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L’HOMME AUX LOUPS (SUITE ET FIN)

Jacques-Alain Miller

L'École de la Cause freudienne | « La Cause freudienne »

2009/3 N° 73 | pages 64 à 117


ISSN 2258-8051
ISBN 9782905040671
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2009-3-page-64.htm
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L’Homme aux loups


(suite et fin)
Jacques-Alain Miller*

VIII. Mise en forme (II)

Le regard
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Je propose1 de soumettre à la discussion l’intervention de Françoise Schreiber même
si elle se place sur un plan un peu ectopique par rapport à notre chemin de relec-
ture du texte de Freud. En effet, on ne peut pas penser pouvoir faire, directement
à partir du cas de l’Homme aux loups, l’élaboration que Lacan propose. C’est déjà
une élaboration extrêmement complexe de la part de Lacan, qui s’inscrit dans son
chemin. Ce n’est pas du cas de l’Homme aux loups que l’on pourrait mettre direc-
tement en valeur l’objet scopique. Votre exposé n’est donc pas ce que nous suivons
pas à pas, mais il s’y inscrit en même temps parfaitement, puisqu’il porte sur ce que
nous n’avons traité que très rapidement, à savoir le chapitre du rêve. C’est là
quelque chose de central, que Lacan reprend dans le Séminaire XI, où il met en
exergue la fonction du regard chez l’Homme aux loups.
C’est là quelque chose qui a échappé à Freud, sauf en deux points : le premier
quand il note la position de spectateur de l’Homme aux loups et va jusqu’à dire que
la passivité foncière du sujet – d’abord rapportée à la séduction à trois ans et demi
de la part de la sœur, mais retraduite ensuite en homosexualité quand la significa-
*Jacques-Alain Miller est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne.
1. Lors de son séminaire de DEA de 1987-1988 sur la clinique différentielle des psychoses, J.-A. Miller a consacré plu-
sieurs séances à l’Homme aux loups. On trouvera ici l’essentiel de ses interventions lors des séances du 18 février
1988 au 24 mars 1988, qui forment la seconde partie de cet ensemble (la première partie est parue dans La cause
freudienne n°72). Plusieurs passages ont dû être supprimés, notamment les discussions avec la salle. La traduction
du texte de Freud « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile » est celle de Luc Weibel relue par Cornélius Heim
et Jean-Bertrand Pontalis, parue dans L’Homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même, s./dir. Muriel
Gardiner, Paris, Gallimard, coll. Connaissance de l’inconscient, 1981. Transcription : Jacques Péraldi. Texte établi
par Nathalie Georges et Philippe Hellebois, avec la contribution de Pascale Fari et Caroline Pauthe-Leduc. Non relu
par l’auteur.

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tion génitale va intervenir – est peut-être foncièrement présente dès la position du


sujet dans la scène primitive. Avant la séduction, il y avait eu la scène avec Groucha
où le sujet s’était montré actif en urinant devant elle. C’était une séduction active
de sa part ; dès lors, il va dériver de son itinéraire normal, et se retrouver dans une
position passive qui va rester foncière. Cette séduction perturbe donc son dévelop-
pement ; pourtant, à deux reprises, Freud note que cette position passive était peut-
être, en définitive, vraiment originaire. Déjà dans la scène primitive, l’Homme aux
loups se trouvait spectateur. Cette passivité, nous l’avons d’abord découverte dans
l’observation comme conséquence de la séduction, puis nous la retrouvons au début
dans la scène primitive. La position passive était peut-être là depuis toujours. Ce
rappel de Freud peut être pris comme une indication de la fonction du regard chez
ce sujet. Dans la scène primitive qui est censée causer tout le mal, il est celui qui
regarde :

Scène primitive Groucha Séduction


Position passive Position active Position passive

Deuxièmement, il y a le fait – vous l’avez évoqué – qu’il va se faire voir par un cer-
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tain nombre de spécialistes. Je trouve très remarquable que vous ayez isolé, à partir
d’éléments du Séminaire XI, la pulsion de se faire voir chez ce sujet, car elle n’avait
jusqu’à présent pas été évoquée ici. Construire cette pulsion foncière de ce sujet est
lumineux. Du coup, cela fait converger beaucoup d’éléments dans l’épisode avec
Ruth Mac Brunswick : l’Homme aux loups est vraiment là coincé dans la position
de se faire voir. Malgré le caractère très limité des éléments scopiques que nous
avons dans l’observation elle-même, on est tenté de donner à cette pulsion une
place majeure. C’est un apport certain.

Le réel de Freud et de Lacan


Si je parlais d’ectopie à propos de l’exposé de Françoise Schreiber, c’est parce que la
façon même dont Lacan amène l’objet regard est tributaire d’une élaboration sen-
siblement en avance sur notre lecture. Notre lecture du texte de 1918 est encore très
en deçà de l’élaboration suivante de Freud, qui nous a été rappelée par Agnès Aflalo.
Il va alors falloir, pas à pas, arriver à rejoindre ce niveau.
Pour le dire un peu vite, ce que Lacan amène sur l’Homme aux loups dans le
Séminaire XI, c’est un changement de statut du réel même. Pour Freud, le réel dont
il s’agit dans l’observation, le réel qu’il traque, c’est la toute première enfance. C’est
tout le mérite de ce cas pour nous, puisqu’il faut bien dire qu’on ne parvient que
rarement, ou même jamais, à des reconstructions aussi fines et aussi précises. Le réel
dont il s’agit pour Freud, c’est le réel des faits. Le réel que Lacan met en valeur dans
le Séminaire XI, c’est vraiment un tout autre réel. C’est le réel de l’objet a, bien qu’il

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n’ait pas encore dégagé ce statut de l’objet. Il y a donc un changement de statut du


réel. Partant du rêve, Freud essaye d’inférer le réel d’une scène originaire. Chez
Lacan, cela se répercute et se traduit dans la problématique du fantasme et du réel.
Le fantasme attaché au réel, c’est autre chose que la liaison du rêve et du réel des
faits – qui est une problématique posant beaucoup de problèmes à Freud. Les chaî-
nons qui nous manquent pour être au niveau de ce que vous avez rappelé de Lacan,
c’est de savoir par quel biais on arrive à ce concept-là du réel, et de comprendre
pourquoi Freud, lui, n’y parvient pas. À cet égard, la fonction du regard dans le rêve
lui échappe.
Pour accéder à ce nouveau statut du réel, il faut une élaboration préalable du sym-
bolique – qui est justement ce qui fait défaut à Freud. C’est ce qui fait, pour lui, le
problème du paradoxe logique que nous rappelait Agnès Aflalo. Dans ce texte de
1918, on peut suivre l’appel à une stratification de la castration, à une stratification
des niveaux. Or, en même temps qu’elle est constamment appelée, la distinction de
l’imaginaire, du symbolique et du réel fait défaut à Freud. Tel est peut-être le che-
min qu’il nous faut suivre dans la théorie de la psychanalyse : cela permet de com-
prendre pourquoi nous sommes moins attachés que Freud à cette reconstruction
des faits. Pour nous, le clivage du fantasme et du réel – réel intérieur au fantasme,
à la fois couvert et trahi par le fantasme, qui lui-même, en un certain sens, est à cette
place – tient lieu de cette reconstruction passionnée des faits.
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Les trois castrations
Peut-être pourrions-nous maintenant reprendre le déroulement du cas là où nous
l’avions laissé. Si je me souviens bien – étant donné que nous arrivons à une mise
en forme, il est de plus en plus facile de s’en souvenir – nous en étions à un sché-
ma simple qui distinguait les trois castrations. La première castration correspond à
la séduction, la deuxième au rêve, et la troisième à l’établissement de la sublimation
religieuse. J’avais fait valoir que chacune de ces castrations – ou du moins les deux
premières – est pour l’Homme aux loups l’occasion d’une régression. La première
castration donne l’occasion d’une régression au stade anal et la deuxième d’une
régression au stade oral. La dernière castration serait, si je puis dire, supposée mettre
les pendules à l’heure. Si elle était accomplie, elle mettrait le sujet à l’heure du géni-
tal. Ce schéma, que nous pouvons appeler schéma des régressions, s’articule sur la
barrière de la castration que le sujet ne franchit pas :

K1 K2 K3
oral anal génital

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Essayons d’ordonner ces trois castrations. Freud lui-même nous propose des for-
mules pour ces castrations, sauf pour la troisième qui reste problématique. Pour la
première, Freud nous dit qu’il y avait la pensée de la castration, la pensée de la dif-
férence des sexes, mais sans croyance, Gedanke sans Glaube. La seconde castration,
celle qui est atteinte dans l’expérience même du rêve où le sujet est cette fois-ci
convaincu que la femme est châtrée dans la réactivation de la scène primitive, ce
que nous pouvons écrire : Gedanke + Glaube. En K1, nous avons seulement une
possibilité. En K2, il y a vraiment conviction de la réalité de la castration :

K1 Gedanke sans Glaube Possibilité

K2 Gedanke + Glaube Conviction de la réalité

K3 Assomption du symbole

Après y avoir réfléchi à nouveau, il ne me paraît pas abusif – même si les termes
freudiens ne recouvrent pas exactement ceux de Lacan – de considérer que la pre-
mière castration est imaginaire et que la seconde est réelle. Cela nous dirait que la
troisième castration, celle que Freud appelle de ses vœux, est symbolique. Dans ce
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registre, il ne s’agit pas de la conviction de la réalité de la castration mais d’une
assomption du symbole. On pourrait en donner la formule : Tu seras un homme,
mon fils. Cette promesse symbolique est d’un ordre tout à fait différent de la possi-
bilité de la castration ou de la conviction de sa réalité. Le Tu seras un homme mon
fils est un engagement sur l’avenir, engagement qui n’est pas de l’ordre de ce qu’on
peut voir ni même constater comme étant le réel. Dire « assomption » ouvre une
dimension de promesse, de foi accordée à… C’est un registre qui n’apparaît pas si
constitué chez l’Homme aux loups, même dans les passages concernant l’argent.
On voit à quel point il lui faut l’argent du père. Il tient d’une façon essentielle, com-
pulsive, à ce que cet argent lui vienne du père. Aucune paix n’est là établie par la
conviction qu’il serait le fils. Cet argent, remarque Freud, a valeur d’enfant du père.
La position à l’égard de la filiation est bien peu évoquée par Freud, sinon dans les
termes de recevoir l’argent du père, et ce, comme appui, comme étai tout à fait
indispensable au sujet. L’Homme aux loups se réjouit de la mort de sa sœur parce
qu’il aura cet argent. Il se dispute avec sa mère à propos de cet argent. L’assomption,
la sécurité de la promesse n’apparaît donc pas là constituée, il faut bien le dire. Je
n’ai pas trouvé le terme freudien qui pourrait répondre à cette définition, puisque
Glaube, en fait, est un terme ambigu entre ces deux registres.
Poursuivons ce schématisme, au moins sur les deux premières lignes. J’avais évoqué
comment l’Homme aux loups, dans son histoire, progresse de la passivité à l’ho-
mosexualité – laquelle est donc cette passivité quand elle reçoit le sens, la significa-
tion génitale. Il faut trouver un nom pour cette colonne. Elle désigne évidemment

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un certain rapport à la jouissance sexuelle. On pourrait l’appeler la position de


jouissance du sujet.
On peut également recomposer la symétrie que j’avais relevée concernant l’expres-
sion « mécanisme de répression » employée par Freud : ce mécanisme entre en acti-
vité par rapport aux deux termes d’inversion et de refoulement. Qu’est-ce qui met
en œuvre ce mécanisme de répression de la position de jouissance ? C’est ce qu’on
peut appeler une opposition. C’est ce qui entre en opposition avec la position de
jouissance.
Avec l’inversion, nous avons le Selbstgefühl viril, le sentiment de soi viril, et avec le
refoulement, nous avons la libido génitale narcissique – qui paraît causale à Freud,
et qui agit, à proprement parler, en tant qu’angoisse de castration. L’angoisse de cas-
tration est le résultat de la confrontation entre l’homosexualité et la libido génitale
narcissique. En raison de l’angoisse de castration, le sujet va faire passer dans les des-
sous l’homosexualité, puisque celle-ci entre en opposition avec la libido génitale
narcissique :

RÉPRESSION OPPOSITION COMPORTEMENT

INVERSION Selbstgefühl viril sadique


REFOULEMENT libido génitale narcissique
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(angoisse de castration) phobique

Nous pouvons encore compléter ce schéma avec les catégories mises en jeu par Freud
lui-même. L’inversion de la passivité a pour résultat un certain comportement, soit
la méchanceté du sujet comme conséquence de la séduction et de la première cas-
tration. Sous la colonne du comportement, nous avons le terme de sadique. Sur la
deuxième ligne, nous allons trouver la phobie, le comportement phobique.
J’ai employé le mot de comportement, car je voudrais laisser à part quelque chose
qui est traduit dans le texte sous le nom d’attitude : « l’attitude du sujet ». La dis-
tinction du comportement et de l’attitude est un petit forçage sur le texte de Freud.
Mais elle rend compte du fait que ce qui se présente comme un comportement
sadique est encore susceptible d’une interprétation de la part de Freud, à savoir que,
derrière ce comportement sadique, se cache une attitude foncièrement masochiste :
le sujet vise à être battu.

Jouissance et identification
Tout cela est évidemment en rapport avec la position de jouissance, qui est aussi un
certain mode de satisfaction masochiste, avec cette distinction qu’ici le but sexuel
est d’être touché sur les organes génitaux, et qu’après avoir suivi tout ce parcours,
on arrive au être battu. On ne peut pas identifier purement et simplement la posi-
tion de jouissance et la position subjective. Freud le dit d’une certaine façon : l’at-
titude masochiste va, elle, rester dominante. Elle a l’air de traverser les différents

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niveaux, d’être transhistorique. Mais on peut quand même lui donner cette
inflexion : à partir du moment où elle tombe sous le coup de la signification géni-
tale, on peut la qualifier d’attitude masochiste féminine. C’est à ce moment-là que
l’on peut dire que le féminin entre en jeu, puisque, avant, la femme n’est pas recon-
nue dans la réalité de sa castration.
Voilà donc un schéma qui me semble assez fondé par le texte et qui nous donne un
bon repère pour considérer comment cela va se transformer. Avant le chapitre VII,
nous avons là une belle symétrie, quoiqu’elle soit déjà perturbée par le fait que, dans
le chapitre sur la névrose obsessionnelle, nous n’avons pas des termes symétriques
qui s’imposent. Dans ce chapitre, nous n’avons rien qui viendrait nous donner des
termes correspondants à ce niveau-là. Tout ce schéma s’ordonne aussi à la différen-
ce entre l’oral et l’anal.
Quel est le terme qui introduit une perturbation dans ce schématisme symétrique ?
C’est, me semble-t-il, la problématique de l’identification qui vient perturber cette
construction et qui rend difficile de la maintenir jusqu’au bout. Dans le texte de
Freud, l’identification va devenir un terme central qui va conduire à quelques dif-
ficultés dans ce schéma.
Deux grands types d’identification sont repérés par Freud.
Le premier est évoqué dès les premiers chapitres : c’est celui de l’identification au
père. On peut même remarquer que cette problématique de l’identification est tout
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entière dominée ou conditionnée par le rapport au père. Ce rapport au père est
déterminant pour l’identification. Dès les premiers chapitres, Freud nous dit que
l’Homme aux loups était très fier d’être considéré comme l’enfant du père. Il est
comme son père. L’identification au père est là un être comme le père. Cette identi-
fication, Freud voudra même la retrouver à la fin de la névrose infantile. Il y a donc
tout un fil où l’on voit l’Homme aux loups souhaiter être une copie du père. Cela
nous est rapporté à propos de la scène avec Groucha, où il se trouve être actif :
« L’action de l’enfant de deux ans et demi dans la scène avec Groucha est le premier
effet de la scène originaire qui ait été porté à notre connaissance. Elle le représente
comme copie du père et nous fait connaître une tendance du développement dans
la direction qui plus tard méritera le nom de masculine. »2 Nous avons donc une
copie du père. La page 255 fait aussi allusion à la même scène : « La scène avec
Groucha […] nous montre notre petit au début de son évolution, qui mérite d’être
reconnue comme normale, peut-être jusque dans sa précocité : identification avec
le père, érotisme urinaire comme représentation de la virilité. » On peut donc suivre
ce fil de l’identification au père tout au long du texte.
Le second versant de l’identification est celui d’une identification non plus au père
mais à l’objet du père. Ces deux identifications se contrarient. C’est dans le registre
de cette identification avec l’objet du père que l’on peut situer l’étonnant raccour-
ci proposé par Freud dans le chapitre sur la névrose obsessionnelle, quand il parle
2. Freud S., « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile », in L’Homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même,
op. cit., p. 244-245.

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déjà de la coexistence de différents courants chez le sujet : « Nous ne pouvons


rendre compte de cet état de chose qui paraît complexe, que si nous nous en tenons
à la coexistence des trois tendances sexuelles visant le père. »3 Ce viser le père ne
concerne pas l’identification au père mais bien les différentes façons d’être l’objet
du père. Freud résume cela d’une façon très plaisante : « À partir du rêve il était
homosexuel dans l’inconscient ; dans la névrose, il était au niveau du cannibalisme ;
l’attitude antérieure masochiste restait dominante. » Nous avons donc trois modes
qui sont curieusement distingués comme étant celui de l’inconscient, de la névrose
et de l’attitude. Dans l’inconscient, nous avons l’homosexualité. Dans la névrose,
nous avons le stade oral ou le cannibalisme. Dans l’attitude, nous avons le maso-
chisme. Ce qui est commun à ces trois termes, c’est le par le père. Nous avons donc
un être baisé, un être mangé, et un être battu :

IDENTIFICATION
1) au père
(être comme le père)
{
{
Inconscient Homosexualité Être baisé
2) à l’objet du père Névrose Cannibalisme Être mangé
Attitude Masochisme Être battu
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À partir de la névrose obsessionnelle, ça ne progresse pas vers le mouvement de
complémenter les cases vides du schéma antérieur. Quant à nous, nous avons impli-
qué une castration symbolique, mais nous n’avons rien, dans le texte de Freud, pour
compléter les cases qui nous manquent. Par contre, ce qui vient au centre – et c’est
le centre de gravité du chapitre VII – c’est la problématique de l’identification à l’ob-
jet du père. Évidemment, c’est énoncé à partir de l’érotisme anal, mais il me semble
que le centre ou le cœur de ce chapitre est de préciser l’identification que le sujet
maintient à l’objet du père. Ce qui devrait venir à cette place, ce seraient des termes
qui renvoient à l’identification au père, sur le mode du Tu seras un homme mon fils.
Or, ce qui vient à cette place, qui apparaît dominant et que Freud va montrer à tra-
vers l’érotisme anal, c’est l’identification à l’objet du père.

La langue de l’érotisme anal


L’analité va alors acquérir un tout autre statut que celui de stade de régression. Nous
avons une première valeur de l’analité comme point de rebroussement de la régres-
sion produite par la première castration. En progrès sur ce stade, il y a une régres-
sion plus profonde à partir de K2. Le chapitre VII, « Érotisme anal et castration »,
change complètement la valeur de l’analité, qui va se trouver être – selon une très
jolie expression de Freud – « la langue de l’érotisme anal », [die Sprache der anale
Erotik]. Freud fait valoir l’analité dans un statut qui est alors bien plus développé :
c’est ce qui sert au sujet à parler la sexualité, à parler son rapport au père, c’est-à-
3. Ibid., p. 219.

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dire son identification à l’objet du père. C’est dans cette expression freudienne,
« langue de l’érotisme anal », que s’établit l’identification à l’objet du père.
C’est même pour cela que Freud peut mettre en parallèle l’érotisme anal et la cas-
tration. Au fond, la castration est ce qui devrait permettre au sujet de parler l’iden-
tification au père. Si l’on se demande ce qu’est le terme freudien de castration, on
peut dire que c’est la langue normale de l’identification au père, avec des tensions
et des affects qui peuvent être très divers à son égard. C’est le Tu seras un homme
mon fils, c’est-à-dire : Tu ne l’es pas encore mais ce n’est pas pour autant que tu es une
femme, tu es en puissance d’être homme. La confrontation érotisme anal / castration,
c’est qu’il y a une langue que le sujet n’a pas à sa disposition, et Freud, au lieu de
l’identification au père, parle de l’identification à l’objet du père.
Je vous présente ce chapitre VII, « Érotisme anal et castration », avec assez de préci-
sion en l’ordonnant à l’identification, mais le sens de ce chapitre n’apparaît pas tout
de suite, puisqu’il se présente d’abord comme la succession des significations de
l’objet anal, des fèces. Freud montre comment, selon les différentes étapes du déve-
loppement du sujet, ce même élément est susceptible de recevoir des significations
différentes. Rien que cela pourrait nous permettre de faire jouer sur ce chapitre la
distinction du signifiant et du signifié, c’est-à-dire de traiter l’objet anal comme un
signifiant qui reçoit des significations différentes selon les différentes étapes. Chez
Freud, ce point de vue est dominant. On pourrait même dire que c’est justement
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parce qu’il est si attentif à ces variations de significations de l’objet anal, que le sta-
tut réel de l’objet n’est pas là pour lui au premier plan.
J’essaye – je n’y suis pas encore parvenu – de voir quel schéma implique le texte de
Freud. Pour le texte de Schreber, Lacan a construit un schéma en se servant de l’allu-
sion faite par Freud au caractère asymptotique de l’espérance du président Schreber.
À partir de là, il a donc construit un schéma qui sature un certain nombre des élé-
ments du cas. Si l’on veut faire la même chose pour le cas qui nous occupe, c’est vrai-
semblablement de ce chapitre VII qu’on pourrait partir, mais il serait plus difficile à
faire que notre schéma géométrique. Freud nous en donne une indication sensible-
ment plus complexe au début de ce chapitre VII, puisqu’il dit : « Ce travail […] trou-
ve une limite naturelle là où il s’agit d’enfermer une configuration multidimension-
nelle dans la surface plane de la description. »4 On a là un problème de topologie ou,
en tout cas, de géométrie dans l’espace. Il est intéressant de constater que ce point de
vue géométrique existe partout chez Freud, en tout cas dans son texte sur Schreber et
dans celui sur l’Homme aux loups. Pour l’instant, nous sommes encore assez loin de
cela, puisque nous en sommes aux schémas sur un tableau, sur un plan.

