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Minerais critiques : une diversification problématique

John Seaman
Dans Politique étrangère 2023/4 (Hiver), pages 67 à 79
Éditions Institut français des relations internationales
ISSN 0032-342X
ISBN 9791037306258
DOI 10.3917/pe.234.0067
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Minerais : les interdépendances
critiques
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CONTRECHAMPS | MINERAIS : LES INTERDÉPENDANCES CRITIQUES


Minerais critiques : une diversification problématique
Par John Seaman

John Seaman est chercheur au Centre Asie/Indo-Pacifique de l’Ifri.


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Devant l’explosion de la demande en ressources métalliques générée par les
technologies de pointe, les États-Unis et l’Europe sont contraints de réviser
une géographie des approvisionnements synonyme de dépendance straté-
gique. La Chine, qui joue un rôle central tout au long de la chaîne d’approvi-
sionnement, pose à cet égard un problème particulier. La diversification de
ces approvisionnements est ainsi une nécessité, mais il serait sans doute
illusoire d’imaginer se passer dans l’avenir d’un accord avec Pékin.

politique étrangère

La transition numérique et la quête de la neutralité carbone redessinent


la géopolitique des matières premières. Avec l’évolution vers des techno-
logies toujours plus sophistiquées, la table de Mendeleïev est désormais
prise d’assaut par la diversification dans l’usage d’éléments hier peu
exploités par le monde industriel, tandis que la croûte terrestre est sollici-
tée par un volume croissant de demande. En 1960, un ménage type améri-
cain se servait d’une vingtaine d’éléments chimiques de base.
Actuellement, un seul smartphone héberge la moitié de la table des élé-
ments. Une société de haute technologie comme Intel, qui n’utilisait que
15 éléments de base dans ses produits en 1990, en use aujourd’hui une
soixantaine1. La demande des nouvelles technologies en ressources métal-
liques explose et on s’attend à une croissance exponentielle dans les
années à venir.

D’ici 2040, en fonction des politiques publiques en matière de transition


énergétique et des technologies disponibles, l’Agence internationale de
l’énergie prévoit2 que la demande en minerais de 2020 soit multipliée de

1. D. S. Abraham, The Elements of Power: Gadgets, Guns, and the Struggle for a Sustainable Future in the
Rare Metal Age, New Haven, Yale University Press, 2015, p. 8.
2. « The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions », Agence internationale de l’énergie, 2021.

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2 à 6 fois. Pour certains métaux comme le lithium, cette demande pourrait


être multipliée 40 fois, et entre 20 et 25 fois pour le graphite, le cobalt ou
le nickel. Même un métal de base comme le cuivre connaîtrait un double-
ment, voire un triplement, de la demande. Exit donc l’âge des hydro-
carbures, ou la géopolitique du gaz et du pétrole. Place aux métaux, cœur
d’une nouvelle géopolitique des ressources.

La cartographie des minerais favorise certains pays producteurs comme


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l’Indonésie pour le nickel, la République démocratique du Congo pour le
cobalt, ou encore l’Australie, la Bolivie ou le Chili pour le lithium. Mais
un pays – la Chine – est aujourd’hui au cœur de l’approvisionnement des
minerais critiques, tant au niveau de l’extraction et du raffinage qu’au
long de la chaîne de valeur des produits dérivés. Les États-Unis et
l’Europe, qui jouissaient hier d’une capacité de production et de transfor-
mation minières, se retrouvent dans une situation d’extrême dépendance.
Derrière la double transition numérique et énergétique se cache donc la
réalité dérangeante d’une dépendance croissante vis-à-vis de la Chine.
Alors que les tensions avec Pékin s’aggravent, les dépendances technolo-
giques sont de plus en plus exploitées politiquement et diplomatiquement
de part et d’autre. L’Europe et les États-Unis sont ainsi appelés à diversi-
fier leurs approvisionnements de toute urgence, dans des secteurs où le
coût environnemental comme financier est lourd et où le retour sur inves-
tissement se mesure souvent en décennies.

La réalité dérangeante des minerais critiques


La Chine joue souvent un rôle central tout au long de la chaîne de valeur
des minerais critiques, de la prospection et de l’extraction minière à la
transformation, jusqu’à la recherche sur le développement de nouvelles
applications.

