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© Comité d?études de Défense Nationale | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via CY Cergy Paris Université (IP: 193.54.115.197)
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Fondateur et Président de Parrot.
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Le drone à usage unique est délicat à piloter. En Ukraine, sur les polygones
d’entraînement, on voit autant de personnes s’exercer au tir que de personnes
s’exercer au vol de drones kamikazes.
Ceux-ci sont fabriqués par une centaine d’entreprises dans des ateliers. J’en
ai visité un dans une cave de la banlieue de Kiev où des « maker » les fabriquent
nuit et jour. Les pièces spécifiques sont produites par des rangées d’imprimantes
3D, les pièces de structure sont découpées dans des feuilles de carbone. Les
moteurs, les hélices, les cartes électroniques en provenance de Chine sont achetées
sur Internet.
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IA, numérIque, drones, robots : vers lA guerre de demAIn
Le bombardement à grande distance est assuré par des drones kamikazes
conçus avec une aérodynamique d’avion. Ils décollent d’un tronçon de route. Les
drones ukrainiens volent de nuit en suivant des plans de vol sophistiqués et attei-
gnent des cibles à plusieurs centaines de kilomètres de distance sur le territoire
russe. Les drones iraniens Shahed utilisés par les Russes sont difficiles à brouiller
durant leur vol, mais sont fréquemment abattus en phase finale par les défenses
antiaériennes ukrainiennes. À quel coût ? Un Shahed est un drone simple à produire,
son moteur à la dimension d’un moteur de moto. Leur potentiel d’amélioration est
encore grand. Pour cet hiver, ils sont une des craintes principales des Ukrainiens.
Utilisés en nombre, ils pourraient épuiser leurs ressources de défense antiaérienne.
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L’observation du champ de bataille est assurée par de petits drones avions.
Les Ukrainiens achètent tous les drones disponibles sur le marché : américain,
allemand, polonais ou français. Ces drones sont fréquemment abattus par la
défense antiaérienne russe. Leur coût reste élevé : développés pour les marchés
militaires occidentaux, ils n’ont pas été industrialisés pour une production en série
comme les quadricoptères chinois. Il sera difficile, dans le futur, de justifier un coût
10 à 20 fois plus élevé pour ces avions d’observation par rapport aux drones chinois
alors que les fonctionnalités sont très similaires.
Les munitions rôdeuses sont des drones développés dès l’origine pour leur
utilisation militaire kamikaze. Leur emploi en Ukraine reste faible en quantité
comparée à celle des drones issus de l’industrie civile. Leur coût est trop élevé et
leur production en masse n’est réalisée dans aucun pays de l’Otan. C’est ce que
semblent réussir les Russes avec leur munition rôdeuse Lancet, maintenant fabri-
quée en quantité. Ce drone sophistiqué utilise des composants électroniques amé-
ricains que les Russes parviennent à se procurer sans trop de difficultés. À ma
connaissance, il n’y a, aujourd’hui, aucune entreprise capable de produire des
munitions rôdeuses en quantité comme le font les Russes.
Piloter un drone au front est devenu dangereux, l’émetteur radio peut être
facilement découvert par les unités de guerre électronique russes. L’opérateur est
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alors visé par l’artillerie. La tactique des Ukrainiens est de déporter l’antenne de
plusieurs dizaines de mètre de l’opérateur pour qu’il puisse rester à couvert.
Sur le front ukrainien, tout ce qui peut être brouillé par les Russes l’est. Le
GPS est brouillé ou « spoofé ». Le « spoofing » est un brouillage pernicieux : on émet
des signaux GPS modifiés pour tromper le GPS des drones. Le spectre radio est
aussi massivement brouillé. Les systèmes de brouillages sont de plus en plus sophis-
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tiqués, les systèmes écoutent le spectre radio, attendent leur proie et leur tendent
des pièges électromagnétiques.
Internet (qui fut militaire à ses débuts) est l’autre révolution. C’est la
colonne vertébrale du déploiement de nouvelles technologies au front.
Kropyva est une application tactique initialement conçue pour l’artillerie.
Elle tourne sur une tablette Android. Un soldat identifie une cible grâce à un drone
ou une paire de jumelles. Ensuite, il fait une demande de traitement de la cible sur
Kropyva comme on demanderait un Uber. Les algorithmes recherchent une
ressource disponible à proximité, par exemple une section d’artillerie ou de mor-
tiers, et lui affectent la cible à traiter. L’utilisateur ayant fait la demande est informé
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IA, numérIque, drones, robots : vers lA guerre de demAIn
sur sa tablette, il suit le progrès du traitement de la cible et peut interagir en
envoyant après le premier coup des informations de correction du tir.
