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L’UN EST LETTRE

Jacques-Alain Miller

L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir »

2021/1 N° 107 | pages 15 à 35


ISSN 2258-8051
ISBN 9782374710341
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2021-1-page-15.htm
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L’Un est lettre
Jacques-Alain Miller

I. L’existence surgit du langage


Aujourd’hui, nous allons nous amuser ! Il s’agit de vous faire comprendre quelque
chose, et on comprend seulement là où on prend plaisir *. Ce que je vais dire m’amuse,
j’espère qu’il en sera de même pour vous. Cela ne va pas de soi, car plusieurs d’entre vous
m’ont signalé ne pas être très à l’aise dans les références de la littérature philosophique.
Ce n’est évidemment pas de nature à m’arrêter.
Je vais essayer de vous communiquer des choses qui dans leur fond ne sont pas si
simples, d’une façon qui porte suffisamment pour que cela vous reste comme repère, et
même comme capteur, dans cette pratique où vous écoutez ce qui se dit au petit bonheur
la chance quand le sujet est allégé des contraintes pesant sur sa parole. Déjà, on ne s’y
retrouve pas en temps ordinaire, mais à laisser associer librement, on pédale vraiment
dans la semoule lorsqu’on est à la place de celui qui, avec ça, doit organiser quelque
chose – au minimum, une interprétation. Cela demande donc à être capté par un appa-
reil dont je donnerai les linéaments.

Des bulles à la surface du réel

Je repasse par des chemins déjà frayés dans ce cours, mais c’est pour faire apparaître
un relief inaperçu jusque-là. À mes yeux, pour mon travail de réflexion, c’est un gain.
Ainsi Jacques Lacan a-t-il pu énoncer à ses élèves stupéfaits que l’Autre n’existe pas.
Insurrection ! C’était vraiment leur tirer le tapis sous les pieds, à un moment où le lieu
de l’Autre appartenait (et c’est toujours le cas) au b.a.-ba de ce qui s’est cristallisé comme
le lacanisme. Cette cristallisation s’est imposée au point que ce dit a très largement été

* Leçons des 16 et 23 mars 2011 du cours de J.-A. Miller « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », enseignement
prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8.
Texte établi par Philippe Hellebois et Christiane Alberti, relu pour LCD par Pascale Fari. Non revu par J.-A. Miller et
publié avec son aimable autorisation.

La Cause du désir n 107


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L’orientation lacanienne

passé par pertes et profits, malgré les efforts accomplis par mon ami Éric Laurent et
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moi-même qui avions choisi L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique comme titre
d’un cours donné ensemble. Or, ce qui n’a pas été aperçu, et en tout cas pas explicité,
c’est ceci – l’Autre n’existe pas veut dire exactement que l’Un existe. C’est une autre façon
de dire Yad’lun, que Lacan avait jeté comme une jaculation et que je transcris ainsi dans
le Séminaire qui finira par paraître. Cela avait-il été remarqué ? Quel est cet Un qui
existe alors que l’Autre n’existe pas ? C’est l’Un du signifiant.
L’Autre n’existe pas, cela ne signifie pas l’Autre n’est pas. L’Autre est – e.s.t, et non pas
h.a.i.t, ça, c’est l’Autre méchant (qui peut d’ailleurs l’être). En tant que tel, l’Autre n’est
pas du tout soustrait à l’être. Au contraire, on ne comprend rien à ce concept merveilleux
forgé par Lacan du grand Autre sans saisir qu’il s’inscrit au niveau de l’être, à distinguer
du niveau de l’existence. Impossible de s’y retrouver sans distinguer l’être et l’existence.
Revoilà notre ontologie qui m’avait jadis tiré l’œil parce que je ne la trouvais pas tout à
fait à sa place, à sa bonne place, dans le discours de Lacan à l’époque. L’ontologie est la
doctrine de l’être, et l’Autre un lieu d’être, le lieu ontologique que vise tout dit et où s’ins-
crit le discours. Impossible de parler sans faire révérence au lieu de l’Autre. Cette révé-
rence, on la prend pour une référence, mais elle n’en est pas une. Il me faut vous prendre
par la main pour que cela vous devienne évident. Faire naître des évidences à rebours du
sens commun est difficile, mais il s’agit avant tout de vous apprendre à parler une langue.
Lacan a réussi cela. Avec le temps, cela se tamponne, se recroqueville un peu, car il n’est
plus là pour soutenir de sa voix les évidences qu’il faisait naître. Tâchons de les soutenir,
de les ranimer.
Relevons d’abord que l’équivoque est, depuis toujours, le trait qui distingue l’être.
Je m’appuie là sur un savoir de rat de bibliothèque (que vous n’êtes pas obligés d’avoir
acquis) ; ce trait apparaît donc en grignotant la bibliothèque. Quand on dit depuis
toujours, parfois il s’agit de percées du côté de l’homme des cavernes – comme Lacan l’a
fait avec les signes, les traits unaires, sur les cailloux et les ossements de bêtes du Mas
d’Azil. Mais en général, dans notre tradition, avec l’expression depuis toujours, on ne
remonte pas tellement au-delà de Platon et Aristote. On trouve un témoignage érudit
de l’équivocité de l’être dans un écrit de Franz Brentano, que Freud a fréquenté et dont
il a suivi les cours (ça vous donnera confiance…) Sa façon d’harnacher la découverte de
ce qu’il appelle la dénégation, la Verneinung, n’aurait pas été possible sans quelques
emprunts à ce professeur, notamment le distinguo entre jugement d’attribution et juge-
ment d’existence. En 1862, pour obtenir une habilitation universitaire, Brentano a
commis une dissertation intitulée La diversité des acceptions de l’être d’après Aristote. Un
sujet pareil n’était pas promis à être un best-seller, mais a trouvé un lecteur éminent
avec le jeune Heidegger, lequel témoigne que ce livre a été son fil conducteur à travers
la philosophie grecque. Brentano ne dénombre pas moins de sept significations de l’être
chez Aristote. Rassurez-vous, je n’y entrerai pas plus avant, je le mentionne seulement
pour soulever la question de ce qui vaut à l’être son équivocité, même en s’en tenant à
un seul auteur, celui que l’on n’a pas cessé d’ânonner au long de notre tradition. Il s’agit
en particulier de sa définition de l’être dans cet ensemble de papiers appelé Métaphysique

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Jacques-Alain Miller L’Un est lettre

simplement parce que cela venait après les ouvrages sur la Physique – Aristote ne s’était
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pas occupé de leur rédaction, laissant cela à ses élèves, comme c’est le chic pour les
penseurs de grande dimension.
L’être est également équivoque parce qu’il tient au discours, à ce qui est dit. Sur ce
point, Lacan est tranchant et précis. Voyez le Séminaire Encore, page 92, où il laisse en
suspens qu’il n’y ait d’être que dans le dit, mais déclare certain qu’il n’y a du dit que de l’être.
Impossible de parler sans déterminer un être, des êtres, de l’être, comme on dit de l’air,
de l’air ! Appelons-le l’être de langage, celui qui ne tient son être que d’être dit. Évidem-
ment, ce peut être n’importe quoi. Nous sommes bien placés pour connaître cela. Nous
en sommes recouverts lorsque nous sommes à la tâche de recueillir les dits de l’associa-
tion libre. L’association libre, c’est l’ontologie déchaînée – des mères phalliques, des
pères qui n’en sont pas, des hommes qui se féminisent, des haines qui sont de l’amour,
des souffrances qui sont des jouissances, et pour couronner le tout, une pulsion qui est
de mort. A priori, cela ne vaut que ce que vaut la licorne ou le cercle carré ; ce sont des
êtres de langage.
Dites-vous bien que tout cela est. Appartenant à l’être au titre d’être dit, cela file
aussitôt au lieu de l’Autre comme lieu du discours. Si vous considérez que le message
vient de l’Autre, il vous faut reconnaître qu’il est à côté de ses pompes. C’est le sort de
chacun. Cela n’invalide pas l’objection, c’est contradictoire. Cercle et carré, cela se
contredit, des dits contrecarrent d’autres dits. Que cela se dise du même souffle de voix,
et vous voilà tirés de deux côtés opposés, écartelés. Je ne suis pas loin du sens commun
en disant que, sur ce déconnage à pleins tuyaux auquel vous êtes confrontés, vous faites
fonctionner l’objection, le critère, le filtre de la contradiction plus ou moins serré selon
votre humeur ou votre doctrine. Mais dites-vous bien que l’ontologie est comme un
accordéon ouvert – Laissez venir à moi les petits cercles carrés ! Certains au contraire refer-
ment complètement l’accordéon et leur voix s’étouffe. Mais quel que soit le serrage du
lacet, ouvert ou fermé, vous devez faire intervenir la logique pour savoir si ça existe ou
non et distinguer ce qui est par le fait de dits et ce qui existe pour de vrai.
Si je vous ai menés jusqu’à ce point sans vous avoir meurtri la comprenette, cela
suffit déjà – si vous voulez bien considérer l’affaire – pour associer l’être au semblant.
La parole permet de mettre en scène des êtres qui défaillent à l’épreuve de la logique et
qui se révèlent n’être que des semblants. L’équivocité de l’être signifie d’abord que celui-
ci n’est qu’ombres et reflets.
Remarquez d’autre part que l’objection que vous formulez au nom de la logique
vous fait associer l’existence au réel. Je reprends – je devrais en faire un distique – l’être
est du semblant, l’existence concerne le réel. Vous approchez ainsi l’assertion énigma-
tique de Lacan indiquant que la logique est la science du réel – énoncé qui, lui aussi, n’a
pas été proféré à sa juste place. Autant l’être est équivoque, autant l’existence est
univoque. Elle ne se dit qu’en un seul sens. On ne retrouve pas là la diversité des accep-
tions concernant l’être chez Aristote.
L’existence ne se dit qu’en un seul sens : au sens logique. Il est nécessaire d’opérer
une traction pour la soustraire au bain dans lequel on la fait barboter. On continue