Le cas des terres rares est emblématique. Ces 17 éléments chimiques


– dont le lanthane, le cérium, l’europium, le néodyme ou encore le dyspro-
sium – sont des métaux clés pour la fabrication de nombreux produits
associés à la transition numérique et énergétique, mais aussi aux industries
de défense. Les aimants permanents (NdFeB), une des principales applica-
tions de certaines terres rares, sont des composants essentiels à de multiples
technologies utiles pour les moteurs de voitures électriques, les éoliens
offshore, les sous-marins ou encore la dernière génération de chasseurs
aériens. Un F-35 utilise par exemple 415 kg de terres rares et un Virginia
SSN 774 plus de 4 000 kg3. Or la Chine occupe une place centrale dans

3. B. S. Tracy, « An Overview of Rare Earth Elements and Related Issues for Congress », CRS Report,
Congressional Research Service, 24 novembre 2020.

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l’extraction et la transformation de ces métaux. Elle compte pour plus des
deux tiers de la production minière de terres rares sur la planète, assure
87 % de leur raffinage et produit plus de 90 % des aimants permanents
du marché mondial. Hors terres rares, elle extrait4 aussi de ses sols 94 %
du gallium, 91 % du magnésium, 79 % du graphite naturel et 76 % du
silicium métallique produits dans le monde, parmi bien d’autres éléments
nécessaires pour les hautes technologies et la transition énergétique.
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Dans d’autres domaines où la production minière chinoise est faible ou
absente, les entreprises chinoises ont toutefois réussi à occuper des posi-
tions dominantes en aval. Dans le cycle des batteries par exemple, la
Chine transforme 71 % du graphite mondial, mais aussi 65 % du cobalt,
58 % du lithium, 40 % du cuivre et 35 % du nickel. Ses entreprises
produisent 84 % des anodes et 68 % des cathodes de la planète, assurent
77 % de la fabrication des cellules de batteries et 54 % de la production
mondiale de véhicules électriques5.

Des leviers stratégiques


Une telle dominance des chaînes de valeur, en partant des matières pre-
mières, est une source d’inquiétude dans un contexte géopolitique où les
dépendances des uns constituent les atouts des autres. Pour sa part,
Washington semble avoir compris et tranché. Le renforcement de la
politique américaine de sanctions et de contrôle des exportations, princi-
palement vis-à-vis de la Chine, dessine un nouveau cadre de rivalité
sino-américaine tout en soulignant l’utilité des leviers économiques et
technologiques et des nœuds stratégiques (strategic chokepoints).

Le 7 octobre 2022, Washington a dévoilé une nouvelle stratégie pour limi-


ter les progrès technologiques chinois, en particulier dans le domaine de
l’Intelligence artificielle. Cette stratégie impose d’importantes restrictions à
toute coopération avec la Chine dans le domaine des semi-conducteurs les
plus avancés – une technologique critique où la dépendance chinoise est
notable6. En dépit d’une réelle dépendance vis-à-vis de la Chine pour les
matières premières, les États-Unis ont choisi un pari stratégique.

Pékin semble tout aussi bien saisir l’utilité des leviers économiques,
pour les matières premières comme pour d’autres secteurs. En 2010 déjà,

4. « Mineral Commodity Summaries 2023 », Institut d’études géologiques des États-Unis, 31 janvier 2023,
disponible sur : https://pubs.usgs.gov.
5. « The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions », op.cit.
6. M. Velliet et J. Seaman, « Rivalité Chine-États-Unis : “L’objectif américain est d’endiguer les progrès
technologiques chinois dans tous les secteurs-clés” », Le Monde, 26 octobre 2022, disponible sur :
www.lemonde.fr.

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alors que les tensions entre Pékin et Tokyo montaient autour des îles
Senkaku-Diaoyu, les exportations de terres rares furent interrompues
durant plusieurs mois vers le Japon, à l’époque premier consommateur
de ces métaux hors de Chine. Le débat persiste
Pékin a compris sur les intentions de Pékin dans cette affaire7
l’importance du levier mais la puissance du levier chinois s’affirmait
économique clairement. La Chine comptait alors pour plus
de 95 % de la production mondiale de ces mine-
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rais. Dans les années qui ont suivi, un nouveau concept a émergé dans le
débat chinois autour des minerais « stratégiques » : celui des matières
premières « avantageuses » pour lesquelles la Chine bénéficie d’une posi-
tion dominante8.

