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Maroc : l'émergence de l'islamisme sur la scène politique

Khadija Mohsen-Finan
Dans Politique étrangère 2005/1 (Printemps), pages 73 à 84
Éditions Institut français des relations internationales
ISSN 0032-342X
ISBN 2200920547
DOI 10.3917/pe.051.0073
© Institut français des relations internationales | Téléchargé le 09/11/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

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politique étrangère 1:2005

DOSSIER Islams d’Occident et d’ailleurs


Maroc : l’émergence de l’islamisme sur la scène politique
Par Khadija Mohsen-Finan
Docteur en science politique, Khadija Mohsen-Finan est chargée de recherches à
l'Ifri. Elle est également enseignante à l'Institut d'études politiques de Paris et à
l'Université de Venise.

Cet article s’appuie sur une étude réalisée en étroite collaboration avec Malika Zeghal,
à paraître en 2005.
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L’entrée du Parti de la justice et du développement (PJD) dans le
système politique marocain est un des éléments les plus spectacu-
laires de l’ouverture qui se traduit par l’alternance de 1998. Les atten-
tats de mai 2003 entraînent cependant la marginalisation du parti, qui
tente dès lors de revenir au centre du système, en adoptant un
discours moins religieux, et en donnant des gages à l’unité nationale
et au régime monarchique.

politique étrangère

Voici une dizaine d’années, il paraissait incongru d’évoquer l’isla-


misme marocain, tant était ferme la conviction que la fonction reli-
gieuse du roi mettait le pays à l’abri de ce phénomène. Les attentats de
Casablanca (2003) ou de Madrid (2004), impliquant nombre de Maro-
cains, ont brisé cette croyance longtemps cultivée par le pouvoir maro-
cain. Au-delà de cette actualité, un parti islamiste s’est progressivement
imposé sur la scène politique marocaine en l’espace de huit ans, repré-
sentant aujourd’hui la première force de l’opposition reconnue.

Le Parti de la justice et du développement (PJD) s’est réellement imposé


par le biais des élections législatives. La présence remarquée de ses
députés contribua à sortir le Parlement de sa longue léthargie. Mis à
l’index pour sa « responsabilité morale » dans les attentats de Casa-
blanca par une société traumatisée et hantée par le spectre algérien, les
cadres du PJD réussirent à braver les stigmates, en affichant une atti-
tude consensuelle sur nombre de questions. Progressivement, le PJD 73

semblait perdre son caractère particulier de parti d’opposition, supposé


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tiède dans son attachement à la monarchie. Quel est donc le sens de


cette entrée de l’islamisme dans l’espace politique marocain ? Et dans
quelle mesure l’existence d’une composante islamiste dans le jeu poli-
tique influe-t-elle sur le jeu international du Maroc ?

Un islam ancré dans l’espace politique

Plus que dans tout autre pays de la région, au Maroc, islam et politique
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sont intrinsèquement liés. L’histoire de la monarchie marocaine ne
saurait être dissociée de la sacralité qui lui a été octroyée. Avant l’indé-
pendance, le sultan était déjà considéré comme chérif — descendant du
prophète Mohamed par sa fille Fatima. L’origine chérifienne de la
dynastie, revendiquée par le monarque, est intériorisée par la majorité
de la population1. Cette filiation supposée de la dynastie alaouite,
s’accompagne d’une piété affichée. La monarchie, qui entretenait de
bonnes relations avec les confréries ou Zaouias, s’est également
entourée des oulémas, ces fameux docteurs de la foi. Ce n’est qu’en
1962 que le roi se voit attribuer le statut de commandeur des croyants.
Progressivement, la monarchie marocaine s’est approprié la sphère reli-
gieuse, par un travail minutieux, entamé par Mohamed V et consolidé
par Hassan II. Ce dernier réforme les institutions religieuses en profon-
deur avec un double souci : la religion lui est nécessaire pour légitimer
son pouvoir, mais la sphère religieuse ne doit en aucun cas devenir une
tribune concurrente2, incontrôlable par la monarchie.