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L’orientation lacanienne

communément de la considérer au sens de l’existentialisme, comme ce qui déborde le


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concept. Sartre dit joliment – l’existence précède l’essence. L’existence est posée comme
étant de l’ordre d’un fait brut, sauvage ; viennent ensuite à la traîne des définitions qui
tentent d’en rendre compte. C’est affirmer un il y a avant tout ce qu’on peut en dire,
en idéaliser, en essentialiser. Cet existentialisme vise un être prédiscursif, comme on
s’exprimait alors. C’est la version sartrienne de ce que Heidegger appelle le Dasein, l’être-
là – sein, c’est l’être ; da, c’est là ; on l’a traduit par le néologisme l’être-là. C’était mettre
à l’affiche l’existence en tant que présence ici et maintenant d’un être préconceptuel.
Encore un effort pour être lacaniens ! J’aimerais m’étendre, mais je me permets d’aller
vite. Le secret de cet existentialisme est de n’être qu’une version du vitalisme. Il est clair
que chez Sartre, cette présence palpite, elle est chair qui crache, pisse, chie… Elle inspire,
chez lui et ceux qui l’ont suivi, toute une littérature naturaliste.
Rien à voir avec l’existentialisme de Lacan qui est un logicisme. L’existence de Lacan
résulte du crible auquel la logique soumet les êtres de langage pour y reconnaître le réel
et le séparer du semblant. Elle dépend et se déprend d’une opération signifiante. La
ligne de partage des eaux passe par ce terme que j’ai employé d’être prédiscursif. L’exis-
tence surgit du langage travaillant le langage, elle suppose l’appareil logique s’emparant
du dit, pour le serrer, le comprimer, l’ordonner, et du langage, pour faire sourdre du réel.
Ce réel au niveau de l’existence, c’est du signifiant – rien à voir avec la présence qui
palpite. Grâce à ce signifiant, vous avez autant d’êtres que vous voulez. Il faut que le
signifiant se monte en discours pour que des êtres fassent leur apparition à la surface du
réel, quitte à éclater comme des bulles de savon.

L’hénologie précède l’ontologie

De signifiant comme réel – je le pose avant de vous y amener –, il n’y en a qu’un :


le signifiant Un. Contrastant avec l’abondance, la jungle de l’ontologie, le registre
austère, parcimonieux, de l’hénologie fait la doctrine de l’Un – dont la devise, et même
le discours, est Yad’lun. Autant l’ontologie est abondante, autant l’hénologie est
restreinte. L’hénologie, terme lâché au moins une fois dans le Séminaire XIX, tient dans
ce dit inventé par Lacan, mais fondé dans toute la tradition philosophique – Yad’lun.
C’est le noyau du fait qu’il y a du discours ; pour qu’il y ait de l’être, il faut d’abord du
discours, même si, comme nous le verrons, Lacan laisse en suspens qu’il pourrait bien
y en avoir un qui s’en passerait. Mais pour autant que l’être dépend du discours, l’être
dépend de l’Un. L’Un est donc antérieur à l’être, selon la doctrine développée par les
néoplatoniciens – à commencer par Plotin – à partir du Parménide de Platon. Voilà
pourquoi Lacan s’est étendu sur cet ouvrage dans le Séminaire XIX.
D’où nous abordons l’Un – non pas en néoplatoniciens mais en néolacaniens –,
nous le trouvons dans le discours réduit à son noyau : c’est le signifiant Un. Tout signi-
fiant (au sens de chaque signifiant) est Un. À ce titre, il préside et conditionne l’être.
L’hénologie comme dominant l’ontologie, voilà la réponse à la question que je posais
jadis à Lacan, quand j’étais chiffonné par cette ontologie à laquelle il avait recours. Le

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Jacques-Alain Miller L’Un est lettre

signifiant en tant qu’il existe comme réel préside et conditionne toutes les équivoques,
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tous les semblants de l’être dans le discours. L’Un se présente comme une donnée
première, il mérite d’être dit originel, car on ne parvient pas à remonter au-delà.
Mais attention ! Si je vous ai fait entrevoir la puissance et la majesté de cet Un, c’est
qu’il n’a rien à voir avec celui que vous rencontrez dans la suite des nombres, le 1 que
suit le 2, avant le 3, etc. L’Un de chaque signifiant, celui dont chaque signifiant se
supporte, ou plutôt que chaque signifiant est, cet Un est un Un-tout-seul.
Encore faut-il que je vous familiarise avec cet Un-tout-seul, pour que vous puissiez
faire ami-ami. Je dirai d’abord que c’est l’Un à partir duquel vous pouvez poser et penser
toute marque, parce que c’est seulement à partir de cet Un que vous pouvez poser et
penser le manque. C’est la marque originaire à partir de laquelle on compte un, deux,
trois, quatre…, à condition d’en passer d’abord par son inexistence.
Je l’écris sur une ligne pour que vous en gardiez quelque mémoire. Pour le différencier,
je l’écris à la latine, I. Si vous effacez cet Un-tout-seul, cela vous donne le manque, 0.

I O

IO123

À partir de la théorie des ensembles, ce manque a été attrapé comme l’ensemble


vide, dont Gottlob Frege a fait le signe de l’inexistence, il n’y a pas. Il n’y a pas l’Un. Une
fois obtenu ce manque, la suite des nombres peut se développer par récurrence. Mais
c’est au prix d’une équivoque. Le rond ici tracé, à regarder du côté du I, désigne le I
effacé, le manque de cet I. Pour donner naissance à la suite des nombres, il devient le
zéro. À gauche, il a la signification de l’ensemble vide, et à droite, celle du zéro.