Des années plus tard, ce ne sont plus les terres rares qui servent de
signal diplomatique mais les aimants permanents. En mai 2019, la guerre
commerciale lancée par Donald Trump contre la Chine étant en plein
développement, le président Xi Jinping a rendu visite publiquement à
une usine de production de JL MAG Rare-Earth, dans la province de
Jiangxi9. Sans discours, le message était clair : la Chine dispose de leviers
économiques importants et se tient prête à les actionner. Depuis
décembre 2022, les autorités chinoises réfléchissent à restreindre l’exporta-
tion des technologies associées à l’extraction, au raffinage et à l’alliage
des terres rares, sans pour l’heure trancher la question.

D’autres cas concrets sont plus récents. Depuis 2020, la Suède traverse
quelques turbulences diplomatiques avec Pékin. Hébergeant la société
Northvolt, leader dans le domaine des batteries, elle a pu constater des
perturbations importantes dans le secteur du graphite chinois, dont les
livraisons se sont totalement interrompues en 2021 et 202210. Si aucune
interdiction formelle n’existe jusqu’alors côté chinois, Pékin n’édite plus
de licence d’exportation vers Stockholm. Puis, le 20 octobre dernier, le
ministère du Commerce chinois (MOFCOM) a officialisé un régime de
contrôle beaucoup plus large – à partir du 1er décembre 2023, afin de
protéger la « sécurité nationale », toute exportation de graphite sera sou-
mise à une autorisation préalable. Début août 2023, le MOFCOM avait
déjà publié de nouvelles restrictions d’export du gallium et du germa-
nium, deux métaux utilisés dans de nombreux produits, dont certains

7. J. Michelle Klinger, Rare Earth Frontiers: From Terrestrial Subsoils to Lunar Landscapes, Ithaca, Cornell
University Press, 2017, p. 137-143.
8. P. Andersson, « Chinese Assessments of “Critical” and “Strategic” Raw Materials: Concepts, Categories,
Policies, and Implications », The Extractive Industries and Society, vol. 7, no 1, 2020, p. 127-137.
9. « Xi Jinping Makes Inspection Tour in Jiangxi », Xinhua, 20 mai 2019.
10. « Why is China Blocking Graphite Exports to Sweden? », The Economist, 22 juin 2023.

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semi-conducteurs11. Une réponse claire aux mesures américaines mises en
place depuis octobre 2022, suivies des restrictions d’autres acteurs comme
le Japon et les Pays-Bas. L’étendue et l’impact des restrictions chinoises
restent à évaluer, mais dans l’escalade des tensions avec les États-Unis et
ses alliés, Pékin identifie tous les leviers à sa disposition.

Toute médaille a son revers…


Hors même des matières premières et de leurs produits dérivés, la poli-
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tique étrangère chinoise pratique régulièrement la coercition économique,
parfois explicite, parfois voilée. Ses cibles récentes incluent l’Australie, la
Corée du Sud, les Philippines, Taïwan ou encore la Lituanie12. À l’heure
où la transition numérique et énergétique avance à grands pas, la mau-
vaise nouvelle est que la Chine reste en position de force dans le domaine
de nombreuses matières premières critiques et semble de plus en plus
disposée à s’en servir à des fins tant politiques qu’économiques.

La médaille pourrait cependant montrer son revers. La position domi-


nante chinoise ne repose pas seulement sur une disposition géologique
particulière, elle résulte surtout de la mise en place de conditions poli-
tiques et économiques favorables au développement de ce secteur. Or, à
terme, des alternatives à la Chine existent. Plus Pékin signale son appé-
tence pour une confrontation économique, plus les efforts de diversifica-
tion de la part des pays dépendants redoublent. Le cas du Japon est clair :
le pays a réussi à réduire sa dépendance de la Chine en terres rares à
moins de 50 % en dix ans, grâce à une politique publique proactive et à
des partenariats solides avec des pays comme l’Australie. Si l’Occident a
hier cédé du terrain à la Chine, il n’est pas impossible que l’Europe ou
les États-Unis retrouvent demain leurs marges de manœuvre.