Mohamed Tozy note que « le roi, dont la légitimité est essentiellement


religieuse, ne peut, de par son statut de commandeur des croyants
(Amir al-mouminin), accepter de reconnaître explicitement les expres-
sions concurrentes de l’islam, car cela équivaudrait à reconnaître un
schisme dans la communauté, qui entamerait sa vocation monopolis-
tique et affaiblirait la légitimité chérifienne »3. En dépit de la centralité
du religieux dans le système politique marocain, il serait vain de croire
que ce religieux se limite à une institution homogène. Malika Zeghal
explique que Hassan II a beaucoup œuvré à la « fragmenter » pour
mieux l’affaiblir, et que la véritable institution religieuse reste au final
la monarchie. Mais « celle-ci ne peut fonctionner autour d’un seul
homme – le roi –, ou de sa lignée : il lui faut l’apport de ces hommes de
religion éparpillés dans l’espace que la monarchie a fragmenté »4.

1. M. Tozy, Monarchie et islam politique au Maroc, Paris, Presses de Sciences po, 1999, p. 81.
2. M. Zeghal, « Religion et politique dans le Maroc d’aujourd’hui », Paris, Ifri, Policy Paper, n°11,
74
disponible sur <www.ifri.org>.
3. M. Tozy, op. cit. [1], p. 19
4. M. Zeghal, op. cit. [2].
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Maroc : l’émergence de l’islamisme sur la scène politique

DOSSIER Islams d’Occident et d’ailleurs


L’émergence de l’islamisme politique remet en cause le monopole de
la monarchie sur le religieux. Les islamistes tentent de dissocier
l’islam de la monarchie marocaine. Dès le début des années 1990,
Hassan II tentera de contrôler l’islamisme marocain, en isolant sa
composante radicale et en intégrant au système politique ceux qui lui
paraissent les plus respectables et susceptibles d’être l’interface entre
le mouvement islamiste et le palais. La reconnaissance du primat de la
monarchie étant bien sûr la condition d’entrée dans l’espace politique
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à la faveur d’une alternance.

Alternance et insertion dans le jeu politique

L’alternance de 1998 découle d’une idée soufflée à Hassan II par ses


conseillers, à la fin des années 1970, pour résoudre les difficultés écono-
miques et sociales du royaume. L’implication de l’opposition dans la
gestion de la vie publique présentait pour le roi de multiples avantages.
Elle mettait l’institution monarchique à l’abri d’une crise de succession,
en donnant au Maroc l’image d’un pays optant pour l’ouverture démo-
cratique. Elle permettait aussi de réinsérer dans
le jeu politique les socialistes précédemment L’émergence de l’islamisme
marginalisés. Si les socialistes voyaient d’un bon politique remet en cause le
œil de se trouver associés au pouvoir au moment monopole de la monarchie
de la succession de Hassan II, ils mirent cepen-
dant du temps à accepter l’idée de diriger le
sur le religieux
gouvernement. Les négociations furent longues ; d’autant plus longues
que le roi, qui percevait clairement les avantages de l’alternance, se
montrait très prudent dans la mise en application. En mars 1998, l’alter-
nance voulue par le roi devient réalité, et le socialiste Abderrahman
Youssoufi est appelé à diriger le gouvernement.

Si ce changement donnait un aspect plus moderne à une monarchie


dont l’image était ternie par sa gestion des droits de l’homme, l’alter-
nance maintenait l’ambiguïté sur le rôle précis de la monarchie et du
gouvernement sur des dossiers sensibles. En fait, l’association de
l’opposition socialiste au pouvoir n’isolait pas le roi, qui conservait de
facto la gestion des principaux dossiers. L’alternance lui permettait
simplement de redéfinir la fonction monarchique et son rôle dans un
jeu politique dont Hassan II continuait de fixer étroitement les règles.
Pour une grande partie de la classe politique, l’ouverture se limitait à la
multiplication des consultations électorales. Les partis traditionnels du
mouvement national (Istiqlal et Union socialiste des forces populaires,
USFP) limitèrent alors leurs revendications aux garanties juridiques et
institutionnelles de déroulement des élections, s’attachant plus aux 75
procédures qu’aux programmes.
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Ces rendez-vous électoraux, affichés comme les signes d’une ouverture


