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David Teurtrie
Dans Politique étrangère 2023/4 (Hiver), pages 53 à 64
Éditions Institut français des relations internationales
ISSN 0032-342X
ISBN 9791037306258
DOI 10.3917/pe.234.0053
© Institut français des relations internationales | Téléchargé le 12/12/2023 sur www.cairn.info via Institut Français de la RDC (IP: 41.174.153.98)
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David Teurtrie, docteur en géographie, est maître de conférence à l’Institut catholique d’études
supérieures (ICES). Chargé de cours à l’Inalco, il est l’auteur de Russie. Le retour de la puis-
sance, Paris, Armand Colin, 2021.
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L’Organisation de coopération de Shanghai a été fondée en 2001 par la
Chine, la Russie et quatre pays d’Asie centrale. Au fil des années, elle s’est
mise à ressembler à une sorte d’OSCE eurasiatique. En 2017, elle s’est
élargie à l’Inde et au Pakistan, un élargissement qui a accru son poids mais
a réduit sa cohérence interne. Complémentaire du format BRICS, elle est
devenue la principale organisation régionale post-occidentale.
politique étrangère
Si, comme son nom l’indique, la Chine joue un rôle central dans l’insti-
tutionnalisation de l’OCS, sa configuration actuelle doit aussi beaucoup à
la diplomatie russe. L’organisation, qui a pour objectif principal d’assurer
la stabilité et la sécurité régionales, a rapidement été perçue comme
l’incarnation d’une forme d’alliance sino-russe susceptible de faire contre-
poids à l’Occident. Un temps décrite par la presse1 comme un adversaire
potentiel de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), l’OCS
serait plutôt comparable à l’Organisation pour la sécurité et la coopéra-
tion en Europe (OSCE), dans une version eurasiatique qui mettrait
1. Voir M. Guenec et J.-S. Mongrenier, « L’Organisation de coopération de Shanghaï : une “OTAN” eurasia-
tique ? », Regard sur l’Est, 15 septembre 2007, disponible sur : https://regard-est.com.
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de la Chine et de quatre États frontaliers issus de l’ex-URSS (Russie,
Kazakhstan, Kirghizstan et Tadjikistan) de résoudre des différends territo-
riaux le long des 7 000 kilomètres de l’ancienne frontière sino-soviétique.
Ils signent à Shanghai puis à Moscou, en 1997, deux accords visant à
réduire les forces militaires présentes aux frontières et à renforcer la
coopération transfrontalière. Surtout, ils négocient le règlement des
contentieux frontaliers qui avaient empoisonné les relations entre l’URSS
et la Chine depuis les années 1960. Les cinq États ayant pris l’habitude
de se réunir régulièrement pour régler ces dossiers épineux, ils décident
de transformer leurs rencontres en un forum régional avant tout consacré
aux problèmes de sécurité.
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De cet inventaire à la Prévert, il faut retenir la dernière proposition :
c’est bien la stabilité régionale qui préoccupe au plus haut point la Chine,
la Russie et les républiques centrasiatiques. Les pays fondateurs de l’OCS
redoutent les effets déstabilisateurs de la situation en Afghanistan, avec
le risque de conflits armés en Asie centrale. Ceux-ci auraient des répercus-
sions directes pour la Russie, ne serait-ce que par l’émigration qui s’ensui-
vrait, à l’image de ce qui s’est passé avec la guerre civile au Tadjikistan
(1992-1997) ; mais aussi pour la Chine avec la région du Xinjiang. C’est la
raison pour laquelle les États membres ont signé en 2001 la Convention
de Shanghai sur le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme, désignés
comme les « trois forces du mal » par les autorités chinoises.
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Moscou, qui émerge très affaibli des décombres de l’URSS, cherche à
améliorer ses relations avec une Chine en plein boom économique. Le
rapprochement avec Pékin, qui avait débuté avec Mikhaïl Gorbatchev, a
été poursuivi et amplifié avec constance par Boris Eltsine et Vladimir
Poutine. Les deux pays ont d’abord négocié la fin de leur contentieux
territorial, processus qui s’est achevé par la signature le 2 juin 2005 du
traité de délimitation de la frontière sino-russe. En 2001, année de création
de l’OCS, Moscou et Pékin signent un traité de bon voisinage, d’amitié et
de coopération. Ce traité a été reconduit par Xi Jinping et Vladimir Pou-
tine en juin 2021 pour une durée de cinq ans.