Une mobilisation tardive mais forte, aux États-Unis


comme en Europe

Si les risques liés à une surdépendance de la Chine sont évidents depuis


au moins 2010, les politiques publiques aux États-Unis et en Europe ont
peiné à se mettre en place. Pour que l’ampleur du problème des dépen-
dances critiques et des risques associés s’impose, il a fallu dans les deux
cas une transformation majeure dans la perception de la Chine, accompa-
gnée d’un questionnement plus global de la mondialisation et du dogme

11. J. Seaman, « China’s Weaponization of Gallium and Germanium: The Pitfalls of Leveraging Choke-
points », Briefings de l’Ifri, Ifri, 27 juillet 2023.
12. M. Szczepanski, « China’s Economic Coercion: Evolution, Characteristics and Countermeasures »,
Briefing, Parlement européen, 15 novembre 2022, disponible sur : www.europarl.europa.eu.

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du libéralisme économique, et, enfin, une pandémie mondiale et


l’invasion de l’Ukraine par Moscou.

Les États-Unis en quête de capacités propres


Aux États-Unis, si l’analyse générale de la Chine commençait déjà à
basculer à la fin de l’administration Obama, c’est bien l’administration
Trump qui a labélisé Pékin « concurrent stratégique » en décembre 2017.
Réduire les dépendances critiques à l’égard du plus grand compétiteur,
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retrouver un nécessaire niveau de souveraineté : ces objectifs étaient
désormais absolus, et urgents. Avec l’Executive Order 13817, l’administra-
tion américaine a établi un inventaire complet des minerais essentiels
pour l’économie américaine et développé une stratégie de sécurisation
pour leur approvisionnement13. La liste des minerais jugés « critiques »
– la dernière a été publiée par le département de l’Énergie – s’étend
aujourd’hui à 50 matières premières minérales, dont 26 pour lesquelles le
pays mesure une dépendance de plus de 50 % vis-à-vis de la Chine. Sous
Trump déjà, Washington avait décidé de réinvestir le champ minier ainsi
que les industries de transformation et de recherche et développement,
en les associant plus étroitement avec le secteur de la défense afin de
mobiliser des financements publics14.

Les terres rares sont, là encore, emblématiques. Les États-Unis


possèdent en effet d’importants gisements de terres rares, dont la mine
historique de Mountain Pass en Californie. Cette mine a repris une pro-
duction continue depuis seulement 2017, après un arrêt total entre 2002
et 2012, et assure actuellement 15 % de la production mondiale. Mais des
turbulences de marché menacent sa viabilité. Faute de capacités de trans-
formation sur le sol américain, la totalité des minerais extraits à Mountain
Pass est envoyée en Chine pour traitement. Washington s’est donc mobi-
lisé afin de soutenir les opérations de la mine et développer une capacité
de traitement sur le sol américain, notamment à travers des investisse-
ments en Californie et au Texas pour développer des usines de transfor-
mation et, à terme, de fabrication d’aimants permanents. En 2020, le
département de la Défense américain a accordé une première subvention
de 9,6 millions de dollars à MP Materials, propriétaire et opérateur de la
mine californienne, qui devrait faciliter le développement d’une capacité
de séparation des minerais proche du site. Une deuxième subvention de
35 millions de dollars a été accordée en 2022. Au total, MP Materials

13. « A Federal Strategy to Ensure Secure and Reliable Supplies of Critical Minerals », département du
Commerce des États-Unis, 4 juin 2019.
14. E. Laplane, « La stratégie de souveraineté minérale américaine : une mobilisation tous azimuts », Notes
de l’Ifri, Ifri, mars 2021.

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CONTRECHAMPS | MINERAIS : LES INTERDÉPENDANCES CRITIQUES


investit plus de 700 millions de dollars dans le cycle de production, de la
mine jusqu’à la fabrication des aimants permanents, espérant un début
des opérations d’aval pour 202315.

