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Drones et robots, aperçu historique d’une accélération

Jérôme Dollé, Jérôme Pellistrandi


Dans Revue Défense Nationale 2023/10 (N° 865), pages 24 à 28
Éditions Comité d’études de Défense Nationale
ISSN 2105-7508
DOI 10.3917/rdna.865.0024
© Comité d?études de Défense Nationale | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via CY Cergy Paris Université (IP: 193.54.115.197)

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Drones et robots,
aperçu historique
d’une accélération
Jérôme DOLLÉ - Jérôme PELLISTRANDI
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Secrétaire général de rédaction, auditeur de la 226e session Rédacteur en chef de la RDN.
régionale de l’IHEDN.

L
es conflits de haute intensité en Ukraine mais aussi dans la bande de Gaza
ont démontré le rôle indispensable des drones et des robots. Ceux-ci n’ont
cependant pas attendu 2022 pour être présents dans les arsenaux des puis-
sances militaires. Depuis longtemps, le drone est devenu d’usage courant tant dans
le champ militaire que dans des applications civiles. De l’hélicoptère « jouet »
disponible dans les rayons des grandes surfaces, jusqu’à l’engin ayant la taille d’un
avion Airbus, le choix n’a cessé de s’élargir apportant de nouvelles fonctionnalités.
Pourtant, le paradoxe est que le drone, s’il ne cesse d’évoluer en touchant tout le
spectre des milieux – des fonds marins à des altitudes stratosphériques –, n’est pas
une nouveauté du XXIe siècle mais le fruit d’une évolution permanente bénéficiant
des progrès du positionnement, du guidage et maintenant de l’intelligence artifi-
cielle (IA).

Des concepts déjà anciens

Dès la Seconde Guerre mondiale, les progrès technologiques de l’aéronautique


et des télécommunications ont vu le développement d’une première génération
autour d’engins sans équipage à bord. Dans le domaine aérien, les exemples les
plus emblématiques ont été les V1 et V2 développés par l’Allemagne nazie. Les
bombes volantes V1 construites à environ 35 000 exemplaires ont, certes, eu des
effets destructeurs spectaculaires sans pour autant briser le moral des populations
civiles bombardées, principalement en Angleterre. Les fusées V2 ont, quant à elles,
ouvert la voie vers l’astronautique et la conquête spatiale, au prix de la souffrance
des déportés fabriquant ces engins de mort. Sur le plan terrestre, la Wehrmacht avait
développé le Leichte Ladungsträger Goliath, un petit engin chenillé de 370 kg télé-
commandé par fil qui pouvait parcourir jusqu’à 1,5 km avant que son explosion
ne soit déclanchée. Ces quelques exemples montrent que l’idée de ce que l’on

Revue Défense Nationale n° 865 - Décembre 2023


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IA, numérIque, Drones, robots : vers lA guerre De DemAIn
n’appelait pas encore drone (1) ou robot était plus qu’une idée d’ingénieur mais
bien une réalité opérationnelle. Autonomie, guidage et télécommande étaient déjà
les éléments dimensionnants pour arriver à fabriquer un engin utilisable.

La France n’a pas été en reste avec en


1946 la réalisation d’un aéronef cible, le CT.10
dérivé du V1 allemand. Équipé d’un pulso-
réacteur, le CT.10 fut utilisé jusque dans les
années 1950 avant d’être remplacé par le
CT.20 (ci-contre) fabriqué par Nord Aviation.
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Celui-ci fut fabriqué jusqu’en 1984 avec
1 530 exemplaires produits. Il fut même dérivé
un système de reconnaissance, le drone R20,
destiné à accompagner les régiments Pluton
chargés de mettre en œuvre le missile nucléaire. Le R20 était radioguidé et dispo-
sait d’appareils photos pour acquérir des cibles potentielles.

Paradoxalement, ce savoir-faire français n’a pas été exploité par la suite,


malgré l’expérience acquise depuis 1946. Parmi les causes, la complexité de la mise
en œuvre dont le radioguidage alors sensible au brouillage et les délais nécessaires
pour exploiter les images argentiques alors recueillies.