123…

ensemble zéro
vide

Une fois que vous avez le zéro, comme l’a montré Frege, vous pouvez obtenir, par la
récurrence d’un + 1, la suite des nombres dits naturels. Mais cette manœuvre repose à
l’origine sur l’Un-tout-seul. Lacan marque cela dans le compte rendu de son Séminaire

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L’orientation lacanienne

…ou pire, page 547 des Autres écrits, où il signale l’équivoque du nom de zéro. Si cette
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équivoque ne vous est pas immédiatement lisible, notons qu’elle se situe entre sa valeur
comme ensemble vide et celle comme zéro initial de la suite des nombres. Il en faut
d’abord Un, qui s’efface, puis que cet effacement soit marqué de zéro, et la série
commence. Autrement dit, le I latin que j’ai figuré est le premier Un, celui qui préside
à l’émergence de l’ensemble vide. Inscrire cet ensemble vide comme le zéro initial de la
suite des nombres constitue déjà une équivoque, comme le souligne Lacan. Disons que
c’est la seule équivoque de l’existence.
L’Un originel du signifiant, préalable aux nombres, est mis au travail dans l’analyse.
C’est le principe même de l’association libre, et à ce titre Lacan l’appelle l’Un-dire. À
partir de lui viennent à exister les 1 qui s’inscrivent de signes différents dans la suite des
nombres.
L’Un-tout-seul n’a pas d’Autre. Lacan le signifie dans Encore, page 116 – on lit Encore
pour son érotique, ce qui y est dit du rapport sexuel, négligeant l’hénologie sans laquelle
cette érotique ne fait pourtant pas sens 1. Lacan indique que l’Autre ne s’additionne pas à
l’Un. L’Autre seulement s’en différencie. Sur ce petit schéma, où situer l’Autre ? Il est là où
l’ensemble vide s’inscrit précisément comme un lieu. On le dit lieu d’être, car c’est un
lieu d’inexistence, fait de l’éclipse du Un originel. D’où la formule lancée par Lacan
– l’Autre, c’est l’Un-en-moins. Pour raffiner, on peut même dire que l’Autre, c’est l’Une-
en-moins, et retrouver, à partir de là, la matrice des formules de la sexuation proposées
par Lacan.
La suite des nombres procède de cet Un originel. Ils sont tous faits de la même façon,
ce ne sont rien d’autre que des Uns, comme l’indique le symbole de la récurrence + 1.
Tous les noms de nombres répercutent le signifiant Un. Si Lacan indique, page 554 des
Autres écrits, que les nombres sont du registre du réel, c’est au titre de cette répercussion
de l’Un originel. Si je voulais parodier Sartre, je dirais que l’hénologie précède l’ontologie,
comme le discours précède l’être.
La science procède également de cet Un, elle en implique la présence dans le réel
qu’elle manie. C’est ce que Lacan impute à l’Un quand il énonce l’Un engendre la science,
il y a de l’Un dans la nature. Il s’agit d’un savoir que le sujet du signifiant peut rejoindre,
manier et faire accoucher de puissances inédites. Toujours pour le plus grand bien de
l’humanité !
Le nucléaire, par exemple, ça nous connaît. On a domestiqué cette puissance, ce réel
qu’on est allé chercher dans les profondeurs de la nature, on sait l’activer, l’intensifier et
le faire produire. Le seul problème est que le savoir que nous avons pu extraire du réel
ne couvre pas tout le champ. Il y a une puissance dans la nature qui ne se laisse pas
jusqu’à présent domestiquer par le savoir dans le réel. C’est fâcheux, car cela donne
l’Apocalypse. Peut-être n’en sera-t-il pas toujours ainsi, mais jusqu’à présent quelque
chose dans la géologie ne se laisse pas encore déchiffrer, c’est-à-dire chiffrer. Tout ce

1. [NDLR] Les deux leçons publiées ici éclairent d’ailleurs magistralement les développements concernant l’être et
l’Un que Lacan présente tout au long du Séminaire Encore.

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qu’on peut faire, c’est de lui fourrer un thermomètre dans le derrière et de dire Alerte !
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quand cela monte trop. Mais en général, il nous reste alors entre trois quarts d’heure et
cinq minutes, ce qui n’est pas tout à fait suffisant.
On tente de soustraire des chiffres à la nature, à la géologie, à la Terre, et d’en déduire
des lois, mais sans parvenir encore à inhiber ni même à prévoir les glissements de terrain
ou de plaques tectoniques, l’élan des tsunamis, l’irruption des tremblements de terre, etc.
Si l’on survit, peut-être pourra-t-on calculer la chose plus tard, mais on voit pour l’ins-
tant la contingence faire irruption dans les calculs – spectacle grandiose de ce que j’ap-
pellerais un événement de Terre, qui nous représente le réel sans loi. C’est bien fait pour
qu’on se demande si, par hasard, le discours de la science ne serait pas animé par la
pulsion de mort. À son acmé, ne veut-il pas abolir l’humanité ? Résorber l’être parlant-
parlé, résorber l’être en proie au signifiant Un. Dans le taxi qui m’amenait ici, j’enten-
dais que l’empereur du Japon prie depuis la catastrophe de Fukushima. Ce n’est pas
pour donner confiance !

Le roi de France est chauve


Pour pénétrer les arcanes du réel au sens de Lacan, il faut se familiariser avec l’usage
du il existe en logique. Le plus simple est de partir de la scission opérée par Frege entre
Sinn et Bedeutung. Bedeutung peut se traduire par signification, comme Lacan l’utilise
dans Die Bedeutung des Phallus, « La signification du phallus ». Freud utilise fréquem-
ment le mot dans ce sens. Sans doute Lacan l’a-t-il employé parce qu’il y voyait aussi
une façon de faire allusion à l’usage de Frege. Mais ce dernier traduit Bedeutung par
référence, soit ce qui dénote (pour employer un autre vocabulaire), ce qui pointe une exis-
tence. Tandis que Sinn veut dire sens ou signification, soit ce qui dit l’essence, qui décrit
quelque chose et lui décerne des attributs. Si je voulais encore parodier Sartre avec Frege,
je dirais que la Bedeutung précède le Sinn. Frege, pour sa part, ne dit pas que l’un précède
l’autre, mais qu’existence et essence, ça fait deux.
La description et le nom indiquent bien l’essence d’un être, mais n’assurent d’aucune
existence. Cercle carré fait sens, ne serait-ce que pour dire qu’il n’y en a pas. Une licorne
se décrit, se représente, se rêve (du moins pour Serge Leclaire), bien qu’on n’en rencontre
pas dans la nature. Si cela vous chante, vous pouvez parfaitement l’admettre dans votre
ontologie. Car celle-ci est bonne fille ; élastique, elle se plie aux austères comme aux
prodigues. Voyez ce qu’il en reste dans les mémoires sous le nom du rasoir d’Ockham
qui remonte au XIVe siècle. Ockham était d’avis qu’il ne fallait pas multiplier les êtres au-
delà du nécessaire, Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem. La formule s’est
transmise sous cette forme – on trouve chez Ockham, semble-t-il, une formule voisine
mais pas exactement similaire, je m’abstiens de vous la citer. C’est un principe d’éco-
nomie : des êtres, il en faut, mais pas trop, pas au-delà du besoin. Il faut y aller douce-
ment avec l’être. Un être, ça va, trois, bonjour les dégâts ! Il y a ainsi comme une ivresse
de l’ontologie. Un exemple sur lequel Bertrand Russell a médité est celui du logicien
Alexius von Meinong, fin XIXe – début XXe. Lui, c’est l’ultralibéral, tout ce qu’on dit peut

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L’orientation lacanienne

entrer dans son ontologie. Ces discussions montrent qu’on s’arrange toujours avec l’on-
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tologie. Il s’agit en définitive d’une question de sagesse. Le rasoir d’Ockham préconise
– rien de trop en ontologie, le moins d’hypothèses possible, aller au plus simple. Le
résultat en est que lorsque Napoléon dit – Mais enfin, Monsieur de Laplace, je ne trouve
pas mention de Dieu dans votre système, Laplace lui répond – Sire, je n’ai pas eu besoin de
cette hypothèse.
Lacan, lui, énonce une hypothèse dans Encore, page 129 – Mon hypothèse [et c’est en
quelque sorte l’hypothèse minimale de la psychanalyse], c’est que l’individu qui est affecté
de l’inconscient est le même que celui que j’appelle le sujet d’un signifiant. D’une façon
générale, ce que Lacan appelle le sujet, c’est l’hypothèse par excellence, soit, conformé-
ment au terme grec, ce qui se pose dessous. Le sujet est supposé au signifiant, au savoir,
et cette supposition est l’inconscient même. Mais attention ! c’est une supposition onto-
logique. Qu’on l’écrive sujet barré, qu’on lui donne le sens du manque d’être, qu’on
parle d’être parlant ou de parlêtre, la supposition de l’inconscient reste ontologique.
Lorsque Lacan utilise le terme d’être parlant et de parlêtre, il ne manque jamais de
préciser que celui-ci n’a d’être que de parler. Dans ce fil, la question est alors de savoir
– et c’est ce que Lacan a fait durant tout son enseignement – si l’inconscient apparaît
comme ontologique. C’est seulement dans un de ses derniers écrits, entre deux virgules,
dans une parenthèse, que Lacan énonce qu’il se pourrait que l’inconscient soit réel.
Ce qui n’est pas être, mais réel, c’est le signifiant Un. C’est même parce qu’il y a du
signifiant dans le réel qu’on est conduit à lui supposer un être qu’on appelle Dieu.
Cependant, si Dieu est, il ne peut être qu’inconscient. Voilà pourquoi la science n’a pas
du tout résorbé les religions, comme on se l’imaginait au beau temps du positivisme.
Dieu a au contraire repris de la vigueur à partir du signifiant dans le réel. Mais si Dieu
est, le jour est bien tombé pour dire qu’il ne sait certainement pas ce qu’il fait et qu’il
fait des dégâts 2. En même temps, je trouve formidables ces révolutions qui se multiplient
ces temps-ci, visant l’Un et chantant Dégage ! À la différence de l’Apocalypse nucléaire,
dans ces mouvements de masse, l’Un qui encombre est l’Un numérique, l’Un hiérar-
chique. C’est au numéro 1 qu’on dit Dégage ! Une différence est à faire entre l’Un de
pouvoir et l’Un de savoir. Mais quelle que soit cette différence, elle ne permettra de se
débarrasser d’aucun des deux. Cet aucun pourrait s’écrire OK-Un, assurant qu’en défi-
nitive nous y consentons.
Revenons à la scission entre Sinn et Bedeutung, c’est-à-dire entre signification et réfé-
rence, être et existence, sens et réel. Russell a produit quelque chose qui est comme un
mot d’esprit, mais qui n’en a pas moins inspiré les réflexions des logiciens du XXe siècle,
du moins ceux qui s’occupaient du rapport de leurs écritures avec la langue de tous les
jours. En effet, Russell – dont Lacan a beaucoup pratiqué l’œuvre, à en croire les réfé-
rences nombreuses qu’il y fait – a écrit en 1905 un article intitulé On denoting, Sur la
dénotation. En termes frégéens, on dirait Sur la référence, et quant à nous Sur l’existence.
Russell s’attache à extraire, à faire saillir dans tout énoncé l’acte référentiel. Une phrase