L’administration Biden a, dès son investiture, repris le flambeau avec


une vaste étude des chaînes de valeur et l’identification des vulnérabilités
critiques. Sa réponse articule la question de la ressource minérale à une
politique industrielle plus vaste et ambitieuse. À travers différents textes
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législatifs, dont l’Infrastructure Investment and Jobs Act, l’Inflation Reduction
Act (IRA) ou encore le CHIPS and Sciences Act, l’objectif est de marier une
transition énergétique et numérique profonde à
une vaste réindustrialisation du pays. Les États- États-Unis :
Unis mobiliseraient ainsi près de 2 000 milliards articuler transition
de dollars. Ce « paquet » d’initiatives augmen- énergétique et
terait significativement la demande américaine
en minerais, mais il est aussi destiné à soutenir numérique et
la production. À travers les crédits d’impôt de politique industrielle
l’IRA par exemple, l’État exigerait que 50 % des
minerais critiques contenus dans les batteries de voitures électriques
vendues en 2024 proviennent du sol américain ou de celui d’un pays
ayant un accord de libre-échange avec les États-Unis. En 2027, ce chiffre
montera à 80 %. Sont ainsi formellement exclues les « entités étrangères
préoccupantes » (foreign entities of concern) – dont, bien sûr, les entreprises
chinoises. En mars 2022, l’administration Biden a également invoqué le
Defense Production Act pour soutenir la production de cinq métaux asso-
ciés à la production des batteries (lithium, nickel, cobalt, graphite et
manganèse). Bien que son rayon d’action demeure limité – le département
de la Défense est désormais mandaté pour soutenir financièrement les
études de faisabilité concernant les mines –, cette loi de 1950 pourrait, à
terme, mobiliser des sources de financement directes plus importantes16.

L’Europe se mobilise enfin


Côté européen, une vision plus complexe des relations avec la Chine se
marie, depuis la pandémie de Covid-19 et le déclenchement de la guerre
d’Ukraine, à une approche qualifiée aujourd’hui par Ursula von der
Leyen de derisking. Depuis 2019, Bruxelles qualifie la Chine non seulement
de partenaire, mais aussi de « compétiteur économique » et de « rival
systémique ». Dans ce contexte, les dépendances vis-à-vis de Pékin en
matière de minerais sont d’autant plus une source d’inquiétude. Pour les

15. Y. Yu, « The U.S.-China Rare Earths Battle », Nikkei Asia, 5 juillet 2023.
16. J. Busby, E. Holland, M. Bazilian et P. Orszag, « The Defense Production Act’s Role in the Clean Energy
Transition », Lawfare, 17 juillet 2023, disponible sur : www.lawfaremedia.org.

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34 minerais désignés par l’Union européenne (UE) comme étant


« critiques » en 2023, la dépendance à plus de 50 % de la Chine dans le
domaine de l’extraction et/ou le cycle de transformation est avérée17 dans
18 cas. Pour 11 minerais, elle dépasse même 65 %.

Comme pour les États-Unis, la réponse européenne s’inscrit dans le


développement d’une politique industrielle plus large, qui vise à catalyser
la « double transition » numérique et énergétique tout en rendant
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l’Europe plus résiliente face aux chocs externes. Parmi les initiatives
figure la création, à compter de 2020, de diverses alliances industrielles,
dont celles des batteries, du solaire, de l’hydrogène ou encore des
matières premières. Ces alliances cherchent à croiser les compétences
scientifiques et industrielles existantes ou émergentes du continent. La
pandémie a également accéléré la création d’initiatives plus robustes avec
l’objectif de développer plus directement le tissu industriel européen dans
plusieurs secteurs stratégiques, pour refonder une compétitivité indus-
trielle et renforcer la résilience des chaînes de valeur. Au nombre de ces
initiatives : la Loi européenne sur les semi-conducteurs, le Règlement
pour une industrie « zéro net » et la Législation européenne sur les
matières premières critiques, proposés par la Commission au printemps
2023 sous le parapluie du Plan industriel du pacte vert.

La Législation européenne sur les matières premières critiques repré-


sente la première stratégie globale de l’Europe en la matière. Elle établit
des références (benchmarks) ambitieuses18 en matière de résilience pour
l’horizon 2030 : une production minière européenne qui réponde à 10 %
de la demande du continent en minerais stratégiques, une maîtrise de
40 % du cycle de séparation et de raffinage, une capacité de production
de 15 % de la demande européenne en matières recyclées. La Commission
espère par ailleurs limiter sa dépendance d’un seul pays fournisseur à
65 %. Alors que cette stratégie se concrétisait, des nouvelles venues de
Suède ont injecté un optimisme supplémentaire : le plus grand gisement
de terres rares connu en Europe a été découvert au nord du pays, avec
une réserve potentielle de 100 millions de tonnes d’oxydes. La demande
mondiale d’oxydes de terres rares est estimée en 2022 à 250 000 tonnes.
La société suédoise LKAB, qui détient la mine, serait déjà en relation avec
des partenaires en Norvège pour transformer la matière première, ce qui
pourrait se concrétiser à un horizon de 10 à 15 ans.