Il n’en demeure pas moins que le développement de drones aériens s’est


accéléré après la fin de la guerre froide en particulier aux États-Unis avec de nom-
breux programmes ambitieux et qui ont bénéficié d’un atout majeur qu’a été le sys-
tème de géopositionnement par satellite. En effet, le système Transit est développé
à des fins strictement militaires en 1958 et opérationnel en 1964. À partir de 1967,
son usage s’étend vers le monde civil. Il est ensuite remplacé par le NAVSTAR GPS
(Global Positioning System), conçu à partir de 1973. Un premier satellite GPS est
lancé en 1978 et le service opérationnel débute en 1995. Le GPS – et maintenant
ses équivalents européens (Galileo), russe (Glonass) ou chinois (Beidou) – a été un
des éléments clefs pour que les projets de drones puissent progresser. Dans un pre-
mier temps, c’est bien la troisième dimension qui est la plus facilement utilisable
car les contraintes sont moindres en raison d’un milieu relativement homogène
(sous réserves des conditions météo). À cela se rajoute la question des élongations
et de l’autonomie en progression constante. Ainsi, le RQ-4 Global Hawk construit
par Northrop Grumman mis en service à partir de 1999 peut voler jusqu’à
36 heures, dépassant largement l’endurance d’un équipage embarqué.

Si les États-Unis ont été pionniers ces dernières années avec une produc-
tion croissante et des systèmes de plus en plus variés couvrant un spectre de plus

(1)
Pour l’anecdote, la première mention du mot « drone » dans la RDN, remonte à août 1946 dans l’article qui relate
« Les expériences de Bikini » et l’utilisation par les Américains d’avions sans pilote destinés à collecter des données.

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en plus large comprenant des drones armés capables de frappes, il faut bien
admettre que les pays européens, dont la France, ont mis du temps à mettre en
œuvre de tels engins avec des réticences quant à leur armement et en préférant se
procurer notamment le drone MQ-9 Reaper de conception américaine.
On peut cependant considérer qu’au début des années 2020, l’usage du
drone aérien est devenu une réalité tant pour les aviateurs que pour les soldats de
l’Armée de terre avec l’accroissement des micro
et mini-drones comme le Black Hornet de la
taille d’un moineau. L’apport des drones, en
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particulier pour la reconnaissance tactique, est
devenu indispensable créant d’ailleurs de vraies
filières professionnelles et industrielles, avec de
nombreuses start-up proposant en permanence
des innovations facilement disponibles, au
risque d’ailleurs d’une obsolescence très rapide.

Une banalisation

La guerre en Ukraine – sans oublier d’autres conflits comme celui entre


l’Arménie et l’Azerbaïdjan – a démontré l’ampleur de l’usage du drone dans la
bataille avec un accroissement quantitatif et qualitatif.
Pratiquement jusqu’au niveau de la section d’infanterie ou du peloton blindé,
le drone est devenu incontournable, tant pour l’acquisition du renseignement que
de la destruction de l’adversaire. À cet égard, les forces armées ukrainiennes ont fait
preuve d’une inventivité et d’une agilité déconcertantes. Très vite, les vidéos de
blindés russes détruits ont contribué à renforcer le moral de la population ukrai-
nienne et donc la résilience de la nation face à la guerre imposée par Moscou.
Dans les nouveautés engendrées depuis le 24 février 2022 est apparu le
drone à usage unique ou à durée de vie limitée. Il en est ainsi des munitions
rôdeuses ou « kamikazes » qui une fois lancées, doivent être impérativement
consommées. Cela induit également la nécessite d’un coût de fabrication particu-
lièrement bas pour que l’emploi soit le plus large possible. Ainsi, le Switchblade
américain à 6 000 dollars peut détruire un blindé d’un million de dollars.
Cette banalisation militaire se double
d’une banalisation civile là aussi spectaculaire.
Ainsi, dès 2017, SNCF Réseau a développé
une filiale dédiée au drone : Altametris. Ils sont
utilisés pour surveiller/inspecter les infrastruc-
tures (voies ferrées, viaducs, etc.) et leurs
abords, fournir et modéliser des plans 3D,

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IA, numérIque, Drones, robots : vers lA guerre De DemAIn
démontrant la dimension désormais incontournable des drones dans tous les
champs d’activité.
Il faut également comprendre que le
drone ne remplace pas l’avion ou l’hélicoptère,
même si certains posent le débat en ces termes,
il les complète en offrant une gamme de nou-
veaux services et d’avantages comme la dimi-
nution d’exposition au risque pour ceux
mettant en œuvre ces engins, comme ce fut le
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cas lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris
en avril 2019 avec l’intervention d’un Colossus
de la société Shark Robotics. Développé en France en coopération avec des
Sapeurs-Pompiers, cet engin d’une demi-tonne est capable de résister à une chaleur
de plus de 900° C et d’opérer pendant une douzaine d’heures.
Face à l’augmentation des besoins, il a fallu créer de véritables filières pro-
fessionnelles pour la formation des pilotes. Ainsi, l’Armée de terre vient d’inaugurer
l’École des drones à Chamont-Semoutiers (Haute-Marne), colocalisée avec le
61e Régiment d’artillerie qui met en œuvre le Système de mini drones de reconnais-
sance (SMDR) de Thales et bientôt le Patroller de Safran.

