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Éditorial

Georges Bensoussan
Dans Revue d’Histoire de la Shoah 2004/1 (N° 180), pages 4 à 15
Éditions Centre de Documentation Juive Contemporaine
ISSN 1281-1505
ISBN 9782850567186
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ÉDITORIAL
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C 'est la raison pour laquelle les bébés arabes absorbent cette haine avec
le lait de leur mère, et c'est pourquoi il est impossible de faire dispa-
raître cette haine malgré les faux traités de paix », écrivait un journaliste saou-
dien le 22 novembre 2001. On se heurte fréquemment en Occident à l'idée reçue
selon laquelle l'antisémitisme arabe ne serait qu'une importation de l'Europe,
un sous-produit du colonialisme abhorré. On imagine avec peine que des
dominés aient pu élaborer un tel système de rejet dès lors que ce sont d'abord
des « victimes ». Et de quoi une victime saurait-elle être coupable ? Les conflits
internes du monde arabo-musulman sont pourtant de plus en plus souvent relus
au prisme de l'antisémitisme. Ainsi se libère-t-il de l'angoisse qui l'étreint, dès
lors que les Juifs sont identifiés comme la cause des malheurs qui l'accablent.

La haine vouée aux Juifs est sans rapport aux dimensions étriquées de
l'État d'Israël. Mais s'agit-il encore ici de raison ? Et dans l'ordre de la
« causalité diabolique » (Léon Poliakov), tout ne nous renvoie-t-il pas au
mépris atavique voué aux Juifs dans le monde arabe ? Chacun sent
combien cette haine obère l'avenir. De là, le fait que toutes les tentatives
de paix ébauchées depuis Oslo (septembre 1993) ont essayé d'attaquer le
mal à la racine en examinant les manuels scolaires (cf. Yohanan Manor).
Ainsi les accords de Wye (1996) prévoyaient-ils de mettre fin à cet ensei-
gnement de la haine dans les territoires palestiniens. Mais en ce domaine,
comme en d'autres, les accords ne furent pas respectés. Ainsi, le
3 novembre 1998, la télévision de l'Autorité palestinienne diffusait-elle
une émission religieuse dans laquelle on apprenait que « les Juifs [étaient]
la graine de Satan et des démons » Dans le même temps, on pouvait lire
dans Al-Hayat al-Jadida (organe officiel de l'Autorité palestinienne) que
« la corruption est inhérente à la nature des Juifs [... comme est avérée]
leur responsabilité dans la destruction du monde ».
Ces thèmes de propagande sont répliqués à l'infini. Monotones dans
l'imprécation, tous cherchent à solidariser dans la haine « du Juif » l'Occi-
dent chrétien au monde musulman. C'est ainsi que sont plus particulièrement
mis en avant Jésus « assassiné par les Juifs » et Marie « souillée » par eux.
Les insultes animalisent et médicalisent « le Juif » devenu l'essence du mal
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sur la terre. « Frères des singes » et « suceurs de sang », les Juifs sont pour le
Hamas un « cancer », des « ennemis de Dieu et de l'humanité ». Ces qualifi-
catifs ne sont pas le propre des seuls islamistes puisqu'un général égyptien
écrivait en 2001, dans un quotidien de son pays, que les Juifs étaient des
« déchets humains », des « créatures impures », de la « racaille satanique »...
Alors qu'en Occident, on s'efforce de distinguer Juif, Israélien et sioniste,
dans le monde arabo-musulman, en revanche, ces termes sont confondus
sous le seul vocable de Yahoud (Juif). Les médias arabes n'opèrent pas de
distinguo entre Juif, sioniste et israélien. Dans les traductions arabes de
Roger Garaudy, les termes sioniste et juif sont interchangeables, ce dont
l'auteur s'est souvent plaint. Pour le Hamas, la distinction n'a pas lieu d'être
puisque « tout Juif est une cible et doit être abattu » (article 2 de sa charte)
dès lors qu'il participe, par naissance, au « complot juif » révélé par les
Protocoles des Sages de Sion. Dès lors aussi qu'il est potentiellement porteur
d'une maladie mortelle pour l'humanité libre, le sionisme.