Veja est une application de partage vidéo. Elle fonctionne en utilisant le
protocole RTMP développé pour le streaming de vidéos en temps réel. L’application
permet au commandement de visualiser les vidéos de tous les drones en vol en
Ukraine. Des statistiques sont compilées, pour chaque pilote, chaque drone, pour
chaque zone du front. Heure par heure, le nombre de chars russes et de camions
observés est compté. De cette manière, le front est devenu transparent.
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La cybersécurité du réseau est assurée par les protocoles et les infrastruc-
tures civiles : à aucun moment mes interlocuteurs ont signalé des problèmes capa-
citaires liés aux technologies civiles. Dimensionnées pour sécuriser les paiements
par Internet, elles sont en mesure de chiffrer les liaisons, de signer les données et de
fournir une identification forte des utilisateurs.
Starlink assure la connectivité sur le front. Les opérateurs de drone utilisent
leur tablette Android laquelle est connectée par Wifi à une station Starlink. De cette
manière les données montent et descendent du front malgré le brouillage des Russes.
Innovation organisationnelle
Plus de 100 start-up produisent des drones, des applications et des algo-
rithmes. Les start-up animent des forums d’échanges technologiques. Des hackathons
de drones sont organisés pendant lesquels les nouveaux projets sont formalisés
entre développeurs, entrepreneurs et militaires.
La logique d’acquisition de l’armée ukrainienne s’est adaptée à l’économie
des start-up : l’armée a remplacé les appels d’offres dont la mise en place durait trop
longtemps par une certification organisée par le ministère de la Transformation
digitale. Le cycle de certification dure environ 3 mois. Les fabricants de drones se
conforment aux protocoles et aux besoins du moment. Des tests sur le terrain sont
réalisés avec les officiels lors de la certification.
Les achats de drones sont réalisés directement par les unités. Une fois la
certification effectuée, les différents bataillons, le GUR (le renseignement mili-
taire), les bataillons de drones, ou les centres de formation, achètent les drones cer-
tifiés. Le financement est soutenu par des associations et par la population. Acheter
et offrir un drone est emblématique du soutien des particuliers à leur armée.
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microdrones à des serveurs puissants et en embarquant des fonctions de plus en
plus évoluées d’Intelligence artificielle (IA) que leurs performances augmenteront.
L’IA ouvre la voie de l’autonomie complète des drones. Par exemple, le
besoin actuel le plus pressant est d’automatiser la phase finale du guidage des
drones kamikazes. Lorsqu’il parcourt les dernières centaines de mètres le drone est
le plus souvent brouillé, il passe sous la « line of sight » du lien radio. Il a besoin de
fonctions autonomes pour rester accroché à sa cible. Les algorithmes pour traiter
cette question sont disponibles. Chez Parrot, nous innovons et développons
l’autonomie : en rendant notre autopilote programmable, cela permet d’adapter les
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drones existants à des « missions autonomes » changeantes.
Le vol sans GPS est une nouvelle nécessité, il est réalisable par traitement
d’images. Le drone doit déployer deux familles d’algorithmes. L’odométrie visuelle
qui consiste à mesurer le déplacement du drone à partir de points dans les images
vidéo. Cette technique est précise, cependant elle présente une limitation comme
la navigation avec une centrale inertielle : la dérive s’accumule dans le temps. La
localisation sur une carte permet au drone de recaler l’odométrie visuelle. Les codes
de vol sans GPS nécessitent des processeurs puissants et ils commencent à être
disponibles en Ukraine sur les drones de toutes dimensions.
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IA, numérIque, drones, robots : vers lA guerre de demAIn
journées. Des écoles de drones devraient être organisées en libre accès. Les simula-
teurs de pilotage des drones doivent être disponibles sur les ordinateurs et les
smartphones des soldats qui s’entraîneront au pilotage des drones comme ils jouent
aux jeux vidéo.