Argent
Ce chapitre VII, comment se déroule-t-il ? D’une façon très retorse. Freud nous
habitue d’abord à la notion que l’objet anal a des significations, c’est-à-dire qu’il
n’est pas tel quel. Il commence par là, en court-circuit et en s’appuyant sur ce qui
4. Ibid., p. 226.

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est fondé par la psychanalyse, à savoir le statut de l’argent – statut qu’il amène dès
le début : « Les analystes s’accordent depuis longtemps sur le fait que les motions
pulsionnelles qu’on rassemble sous le nom d’érotisme anal, possèdent une impor-
tance extraordinaire […] De même, sur le fait que l’une des extériorisations les plus
importantes de l’érotisme transformé à partir de cette source, se trouve dans le trai-
tement de l’argent ». La carte forcée de la clinique antérieure installe d’emblée l’ar-
gent au cœur de cette affaire.
Cela permet à Freud d’aligner un certain nombre de faits, mais ce point de départ
paraît, là, presque arbitraire. Pourquoi Freud commence-t-il par l’argent ? Il y a
deux raisons à ce choix initial.
Si Freud commence par l’argent, c’est d’abord parce que nous allons retrouver l’ar-
gent plus tard, en tant qu’élément essentiel dans le rapport de filiation. Pour
l’Homme aux loups, il y a un rapport au père qui passe par l’argent, c’est-à-dire :
recevoir quelque chose du père. Notons également l’intolérance du sujet quand sa
sœur reçoit quelque chose du père.
Deuxièmement, ce choix accrédite d’emblée la notion très importante que l’objet
anal a une signification. L’équivalence fèces = argent est donc introduite par Freud
comme un préambule nécessaire pour amener l’existence des troubles intestinaux de
son patient : « Nous sommes maintenant préparés à entendre qu’il souffrît dans sa
maladie ultérieure de troubles intestinaux très tenaces, quoique fluctuants à diverses
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occasions, de ses fonctions intestinales. »5 Pourquoi Freud introduit-il la fonction de
l’argent avant ce fait clinique qui, lui, était avéré dans le cas du patient ? C’est pour
nous préparer à ce que ces troubles intestinaux aient une autre signification que celle
de l’argent. En partant de l’argent, Freud, insensiblement, nous habitue à ce que les
fèces soient comme un signifiant dont le signifié est à retrouver. Une fois que nous
sommes habitués à ce rapport, il évoque les troubles intestinaux pour interroger leur
signification. Pour trouver celle-ci, il retourne vraiment tout à fait en deçà de la signi-
fication monétaire des fèces qui était placée en introduction.
Autrement dit, le schéma conceptuel, c’est : 1) les fèces ont une signification, sont
susceptibles d’avoir des significations ; 2) le sujet ayant des troubles intestinaux, il
s’agit de savoir quelle est leur signification – « Je reviens maintenant à l’enfance du
patient dans un temps auquel les fèces ne peuvent pas avoir eu pour lui significa-
tion d’argent. » Freud rappelle donc d’abord que les fèces ont une signification
monétaire. Puis il nous dit que le sujet a des troubles intestinaux et que, pour
connaître leur signification, il nous faut revenir à un temps antérieur :

S S
Argent = Fèces = Troubles intestinaux
s ?

5. Ibid., p. 228.

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L’Homme aux loups (suite et fin)

Il y a là des procédés qui relèvent vraiment de la conviction. Ils sont même d’ordre
rhétorique, pour accréditer d’abord, dans le public, une idée sur un certain point, afin
d’en faire bénéficier un autre point plus complexe. Freud fait appel à quelque chose
qui est connu par tout le monde, à savoir fèces = argent, puis il amène le fait des
troubles intestinaux, et il recherche enfin la signification de ces troubles – dont il dit
qu’ils sont apparus très tôt, avant que les fèces aient eu la signification de l’argent.
Le repère de Freud pour répondre à cette question – et c’est la première fois qu’il
en émerge une dans ce chapitre – est une discontinuité, à savoir le changement d’at-
titude du sujet dans son enfance à l’endroit de l’incontinence anale. De part et
d’autre d’une coupure, le sujet incontinent a une attitude de défi ou de honte à l’en-
droit de cette incontinence anale : « Il n’en avait pas du tout honte. C’était une
expression de défi à l’égard de la gouvernante. […] Un an plus tard, […] il lui arri-
va de salir son pantalon en plein jour. Il avait terriblement honte »6. Freud se repè-
re sur la discontinuité entre le défi et la honte :

Incontinence anale : Défi / Honte

« Il avait terriblement honte, et se lamentait quand il était nettoyé : il ne pouvait


plus vivre ainsi. Entre-temps quelque chose avait donc changé, sur la trace de quoi
nous fûmes conduits en examinant attentivement sa plainte. Il s’avéra qu’il avait
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emprunté à quelqu’un d’autre les mots : “il ne pouvait plus vivre ainsi”. Un jour, sa
mère l’avait emmené tandis qu’elle accompagnait à la gare le médecin qui l’avait
visitée. Elle se plaignit, pendant le chemin, de ses douleurs et de ses pertes de sang,
et s’exclama, en utilisant les mêmes mots : “Je ne peux plus vivre ainsi”, sans s’at-
tendre à ce que l’enfant conduit par la main les conserve en mémoire. » Si nous vou-
lons chercher ce qu’est le signifiant-maître, et ce que sont ces paroles qui restent
alors que les écrits peuvent s’envoler, nous en avons un exemple majeur avec le je ne
peux plus vivre ainsi de la mère. « La plainte, qu’il devait, du reste, répéter dans sa
maladie ultérieure d’innombrables fois, signifiait donc une identification à la
mère. » C’est là le point tournant de ce chapitre. Il y a là, non pas un comme le père,
mais un comme la mère, voire un comme une femme, qui reste tout à fait détermi-
nant pour le sujet.
On pourrait effectivement relire le cas dans ce clivage entre le comme le père et le
comme une femme. Si on relit le cas en répartissant les choses entre ces deux versants,
il n’y a pas de doute que le comme une femme ou le comme la mère est absolument
dominant et constant. Autrement dit, le vrai titre de ce chapitre VII pourrait être
« L’identification à la mère », l’érotisme anal étant la langue dans laquelle se parle,
pour le sujet, l’identification à la mère. Si le développement s’était poursuivi, nous
aurions dû avoir l’identification au père et le langage dans lequel se parle cette iden-
tification. Or, nous avons au contraire quelque chose qui reste attaché à la position
de jouissance homosexuelle comme refoulée. De quoi nous occupons-nous, en
6. Ibid., p. 229.

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Jacques-Alain Miller

effet, avec l’érotisme anal tel que Freud nous le présente ? Du retour du refoulé
qu’est l’homosexualité : Freud traite les symptômes intestinaux de l’Homme aux
loups comme le retour de ce refoulé qu’est l’homosexualité.
Freud apporte encore bien d’autres éléments pour justifier cette connexion qu’il fait
à l’identification à la mère. « Que devait donc signifier l’identification avec la mère ?
Entre l’utilisation hardie de l’incontinence à trois ans et demi et l’effroi qu’elle
engendre à quatre ans et demi, se situe le rêve, avec lequel commence sa période
d’angoisse, qui lui apporta la compréhension après coup de la scène vécue à un an
et demi, et l’explication du rôle de la femme dans l’acte sexuel. »7 Là se trouve cette
notation dont Lacan lui-même essayera de s’arranger avec ses termes de l’époque
dans le rapport de Rome, à savoir montrer comment cela se répartit entre le sujet
et le moi – c’est une grille de lecture que Lacan applique au cas, mais elle ne se
maintiendra pas forcément. Le sujet s’est foncièrement identifié à la position de la
femme ou de la mère dans l’acte sexuel, ce qui est une autre manière de dire la fixa-
tion de la position homosexuelle inconsciente : être baisé par le père. Ce n’est pas
le comme le père, mais le par le père qui est présent dès le début et qui prend la valeur
femme. C’est être baisé par le père comme une femme.
Là pivote l’affaire de la castration. Je n’apprends rien à ceux qui ont lu le texte. La
castration pivote sur la difficulté que Freud rencontre à ce moment-là : comment
se fait-il que la position féminine du sujet soit par lui parlée dans la langue de l’éro-
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tisme anal et non dans la langue de la castration ? Pourquoi est-elle parlée dans la
langue anale et non dans la langue génitale ? Comment est-il possible que cette
identification se fasse sur le plan anal, alors que le sujet est supposé savoir ce qu’est
la femme en tant que châtrée ? C’est vraiment très clairement vu par Freud : « Nous
avons dû admettre qu’il avait compris pendant le processus du rêve que la femme
était castrée, qu’elle avait à la place du membre viril une blessure qui servait au rap-
port sexuel, que la castration était la condition de la féminité, et qu’à cause de cette
perte menaçante il avait refoulé l’attitude féminine envers l’homme et s’était réveillé
avec angoisse de son exaltation homosexuelle. Comment cette compréhension du
rapport sexuel, cette reconnaissance du vagin, s’accorde-t-elle avec le choix de l’in-
testin pour l’identification avec la femme ? »8
Freud nous guide par la main. Comment se fait-il que ce qui est supposé être acquis
ne tienne pas devant l’identification anale ? C’est vraiment indiquer que la convic-
tion de la réalité de la castration ne suffit pas pour valider et assurer cette castration
lorsque cette identification à la femme se présente ou se propose. Nous avons vrai-
ment ici comme les entours d’un manque. Quelque chose n’a pas vissé chez le sujet
cette conviction de la réalité.
Cela nous ramène vraiment aux racines de la nécessité de la catégorie du symbo-
lique. Nous voyons déjà Freud introduire – et c’est quand même formidable – des
distinctions dans la castration. Il y a vraiment là un point dans la réalité qui appa-

7. Ibid., p. 230-231.
8. Ibid., p. 231.

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L’Homme aux loups (suite et fin)

raît déjà à Freud comme extrêmement complexe. L’attitude du sujet par rapport à
ce point de réalité est extrêmement complexe : il peut y penser sans y croire, et il
peut voir la castration partout sans en avoir la conviction. C’est vraiment un point
tout à fait énigmatique. Freud lui-même nous a introduits à distinguer là des strates.
En effet, Gedanke sans Glaube et Gedanke avec Glaube sont déjà deux statuts de la
castration, et nous sommes sur le bord de saisir qu’il y a quand même un troisième
niveau qui devrait être placé, à savoir que cette conviction tient le coup, qu’elle tient
le coup jusqu’au bout et dans ses conséquences. Mais là, et même si Freud dit qu’il
y a la conviction, on s’aperçoit que celle-ci ne conduit pas du tout à une identifica-
tion au père, mais qu’elle cède devant une identification à la mère, sur un mode qui
ne prend pas du tout en compte la problématique génitale.
Autrement dit, c’est dans ce premier passage que nous saisissons qu’il y a là comme
un élément invisible qui manque. Il y a un terme qui va au-delà de ceux que Freud
emploie, comme la connaissance, la reconnaissance, etc. Quels que soient les termes
que Freud emploie, on voit bien qu’il en manque un : un terme qui indiquerait que
le sujet tire les conséquences de cette conviction, c’est-à-dire qu’il est sérieux dans
cette conviction. Cette page où se situe l’objection de Freud est le point tournant à
partir duquel nous voyons Freud intégrer immédiatement la Verwerfung et essayer
d’articuler, exactement en ce point-là, le refoulement et la forclusion. Tout le
monde a lu le texte et voit bien que le problème est l’identification à la mère. Nous
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sommes sur la ligne 2 du schéma où s’indique l’identification à l’objet du père. Tout
le problème réside en ceci que ce qui reste problématique jusqu’au bout, c’est l’iden-
tification au père.
(18 février 1988)

IX. Refoulement et forclusion (I)

Nous étions arrivés au seuil de la page 232, c’est-à-dire à ce fameux passage qui dis-
tingue, selon la lecture de Lacan, le refoulement et la forclusion. C’était le point
culminant où nous étions arrivés. Vous vous souvenez que l’on pouvait noter, avec
ce fameux chapitre intitulé « Érotisme anal et castration », la problématique tout à
fait insistante de l’identification, et précisément celle de l’identification à la mère.
Nous avions constaté que cette identification à la mère s’exprime dans la langue de
l’analité. C’est à ce point que nous en sommes.
Si nous reprenons ce même schéma, nous pouvons en compléter facilement la cin-
quième colonne. Pour Freud, ce qui s’installe avec le moment de la religion, c’est
très clairement un mécanisme que l’on peut mettre en série avec les précédents,
même s’il s’en distingue : la sublimation. Cette phase traduit l’effort du sujet pour
sublimer les difficultés antérieures, et en particulier ce qui fait la difficulté essen-
tielle de la phase précédente, à savoir sa position à l’égard du père. Je reprends le
chapitre sur la névrose obsessionnelle : « La connaissance de l’Histoire sainte lui
donna la possibilité de sublimer l’attitude masochiste prédominante à l’égard du

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Jacques-Alain Miller

père. »9 Cette sublimation lui permet, toujours en termes d’attitude, de sublimer la


position masochiste féminine, et nous pouvons écrire, dans la cinquième colonne, le
terme attitude christique masculine. La position christique masculine se situe donc ici.
Un pas est accompli à cette place. Mais il est clair que, au dire de Freud lui-même,
il n’est pas parfaitement accompli : « Dans le doute sur l’existence d’un derrière chez
le Christ, transparaît l’attitude homosexuelle refoulée, car la rumination ne pouvait
signifier rien d’autre que la question de savoir s’il pouvait être utilisé par le père
comme une femme, comme la mère dans la scène originaire. » Malgré cette subli-
mation, la position de jouissance n’apparaît pas changée. Elle apparaît toujours en
rapport avec l’homosexualité refoulée sur quoi la sublimation travaille. Cela ne
nécessite donc de redéfinir ni la position de jouissance, ni l’opposition motrice du
sentiment viril ou de la libido génitale.
Pour ce qui est du comportement, on peut parler à cette place de comportement
obsessionnel. Cette symptomatologie est en effet tout à fait apparente. L’Homme aux
loups s’identifie au Christ – façon pour lui de prendre une attitude masculine –
mais les éléments de la phase antérieure transparaissent toujours.

Position de
Castration Registre Répression Opposition Comportement Attitude
jouissance
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K1 Gedanke - Glaube possibilité imaginaire passivité inversion Selbstgefühl sadique masochiste
-f viril
conviction libido
K2 Gedanke + Glaube de réel homosexualité refoulement génitale phobique masochisme
la réalité P narcissique féminin
(angoisse de
castration)
Religion
K3 assomption symbolique Grans intérêts sublimation obsessionnel christique
symbolique F de l’humanité masculine

Essayons maintenant d’aborder la question du refoulement et de la forclusion en


pensant à la page 232. Refoulement et forclusion nous demandent de faire un
retour sur la question du refoulement dans le cas de l’Homme aux loups. Comment
Freud justifie-t-il ce concept ? C’est un concept bien plus classique que celui de for-
clusion, puisqu’il est freudien et qu’il n’a été contesté par personne dans la psycha-
nalyse. Par quel biais Freud amène-t-il et justifie-t-il le refoulement dans ce cas ?
Ledit refoulement, Freud le justifie à partir du rêve des loups. Pourquoi ? Pas seu-
lement parce que ça lui a paru être de structure et ressembler à des choses qu’il avait
lui-même établies, mais pour la raison tout à fait précise que ce rêve est articulé à
une discontinuité. L’écoute de Freud – nous l’avons remarqué – était visiblement
9. Ibid., p. 222.

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L’Homme aux loups (suite et fin)

orientée vers cette discontinuité. Nous l’avons vu dans la datation très précise qu’il
fait de l’épisode de la séduction. Il y repère une discontinuité dans l’attitude du
patient : il était gentil et, à un moment, il est devenu méchant. C’est à partir de
cette constatation que Freud donne toute sa valeur à l’épisode de la séduction et à
la menace de castration afférente. Pour le rêve, dans lequel il entend s’accomplir un
refoulement décisif pour l’histoire du patient, c’est encore une discontinuité qu’il
note, et même une inversion. Le rêve se situe donc un peu avant l’anniversaire des
quatre ans du sujet. D’habitude, il attend ce moment avec une anticipation de satis-
faction. Il manifeste dans son attitude de la bonne tenue et de l’activité. Mais, à par-
tir de ce moment datable, on va trouver chez lui de l’angoisse, « des phénomènes
d’angoisse torturante ». Eh bien ! tel que je le lis, c’est là le repérage d’une seconde
discontinuité. Ce qu’il s’agit pour Freud d’expliquer, c’est pourquoi cette transfor-
mation se produit à ce moment-là.

De la satisfaction à l’angoisse
Qu’est-ce qui permet de rendre compte de cette transformation ? On peut être frap-
pé, dans cette observation, de l’aspect étiologique du développement de Freud. La
recherche de la cause est vraiment ce qui marque tout le style de l’observation. Freud
a un mot pour qualifier la discontinuité : Scheidung, qui est traduit en français par
séparation. C’est à la dernière phrase du chapitre III : « Quant à l’incident qui auto-
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e
rise cette séparation, ce ne fut pas un traumatisme extérieur, mais un rêve, dont il
s’éveilla avec angoisse. » Ce terme de séparation s’ordonne donc au changement de
l’anticipation joyeuse des cadeaux de Noël en attitude d’angoisse qui va se pour-
me suivre. Nous pouvons noter l’expression que Freud lui-même emploie à cet égard :
die Verwandlung der Befriedigung im Angst, « une transformation de la satisfaction en
angoisse ». Cette transformation, Freud va l’expliquer par le refoulement. C’est une
notation qui montre comment Freud saisit l’angoisse et la satisfaction en série,
comme susceptibles de se transformer l’une dans l’autre, et au registre des affects.
e Mais, en même temps que Freud corrèle au moment du rêve la transformation d’at-
titude du sujet, il nous dit que le rêve en lui-même ne présente rien qui permette
de l’expliquer. Nous n’avons pas, dans ce rêve, la cause de cette transformation, et
Freud est donc amené à parler, du point de vue d’une recherche étiologique, de die
Lücke im Traum, c’est-à-dire de la lacune qui est là dans le rêve. Il n’y a pas de lacu-
ne dans le rêve en tant que tel. Un rêve est ce qu’il est. Un rêve est un rêve. Si Freud
peut dire qu’il y a une lacune (Lücke) dans le rêve, c’est dans la mesure où il ques-
tionne le pourquoi de la transformation d’attitude qui se situe au moment de ce
rêve. Ce rêve ne donne pas directement la réponse ; il cache la cause, et cette cause
qui a sa place dans cette lacune, il faut la trouver. C’est vraiment dans la lacune du
rêve que Freud cherche la cause comme cause cachée.
Essayons de bien saisir les détails de la démarche de Freud à propos du refoulement.
Premièrement, Freud se repère à la transformation de la satisfaction en angoisse et
il pose la question : pourquoi cette transformation ? Il est clair que Freud n’est pas

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Esthela Solano-Suárez

paralysé dans sa pensée devant l’interprétation. Il a là une attitude étiologique peut-


être susceptible de le faire errer mais qui est, en tout cas, sa position. Il s’interroge
donc : pourquoi ?
Deuxièmement, il donne un sens précis au statut de la satisfaction. Au premier
abord, c’est la satisfaction de savoir qu’on va trouver des cadeaux au pied de l’arbre
de Noël. Mais Freud ne s’en satisfait pas, puisqu’il a déjà construit le schéma lui per-
mettant de poser que, pour le sujet, la satisfaction est une satisfaction reçue du père.
C’est ce que nous avons analysé avec l’attitude masochiste qui consiste à se faire
battre par le père. C’est une attitude sexuelle, érotisée à l’endroit du père. Freud se
demande alors de quelle satisfaction il s’agit. Il y a la satisfaction apparente – celle
de recevoir les cadeaux de Noël –, et il y a la satisfaction foncière et latente – la satis-
faction sexuelle reçue du père. C’est celle-ci qui change de sens, et qui devient
angoisse. Ce qui se transforme, c’est la valeur de la signification affective de la satis-
faction sexuelle reçue du père. On peut représenter ça comme un syllogisme :
1) la satisfaction se transforme en angoisse ;
2) cette satisfaction est foncièrement la satisfaction sexuelle reçue du père ;
3) il s’agit d’un virage de cette satisfaction sexuelle reçue du père.
Freud se demande alors quel est le facteur qui peut accomplir ce virage ? J’emploie
là, précisément, le terme de facteur. Quel est le facteur pouvant opérer cette trans-
formation ? On voit bien, dans la conception de Freud, que l’opérateur est une
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image. La scène primitive, qui est devenue si célèbre, s’inscrit exactement à cette
place. C’est celle qui doit être reconstruite à partir du rêve, pour expliquer le virage
de la valeur de la satisfaction sexuelle reçue du père. Les termes que Freud emploie
sont très frappants. Ce ne peut, dit-il, être qu’une image – Bild. À partir de nos
propres présupposés, nous dirions, nous, que ce ne peut être qu’un signifiant. Étant
donné notre conception causaliste du signifiant, l’image de la scène primitive est
pour nous un signifiant. C’est un signifiant qui est là un opérateur. J’insiste sur le
terme de facteur ou d’opérateur, car c’est ce qui permet de comprendre en quels
termes Freud parle de la castration dans ce texte. Il parle de Wirklichkeit, c’est-à-dire
de la réalité en tant qu’opératoire. Il parle là vraiment d’un facteur.
Cette castration – qui est la leçon tirée de la scène primitive, de l’image – doit per-
mettre de rendre compte de la transformation de la satisfaction. Pour que la satis-
faction reçue du père devienne repoussante, il faut qu’elle se transforme en angois-
se, qu’elle touche à l’intégrité même du corps qui jouit. C’est cela que Freud appel-
le castration. Ce n’est pas seulement la conviction que les femmes n’ont pas l’orga-
ne pénien, qu’elles ont une blessure à la place. La menace est à prendre au sérieux.
D’une possibilité, elle devient réelle, ce qui veut dire qu’elle devient opératoire dans
le cas du sujet. Avant, c’était quand même de l’ordre d’un cause toujours, tu m’inté-
resses, mais, à ce moment-là, ça rentre dans la réalité. Il y a un passage à la réalité de
la castration sur un mode opératoire. Le terme de Überzeugung, de conviction, a
évidemment sa valeur, mais l’expression de Wirklichkeit der Kastration montre vrai-
ment la place factorielle où cela s’inscrit. Cela devient effectif pour le sujet.

