet exa-
men. Le moteur, c’est une contradiction. Freud raisonne à partir d’une contradic-
tion à résoudre. Tout le chapitre sur l’érotisme anal est construit autour du fait qu’il
y a une contradiction et que, cette contradiction, il faut la résoudre. Freud la résout
par un appel au refoulement, mais il considère en même temps que cette réponse
reste en quelque sorte problématique.
Il considère d’abord comme établie l’identification à la femme par le moyen de l’intes-
tin et il se formule à lui-même une objection : comment cette identification à la femme
par le moyen de l’intestin est-elle compatible avec la reconnaissance de la réalité effecti-
ve de la castration ? – castration qui répond au qu’est-ce qu’une femme ? par : c’est un être
châtré. Quelle est la réponse de Freud à cette objection ? La réponse qu’il fait à la fin du
paragraphe de la page 232 met en avant la différence de l’inconscient et du conscient,
la différence de l’inconscient et de la logique. La réponse essentielle est un : voilà com-
ment travaille l’inconscient. Le travail de l’inconscient se fait précisément à travers la
contradiction. Nous voyons ce qu’est sa réponse. C’est le travail de l’inconscient.
Reprenons ce qu’est sa question formulée à la page 231 : « Comment la compré-
hension du rapport sexuel, la reconnaissance du vagin s’accorde-t-elle avec le choix
de l’intestin pour l’identification à la femme ? » C’est donc un problème d’accord
– Vertrag. L’expression qui est employée en allemand, c’est sich vertragen, c’est-à-dire
se supporter, s’accorder. Et nous avons là l’expression vertragen sich nicht19, c’est-à-
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ment installés au niveau du génital ? Freud ne se contente pas de dire que c’est de
l’hystérie et que c’est donc parfaitement compatible avec le stade génital.
Le passage que nous commentons est placé sous le registre du retour à l’anal, et la
première réponse de Freud est alors que le sujet a rejeté K. Vous vous rappelez que
dans nos petits schémas, quand nous parlions de la castration, nous notions qu’au
stade K1 le sujet faisait la distinction entre Gedanke et Glaube. Il avait bien la pen-
sée de la castration mais il n’en avait pas la conviction. Cela peut servir à qualifier
le stade anal de la croyance. Cela veut dire que quand il est en A, il adhère à la théo-
rie cloacale. Le sujet croit à la théorie cloacale. C’est le même mot qu’emploie Freud
quand il évoque l’observation par le sujet, à un an et demi, du coït parental : « Que
pouvait-il avoir cru d’autre quand il fut, à un an et demi, spectateur de cette
scène ? » Avoir cru, c’est geglaubt haben. La croyance porte sur l’intestin comme
étant ce qui accorde l’homme à la femme :
A Glaube
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Je vais faire une petite rétrospective sur le chapitre VII, pour essayer de saisir encore
une fois comment l’inspiration de Freud donne naissance à cette architecture. On
peut, en effet, distinguer l’architecture d’un texte et son inspiration fondamentale.
Freud a réservé la question de l’érotisme anal pendant toute l’exposition de son
texte pour l’ajouter à ce moment du chapitre VII. Il a présenté d’abord une succes-
sion chronologique clinique à trois étapes : la séduction, le rêve, la religion et la
névrose obsessionnelle qui va avec. Puis, pour ce chapitre VII, il a réservé la consi-
dération d’un plan de l’expérience qui traverse ces trois étapes : « Tout ce qui
concerne l’érotisme anal a été intentionnellement laissé de côté et doit être rassem-
blé et ajouté ici. »21 L’érotisme anal est saisi comme traversant les différents
moments, et nous avons donc là un quatrième moment tout à fait spécifique.
L’allure de ce chapitre VII est tout à fait remarquable. Son pivot est la question de
l’identification à la mère sur laquelle nous nous sommes déjà étendus. Il est inté-
ressant de remarquer que Freud ne commence pas par l’identification à la mère.