Le Juif-maladie appelle sur lui un traitement : « Israël est un cancer se propa-
geant dans le monde islamique tout entier », affirmait en mai 1988 l'un des
premiers tracts du Hamas. Il faut éradiquer cette tumeur « avant qu'elle
n'explose dans le corps de l'humanité », prévenait le cheikh Abou Zana en 1996.
Pour le Hezbollah libanais, Israël est un virus et « la solution consiste à détruire
le virus. Il n'y a pas d'autre traitement » (Al-Manar, télévision du Hezbollah,
2 juin 2002). Pour Al-Akhbar (Le Caire, 29 avril 2002), les Juifs sont « une
catastrophe pour la race humaine [...], un véritable fléau de tous les temps ».
Cette obsession s'accompagne de l'étalage d'une violence nue. Chacun
se souvient de l'exaltation de la « rue arabe » 1 après les attentats

1 Dans un livre important pour la réflexion sur la violence, le groupe et le génocide, L'Ère de
l'épouvante (Gallimard, 2002), le sociologue allemand Wolfgang Sofsky écrivait à propos du double
lynchage de deux soldats israéliens faits prisonniers à Ramallah en octobre 2000 : « Les lynchages de
Ramallah portaient tous les stigmates du double assassinat, de la mutilation et de la profanation de la
victime. Au poste de police, les meurtriers poignardèrent deux soldats israéliens et ouvrirent leurs
corps en deux. Ensuite, ils défenestrèrent l'un des cadavres pour le livrer à la meute excitée. La popu-
lace s'acharna avec des barres de fer sur le corps sans vie et le bourra de coups de pied. Finalement,
la dépouille fut traînée dans la poussière de la rue jusqu'au carrefour le plus proche. Après la célébra-
tion de ce martyre, des jeunes dansèrent autour de la tache de sang qui marquait le point de chute du
corps de l'Israélien. Ils se criaient l'un à l'autre dans un chant alterné : « Ici nous avons fait jaillir les
yeux de ses orbites, ici nous lui avons arraché les jambes, ici nous l'avons frappé au visage. » (p. 182).
démocides1 commis dans l'État juif. Le martyr (shahid) est assuré de
gagner le paradis où l'attendent 72 vierges et une jouissance sexuelle
infinie. Ces traits archaïques se traduisent par des flambées de violence qui
mettent en péril l'avenir de toute société organisée : « Qu’Allah m'autorise
à devenir un shahid et m'accorde l'honneur de faire la moisson de vies
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israéliennes la plus abondante possible », écrit un journaliste égyptien le
28 mai 2001. En juin 2002, la « seconde Intifada » avait déjà provoqué la
mort de près de 1500 Palestiniens et de près de 500 Israéliens. Toutefois,
le pourcentage des pertes civiles était de 75 % chez les Israéliens et de
45 % chez les Palestiniens. La proportion de femmes parmi les tués diffé-
rait aussi sensiblement : on comptait 30 % d'Israéliennes parmi les
victimes juives, et 5 % de Palestiniennes parmi les victimes arabes.
Les Chrétiens d'Orient ont sans doute aucun joué un rôle crucial dans
l'importation de l'antisémitisme chrétien dans le monde arabe. Il semble
même, parfois, que le concile Vatican II ait ici rencontré peu d'écho. Mais
ce serait faire erreur que de réduire l'antisémitisme arabo-musulman à une
figure d'importation même si l'on assiste ici, sans conteste, à l'islamisation
des poncifs de l'antisémitisme occidental. En particulier avec les thème du
meurtre rituel2, de l'empoisonnement de l'eau3 et avec l'adoption des
Protocoles des Sages de Sion. D'une rare indigence politique, ce texte
passe pourtant ici pour la preuve du « complot juif mondial »... Le Hamas,
par exemple, en use abondamment (comme de toute la littérature antisé-
mite occidentale d'ailleurs), et la chose est également avérée en Arabie
Saoudite où des exemplaires des Protocoles sont systématiquement offerts
aux touristes occidentaux dans leur langue d'origine.