2. [NDLR] La catastrophe nucléaire de Fukushima faisait alors la une de l’actualité.

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Jacques-Alain Miller L’Un est lettre

familière par laquelle cet article est resté est la célèbre proposition Le présent roi de France
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est chauve. Que ce soit dit en 1905, en pleine IIIe République, n’empêche pas de faire sens
– la royauté, la France, plus la calvitie, cela s’articule. On comprendrait de la même façon
celui qui dirait le contraire – Pas du tout, regardez ses beaux cheveux ! C’est l’exemple d’un
Anglais qui pense, avec une légère pointe de francophobie, que les Français sont les
princes du bla-bla-bla, tandis que les Anglais auraient la tête plus près du bonnet, regar-
dant à la dépense, y compris en matière d’ontologie – Ockham était d’ailleurs Anglais.
Sous sa couronne, pas un cheveu ! Dans cette calvitie royale, je verrais volontiers une
allusion à l’ensemble vide, d’autant plus justifiée qu’il n’y a guère de roi de France en
1905 (et pas davantage en 2011). Cela n’empêche pourtant pas d’en parler, de le décrire
et de lui attribuer une calvitie ou quoi que ce soit d’autre. Ou bien on fait entrer le roi
de France chauve dans le paradis de Meinong, où il salue la licorne, rend hommage au
cercle carré, et tous trois vont parler au chapelier fou. Ou bien on fait entrer le roi de
France chauve de 1905 dans l’ensemble vide en disant – si exquise que soit sa descrip-
tion, sa référence n’est que l’ensemble vide. Ce dernier devient dès lors la poubelle de l’on-
tologie, le canal d’évacuation de tous les êtres qui ne passent pas le filtre de l’existence.
La trouvaille de Russell est donc de diviser le dit et le dire. La description, qu’il
appelle la description définie, le Sinn au sens de Frege – le roi de France est chauve, comme
on peut dire le roi de France est grand, le roi d’Angleterre est blond, etc. – laisse ouverte la
question de savoir s’il y a ou non un roi de France. La question du il y a, du il existe, doit
toujours être posée quelle que soit la splendeur de la description, puisqu’on peut parfai-
tement décrire ce qui n’existe pas. Toute proposition implique une liste de propriétés,
de qualités, de significations – être roi de France, chauve, etc. –, mais aussi une déni-
vellation par rapport à la question qu’il faut faire surgir – est-il vrai qu’il existe quelque
chose qui répond à cette description, ou non ? On doit toujours faire surgir la question
du il existe quelque chose, quelqu’un, un terme ayant ces propriétés. Du point de vue
de l’existence, les propriétés, ce n’est pas sérieux. Alphonse Allais nous en offre un
exemple dans « Polytypie ». C’est la brève histoire d’un gars qui dit – Moi… je suis un
type dans le genre de Balzac… je bois énormément de café – Moi… je suis un type dans le
genre de Napoléon Ier… ma femme s’appelle Joséphine – etc. Voilà ce que sont les propriétés.
Or, par rapport à celles-ci, la question sérieuse est celle du il existe.
Le sens se situe au niveau de la description, disons de la fonction en termes logiques,
et le réel au niveau du il existe, où s’introduit cet x appelé la variable. Le Sinn, la descrip-
tion, se résume logiquement dans la lettre F de la fonction. On décrit ses attributs que
l’on applique à on ne sait quoi dont on marque la place en écrivant x entre parenthèses,
F(x). Au-delà d’une possible variation, le terme variable signifie qu’on ne sait pas si
quelque chose de réel vient à la place de ce trou. La constante est ce qui peut remplir ce
trou. Dans tous les cas, ce ne sera qu’un signifiant, un exemplaire du signifiant Un. Je
ne renie pas le terme de variable, mais pour la constante, j’utiliserai l’adjectif rigide
emprunté à la théorie des noms propres du logicien Saul Kripke. À côté de la variable,
le rigide, lui, est l’index de l’existence. Quel que soit le nom dont on le décore, ce qui
existe est d’une nature signifiante. Le syntagme il n’y a pas le rapport sexuel crié par Lacan

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L’orientation lacanienne

s’inscrit dans ce contexte. Il n’y a pas le rapport sexuel au niveau du réel, car à ce niveau,
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c’est l’Un qui règne, pas le deux. Le rapport sexuel ne fleurit qu’au niveau du sens. Et
Dieu sait si ses significations sont équivoques et variables.
Dans la psychanalyse, Freud a repéré le il existe comme une fixation. Pendant tout
un temps, Lacan n’a pas rapproché le il existe et le signifiant. Dans la majeure partie de
son enseignement, comme vous le savez bien, le signifiant remue, il est au contraire
éminemment variable. C’est ce que comporte son usage récurrent du terme de dialec-
tique. Disant tout et son contraire, la dialectique vaut en particulier pour le signifiant
conjoint à ses effets de signification. Mais c’est aussi par rapport au signifiant comme
index de l’être que Lacan a distingué l’angoisse comme ce qui ne trompe pas. J’avais
justement expliqué dans ce cours que cette définition de l’angoisse ne prend sa valeur
qu’au regard du caractère trompeur du signifiant, instrument des sophistes et des
rhéteurs. Lacan allait donc chercher la constante, ce qui reste fixe, du côté de l’objet a.
Sa dialectique est relative à l’ontologie. Mais elle perd ses droits quand il s’agit du signi-
fiant Un corrélatif du il existe. Il n’est alors plus question de dialectique, le terme dispa-
raît d’ailleurs du discours de Lacan pour être remplacé par la suprématie de la logique.
Corrélativement au signifiant Un, signifiant rigide, s’inscrit la jouissance opaque au sens,
laquelle est une référence de l’ordre du réel. Rien à voir avec l’objet a, évoquant au
contraire la jouissance transparente au sens, qui a du sens, qui est sens, et même joui-sens.
Nous sommes là à l’envers de ce qui a été l’essentiel du chemin de Lacan. Mais c’est
bien lui qui nous a frayé ce chemin entre les deux bornes corrélatives du signifiant Un
et de la jouissance opaque au sens. Tous ces termes que j’ai déjà mentionnés, introduits
à partir de Lacan, je crois leur avoir donné aujourd’hui un placement inédit. Et j’espère
vous avoir tout de même un peu amusés.

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Jacques-Alain Miller L’Un est lettre

II. Des appareils à écoute


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Depuis la dernière séance, j’ai reçu des témoignages – trop nombreux pour que je
puisse y répondre – qu’un pas a été franchi dans la compréhension de l’enseignement
de Lacan en tant qu’il nous dirige, nous oriente dans la pratique, spécialement à partir
de ce que j’ai indiqué comme la dénivellation de l’être et de l’existence.