Curieusement, il commence d’abord par l’argent, en nous expliquant que l’argent
est lié aux fèces. Il commence par accréditer l’idée que les fèces ont une significa-
tion. Il le fait en ayant recours à ce qui est prouvé par le savoir analytique. Il accré-
dite d’abord cette notion que les fèces peuvent avoir une signification, et ce n’est
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21. Freud S., « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile », op. cit., p. 226.
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Il n’est pas abusif de concevoir ici les choses d’une façon logique. Freud lui-même
raisonne en termes logiques. Il se réfère à la logique pour essayer de définir le travail
de l’inconscient. La logique du travail de l’inconscient n’a pas les mêmes lois que la
logique consciente. On peut présenter cela par l’implication. S’il y a K, alors il y a
Vg IMW (Verdrängung der Identifizierung mit dem Weib), c’est-à-dire refoulement de
l’identification à la femme. En conséquence, il peut y avoir la phobie du loup :
K Vg IMW W.phobie
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refoulement entre les deux termes et non pas un rapport de forclusion. S’il y avait un
rapport de forclusion, l’identification à la femme disparaîtrait complètement.
Est-ce clair ? Il faut que ce soit clair. Je m’évertue pour que cette page entière soit com-
prise et pour qu’on saisisse exactement le sens de la phrase qui a été prélevée par Lacan.
Sur le schéma, à cette ligne-là, il y a les troubles intestinaux, c’est-à-dire l’identifica-
tion à la femme par le moyen de l’intestin. C’est exactement ce que dit Freud. La
vieille théorie cloacale est refoulée mais pas forclose, même si elle implique une for-
clusion. La forclusion n’est pas forclose, la forclusion est refoulée. Qu’est-ce qui vous
fait vous marrer comme des baleines ? Est-ce l’idée que la forclusion n’est pas forclo-
se ? C’est pourtant le point essentiel. Dans un deuxième temps les troubles intestinaux
peuvent trouver une interprétation comme retour du refoulé, mais il y a un niveau
basique de ces troubles où ils sont accordés à l’identification avec la femme. En tout
cas, c’est ce que Freud maintient. Cela n’empêche pas que, par ailleurs, on puisse
interpréter ces troubles intestinaux comme étant un retour du refoulé.
Voilà donc le premier point, portant sur la distinction du refoulement et de la for-
clusion, à savoir les deux types de négation que ces deux termes représentent : l’une
qui efface tout, l’autre qui efface et maintient.
Le deuxième point concerne ce sur quoi porte le refoulement et ce sur quoi porte
la forclusion. Il est clair que la forclusion porte sur Aufklärung, Verständnis,
Erkenntnis, c’est-à-dire sur tous les termes du savoir. Elle porte donc sur le signi-
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Verwerfung : Signifiant
Verdrängung : Libido (jouissance)
Il n’y a pas d’abus à dire qu’il est là question de ce qu’on doit appeler le métabolis-
me de la jouissance. Il n’y a pas d’abus à substituer le terme lacanien de jouissance
à la libido de Freud. La jouissance est une réinscription de la libido freudienne avec,
bien sûr, tous les aménagements que l’on peut y voir. Il y a donc, entre refoulement
et forclusion, une opposition qui est celle de la dimension du signifiant et de la
dimension de la jouissance.