Car, en réalité, l'antisémitisme musulman trouve sa source en lui-
même. Le Coran abonde d'invectives sur les Juifs « traîtres », et depuis que
ces derniers ont rompu leur promesse antérieure avec Lui, les musulmans

1. Des crimes contre l'humanité comme les ont qualifiés Médecins sans frontières et
Amnesty International.
2. Le 10 mars 2002, Oumayma Al-Jalahma, professeur d'études islamiques à l'université
Fayçal en Arabie Saoudite, publiait dans le quotidien saoudien Al-Riyadh son
« explication » de la fête juive de Pourim : « Les Juifs doivent se procurer du sang humain
afin que leurs prêtres puissent préparer les gâteaux de fête. » Le sang doit être celui d'un
adolescent qui doit être saigné : « Cette torture procure aux vampires juifs un grand
plaisir. » Sur ce texte, cf. L'Arche, n° 530, avril 2002.
3. Le 20 mai 2003, un conférencier du nom de Rami Tahbob expliquait devant le centre
Zayed, officine antisémite située à Abou Dhabi (Émirats arabes unis) et affiliée à la Ligue
arabe, que « des produits stérilisants ont été découverts dans des réservoirs d'eau utilisés par
certaines écoles palestiniennes ». Sur ce centre, cf. L'Arche, n° 549-550, novembre-
décembre 2003.
figurent le peuple élu de Dieu. Pour la plupart des commentateurs, le
conflit israélo-arabe n'est que la poursuite de la lutte entre l'islam et les
Juifs. Côté musulman, on est convaincu que l'existence d'Israël est passa-
gère, qu'à terme cet État sera détruit, et les Juifs avec lui. De là, l'incitation
à la haine diffusée dans de nombreuses mosquées le vendredi, y compris
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dans les mosquées de Jérusalem. Souvent incendiaires, ces prêches sont
accessibles à tous par le biais d'Internet. En 1997, par exemple, le mufti
Ikrima Sabri, prédicateur officiel (nommé par l'Autorité palestinienne) de
la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, s'enflammait : « Ô Allah ! Détruis
l'Amérique car elle est contrôlée par les Juifs sionistes ! »
Ce climat de haine rend compte du caractère massif pris par le négation-
nisme dans le monde arabo-musulman depuis une vingtaine d'années. De
ses liens avec l'ultra-droite européenne et américaine. Il explique aussi que
l'effort fait pour nier la réalité déborde la seule question du génocide pour
embrasser l'histoire contemporaine tout entière. Beaucoup plus près de
nous, l'histoire du Proche-Orient est relue au prisme du complot juif. Ainsi
Oumayma Al-Jalahma, professeur d'études islamiques en Arabie Saoudite,
expliquait-elle le 9 avril 2003, devant le centre Zayed (cf. note supra), que
« la guerre américaine contre l'Irak a commencé en mars afin de coïncider
avec la fête de Pourim souvent célébrée en ce mois qui symbolise la
victoire des Juifs sur Haman à Babylone1 ». Ainsi, encore, l'antisémitisme
russe du XIXe siècle et les pogroms des années 1881-1884 sont réhabilités.
Le public arabe lettré se précipite sur une littérature des plus douteuses dès
qu'il est question « des Juifs » et de la Shoah. Le méchant ouvrage de
Norman Finkelstein, par exemple, L'Industrie de l'Holocauste, a été
traduit en arabe avant de l'être en allemand. Et si depuis vingt ans le monde
arabe fait montre d'un intérêt soutenu pour l'étude du nazisme, à ce jour il
n'a produit lui-même aucune grande œuvre sur ce sujet.