politique réelle, furent aussi l’occasion de réorganiser l’espace politique
et de l’élargir au-delà des partis nationalistes : les islamistes du PJD
bénéficient de cet élargissement. Dès qu’Hassan II annonce la possibi-
lité de l’ouverture politique, les islamistes modérés se lancent dans une
stratégie entriste, se montrant prêts à entrer dans l’action politique
légale. La légalisation d’un parti islamiste constitue une première, qui
bouleverse la vie politique marocaine, même si elle s’inscrit dans le
cadre d’un multipartisme déjà existant5.
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Le PJD est atypique sur la scène politique marocaine. Sa naissance
remonte à la rencontre d’Abdelkrim al-Khatib – un commis de l’État
proche du palais et en perte d’influence – et d’anciens révolutionnaires
du mouvement de la Chabiba al-Islamiya – un groupe qui s’est inspiré de
l’action islamiste de l’Orient arabe et qui s’était durement opposé aux
socialistes marocains dans les années 1970. On attribue à ce dernier le
meurtre d’un syndicaliste socialiste en 1975 : Omar Ben Jelloun. Son
chef, Abdelkrim Mouti’ s’exile alors en Libye ; les autres membres du
groupe hésitent entre action clandestine et intégration au système. La
seconde option est portée par l’un d’entre eux, Abdelilah Benkirane, qui
entend saisir l’occasion de l’alternance pour entrer dans le jeu politique.
Il sait aussi que le roi désire avoir une formation islamiste reconnue et
domestiquée pour faire barrage à l’islamisme radical. Mais une caution
lui paraît nécessaire, qu’il trouve en la personne d’A. al-Khatib,
médecin et serviteur du roi durant de longues années, connu pour son
loyalisme. Alors qu’il présidait l’Assemblée nationale, ce dernier s’était
pourtant opposé en 1965 à l’état d’exception, d’où sa marginalisation
dans le jeu politique. En 1992, lorsque les anciens de la Chabiba al-Isla-
miya lui proposent de fusionner avec son parti – le Mouvement popu-
laire démocratique et constitutionnel (MPDC), véritable coquille vide –
il y voit la chance de réintégrer la scène politique tout en répondant au
vœu de la monarchie : intégrer des forces politiques nouvelles dans
l’espace politique en en encadrant l’influence. En 1997, neuf membres
du PJD sont élus au Parlement.

Cette entrée des islamistes dans la vie politique allait modifier un


certain nombre de choses : tout en étant à l’intérieur du système poli-
tique, le PJD se réservait le droit de s’opposer au gouvernement, ce qu’il

5. Au Maroc le multipartisme est le choix d’une monarchie qui prend ses distances avec le parti natio-
naliste Istiqlal. Jusqu’à l’indépendance, Mohamed V est étroitement lié à cette formation et ne
dispose pas réellement des moyens de coercition nécessaires à son autonomie. Il décide alors
d’adopter une posture d’arbitre entre les différentes formations politiques, encourageant les rivalités
76
pour contrer toute hégémonie. C’est donc en tant qu’arbitre que le roi se place en dehors des partis
et au-dessus des institutions. Cette conception du multipartisme s’inscrit dans ce que certains obser-
vateurs ont appelé « la logique du pluripartisme autoritaire ».
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Maroc : l’émergence de l’islamisme sur la scène politique

DOSSIER Islams d’Occident et d’ailleurs


fit d’ailleurs sur des questions comme le microcrédit6 ou encore le projet
de modification du code de statut personnel (Moudawana7). Cette
posture, critique sans être franchement en opposition avec le gouverne-
ment, la direction du PJD l’a appelée « soutien critique au gouverne-
ment ». Tout en essayant de conserver son identité, la formation va donc
se différencier sensiblement des autres groupes islamistes du pays.

Deux grandes structures occupent au Maroc le champ de l’islamisme :


le PJD et Justice et bienfaisance (al-Adl Wal Ihssan). D’autres groupus-
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cules existent, défendant des modèles divers de société obéissant à
l’islam8. Leur stratégie, comme leur idéologie, oppose le PJD et la
formation d’Abdessalem Yassine. Le groupe de ce dernier, qui n’est pas
un parti, se situe volontairement hors du système. Idéologiquement, il
serait plus mystique que salafiste. Sa structure est centrée sur la figure
du leader charismatique. Le PJD se présente plus comme un parti de
masses usant des moyens d’un parti moderne : presse, cellules locales,
organisations de femmes, de jeunes… Il pourrait être considéré comme
« un parti du refus », mais d’un refus qui se formule dans une institu-
tion reconnue : le Parlement.

