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LE 1 DE FREGE ET LE YADLUN DE LACAN

Jean Brini

Érès | « La revue lacanienne »

2010/2 n° 7 | pages 175 à 178


ISSN 1967-2055
ISBN 9782749212463
DOI 10.3917/lrl.102.0175
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-revue-lacanienne-2010-2-page-175.htm
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Le 1 de Frege et le Yadlun de Lacan

Jean Brini
Psychanalyste

Dans la leçon du 10 mai du séminaire – le nombre est défini comme l’extension


… Ou pire, Lacan revient sur la construc- du concept : « équinumérique à un
tion de la suite des nombres entiers pour concept donné », soit comme classe
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souligner : « Ce que je voudrais dire, c’est d’équivalence modulo la relation d’équi-
que, soustrait l’Un, tout cet édifice des numéricité ;
nombres devrait, à l’entendre comme – le zéro est défini comme l’extension du
produit d’une opération logique, nom- concept : « équinumérique au concept :
mément celle qui procède de la défini- “non identique à soi-même” ».
tion du zéro et de celle du successeur, se Concernant le successeur, Frege écrit :
défaire dans toute la chaîne, jusqu’à re- « Je me propose maintenant de définir la
venir à son point de départ. » Est ici clai- relation qui affecte deux membres voisins
rement affirmée la différence fonda- de la suite naturelle des nombres. Posons
mentale entre le 1 de Frege, qui fait par- que la proposition :
tie de l’édifice des nombres, et le Un dont “il existe un concept F et un objet x qui
nous parle Lacan en lançant son Yadlun, tombe sous ce concept tel que le nombre
qui soutient l’édifice et sans lequel ce cardinal qui appartient à ce concept est n
dernier se déferait. et que le nombre cardinal qui appartient
au concept : ‘qui tombe sous F mais n’est
C’est ce point que je voudrais essayer de pas identique à x’ est m”
déplier en repartant de la définition du veut dire la même chose que :
successeur proposée par Frege dans Les “n suit immédiatement m dans la suite na-
fondements de l’arithmétique. On se sou- turelle des nombres”. »
vient que dans ce texte, Frege propose des
définitions fondées en logique des trois Qu’est-ce à dire ?
concepts considérés comme premiers par Dans un premier temps, Frege pose l’exis-
Peano pour construire la suite des tence d’un concept F – que nous pouvons,
nombres entiers. Ces trois concepts sont conformément à l’habitude, représenter
ceux de nombre, de zéro et de successeur. comme un ensemble – sous lequel tom-
Pour résumer : bent un certain nombre d’objets : {a, b,

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c..., x...}, parmi lesquels il distingue un On voit ici clairement que dans cette dé-
certain x dont il est supposé qu’il existe. finition du successeur, Frege procède en
Comme tout concept, F possède un fait à la soustraction de x à F pour at-
nombre appelé n. teindre G. Il me semble légitime de soute-
Dans un deuxième temps, Frege définit le nir que Frege définit non pas le
concept qu’il appelle G, à partir de successeur, mais le prédécesseur, même si
l’énoncé en forme de fonction logique : du point de vue strictement logique la
« qui appartient à F mais n’est pas x ». distinction est sans importance.
Sous ce deuxième concept tombent les
mêmes objets {a, b, c...}, à l’exception du x La construction par Frege du 1 à partir du
qui a été précédemment distingué dans F. zéro se présente alors comme une pure ap-
Pour le dire brièvement, G, c’est F sans x, plication de la définition ci-dessus : Frege
et il est alors tout naturel de poser comme pose d’abord un concept, F à l’aide de la
le fait Frege que si le nombre assigné à G fonction logique : « identique à zéro 1 ».
est m, n sera le successeur de m. Sous ce concept tombe un objet au moins
qui est zéro lui-même. Soit x cet objet.
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On définit alors le concept G comme ci-
dessus par la fonction : « qui appartient à
F mais n’est pas identique à x », fonction
✘ a c✘ qui dans le cas présent se formule : « qui
est identique à zéro (parce qu’appartenant
à F) mais n’est pas identique à zéro (parce
b✘ que différent de x) ». On tombe ainsi sur
x✘ la définition de l’ensemble vide 2 dont le
nombre est zéro. Par conséquent, le
nombre à assigner à G est le successeur
de zéro, c’est-à-dire 1 (voir tableau ci-
F a pour nombre n : successeur de m. après, p. 17).