Roger Garaudy est un héros dans le monde arabo-musulman comme
dans certaines banlieues de notre pays. D'autres sont plus discrets, tels
Henri Roques, le père de la « thèse d'histoire » invalidée en 1986, et quel-
ques autres négationnistes à sa suite. Fait docteur honoris causa de
l'université du Caire, Roger Garaudy y est célébré comme l'intellectuel
français par excellence. En Iran, il est reçu officiellement par le président
de la République, Ali Khamenei, comme d'ailleurs un grand nombre de
figures de l'extrême droite européenne accueillies avec les plus grands
honneurs.

1. Ibid., p. 69.
Le discours négationniste arabe affirme d'un même élan que les cham-
bres à gaz n'ont pas existé... et que leur bilan est moindre que ce que
prétendent « les Juifs ». Ou encore que le génocide des Juifs n'eut jamais
lieu... mais que les Juifs l'ont bien mérité. Le bourrage des crânes s'agrège
à cette incohérence : lors d'un débat organisé en mai 2001 par la chaîne de
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télévision Al-Jazira, les téléspectateurs devaient répondre à la question
suivante : « Le sionisme est-il une forme de nazisme ? » 84,6 % des télé-
spectateurs répondirent par l'affirmative, certains d'entre eux ajoutant
même qu'il était « pire que le nazisme ». Mais si le nazisme ne s'est pas
rendu coupable des crimes dont on l'accuse, en quoi le sionisme serait-il
condamnable ?
Cette incohérence se décline avec quelques variantes :
a) la Shoah n'a pas eu lieu
b) les Palestiniens ont davantage souffert que les Juifs
c) ils sont donc les vraies victimes d'une Shoah...
Ou encore :
a) les nazis n'étaient pas criminels
b) les sionistes se sont alliés aux nazis durant la guerre
c) les sionistes sont donc des criminels...
Si l'assimilation du sionisme au nazisme est un truisme dans cette littéra-
ture, la confusion intellectuelle va parfois plus loin encore. Soit qu'on assimile
Auschwitz et « les camps sionistes en Palestine » (sic). Soit qu'on reconnaisse
- comme l'avait fait avec plus d'habileté que ses prédécesseurs Mahmoud
Abbas (alias Abou Mazen) dans sa thèse de doctorat - que la Shoah a eu lieu
mais qu'elle fut d'une ampleur toute relative. Et surtout, qu'elle « se poursuit
aujourd'hui contre les Palestiniens ». Ou bien que le judéocide fut le sinistre
résultat de la « collaboration entre les nazis et les sionistes ». CQFD : les prin-
cipaux responsables de la Shoah étaient donc juifs. Dans le monde arabe, la
tendance aujourd'hui dominante est d'éviter une négation abrupte qu'on sait
irrecevable en Occident. Le poids immense de la Shoah est alors retourné
contre les Juifs. L'Occident est mis en garde contre des victimes d'hier deve-
nues, en Palestine, les « bourreaux d'aujourd'hui ». Les exigences palesti-
niennes vis-à-vis d'Israël sont du coup rendues légitimes, non pas malgré la
Shoah, mais à cause d'elle (cf. Goetz Nordbruch).