Au plan interne, le PJD est bicéphale, structure qui renvoie à l’alliance


d’hommes aux parcours divers et aux idées parfois différentes, et lui
permet de jouer comme interface entre le système et les islamistes. Cette
diversité se retrouve dans la bipolarité PJD/MUR (Mouvement unité et
réforme), ce dernier fédérant de nombreuses associations. Chacun des
deux pôles dispose de son organe de presse, al-Asr pour le PJD et Attajdid
pour le MUR. La frontière entre les deux est loin d’être étanche : la plupart
des dirigeants du PJD appartiennent au MUR, mais adoptent néanmoins
des rôles qui peuvent différer selon qu’ils se trouvent dans l’une ou l’autre
structure. Globalement, le PJD épouse ouvertement les thèses du palais
tandis que le MUR permet au parti de garder ses liens avec sa base à partir
d’un travail associatif bien structuré et de la da’wa (« prédication »).

6. En avril 1998, le groupe parlementaire PJD demande l’annulation progressive du riba (« intérêt »)
de l’économie et du système bancaire marocain, sous prétexte que « le prêt à intérêt est un péché
capital que le Coran a clairement interdit ». Il s’oppose aussi au projet de loi sur le microcrédit, en
proposant des microcrédits sans intérêt « pour que l’intérêt économique des gens ne remette pas en
cause leur identité ».
7. Le PJD s’est opposé à la réforme du code de statut personnel proposée par la monarchie. Pour
les islamistes, la Moudawana est la dernière citadelle du droit islamique.
8. En dehors des grandes formations, légale pour le PJD, et avec pignon sur rue pour al-Adl Wal
Ihssan, existent aussi des réseaux associatifs qui pratiquent le prosélytisme, mais aussi des djiha-
distes internationaux qu’on a pu voir à l’œuvre dans les attentats de Madrid, comme le Groupe isla-
77
mique combattant marocain (GICM), et des groupuscules nationaux et radicaux qui s’inspirent les
modes d’action d’Al-Qaida, comme al-Sirat al-Moustaqim, et furent à l’origine des attentats de Casa-
blanca en 2003.
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Idéologiquement, le PJD se définit comme un « parti politique au réfé-


rentiel islamique, qui s’inscrit pleinement dans le projet national d’une
société moderniste et démocratique », définition commune à ses deux
pôles, PJD et MUR. S’ils s’accordent sur le respect de la démocratie, du
pluralisme politique, le MUR
Idéologiquement le PJD se définit formule des revendications de
comme « un parti politique au démocratisation institutionnelle,
référentiel islamique, qui s’inscrit tout en rejetant la démocratie occi-
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pleinement dans le projet national d’une dentale, censée être une perver-
sion de la choura (« délibération »)
société moderniste et démocratique » – une consultation qui existait déjà
à l’époque du prophète. On peut repérer dans l’idéologie du MUR le
rejet d’un Occident tenu pour responsable de la « désislamisation » de
nombre de pays, au nombre desquels le Maroc : les effets pervers de la
colonisation du Maroc ne se sont pas dissipés avec l’indépendance et
ont survécu dans des attitudes individuelles ou collectives (corruption,
exercice du prêt à intérêt, consommation d’alcool, mixité, marginalisa-
tion de l’arabe…) Cette déculturation serait entretenue par les politi-
ques d’enseignement qui auraient failli à leur mission : lier
enseignement et morale, comme dans l’enseignement traditionnel. Ce
rejet d’un Occident responsable de l’acculturation des sociétés coloni-
sées et allié d’Israël, s’inscrit au cœur de l’idéologie islamiste dès le
début des années 1990, comme discours mobilisant les musulmans
pour défendre une Oumma menacée et victime en Palestine, en Afgha-
nistan, en Bosnie, en Algérie, en Tchétchénie, aujourd’hui en Irak.

La focalisation sur des thèmes culturels et les valeurs morales se retrouve


dans le discours du PJD dans son ensemble. Jusqu’en 2003, la moralisa-
tion des mœurs et de la société constitua son cheval de bataille. Cette
manière d’aborder le politique par la morale lui permet de s’annexer le
discours religieux, d’éviter de remettre en cause frontalement le système
politique, et de toucher de larges couches sociales soucieuses de leur
« authenticité » marocaine. En mettant l’accent sur la moralisation des
mœurs, le discours du PJD s’ancre dans les grands principes de l’isla-
misme en épargnant le système politique dans son ensemble.