Langage-fiction

J’ai pris appui sur des références qui ressortissent à la tradition philosophique, peu
familières à nombre d’entre vous. Je me suis retenu d’en abuser, car j’entendais surtout
vous donner un appareil permettant de cadrer votre écoute (laquelle, pour la plupart
d’entre vous, est praticienne). Cela complémente l’appareil néosaussurien qui vous a
appris à distinguer le signifiant et le signifié. À notre usage, Lacan l’avait simplifié sous
les espèces d’une écriture mémorable, signifiant (S) sur signifié (s), écriture qu’il utilise
et fait varier pour construire les formules symétriques de la métaphore et de la méto-
nymie dans « L’Instance de la lettre… »

S
s

Cet appareil, je le crois très largement en usage, bien au-delà de la sphère dite laca-
nienne. Il a eu ses incidences dans toute la psychanalyse. Même ceux qui se décorent du
titre de psychothérapeute – titre récemment officialisé, c’est-à-dire normé par le discours
du maître – n’en sont pas restés indemnes. Pour m’y référer, je pourrais dire que l’être se
situe au niveau du signifié, tandis que l’existence se situe au niveau du signifiant. Pourquoi
ne pas le dire ainsi en première approximation, à condition de réserver tout de même une
inversion de position ? J’écris en effet être au-dessus de la barre où je place existence.

être
existence

Dans l’écoute, comme on dit, se présentent d’abord des significations qui vous
captent et vous imprègnent. Concernant la pratique, c’est déjà beaucoup que de parvenir
à s’en détacher suffisamment pour en isoler les signifiants et interpréter à ce niveau, non
pas à partir de la signification mais de la simple homophonie par exemple, non pas à
partir du sens mais du son. À l’occasion, l’interprétation se réduit à faire résonner un son,
sans plus. Pour être convaincu que cela peut être efficace, il faut une discipline, qui s’ac-
quiert et éventuellement se contrôle – il faut parfois rappeler à celui qui écoute de ne
pas se laisser flatter par la rutilance des significations.
Puis-je amener mon appareil de l’être et de l’existence au même degré d’usage que
celui que j’appelais néosaussurien ? Considérons successivement ces deux termes de l’être

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L’orientation lacanienne

et de l’existence – si une trouée de compréhension a eu lieu la dernière fois, j’entends


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aujourd’hui l’exploiter. Nous l’avons vu, l’être déborde de beaucoup l’existence. On n’a
pas attendu la psychanalyse pour s’apercevoir qu’il est possible de parler de ce qui n’existe
pas, et même que parler de quelque chose, le faire entrer dans le langage, a plutôt
tendance à le faire inexister. Éventuellement, ça le tue ! C’est l’exemple des éléphants, que
Lacan prend dès son Séminaire I, prospères tant qu’ils ne rencontrent pas l’être parlant,
mais en difficulté à partir du moment où celui-ci s’occupe avec un peu trop de chaleur
humaine de récupérer sur la bête l’ivoire dont il fait commerce. Depuis, la liste des
espèces animales qui ont tout lieu de se plaindre de nous s’est allongée. Sauf qu’évi-
demment, ils n’ont pas la parole (ce qui nous arrange bien), si ce n’est que certains êtres
parlants ont entrepris de parler en leur nom, jusqu’à la fantaisie de transformer les exem-
plaires de ces espèces animales en sujets de droit. Au-delà de la Déclaration des droits
de l’homme, on médite ces temps-ci une Déclaration des droits de l’animal. Pourquoi
pas ? La parole peut aussi faire cela – faire être des droits de l’animal. Après tout, pour-
quoi n’y aurait-il que les êtres parlants à en avoir, des droits ? On pourrait les étendre
aux êtres parlés. Ceci supposerait un nombre assez considérable de tribunaux pour dire
le droit. Des avocats, on en trouvera toujours – Je parle au nom des sardines !
Si je poursuis dans la même veine, les êtres qui ne s’instituent que de la littérature
trouvent aussi à plaider. On a constaté que donner une suite aux aventures de person-
nages notoires pose des problèmes juridiques. Il n’est pas possible de faire n’importe
quoi avec D’Artagnan ou Madame Bovary, du moins tant que les héritiers détenteurs
du droit moral peuvent ester en justice pour suspendre les plumes trop actives. Des
procès se sont multipliés ces dernières années, et il n’y a pas de raison que cela finisse.
Posons ainsi que la parole n’est pas contrainte par des considérations d’existence, elle
peut s’activer à propos de ce qui, au niveau de l’existence, n’est rien du tout. C’est ce que
formule le titre de Shakespeare Much Ado About Nothing – Beaucoup de bruit pour rien.
Voilà une parole qui peut vous soutenir dans votre rapport à la Bibliothèque universelle,
la Bibliothèque de Babel, et vous conforter dans la position que Lacan a qualifiée de passion
de l’ignorance. Mais cela ne protège pas tout le monde, car certains sont plutôt accablés de
savoir qu’ils ne pourront jamais avoir accès qu’à un tout petit canton de cet univers.
Quoi qu’il en soit, cela est d’une certaine façon qui se distingue de l’existence. L’être
doté de la parole, nous l’appelons être de langage, mais nous pouvons également lui
donner le nom qu’il tient de Jeremy Bentham – auquel Lacan fait référence sur une
indication de Roman Jakobson –, l’être des fictions. Bentham s’est intéressé avant tout
au discours juridique, créateur de droits et aussi de devoirs. C’est le problème quand on
veut transformer les animaux en sujets de droits – comment les transformer en sujets de
devoirs ? Protéger l’espèce des tigres s’impose, peut-on dire, parce qu’on les a beaucoup
chassés. On peut donc leur donner des droits, mais qu’en est-il de leurs devoirs ? – Tu ne
mangeras pas le bipède sans plumes. On a cependant l’idée qu’on peinerait à leur instiller
le respect des dix commandements de l’animal, on prévoit seulement de ne pas se
présenter devant eux sans défense. Autrement dit, on peut assurer leur survie à condition
de les affamer, ou du moins de leur soustraire ce dont on imagine qu’ils se délectent.

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Jacques-Alain Miller L’Un est lettre

Derrière la gentillesse de les protéger s’exprime en fait le fantasme de maîtriser leur jouis-
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sance inconnue. En définitive, instituer les animaux en sujets de droits, c’est le rêve
d’une domestication universelle – en premier lieu d’ailleurs celle de l’être parlant qui, à
la surprise des bonnes âmes, se révèle toujours un peu plus sauvage qu’espéré.
– Comment ? C’est possible au XXIe siècle ? – Eh oui.

Se rompre à l’être discursif


Les fictions sont donc des entités qui ne tiennent leur être que d’être énoncées, de
recevoir un nom – elles sont définies dans le discours juridique, décrites dans la littéra-
ture. Parfois, un seul nom peut suffire. Dans cette veine, tout est littérature, ce qui
signifie que tout ne parle que de rien, Much Ado About Nothing dans l’histoire humaine.
Quand Lacan affirme que la vérité a structure de fiction, c’est pour dire qu’elle ne tient
son être que du discours – sans discours, pas de vérité.
Qui fait naître les fictions ? Le langage, quand il est manié par un maître énonçant ce
qui est. L’ontologie est une élaboration de l’être. Lacan la définit par l’accentuation dans
le langage de l’usage de la copule, isolée comme signifiant – vous trouvez cela dans Encore,
page 33. L’usage du verbe être dans le fil du discours – le plus commun, quand on ne fait
pas de la philosophie – est de servir à relier un nom à une propriété. Quand on dit Le roi
de France est chauve, l’adjectif désigne le prédicat. Le point de vue ontologique consiste
à dire – Le roi de France est, en laissant tomber la propriété chauve qu’on lui assigne. La
question de l’être surgit très exactement de ce que Lacan appelle la section du prédicat.
Enlevez chauve et vous retrouvez la splendeur de l’être du roi de France – vous connaissez
le portrait de Louis XIV, par Hyacinthe Rigaud –, dont le seul défaut en 1905 est de ne
pas exister. L’ontologie consiste à opérer la section du prédicat pour isoler la copule être
comme signifiant. Or ce signifiant n’existe pas dans toutes les langues. Cela relève d’un
choix qui est fondateur de notre tradition de pensée. Je dis un choix, mais il s’agit plutôt
d’une combinaison de choix successifs, une combinaison a priori improbable, contin-
gente, semble-t-il, entre l’ontologie grecque et le discours issu du judaïsme.
En son fond, le discours de l’être est un discours de maître. Lacan l’indique – Toute
dimension de l’être se produit dans le courant du discours du maître. La création de fictions
fait ressortir que le prédicat signifiant est impératif. Il y a là une tension entre le tout est
littérature, qui fait plutôt ressortir le caractère poétique du signifiant, et le signifiant
comme impératif. À cet égard, le discours philosophique s’inscrit comme une variante,
spécialement raffinée, sophistiquée du discours du maître.
J’ai évoqué la dernière fois Brentano et son ouvrage sur les significations de l’être.
Lacan y ajoute que l’être est une signification. C’est à ce titre qu’il se dérobe et c’est
même ce qui, selon Lacan, se dérobe le plus dans le langage. Tel est l’ordre de ce que Freud
nomme le refoulé, qui nous sert encore d’appareil à écoute. Le refoulé est un être qui
surgit dans la surprise, comme le dit Lacan dans le Séminaire XI, il est non réalisé, qui
peut venir à l’être ou ne pas y venir. Un moindre être, dont on se dit à l’occasion qu’un
peu plus, et ce refoulé allait être, il allait se manifester.