S'il n'existe pas une essence éternelle de l'antisémitisme arabo-
musulman comme ce dernier le souligne ici à raison, et si quelques intellec-
tuels arabes sauvent l'honneur en refusant de se prêter au négationnisme, il
faut convenir pourtant que la majorité des élites arabes joue un rôle essen-
tiel dans la banalisation du discours négationniste-antisémite. On se
souvient de la « thèse » d'histoire du docteur Mustafa Tlass, ministre syrien
de la Défense depuis plus de trente ans, jadis soutenue à l'université Paris
VIII-Saint-Denis. Dans le monde arabe d'aujourd'hui, dès qu'il s'agit des
Juifs, il faut prendre au pied de la lettre le mot négationnisme. C'est qu'il
s'agit d'effacer le nom juif de l'histoire, dans le temps avec la Shoah, dans
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l'espace en gommant toute trace de la millénaire présence juive en Eretz-
Israël. Le sociologue allemand Wolfgang Sofsky rapportait récemment la
profanation négationniste du tombeau de Joseph par la foule palestinienne
au cours des premières semaines de la seconde Intifada, en octobre 2000 :

Avec des pioches et des marteaux, ou à mains nues, des combattants de rue
palestiniens démolirent les murs du mausolée. Sur la coupole blanche du
tombeau de Joseph, ils agitèrent leurs drapeaux, tirèrent des salves en l'air
et louèrent leur dieu. Des comparses fouillèrent les ruines incendiées à la
recherche de vestiges. Ils arrachèrent du portail l'étoile de David et la
promenèrent triomphalement en trophée. Après quoi ils réduisirent en
lambeaux les textes sacrés, jetant les pages par terre et les piétinant. Un
dentiste palestinien réussit à sauver de la populace furieuse un livre sacré
du rabbin Isaac Luria, un mystique du XVIe siècle. [...] Après la dévasta-
tion, la coupole blanche fut peinte en vert, couleur de l'islam. [...] À Beth-
léem, le tombeau de Rachel devint un foyer d'escarmouches, à Jéricho, la
populace mit le feu à une antique synagogue1.
Comme tout délire, le fantasme antisémite remplit plusieurs fonctions
dans l'économie psychique du monde arabo-musulman. L'histoire
mondiale contemporaine est relue au prisme du « complot juif », en parti-
culier à partir des années 1917-1918 qui voient se télescoper la déclaration
Balfour et l'effondrement de l'Empire ottoman. Alors, dit-on, la
« puissance juive » s'est déchaînée. Elle qui avait déjà déclenché la
Première Guerre mondiale, elle déclenche la seconde une fois encore pour
son propre bénéfice, la déclaration Balfour ici, la fondation de l'État juif là.
Mais les années 1917-1918 marquent également un tournant capital dans
l'histoire de l'antisémitisme occidental. Déjà campé à l'extrême droite et
dans le monde clérical, le voici alors irrémédiablement couplé à l'anti-
bolchevisme et à l'antisionisme. C'est pour ces raisons que les Protocoles
des Sages de Sion, concoctés en 1898 par les officines russes, entament
alors la carrière que l'on sait, y compris dans le monde arabo-musulman,
pour devenir ce livre culte, cette « référence scientifique et historique »
avérée. En novembre 2003, l'hebdomadaire égyptien Al-Asboua révélait
qu'au musée des manuscrits de la nouvelle bibliothèque d'Alexandrie, le
docteur Youssef Zidane, son directeur, avait placé en vitrine, dans la salle

1. Op. cit. p. 179.


consacrée aux religions monothéistes, un exemplaire de la première traduc-
tion en arabe (1928) des Protocoles à côté d'un ouvrage de Torah. Le direc-
teur du musée expliquait qu'il « était fort probable que les Protocoles des
Sages de Sion sont plus importants que la Torah pour les Juifs sionistes du
monde qui s'en inspirent pour mener leur vie sioniste1 ».
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Les Arabes ne seraient pour rien dans les attentats du 11 septembre
2001, murmure la « rue arabe ». Seuls les Juifs, qui s'en étaient réjouis,
seraient coupables du crime. L'existence d'Israël constitue pour ce monde
un mystère et une déchirure. Mystère humiliant de l’« impuissance arabe »
contre des Juifs si peu nombreux, entassés sur un territoire exigu et pour-
tant « si riches », « si puissants » et « si forts ». Et vivant, de surcroît, dans
une atmosphère de liberté inconcevable dans le monde arabe. Alors que,
nombreux et riches de toutes leurs richesses naturelles, les Arabes
semblent condamnés au marasme. Le mythe du « complot juif » dénoue ce
scandale, et protège ces constructions délirantes d'une intrusion du réel. En
participant, ce faisant, au mensonge généralisé.