Les attentats du 16 mai 2003 :


stigmatisation et marginalisation du PJD

Dans la nuit du 16 mai 2003, cinq attentats suicides font 43 morts à


Casablanca, frappant des lieux symboliques : restaurants tenus par des
Européens, cercle de l’Alliance israélite, ancien cimetière juif… Alors
78
qu’est évoquée la responsabilité de réseaux étrangers, l’enquête se
concentre sur un petit groupe islamiste radical : al-Sirat al-Moustaquim
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Maroc : l’émergence de l’islamisme sur la scène politique

DOSSIER Islams d’Occident et d’ailleurs


(« le droit chemin »). Les kamikazes sont marocains, et la plupart
d’entre eux originaires de Sidi Moumen, un bidonville de la périphérie
de la capitale économique.

Dans les jours qui suivent, l’ensemble de la classe dirigeante stigmatise


les islamistes marocains et en particulier le PJD ; des membres du
gouvernement – comme le ministre de la Justice – demandent sa disso-
lution. Bien avant les attentats, des divergences importantes opposaient
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déjà, dans les cercles du pouvoir, ceux qui voulaient intégrer les isla-
mistes dans le jeu politique au nom de la démocratie, et ceux qui enten-
daient les marginaliser. L’épreuve du 16 mai posait une double
question, fondamentale pour l’avenir du PJD. Quels liens existaient
entre un parti reconnu, intégré dans le système politique, et l’islamisme
radical ; et donc pouvait-on maintenir le PJD dans un espace politique
que la monarchie voulait ouvert et concurrentiel ?

Au lendemain des attentats, le PJD était réellement mis à l’index,


comme s’il fédérait ou représentait l’ensemble de la mouvance isla-
miste du pays. La stigmatisation était au premier chef l’œuvre des
formations de gauche, l’USFP, le Parti du progrès et du socialisme
(PPS), qui mettaient en avant sa « dangerosité » en se référant à
l’époque de la Chabiba, quand ses membres n’hésitaient pas à utiliser la
violence contre leurs adversaires.

L’entreprise de marginalisation dépassait la gauche marocaine pour


gagner la classe politique dans son ensemble. Le 25 mai, une marche
était organisée par les différentes formations politiques, pour « dire non
au terrorisme ». Officiellement, le PJD ne fut pas autorisé à y participer
pour des raisons de sécurité. Indirectement, le roi cautionna la mise à
l’écart, se félicitant dans un discours du succès rencontré par cette
manifestation sans mentionner la mise à l’écart du PJD. Les reproches
qui imputaient à ce dernier une responsabilité morale pointaient l’inci-
tation à la violence véhiculée par un discours moralisateur et populiste.
On dénonçait aussi la démagogie de cadres du parti faisant écho au
discours salafiste ; et plus généralement un amalgame entre religion et
morale qui exacerbait les passions.

Dès avant les attentats, des propos de certains responsables du PJD


avaient irrité la classe politique. En mars 2003, Ahmed Raissouni, qui
présidait alors le MUR, déclarait à un journal marocain que la comman-
derie des croyants pouvait être représentée indifféremment par le roi ou
le Premier ministre, et que Mohamed VI n’avait pas les qualifications
requises pour assurer cette fonction. Réputé pour son radicalisme, 79
A. Raissouni désacralisait la fonction de commandeur des croyants, et
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fragilisait la monarchie en remettant en cause sa légitimité religieuse.


Parallèlement les déclarations du docteur al-Khatib, peu avant le 16 mai,
sur les risques d’attentats, furent aussi préjudiciables au parti.

En dépit d’une défense très articulée et politique de la part de ses res-


ponsables, les attentats de Casablanca ont considérablement isolé le
PJD. Marginalisé par les salafistes
En dépit d’une défense très politique, qui lui reprochaient de cautionner le
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les attentats de Casablanca ont système politique, il était désormais
considérablement isolé le PJD mis à l’index par la gauche, et con-
traint à rendre des comptes à la
monarchie. Sa marge de manœuvre se restreignait jusqu’à le contrain-
dre à accepter la loi contre le terrorisme, ou le Code du travail, en met-
tant à l’écart les éléments les plus radicaux, comme A. Raissouni, pour
garder quelque légitimité sur la scène politique.