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L’orientation lacanienne

Notre usage du terme refoulé, que je place au niveau équivoque de l’être, per-
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met d’apercevoir la liaison de l’être et du manque mise en valeur dans l’expression
néosartrienne de Lacan de manque-à-être. Il joue sur un être qui est manque-à-être.
Pour ce qui est de l’être, on peut d’ailleurs distinguer des degrés, pour ce que cela vaut
– Madame Bovary est-elle plus ou moins que vous-même, ça se discute, elle est en tout
cas beaucoup plus connue ! Lorsqu’il s’agit de la vérité, la liaison de l’être et du manque
ainsi que ces degrés de l’être sont tout à fait repérables. Dans l’expérience analytique, la
vérité se découpe ainsi de la façon la plus certaine, elle est variable, instable. Elle surgit
à un moment donné pour s’éclipser ensuite, la fois suivante. On se retourne quelque-
fois avec le plus grand étonnement sur les vérités dont on s’est délesté. Le destin de la
vérité suit donc celui de l’être.
Cela permet d’opérer un court-circuit pour saisir le paradoxe que constitue l’inven-
tion d’un être éternel. Dans son Séminaire XXIII, Le Sinthome, Lacan souligne au passage
la nécessité que l’analyste soit en garde contre l’éternité, puisque l’être varie précisément
avec le temps. Pour l’analyste, l’arracher à la fonction du temps pour le projeter dans
l’éternité n’est pas un crime, mais une erreur. Les Grecs, qui ont accouché de notre tradi-
tion de pensée, étaient plus prudents. Lacan, qui pratiquait Aristote, signale qu’il faisait
un usage plus modéré de l’être que celui auquel on s’est adonné par la suite. Si l’être a
pris le mors aux dents jusqu’à se pavaner d’éternité, on peut supposer avec Lacan que
c’est sous l’influence de la parole biblique attribuée au Dieu du Buisson ardent – Je
suis ce que je suis. Il s’agit là d’un usage intempérant de l’être qui vous en propose une
version absolue. Cet être se supporte sans doute d’une section du prédicat, mais c’est
pour combler ce trou d’un prédicat qui redouble le verbe être – là, vous êtes ficelés ! La
Métaphysique d’Aristote ajoutée au Buisson ardent de la Bible a abouti à l’incroyable
exaltation de l’être dans la théologie chrétienne.
Mais quel est le fondement de cette illusion d’éternité si on le cherche à ras de terre
et non dans les cieux ? Sans doute une sublimation de la routine de tous les jours qui,
comme le note Lacan, fait que le signifié garde en fin de compte toujours le même sens. Plus
ou moins. La stabilité des significations est approximative, mais c’est de cette stabilité
de routine qu’on peut imaginer avoir fait l’éternité. Évidemment, en y regardant de plus
près, les Anciens ne faisaient pas du tout le même usage des mêmes mots, ils ne leur
donnaient pas la même signification. De près, on aperçoit des décalages, voire qu’il n’y
a aucun rapport. De plus près encore, on s’aperçoit que tout est idiosyncrasie, que les
significations, dans leur intimité, sont propres à chacun. L’expérience analytique devrait
porter à cette méfiance à l’endroit de la compréhension. Or, à titre de défense, il arrive
au contraire qu’elle porte à prendre le discours à la grosse.
L’idée d’être éternel s’articule dans une cosmologie imaginaire, car elle supporte aussi
la notion de monde, d’un monde qui persisterait, qui durerait, et dont quelqu’un pour-
rait prendre connaissance. Une autre partie du monde pourrait venir à le connaître.
Cette cosmologie imaginaire n’est pas démentie, mais au contraire distinguée, cernée,
par Martin Heidegger dans ce qu’il isole comme le Dasein, l’être-dans-le-monde,
in-der-Welt-sein.

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Jacques-Alain Miller L’Un est lettre

La psychanalyse récuse la notion d’un être éternel au profit de l’être discursif inexo-
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rablement lié à la fonction du temps. Vous pouvez vous imaginer qu’il suffit d’être athée
pour être à cette mesure, mais il s’agit de tout autre chose – il s’agit d’abandonner la
notion de la persistance d’un monde et de l’être parlant comme être dans le monde. Le
penser comme être dans le discours interdit de lui transférer les propriétés qu’on attribuait
à son être dans le monde. Accéder à cela demande une discipline trapue – c’est penser à
rebours de la routine de son petit monde, qui est aussi d’ailleurs le grand. Cela exige de
se rompre à ce que comporte, si elle est sérieuse, la pratique de la psychanalyse.

L’écrit dans le langage


L’existence ne nous fait pas sortir du langage. Seulement, pour y accéder, il faut
prendre – c’est la leçon de Lacan – le langage à un autre niveau que celui de l’être, à
savoir celui de l’écriture. L’écrit dans le langage peut s’autonomiser. Dans la mathéma-
tique en particulier, l’écrit fonctionne de manière autonome, ce qui n’empêche pas qu’il
faille parler autour, donner du sens pour introduire cette écriture. Néanmoins, cet écrit-
là apparaît comme un isolat dans le langage. Je m’oblige à la simplicité pour que cela
fasse trace. Bien entendu, la parole dont je disais les affinités à l’être, peut être écrite.
Dans ce cas, appelons cela l’écrit de parole, celui qui note la parole. Ce peut être la sténo-
graphie qu’il faut ensuite déchiffrer pour la mettre en langage courant, ou bien l’enre-
gistrement, la communication de la parole par des pulsations électroniques. Ce sont des
modes de capture de la parole par des instruments qui sont à son service. Mais j’évoque
ici autre chose : l’écriture que j’appellerai d’existence. Elle n’est pas écriture de la parole.
À ce titre, on peut la dire écriture pure, maniement de la lettre, de la trace. Car il ne s’agit
pas de penser qu’il n’y a de lettres que de l’alphabet, les chiffres à cet égard sont lettres
aussi. Le signifiant opère alors coupé de la signification. C’est à ce niveau que l’on peut
saisir une existence sans monde. C’est l’écriture dont se soutient le discours scientifique,
du moins dans sa partie mathématique.
La science ruine le monde ! Avec le discours scientifique, le monde dans lequel
barbote le Dasein, celui que l’on croit connaître, avec lequel on con-naît (c’est-à-dire
naissant en même temps que lui), se décompose. Même si les scientifiques ne s’en aper-
çoivent pas, il n’y a pas de monde dans la science. Voyez ce qu’énonce Lacan, toujours
dans Encore, page 37 – À partir du moment où vous pouvez ajouter aux atomes un truc qui
s’appelle le quark [la découverte était relativement récente à l’époque], vous devez quand
même vous rendre compte qu’il s’agit d’autre chose que d’un monde. Nous n’avons plus de
rapport avec une totalité harmonieuse. Plus question d’un macrocosme reflété par un
microcosme, ni d’un spectacle qui s’étalerait pour le bénéfice du sujet de la représenta-
tion. Ici, l’existence se réduit au il existe x, tel que fonction de x : E x . F(x).
J’en parle pour l’introduire, mais il s’agit d’enchaîner une écriture qui se développe selon
sa propre nécessité. Mais ne squeezons pas ce moment, cela se lit, je vous le lis. Il s’agit préci-
sément de lecture, non d’écoute. Ce qu’on écoute, ce sont des significations qui évoquent
en vous de la compréhension parce qu’une jouissance y est toujours impliquée. Je l’ai

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L’orientation lacanienne

indiqué, un effort est à faire pour en séparer le signifiant. Lorsqu’il s’agit d’écoute, en
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effet, on part du signifié et on tente d’en isoler le signifiant.