17. M. Grohol et C. Veeh, « Study on the Critical Raw Materials for the EU », Commission européenne,
3 septembre 2023.
18. « In-depth Reviews of Strategic Areas for Europe’s Interests », Commission européenne, 2023, disponible
sur : https://commission.europa.eu.

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Minerais critiques : une diversification problématique

CONTRECHAMPS | MINERAIS : LES INTERDÉPENDANCES CRITIQUES


La France se mobilise également. En septembre 2021, le ministère de la
Transition écologique a confié à l’ancien président de France Industrie
Philippe Varin la tâche d’évaluer le besoin tricolore et la sécurité des
approvisionnements en métaux, ainsi que de proposer une organisation
correspondante pour le pays. En mai 2023, le gouvernement a lancé19
dans le cadre du projet France 2030 un fonds d’investissement qui mobili-
serait 500 millions d’euros de financements publics – avec un complément
espéré du secteur privé qui pourrait atteindre 1,5 milliard d’euros –, afin
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de sécuriser les approvisionnements en métaux critiques. De son côté,
l’Italie a débloqué 1 milliard d’euros et l’Allemagne entend injecter entre
500 millions et 1 milliard d’euros de fonds publics, fonds devant eux aussi
être complétés par des capitaux privés. La mobilisation des États
membres de l’UE représente en effet un volet essentiel, et la coopération
entre ces trois pays en particulier est déjà bien réelle depuis, au moins,
2022. Dans cette optique, Bruxelles revoit depuis la pandémie les
conditions d’aides publiques dans les secteurs stratégiques, afin d’élargir
la définition des projets dits Important Projects of Common European Interest,
d’assouplir les règles contraignant le rôle des États et de mobiliser les
moyens nationaux au service du développement des chaînes de valeur
stratégiques.

Diversifier les approvisionnements : le jeu des partenariats


Il serait illusoire de croire que l’Europe, comme les États-Unis, pourrait
atteindre une autosuffisance dans le domaine des matières premières cri-
tiques et qu’un tel objectif serait même désirable, compte tenu de coûts
exorbitants. Ainsi, le développement de partenariats internationaux
émerge-t-il comme deuxième pilier des stratégies américaines et euro-
péennes.

Hors de la diplomatie économique des États membres eux-mêmes, l’UE


a déjà conclu des partenariats dans le domaine des minerais critiques avec
le Canada, le Kazakhstan, la Namibie, l’Ukraine, l’Argentine et le Chili.
L’UE cherche à multiplier ses partenariats, notamment en Afrique avec la
République démocratique du Congo ou les pays des Grands Lacs, mais
aussi avec l’Australie. De plus en plus placés sous l’étiquette de la straté-
gie Global Gateway que Bruxelles brandit depuis 2021, ces accords visent
non seulement l’accès à la ressource, mais cherchent aussi à promouvoir
le développement des industries extractives et de transformation en res-
pectant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance stricts.

19. « France 2030 : le gouvernement annonce le lancement d’un fonds d’investissement dédié aux minerais
et métaux critiques », ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique,
11 mai 2023, disponible sur : https://presse.economie.gouv.fr.

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politique étrangère | 4:2023