Là encore, on voit clairement que c’est du


passage du 1 au zéro qu’il est question, et
que ce passage s’opère par soustraction
d’un x qui a d’abord été repéré comme
✘ a c✘ faisant partie de G.

b✘ C’est en ce point que, me semble-t-il, il


x✘ convient d’insister sur ce qui fait le cœur
de la définition proposée par Frege, à sa-

1. Rappelons qu’à ce stade le zéro est déjà bien dé-


G a pour nombre m. fini.
2. À savoir la fonction : « différent de lui-même ».

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Concept F G F: G:
(ensemble) « identique à 0 » « identique à 0,
mais
non identique à 0 »

Éléments a, b, c..., x... a, b, c... mais pas x 0 aucun élément

Nombre n : successeur de m m 1 0

voir la possibilité affirmée de pouvoir en L’axiome de choix est donc intimement lié
toute circonstance « extraire » un certain x à la question du bon ordre.
d’un ensemble (Frege dit un concept) par – Le fait d’accepter ou non l’axiome de
ailleurs bien défini. Il me semble que le choix fait partie des points qui séparent
Un dont parle Lacan dans son Yadlun, a les classiques, qui l’acceptent, et les intui-
le plus grand rapport avec cet x dont tionnistes, comme Brouwer, qui le rejet-
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Frege postule qu’il existe toujours 3. On tent. Lacan, à bien des égards, se révèle
voit bien aussi pourquoi Lacan peut par- proche des intuitionnistes.
ler de l’édifice des nombres entiers
comme pouvant se défaire jusqu’à son Il me semble légitime de considérer que
point de départ, si cette possibilité de le Yadlun de Lacan, dont il nous invite à
soustraire un x se dérobait. Il y a bien une nous étonner, est bien une sorte de refor-
fonction de l’Un qui est un préalable né- mulation de l’axiome de choix : sans cette
cessaire à la construction du nombre 1 de possibilité de choisir, d’élire un représen-
Frege, à savoir cette capacité à extraire, à tant parmi les éléments d’un ensemble,
élire un élément donné parmi les élé- pas de suite des entiers, pas de bon ordre
ments d’un ensemble. possible non plus.
Mais cette possibilité d’élire, nous pou-
Les logiciens se sont très tôt aperçus du vons lui donner son nom : pour nous, il
fait que cette possibilité n’était ni évi- s’agit de ce qui rend possible toute sym-
dente 4, ni déductible des axiomes de la bolisation, de la symbolisation primor-
théorie des ensembles, et qu’il convenait diale que Freud désigne comme la
en ce point de former un axiome spéci- Bejahung ; sur le chemin qui va de la per-
fique. Cet axiome a été désigné du nom
d’axiome de choix et possède une longue
histoire, qu’il n’est pas question de résu- 3. Sauf, bien sûr, par hypothèse, dans l’ensemble
vide.
mer ici. On se contentera de deux re- 4. Contrairement aux apparences : pour un en-
marques concernant cet axiome : semble fini, on est tenté de dire : « il suffit de
– C’est Zermelo, en 1904 qui l’a formulé prendre un élément, n’importe lequel ». La question
est de savoir comment le prendre, c’est-à-dire com-
pour la première fois, en soulignant sa né-
ment le désigner, comment en jouir. La difficulté se
cessité pour démontrer que tout en- redouble lorsqu’il s’agit d’ensembles infinis, discrets
semble pouvait être bien ordonné. ou continus.

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ception à la conscience, il y a cette néces- de Frege que la nécessité qui est la sienne
saire opération de jugement : d’attribu- de lui apporter un complément, une rec-
tion, puis d’existence, qui comporte un tification qui y réintroduise ce qui en a été
« je prends » correspondant à la mise en forclos : un sujet. Le Yadlun illustre à ce
œuvre non plus d’un axiome, mais d’un titre la remarque de Lacan lorsqu’il sou-
acte vectorisé par le principe de plaisir, et ligne le fait que nous retrouvons dans les
contemporain de la naissance d’un sujet. impasses de la logique les mêmes im-
C’est à mon sens ce qui explique aussi passes que celles qu’exprime le « Il n’y a
bien l’intérêt de Lacan pour l’élaboration pas de rapport sexuel ».
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