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L’Homme aux loups (suite et fin)

C’est alors que le schéma du rêve est par Freud reconstitué très précisément. Il y a
trois temps. Premièrement : aspiration à la satisfaction sexuelle par le père. On voit
là quel est le désir du rêve. Deuxièmement : compréhension de la castration. Freud
le dit plus lourdement : « Compréhension de la condition relative de la castration »,
ce qui veut dire que cette satisfaction n’est pas tout bénéfice mais qu’il y a un risque
sérieux de perdre une partie du corps. Troisièmement : angoisse, peur – Angst – du
père. L’armature logique est donc extrêmement simple et forte, comme l’est
d’ailleurs le moment précédent de la séduction.

Wirklichkeit de la castration
Pourquoi est-on passé de la satisfaction à l’angoisse ? Il faut bien qu’il y ait eu, entre
les deux, un élément opératoire. C’est ça que Freud appelle la castration. La castra-
tion n’est rien d’autre que l’opérateur qui rend compte de la transformation de la
satisfaction en angoisse. Là où nous faisons intervenir un signifiant, Freud fait inter-
venir une image. C’est ce qui est pour lui effectif et opératoire. Vous savez que
Lacan faisait intervenir l’imago là où il fera plus tard intervenir le signifiant. La cas-
tration est donc le facteur de commutation de la satisfaction en angoisse. J’insiste
sur le caractère de Wirklichkeit de la castration.
Nous avons ensuite une notation très intéressante de Freud, à savoir que ce qui est
issu de ce moment-là n’est pas une position, un courant bien décidé, mais un véri-
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table éclatement de la libido du sujet. Une autre notation, tout à fait remarquable,
indique que la scène primitive – porteuse en puissance de tous ses effets – ne porte
lesdits effets qu’à travers le rêve, qui intervient deux ans et demi après. On a donc,
ici encore, un effet d’après-coup. La cause ne devient active que deux ans et demi
après, dans un rêve auquel Freud donne le même statut d’effectivité et de pouvoir
causal qu’à ce qu’on appellerait un événement contemporain.
C’est dans ce contexte que Freud prononce le terme de refoulement. Tel que Lacan le
reprend dans la métaphore paternelle, le concept de refoulement est assez probléma-
tique : sa thèse quant au refoulement du désir de la mère est une thèse afférente à ce qui,
chez Freud, est la Wirklichkeit du refoulement, que Lacan attribue au Nom-du-Père –
le phallus apparaissant en position d’effet. En 1918, le facteur opérant pour Freud, c’est
le phallus lui-même, c’est l’organe mâle lui-même. Dans la métaphore paternelle de
Lacan, le Nom-du-Père est à la place du refoulement. Dans le texte de Freud, c’est un
statut du phallus. Cela se prêterait donc, si nous voulions aller dans ce sens, à beaucoup
de comparaisons, et aussi à considérer l’évolution de Freud concernant le complexe de
castration et ce qui effectue le refoulement. Mais, quelles que soient les variations dans
la problématique analytique, ce qui reste constant, c’est en définitive d’isoler un
moment de développement du sujet où se produit un virage de ce type. Le refoulement
impliqué se produit par protestation narcissique virile. C’est d’ailleurs volontairement
que Freud utilise le terme adlérien de protestation narcissique virile.
Ceci nous indique aussi que la castration en jeu ici est n’est pas du registre de l’as-
somption de la castration. Comment apparaît l’incidence du moment œdipien ?

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Jacques-Alain Miller

Son incidence, c’est qu’il laisse foncièrement le sujet devant deux identifications
possibles, que nous avons parlées en termes de castration.
D’abord, être une femme en train de subir l’accouplement. Ce n’est pas du tout
proscrit, là, par l’émergence de la castration. Au contraire, c’est tout à fait ouvert
comme possibilité pour le sujet, et c’est même ça que l’Homme aux loups considè-
re et qu’il va refouler. Cela donne le sens de sa passivité. Cette passivité oblige, en
quelque sorte, à être conséquent, c’est-à-dire à aller jusqu’à être une femme en train
de subir l’accouplement. C’est une des possibilités qu’amène la castration.
Ensuite, nous avons la deuxième identification qui est celle d’être un homme, d’être le
fils de mon père, ou encore d’être un homme comme mon père. Ce que Freud appel-
le castration, c’est le moment où ce choix se constitue pour le sujet. Il ne s’agit pas de
la nature du choix, mais de la constitution même de ce choix. C’est en quoi la psychose
paranoïaque est le meilleur exemple que l’on puisse donner de la Wirklichkeit de la cas-
tration au sens de Freud. En effet, dans la psychose, nous avons, même sous les formes
les plus catastrophiques, un sujet qui est devant le problème d’être une femme en train
de subir l’accouplement, un sujet qui pense d’abord que c’est beau, puis que c’est
quand même aller un peu loin, pour finalement se réconcilier avec. La psychose est un
excellent exemple de Wirklichkeit de la castration au sens de Freud : « Là s’exprime le
fait d’être prêt à renoncer à sa virilité, si l’on peut ainsi être aimé comme une femme.
D’où précisément cette motion contre Dieu qui est exprimée en mots non équivoques
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dans le système délirant du paranoïaque président Schreber. »
Si nous considérons, page 237, la distinction freudienne des trois courants – le cou-
rant qui abhorre la castration, celui qui l’accepte et celui de la forclusion – où se
trouve alors la psychose dans ce schéma freudien ? Apparemment, elle ne se trouve
pas immédiatement du côté du troisième courant, celui du rejet de la castration. En
considérant les termes freudiens de l’époque, il faut s’apercevoir que la castration se
trouve au niveau du deuxième courant. Pour Freud, le sujet psychotique a la convic-
tion de la réalité de la castration, et il fait le choix d’accepter le renoncement à sa
virilité pour être aimé comme une femme ou pour se consoler avec la féminité
comme substitut. Pour le Freud de l’époque, la conviction de la Wirklichkeit de la
castration est absolument ce que partage le paranoïaque. La psychose est une
démonstration de la Wirklichkeit de la castration.
C’est en ce point que, selon Freud, psychose et homosexualité sont liées. Elles ne
sont pas liées seulement pour des raisons adjacentes, elles sont liées en raison de cet
embranchement œdipien. Par rapport au choix d’être un homme, sur le modèle du
Tu seras un homme mon fils, homosexualité et psychose sont de l’autre côté, du côté
du choix d’être une femme. L’Homme aux loups se rapprochait du génital par le
biais de l’homosexualité, mais voilà que le refoulement l’a écarté de cette voie.

L’ancien père et le nouveau


Nous avions souligné que Freud, évoquant la question du père, nous dit qu’en arri-
vant à la religion, l’Homme aux loups « défendit […] l’ancien père contre le nou-

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veau »10. Cette notation est capitale, puisque l’ancien père est celui dont on espère la
satisfaction sexuelle, celui qui est un objet sexuel, alors que le nouveau père serait le
père sublimé. On pourrait ajouter la colonne du père sur notre schéma. Nous aurions
au départ le père qui bat un enfant. Ensuite nous aurions le père qui coïte et qui est
bien celui du rêve. Enfin, le troisième père devrait être le père de la sublimation.
Comment peut-on l’appeler ? Ce n’est pas un père qui bat. Ce n’est pas un père qui
coïte. C’est un père qui réalise l’assomption. C’est celui qui pacifie, qui promet. C’est
celui où nous incarnons toutes les vertus de la parole. C’est celui qui lie, celui qui pro-
tège, celui qui garantit, celui qui dit : C’est comme ça maintenant mais ça sera mieux plus
tard. C’est celui qui fait attendre. Il faudrait trouver le terme qui rassemble tout ça.
Je ne parlais pas du père de la religion comme tel, mais de celui de la sublimation
– dont la religion est une des formes. Bien sûr, il est ambigu, ambivalent, etc. Ce
que je cherche à travers le terme de sublimation, c’est ce que pourrait être ce
moment-là. C’est le père de la sublimation. C’est celui qui nomme, qui réconcilie.
On va laisser là des points de suspension :

PÈRE
qui bat un enfant
qui coïte
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Cette notation freudienne qu’il défendit l’ancien père contre le nouveau est évi-
demment dans la ligne de la question que nous nous posons sur la délinéation de
ces étapes. Le cas de l’Homme aux loups est aussi – il faut le dire – un des grands
textes de Freud sur la sublimation. Toute la fin est quand même consacrée au fait
de savoir pourquoi l’Homme aux loups ne sublime pas plus. Au fur et à mesure que
la libido se détache de l’homosexualité refoulée, elle est versée au compte de la subli-
mation, nous dit Freud. Cela indiquerait que ce qui est attendu à cette troisième
place de la première colonne, c’est une nouvelle position de jouissance par la subli-
mation. C’est ici que l’on pourrait inscrire la religion ou, comme le dit Freud, les
grands intérêts de l’humanité. Ce que Freud appelle la sublimation, c’est le méca-
nisme qui permettrait que la libido, qui est retenue dans ce qui est refoulé, se
détache pour prendre une forme nouvelle. On voit bien en quel sens sublimation
et refoulement sont dans une même série mais sont distincts.
Une fois reconstitué ce schéma qui porte sur les chapitres II, III, IV, VI – le cinquiè-
me étant un peu rétrospectif, on le laisse de côté – on voit bien comment s’ordon-
nent maintenant les chapitres VII et VIII. La question centrale de ces deux chapitres,
c’est l’identification à la mère, en ce sens que K3 ne s’est pas accomplie. Freud
reprend cette question de savoir si l’Homme aux loups a accompli ou non le passa-
ge à une attitude masculine. Ces deux chapitres se répondent et sont même anti-

10. Ibid., p. 221.

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thétiques. Le fond du chapitre VII, c’est de comprendre en quel sens le sujet reste
identifié à la femme en dépit de la libido génitale narcissique qui l’écartait de cette
identification. Le chapitre VIII, c’est de comprendre en quel sens c’est tout de même
un homme et un vrai. Ces deux chapitres se répondent donc l’un à l’autre, et vien-
nent à la place de la tranquillité qu’on aurait pu avoir dans un développement nor-
mal. À la place de ce développement, nous avons deux chapitres, deux problèmes.
Le chapitre VII, qui porte sur l’érotisme anal, que dit-il ? Interprétant les symptômes
intestinaux de l’Homme aux loups, Freud reconstitue le fait que le sujet s’identifie
là à sa mère : du point de vue de l’érotisme anal, il a les mêmes phrases que sa mère
et il prend la même attitude qu’elle. Mais il y a un problème, et c’est là qu’est le
tournant. En effet, alors que nous avons découvert que le sujet devait refouler son
homosexualité pour ne pas s’identifier à la femme et parce qu’il veut protéger la libi-
do génitale narcissique – il ne veut pas qu’on les lui coupe –, Freud constate non
seulement que l’attitude féminine transparaît, mais aussi qu’elle n’a pas varié. La
question logique de Freud est celle-là. C’est toujours sur un moment de disconti-
nuité qu’il repère la chose. Nous avons déjà vu que l’incontinence anale du sujet
change de sens de part et d’autre du rêve.
Freud considère que le sujet se met à la place de la mère, qu’il lui envie sa relation
avec le père, et que l’organe où s’exprime l’identification avec la femme est la zone
anale. C’est ce que j’ai expliqué la dernière fois. Ensuite, il y a l’objection que Freud
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se fait à lui-même : « Nous avons dû admettre qu’il avait compris pendant le pro-
cessus du rêve que la femme était castrée »11. Nous avons dû l’admettre pour rendre
compte de la transformation de la satisfaction en angoisse, et voilà maintenant qu’il
s’identifie à la femme « par le moyen de l’intestin ». Autrement dit, ce qui est en
question pour ce sujet à partir de ce moment-là, c’est véritablement la Wirklichkeit
de la castration. La castration a-t-elle été, oui ou non, opératoire ? Est-ce qu’elle a
remanié les interprétations antérieures sur le être un homme, le être une femme, le
avoir un rapport au père ? A-t-elle remanié tout cela ou ne l’a-t-elle pas remanié ?

Contradiction freudienne, forclusion lacanienne


Cette contradiction existe et c’est là qu’intervient la page qui introduit ce que Lacan
a fixé comme l’affaire de la forclusion. Remarquons que nous avons déjà une dis-
tinction de plans. L’Homme aux loups repousse l’identification à la mère sur le plan
génital et il l’accepte sur le plan anal. Nous voyons à quel niveau il aborde la fémi-
nité comme castration et à quel niveau il accepte la féminité dans son interpréta-
tion anale. La solution de Freud, c’est foncièrement de dire, page 232, que ça
coexiste. Il n’y a pas, dans l’inconscient, de ou bien… ou bien. Foncièrement, dans
l’inconscient, c’est mêlé. Des choses contradictoires peuvent exister dans l’incons-
cient. La grande solution freudienne pour ce cas est donc la coexistence. On peut
se demander si c’est quelque chose que permet le causaliste signifiant lacanien, qui
nous a habitués à tout autre chose, c’est-à-dire à un tout ou rien. Au niveau imagi-
11. Ibid., p. 231.

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naire, les choses sont bien entendu mêlées, mais la lecture que Lacan peut faire de
ce passage de Freud ne s’accommode pas tellement du thème de la coexistence des
différents niveaux. Il faut tout de même, par un point essentiel, sortir de cette
mélasse. Le Nom-du-Père, c’est cette visée-là chez Lacan.
« Certes, écrit Freud, cette contradiction existe, et les deux conceptions ne s’accordent
pas du tout entre elles. La question est simplement de savoir s’il est nécessaire qu’elles
s’accordent. Notre embarras provient de ce que nous sommes toujours enclins à trai-
ter les processus psychiques inconscients comme les processus conscients et à oublier
les profondes différences des deux systèmes psychiques. »12 C’est là une profession de
foi très générale de Freud. On pourrait dire que c’est l’Einfühlung de Freud, le rapport
presque affectif qu’il a avec l’inconscient, ou que la Stimmung de l’inconscient pour
lui n’est pas la Stimmung de l’inconscient pour Lacan.
Lacan installe finalement la logique dans l’inconscient. Il montre même que Freud
l’a installée d’emblée sans le savoir. C’est, bien sûr, une logique inconsistante, mais
dire que ça ne fait rien si ça se contredit dans l’inconscient, ce n’est pas exactement
la tonalité que Lacan donne à l’inconscient. Nous sommes d’ailleurs poussés à ins-
crire les choses sous forme logique et à essayer de les accorder. Les formules de la
sexuation de Lacan sont des formules qui ne sont pas des formules de la logique
classique, mais enfin, nous les logifions d’une façon très détaillée, et nous voyons
qu’il y a là, chez Freud, comme un affaiblissement de la logique classique.
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Freud poursuit : « Quand l’attente excitée du rêve de Noël lui évoqua l’image du rap-
port sexuel des parents, rapport naguère observé (ou construit), ce fut certainement
l’ancienne conception de celui-ci qui apparut en premier ». Freud va donc essayer de
résoudre la question à partir de ce qui est son schéma opératoire, c’est-à-dire la scène
primitive – qui est au fond le système signifiant présenté sous forme imaginaire.
Je continue la lecture de ce passage : « ce fut certainement l’ancienne conception de
celui-ci qui apparut en premier, selon laquelle l’endroit du corps de la femme qui
accueille le membre, était l’orifice de l’intestin. Que pouvait-il avoir cru d’autre
quand il fut, à un an et demi, spectateur de cette scène ? Puis vint ce qui arriva de
nouveau à quatre ans. Les expériences faites jusque-là, les allusions entendues à la
castration, s’éveillèrent et jetèrent un doute sur la “théorie cloacale”, rapprochèrent
de lui la connaissance de la différence des sexes et du rôle sexuel de la femme. Il se
comporta à cette occasion comme se comportent généralement les enfants auxquels
on donne une explication sexuelle ou autre – non souhaitée. Il rejeta le nouveau –
dans notre cas pour des motifs d’angoisse de la castration – et s’en tint à l’ancien. »
Nous avons là cette attitude que Freud avait déjà évoquée auparavant à l’égard du
père. On voit bien dans quel sens peut opérer la libido génitale narcissique qui est
là à l’œuvre. Elle peut conduire le sujet à refouler son homosexualité ou à l’accep-
ter. La troisième possibilité, c’est quasiment la régression du point de vue de la théo-
rie. Conserver, non pas le nouveau, mais l’ancien, c’est rester à ce stade où l’on ne
sait rien, où l’on n’a pas la conviction de la castration. On voit bien que la
12. Ibid., p. 231.

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Wirklichkeit de la castration est le point tournant. Le sujet sait maintenant qu’il y a du


génital en jeu. Il peut d’abord reconnaître son homosexualité et donc l’accepter. Il peut,
deuxièmement, la refuser et prendre une position virile. Ces deux positions différentes
supposent qu’on ait la conviction de la Wirklichkeit de la castration, supposent K2.
Par contre, pour la troisième position, Freud emploie le terme de Verwerfung. Cette
Verwerfung, comment la qualifier ? C’est une régression d’étapes et non pas une
régression de stades. Le sujet revient au statut K1 :

1) accepter l’homosexualité
K2
{ 2) refuser l’homosexualité

K3 3) Verwerfung (régression d’étapes)

« Il rejeta le nouveau […] et s’en tint à l’ancien. Il se décida pour l’intestin contre
le vagin pour des motifs analogues et de la même manière qu’il prit parti plus tard
contre Dieu pour le père. » Autrement dit, ce mouvement de la régression d’étapes,
Freud l’observe, dans le chapitre sur la névrose obsessionnelle, entre K2 et K3. Il
isole le mouvement de rejet du nouveau père pour l’ancien. Il n’est pas si sûr que la
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conviction de la réalité de la castration ait été accomplie : « La nouvelle explication
fut écartée, l’ancienne théorie maintenue. Celle-ci pouvait donner le matériel pour
l’identification avec la femme, qui plus tard se manifesta comme angoisse de la
mort par suite de maladie intestinale » :

K1 Gedanke sans Glaube Possibilité (théorie cloacale) Imaginaire


K2 Gedanke + Glaube Conviction de la réalité UWK Réel
K3 Assomption du symbole Symbolique

Mais Freud poursuit : « Non que la nouvelle connaissance soit restée sans effets ;
tout au contraire, elle développa une efficacité extraordinairement forte, en deve-
nant le motif qui agit pour conserver le processus entier du rêve dans le refoulement
et l’exclure d’un travail conscient ultérieur. » Ca, c’est extraordinaire ! Freud ne peut
pas renoncer à la notion qu’il y a eu un refoulement. Ce refoulement n’a pu se faire
que sous le régime de l’UWK (Überzeugung der Wirklichkeit der Kastration13), mais
Freud doit en même temps noter que le sujet en est resté à la théorie cloacale. Il
n’annule pas du tout la colonne du rapport sexuel mais la base en est ici vacillante.
En tout cas, elle est partagée.