Dans l'Allemagne nazie aussi, le « complot juif » venait rendre compte
des turpitudes du siècle et justifier les vieilles angoisses obsidionales.
L'élimination des Juifs, du coup, ne paraissait plus qu'une politique salu-
taire de prévention, un acte de légitime défense : « Nous avions le droit
moral, déclarait Himmler, nous avions le devoir envers notre peuple
d'anéantir ce peuple qui voulait nous anéantir. » Que vaut la recherche
historique dans le monde arabe d'aujourd'hui si ces fantasmes sont assenés
quotidiennement comme des vérités scientifiques sans qu'il se trouve
aucun intellectuel pour les dénoncer (cf. Raphaël Israeli) ?
Des fantasmes qui conduisent à engager une lutte à mort contre l'Autre.
Pour le Hamas, par exemple, le combat ne se limite pas à l'État d'Israël mais
englobe la « lutte éternelle entre musulmans et Juifs entamée par le prophète

1. Cf. sur Internet le site de l'institut MEMRI spécialisé dans l'analyse des médias du
Proche-Orient. Toutefois, devant le début de scandale international, le conservateur du
musée d'Alexandrie fit machine arrière et donna ordre de retirer l'ouvrage.
Mahomet » (cf. Yossef Bodansky). Il ne s'agit pas de composer avec l'État
juif, mais de le détruire. La question des « territoires » est le miroir aux
alouettes de l'Occident, seule importe la question de l'existence d'un État
juif sur la terre d'Israël. Le cheikh Tamami de Hébron, par exemple, explique
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dans La Destruction d'Israël. Le décret du Coran que la cause palestinienne
n'est pas seulement une « cause arabe » mais une « cause islamique »1. Le
problème n'est pas celui des « colonies juives », ni même des « territoires
occupés » ou de l’« enceinte de sécurité », la question est d'user à petit feu
l’« entité sioniste », de faire fuir sa population par la terreur des attentats, de
dissuader les immigrants d'y venir, de ruiner son économie, etc. L'analyse
de la presse arabe nous apprend que ce programme n'est pas le fait des seuls
islamistes. Dans ses discours prononcés en arabe, le président de l'Autorité
palestinienne explique qu'il ne faut pas confondre les « accords transitoires »
avec Israël et l’« engagement sacré envers la terre ». Certains islamistes (cf.
Hassan al-Touyrabi en 1997) avouent volontiers que leurs objectifs conver-
gent avec ceux des « laïques », que seules divergent les modalités de la lutte.
Toute cessation des combats ne pourra jamais être qu'une « trêve », déclare
le cheikh Ahmed Yassine, responsable suprême du Hamas. La trêve
s'impose en situation de faiblesse et le combat reprend dès que l'on est en
position de force. De là, l'existence de ces si singulières colonies de vacances
organisées en Galilée au cours de l'été 2003 à destination de la jeunesse
arabe d'Israël. Samha Wakim, fillette de dix ans, y arbore fièrement un
pendentif où la carte de la Palestine a fait disparaître l'État d'Israël. Son
moniteur lui demande « où vont retourner les Juifs ». Elle répond avec les
autres : « D'où ils sont venus, de Pologne, de Russie. » Un second moniteur
explique au journaliste : « Nous vivons sous l'occupation israélienne à Haïfa
et dans les territoires. Ici, c'est la Palestine du Jourdain jusqu’à la mer. » Le
refrain d'une chanson apprise par les enfants arabes d'Israël prévient :
« Nous ne voulons pas de farine, nous ne voulons pas de poisson, nous
voulons des bombes, le pouvoir des bombes. » Les 300 enfants qui séjour-
nent dans cette colonie sont répartis en groupes dont chacun porte le nom
d'un camp de réfugiés. Muhammad Kanana, l'un des responsables de la
colonie, assure que tous les enfants veulent être des shahids, que le but de la
colonie est de libérer la jeunesse arabe des messages diffusés par le
« système éducatif sioniste ».