écoute s S

La lecture est autre chose. Elle part du signifiant, pour éventuellement donner lieu
à des significations. Il y a un écart entre écoute et lecture.

lecture S s

Pour aller de l’une à l’autre, il faut en passer par l’écrit. Plutôt que de nous gargariser
d’écoute, occupons-nous de lecture. L’interprétation est une lecture. Elle ne porte qu’à
condition d’être une lecture. Voilà pourquoi Lacan dit du sujet de l’inconscient que
vous le supposez savoir lire.
Que ceci soit clair, il y a deux statuts du signifiant. Dans l’usage de Lacan, il y a clai-
rement une amphibologie de ce terme. Il y a le signifiant qui note la parole, et celui-là
est second. Mais le signifiant comme tel, celui qui se lit purement et simplement, est
premier par rapport au signifié. On peut l’appeler la lettre – Lacan le fait à l’occasion –
à condition de ne pas se cantonner aux vingt-six lettres de l’alphabet. Les nombres natu-
rels, ainsi que les autres qui ne le sont pas et qui s’inventent tous les jours, sont de cet
ordre, ils ne notent pas des significations. De ce signifiant premier, Lacan dit qu’il est
comme une substance. Il dit exactement – Il y a une substance qui tient tout entière en ce
qu’il y a du signifiant. Entendons-le, même si le terme de substance n’est pas forcément
à conserver trop longtemps.
Ainsi peut-on dire que les mathématiques se déploient au-delà du langage, dans la
mesure où ce que nous appelons le langage est fait de l’union du signifiant et du signifié
– Lacan s’exprime parfois de la sorte. Ce langage, qui nous impose l’être éventuelle-
ment éternel, donne naissance à des êtres variables et fragiles, dont la dénotation, pour
parler comme Russell, la référence, la Bedeutung, pour employer le mot de Frege, leur
échappe. Parce que l’être apparaît comme fuyant, incertain quand on parle, on est
conduit à imaginer un être en deçà du langage. Le halo d’être qui entoure l’usage du
langage nous conduit à penser que nous n’avons accès qu’aux apparences, et que le mur
du langage nous sépare de ce qui serait l’être.

apparence être

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Jacques-Alain Miller L’Un est lettre

À cela, comme je l’entends et je le lis, Lacan nous invite à renoncer. Cet appareil,
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réduit ici de manière fort élémentaire, est très prégnant dans notre tradition philoso-
phique, y compris avec ses variations poussant à dire que l’apparence est l’être véritable,
etc. La subversion nietzschéenne conduirait à cela. La psychanalyse conduit à autre
chose, non à poser un être en deçà, mais dans les termes de Lacan, un être à côté, un
être para, qui est précisément ce que nous donne le langage. Ce qui se substitue à ce
schéma – je respecte provisoirement la figuration du mur du langage –, c’est le par-être,
un être qui est toujours à côté, et derrière le mur du langage, l’existence.

par-être existence

Il faut ajouter cette différence que, pour nous, à condition de concevoir que
l’écriture atteint et constitue l’existence, il n’y a pas de mur du langage. Autrement dit,
la conjonction du par-être et de la parole est à son comble avec le terme d’être parlant,
de même qu’il y a une conjonction essentielle entre l’existence et l’écriture, celle que
j’ai dite première.
<> <>

par-être parole
existence écriture

L’ensemble vide, ou l’Un-en-plus

Cet appareil est nécessaire pour lire comme il convient la proposition il n’y a pas de
rapport sexuel, dont Lacan dit qu’il ne peut pas être écrit et qu’il est inexistant – l’écri-
ture étant la mesure de l’existence.
Il y a des apparences qui suppléent au rapport sexuel, des par-êtres qui ne tiennent
leur être que du langage. Ils sont appareillés à des fictions instituées tantôt par le signi-
fiant impératif – par la Loi, par ce qu’on appelle la religion (comme s’il s’agissait d’un
seul domaine alors qu’elles sont bien hétérogènes ; on crée des catégories comme le sacré
pour réunir tout ça dans un grand sac, mais cela se différencie dès qu’on regarde de plus
près) –, tantôt par la simple routine des significations, lesquelles sont spécialement
contradictoires en matière de sexualité.
La fiction qui supplée par excellence à ce qui n’existe pas, c’est l’amour. Je disais que
l’amour – et cela ne me paraît pas sot – est une constante anthropologique. Quelqu’un

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L’orientation lacanienne

avançait que tout homme (au sens générique, l’exemplaire d’humanité) sait qu’il est
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mortel et quand il est amoureux. L’amour crée un Un imaginaire, il isole un seul être
– lorsqu’il vous manque, tout est dépeuplé. J’aime beaucoup ce vers de Lamartine
– c’est le seul, un vers lacanien qui vise très juste –, de même que le titre d’un roman de
François Mauriac, Le Désert de l’amour, qui consonne avec ce vers. L’amour a cette
propriété d’isoler un Un. Évidemment, c’est un ersatz du Un vraiment intéressant, le
signifiant Un, mais celui-là, vous n’en êtes pas amoureux. Cependant, d’autres, Plotin
notamment, ont pu être amoureux du signifiant Un comme vous l’êtes de tel Un ou telle
Une imaginaire.
Le transfert analytique est fait de la même étoffe que l’amour vrai – pour ce que vaut
la vérité. Fait de la même étoffe, soit d’une étoffe de par-être. L’amour ne vous donne
pas accès à l’existence, seulement à l’être. Voilà pourquoi on s’imagine que l’être éternel
exige votre amour. Cela donne le soupçon que si vous l’aimiez un peu moins, il serait
peut-être moins éternel. Le lieu de l’Autre, qu’on appelle le lieu de la vérité, est celui des
par-êtres. Dans cette logique, l’analyste situé au lieu de l’Autre est ni plus ni moins que
Dieu. Cela fonde Freud à considérer, en s’appuyant sur la psychanalyse, que la religion
est une illusion.
L’Un imaginaire dégagé, supposé, créé par l’amour, fait de vous son corrélat. C’est
ce qui justifie que l’on attribue un statut narcissique à l’amour. L’Un d’amour est tout
à fait distinct de l’Un d’existence – lequel tient à un effet d’écrit, et non pas de signifi-
cation. Telle est la valeur de l’indication donnée par Lacan lorsqu’il formule que nous
avons à trouver le point d’orientation de notre pratique dans le jeu même de l’écrit.
C’est d’abord signifier que, dans l’écoute, ce qui compte, c’est la lecture. Lacan vise ici
l’écrit primaire, et non pas l’écrit notant la parole. La dernière fois, j’ai tenté d’inscrire
cet écrit primaire par un I majuscule de forme latine auquel j’ai conjoint ce rond supposé
indiquer un manque, le manque de cette première marque dont je vous ai dit qu’il valait
comme l’ensemble vide de la théorie – I O.
Tout au long de son enseignement, Lacan a insisté sur le point, classique, de la diffé-
rence entre la théorie des classes et celle des ensembles. Soyons au clair à ce propos.
Dans la théorie des classes, il n’y a que des êtres. Mais dans la théorie des ensembles, on
arrive à manier l’absence d’êtres. La théorie des classes n’admet que des êtres rassemblés
en fonction de leurs prédicats, selon le grand principe logique qui se ressemble s’assemble.
Il n’y a en revanche pas de ressemblance entre les éléments d’un ensemble, qui sont
rassemblés du seul fait de se compter pour un – et c’est leur seul point commun, du
moins dans la perspective dite extensionnelle. Comme Lacan le souligne, on met
ensemble des choses n’ayant entre elles strictement aucun rapport. Elles ne se ressem-
blent par aucune propriété, aucune forme, aucune donnée imaginaire, aucune signifi-
cation. Le seul point commun entre ces éléments est d’être des Uns et d’appartenir à tel
ensemble marqué de telle lettre. On opère ensuite avec ça. Dans la théorie des ensembles,
on compte en plus l’ensemble vide, qui n’apparaît pas quand on compte les éléments,
mais seulement quand on compte ce qu’on appelle les parties de l’ensemble, les sous-
ensembles. Il apparaît comme par miracle, et comme un Un-en-plus.