Il s’agit évidemment de savoir à quoi cette jouissance se transfère, et quels sont les
objets-supports de ces investissements. Mais c’est cela qui donne son articulation au
point de vue de Freud : au niveau où il est question du refoulement, on voit les
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symptômes prendre la relève les uns des autres. C’est l’Ablösung – ce qui a été tra-
duit par « relève des symptômes ». Freud parle également du refoulement d’atti-
tudes : Verdrängung der Einstellungen. On voit se différencier la notion du change-
ment possible des attitudes, c’est-à-dire passer de l’assurance à la phobie, de la gen-
tillesse à la méchanceté, etc. Il s’agit là d’un certain nombre de transformations d’at-
titude, mais Freud est toujours conduit à dire que, finalement, l’attitude passive
demeure jusqu’au bout. Cela veut dire qu’il y a, d’un côté, un métabolisme de ces
attitudes, des modes de jouissance, mais qu’il y a, d’un autre côté, une jouissance
foncière qui, elle, reste inerte et n’est pas touchée par l’ensemble de ce métabolis-
me. Même quand il parle d’attitudes, il y a pour Freud deux niveaux. Un niveau où
ça se transforme et un niveau fondamental où ça ne change pas, où un mode de
jouissance reste absolument constant à travers tous ses avatars. Il n’y a pas d’abus,
je crois, à faire cette distinction au point où nous en sommes dans le texte. Ce n’est
pas pour rien que Lacan a pris ce texte comme un point d’appui essentiel. C’est un
texte où non seulement nous apprenons comment Freud concevait et structurait
l’expérience, mais aussi comment Lacan a construit ses catégories. À cet égard, ce
texte a un rôle tout à fait distingué.
22. Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 55.
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Choix d’objet
Essayons de replacer la question du choix d’objet de ce chapitre VIII dans la problé-
matique d’ensemble du cas.
23. Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Écrits, op. cit., p. 187.
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Serge Cottet a rassemblé au départ les traits les plus marquants de la question du
choix d’objet pour ce sujet, à savoir d’abord sa clarté. Là, il y a un choix dont le
moins que l’on puisse dire est qu’il est univoque. Il n’y a pas d’hésitation, pas même
de conflit, et cette clarté prend la forme même de la compulsion tout à fait décidée,
qui est ce qui fait parler de déclenchement automatique.
Cette univocité du choix d’objet contraste avec l’éclatement de la libido de ce sujet.
Auparavant, Freud s’est employé à nous montrer les positions de ce sujet qui sont extrê-
mement complexes. Il est masochiste, cannibale, homosexuel. Freud accentue donc l’hé-
térogénéité des différentes positions du sujet. Il accentue aussi les clivages, les niveaux
qui montrent que l’Homme aux loups rejette le nouveau, conserve l’ancien, et accepte
pourtant, dans une certaine mesure, le nouveau. On a donc des architectures complexes
qui posent des problèmes théoriques, à quoi Freud répond par ce merveilleux concept
du refoulement qui permet de dire que c’est supprimé et accepté à la fois.
Puis, avec le chapitre VIII, on reprend thématiquement le choix d’objet. Là, nous
avons la clarté, la simplicité, l’élégance des lignes, un style tout à fait différent du
style égyptien de l’inconscient du sujet où tout voisine, même les choses incompa-
tibles. À côté du style bric-à-brac, on a là simplement une petite scène, une sculp-
ture, qui est la femme accroupie, avec, à côté, une petite figurine qui est celle de
l’homme. Il y a donc un contraste tout à fait saisissant.
Un troisième trait tout à fait remarquable signalé par Serge Cottet est la surdéter-
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comme strictement opposé, à savoir viril, extrêmement décidé, compulsif, etc. Voilà
la contradiction qui est là présente. À la fin de la première partie de son rapport de
Rome, Lacan met d’ailleurs l’accent sur l’opposition de ces deux registres, celui de
l’homosexualité et celui de la compulsion.