Promouvoir les standards est essentiel. La standardisation est un moteur
caché du succès de l’industrie du high-tech. Les interfaces USB ou HDMI, les
protocoles TCPIP, USP ou RTSP, les formats des données Jpeg (image) ou H265
(vidéo), la normalisation des systèmes d’exploitation Android, iOS et Linux a
entraîné le développement d’applications en très grand nombre. De la même
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manière, il faut promouvoir une normalisation des protocoles utilisés par les
microdrones. Les normes open source émergent en ce moment. Le protocole de
commande MAVLink ou le format de données GUTMA permettent d’envisager
une interopérabilité entre les drones pour faciliter une infrastructure commune.
Développer une infrastructure basée sur des technologies civiles permet
d’organiser une armée de drones. Des tablettes Android avec le logiciel ukrainien
Kropyva ou américain Atak sont des exemples à suivre. Les tablettes coûtent envi-
ron 1 000 € et sont sécurisées. S’équiper de liaison satellite civile comme Starlink
permet de se connecter à Internet en étant au front. En équipant les forces d’accès
à l’Internet, on se dote d’une infrastructure évolutive qui s’adaptera aux avancées
inéluctables de l’IA.
Les start-up développeront les microdrones de manière continue. En
Ukraine, aucune entreprise historique de l’industrie de défense ou de l’aéronautique
ne développe avec succès les drones. Ce sont les start-up qui font les drones et les
logiciels de traitement d’images. L’armée de drones sera développée par des start-up
ou ne sera jamais développée. Les start-up ne sont pas adaptées aux programmes
longs, elles ont besoin de programmes courts. Il existe en France un réseau de
start-up de qualité qui obtiennent des succès à l’export. Augmenter leur présence
au sein des forces armées, développer un circuit court d’acquisition en suivant le
modèle ukrainien est certainement la meilleure tactique pour disposer d’une armée
de drones de qualité.
Un plan de développement
Les drones sont une révolution holistique, j’en suis convaincu !
L’innovation en matière de microdrones consiste à développer en permanence un
écosystème. Les drones amènent le high-tech civil au front. Aujourd’hui, ils rendent
le front transparent et offrent des munitions téléopérées en nombre. Demain, l’IA
et la connexion en réseau apporteront de nouvelles avancées. Développer l’armée
de drones pourrait se faire de la manière suivante :
• S’équiper en quantité de drones sur étagère, en suivant la typologie des
Ukrainiens : drones d’observation, drones kamikazes, quadricoptères lourds de
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bombardement, avions de reconnaissance, munitions téléopérées. Ces drones sont
maintenant disponibles sur étagère.
• Connecter les drones est source du progrès futur. On devrait mettre en
place une infrastructure Internet en s’inspirant de l’Ukraine. Par étapes, on pourrait :
– développer un serveur de streaming temps réel des vidéos de drones ;
– s’équiper d’une application de réglage d’artillerie sur tablette ;
– s’équiper d’une infrastructure par satellite d’Internet au front avec du matériel
civil ;
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– déployer avec le plus grand soin les protocoles de sécurité.
• Participer à la normalisation, inéluctable. Aux États-Unis, le protocole
de pilotage des microdrones est en cours de normalisation. Nous devons participer
à cette normalisation, car rendre les drones interopérables, c’est multiplier leurs
capacités.
• Offrir un site de test de guerre électronique accessible de manière per-
manente. Cela permettra aux industriels de tester leurs équipements en conditions
réelles. Cela permettra aussi de former les opérateurs de guerre électronique et de
les confronter aux drones en rapide évolution.
• Faire évoluer la doctrine d’usage. Lorsque j’interroge les militaires
Ukrainiens au sujet de leurs formations en Angleterre ou en France, ils me répon-
dent que les formations sont très intéressantes pour le maniement de l’artillerie et
des armes classiques, mais pas en matière d’utilisation de microdrones pour lesquels
aucune doctrine moderne ne leur est enseignée. Les Ukrainiens utilisent mainte-
nant des microdrones à tous les échelons et pour toutes leurs opérations : artillerie,
combat urbain, déploiement de véhicules, combat nocturne. Ils constatent notre
retard en matière de doctrine. Les drones doivent être utilisés en nombre par toutes
les armes.
• Investir dans la formation. Beaucoup de soldats pourraient recevoir une
formation de base. Des jeux vidéo réalistes leur permettront de se perfectionner.
• Favoriser l’écosystème des start-up, en créant un cycle court de Recherche
& Développement (R&D) et de validation. Les start-up doivent s’organiser elles-
mêmes pour rendre leurs produits compétitifs et les commercialiser en suivant les
standards auprès de nombreux clients de l’Otan. w