Réinsertion et « banalisation » des islamistes reconnus

Deux événements allaient pourtant donner au PJD l’occasion de


démontrer son intégration à la vie politique marocaine, et même sa
proximité du Palais : les municipales de septembre 2003, et le
Ve congrès du parti en avril 2004.

Les élections municipales sont organisées le 12 septembre 2003, avec


trois mois de retard, le pouvoir craignant de ne pouvoir maîtriser un
scrutin aux multiples enjeux. Dans le premier scrutin municipal du
règne, Mohamed VI entend en effet consolider l’ouverture politique de
1998, et limiter le succès des islamistes après les événements du 16 mai.
Avant les attentats, nombre d’islamistes du PJD se targuaient de
pouvoir remporter plusieurs villes, et non des moindres. Si les attentats
n’avaient pas changé la donne, Tanger ou Casablanca auraient sans
doute été à la portée du PJD, sans préjudice des bons scores qui
pouvaient être réalisés à Fès, Agadir ou Rabat. Face aux accusations
dont elles étaient l’objet, les instances dirigeantes du PJD décidaient de
jouer la modération, en « s’autorégulant » selon leur propre expression.
Répondant aux vœux du pouvoir, la première force d’opposition déci-
dait d’être présente dans seulement 18 % des circonscriptions. Les
responsables du parti ne faisant pas mystère d’avoir engagé des négo-
ciations préélectorales avec le Palais, et d’avoir privilégié l’intérêt du
pays sur celui du parti, pour ne pas effrayer des Marocains redoutant
un scénario à l’algérienne9.

80
9. En référence au succès des islamistes du Front islamique du Salut (FIS) algérien aux élections
municipales de janvier 1992. L’armée avait alors décidé d’interrompre l’élection, et l’Algérie entra
dans un cycle de violence de près d’une décennie.
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DOSSIER Islams d’Occident et d’ailleurs


Une sagesse qui n’est sans doute pas approuvée par tous : à Casablanca,
deux cadres du PJD démissionnent et se présentent comme candidats
indépendants. Choix délibéré ou injonction du Palais, le PJD n’a donc
pas présenté de candidat dans des villes qui semblaient acquises ; il
n’était pas présent non plus dans les zones rurales, ne concourant que
dans certains secteurs des grandes villes, et avec un programme très
différent de celui des législatives de 2002, où il s’était imposé comme la
première force d’opposition. Mais là où il s’est présenté, il a réalisé de
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bons résultats, et son classement en onzième position au plan national
ne traduit pas son audience réelle ni le rapport des forces dans le pays.
On peut penser que l’attitude du parti était le prix à payer pour éviter
une dissolution, dont on le menaçait.

Après huit années d’existence légale et l’épreuve du 16 mai, le Ve congrès


du PJD, en avril 2004, avait valeur de test. Attachés à normaliser son
image, ses responsables réunissent donc les assises d’un parti « comme
les autres » dans l’immense complexe sportif Moulay Abdallah à Rabat,
lieu de réunion traditionnel des grands partis politiques marocains.
D’entrée, le nouveau secrétaire général, Saadeddine Othmani, déclare :
« le PJD reste fidèle à la voie qu’il a suivie dès le début, en demeurant
attaché aux fondements et aux valeurs sacrées de la nation, à savoir
l’islam, l’unité nationale et la monarchie constitutionnelle »10.

Les journaux marocains et les journalistes étrangers ont pu constater


l’efficacité de l’organisation : en une journée et demie, toutes les
instances ont été renouvelées, par des votes publics et transparents. Le
public présent se distinguait par sa jeunesse (plus de 90 % des partici-
pants avaient moins de 50 ans), tranchant considérablement avec les
autres partis marocains. L’ancien secrétaire général, A. al-Khatib (84
ans), démissionnait, mais après avoir pris soin d’écarter les représen-
tants de l’aile radicale du parti, Mustapha Ramid11 et Ahmed Raissouni,
le premier réclamant une réforme constitutionnelle et le second remet-
tant en question le cumul par le roi de la commanderie des croyants et
de la présidence de l’exécutif. Ces deux grandes figures, très populaires
au sein du parti, n’en étaient pourtant pas exclues, mais seulement
privées de responsabilité.

