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L’ENVERS DE LA FICTION MÂLE

Rose-Paule Vinciguerra

L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir »

2017/1 N° 95 | pages 75 à 77
ISSN 2258-8051
ISBN 9782905040985
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2017-1-page-75.htm
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L’ENVERS DE LA FICTION MÂLE


Rose-Paule Vinciguerra

D
ans le rapport des sexes, les hommes ont toujours représenté le sexe fort au
regard du désir. Mais ce n’est pas si simple. Interrogez-vous ! demande Lacan.
Face à un corps de femme, un homme est « embarrassé », dérangé, encombré.
Non qu’il ne sache démontrer, parfois brillamment, ce dont il est capable,
mais c’est au prix de surmonter inhibition ou angoisse, en tout cas « embarras » qui
signale qu’une barre est mise sur le sujet, qu’il y a du trop. Bref, d’une femme, un homme
ne saurait « littéralement » quoi faire.
D’où pourrait venir le malaise masculin ? Le discours amoureux en appelle à l’unité
des amants, unité perdue que les amants souhaiteraient retrouver. Leurre ! Platon s’en
était bien aperçu lorsqu’il critiquait, dans Le Banquet, le mythe d’Aristophane de la bête
à deux dos dont les deux moitiés auraient été à jamais séparées par Zeus et chercheraient
à se rejoindre. Muthos là où le logos défaille ! La loufoquerie de ce mythe ne s’est jamais
revue, dira Lacan ; la coupure irrémédiable entre l’homme et la femme a eu lieu. Mais
cela n’arrange pas l’affaire pour Platon et il résout l’embarras du deux par le trois, car c’est
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vers le Bien que dans l’amour, les deux tendent.

Freud fait, lui aussi, référence à ce mythe d’Aristophane, mais s’il nomme Éros la
pulsion de vie, c’est pour faire l’hypothèse que la substance vivante, d’abord « éclatée en
particules », fut rassemblée « de façon toujours plus extensive » et ainsi « maintenue 1 ».
Mais c’est là une hypothèse spéculative et Freud avoue ne pas savoir dans quelle mesure
il y croit.

En revanche, lorsqu’il s’agit des hommes et des femmes, il ne croit pas au Un du


discours amoureux ; ce qui n’empêche pas qu’il le commente. Mais qu’il y ait complément
entre eux, que le féminin soit le passif dont l’homme serait l’actif, rien n’est moins sûr.
Assurément, qu’un homme soit embarrassé par le corps d’une femme, Freud le sait.
En analysant les dérangements de la fonction sexuelle masculine, il va jusqu’à dire que
« l’impuissance psychique 2 » caractérise la vie amoureuse de l’homme civilisé actuel. La
pression de l’éducation n’y est pas pour rien mais Freud en rend surtout compte par l’in-
suffisance de l’interdit œdipien et l’incapacité des fantasmes à se détacher des objets
sexuels primitifs, même avec substitution. La mère contamine la femme, sous les espèces
de l’objet idéalisé, respecté mais intouché, ou bien comme objet ravalé. De toutes
façons, la femme vient toujours en remplacement de l’unique, la première, et de ce fait,

Rose-Paule Vinciguerra est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne.


1. Freud S., « Le moi et le ça » (1923), Essais de psychanalyse, Petite bibliothèque Payot, Paris, 2005, p. 282.
2. Freud S., « Sur le plus général des rabaissements de la vie amoureuse » (1912), La Vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 61.

La Cause du désir no 95 75
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Lire Lacan

la satisfaction ne sera jamais la bonne. Il y manquera toujours quelque chose ! Quelle que
soit la condition de désir exigée dans le fantasme, fût-elle narcissique ! Ne pas « s’être
familiarisé avec la représentation de l’inceste avec la mère ou la sœur 3 » reste à l’horizon
des embarras de la castration pour un homme lorsqu’il s’agit d’aborder une femme. À
certains égards, celle-ci reste tabou. Pas de fusion des sexes donc, mais un idéal : la conver-
gence sur une femme du courant tendre et du courant sensuel peut avoir lieu, à condi-
tion de castration.

Lacan lit un peu autrement cette question. C’est à partir du manque propre au sexe
féminin que le phallus devient objet symbolique, mais le signifiant phallique comme
signifiant du désir n’est d’aucun sexe, c’est un tiers dans la relation des sexes. Ainsi
l’homme doit-il imaginairement poser qu’il l’a. Pourtant, il ne peut assumer les attributs
de son sexe qu’« à travers une menace, voire sous l’aspect d’une privation 4 ». « Menace »
de l’Autre œdipien ou « privation » par un père réel ! Il y a là une « antinomie interne ».
La solution la plus commune aux hommes est alors de se diviser entre deux femmes : celle
de la demande et celle du désir. Mais cela fait-il pour autant l’homme moins embarrassé
d’une femme ? Attaché qu’il est, comme Ulysse, au mât phallus, il éprouve toujours
comme étranger le corps d’une femme. Ce corps, proche du point obscur de la Chose,
ne fascine le désir qu’à la mesure du symbole phallique qui le sépare de cette jouissance
impossible de la Chose.
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Revenant à cette « fiction mâle, qui pourrait à peu près s’exprimer ainsi : on est ce qui
a », Lacan a cette formule : « c’est celle d’un type qui n’a jamais vu plus loin que le bout
de son nez […]. Cette fiction simplette est sérieusement en voie de révision. Depuis
quelque temps, on s’est aperçu que c’était un peu plus compliqué 5 ». Comment alors
traverser l’illusion de cet idéal de puissance ?