Il n’y a pas de compulsion homosexuelle chez l’Homme aux loups, et la question se
pose alors de savoir ce que veut dire, pour lui, être un homme. Qu’est-ce que cela
veut dire au niveau de la Verwerfung de l’Aufklärung de la castration ? C’est un
niveau dont on a vu qu’il était amené par Freud pour justifier l’identification avec
la femme. Alors que veut dire, à ce niveau, être un homme ? Quelle réponse a le
sujet ? Est-ce que la réponse est d’abord constituée au niveau de la forclusion de la
castration ? Quand Lacan parle de l’isolation symbolique du je ne suis pas châtré où
se rive la compulsion amoureuse de l’Homme aux loups, il dit que la question
qu’est-ce qu’être un homme ? doit toujours être jugée au niveau symbolique, au
niveau de la décision sexuelle. S’agit-il là d’un je ne suis pas châtré au niveau de la
forclusion de la castration ? Ce pourrait être un je ne suis pas châtré qui serait au
niveau de la reconnaissance de la castration. Mais ce qu’implique Lacan, c’est que
ce je ne suis pas châtré est au niveau de la forclusion de la castration. Je ne règle pas
la question, mais ce qui était déjà en cause chez Freud, page 205, c’était la création
de sa virilité par l’Homme aux loups.
La question est maintenant de savoir comment s’articulent l’identification à la mère
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Il est frappant aussi de voir en quels termes Freud parle du choix d’objet. Ce qui
fait le pendant du terme de choix, c’est le terme de condition. L’expression de
condition d’amour ou de condition du choix d’objet revient plusieurs fois dans ce
chapitre. Pour déterminer quel est le partenaire sexuel d’un sujet donné, il y a donc
un certain nombre de conditions qui sont le produit d’une histoire originaire. Il
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faut bien voir que c’est sur le fond de l’absence du rapport sexuel. Qu’est-ce que
veut dire le rapport sexuel, quand il existe au niveau de l’espèce ? Cela veut dire qu’il
y a des conditions de choix innées qui permettent de reconnaître le partenaire
sexuel. Or, le fait même de parler de condition d’amour et de choix d’objet, c’est la
marque qu’il y a pour Freud une élaboration particulière du sujet qui va détermi-
ner quel est son partenaire.
Le vocabulaire de Freud est là extrêmement déterministe, extrêmement causaliste.
« Il établit une liaison importante entre la scène originaire et la compulsion amou-
reuse qui est devenue si décisive pour son destin, et introduit en outre une condi-
tion d’amour qui explique cette compulsion. »24 Le terme de condition d’amour est
tout à fait constant dans le texte. On le retrouve à la page suivante : « Même son
choix d’objet définitif […] se révéla […] comme dépendant de la même condition
d’amour, comme un rejeton de la compulsion qui, à partir de la scène originaire en
passant par la scène avec Groucha, gouvernait son choix d’amour. » Nous avons là
une indication précise de Freud sur la façon dont il conçoit le rapport à l’objet
d’amour : en termes d’une condition de rassemblement de traits.
Comment Freud articule-t-il finalement les deux ? Si ce chapitre met au premier
plan l’identification virile de l’Homme aux loups, Freud poursuit pourtant en pré-
cisant – l’anal fait justement là son apparition – que sa position foncière reste l’iden-
tification à la femme. Ce qui est foncier dans ce que ce sujet a prélevé dans la scène
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24. Freud S., « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile », op. cit., p. 243.