La tâche du nouveau secrétaire général n’est pas simple. Si l’heure est à


l’apaisement et à la normalisation, il ne peut se désolidariser de la
branche « dure », très populaire à la base. Il se contentera donc de dire :
pour nous, la réforme de la Constitution n’est pas à l’ordre du jour. Il

81
10. Discours prononcé à l’ouverture du Ve Congrès, documents du PJD.
11. Il reste membre du secrétariat général du parti.
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politique étrangère 1:2005

s’agit donc plus d’un ajournement que d’un désaveu. Déchargés de


responsabilités, les leaders radicaux gardent leur liberté de parole, tandis
que les gages d’intégration du parti au système politique ont été donnés.

L’intégration des islamistes du PJD au système politique marocain n’est


pas un phénomène nouveau. On a dit comme son entrée même sur la
scène politique avait dépendu de négociations avec le Palais. Mais cette
insertion s’était progressivement effritée et quelque distance avait été
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prise avec le régime. Après les législatives de 1997, le parti connut une
phase de « soutien critique au gouvernement » — selon l’expression de
ses dirigeants. Par la suite, il se mobilisa
Le PJD est un parti royaliste […] contre le plan d’intégration de la femme
nous avons réalisé de manière au développement. En janvier 2004, il
est contraint de ravaler ses objections et
précoce que la monarchie au d’accepter le nouveau code de la famille
Maroc était une donnée historique agréé par l’arbitrage royal. Après le
et positive qu’il fallait sauvegarder 16 mai, il ne peut échapper à une « mise
en cause morale ». Au Ve congrès,
l’heure est à la réaffirmation de son intégration au système. A. Benki-
rane, nouveau président du conseil national, affirme : « le PJD est un
parti royaliste […] nous avons réalisé de manière précoce, que la
monarchie au Maroc était une donnée historique et positive qu’il fallait
sauvegarder ». Devant des invités venus de l’ensemble de la classe poli-
tique et de l’étranger, les responsables du parti mettent en avant des
thèmes exclusivement politiques, récupérant des valeurs chères à la
monarchie et au Makhzen12.

Deux arguments apparemment contradictoires sont exprimés par les


quadras du parti. D’un côté, il s’agit de montrer que le PJD s’inscrit dans
une dynamique de changement, de rénovation, du système politique,
voire des modes de gouvernance. Le secrétaire général S. Othmani ne
martèle-t-il pas au congrès : nous sommes trop seuls à l’Assemblée, il
faut que ça bouge, faisant ainsi référence aux autres groupes parlemen-
taires qu’il accuse implicitement de mutisme et d’immobilisme ? La
commission préparatoire au congrès a répertorié les actions les plus
urgentes : la lutte contre la corruption, les passe-droits, l’opacité des
marchés publics, la politisation de l’administration, ainsi que la refonte
de l’impôt sur le revenu… Plus largement, il s’agit de redonner

12. Le Makhzen est considéré comme une forme de gouvernement traditionnelle, centrée sur l’appro-
priation, la renaissance et la rénovation du sultanat chérifien. Il avait déjà, du temps du sultanat, trois
fonctions essentielles : contrôler les principaux centres de production, servir d’arbitre dans les
conflits entre tribus et groupes, et défendre le territoire face aux visées étrangères. Après l’indépen-
dance, il continue d’exister, reprenant des signes et des symboles anciens comme la Ba’ya, qui
82
signifie à la fois l’étiquette, l’arbitrage du roi, la cérémonie d’allégeance… Aujourd’hui, est considéré
« makhzénien » un homme ou un mouvement qui se réapproprie les valeurs de la monarchie mais
aussi ses modes de gouvernement, manière d’adhérer au système monarchique dans son ensemble.
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Maroc : l’émergence de l’islamisme sur la scène politique