13. Cf. Miller J.-A., « Marginalia de “Constructions dans l’analyse” », Cahiers de l’ACF-VLB, no 3, octobre 1994, p. 4-30,
article disponible sur le site de l’ECF (causefreudienne.net).

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Je continue : « Mais ainsi son effet était épuisé ; elle n’exerça aucune influence sur
la décision du problème sexuel. » Cette décision du problème sexuel, en allemand
c’est : Entscheidung des sexuellen Problems. Ce terme de Entscheidung est un terme
qui appartient typiquement à la marge subjective. C’est saisissant : « elle n’exerça
aucune influence sur la décision du problème sexuel. Ce fut naturellement une
contradiction qu’à partir de là l’angoisse de castration pût exister à côté de l’identi-
fication avec la femme par le moyen de l’intestin mais seulement une contradiction
logique, ce qui ne veut pas dire grand-chose. L’ensemble du processus est bien plu-
tôt maintenant caractéristique de la manière dont travaille l’inconscient. » Et c’est
là que l’on trouve la phrase dont Lacan a tant fait cas : « Un refoulement
[Verdrängung] est autre chose qu’un rejet [Verwerfung]. » C’est sur ce point que se
joue l’essentiel de la théorie de la psychose.
Peut-être pouvons-nous tout de suite juxtaposer à ce passage à celui où Freud reprend
l’ensemble de la position du patient à l’égard de la castration : « Nous connaissons à
présent la position initiale de notre patient à l’égard du problème de la castration. Il
la rejeta [verwarf], et s’en tint au point de vue du rapport par l’anus. Quand j’ai dit
qu’il la rejeta, la signification la plus proche de l’expression est qu’il ne voulut rien
savoir d’elle au sens du refoulement. De la sorte aucun jugement ne fut, à proprement
parler, porté sur son existence, mais ce fut comme si elle n’existait pas. »14
Il me paraît donc indiscutable que Lacan ne force pas du tout le terme de Freud
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dans ce passage-là. On voit bien sur quoi porte la remarque de Freud, à savoir que
le refoulement de l’homosexualité est pleinement une manière de reconnaître l’opé-
rativité de la castration. Le refoulement est un non qui est dit à l’homosexualité.
Cela suppose que la passivité ait pris le sens de l’homosexualité. Le refoulement qui
dit non, ne dit pas non à l’effectivité de la castration. Au contraire, il en témoigne. Il
y a refoulement parce que la reconnaissance de l’UWK entre en conflit avec la libido
génitale narcissique. La reconnaissance que c’est du sérieux produit l’angoisse de cas-
tration et fait que le sujet est là devant un choix. Le refoulement est donc pleinement
une façon de reconnaître la castration. Toute la question est alors de savoir, alors que
je ne refoule pas et que j’accepte l’homosexualité, si je reconnais la Wirklichkeit de la
castration. À cet égard, il n’est pas sûr que l’homosexualité évoquée par Freud dans ce
passage soit l’homosexualité perverse. Mais laissons cette question de côté.
En quel sens le sujet est-il situé ici, avec le refoulement et tout ce qui va avec ? Et
en quel sens régresse-t-il pourtant ? C’est une régression d’un type spécial. Ce n’est
pas la régression des stades, la régression de l’oral à l’anal, etc. C’est sur le plan de
la théorie. C’est, en quelque sorte, une régression intellectuelle. Il ne faut pas seu-
lement se poser la question de savoir si Lacan a eu raison ou tort. La question, c’est
de savoir pourquoi Freud, à ce moment-là dans son texte, distingue deux termes.
Cela se juge à la reconstruction de la matrice d’ensemble du problème. Or, la matri-
ce d’ensemble du problème à partir du chapitre VII, c’est l’identification à la femme.
Il y a bien quelque chose qui agit en retrait du refoulement et qui dépend de la
14. Freud S., « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile », op. cit., p. 236-237.

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conviction de la réalité. Quelque chose agit là, et c’est ce que Freud lui-même appel-
le Verwerfung. Quelque chose met en question la Wirklichkeit de la castration et fait
qu’elle n’est pas opératoire. Quelque chose fait que la castration ne serait pas opé-
ratoire et qu’elle ne remanierait pas toutes les significations de la vie du sujet, en
particulier les significations de sa satisfaction. En effet, qu’est-ce que la castration,
sinon l’opérateur qui fait passer de la satisfaction à l’angoisse et qui change tout ce
que les choses veulent dire ? On peut jouir de se faire battre par papa, et puis, à un
moment de l’existence, ressentir ça comme une chose insupportable et angoissante.
C’est vraiment un changement essentiel des significations de l’existence.
Ce qui est donc mis en question par cette notion de Verwerfung, c’est peut-être que
la Wirklichkeit de la castration n’est pas accomplie pour ce sujet-là. Freud est pris
dans cette contradiction : ce n’est pas accompli à un niveau et ça l’est à un autre.
En un sens, cela n’a pas opéré, cela n’a pas été opératoire, et en un autre sens, ça l’a
été. Freud a vraiment un problème sur ce point.

Sujet en homme, moi en femme


Toute la question peut être aussi de savoir quel est le statut de la virilité de l’Homme
aux loups. Telle est la question que Freud va d’ailleurs poser dans le chapitre VIII –
qui est la résolution du cas. Nous voyons un bon petit gars qui, depuis le début,
avait envie de baiser les femmes à quatre pattes et qui voulait faire comme son père.
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Ensuite, il y a eu un incident, la séduction, qui l’a mis sur une très mauvaise voie,
etc., mais avant, avant qu’il n’entre dans la série de la séduction, c’était un bon petit
gars. Je n’exagère pas. Pourquoi Freud garde-t-il jusqu’à la fin Groucha dans sa
manche ? Il amène la servante et le papillon à la fin, parce que cela va permettre
finalement la résolution du cas, à savoir : il y a chez ce sujet un courant d’identifi-
cation masculine foncière qui permet au fond la résolution.
Sur quoi porte la petite phrase si intéressante de Lacan à la fin du premier chapitre
du rapport de Rome ? Elle met en place les deux épisodes terminaux que Freud
découvre à la fin. Quels sont les épisodes les plus précoces de la vie de l’Homme aux
loups ? C’est, premièrement, la scène primitive et, deuxièmement, la scène avec
Groucha. La scène primitive met le sujet dans une position féminine, et la scène
avec Groucha le met dans une position masculine. Lacan focalise les choses sur ces
deux points, en disant que la position symbolique de l’Homme aux loups est don-
née par la scène avec Groucha, et que sa position imaginaire est donnée par la scène
primitive. C’est le sujet qui est dans la scène avec Groucha et c’est le moi qui est
dans la scène primitive. D’un côté, nous avons une position symbolique qui est le
principe d’une compulsion, et de l’autre côté, nous avons une capture imaginaire.
Lacan a donc vraiment focalisé les choses sur ces deux épisodes les plus précoces.
Voulant situer la position symbolique du sujet, Lacan le fait sous la formule je ne
suis pas châtré, mais il ne dit pas quelle valeur précise il lui donne. Il considère que
la virilité indiscutable de l’Homme aux loups est une virilité qui consiste à affirmer,
du fait même du caractère compulsionnel de son activité sexuelle, qu’il n’est pas

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L’Homme aux loups (suite et fin)

châtré. La formule n’est pas probante en elle-même – il faudra voir le sens que
Lacan veut lui donner – puisqu’elle semble ne pas être du côté de la Verwerfung. La
Verwerfung ne permettrait pas de formuler les choses comme ça, au sens de Freud.
Voilà la phrase de Lacan : « pour reconnaître dans l’isolation symbolique du “je ne
suis pas châtré”, où s’affirme le sujet, la forme compulsionnelle où reste rivé son
choix hétérosexuel, contre l’effet de capture homosexualisante qu’a subi le moi
ramené à la matrice imaginaire de la scène primitive »15. Lacan distingue donc là les
deux épisodes les plus anciens de la vie de l’Homme aux loups. D’un côté il situe
la position subjective, et de l’autre, la capture du moi.

Le doigt coupé
Je voudrais signaler un point important du texte, à savoir l’hallucination du doigt
coupé qui vient à cet endroit-là, page 237. Quelle est, dans cette problématique, la
place où Freud inscrit cette hallucination ? Ce qui est patent dans le texte, c’est que
l’hallucination du doigt coupé n’est pas du tout pour Freud un témoignage de la
Verwerfung comme Lacan l’évoquera. L’hallucination du doigt coupé s’inscrit au
contraire nécessairement dans le registre UWK. C’est même une pièce à l’appui pour
Freud – et donc à l’envers de Lacan – pour dire que, bien qu’il y ait eu ce mouve-
ment-ci, il y a eu ce mouvement-là. Si l’on cherche à opposer Freud et Lacan, il faut
savoir sur quel point on le fait. Il est clair, à ce niveau du texte, qu’on ne peut pas
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opposer Freud et Lacan sur le fait que Freud ne distinguerait pas Verdrängung et
Verwerfung. Au contraire, il les distingue logiquement. En revanche, en ce qui
concerne l’interprétation du doigt coupé, il est clair que Freud la considère comme
le témoignage du caractère opératoire de la castration chez l’Homme aux loups.
Ceci dit, que ce soit chez Freud la preuve de l’UWK ne tranche pas du tout la question
psychose ou névrose, puisque, selon lui, il y a justement conviction de la réalité de la cas-
tration dans la psychose. Pour Freud, UWK existe dans la psychose. On s’aperçoit que ce
n’est pas la peine de se disputer sur les diagnostics de Freud et de Lacan, puisque les cri-
tères de repérage clinique et théorique sont complexes et décalés pour l’un et pour l’autre.
Nous finissons donc sur trois points aujourd’hui. Premièrement, Freud distingue
bien Verdrängung et Verwerfung dans ces pages-là. Deuxièmement, l’hallucination
du doigt coupé relève d’après lui du registre UWK – conviction de la réalité de la cas-
tration – et non de la Verwerfung. Troisièmement, ce n’est pas ici la Verwerfung qui
est, pour lui, le propre de la psychose. La psychose, au contraire, suppose UWK.
C’est même la raison pour laquelle il évoque la psychose plutôt quand il s’agit de la
régression d’étapes de K3 à K2 que lorsqu’il s’agit de la régression de K2 à K1. Pour
lui, la psychose, c’est faire le choix de la féminité devant la conviction de la réalité
de la castration, c’est-à-dire faire le choix de Schreber – ce qui suppose qu’on ait
saisi que ça touchait les organes génitaux. Pour Freud, à ce moment-là, la psychose
est impensable hors du registre de la castration.
(25 février 1988)
15. Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 264.

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X. Refoulement et forclusion (II)

Nous approchons maintenant de la zone où l’on peut mettre en parallèle Freud et


Lacan sur notre sujet. Nous en sommes à la page 232 du texte où Freud, d’une façon
tout à fait explicite, oppose le refoulement à la Verwerfung et nous entrons donc dans
les eaux où Lacan a plongé pour ramasser et créer ce concept de forclusion.
Cette page 232, il faut la lire et la relire. Ce que Lacan nous propose, c’est là enco-
re un clivage pour s’y retrouver dans la construction de Freud, à savoir le clivage
entre comportement et inconscient. Nous avons essayé de voir comment se distin-
guent un certain nombre de catégories dont nous avons fait des colonnes. Cela
visait à obtenir un certain éclaircissement par le classement, et il nous est apparu
que le chapitre VII et le chapitre VIII du texte s’opposent nettement. Le chapitre VII
est centré sur l’identification à la femme et le chapitre VIII est destiné à montrer en
quoi le patient est un homme. Il y a donc un être une femme et un être un homme
qui doivent trouver à se répartir. À quel niveau le sujet est-il l’un et à quel niveau
est-il l’autre ? À quel niveau le sujet est-il identifié à être une femme et à quel niveau
baise-t-il pourtant la femme ? Voilà les choses qui sont maintenant à ordonner et
qui ne sont pas du tout de l’ordre de la construction farfelue. Ce sont des problèmes
qui naissent de la pratique analytique et aujourd’hui aussi bien.
On est obligé de distinguer deux versants que Lacan reprend et répercute avec l’op-
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position entre comportement et inconscient. Le comportement, nous dit-il, est cet
accès à la réalité génitale. Ce sont, par exemple, les rapports de l’Homme aux loups
avec la Nania puis avec Groucha. Le terme de comportement est justifié par le fait
qu’il s’agit bien d’une attitude réalisée, d’une manifestation faite dans la réalité et
interprétée par Freud comme étant d’ordre érotique et comme étant déjà une anti-
cipation de la position génitale. Donc, premièrement, le comportement.
Deuxièmement, Lacan y oppose la position que le sujet aurait dans son inconscient, et
il vise la théorie cloacale telle qu’elle est exposée dans Freud. Il faut, me semble-t-il, reli-
re cette page 232 du texte de Freud pour saisir le nœud du problème, et appréhender
dans sa complexité pourquoi Freud fait un détour et nous complique la vie avec cette
évocation d’une Verwerfung. Après tout, on pourrait, à certains égards, se demander si
l’on ne pourrait pas s’en passer. On pourrait considérer qu’il s’agit là d’un névrosé qui
a recours au registre anal à certaines fins, et que ça ne fonde nullement une psychose.
En effet – nous pouvons le voir dans le texte même de Freud –, il y a comme une
excroissance avec cette Verwerfung. Il y a un plus par rapport à cette articulation.

L’ascèse psychanalytique
Il faut peut-être que je fasse maintenant un petit excursus sur la raison de notre si
grande attention à ce texte sur l’Homme aux loups. Nous ne jouons pas seulement
à déjouer le diagnostic névrose ou psychose, c’est bien plus que ça. Cette question
nous emmerde et on peut dire qu’elle bouche la question qu’il s’agit de poser. C’est
comme toutes les questions qu’on pose. On pose une question à partir de la réponse.

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L’Homme aux loups (suite et fin)

Poser la question du diagnostic névrose ou psychose à propos de l’Homme aux


loups n’a qu’un seul sens au départ, à savoir que l’on tient absolument à commen-
cer à partir de ce que l’on sait déjà de la névrose et de la psychose. Le travail qu’il
faut faire – c’est en tout cas celui qui m’intéresse – n’est pas de partir de ce que je
sais de la névrose et de la psychose pour classer l’Homme aux loups, mais de partir,
au contraire, de ce que je ne sais pas, pour apprendre ce que sont la névrose et la
psychose à partir de l’Homme aux loups. C’est un point de vue foncièrement diffé-
rent. Cette lecture n’est intéressante que si elle nous conduit à approfondir, voire à
remanier, nos catégories de névrose et de psychose. Il ne s’agit pas simplement de les
appliquer. Cette lecture n’a vraiment d’intérêt que dans la suspension du savoir
acquis. Cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas essayer des diagnostics. Ils ont
d’ailleurs été essayés et c’est très normal. Mais on ne doit pas s’en encombrer indéfi-
niment en en faisant une question qui suppure comme une plaie et que l’on conti-
nue indéfiniment de gratter. La question est à chaque fois au niveau du texte de
Freud. La différence de fond n’est pas entre le diagnostic de névrose et de psychose.
Elle est entre vouloir partir de ce que l’on sait déjà de la névrose et de la psychose et
essayer d’apprendre ce qu’est la névrose et ce qu’est la psychose, c’est-à-dire partir du
principe que l’on ne sait pas ce qu’elles sont. C’est un point de vue qui est, si l’on
veut, méthodologique, mais c’est exactement celui-là que Freud recommande et que
Lacan reprend et signale : aborder un cas analytique en oubliant ce qu’on sait par
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avance. Cela ne veut pas dire que du coup, on doit faire le blanc total. Il s’agit d’une
ascèse qui consiste, avec les surprises que cela produit, à apprendre à nouveau ce que
sont les psychoses, les névroses et les perversions à partir de ce qu’en dit un sujet.
La même suspension vaut aussi concernant les catégories de Freud. Est-ce que nous
partons du fait que nous savons ce que veulent dire ces termes ? Ou bien partons-
nous du fait que nous ne savons absolument rien ? Moi, je pars de ce que je ne sais
absolument pas. Je considère que c’est le texte lui-même qui a à nous réapprendre
et à nous redéfinir ce qu’est la castration. Prendre ce terme et le faire circuler entre
Freud et Lacan, c’est à ne pas s’y retrouver, même si on sait qu’il y a une valeur à ce
que ce soit le même signifiant qui se déplace. Qu’est-ce que homme et femme pour
Freud ? Qu’est-ce que le refoulement, l’identification, la sexualité ? Moi, je vois ces
termes se définir les uns par les autres et j’essaie de saisir leur solidarité, leur
connexion et comment Freud s’y déplace. Il ne s’y déplace pas avec une clarté par-
faite. C’est un peu la jungle et c’est ce par rapport à quoi on peut faire valoir com-
ment Lacan taille des chemins plus droits. Mais en même temps, ce que Lacan fait,
c’est à certains égards un prélèvement et il ne fait donc pas toujours le même ou il
ne l’utilise pas toujours dans le même sens. Il taille dans cette jungle un jardin à la
française, mais il y a des matériaux en surnombre. Dans la jungle, ça repousse. Avec
le texte de Freud, c’est pareil. On taille un chemin, on s’arrête un moment, et quand
on y revient, on refait encore un jardin à la française légèrement décalé. Il y a bien
chez Freud ce côté garde-manger, ce côté inépuisable, qui a permis à Lacan de reve-
nir sur les mêmes points et d’en faire valoir des aspects différents.

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Jacques-Alain Miller

Il faut donc que l’on se situe sur cette suspension méthodologique qui me paraît
être vraiment adéquate à notre position clinique et la condition pour y progresser.
Je n’ai pas eu à me forcer pour ça. Je suis parti du fait que je ne comprenais abso-
lument rien à la page 232 de ce texte, spécialement le paragraphe qui se termine par
un refoulement est autre chose qu’un rejet. Je pense donc qu’il vaut la peine de
reprendre posément les parties de ce texte.

La page 232
Nous nous trouvons donc au moment où Freud a établi l’identification avec la mère
par le biais des phénomènes intestinaux de son patient. C’est cela qui est au centre
du chapitre intitulé « Érotisme anal et castration ». Ce chapitre pourrait s’appeler
« L’identification avec la mère ». Le chapitre VIII, lui, pourrait s’appeler « La virilité
de l’Homme aux loups ».
Il y a donc cette objection que Freud se fait à lui-même : « À cet endroit, nous devons
écouter une objection dont la discussion peut beaucoup contribuer à la clarification
d’une situation de fait apparemment confuse. Nous avons dû admettre qu’il avait
compris pendant le processus du rêve que la femme était castrée, qu’elle avait à la
place du membre viril une blessure qui servait au rapport sexuel, que la castration
était la condition de la féminité, et qu’à cause de cette perte menaçante il avait refou-
lé l’attitude féminine envers l’homme et s’était réveillé avec angoisse de son exalta-
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tion homosexuelle. »16 Ce passage décrit ce qui s’est normalement accompli dans le
rêve comme efficace. Cela nous indique précisément quelle est la valeur de la castra-
tion chez Freud. C’est à mettre à la rubrique de l’Überzeugung de la Wirklichkeit de
la Kastration (UWK), à la conviction de la réalité, au sens opératoire, de la castration.
Cette conviction s’est normalement accomplie dans le rêve et elle a eu un certain
nombre d’effets intenses, l’effet principal étant le refoulement.
Revenons au texte. Freud dit qu’il a dû admettre que le sujet a eu accès à l’UWK. Cela
nous montre comment Freud travaille. Il progresse en se faisant à lui-même des
objections et il faut voir comment elles sont constituées. Pourquoi y a-t-il pour lui
des oppositions là où nous, à l’occasion, nous n’en verrions pas ? Nous pourrions dire
qu’il y a eu chez l’Homme aux loups un refoulement de l’attitude féminine, mais
qu’il s’identifie à la femme ailleurs, et qu’il n’y a donc pas de contradiction ni de pro-
blème. Or, il est clair que pour Freud il y a un problème. C’est là le sens de son objec-
tion (p. 231) : « Comment cette compréhension du rapport sexuel [dies Verständnis
des Geschlechtsverkehrs] cette reconnaissance du vagin [diese Anerkennung der Vagina]
s’accorde-t-elle avec le choix de l’intestin pour l’identification avec la femme ? » Cette
objection que se fait Freud va motiver l’introduction du terme de Verwerfung dans le
texte. C’est exactement cette phrase-là : comment l’UWK s’accorde-t-elle « avec le
choix de l’intestin pour l’identification avec la femme ? »
Je poursuis le texte : « Les symptômes intestinaux ne reposent-ils pas sur la concep-
tion probablement plus ancienne, en contradiction complète avec l’angoisse de la
16. Freud S., « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile », op. cit., p. 231.