25. Ibid., p. 249.
26. Ibid., p. 264.
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Honte
Je voudrais simplement donner une citation de Freud dans Inhibition, symptôme,
angoisse après la relecture que j’ai faite pour aujourd’hui. C’est une phrase que je
prendrai à la fois comme une conclusion provisoire de notre étude du cas de
l’Homme aux loups et comme l’exergue de l’ensemble de ce séminaire qui se pour-
suit. On pourrait, chaque année, trouver ainsi une phrase de Freud ou de Lacan qui
soit emblématique. Celle-là me paraît bien et je vous la donne. Elle est extraite du
chapitre VII d’Inhibition, symptôme, angoisse : « Il est presque honteux qu’après un si
long travail nous rencontrions toujours des difficultés à concevoir les données les
plus fondamentales »27. Dans cet affect de presque honte se rassemble, en fait, la
dignité même du travail que nous pouvons faire, qui est précisément de nous
remettre devant les données les plus fondamentales de l’expérience et de la théorie
analytiques, et qui nous fait en même temps nous apercevoir que l’on n’arrive pas à
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Contradiction
J’ai l’impression que Freud est un peu rapide là où il est question du refoulement
et de la régression. À propos de l’histoire de la maladie de l’Homme aux loups, il
écrit : « à partir du rêve décisif, il se comporte d’une manière “méchante”, tour-
menteuse, sadique, et développe bientôt une authentique névrose obsession-
nelle »28. Ce n’est pas le souvenir que j’ai du cas. Cela me paraît, sinon une erreur,
du moins un résumé assez curieux. Vous vous rappelez la différence introduite entre
K1 et K2, entre la castration liée à l’épisode de la séduction et la castration liée au
rêve. Vous vous rappelez aussi le schéma de régression que je proposais. Eh bien,
contrairement à ce que dit Freud, ce n’est pas à partir du rêve que l’Homme aux
27. Freud S., Inhibition, symptôme, angoisse, Paris, PUF, 1951 / 1978 (nouvelle traduction), p. 48.
28. Ibid., p. 24.
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loups devient méchant et sadique, mais à partir de la séduction. Je n’ose pas dire
que c’est là une erreur de Freud mais, si on se réfère à la page 187 du cas, nous
lisons : « Il raconte qu’après le refus et la menace de la Nania, il renonça très bien-
tôt à l’onanisme. La vie sexuelle qui commençait sous la direction de la zone génitale
avait donc succombé à une inhibition extérieure et avait été renvoyée par son influence à
une phase antérieure d’organisation prégénitale. À la suite de la répression de l’onanis-
me, la vie sexuelle du garçon prit un caractère sadique-anal. » C’est la régression
sadique-anale qui fait que le sujet « devint irritable, cruel, se contenta de cette maniè-
re sur les animaux et les hommes ». Il n’est donc pas exact de dire, comme le fait
Freud à la page 24 d’Inhibition, symptôme, angoisse, que c’est à partir du rêve que
l’Homme aux loups se comporte d’une manière méchante et sadique. Ce n’est pas à
partir du rêve que ça lui arrive, mais à partir de l’épisode antérieur de la séduction.
Ceci est encore confirmé dans le résumé que Freud donne du cas, à la page 256 du
cas de l’Homme aux loups : « La séduction continue son influence […]. Elle trans-
forme maintenant le sadisme en sa contrepartie passive, le masochisme. » La pro-
blématique du comportement sadique-anal est constamment référée à la séduction
et à la menace de castration liée à celle-ci. Avec le rêve, c’est différent. Qu’est-ce qui
est lié au rêve proprement dit ? C’est l’apparition de la phobie avec la crainte de la
dévoration, renvoyée par Freud au stade oral. Cela lui paraît être une régression plus
profonde. Au fur et à mesure que l’on progresse dans l’histoire du sujet, on régres-
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du cas. Qu’est-ce qui vient là au premier plan et que nous avons écrit de différentes
façons au tableau ? Nous avons posé la castration, avec la supposition que cette cas-
tration puisse être crédible pour le sujet, c’est-à-dire qu’il ait la conviction de l’exis-
tence de la Wirklichkeit de la castration. Puis nous avons posé que cela entrait en
conflit avec le narcissisme des parties génitales, c’est-à-dire le narcissisme phallique.
Et enfin, en conséquence, nous avons posé qu’il y avait l’angoisse de castration et
ensuite le refoulement dont le sous-produit était la phobie. Je n’ai malheureusement
pas eu le temps de reprendre l’article de 1915 sur le refoulement où l’angoisse n’est
pas du tout – si mon souvenir est bon – isolée comme cause du refoulement.