DOSSIER Islams d’Occident et d’ailleurs


confiance aux Marocains, en prouvant que les hommes politiques sont
capables d’agir de manière désintéressée, et que la chose publique peut
être assimilée à la morale. Soucieux de montrer que la démocratie
commence au sein même de la vie partisane, les responsables du PJD
souhaitent une loi sur le financement des partis politiques avant les
prochaines élections. En formulant ces thèmes d’action, le PJD s’éloigne
de sa réputation de formation au référent religieux.
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Parallèlement à cette volonté d’initier une vraie démocratie, sans
corruption, les cadres du parti affichent un attachement sans faille à la
monarchie, se réclamant de thèmes chers au palais, comme l’intégrité
territoriale. Une dimension particulièrement intéressante, dans la
mesure où il s’agit d’une valeur commune à l’ensemble des Marocains,
et où la monarchie et l’Istiqlal (le plus ancien parti politique marocain),
se la sont âprement disputée. Dans le contexte actuel, cela revient bien
sûr à défendre les thèses de la monarchie sur le Sahara occidental,
« provinces du sud ». Sur cette question traditionnellement gérée par le
Palais seul, le PJD a dépassé le déclaratoire et a tenté de s’impliquer
dans l’intégration des provinces « sahariennes ». En juin 2004, il a ainsi
symboliquement organisé son premier congrès régional à Laayoun,
« capitale » du Sahara, en concluant : « le PJD est favorable à une solu-
tion politique à la question du Sahara marocain qui préserve la souve-
raineté et l’unité territoriale du Royaume »13.

Dans un contexte marqué par la recherche d’une solution politique, le


PJD tente de s’attirer la confiance du pouvoir en abondant dans le sens
de la protection de l’intégrité territoriale, essayant ainsi de se démar-
quer des autres formations. En œuvrant sur le terrain, en proposant des
solutions, le PJD tente de réussir là où les autres ont échoué : s’associer
à la monarchie dans la recherche d’une sortie.

***

En l’espace de deux années, les références du parti ont beaucoup


évolué. En septembre 2002, son cheval de bataille est d’ordre religieux
et moral ; deux ans plus tard, les thèmes sont essentiellement politi-
ques, réaffirmant haut et fort l’attachement à la monarchie. Alors
qu’elle disait ne pas vouloir participer au gouvernement, la direction
du parti se dit, depuis l’été 2004, prête à étudier toute proposition qui
pourrait lui être faite14.

83
13. Aujourd’hui le Maroc, 29 juin 2004.
14. S. Othnami, Radio France Internationale, interview du 19 août 2004.
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politique étrangère 1:2005

Les exigences du parti ont changé : il ne s’agit plus d’un parti du refus,
mais d’un parti banalisé, « makhzénisé », qui entend influer sur le
système. Le 22 mai 2004, le PJD se rapproche d’une formation très
implantée dans la société civile, les Forces citoyennes, dont le président
Lahjouji est fort respecté. Les deux formations organisent une confé-
rence sur l’accord de libre-échange conclu entre le Maroc et les États-
Unis15. Interrogé sur cette alliance jugée surprenante par la presse,
Lahjouji dira « le PJD est un parti comme les autres ».
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Si sa banalisation peut être considérée comme un succès, sa « makhzé-
nization » lui permettra-t-elle de conserver durablement ses électeurs
voire certains de ses élus ? Pour une partie de la base et pour nombre
d’observateurs, le comportement des responsables du PJD qui s’appro-
prient le message du Palais et des autres partis est difficile à déchiffrer.
De même, si les compromis avec le pouvoir permettent de demeurer
sur la scène politique, ils brouillent aussi l’identité du parti. Contraire-
ment aux partis installés dans le système, le PJD a une identité et une
image spécifiques à préserver : sa raison d’être est sa capacité à prendre
en charge des problèmes de société non gérés par le pouvoir. En inté-
grant fidèlement le système, le PJD se prive peut-être, à moyen terme,
d’une partie de son électorat, de même qu’il prive l’alternance d’une
pièce maîtresse du jeu politique, celle de la contestation et du rajeunis-
sement du pouvoir.

MOTS-CLÉS
Maroc
Parti de la Justice et du développement
Islamisme

84
15. Dans un communiqué, les deux formations confirment sans équivoque leur soutien au libéralisme
solidaire et à l’initiative privée. Elles appellent à la mise en place de mécanismes permettant l’intégra-
tion de l’économie marocaine dans l’économie internationale. Voir La Tribune, 25 août 2004.

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