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L’Homme aux loups (suite et fin)

castration, que l’orifice de l’intestin est le lieu du rapport sexuel ? » Ce qui va être
durci au paragraphe suivant est introduit par Freud sous la forme d’une question
qui vient comme une réponse problématique à la question de la compatibilité entre
la reconnaissance de la réalité de la castration et l’identification à la femme par le
biais de l’intestin. « Certes, cette contradiction existe, et les deux conceptions ne
s’accordent pas du tout entre elles. La question est simplement de savoir s’il est
nécessaire qu’elles s’accordent. » Freud va donc justifier ce petit paragraphe du bas
de la page 231 où il dit en substance : nous avons vraisemblablement là deux points
de vue opposés mais ces points de vue opposés coexistent. L’introduction de la
Verwerfung vient à cet endroit-là.
Je lis maintenant le paragraphe suivant, celui qui se termine sur la différence entre
refoulement et forclusion. « Quand l’attente excitée du rêve de Noël lui évoqua
l’image du rapport sexuel des parents, rapport naguère observé (ou construit), ce fut
certainement l’ancienne conception de celui-ci qui apparut en premier, selon
laquelle l’endroit du corps de la femme qui accueille le membre était l’orifice de l’in-
testin. Que pouvait-il avoir cru d’autre, quand il fut à un an et demi spectateur de
cette scène ? Puis vint ce qui arriva de nouveau à quatre ans. Les expériences faites
jusque-là, les allusions entendues à la castration, s’éveillèrent et jetèrent un doute
sur la “théorie cloacale”, rapprochèrent de lui la connaissance de la différence des
sexes et du rôle sexuel de la femme. Il se comporta à cette occasion comme se com-
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portent généralement les enfants auxquels on donne une explication – sexuelle ou
autre – non souhaitée. Il rejeta le nouveau – dans notre cas pour des motifs d’an-
goisse de la castration – et s’en tint à l’ancien. Il se décida pour l’intestin contre le
vagin pour des motifs analogues et de la même manière qu’il prit parti plus tard
contre Dieu pour le père. La nouvelle explication fut écartée, l’ancienne théorie
maintenue ; celle-ci pouvait donner le matériel pour l’identification avec la femme,
qui plus tard se manifesta comme angoisse de la mort par suite de maladie intesti-
nale, et pour les premiers scrupules religieux : si le Christ avait eu un derrière, etc.
Non que la nouvelle connaissance soit restée sans effet ; tout au contraire, elle déve-
loppa une efficacité extraordinairement forte, en devenant le motif qui agit pour
conserver le processus entier du rêve dans le refoulement et l’exclure d’un travail
conscient ultérieur. Mais ainsi son effet était épuisé ; elle n’exerça aucune influence
sur la décision du problème sexuel. Ce fut naturellement une contradiction, qu’à
partir de là l’angoisse de la castration pût exister à côté de l’identification avec la
femme par le moyen de l’intestin, mais seulement une contradiction logique, ce qui
ne veut pas dire grand-chose. L’ensemble du processus est bien plutôt maintenant
caractéristique de la manière dont travaille l’inconscient. Un refoulement
[Verdrängung] est autre chose qu’un rejet [Verwerfung]. »
Je ne sais pas si c’est beaucoup forcer les choses que de dire qu’on ne comprend
absolument rien à ce paragraphe. En tout cas, il y a un passage conceptuel qui est
à repenser ou à reproduire complètement. Qu’est-ce qui est le plus sûr dans cette
affaire ? Le plus sûr, c’est qu’il existe, selon Freud, quelque chose pour les sujets, à

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Jacques-Alain Miller

savoir : ils auraient la conviction de la réalité de la castration. Cette conviction a


pour lui un rôle tout à fait déterminant. Il sait reconnaître, parmi ses patients, ceux
qui ont cette conviction et ceux qui ne l’ont pas. Cette conviction se monnaye en
savoir que la femme est châtrée, en savoir qu’elle a une blessure à la place du
membre viril, en savoir qu’on ne peut pas être une femme à moins d’être castrée.
C’est un ensemble de notions qui sont fixées par Freud sous les termes de convic-
tion de la réalité de la castration.

Chaîne causale
Dans le rêve de l’Homme aux loups, Freud considère que cette conviction s’atteste
chez le sujet. De ce fait, il y a un moteur manifestement décisif des mécanismes psy-
chiques subséquents, à savoir que cette conviction de la réalité opératoire de la cas-
tration entre en conflit avec, du côté mâle, une valeur isolée comme étant la libido
narcissique – narzißtische genitale Libido (NGL). La libido narcissique génitale rentre
en conflit avec la conviction de la réalité opératoire de la castration. UWK entre en
conflit avec NGL et produit ce que Freud appelle la Kastrationsangst, l’angoisse de
castration. C’est logique et simple. Le produit, c’est l’angoisse de castration :

UWK → NGL → K.Angst


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Cette angoisse de castration va avoir des effets. Dans le paragraphe que nous venons
de relire, l’angoisse de la castration est vraiment située comme la cause et elle relaye
sans doute la conviction de la castration. C’est elle qui développe ce que Freud
appelle la Wirkung, l’effet. C’est bien en termes de mécanisme de causalité que le
problème est posé dans ce paragraphe. La question est de savoir jusqu’où cette
angoisse de castration porte ses effets. Cette angoisse de castration comme cause
porte ses effets sur un point précis que nous pouvons abréger par PEZV, die passive
Einstellung zum Vater, l’attitude passive envers le père :

UWK → NGL → K.Angst → PEZV

Le résultat du conflit entre UWK et NGL, c’est l’angoisse de castration. Celle-ci porte
sur l’attitude passive à l’égard du père, et son effet sur cette attitude passive est le
refoulement. Quel est alors le produit final à l’égard du comportement ? Eh bien,
c’est la phobie du loup, la Wolfphobie :

UWK → NGL → K.Angst → PEZV → Verdrängung → W.Phobie

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L’Homme aux loups (suite et fin)

Nous avons là une chaîne causale tout à fait précise. C’est là que l’angoisse de cas-
tration développe son effet. Elle le développe dans le refoulement : « la nouvelle
connaissance […] développa une efficacité extraordinairement forte, en devenant le
motif qui agit pour conserver le processus entier du rêve dans le refoulement et l’ex-
clure d’un travail conscient ultérieur ». Voilà ce que dit Freud. C’est ce qui me fait
considérer comme fondée, dans cette broussaille, la chaîne causale qui est là.
Freud accentue spécialement la force qui s’ensuit de la connaissance nouvelle de la
castration, pour dire qu’après il ne reste rien : « Mais ainsi son effet était épuisé ;
elle n’exerça aucune influence sur la décision du problème sexuel. » J’ai souligné
l’emploi extraordinaire de cette expression : die Entscheidung des sexualen Problems.
Entscheidung, c’est la décision. Autrement dit, il y a tout un registre où cette
connaissance de la castration est active, et puis un autre registre où elle n’a pas d’in-
cidence. Comment peut-on alors qualifier ces deux registres dans lesquels Freud
pense ?

Trois points
Le problème tourne ici autour de la question : que faire à l’endroit du père ? Au lieu
d’une position passive envers le père, on va avoir la peur du père, la peur du loup,
etc. Freud est très explicite là-dessus. C’est ce qu’il appelle le problème du sexuales
Ziel, le problème du but sexuel. Souvenez-vous de la fin du chapitre sur le rêve.
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Freud est très précis à cet égard : c’est en termes de but qu’il pose la question. « Son
but sexuel passif aurait dû maintenant se transformer en un but féminin. […] Ce
but féminin succombait maintenant au refoulement et devait se faire remplacer par
la peur [Angst] du loup. »17 Pour Freud, dans le registre qui est celui du but sexuel,
il y a un certain nombre de transformations, voire un refoulement.
Vient ensuite autre chose qui est assez mystérieux et qu’il appelle le problème
sexuel. Il est très clair qu’il peut y avoir un effet important sur le but sexuel sans que
cela ne touche en rien le problème sexuel. Le même point, UWK peut avoir un effet
massif sur le but sexuel – le sujet va refouler la position passive et prendre une atti-
tude phobique – et un effet nul sur le problème sexuel. C’est très singulier. Laissons
de côté ce premier point.
Le deuxième point, c’est qu’il y a quand même, quand il évoque pour la première
fois la Verwerfung de la nouvelle connaissance de la castration, une précision que
Freud ajoute : « Il rejeta le nouveau », et il ajoute : « dans notre cas pour des motifs
d’angoisse de la castration ». C’est quand même assez singulier. Ce rejet du nouveau
est attribué à un effet de l’angoisse de castration. Autrement dit, il y a un double
effet de l’angoisse de castration : un effet de refoulement au niveau du but sexuel,
et un effet de forclusion de la nouvelle connaissance. C’est là le deuxième point qu’il
faut noter. Ce qui est amusant dans ce schéma, c’est qu’il y a une sorte d’autosup-
pression de la conviction de la réalité de la castration. Il y a cette conviction qui a
l’air acquise et qui s’oppose à la libido génitale narcissique. Elle produit l’angoisse
17. Ibid., p. 205.

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de castration, cette angoisse conduit à ce qu’il y ait Verwerfung – on ne veut plus en


entendre parler – et par ailleurs elle conduit au refoulement. On voit bien pourquoi
Freud ne se tourmente pas tellement pour admettre qu’il y a deux choses qui coexis-
tent. Ce qui est constant, c’est l’angoisse de castration. D’un côté, elle supprime sa
propre cause. L’angoisse de castration naît quand même de l’effet qu’on ait recon-
nu la castration. Mais l’effet de ce qu’on ait reconnu la castration supprime la cas-
tration. On a là un schéma d’autosuppression très amusant.
Comment se fait-il que l’on reconnaît cependant cet effet ? On le reconnaît parce
qu’il y a un effet sur le registre du sexuales Ziel. Après tout, ce registre n’est pas si mys-
térieux puisqu’il est sensible au niveau du comportement. On s’aperçoit que l’attitu-
de de l’Homme aux loups change à un certain moment à l’égard du père, tout
comme on s’était aperçu avant que, d’un gentil garçon, il était devenu un méchant
garçon. Autrement dit, et même si ce qui est mis en cause est le refoulement, c’est
repérable au niveau du comportement du sujet. Disons que c’est repérable au niveau
de sa pantomime – terme que nous avons appris à relier au fantasme. Cette angois-
se de castration est quand même, dans le texte de Freud, une cause complexe.
Continuons et venons-en au troisième point. Il s’agit de situer maintenant l’identi-
fication avec la femme : Identifizierung mit dem Weib. Si je cite là les termes alle-
mands, c’est parce que nous essayons d’extraire des mathèmes du texte même de
Freud. Cette identification semble être dans la suite de la forclusion, elle est rendue
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possible par celle-ci, par le rejet de la nouvelle connaissance. Cette identification
apparaît en effet être en contradiction avec la libido génitale narcissique qui sup-
pose la préservation des organes génitaux. Mais il n’y a pas de contradiction à par-
tir du moment où le joint manque, à partir du moment où le sujet n’a pas la convic-
tion de la réalité de la castration. Le sujet s’imagine alors qu’il peut garder tout son
petit matériel tout en s’identifiant à la femme. C’est ça que permet UWK.
Est-ce cette construction que Freud nous propose entièrement ? C’est là, en effet,
que c’est très singulier. Reprenons les choses à partir de la position passive à l’égard
du père, à partir de PEZV.
Le destin normal de l’Homme aux loups, à partir du moment où il y a UWK, serait
une position homosexuelle. À partir du moment où il y a conviction de la réalité de
la castration, que devient une position passive ? Elle devient une position homo-
sexuelle. Elle prend le sens génital, la valeur génitale. Ce qui était avant le j’aime me
faire battre par papa devrait prendre une valeur érotique génitale plus marquée.
Autrement dit, cela devrait prendre la valeur d’une transformation en but féminin,
c’est-à-dire en assomption homosexuelle de la féminité. C’est ce que Freud appelle
Verwandlung, transformation. « Son but passif aurait dû maintenant se transformer
en un but féminin ». C’est ce qui concerne le moment du rêve. Au moment où il y
a eu conviction de la réalité opératoire de la castration, la position sexuelle passive
aurait dû se transformer en but féminin. Mais « ce but féminin succombait main-
tenant au refoulement et devait se faire remplacer par la peur du loup ». Autrement
dit, à la place d’une simple Verwandlung, il y a eu Verdrängung. Cela veut dire que

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L’Homme aux loups (suite et fin)

le sujet n’a pas pris ce but féminin. Il quitte la position ou le but sexuel féminin, ce
but féminin étant de se faire baiser comme une femme. Il saisit que le sens de la posi-
tion passive, c’est la position féminine, et à ce moment-là, il y a refoulement.
Quelle est la valeur des objections faites à la fin de la fois dernière ? C’est simplement
de se demander pourquoi Freud ne se contente pas de dire que le but féminin du sujet
s’est trouvé refoulé, ne se contente pas de traiter l’identification avec la femme comme
un retour du refoulé de la position passive. Ce n’est quand même pas nous qui allons
apprendre à Freud le retour du refoulé. Nous savons qu’à cette date, il l’a depuis long-
temps inventé. Ce qui est le plus remarquable dans cette page, c’est précisément que
Freud ne se contente pas du retour du refoulé pour situer l’identification avec la
femme. Pour lui, ça ne cadre pas suffisamment l’identification avec la femme. C’est
là que s’inscrit la Verwerfung. Il n’y aurait pas besoin de la notion de rejet de la convic-
tion de la réalité de la castration, si l’on avait pu placer l’identification à la femme sim-
plement sur cette ligne. C’est limpide. Freud, à cette place de l’identification avec la
femme, met en jeu cet élément supplémentaire qu’est la Verwerfung.

Théorie sexuelle
À la fin de la page 232, il dit que « l’attitude féminine envers l’homme – die wei-
bliche Einstellung zur Mann – écartée par l’acte de refoulement, se retire dans la
symptomatologie intestinale et s’extériorise dans les diarrhées ». L’attitude féminine
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est écartée par le refoulement et elle revient dans l’intestin. Il y a un retour du refou-
lé avec déplacement. On voit qu’il y a là, dans le texte, des éléments pour réduire le
problème que Freud a amené avec la Verwerfung. Mais pourquoi ne s’en contente-
t-il pas ? C’est la même chose que de se demander ce qui distingue le registre du
sexuales Ziel du registre du problème sexuel. On peut tout de même noter qu’il y a,
dans tout le texte, ce registre que Freud appelle la théorie sexuelle – « théorie sexuel-
le » que Lacan mettra entre guillemets, et qui est un registre assez problématique.
Qu’est-ce que c’est exactement que ces théories sexuelles ? Pour Freud, c’est visible-
ment un niveau distinct du niveau du choix sexuel ou du but sexuel ou de la posi-
tion sexuelle. Il y a un mot très beau qu’il emploie pour la nouvelle connaissance :
die neue Aufklärung. Il y a l’Aufklärung de la castration, les Lumières de la castra-
tion. Il y a là un registre qui peut paraître très intellectuel et qui est un registre de
savoir, à quoi s’ajoute évidemment l’indice freudien de la conviction. C’est du
savoir avec en même temps une position subjective, un savoir qui a son trait propre
et qui est distinct du ramdam qu’il y a au niveau du comportement, du Ziel, etc. Il
y a un registre du savoir sur le sexe où il est question de connaissance, de convic-
tion, d’explication, de notion. Il y a là tout un ensemble de termes chez Freud. C’est
un registre auquel le sujet a accès ou n’a pas accès, qu’il rejette ou qu’il admet. Ce
registre apparaît vraiment à un autre niveau qu’au niveau du sexuales Ziel. C’est un
niveau qui s’y ajoute, parce qu’on pourrait très bien avoir une identification avec la
femme purement et simplement au niveau du retour du refoulé. Il y a là un indice
supplémentaire pour Freud. Il y a une identification avec la femme mais pas seule-

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ment en tant que retour du refoulé. En tout cas, c’est une identification qui ne paraît pas
à Freud pouvoir entièrement se réduire au retour du refoulé. Il y a là l’indice que ce qui
est en cause, c’est le savoir sur le sexe chez le sujet. Il y a, au niveau du sexe, un problème
qui doit être décidé. Ne psychologisons pas cette décision. Le terme d’Entscheidung vaut
aussi bien pour les machines, pour les processus logiques. C’est un terme employé pour
savoir si un élément appartient à un ensemble ou n’y appartient pas.
Comment peut-on formuler ce problème sexuel ? Est-ce seulement un qui suis-je
sur le plan sexuel ? Est-ce que cela va plus loin ? Ne s’agit-il pas essentiellement,
comme le dit Freud, de ce qu’est une femme ? À cet égard, on voit que l’objection
essentielle que se fait Freud à lui-même ne porte pas sur l’identification avec la
femme. Freud sait bien que c’est parfaitement compatible avec le retour du refou-
lé. On peut parfaitement admettre qu’un sujet refoule l’attitude féminine. Ses lap-
sus seront par exemple interprétables à partir de son identification féminine refou-
lée, ainsi que ses faux pas, etc. Ce sur quoi Freud met l’accent, c’est que l’identifi-
cation avec la femme se fait par le moyen des intestins. C’est le biais choisi pour
cette identification qui lui semble échapper au seul registre du retour du refoulé.
C’est ce qu’il dit dans son objection de la page 231 : « Comment cette compré-
hension du rapport sexuel, cette reconnaissance du vagin s’accorde-t-elle avec le
choix de l’intestin pour l’identification avec la femme ? »
C’est quoi le choix de l’intestin, à cet égard ? C’est le trait par lequel le sujet recon-
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naît l’être une femme. Si l’on prend la question au niveau du problème sexuel, si l’on
traduit ce problème sexuel par le qu’est-ce qu’une femme ?, et si l’on admet que ce
registre-là est constitué pour Freud, on voit que le sujet a trouvé comme réponse
qu’une femme, c’est quelqu’un qui a mal au ventre. C’est le trait d’identification
qu’il a trouvé. Une femme est quelqu’un qui a mal au ventre et qui ne peut plus
vivre ainsi. Finalement, si nous tenons compte de la prédilection pour le clystère,
quelqu’un qui veut qu’on lui mette dans le derrière. Il y a là une série de proposi-
tions qui sont les réponses du sujet à la question qu’est-ce qu’une femme ?, en laissant
de côté, comme si elle n’existait pas, la réalité de la castration.
On pourrait essayer de différencier l’identification avec la femme comme retour du
refoulé – qui suppose que des traits de la mascarade féminine soient adoptés mais
sans mettre en cause l’existence de la castration – et l’identification avec la femme
qui supposerait, étant donné les traits qu’elle choisit, que la conviction de la réalité
de la castration ne soit pas posée, ne soit pas avérée.
Je ne progresse pas, là, de résolution de problème en résolution de problème. Je fais
au contraire surgir des problèmes, et notamment dans cette page 232. C’est déjà un
progrès d’y voir des problèmes, parce qu’on voit exactement où s’inscrit la proposi-
tion de Freud selon laquelle un refoulement est autre chose qu’une forclusion.
Freud dit : « Ce fut naturellement une contradiction, qu’à partir de là, l’angoisse
pût exister à côté de l’identification avec la femme par le moyen de l’intestin ».
Freud note là une opposition entre l’identification avec la femme par le moyen de
l’intestin et l’angoisse de castration puis précise que ce fut « seulement une contra-

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diction logique, ce qui ne veut pas dire grand-chose. L’ensemble du processus est
bien plutôt maintenant caractéristique de la manière dont travaille l’inconscient.
Un refoulement [Verdrängung] est autre chose qu’un rejet [Verwerfung]. » La dis-
tinction de ces deux termes me paraît porter essentiellement sur ce qui rend com-
patibles l’existence du refoulement motivé par l’angoisse de castration et l’identifi-
cation à la femme comme retour du refoulé.
Qu’est-ce qui fait l’ambiguïté de cette phrase ? C’est qu’on se demande toujours si
c’est fait pour définir le refoulement ou si c’est fait pour définir la forclusion. Il ne
faut pas oublier qu’au départ, ce dont il est question dans le texte, c’est de la for-
clusion, du rejet du nouveau. Freud a posé le rejet du nouveau et, à la fin du texte,
il revient au refoulement et accentue l’opposition de ces deux termes du point de
vue de la connaissance. Du point de vue du savoir sur le sexe, il dit que c’est tout
l’un ou tout l’autre. Du point de vue du refoulement, ça peut très bien être les deux
ensemble, parce qu’un refoulement n’est pas comme une forclusion. Au fur et à
mesure qu’on descend dans le texte, on arrive à une possibilité de coexistence entre
le refoulement et le retour du refoulé. À cet égard, l’identification avec la femme
change de statut entre les deux. Il y a une identification avec la femme dépendante
de la forclusion de la castration, et il y en a une autre qui est liée au refoulement.
Freud montre qu’il y a une contradiction, mais il dit qu’elle est seulement logique
et qu’« un refoulement est autre chose qu’un rejet ». Cela veut dire qu’un refoule-
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ment comporte un retour du refoulé. L’angoisse de castration peut avoir effectué le
refoulement de l’attitude féminine, mais cela n’empêche pas que cette attitude
revienne. Donc, à mon sens, la phrase de la fin du paragraphe vise à définir le refou-
lement par opposition à une forclusion, pour laquelle on est d’un côté ou de l’autre.
Tout ce qui est de l’ordre du refoulement et du but sexuel est différent de ce qui
concerne le savoir sur le sexe qui est un niveau fondamental pour Freud.
Vous n’y comprenez rien et moi non plus, mais ça n’a pas d’importance. Recon-
naissons que, pour Freud, ce niveau est fondamental. Évidemment, nous savons ce
que c’est, puisque Lacan nous l’a expliqué par ailleurs. Mais il y a quelque chose là,
dans Freud, qui est au niveau du problème sexuel, celui du savoir sur le sexe ou celui
du qu’est-ce qu’une femme ?, et qui n’a rien à voir avec le but sexuel.
Pourquoi serons-nous légitimés de dire plus tard, avec Lacan, que ce niveau du pro-
blème sexuel est de l’ordre du signifiant ? Eh bien parce que ce niveau est sous le régi-
me du tout ou rien, ou sous le régime de l’ancien ou du nouveau. Nous aurons par la
suite d’autres passages où Freud va nous compliquer ça. Mais cette opposition binai-
re de l’ancien et du nouveau est elle-même indicative du niveau signifiant, où la ques-
tion est constituée pour Freud quand il s’agit du savoir sur le sexe. Par contre, au
niveau du refoulement, il n’y a pas l’ancien et le nouveau. Au niveau du refoulement,
il y a le refoulé et le retour du refoulé. Ce n’est pas la même structure d’opposition.
Nous avons à sauter de la page 232 à la page 236 où nous reprenons le problème
de la castration chez Freud. Cette page 236 concerne le complexe de castration saisi
au niveau anal. Freud étudie le changement de signification de l’analité, le