Le refus de l'existence d'un État juif n'a rien à voir ici avec les
« colonies juives » qui constituent le lot commun de notre myopie. Ce rejet
fait le fond du discours islamiste. « Seul l'islam brisera les Juifs et détruira

1. Le journal israélien Haaretz en avait rendu compte le 5 août 1987, bien avant la
première Intifada.
leurs rêves », affirmait le Hamas dans son premier tract diffusé en janvier
1988. « L'État d'Israël sera démantelé par la pierre », assurait le cheikh
Khalil Kuka en juillet de la même année. Imprégnées d'esprit millénariste,
les proclamations du Hamas sont habitées par la vision sanglante d'une
rédemption prompte à purger la terre du mal qui l'envahit. Ce discours isla-
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miste n'est pas cantonné à la seule Palestine, il fleurit depuis les années
1980 aussi bien au Maroc qu'en Égypte et en Iran. Il prend une allure géno-
cidaire quand il assure que les « Juifs, partout dans le monde, sont une
menace à exterminer », et quand il ajoute que la destruction de l'État
d'Israël ne résoudra pas le « conflit séculaire » qui oppose les Juifs aux
musulmans, un conflit qui ne prendra fin que par la « destruction de tous
les Juifs sur la terre ». Ayman al-Zawahari, l'un des responsables du
Djihad, et, numéro deux dit-on d'Al-Qaida, déclarait en 1997 que la seule
solution, « pour l'instant », était la disparition de l'État d'Israël : « Nous
leur jetterons au visage la chair de leurs fils hachée et grillée. » Certain
discours islamiste nie la Shoah pour mieux programmer le massacre futur.
On pouvait lire sur le site web de la télévision Al-Jazira le 15 mai 2001 :
« Rien ne dissuadera les fils de Sion, que notre Dieu a décrits comme les
descendants des singes et des porcs, si ce n'est un véritable Holocauste qui
les exterminera tous d'un seul coup, en même temps que les traîtres, les
collaborateurs, la racaille de l'umma ». Il semble que convergent ici trois
ingrédients d'un génocide, un mépris atavique, une rancœur sociale et la
surdétermination induite par un conflit armé. Le rêve génocidaire arabe,
islamiste ou pas, prend forme au carrefour de ces itinéraires.
Cette vision du monde débouche sur une catastrophe. Dans un premier
temps, cette logique paranoïaque assure qu'Israël est le « tremplin destiné
à éradiquer l'islam ». Par un classique effet de projection, tout discours
meurtrier impute en effet à sa victime le dessein qu'il nourrit à son endroit.
Israël ne respectera jamais aucun accord de paix1, poursuit-il, il relancera
sans fin la guerre sous tous les prétextes. On ne peut pas faire la paix avec
les Juifs car ils sont « perfides comme le dit le Coran ». Leur essence
malfaisante les condamne au statut de dhimmi ou à la disparition. C'est
pourquoi, à cette aune-là, pour une conscience musulmane, l'existence
d'un Juif libre et souverain est un non-sens métaphysique. C'est aussi pour-
quoi cette « question » des rapports avec « les Juifs » est posée en termes
exclusifs : « L'alternative, écrit Al-Ahram le 23 juin 2001, est maintenant
être ou ne pas être, il n'y a pas de voie intermédiaire. » Cette « alternative »

1. En Égypte où l'accord de paix conclu avec l'État juif est scrupuleusement respecté par
lui depuis vingt-cinq ans, ces propos, totalement déconnectés de la réalité, sont tenus sans
coup férir.