5. En russe, sur le site du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, 5 juillet 2005,
disponible sur : www.mid.ru.
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porte à croire que cette déclaration a été soutenue, voire suggérée, par les
autorités ouzbèkes en réaction aux critiques occidentales de la répression
des émeutes d’Andijan, en mai 2005. En effet, Tachkent a exigé le départ
des troupes américaines du pays quelques semaines après la déclaration
commune de l’OCS. La fermeture effective de la base américaine, contre
l’avis de Washington – un événement particulièrement rare à l’échelle
internationale –, est une première illustration des limites de l’influence
américaine dans la région et de l’autorité croissante de l’OCS.
De fait, les élites centrasiatiques ont été assez rapidement déçues par
leur coopération avec les puissances occidentales, dont elles attendaient
des retombées économiques plus importantes. De plus, les révolutions de
couleur (Géorgie en 2003, Ukraine en 2004 et, surtout, Kirghizstan début
2005), interprétées comme ayant été soutenues, voire suscitées, par les
Occidentaux, ont généré des craintes parmi les élites politiques centrasia-
tiques restées en place depuis la période soviétique. La trajectoire de
l’Ouzbékistan, qui avait d’abord donné la priorité au rapprochement avec
Washington afin de se dégager de l’emprise russe, illustre ces tendances
lourdes qui favorisent les deux grandes puissances frontalières de la
région.
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s’en satisfasse, accordant la priorité au renforcement des positions chi-
noises en mer de Chine et en Asie du Sud-Est.
Il n’en demeure pas moins que les deux pays, tout en étant plus proches
que jamais pour rejeter l’hégémonisme américain, jouent un jeu subtil
mêlant concurrence et coopération en Asie centrale. C’est l’une des rai-
sons pour lesquelles Moscou a tenu à ce que l’OCS reconnaisse le rôle
des structures de coopération régionale dominées par la Russie : l’OCS a
signé des accords de coopération avec la Communauté des États indépen-
dants (CEI) en 2005 et avec l’OTSC en 2007.
6. « Mémorandum entre les États membres de l’Organisation de coopération de Shanghai portant sur les
principaux objectifs et orientations de la coopération économique régionale et sur la mise en place d’un
environnement favorable dans le domaine du commerce et des investissements » (en russe), Almata, 24 sep-
tembre 2001.
7. V. Nikisina, « Glavnaâ zadača – izbavit’ biznes ot fobij o liberalizacii torgovli », TASS, 6 juin 2019, disponible
sur : https://tass.ru.
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nait dans ses grandes lignes les projets occidentaux (projet TRACECA)
visant à contourner la Russie par le sud en passant par l’Asie centrale et
la Turquie.
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tion entre l’UEE et les Nouvelles routes de la soie ». Néanmoins, les sanc-
tions européennes à l’égard de la Russie ont eu un impact négatif sur le
transit de produits européens, qui ont été remplacés par l’importation
massive de produits chinois par l’intermédiaire de ces corridors ferro-
viaires continentaux.
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Népal, Émirats arabes unis, Arabie Saoudite, Turquie et Sri Lanka.
8. B. Lo, « Russie-Chine-Inde : un vieux triangle dans un nouvel ordre mondial », Russie.Nei.Visions, no 100,
Ifri, avril 2017, p. 9.
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à l’objectif de la diplomatie russe de consolider le triangle Pékin-Moscou-
New Dehli, dans lequel la Russie occupe une place centrale grâce à ses
bonnes relations avec deux partenaires qui restent, quant à eux, dans un
rapport de méfiance.
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mouvoir des formats de coopération alternatifs visant à conférer à la
Chine une forme de centralité dans les relations internationales.
* * *
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n’est plus justifiée, ni par le poids relatif de l’Europe et des États-Unis, ni
par un universalisme remis en cause par une approche civilisationnelle.
Le défi n’est donc plus seulement géopolitique, il est aussi celui d’un
« narratif post-occidental » qui fait des émules bien au-delà du continent
eurasiatique.
Mots clés
Organisation de coopération de Shanghai
BRICS
Relations sino-russes
Gouvernance mondiale
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