L’angoisse et le refoulement
Il faudrait retrouver exactement où passe la coupure. Il est certain qu’elle se passe
dans ces années-là. En tout cas, avec ce texte sur l’Homme aux loups, on est déjà sur
le même versant qu’Inhibition, symptôme, angoisse. Ce volume est vraiment fait pour
rendre compte de la théorie qui a été élaborée au cœur du cas de l’Homme aux loups,
à savoir l’angoisse de castration comme moteur du refoulement. Il n’y a pas d’ambi-
guïté sur ce point dans le texte sur l’Homme aux loups. Prenons, par exemple, la
page 196 : Freud parle de « transformation d’affects », et c’est exactement ce même
terme – qui fait le problème même du refoulement – qu’il emploie dans Inhibition,
symptôme, angoisse. Vous avez une deuxième référence à ce propos à la page 257 : « Le
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Le schéma que fait Freud est très simple. Il y illustre la métaphore du symptôme –
à savoir le cheval à la place du père. Si quelque chose justifie de dire que le symp-
tôme est une métaphore, c’est bien cette construction de Freud. La fulgurance de
« L’instance de la lettre… », soit que le symptôme est une métaphore, traduit exac-
tement les considérations du chapitre IV d’Inhibition, symptôme, angoisse. Freud dit
que cette substitution suffit à faire une névrose : « Un seul et unique trait en fait
une névrose : la substitution du cheval au père. » Freud définit la névrose par la
métaphore du symptôme. Il est clair qu’il y a à l’œuvre dans les textes de Freud –
et c’est ce qui permet de faire la liaison entre la théorie de l’Œdipe et la théorie
métapsychologique – ce mécanisme de la substitution ou de la métaphore, qui est
quand même la voie centrale, la grand’route que Lacan a fait apercevoir et qui est
l’armature même de sa théorie de la jouissance.
Cheval
Père
À côté de cette substitution du père par le cheval, il y en a une autre. C’est une sub-
stitution très singulière. D’un côté, il y a l’hostilité envers le père qui devient angois-
se du cheval : Freud nous dit que l’on comprendrait mieux que ça se transforme en
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Angoise
Hostilité
Tendresse
C’est là que surgit exactement la différence notée par Agnès Aflalo et qui est en effet
dans le texte : chez le petit Hans, « la formation de la phobie avait supprimé l’in-
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Je suis loin, évidemment, d’avoir réglé toutes les questions de ce texte. J’ai dû pas-
ser sur beaucoup de choses. Il faut voir que tout ceci s’oppose à la théorie antérieu-
re de Freud où le refoulement opérait une scission entre l’élément signifiant et l’élé-
ment jouissance, entre le représentant de la pulsion et le quantum d’affect qui est
susceptible de se transformer en angoisse. Mais le cas de l’Homme aux loups
montre que le sujet est déjà conditionné par l’angoisse de castration et par une réfé-
rence au problème de la castration. Il faut bien voir pourquoi cela nous intéresse.
Ce niveau où l’angoisse de castration est le moteur du refoulement, comment Lacan
va-t-il le traiter ? Il va le traiter à sa juste place, c’est-à-dire à partir du problème de
la castration. Et que va-t-il mettre comme foncteur pour décrire ça ? Eh bien, il va
mettre - f, c’est-à-dire qu’il va traiter en termes de signifiants l’angoisse de castra-
tion elle-même. Il va pouvoir en donner une traduction signifiante, parce qu’il a
aperçu que le problème de la castration chez Freud ne peut se poser qu’en termes
signifiants. Ensuite, il va pouvoir rendre compte de la transformation de l’affect en
angoisse en rapport avec la place de - f. Par exemple, dans la phobie, ce - f est sus-
ceptible de frapper les objets d’interdiction : on ne peut pas s’approcher de ces
objets.
Bien que nous n’ayons fait qu’aborder la question, nous allons nous arrêter là sur le
cas de l’Homme aux loups et sur la psychose. Il faudra reprendre Inhibition, symp-
tôme, angoisse.
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