Les États-Unis veulent également multiplier les partenariats, visant des


pays producteurs mais aussi des pays placés le long de la chaîne de
valeur, leur politique industrielle, et l’IRA en particulier, conditionnant
l’accès aux subventions américaines. Le Japon, qui ne bénéficie pas d’un
accord de libre-échange avec les États-Unis, a conclu un Critical Minerals
Agreement avec Washington en mars 2023. L’UE, pour laquelle l’IRA a été
une source notable de tension, négocie toujours un accord dans ce
domaine avec son partenaire américain.
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D’un point de vue géopolitique, la multiplication de dialogues et d’ini-
tiatives mini- et multilatéraux pilotés par les pays occidentaux est notable,
en particulier en l’absence de partenaire chinois. En 2011 déjà, à la suite
des restrictions chinoises sur les terres rares, États-Unis, UE et Japon ont
ouvert un partenariat trilatéral (Critical Minerals Trilateral) afin d’échanger
régulièrement informations et bonnes pratiques. En 2021, ce dialogue a
formellement accueilli le Canada et l’Australie. Depuis le Covid-19, les
initiatives se sont multipliées. Les minerais critiques sont désormais un
sujet structurant pour le G7, le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité
(Quad) – forum qui rassemble l’Australie, les États-Unis, l’Inde et le
Japon –, ou encore l’Indo-Pacific Economic Framework for Prosperity lancé
par Washington en 2022. L’Agence internationale de l’énergie, qui
regroupe les pays de l’Organisation de coopération et de développement
économiques, se positionne aussi comme forum de dialogue sur ce même
thème. Une première conférence de haut niveau a été organisée à Paris
en septembre 2023 avec les représentants de nombreux pays producteurs
et consommateurs. Pour mieux cibler son approche internationale de la
question, Washington a lancé en septembre 2022 le Minerals Security Part-
nership regroupant treize pays plus l’UE. Cette dernière affiche, dans le
cadre de la Législation européenne sur les matières premières critiques,
l’ambition de créer, elle aussi, un club de pays like-minded dédié à pro-
mouvoir des chaînes d’approvisionnement durables et résilientes.

Vers un rééquilibrage des relations avec des pays producteurs,


et avec la Chine ?
De cette floraison d’initiatives bilatérales et multilatérales émergent trois
observations sur les rapports entre les pays occidentaux consommateurs,
les pays producteurs, notamment du Sud, et la Chine. Tout d’abord,
l’absence de la Chine comme partenaire des initiatives occidentales, en
dépit de sa place centrale dans le secteur, souligne à quel point les ten-
sions géopolitiques actuelles structurent le dialogue international sur la
question minière et les chaînes de valeur associées. Ensuite, États-Unis
comme Europe cherchent à promouvoir des normes et un modèle de

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Minerais critiques : une diversification problématique

CONTRECHAMPS | MINERAIS : LES INTERDÉPENDANCES CRITIQUES


gouvernance du secteur qui placent les problématiques sociales et envi-
ronnementales au cœur de l’action – un objectif louable et même néces-
saire tant les transitions numériques et énergétiques risquent de surtaxer
les ressources de la planète. Enfin, la volonté d’aligner les positions des
pays consommateurs sur les bonnes pratiques et d’engager le dialogue
avec les principaux pays producteurs, encore une fois sans la Chine, sug-
gère que les pays occidentaux souhaitent opposer à l’offre de coopération
industrielle de la Chine un modèle alternatif qui serait, à leurs yeux, plus
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attractif sur le plan social, environnemental et économique.

De leur côté, nombre de pays producteurs cherchent à capitaliser sur


l’envolée de la demande en ressources minérales, pour négocier une nou-
velle position sur les chaînes de valeur et pour se servir de la richesse de
leur sous-sol comme d’un tremplin de développement économique. En
2020 par exemple, l’Indonésie a interdit l’exportation du nickel brut de
son territoire, afin d’inciter les investisseurs étrangers à contribuer au
développement de l’industrie locale des batteries et des voitures élec-
triques. Le Chili a, de son côté, choisi cette année de nationaliser l’indus-
trie du lithium sur son territoire, tandis que la
République démocratique du Congo espère
Une nouvelle
imposer de nouveaux termes, plus avantageux coopération entre
pour le pays, dans la production du cobalt. pays producteurs
et pays
Washington, Bruxelles et plusieurs capitales
européennes affichent la volonté de répondre
technologiquement
favorablement à la demande des pays produc- avancés
teurs. Ils peuvent, par exemple, mettre à leur disposition des capacités tech-
nologiques uniques comme l’imagerie satellitaire, pour assister la
prospection de nouvelles ressources, ou la blockchain pour assurer la traça-
bilité des minerais et renforcer la gouvernance du secteur. Ils possèdent
toujours un important savoir-faire technique dans le cycle de transforma-
tion des minerais ou encore des compétences scientifiques dans la
recherche et le développement, qui peuvent être mises à disposition. Sur-
tout, alors que l’extraction et la transformation des matières premières se
développeront sur le sol européen ou américain, de nouvelles techniques
devront être développées pour répondre aux contraintes sociales et envi-
ronnementales. Et ces nouvelles techniques pourront être proposées aux
partenaires internationaux afin d’assurer un développement plus durable
de la ressource.