De fait, la difficulté d’un homme, dans son abord du corps d’une femme, tient à la
particularité de sa jouissance. Plus précisément, à la détumescence de l’organe corréla-
tive du moment de la jouissance sexuelle et qui constitue une limite au regard d’une
jouissance infinie qui serait mortifère. Il y a là, en effet, une perte, une soustraction de
jouissance qui s’opère. À la différence de ce qui intervient pour une femme qui, elle, « ne
manque de rien ». Et à l’envers de ce que l’on pouvait penser jusque-là.
En effet, il ne s’agit pas ici de menace de castration mais de perte, d’une « perte de
vie qui est la sienne d’être sexué 6 ». Cette part perdue du vivant marque la relation de la
sexualité à la mort.
Ce qui disparaît ainsi pour un homme, seul l’objet dit a par Lacan, un objet de
« sépartition », de partition interne au corps, peut en faire réparation. Cet objet est

3. Ibid.
4. Lacan J., « La signification du phallus » (1958), Écrits, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1966, p. 685.
5. Lacan J., Le Séminaire, livre XII, « La logique du fantasme », leçon du 9 avril 1967, inédit.
6. Lacan J., « Position de l’inconscient » (1966), Écrits, op. cit., p. 849.

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extérieur au champ de l’Autre, mais c’est lui qui est élu, positivé et déplacé sur le corps
d’une femme. Ce faisant, un homme « aïse 7 » toujours une femme.
Mais, qu’une femme veuille jouir de lui, et voilà l’angoisse : c’est à son être qu’elle en
veut, elle veut le châtrer 8 !
Aussi bien les hommes forgent-ils le fantasme d’un masochisme féminin 9, c’est-à-dire
celui d’un objet toujours prêt à jouir d’être objet de jouissance, ce qui réparerait la perte
et les rassurerait.
Si un homme ne peut jouir que de la jouissance d’organe, l’orgasme en tant que tel
n’est pourtant pas sans angoisse. Mais ce temps de l’angoisse n’est pas absent de la consti-
tution du désir 10 ! De cette jouissance fermée, l’angoisse peut en effet produire un objet
cause de désir 11. Encore faut-il, pour qu’un homme éprouve ce désir pour une femme,
que cette angoisse soit voilée 12 ! Et là, c’est à l’amour qu’il faut se rapporter pour faire
« condescendre » la jouissance à ce désir.

Cette affaire est-elle tragique ? Ou comique ? Lacan penche pour le comique : « c’est
quand un homme est femme qu’il aime 13 ». Comique du phallus assurément ! L’homme
s’avance démuni de puissance et cela le féminise. Mais comique de la psychose aussi ! Un
homme amoureux crée et croit « La femme comme étant toutes les femmes 14 » ; ce
faisant, « il aspire pour quelque chose qui est son objet 15 » et croit au rapport sexuel. Las,
on ne sait pas ce que c’est que la femme, cette « inconnue dans la boîte 16 », et si La femme
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n’existe pas, il n’y a pas de signifiant pour fonder le rapport sexuel.
Cependant, poursuit Lacan, « c’est au titre d’homme qu’il désire, c’est-à-dire qu’il se
supporte de quelque chose qui s’appelle proprement bander ». C’est qu’à travers son
fantasme, il rêve de perversion mais quel que soit ce rêve, il ne peut jouir que de parties
du corps de l’autre. Rien dans sa jouissance qui lui donne rapport à l’Autre sexe et fonde
le corps de l’Autre.

Ainsi, la jouissance sexuelle fait-elle barrage au rapport qu’il n’y a pas et y supplée-t-
elle aussi bien. Il y a deux sexes. Une bipartition fuyante, certes mais sans qu’entre ces
deux sexes, il y ait contradiction. Ce serait trop simple ! Mais sans qu’il y en ait pour
autant trois ! Il faut se résoudre à l’impossible, le deux des jouissances. Et c’est ainsi qu’ils
vivent et se parlent ! Et que le malentendu continue.

7. Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse (1962-1963), texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, coll.
Champ Freudien, 2004, p. 210.
8. Cf. ibid., p. 211.
9. Cf. ibid., p. 222.
10. Cf. ibid., p. 204.
11. Cf. Miller J.-A., « La psychanalyse et l’évaluation », enseignement prononcé dans le cadre du département de psycha-
nalyse de l’université Paris VIII, cours du 2 juin 2004.
12. Cf. ibid.
13. Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 15 novembre 1977, Ornicar ?, no19, 1979,
p. 9.
14. Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I », leçon du 21 janvier 1975, inédit.
15. Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », op. cit., p. 9.
16. Lacan J., Le Séminaire, livre XII, « La logique du fantasme », op. cit.

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