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Bedeutungswandel18, en passant du cadeau à l’enfant et à la valeur phallique de l’ana-


lité, puisqu’il mentionne expressément l’abandon des fèces comme le modèle de la
castration. « L’abandon des fèces en faveur (pour l’amour) d’une autre personne
devient de son côté le modèle de la castration, c’est le premier cas de renonciation
à un morceau du corps propre ». Vous savez que Lacan s’appuie là-dessus et dis-
tingue un premier modèle de castration dans le sevrage, si l’on veut bien admettre
que le sein est une partie du corps de l’enfant et que le plan de séparation laisse le
sein de son côté.
À partir de la page 237, Freud reprend les choses en termes de coexistence généra-
le, ce qui pourrait faire penser que tout ça revient au même, alors que ce qu’il essaye
de situer, c’est comment sont compatibles, comment peuvent coexister chez le
même sujet un rejet forclusif et un mécanisme de refoulement avec retour du refou-
lé. Le schéma que nous avons présenté résumait déjà les termes du problème. Si
nous reconnaissons l’angoisse de castration et un refoulement, il faut qu’il y ait la
reconnaissance de la castration. En même temps, il y a un autre circuit qui est en
quelque sorte auto-suppressif et qui paraît nécessaire pour rendre compte de la déci-
sion du problème sexuel chez le sujet. Au détour de ce texte, on découvre Lacan
pour donner forme à ce qui est peu thématisé par Freud, à savoir la différence du
choix du but sexuel et du problème sexuel. Il est pourtant sensible que ça oriente la
construction du texte de Freud.
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Nous restons sur ce schéma :

IMW IMW

UWK→ NGL → K.Angst → PEZV → Verdrängung → W.Phobie → R.Ref


F.Ziel

(3 mars 1988)

XI. Freud et la forclusion

Je voudrais reprendre encore une fois cette question de la place que Freud donne à
la forclusion, puisque ça n’a vraiment pas l’air, après ce que nous venons d’entendre,
d’être la place que Lacan lui donne.

18. Cf. Freud S., G. W., X, p. 112.

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Pourquoi Freud maintient-il cette position ? Repartons du moteur de tout cet exa-
men. Le moteur, c’est une contradiction. Freud raisonne à partir d’une contradic-
tion à résoudre. Tout le chapitre sur l’érotisme anal est construit autour du fait qu’il
y a une contradiction et que, cette contradiction, il faut la résoudre. Freud la résout
par un appel au refoulement, mais il considère en même temps que cette réponse
reste en quelque sorte problématique.
Il considère d’abord comme établie l’identification à la femme par le moyen de l’intes-
tin et il se formule à lui-même une objection : comment cette identification à la femme
par le moyen de l’intestin est-elle compatible avec la reconnaissance de la réalité effecti-
ve de la castration ? – castration qui répond au qu’est-ce qu’une femme ? par : c’est un être
châtré. Quelle est la réponse de Freud à cette objection ? La réponse qu’il fait à la fin du
paragraphe de la page 232 met en avant la différence de l’inconscient et du conscient,
la différence de l’inconscient et de la logique. La réponse essentielle est un : voilà com-
ment travaille l’inconscient. Le travail de l’inconscient se fait précisément à travers la
contradiction. Nous voyons ce qu’est sa réponse. C’est le travail de l’inconscient.
Reprenons ce qu’est sa question formulée à la page 231 : « Comment la compré-
hension du rapport sexuel, la reconnaissance du vagin s’accorde-t-elle avec le choix
de l’intestin pour l’identification à la femme ? » C’est donc un problème d’accord
– Vertrag. L’expression qui est employée en allemand, c’est sich vertragen, c’est-à-dire
se supporter, s’accorder. Et nous avons là l’expression vertragen sich nicht19, c’est-à-
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dire ce qui reste incompatible ou inconciliable. Le problème est donc celui d’une
contradiction dont les deux termes sont inconciliables. Le travail de Freud est de
montrer, étant donné ce qu’est le travail de l’inconscient, comment ces termes appa-
remment inconciliables sont pourtant conciliables.
Ce qui rend compte de ce type de contradiction, c’est alors le refoulement. Le
concept même de refoulement est ce qui permet de penser comment des termes
inconciliables sont conciliables. C’est cela même qui justifie l’introduction du
concept de refoulement. Il y a une connexion tout à fait importante entre contra-
diction et refoulement. Quelle est alors la valeur exacte de la phrase sur la forclu-
sion et le refoulement : « Un refoulement est autre chose qu’un rejet » ? Le début
du paragraphe suivant l’indique. Freud résout la question en disant qu’il s’agit de
deux points de vue qui sont séparés par un stade du refoulement. Sa solution est
donc quand même une stratification. Ce qui se trouve à un moment marqué d’une
incompatibilité est déplié comme une stratification.
Qu’est-ce qu’introduit la question initiale de cette incompatibilité ? Nous croyons
être au niveau génital, au niveau de la castration reconnue, mais il y a les symptômes
intestinaux qui traduisent une identification à la femme, et voilà que nous nous
retrouvons alors avec le stade anal. Voilà ce qu’introduit la question initiale de l’in-
compatibilité. Le problème posé est donc de savoir quelle est la valeur de ce retour
à l’anal. Quelle est la valeur de ce retour à l’anal quand nous nous croyons solide-

19. Cf. ibid., p. 110.

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ment installés au niveau du génital ? Freud ne se contente pas de dire que c’est de
l’hystérie et que c’est donc parfaitement compatible avec le stade génital.
Le passage que nous commentons est placé sous le registre du retour à l’anal, et la
première réponse de Freud est alors que le sujet a rejeté K. Vous vous rappelez que
dans nos petits schémas, quand nous parlions de la castration, nous notions qu’au
stade K1 le sujet faisait la distinction entre Gedanke et Glaube. Il avait bien la pen-
sée de la castration mais il n’en avait pas la conviction. Cela peut servir à qualifier
le stade anal de la croyance. Cela veut dire que quand il est en A, il adhère à la théo-
rie cloacale. Le sujet croit à la théorie cloacale. C’est le même mot qu’emploie Freud
quand il évoque l’observation par le sujet, à un an et demi, du coït parental : « Que
pouvait-il avoir cru d’autre quand il fut, à un an et demi, spectateur de cette
scène ? » Avoir cru, c’est geglaubt haben. La croyance porte sur l’intestin comme
étant ce qui accorde l’homme à la femme :

K1 Gedanke sans Glaube

A Glaube

Il y a donc deux croyances qui sont incompatibles : la croyance anale et la croyan-


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ce génitale. Première position : le sujet rejette l’une pour l’autre, et c’est la forclu-
sion. Mais Freud ne s’en tient pas là. Il est obligé de constater qu’il n’y a pas l’une
à la place de l’autre, mais qu’il y a les deux, ensemble. Après le point de vue dia-
chronique, le problème est donc celui de la synchronie, la meilleure preuve en étant
que l’angoisse de la castration demeure. C’est ce que construit Freud, et c’est à ce
moment-là qu’il dit qu’il y a effectivement une contradiction. S’il y avait une for-
clusion complète, il n’y aurait pas de contradiction. Mais il y a angoisse de castra-
tion, donc coexistence, et donc contradiction. Puis Freud ajoute que ça ne le gêne
pas, car c’est comme cela que l’inconscient travaille. C’est alors là qu’il dit qu’un
refoulement est autre chose qu’un rejet.
Autrement dit, dans ce paragraphe de la page 232, Freud passe de l’hypothèse de la
forclusion à celle du refoulement. C’est le refoulement qui est censé résoudre la
contradiction en l’acceptant. La forclusion, c’est une façon de rejeter la contradic-
tion : il y a une croyance qui est complètement exclue et il y a l’autre qui demeure.
Si on restait à la croyance anale seule, il n’y aurait plus de problème. La forclusion
serait alors une solution par exclusion d’un des deux termes. Mais à la fin du para-
graphe, Freud constate qu’il y a coexistence : la solution n’est donc pas la forclusion
mais le refoulement. Dire que le refoulement est autre chose qu’une forclusion, c’est
dire comment l’inconscient travaille. Il ne travaille pas par exclusion pure et simple,
il travaille par refoulement où deux points de vue incompatibles sont parfaitement
conciliables. Il est clair que Freud définit le refoulement comme étant la solution
adéquate à la contradiction qu’il a posée au départ. Quand il y a des incompatibles,

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l’inconscient ne raisonne pas comme vous en excluant un des termes, il maintient


les deux. Le refoulement est donc autre chose qu’une forclusion. Le refoulement
permet que les deux coexistent.
L’essentiel de ce passage est donc bien une élaboration du concept de refoulement.
C’est une élaboration du concept de refoulement bien plus qu’une élaboration du
concept de forclusion. Ce qui paraît propre à l’inconscient, c’est le refoulement.
Nous avons là, avec l’ensemble de ce raisonnement, ce qui est proprement la pre-
mière réponse de Freud.
La deuxième réponse de Freud, c’est de dire qu’il faut regarder cette analité d’un peu
plus près. Est-ce que l’analité est si incompatible que ça avec la castration ? C’est
pourquoi Freud nous dit que « nous ne comprendrons pas ces troubles intestinaux
avant que nous ayons dégagé le changement de signification des fèces ». Cela veut
dire qu’on croit qu’une merde est une merde et qu’il va nous apprendre que c’est
aussi bien un phallus : loin qu’il y ait exclusion entre ces deux niveaux, il y a com-
patibilité, puisque l’anal peut parfaitement prendre le sens génital. La série de l’en-
fant, du cadeau et de l’argent peut parfaitement prendre un sens qui est compatible
avec la castration.
Vous voyez comment l’architecture logique est serrée chez Freud. À l’objection qu’il
s’est présentée à lui-même, il répond doublement. Il y répond d’abord par le méca-
nisme propre de l’inconscient qui rend compatibles les incompatibles. Le mécanis-
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me propre de l’inconscient n’est pas la forclusion mais le refoulement. Il y répond
ensuite en disant que l’anal est aussi le génital, qu’ils ne sont pas si différents l’un
de l’autre.
On attendrait donc maintenant que la forclusion soit évacuée. Tout est fait pour
qu’elle le soit. D’où la mauvaise surprise du haut de la page 237, quand on voit que
Freud, loin de l’évacuer, intègre la forclusion. Il l’intègre comme un stade de cette
histoire du refoulement, comme un stade qui est maintenu à plein titre et de façon
valable.
Je voudrais terminer en vous faisant remarquer qu’il y a, dans le texte, un curieux
changement qui va avec ça. Quand Freud se met à parler, là, de la réalité de la cas-
tration, ce n’est plus le terme de Wirklichkeit qui est employé. La Wirklichkeit de la
castration s’est évanouie et on a maintenant affaire à la Realität de la castration.
Quand il est question de l’Urteil, du jugement, ce jugement est porté sur la Realität
de la castration : Urteil über Realität20. Il y a brusquement un nouveau terme en jeu
qui passe inaperçu dans le texte français. Il y a un autre type de réalité qui est là et
qui n’est plus la réalité opératoire de la castration. La réalité opératoire de la castra-
tion, on a vu qu’elle s’exerçait dans le sens du refoulement. Maintenant ce n’est plus
la Wirklichkeit mais la Realität de la castration. La question en suspens pour l’ave-
nir, c’est de savoir pourquoi il y a ce changement-là.

(10 mars 1988)


20. Cf. ibid., p. 117.

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XII. Refoulement et forclusion (II)

Je vais faire une petite rétrospective sur le chapitre VII, pour essayer de saisir encore
une fois comment l’inspiration de Freud donne naissance à cette architecture. On
peut, en effet, distinguer l’architecture d’un texte et son inspiration fondamentale.
Freud a réservé la question de l’érotisme anal pendant toute l’exposition de son
texte pour l’ajouter à ce moment du chapitre VII. Il a présenté d’abord une succes-
sion chronologique clinique à trois étapes : la séduction, le rêve, la religion et la
névrose obsessionnelle qui va avec. Puis, pour ce chapitre VII, il a réservé la consi-
dération d’un plan de l’expérience qui traverse ces trois étapes : « Tout ce qui
concerne l’érotisme anal a été intentionnellement laissé de côté et doit être rassem-
blé et ajouté ici. »21 L’érotisme anal est saisi comme traversant les différents
moments, et nous avons donc là un quatrième moment tout à fait spécifique.
L’allure de ce chapitre VII est tout à fait remarquable. Son pivot est la question de
l’identification à la mère sur laquelle nous nous sommes déjà étendus. Il est inté-
ressant de remarquer que Freud ne commence pas par l’identification à la mère.
Curieusement, il commence d’abord par l’argent, en nous expliquant que l’argent
est lié aux fèces. Il commence par accréditer l’idée que les fèces ont une significa-
tion. Il le fait en ayant recours à ce qui est prouvé par le savoir analytique. Il accré-
dite d’abord cette notion que les fèces peuvent avoir une signification, et ce n’est
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que dans un second temps qu’il en vient à une époque où les fèces ne pouvaient pas
avoir la signification de l’argent. Il refait alors une histoire à l’envers qui arrive à
l’identification à la mère, et c’est là que se situe le morceau central, c’est-à-dire la
construction de la contradiction qui existe au niveau de ce qu’on a supposé être
acquis précédemment au cours de cette histoire, à savoir l’accès au stade génital. On
a supposé que toute cette histoire convergeait vers l’assomption génitale, mais à
cause de l’identification persistante à la femme ou à la mère par le moyen de l’in-
testin, on suppose ensuite que cette histoire n’est peut-être pas allée jusqu’à son
terme, ou qu’elle n’y est pas allée d’une façon normale. C’est la contradiction.
On peut découper en cinq moments ce passage central de la contradiction.
Premièrement, nous avons la position de contradiction : il y a incompatibilité entre
l’identification à la femme par le moyen de l’intestin et la connaissance de la cas-
tration. Deuxièmement, nous avons la solution de cette contradiction-là : il y a eu
forclusion des Lumières de la castration, et c’est pourquoi l’identification à la
femme est logique. Troisièmement, nous avons l’objection qui est que les Lumières
de la castration ont néanmoins bien eu des effets de refoulement, puisqu’il y a
angoisse de castration. Quatrièmement, nous avons l’affirmation de la contradic-
tion : il y a bien contradiction entre l’identification à la femme et l’angoisse de cas-
tration. Cinquièmement, nous avons la solution qui est qu’il y a, entre les deux
points de vue, un stade du refoulement qui les sépare.

21. Freud S., « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile », op. cit., p. 226.

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L’Homme aux loups (suite et fin)

Il n’est pas abusif de concevoir ici les choses d’une façon logique. Freud lui-même
raisonne en termes logiques. Il se réfère à la logique pour essayer de définir le travail
de l’inconscient. La logique du travail de l’inconscient n’a pas les mêmes lois que la
logique consciente. On peut présenter cela par l’implication. S’il y a K, alors il y a
Vg IMW (Verdrängung der Identifizierung mit dem Weib), c’est-à-dire refoulement de
l’identification à la femme. En conséquence, il peut y avoir la phobie du loup :

K Vg IMW W.phobie

Mais il y a l’objection : il y a l’identification à la femme. Donc, si ceci est faux, cela


ne peut pas rester vrai. Il faut faire porter une négation sur K, et c’est cette néga-
tion-là que Freud appelle forclusion. Cependant, il y a bien K puisqu’il y a phobie
du loup. Il en résulte que Freud est obligé de poser ensemble qu’il y a K et IMW :

Si K, Vg IMW et W.phobie, or IMW, donc K et Vw


Or K, puisque W.phobie, donc K et IMW

Quelle est, en définitive, la conclusion logique de Freud ? D’un côté, il y a castra-


tion, refoulement de l’identification à la femme et phobie du loup. D’un autre côté,
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il y a la forclusion de la castration qui a pour conséquence le maintien de l’identi-
fication à la femme. C’est précisément là que vient la phrase disant que le refoule-
ment est autre chose que la forclusion. Quel est le sens précis de cette phrase ? Ce
qui est le plus saisissant, c’est que deux types de négation sont ici à l’œuvre : un type
de négation qui dit refoulement et un type de négation qui dit forclusion. Il y a là
un clivage et la simple notion de négation ne suffit pas à construire ce tableau.
En quoi le refoulement est-il autre chose qu’une forclusion ? Premièrement, pour
Freud, la forclusion est une négation absolue. Ça expulse, ça efface, ça fait que ce
n’est pas constitué. Deuxièmement, le refoulement signifie qu’en même temps c’est
nié et maintenu. Comme le problème de Freud est de montrer que ces deux étapes
coexistent, il applique le terme de refoulement à la négation entre ces deux étapes.
Il y a donc un usage double du terme de refoulement dans l’architecture de cette
page. Il y a le refoulement qui est sur la première ligne, mais il y a aussi le refoule-
ment en tant qu’il vaut entre les deux lignes. Qu’un refoulement est autre chose
qu’une forclusion veut dire que la ligne où la forclusion vaut n’est pas forclose. Elle
est refoulée, puisqu’elle se maintient à cette place. C’est exactement le sens de cette
phrase. Je crois que nous sommes là au terme de son décorticage. Il faut distinguer
le refoulement en tant qu’il figure sur le tableau et le refoulement en tant qu’il est
la clef du tableau. La ligne de la forclusion est refoulée. Tout en étant niée par l’étage
suivant, elle est quand même maintenue : « L’ensemble du processus est bien plutôt
maintenant caractéristique de la manière dont travaille l’inconscient. » Freud applique
le concept de refoulement à l’ensemble du processus, et c’est à ce moment-là qu’il
peut dire qu’un refoulement est autre chose qu’une forclusion. Il y a un rapport de

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refoulement entre les deux termes et non pas un rapport de forclusion. S’il y avait un
rapport de forclusion, l’identification à la femme disparaîtrait complètement.
Est-ce clair ? Il faut que ce soit clair. Je m’évertue pour que cette page entière soit com-
prise et pour qu’on saisisse exactement le sens de la phrase qui a été prélevée par Lacan.
Sur le schéma, à cette ligne-là, il y a les troubles intestinaux, c’est-à-dire l’identifica-
tion à la femme par le moyen de l’intestin. C’est exactement ce que dit Freud. La
vieille théorie cloacale est refoulée mais pas forclose, même si elle implique une for-
clusion. La forclusion n’est pas forclose, la forclusion est refoulée. Qu’est-ce qui vous
fait vous marrer comme des baleines ? Est-ce l’idée que la forclusion n’est pas forclo-
se ? C’est pourtant le point essentiel. Dans un deuxième temps les troubles intestinaux
peuvent trouver une interprétation comme retour du refoulé, mais il y a un niveau
basique de ces troubles où ils sont accordés à l’identification avec la femme. En tout
cas, c’est ce que Freud maintient. Cela n’empêche pas que, par ailleurs, on puisse
interpréter ces troubles intestinaux comme étant un retour du refoulé.
Voilà donc le premier point, portant sur la distinction du refoulement et de la for-
clusion, à savoir les deux types de négation que ces deux termes représentent : l’une
qui efface tout, l’autre qui efface et maintient.
Le deuxième point concerne ce sur quoi porte le refoulement et ce sur quoi porte
la forclusion. Il est clair que la forclusion porte sur Aufklärung, Verständnis,
Erkenntnis, c’est-à-dire sur tous les termes du savoir. Elle porte donc sur le signi-
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fiant. Elle vaut au niveau du problème sexuel. Pour ce qui est du refoulement, la
thèse de Freud est constante : « Les refoulements sont dirigés contre des investisse-
ments d’objets libidinaux. » Entre refoulement et forclusion, il y a, d’une part, une
différence de mécanisme : la négation ne fonctionne pas du tout de la même façon
dans les deux cas. D’autre part, il y a une différence du point d’application de cha-
cune de ces deux négations. L’une porte sur le savoir, l’autre sur les investissements
d’objets libidinaux. Pour Freud, les refoulements sont des refoulements de la libi-
do. Dans le refoulement que Freud évoque ici, il s’agit bien de transferts libidinaux
de place en place :

Verwerfung : Signifiant
Verdrängung : Libido (jouissance)

Il n’y a pas d’abus à dire qu’il est là question de ce qu’on doit appeler le métabolis-
me de la jouissance. Il n’y a pas d’abus à substituer le terme lacanien de jouissance
à la libido de Freud. La jouissance est une réinscription de la libido freudienne avec,
bien sûr, tous les aménagements que l’on peut y voir. Il y a donc, entre refoulement
et forclusion, une opposition qui est celle de la dimension du signifiant et de la
dimension de la jouissance.
Il s’agit évidemment de savoir à quoi cette jouissance se transfère, et quels sont les
objets-supports de ces investissements. Mais c’est cela qui donne son articulation au
point de vue de Freud : au niveau où il est question du refoulement, on voit les

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L’Homme aux loups (suite et fin)

symptômes prendre la relève les uns des autres. C’est l’Ablösung – ce qui a été tra-
duit par « relève des symptômes ». Freud parle également du refoulement d’atti-
tudes : Verdrängung der Einstellungen. On voit se différencier la notion du change-
ment possible des attitudes, c’est-à-dire passer de l’assurance à la phobie, de la gen-
tillesse à la méchanceté, etc. Il s’agit là d’un certain nombre de transformations d’at-
titude, mais Freud est toujours conduit à dire que, finalement, l’attitude passive
demeure jusqu’au bout. Cela veut dire qu’il y a, d’un côté, un métabolisme de ces
attitudes, des modes de jouissance, mais qu’il y a, d’un autre côté, une jouissance
foncière qui, elle, reste inerte et n’est pas touchée par l’ensemble de ce métabolis-
me. Même quand il parle d’attitudes, il y a pour Freud deux niveaux. Un niveau où
ça se transforme et un niveau fondamental où ça ne change pas, où un mode de
jouissance reste absolument constant à travers tous ses avatars. Il n’y a pas d’abus,
je crois, à faire cette distinction au point où nous en sommes dans le texte. Ce n’est
pas pour rien que Lacan a pris ce texte comme un point d’appui essentiel. C’est un
texte où non seulement nous apprenons comment Freud concevait et structurait
l’expérience, mais aussi comment Lacan a construit ses catégories. À cet égard, ce
texte a un rôle tout à fait distingué.