Vers une extension du domaine d’emploi


Après la troisième dimension, la robotique concerne aussi le terrestre où les
difficultés techniques sont plus complexes, ne serait-ce que par l’hétérogénéité des
terrains et des infrastructures en particulier en zone urbaine. Là encore, une
des contraintes porte sur la capacité de guidage, que ce soit par télécommande ou
par liaison filaire. Les progrès sont quasiment exponentiels sans toutefois oublier
que les conditions d’emploi en opérations ne sont pas celles d’un déploiement dans
un espace non conflictuel. Il n’en demeure pas moins que la dualité des drones ou
des robots terrestres constitue un atout tant pour le développement que pour
l’extension des missions. Ainsi, un robot de reconnaissance NRBC peut intervenir
autant sur le site d’un accident industriel que dans une zone polluée par une frappe
chimique.
L’apport de la miniaturisation et celui
de l’IA accéléreront sans nul doute le dévelop-
pement des drones dans toutes les dimensions,
que ce soit pour les appareils de combat de cin-
quième génération comme pour le drone issu
du Neuron conçu par Dassault et qui accompa-
gnera le Rafale F5 dans le cadre de la Loi de
programmation militaire (LPM) 2024-2030. Il

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faut aussi souligner l’essor des essaims de drones qui pourront saturer un compar-
timent de l’espace aérien et faire une menace majeure sur des troupes au sol.
Il en est de même dans la dimension
maritime où les conditions d’exploitation sont
complexes. Le drone marin doit disposer d’une
autonomie, tant pour sa navigation que pour
ses algorithmes de pilotage. Là encore, les
spectaculaires destructions de navires russes par
des engins ukrainiens sans pilote de la taille
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d’un canoë, démontrent un nouvel usage opé-
rationnel et d’une capacité d’innovation à
moindre coût. Ici, on voit l’élargissement de la gamme entre un drone à usage
unique et un drone sous-marin capable de recueillir du renseignement ou de sur-
veiller un vaste espace maritime.
Naval Group s’est ainsi doté d’un Démonstrateur de drone sous-marin océa-
nique (DDO) de 10 tonnes et pouvant plonger jusqu’à 150 m de profondeur.
Celui-ci pourrait mener des missions à caractère militaire mais également civil
comme la surveillance de la ressource halieutique, permettant ainsi d’éviter le
déploiement d’un navire à équipage. De même, pour la Marine nationale, le
Système de lutte anti-mines marines futur (Slamf) fait l’objet d’une coopération
franco-britannique afin de développer un système de drones destiné à accroître la
sécurité des marins dans ce genre d’opérations.
De fait, avec l’IA et la diminution des coûts, le spectre d’emploi ne va cesser
de s’élargir, avec des produits dont la dualité sera la marque de fabrique. Cependant,
les engins exclusivement militaires viendront compléter d’autres systèmes. Il est en
effet peu probable qu’à moyen terme des drones comme les remote carriers (ou
« effecteurs déportés ») aient des applications civiles.
Parmi les débats déjà en court, se pose la question de l’autonomie décision-
nelle du drone, celle-ci bénéficiant des apports de l’IA. Un drone armé pourrait-il
décider de lui-même d’appliquer ses feux sur une cible ? La réalité technologique
le permet et la tentation peut être grande pour certains acteurs, qu’ils soient éta-
tiques, terroristes ou criminels, de franchir le pas. Une régulation est-elle possible ?
La remise en cause actuelle des modes de régulation des relations internationales
considérées comme trop « occidentales » ne peut qu’inciter au pessimisme. Il est
donc nécessaire à la fois de développer un éventail de plus en plus large, une dro-
nisation au profit de nos forces mais aussi de travailler à ne pas se faire surprendre
par un compétiteur qui emploierait sans limite des flottes de drones ou de robots
débordant nos capacités de défense. w

mots-clés : Drones, robots, GPS, IA.


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