De nombreux défis persistent pourtant. Déjà, les réglementations euro-


péennes et américaines imposent des barrières importantes, difficilement
surmontables pour bon nombre de partenaires. Afin de développer des

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chaînes de valeur plus vertes et de répondre au défi du changement clima-


tique, l’Europe impose des conditions en matière d’empreinte carbone aux
industries étrangères pour accéder au marché européen, le fameux méca-
nisme d’ajustement carbone aux frontières. La France, en particulier, a
adopté en septembre 2023 de nouvelles conditions quant aux émissions
produites par la fabrication des composants des véhicules électriques, y
compris les batteries. Si, selon Bruno Le Maire, ministre de l’Économie,
cette condition est conçue pour que l’argent public français ne serve pas
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« à financer des véhicules provenant à 70 % de la Chine », elle pénalisera
aussi bien d’autres partenaires potentiels20. En effet, pour de nombreux
pays producteurs, le charbon reste pour l’heure une source d’énergie incon-
tournable. Accompagner les pays partenaires, surtout du Sud, dans le
développement du secteur des minerais critiques – extraction comme trans-
formation – doit ainsi se faire en parallèle d’un projet de développement
et de transition énergétique plus global. Par ailleurs, hormis les questions
de gouvernance, le respect de normes environnementales et sociales plus
strictes constitue aussi une démarche coûteuse, qui exige d’un côté la mobi-
lisation de financements importants et de l’autre entraîne une hausse des
prix. Des coûts que les consommateurs occidentaux devront être prêts à
absorber – une demande difficile sur le plan politique.

Côté américain, le cas de l’IRA pose également des problèmes à divers


pays producteurs du Sud. En dehors de la nécessité de négocier un accord
spécifique avec les États-Unis en l’absence d’accord commercial global, la
contrainte supplémentaire du foreign entities of concern risque de poser
problème. En effet, les entreprises chinoises sont déjà bien ancrées dans
le secteur minier dans le monde. Pékin répond aussi à l’appel des pays
producteurs et redouble ses investissements dans des chaînes de valeur
locales. En Indonésie par exemple, les entreprises chinoises représentent21
depuis 2020 près des deux tiers des investissements étrangers dans le
cycle des batteries. Avec des financements et un savoir-faire technique
déjà au point, la Chine s’impose comme un partenaire incontournable
dans le secteur pour de nombreux pays.

Enfin, répondre aux défis posés par le secteur minier et la chaîne de


valeur des minerais critiques sans la Chine n’amènera toujours qu’à des
solutions partielles. Certes, Pékin représente le défi géopolitique majeur,
et la diversification des sources d’approvisionnement est nécessaire. Que

20. S. Fay, « Automobile : le nouveau bonus écologique pénalisera les voitures chinoises », Le Monde,
28 août 2023.
21. A. Tritto, « How Indonesia Used Chinese Industrial Investments to Turn Nickel into the New Gold », Fonda-
tion Carnegie pour la paix internationale, 11 avril 2023, disponible sur : https://carnegieendowment.org.

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Minerais critiques : une diversification problématique

CONTRECHAMPS | MINERAIS : LES INTERDÉPENDANCES CRITIQUES


cette quête de résilience amène les pays occidentaux à chercher un avenir
plus durable pour le secteur minier constitue une évolution qui poussera
sans doute à des innovations positives sur le plan environnemental. Mais
la Chine reste aujourd’hui non seulement une clé de voûte, pour la pro-
duction d’un grand nombre de minerais critiques et les chaînes de valeur
associées, mais encore la plus grande consommatrice. Il est peu probable
que la planète tienne le choc que lui promet à l’avenir la demande en
ressources sans des solutions innovantes, radicales, mais aussi globales22.
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Pour être efficaces, ces solutions supposeront donc aussi une participation
chinoise. Tôt ou tard, un dialogue constructif et une entente avec Pékin
sur les minerais critiques seront nécessaires.

Mots clés
Métaux stratégiques
Transition énergétique
États-Unis
Chine
Union européenne

22. A. Stéphant, « Transition énergétique : une nécessaire intégration des impacts environnementaux de
l’industrie minière », Revue internationale et stratégique, vol. 4, no 128, 2022, p. 95-103.

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