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Jacques-Alain Miller L’Un est lettre

Comment l’Un est-il venu dans notre monde ? Par le signifiant, par le fait qu’il y a
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du langage. Mais une fois introduit dans le monde, il le décompose. Dire qu’il y a de
l’Un – cet Un qui ne peut être déduit, qui est premier, qui arrive au monde avec le
langage – oblige à en faire comme une substance, une substance signifiante. Substance
signifie ici pas de genèse. Dans la mesure où l’on pose comme une donnée première il
y a de l’Un, on est conduit à isoler la jouissance comme une autre substance. On a
glosé (moi le premier) sur la substance jouissante que Lacan amène dans son Sémi-
naire Encore, mais celle-ci est strictement corrélative de la notion, que je dirais approxi-
mative, de substance signifiante.

Le réel, ou la conjonction des substances

La substance jouissante est d’un tout autre registre, puisqu’elle est assignée au corps,
mais à condition, précise Lacan, qu’elle se définisse seulement de ce qui se jouit. Le
corps dont il s’agit ici ne se définit donc pas par l’image et la forme comme celui du stade
du miroir, ni par l’Un, l’Un-corps. Il ne se définit même pas comme ce qui jouit, mais
comme ce qui se jouit. Donnons-lui d’abord la valeur qu’implique sa connexion à la
substance, un corps qui jouit de lui-même. Ce n’est pas le corps de ce qui serait le
rapport sexuel, mais celui qui est visé au niveau de l’existence.
Nous avons dégagé un dualisme de la substance – la substance signifiante et la
substance jouissante, à l’opposé du monisme spinoziste et de sa substance unique (Dieu
ou la nature). Chez Spinoza, la substance est purement signifiante, elle se laisse inté-
gralement mathématiser (c’était l’idéal en tout cas), ce qui pour lui voulait dire géomé-
triser, euclidianiser. On peut procéder par théorème et démonstration parce qu’il n’est
question que de signifiants. Le sujet est censé accomplir un parcours au culmen duquel
il rencontre l’amour, soigneusement étiqueté amour intellectuel de Dieu. Cet amour est
supposé se tenir au niveau du signifiant, mais il n’en serait pas moins source de béati-
tude, soit de jouissance infinie. Au terme d’un parcours exclusivement situé au niveau
du signifiant, comment retrouver la jouissance sans poser, à côté de la substance signi-
fiante, une substance jouissante ?
Chez Lacan, on voit se mouvoir deux substances extérieures l’une à l’autre, la signi-
fiante et la jouissante, qui répercutent la différence freudienne de l’inconscient et du
ça. Or, quand il les pose, Lacan implique aussitôt une satisfaction au niveau de l’in-
conscient. Après avoir apparemment lié de façon indissoluble la substance et le corps,
il amène contradictoirement une satisfaction qui se supporte du langage – la jouissance
du bla-bla-bla. Le langage est à saisir ici au niveau de ce qui s’imprime sur le corps avec
effet de jouissance, l’Un s’imprime sur le corps. C’est dans cette mesure que le langage
peut être dit un appareil de la jouissance. C’est ce que Freud avait découvert sous les
espèces de la castration. Il avait découvert qu’avec le langage s’introduisait une perte de
jouissance répercutée pour lui comme faute, comme culpabilité.
Mais il y a là, si j’ose dire, encore trop de sens. Dans le sillage de cette découverte,
Lacan ne parle plus de castration, sinon de temps en temps pour rappeler ses racines,

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L’orientation lacanienne

mais de dérèglement. L’Un introduit un trouble de jouissance. On supposait que la jouis-


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sance du corps est homéostatique, imaginant que la jouissance de l’animal et celle de la
plante étaient régulées. Dans ce registre de la jouissance, le langage introduit selon Freud
la castration, selon Lacan autre chose qui englobe la castration – soit la répétition du Un
commémorant une irruption de jouissance inoubliable. Le sujet se trouve dès lors lié à
un cycle de répétitions dont les instances ne s’additionnent pas, dont les expériences ne
lui apprennent rien. Aujourd’hui, on appelle cela addiction parce que ce n’est précisé-
ment pas une addition, les expériences ne s’additionnent pas. Cette répétition de jouis-
sance se fait hors sens, et l’on s’en plaint.
C’est également ainsi que Lacan généralise l’instance de la jouissance muette qu’il
découvre dans la sexualité féminine. Dans un second temps, il l’étend à l’homme pour
dire que c’est elle qui donne le statut fondamental de la jouissance comme opaque au
sens. Il a donc dû inventer l’écriture du sinthome distinguée du symptôme. Le symptôme
freudien fait sens alors que le sinthome se répète ; le premier contient une vérité que l’on
peut rêver de révéler, le second n’est pas corrélatif d’une révélation mais d’un constat.
Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il est susceptible de se dénuder et de quitter l’habillage
que lui donnent des par-êtres. Quant au fameux objet a, soit ce qui de la jouissance fait
sens, il est aussi un par-être.
La jouissance répétitive, celle que l’on dit de l’addiction – ce que Lacan appelle le
sinthome se situe au niveau de l’addiction – n’a de rapport qu’avec le signifiant Un, le S1.
Cela signifie qu’elle n’a pas de rapport avec le S2, qui représente le savoir. Cette jouissance
répétitive est hors savoir, auto-jouissance du corps par le biais du S1 sans S2. Ce qui fait
fonction de S2 en la matière, ce qui fait fonction d’Autre de ce S1, c’est le corps lui-même.
L’étude de la sexualité féminine a permis à Lacan de lever un coin du voile sur cette
jouissance inconnue dans le Séminaire Encore. Puis il l’a aperçue chez le mâle aussi, où
elle est encore plus cachée sous les rodomontades de la jouissance phallique. Elle se
manifeste en clair chez les hommes qui choisissent de ne pas passer par la jouissance
phallique. Chez les mystiques, par exemple, elle est le résultat d’une ascèse. Elle se mani-
feste également chez ceux qui installent à la place de l’Autre autre chose que le corps de
la femme, Dieu ou lalangue, comme le fait Joyce, et qui entreprennent d’en jouir. Au
moins est-ce la marque que la jouissance comme telle n’a pas le moindre rapport avec
le rapport sexuel.
Disons-le, cela nous amène au réel, situé à ce niveau où l’existence se conjugue à
l’écriture, hors sens. Il en allait de même pour Freud cherchant à fonder dans les
neurones ce qu’il découvrait dans l’analyse. Les neurosciences sont toujours à la pour-
suite de ce réel hors sens, et ce, d’autant plus que du sens s’introduit toujours avec la
biologie. Le réel dépouillé de tout sens, Lacan le trouve au niveau des mathématiques.
J’évoquais donc deux substances, la signifiante et la jouissante. Le réel est en fait la
conjonction contingente des deux. Ce qui se raconte en analyse est la contingence de
la rencontre entre le signifiant, le S1, et la jouissance, et les voies spéciales, toujours
tordues, imprévisibles, mais qui apparaissent après coup nécessaires, par lesquelles cette
conjonction s’est opérée. À ce niveau bien sûr, le réel est sans loi.

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Jacques-Alain Miller L’Un est lettre

Le réel sans loi est celui de la conjonction du signifiant et de la jouissance. On le note


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par le mode d’entrée de l’expérience inoubliable de jouissance qui sera commémorée par
la répétition. Dans les cas auxquels on a accès par l’analyse, son mode d’entrée est toujours
l’effraction. L’effraction, c’est-à-dire non pas la déduction, l’intention ou l’évolution, mais
la rupture, la disruption par rapport à un ordre préalable, par rapport à la routine du
discours par lequel les significations tiennent, ou par rapport à la routine que l’on imagine
du corps animal. Cette rupture se traduit par un dérèglement que Freud a capturé dans
la signification de la castration et dans le théâtre de l’interdiction œdipienne. Ce théâtre
a pâli, car aujourd’hui, au XXIe siècle, l’ordre symbolique n’est plus ce qu’il était. Dans ce
fil où nous conduit Lacan, nous avons à orienter notre pratique.

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