L’Homme aux loups dans le Séminaire I


Agnès Aflalo m’a dit plusieurs fois d’aller voir ce qui concernait le cas de l’Homme aux
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loups dans le Séminaire I de Lacan, et je vais vous demander de vous reporter à deux
passages qui encadrent le texte d’Hyppolite dans ce séminaire. Le premier se situe
page 53. Il commence par : « À ceux qui ont assisté à mon commentaire de l’Homme
aux loups » et s’achève par : la Verwerfung « de la réalisation de l’expérience génitale est
un moment tout à fait particulier, que Freud lui-même différencie de tous les autres »22.
J’ajoute tout de suite que ce qui va permettre à Lacan de clarifier ce texte de Freud,
c’est de faire fonctionner sur ce paragraphe le texte freudien sur la dénégation. Le
génie de Lacan est dans le rapprochement de ce texte et de celui sur la dénégation, et
de montrer que ce qu’on voit là surgir d’une façon difficultueuse chez Freud est l’ins-
piration même du texte sur la dénégation. Peu importe que cela se situe quelques
années après et que cela se présente autrement. Du point de vue de l’inspiration, il
faut rapprocher ces deux textes. Ils s’éclairent l’un par l’autre. Nous pourrons éven-
tuellement reprendre le texte sur la dénégation, afin de bien voir que c’est de l’appli-
cation d’un texte sur l’autre que surgit la mise en place de Lacan. Cela va lui permettre
de parler de ce cas en termes de Bejahung et de donner toute sa valeur à la forclusion
en l’opposant à l’affirmation. C’est, il est vrai, une construction de Lacan et non une
construction de Freud, mais c’est une construction qui s’appuie sur celle de Freud. Il
est clair qu’à détailler les constructions, on ne trouvera jamais du nouveau. On ne
trouve du nouveau qu’en confrontant les constructions à leur inspiration.

22. Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 55.

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Le deuxième passage se situe page 70 et commence par « Voyons l’homme-aux-


loups. Il n’y a pas eu pour lui Bejahung, réalisation du plan génital » et s’achève sur :
« À ce moment de son enfance, rien ne permet de le classer comme un schizophrè-
ne, mais il s’agit bien d’un phénomène de psychose. »

Vacuité des conflits diagnostiques


Nous avons là une indication très précise sur la position de Lacan à cette date. Il ne
s’oppose pas absolument au diagnostic freudien de névrose obsessionnelle. Il ne
pose pas un diagnostic de psychose, mais il voit les conditions être réunies pour la
psychose de l’adulte. La position de Lacan en 1946, dans « Propos sur la causalité
psychique », vérifie cette réserve qu’il a à poser le diagnostic de psychose : « Encore
ce mirage des apparences […] exige-t-il l’insaisissable consentement de la liberté,
comme il apparaît en ceci que la folie ne se manifeste que chez l’homme et après
“l’âge de raison” et que se vérifie ici l’intuition pascalienne qu’“un enfant n’est pas
un homme” »23. Il faut se servir de cette citation avec précaution, parce qu’elle est
de nature à bouleverser beaucoup de nos situations acquises. Mais la position de
Lacan en 1946 est celle-ci : il n’y a de psychose que de l’adulte.
Qu’est-ce qui donne sa consistance à ce point de vue de Lacan ? Si on le modifie, il y a
beaucoup de choses qu’on modifie aussi. Je ne pense pas du tout que c’est ce qu’il y a
lieu de faire, surtout au moment où nos amis Robert et Rosine Lefort exposent un livre
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qui est fondé entièrement sur le parallèle du président Schreber et de l’Enfant au loup
que Rosine a eu en traitement. C’est un livre qui est vraiment fait pour affirmer un
parallèle entre la psychose de l’enfant et la psychose de l’adulte. Ce ne sont pas deux
lignes de Lacan en 1946 qui vont venir s’opposer à une pratique et à un usage constant.
À partir du moment où l’usage est reçu et constant, on n’a pas forcément à s’y opposer.
Cela montre aussi la vacuité des conflits diagnostiques. Il est bien plus intéressant de
revenir aux conditions mêmes de possibilité des diagnostics. Quand il y a un phé-
nomène de psychose, si quelqu’un dit qu’il y a psychose, il a alors à faire apparaître
son axiome. En tout cas, il est clair que Lacan, en 1946, ne considère pas qu’il y ait
nécessairement psychose quand il y a un phénomène de psychose. Il considère que
la psychose demande quelque chose de plus. Il fait même appel à l’âge de raison et
au consentement de la liberté, c’est-à-dire à une liberté qui demande qu’on ait la rai-
son. Il faut voir le contexte d’ensemble. Le plus intéressant est donc de maîtriser le
champ des possibles théoriques, c’est-à-dire de maîtriser la cartographie conceptuel-
le elle-même, qui permet ensuite de définir, selon certains choix, un certain nombre
de positions. Il y a aussi les créateurs de cartographies, ceux qui bouleversent la façon
de poser les problèmes. Il n’y a pas de doute que Lacan en fait partie.

Choix d’objet
Essayons de replacer la question du choix d’objet de ce chapitre VIII dans la problé-
matique d’ensemble du cas.
23. Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Écrits, op. cit., p. 187.

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L’Homme aux loups (suite et fin)

Serge Cottet a rassemblé au départ les traits les plus marquants de la question du
choix d’objet pour ce sujet, à savoir d’abord sa clarté. Là, il y a un choix dont le
moins que l’on puisse dire est qu’il est univoque. Il n’y a pas d’hésitation, pas même
de conflit, et cette clarté prend la forme même de la compulsion tout à fait décidée,
qui est ce qui fait parler de déclenchement automatique.
Cette univocité du choix d’objet contraste avec l’éclatement de la libido de ce sujet.
Auparavant, Freud s’est employé à nous montrer les positions de ce sujet qui sont extrê-
mement complexes. Il est masochiste, cannibale, homosexuel. Freud accentue donc l’hé-
térogénéité des différentes positions du sujet. Il accentue aussi les clivages, les niveaux
qui montrent que l’Homme aux loups rejette le nouveau, conserve l’ancien, et accepte
pourtant, dans une certaine mesure, le nouveau. On a donc des architectures complexes
qui posent des problèmes théoriques, à quoi Freud répond par ce merveilleux concept
du refoulement qui permet de dire que c’est supprimé et accepté à la fois.
Puis, avec le chapitre VIII, on reprend thématiquement le choix d’objet. Là, nous
avons la clarté, la simplicité, l’élégance des lignes, un style tout à fait différent du
style égyptien de l’inconscient du sujet où tout voisine, même les choses incompa-
tibles. À côté du style bric-à-brac, on a là simplement une petite scène, une sculp-
ture, qui est la femme accroupie, avec, à côté, une petite figurine qui est celle de
l’homme. Il y a donc un contraste tout à fait saisissant.
Un troisième trait tout à fait remarquable signalé par Serge Cottet est la surdéter-
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mination de ce choix, qui, tout en étant foncièrement déterminé par la scène pri-
mitive, reprend un certain nombre d’événements et de rencontres de la vie du sujet.
D’ailleurs, le chapitre est tout entier placé sous ce signe, puisqu’il s’intitule « Effets
d’après coup ». Il est fait pour montrer comment, à partir d’une base première, ce
choix s’enrichit de toute une succession.
Pourquoi cela vient-il à ce moment-là du texte ? Freud en donne une explication
assez curieuse au début du chapitre, en disant qu’il va s’agir maintenant des choses
qui ont permis de dénouer le cas. Il considère que ce qui est vraiment en question
ici avec le choix d’objet, c’est vraiment le mystère ultime de ce cas.
Nous voyons tout de suite en quoi la problématique même de ce chapitre est le pen-
dant de celle que nous avions évoquée précédemment quand nous avions examiné
le thème de l’érotisme anal et l’identification avec la femme, le comme une femme
fondamental du sujet, que Freud justifie et qu’il essaye de situer. S’il amène main-
tenant la question, du choix d’objet, c’est que – ô surprise ! – ce sujet n’agit pas du
tout dans son existence comme une femme mais comme un homme. Ce thème, on
pourrait l’appeler le conflit des identifications.
On a eu une identification à la femme basée sur une identification à la mère de la
scène primitive. C’est cela que le patient a cru d’abord, là s’est fixée sa croyance fon-
cière. Et puis ensuite, on a le choix d’objet du comme le père. Sur le fondement de
la scène primitive, Freud a d’abord montré en quoi le sujet s’est repéré sur sa mère,
au point que son mode de jouissance soit passif et homosexuel. Puis il montre qu’il
y a au contraire un tout autre registre où le mode de jouissance du sujet apparaît

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comme strictement opposé, à savoir viril, extrêmement décidé, compulsif, etc. Voilà
la contradiction qui est là présente. À la fin de la première partie de son rapport de
Rome, Lacan met d’ailleurs l’accent sur l’opposition de ces deux registres, celui de
l’homosexualité et celui de la compulsion.
Il n’y a pas de compulsion homosexuelle chez l’Homme aux loups, et la question se
pose alors de savoir ce que veut dire, pour lui, être un homme. Qu’est-ce que cela
veut dire au niveau de la Verwerfung de l’Aufklärung de la castration ? C’est un
niveau dont on a vu qu’il était amené par Freud pour justifier l’identification avec
la femme. Alors que veut dire, à ce niveau, être un homme ? Quelle réponse a le
sujet ? Est-ce que la réponse est d’abord constituée au niveau de la forclusion de la
castration ? Quand Lacan parle de l’isolation symbolique du je ne suis pas châtré où
se rive la compulsion amoureuse de l’Homme aux loups, il dit que la question
qu’est-ce qu’être un homme ? doit toujours être jugée au niveau symbolique, au
niveau de la décision sexuelle. S’agit-il là d’un je ne suis pas châtré au niveau de la
forclusion de la castration ? Ce pourrait être un je ne suis pas châtré qui serait au
niveau de la reconnaissance de la castration. Mais ce qu’implique Lacan, c’est que
ce je ne suis pas châtré est au niveau de la forclusion de la castration. Je ne règle pas
la question, mais ce qui était déjà en cause chez Freud, page 205, c’était la création
de sa virilité par l’Homme aux loups.
La question est maintenant de savoir comment s’articulent l’identification à la mère
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et l’identification au père, l’identification à la femme et l’identification à l’homme.
Nous avions la série chronologique suivante : séduction, rêve, religion – le rêve lui-
même renvoyant à la scène originaire. Le complément qu’apporte ce chapitre VIII,
c’est celui de la scène avec Groucha, et c’est ce qui permet à Freud de refaire une
série transversale ou transhistorique comme celle de l’érotisme anal : tout cela prend
son point de départ dans la scène originaire, c’est réactivé après coup dans la scène
avec Groucha, la scène de la séduction implique la sœur dans cette affaire, le rêve
réactive la scène originaire, et donc la névrose obsessionnelle contemporaine de la
religion confirme l’élément de ravalement qui est là présent. On peut parler de sur-
détermination, puisque l’on voit, à partir d’un moment de fixation unique, les dif-
férents moments de l’histoire venir s’ajouter et s’emboîter dans la même direction :

Scène primitive Groucha Séduction Rêve Religion

Il est frappant aussi de voir en quels termes Freud parle du choix d’objet. Ce qui
fait le pendant du terme de choix, c’est le terme de condition. L’expression de
condition d’amour ou de condition du choix d’objet revient plusieurs fois dans ce
chapitre. Pour déterminer quel est le partenaire sexuel d’un sujet donné, il y a donc
un certain nombre de conditions qui sont le produit d’une histoire originaire. Il

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faut bien voir que c’est sur le fond de l’absence du rapport sexuel. Qu’est-ce que
veut dire le rapport sexuel, quand il existe au niveau de l’espèce ? Cela veut dire qu’il
y a des conditions de choix innées qui permettent de reconnaître le partenaire
sexuel. Or, le fait même de parler de condition d’amour et de choix d’objet, c’est la
marque qu’il y a pour Freud une élaboration particulière du sujet qui va détermi-
ner quel est son partenaire.
Le vocabulaire de Freud est là extrêmement déterministe, extrêmement causaliste.
« Il établit une liaison importante entre la scène originaire et la compulsion amou-
reuse qui est devenue si décisive pour son destin, et introduit en outre une condi-
tion d’amour qui explique cette compulsion. »24 Le terme de condition d’amour est
tout à fait constant dans le texte. On le retrouve à la page suivante : « Même son
choix d’objet définitif […] se révéla […] comme dépendant de la même condition
d’amour, comme un rejeton de la compulsion qui, à partir de la scène originaire en
passant par la scène avec Groucha, gouvernait son choix d’amour. » Nous avons là
une indication précise de Freud sur la façon dont il conçoit le rapport à l’objet
d’amour : en termes d’une condition de rassemblement de traits.
Comment Freud articule-t-il finalement les deux ? Si ce chapitre met au premier
plan l’identification virile de l’Homme aux loups, Freud poursuit pourtant en pré-
cisant – l’anal fait justement là son apparition – que sa position foncière reste l’iden-
tification à la femme. Ce qui est foncier dans ce que ce sujet a prélevé dans la scène
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primitive, c’est l’identification à la femme. Freud n’évoque le choix d’objet et l’iden-
tification virile de l’Homme aux loups que pour rappeler qu’il fallait « qu’un
homme lui administre un clystère […]. Cela ne peut signifier qu’une chose : qu’il
s’est identifié avec la mère »25. Nous y revoilà ! On y revient ! Après la parenthèse
qu’il fait sur le choix d’objet, Freud revient à l’identification à la mère : « l’homme
joue le rôle du père, le clystère répète l’accouplement […]. [Le] cercle de la fixation
au père est fermé ; ainsi l’homosexualité a trouvé son expression la plus haute et la
plus intime ».
Cette position de Freud est tout à fait confirmée par le résumé qu’il donne du cas
un peu plus loin. Il met en balance la position virile – qui a l’air d’impliquer le
choix hétérosexuel extrêmement décidé du sujet – et la position féminine : « l’atti-
tude homosexuelle […] s’était affirmée chez lui comme puissance inconsciente avec
une grande ténacité »26. Autrement dit, quand Freud résume le cas en une seule for-
mule, nous avons une oscillation entre activité et passivité, mais il n’hésite pas sur
ce qui lui paraît être le mode de jouissance foncier du sujet, à savoir son identifica-
tion à la femme. C’est pour cela que la partie sur le choix d’objet hétérosexuel appa-
raît presque comme une enclave, une défense par rapport au mode de jouissance
foncier de l’Homme aux loups.
(17 mars 1988)

24. Freud S., « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile », op. cit., p. 243.
25. Ibid., p. 249.
26. Ibid., p. 264.

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XIII. L’Homme aux loups dans Inhibition, symptôme angoisse

Nous arrivons à la fin de ce trimestre et également presque à la fin du cas de


l’Homme aux loups. Peut-être n’aura-t-on pas le temps de donner le diagnostic
final, mais peut-être a-t-on dépassé la question telle qu’elle était posée dans notre
problématique de départ.

Honte
Je voudrais simplement donner une citation de Freud dans Inhibition, symptôme,
angoisse après la relecture que j’ai faite pour aujourd’hui. C’est une phrase que je
prendrai à la fois comme une conclusion provisoire de notre étude du cas de
l’Homme aux loups et comme l’exergue de l’ensemble de ce séminaire qui se pour-
suit. On pourrait, chaque année, trouver ainsi une phrase de Freud ou de Lacan qui
soit emblématique. Celle-là me paraît bien et je vous la donne. Elle est extraite du
chapitre VII d’Inhibition, symptôme, angoisse : « Il est presque honteux qu’après un si
long travail nous rencontrions toujours des difficultés à concevoir les données les
plus fondamentales »27. Dans cet affect de presque honte se rassemble, en fait, la
dignité même du travail que nous pouvons faire, qui est précisément de nous
remettre devant les données les plus fondamentales de l’expérience et de la théorie
analytiques, et qui nous fait en même temps nous apercevoir que l’on n’arrive pas à
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les concevoir. Évidemment, on peut dire que c’est justement parce qu’on n’arrive
pas à les concevoir qu’on se sert des mathèmes. Les mathèmes, en effet, on n’a pas
besoin de les concevoir, on n’a qu’à seulement les faire tourner. Mais, comme vous
le savez, les mathèmes que nous utilisons sont en même temps des « quasi-
mathèmes » et font donc toujours appel à un effort de conception.
Cette phrase de Freud est spécialement appropriée à la question de la castration. En
effet, la castration est une donnée fondamentale de l’expérience et de la théorie de
Freud et elle est en même temps par excellence ce qui est difficile à concevoir. Cet
exergue vaudra, j’en suis persuadé, tout autant pour la suite.

Contradiction
J’ai l’impression que Freud est un peu rapide là où il est question du refoulement
et de la régression. À propos de l’histoire de la maladie de l’Homme aux loups, il
écrit : « à partir du rêve décisif, il se comporte d’une manière “méchante”, tour-
menteuse, sadique, et développe bientôt une authentique névrose obsession-
nelle »28. Ce n’est pas le souvenir que j’ai du cas. Cela me paraît, sinon une erreur,
du moins un résumé assez curieux. Vous vous rappelez la différence introduite entre
K1 et K2, entre la castration liée à l’épisode de la séduction et la castration liée au
rêve. Vous vous rappelez aussi le schéma de régression que je proposais. Eh bien,
contrairement à ce que dit Freud, ce n’est pas à partir du rêve que l’Homme aux

27. Freud S., Inhibition, symptôme, angoisse, Paris, PUF, 1951 / 1978 (nouvelle traduction), p. 48.
28. Ibid., p. 24.

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L’Homme aux loups (suite et fin)

loups devient méchant et sadique, mais à partir de la séduction. Je n’ose pas dire
que c’est là une erreur de Freud mais, si on se réfère à la page 187 du cas, nous
lisons : « Il raconte qu’après le refus et la menace de la Nania, il renonça très bien-
tôt à l’onanisme. La vie sexuelle qui commençait sous la direction de la zone génitale
avait donc succombé à une inhibition extérieure et avait été renvoyée par son influence à
une phase antérieure d’organisation prégénitale. À la suite de la répression de l’onanis-
me, la vie sexuelle du garçon prit un caractère sadique-anal. » C’est la régression
sadique-anale qui fait que le sujet « devint irritable, cruel, se contenta de cette maniè-
re sur les animaux et les hommes ». Il n’est donc pas exact de dire, comme le fait
Freud à la page 24 d’Inhibition, symptôme, angoisse, que c’est à partir du rêve que
l’Homme aux loups se comporte d’une manière méchante et sadique. Ce n’est pas à
partir du rêve que ça lui arrive, mais à partir de l’épisode antérieur de la séduction.
Ceci est encore confirmé dans le résumé que Freud donne du cas, à la page 256 du
cas de l’Homme aux loups : « La séduction continue son influence […]. Elle trans-
forme maintenant le sadisme en sa contrepartie passive, le masochisme. » La pro-
blématique du comportement sadique-anal est constamment référée à la séduction
et à la menace de castration liée à celle-ci. Avec le rêve, c’est différent. Qu’est-ce qui
est lié au rêve proprement dit ? C’est l’apparition de la phobie avec la crainte de la
dévoration, renvoyée par Freud au stade oral. Cela lui paraît être une régression plus
profonde. Au fur et à mesure que l’on progresse dans l’histoire du sujet, on régres-
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se à un stade d’organisation libidinale antérieur.
Je ne tire pas pour l’instant des conséquences majeures de ma remarque, mais enfin,
cette phrase de la page 24 est un résumé très cavalier du cas. Si le texte est rédigé en
1914, Inhibition, symptôme, angoisse est rédigé en 1924, et Freud n’a peut-être pas,
dix ans après, tous les repères du cas bien clairs dans sa tête. Il faut cependant sup-
poser que ce n’est peut-être pas un hasard. Il y a certainement une organisation qui
rendrait compte de cette phrase singulière et bizarre dans le texte.
Quel est le rapport que l’on peut établir, disons globalement, entre le texte sur
l’Homme aux loups et Inhibition, symptôme, angoisse ? J’ai été ravi qu’Agnès Aflalo ait
proposé un rapport entre ces deux textes. En effet, Inhibition, symptôme, angoisse me
paraît être, dans sa thèse fondamentale, une conséquence du texte sur l’Homme aux
loups. Je ne peux pas abuser de cette direction, car il faudrait examiner le texte en
détail. Sur ce point, je ne saurais trop conseiller de se rapporter au volume de la
Standard Edition. Strachey fait un excellent résumé des différentes positions de Freud
sur l’angoisse, et met en valeur d’une façon très insistante, comme Freud lui-même,
qu’Inhibition, symptôme, angoisse signale un changement dans la théorie de l’angoisse.
Qu’est-ce qu’Inhibition, symptôme, angoisse met au premier plan ? La castration. Le
texte commence à mettre la castration au premier plan de la métapsychologie elle-
même. Sur ce point, le texte sur l’Homme aux loups apporte certainement un élé-
ment tout à fait capital. En effet, rappelez-vous tous les schémas que nous avons pu
faire au tableau et qui mettaient, d’une façon très claire, l’angoisse de castration
avant le refoulement. C’est là le point décisif de la construction métapsychologique

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du cas. Qu’est-ce qui vient là au premier plan et que nous avons écrit de différentes
façons au tableau ? Nous avons posé la castration, avec la supposition que cette cas-
tration puisse être crédible pour le sujet, c’est-à-dire qu’il ait la conviction de l’exis-
tence de la Wirklichkeit de la castration. Puis nous avons posé que cela entrait en
conflit avec le narcissisme des parties génitales, c’est-à-dire le narcissisme phallique.
Et enfin, en conséquence, nous avons posé qu’il y avait l’angoisse de castration et
ensuite le refoulement dont le sous-produit était la phobie. Je n’ai malheureusement
pas eu le temps de reprendre l’article de 1915 sur le refoulement où l’angoisse n’est
pas du tout – si mon souvenir est bon – isolée comme cause du refoulement.

L’angoisse et le refoulement
Il faudrait retrouver exactement où passe la coupure. Il est certain qu’elle se passe
dans ces années-là. En tout cas, avec ce texte sur l’Homme aux loups, on est déjà sur
le même versant qu’Inhibition, symptôme, angoisse. Ce volume est vraiment fait pour
rendre compte de la théorie qui a été élaborée au cœur du cas de l’Homme aux loups,
à savoir l’angoisse de castration comme moteur du refoulement. Il n’y a pas d’ambi-
guïté sur ce point dans le texte sur l’Homme aux loups. Prenons, par exemple, la
page 196 : Freud parle de « transformation d’affects », et c’est exactement ce même
terme – qui fait le problème même du refoulement – qu’il emploie dans Inhibition,
symptôme, angoisse. Vous avez une deuxième référence à ce propos à la page 257 : « Le
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moteur de ce refoulement semble être la virilité narcissique des parties génitales qui
entre dans un conflit […] avec la passivité du but homosexuel. Le refoulement est
donc un succès de la virilité. » Plus précisément encore, page 260, vous avez : « On
peut dire que l’angoisse qui entre dans la formation de ces phobies est l’angoisse de
la castration. » On peut reprendre, aussi bien, la fameuse page 232 où, à propos de
l’Aufklärung de la castration, Freud dit : « la nouvelle connaissance [n’est pas] restée
sans effet ; tout au contraire, elle développa une efficacité extraordinairement forte,
en devenant le motif qui agit pour conserver le processus entier du rêve dans le refou-
lement et l’exclure d’un travail conscient ultérieur ». À plusieurs reprises, la même
thèse s’affirme. Ce qui est au cœur du texte sur l’Homme aux loups, c’est le problè-
me de la castration et de l’angoisse de castration.
Inhibition, symptôme, angoisse est tout à fait dans la ligne de ce texte, et certainement
en rupture, comme Freud le signale lui-même, avec les thèses antérieures sur l’an-
goisse qui faisaient de celle-ci une conséquence du refoulement. La connexion entre
ces deux textes est extrêmement forte et va au-delà des remarques que Freud peut
faire explicitement sur son texte de 1914. Inhibition, symptôme, angoisse, c’est vrai-
ment la théorie métapsychologique destinée à rendre compte de ce qu’on a obtenu
du cas de l’Homme aux loups, en tant qu’il ne cadre pas entièrement avec les ana-
lyses antérieures de Freud, et ce, sur un point décisif qui est l’angoisse de castration.
Qu’est-ce que l’angoisse de castration ? C’est l’opérateur qui fait communiquer la
théorie œdipienne et la théorie métapsychologique de Freud. C’est la clef de toute
la théorie lacanienne de la jouissance. C’est précisément l’homologie entre la théorie

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L’Homme aux loups (suite et fin)

œdipienne et la théorie métapsychologique. Le pivot en est l’angoisse de castration.


Dans Inhibition, symptôme, angoisse, remarquons d’abord que l’inhibition n’est pas
au premier plan de la question. Elle est un point de départ. Il a fallu Lacan pour
vraiment structurer les trois termes en série. L’inhibition est surtout au point de
départ, afin qu’on la différencie du symptôme. L’inhibition est une limitation des
fonctions du moi, alors que le symptôme ne se passe pas dans le moi. Pour com-
prendre ce que c’est qu’un symptôme, il faut sortir du moi et aller vers autre chose.
Ca, c’est vraiment dans le premier chapitre. Ce premier chapitre s’achève sur le
symptôme comme quelque chose qui ne se passe pas dans le moi. J’ajoute qu’il y
faut d’emblée comprendre que Freud vise la libido et la pulsion. L’inhibition est au
niveau du moi, et pour saisir ce qu’est un symptôme, il faut sortir du moi et aller
vers la libido et la pulsion.
L’essentiel de ce que Freud établit ensuite, c’est la formation des symptômes. Il exa-
mine donc le processus du refoulement et le rôle que joue l’angoisse autour du
refoulement. Il essaye précisément de savoir où se localise cet autour. C’est ce que
Freud va essayer d’éclairer spécialement avec le symptôme phobique. On voit d’em-
blée – et c’est le chapitre II – comment se formule la question du symptôme. Elle
se formule essentiellement par un rapport entre le moi et le ça – le surmoi étant évo-
qué plus brièvement. Du ça, provient une motion pulsionnelle et, du moi, provient
un refoulement, qui veut dire que le moi ne prend pas en charge cette motion pul-
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sionnelle. Le moi refuse de coopérer.
La question se pose alors – on pourrait reconstituer ça pas à pas – de savoir ce que
devient la pulsion après le refoulement, et ce, en prenant en compte que ce que vise
une pulsion, c’est une satisfaction ou, comme nous le disons, une jouissance. Le
résultat, c’est ce dont Freud parle en termes de transformation d’affects, qui ne se
situe pas du tout seulement au niveau de l’apparence phénoménale – du Lust trans-
formé en Unlust. À cet égard, ce qui connote l’entrée en jeu du moi refoulant et ce
qui va être le symptôme comme souffrance, c’est, avant même de parler de signal
d’angoisse, l’Unlust. C’est l’Unlust comme signal. C’est en référence au principe du
plaisir que le moi ici opère.
Freud se pose alors la question précise de savoir d’où vient au moi l’énergie de pro-
duire l’Unlust. La réponse est basée sur la thèse de son écrit sur le refoulement qui
distingue le représentant pulsionnel, c’est-à-dire le signifiant, et le quantum d’affect,
c’est-à-dire l’objet a. C’est vraiment comme cela que ça se déchiffre. Là, Freud raffi-
ne beaucoup la théorie que nous avons nous-mêmes rencontrée à la fin du texte sur
l’Homme aux loups, où il est dit que le refoulement porte sur la pulsion. Freud est
là beaucoup plus précis : on voit en quoi le refoulement porte sur les signifiants de
la pulsion. « Pour refouler un représentant pulsionnel, le moi retire son investisse-
ment », nous dit-il. Ce sont là des choses qui pour nous se traduisent éventuellement
par les déplacements de - f. Quand Lacan fait passer le - f d’un terme à l’autre, ça
traduit ce que sont chez Freud ces déplacements de l’investissement. « Pour refouler
un représentant pulsionnel, le moi retire son investissement et l’utilise à libérer le

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déplaisir. » Ce déplaisir, c’est l’angoisse elle-même. L’angoisse, c’est le point d’Unlust.


Les questions que Freud se pose ici sont bien sûr utilisables de façon pragmatique,
mais elles sont surtout dans leur essence des questions métapsychologiques. Ces
questions tiennent au fonctionnement du principe de plaisir et du principe de réa-
lité, même si ce dernier n’est pas là évoqué. Ces questions sont à saisir sur le fond
de la métaphore du principe de plaisir par le principe de réalité, c’est-à-dire la sub-
stitution du premier par le second.
La chose se complique par la remarque que Freud est conduit à faire au pas suivant.
Le moi est différencié du ça, mais il lui est, en fait, identique. Ce qu’il expose au
chapitre III réagit rétroactivement sur la théorie de l’Unlust comme signal.
L’angoisse est signal de déplaisir : c’est pour cela que Lacan pourra dire – à partir
du moment où il fait du Lust / Unlust l’objet a – que l’angoisse n’est pas sans objet.
Il s’agit alors d’un concept beaucoup plus raffiné de l’objet.
C’est sans aucun doute dans Inhibition, symptôme, angoisse que l’on trouve fondée la
théorie du symptôme comme jouissance : « Le symptôme est le substitut et le reje-
ton de la motion pulsionnelle refoulée. Il continue de renouveler sans cesse son exi-
gence de satisfaction. » Quel est alors le destin de la pulsion quand elle a été refou-
lée ? C’est en termes signifiants que l’on pense le retour du refoulé, mais il n’en est
pas moins vrai que l’exigence de satisfaction interne à la pulsion se poursuit dans le
symptôme. Il y a là l’aspect qui a été négligé par Lacan dans sa toute première éla-
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boration, à savoir que le refoulement et le retour du refoulé doivent se lire d’une
manière double : d’une part, sur le versant signifiant – c’est un message qui s’articu-
le –, et d’autre part, sur le versant de la jouissance. Le refoulement est corrélatif d’un
processus qui concerne la pulsion, c’est-à-dire l’exigence de satisfaction, c’est-à-dire
la jouissance. Dans le symptôme habite cette jouissance sous la forme de l’Unlust.

La phobie du petit Hans et celle de l’Homme aux loups


C’est dans ce contexte-là que Freud entreprend d’examiner la formation des symp-
tômes phobiques, à commencer par celle du petit Hans. Nous avons l’angoisse qui
permet au moi de procéder au refoulement – c’est là qu’il faut distinguer l’angois-
se comme cause –, et l’angoisse comme symptôme. C’est là que ça se boucle,
puisque l’angoisse du cheval dans la phobie est un symptôme. Il ne faut pas rabattre
immédiatement la théorie métapsychologique de l’angoisse sur sa valence phéno-
ménale, sinon cela annule toute la construction de Lacan sur l’angoisse et la jouis-
sance. Cette jouissance, ce n’est pas quelque chose que l’on va observer. Dans la
mesure même où il y a une connexion entre l’angoisse et la jouissance, il ne faut pas
immédiatement paradigmatiser l’angoisse. Les angoisses ont, dans les termes de
Freud en tout cas, le statut de symptômes. L’angoisse du cheval est une angoisse
située au niveau du symptôme. Ce dont nous parlons, c’est de l’angoisse comme
signal d’Unlust, qui est, il faut bien le dire, un processus largement inconscient.
L’Unlust est là articulé à l’exigence de satisfaction du sujet. C’est dans cette mesure-
là que l’on peut dire que l’angoisse n’est pas sans objet.

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L’Homme aux loups (suite et fin)

Le schéma que fait Freud est très simple. Il y illustre la métaphore du symptôme –
à savoir le cheval à la place du père. Si quelque chose justifie de dire que le symp-
tôme est une métaphore, c’est bien cette construction de Freud. La fulgurance de
« L’instance de la lettre… », soit que le symptôme est une métaphore, traduit exac-
tement les considérations du chapitre IV d’Inhibition, symptôme, angoisse. Freud dit
que cette substitution suffit à faire une névrose : « Un seul et unique trait en fait
une névrose : la substitution du cheval au père. » Freud définit la névrose par la
métaphore du symptôme. Il est clair qu’il y a à l’œuvre dans les textes de Freud –
et c’est ce qui permet de faire la liaison entre la théorie de l’Œdipe et la théorie
métapsychologique – ce mécanisme de la substitution ou de la métaphore, qui est
quand même la voie centrale, la grand’route que Lacan a fait apercevoir et qui est
l’armature même de sa théorie de la jouissance.

Cheval
Père

À côté de cette substitution du père par le cheval, il y en a une autre. C’est une sub-
stitution très singulière. D’un côté, il y a l’hostilité envers le père qui devient angois-
se du cheval : Freud nous dit que l’on comprendrait mieux que ça se transforme en
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hostilité à l’égard du cheval plutôt qu’en angoisse. Il y a tout un développement sur
ce point, car ce n’est pas ce qu’on aurait pu attendre. Freud dit bien que le seul et
unique trait de la névrose est la substitution du père par le cheval, mais il se corrige à
la page suivante. S’il y avait simplement eu passage de l’hostilité à l’égard du père à
l’hostilité à l’égard du cheval, il n’y aurait pas eu de névrose à proprement parler : « S’il
avait réellement développé comme symptôme principal une telle hostilité contre le
cheval au lieu du père, nous n’aurions nullement jugé qu’il fut atteint d’une névrose. »
Le point crucial, sur la base de la métaphore signifiante ou du changement d’objet,
c’est donc qu’il y a l’angoisse à la place de l’hostilité. Freud explique alors ce symptô-
me de l’angoisse en disant qu’il n’y avait pas seulement hostilité envers le père mais éga-
lement tendresse à son égard, tendresse féminine à l’égard du père. C’est par là que
Freud définit le refoulement proprement dit. Il y a au départ une opposition. Il le dit
en toutes lettres : « Là où nous avons cherché la trace d’un seul refoulement de pulsion,
nous devons reconnaître la rencontre de deux processus de ce genre. » Nous avons ici,
reprise au niveau de la pulsion, la thématique même de la surdétermination :

Angoise
Hostilité
Tendresse

C’est là que surgit exactement la différence notée par Agnès Aflalo et qui est en effet
dans le texte : chez le petit Hans, « la formation de la phobie avait supprimé l’in-

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vestissement objectal tendre de sa mère, ce que rien ne trahit dans le contenu de la


phobie ». Il y a donc un processus de refoulement qui porte sur à peu près toutes
les composantes du complexe d’Œdipe. Ce processus concerne le père et sa substi-
tution. Par contre, la mère, on n’en entend plus parler. C’est bien là que nous trou-
vons la différence éclatante d’avec l’Homme aux loups. La phobie de l’Homme aux
loups, qui jusqu’à un certain point peut être comparée à celle de Hans, s’en dis-
tingue justement en ce qui concerne la mère. C’est le point que Freud reprend dans
le chapitre VII. Chez le petit Hans, la tendresse pour la mère disparaît après la pho-
bie mais pas chez l’Homme aux loups : « nous voyons qu’après la formation de la
phobie la liaison tendre à la mère a comme disparu, radicalement liquidée par le
refoulement, et c’est en relation avec la motion agressive que s’est effectuée la for-
mation (substitutive) du symptôme. Dans le cas de l’homme aux loups, la situation
est plus simple ; la motion refoulée est en effet une motion véritablement érotique
– l’attitude féminine envers le père – et c’est en relation avec elle que s’effectue la
formation du symptôme »29.
Quelle est la théorie développée du signal d’angoisse dans ce chapitre VII ?
Premièrement, il se produit un processus d’investissement libidinal dans le ça.
Deuxièmement, le moi reconnaît là le danger de la castration. Troisièmement, il
donne le signal d’angoisse. Quatrièmement, il inhibe alors la pulsion grâce au prin-
cipe de plaisir / déplaisir. Après cela, Freud nous montre quels sont les avantages de
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l’angoisse phobique, c’est-à-dire celle qui signale au sujet qu’il ne faut pas qu’il s’ap-
proche d’un objet. Ce n’est pas du tout la même chose que l’angoisse de castration
sur le versant métapsychologique. Quel est pour le sujet le bénéfice qu’il y a dans le
passage de l’angoisse de castration à l’angoisse comme signal ? Freud le dit très clai-
rement. C’est que l’angoisse phobique est facultative – c’est-à-dire qu’elle a l’avan-
tage, par rapport à l’angoisse métapsychologique, de se produire seulement quand
il y a l’objet. Des conduites d’évitement de l’objet évitent donc le surgissement de
l’angoisse. L’angoisse n’apparaît que lorsque son objet est perçu. Il est clair que cela
se distingue d’un objet que l’on ne peut pas ne pas percevoir continuellement. La
situation de l’angoisse phobique est l’analogue dégradé et pacifié de la situation où
il s’agit d’un objet qui, lui, est toujours à la même place. Quand Lacan dit que l’an-
goisse n’est pas sans objet, cela peut se voir dans la phobie. L’angoisse phobique n’est
pas sans objet. C’est pour cela que cet objet, elle l’évite. Mais cela ne fait que ren-
voyer à l’objet comme objet a qui, lui, n’est pas du tout au niveau phénoménal. Ses
coordonnées foncières ne sont pas au niveau phénoménal. C’est un objet qu’on ne
peut pas ne pas éviter et qui conditionne tous les processus inconscients. Le signal
d’angoisse dans la réalité, celui dont le sujet témoigne, est déjà, en quelque sorte, la
métaphore du signal d’angoisse fondamental, du signal de l’Unlust qui, lui, est
quand même l’objet d’une reconstruction et non pas d’une perception.

29. Ibid., p. 47.

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L’Homme aux loups (suite et fin)

Je suis loin, évidemment, d’avoir réglé toutes les questions de ce texte. J’ai dû pas-
ser sur beaucoup de choses. Il faut voir que tout ceci s’oppose à la théorie antérieu-
re de Freud où le refoulement opérait une scission entre l’élément signifiant et l’élé-
ment jouissance, entre le représentant de la pulsion et le quantum d’affect qui est
susceptible de se transformer en angoisse. Mais le cas de l’Homme aux loups
montre que le sujet est déjà conditionné par l’angoisse de castration et par une réfé-
rence au problème de la castration. Il faut bien voir pourquoi cela nous intéresse.
Ce niveau où l’angoisse de castration est le moteur du refoulement, comment Lacan
va-t-il le traiter ? Il va le traiter à sa juste place, c’est-à-dire à partir du problème de
la castration. Et que va-t-il mettre comme foncteur pour décrire ça ? Eh bien, il va
mettre - f, c’est-à-dire qu’il va traiter en termes de signifiants l’angoisse de castra-
tion elle-même. Il va pouvoir en donner une traduction signifiante, parce qu’il a
aperçu que le problème de la castration chez Freud ne peut se poser qu’en termes
signifiants. Ensuite, il va pouvoir rendre compte de la transformation de l’affect en
angoisse en rapport avec la place de - f. Par exemple, dans la phobie, ce - f est sus-
ceptible de frapper les objets d’interdiction : on ne peut pas s’approcher de ces
objets.
Bien que nous n’ayons fait qu’aborder la question, nous allons nous arrêter là sur le
cas de l’Homme aux loups et sur la psychose. Il faudra reprendre Inhibition, symp-
tôme, angoisse.
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(24 mars 1988)

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