(« Eux ou Nous ») ne laisse pas d'autre issue que le chaos, et ce discours
est d'autant plus inquiétant qu'il est parfois tenu par des hommes éduqués
et instruits. À preuve ce texte froidement génocidaire rédigé par un
psychiatre, le docteur Adel Sadeq, cité ici par Raphael Israeli. Exacerbé
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depuis le 11 septembre 2001, ce conflit dépasse le cadre dérisoire de l'État
juif aux yeux de militants islamistes qui se pensent en guerre contre
l'Amérique et l'Occident, contre Israël et le judaïsme. « Première consé-
quence, cette guerre, pour les théoriciens d'un islam “rigoureux”, est trop
importante pour n'être pas menée jusqu’à son terme. Elle ne peut s'achever
sur un vague compromis. C'est une guerre à mort qui ne peut se conclure
que par la victoire finale de l'islam - ou bien par sa disparition1. »
L'alternative totalisante ne laisse aucune chance au compromis. Au
bout de cette logique intellectuelle qui fait d'Israël un impensé radical, il y
a la guerre et les blocages du monde arabe. Dans leur réalité concrète, l'État
d'Israël comme les Juifs de chair et d'os ont certes peu à voir avec ce déra-
page clinique. Ceux-là mêmes qui tiennent des propos incendiaires sur
« les Juifs » écartent de leur vindicte le Juif réel avec lequel ils sont souvent
de bonne compagnie. C'est qu'il s'agit ici d'un monde de fantasmes, le pire
qui soit pour des esprits rationnels impuissants contre ce granite-là.
En 2003, un nouveau manuel scolaire à destination des élèves de classe
de Premières (17 ans), et autorisé par l'Autorité palestinienne, incitait au
djihad et au martyre.

L'islam est la religion d'Allah pour tous les êtres humains. Elle doit être
proclamée et elle doit inviter [les gens] à l'adopter de manière avisée, au
moyen de sermons adaptés et de débats amicaux. Ces méthodes sont toute-
fois susceptibles de se heurter à une certaine résistance et les prédicateurs
peuvent se voir empêchés d'accomplir leur devoir [...]. Alors, le djihad et le
recours à la force physique contre les ennemis deviennent inévitables [...] . 2

L'abandon de l'islam est un crime qui entraîne une punition sévère. Les
étapes à suivre [vis-à-vis du pêcheur] sont :
a) l'encourager à abjurer immédiatement
b) l'avertir des conséquences de son entêtement à vouloir abandonner
l'islam, c'est-à-dire le prévenir de son exécution
c) exécuter le pécheur s'il persiste à vouloir abandonner l'islam3.

2003
1. Christian Delacampagne, Islam et Occident. Les raisons d'un conflit, PUF,
p. 89.
2. p. 208.
3. p. 155.
Cette fermeture au monde, corrélée à un antisémitisme obsessionnel,
gagne de proche en proche la plupart des milieux arabes. Parfois, l'Autorité
palestinienne elle-même verse dans l'antisémitisme comme lorsque ce
15 mars 1997, Othman Abou Gharbiya, conseiller politique du président,
déclarait à la radio : « Nous luttons et combattons contre un ennemi qui est
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Shylock. Nous devons savoir qu'il s'agit de Shylock. » Comme lorsque ce
6 août 1997, Al-Hayat al-Jadida évoquait un « ennemi qui découvre ses
crocs juifs aux quatre coins de la terre ». Ce discours ruine toute possibilité
de coexistence. Les appels réitérés au massacre, l'insulte, l'animalisation
et l'enkystement dans une vision paranoïaque du monde qui font des Juifs
le diable sur la terre, fragilisent toute perspective de paix. C'est avec les
arrière-pensées que se concluent les accords de paix, et ici les arrière-
pensées sont terrifiantes. Parce que les sermons et les films, les cassettes et
les prêches, les émissions de télévision1 enfin sont relayés sans difficulté
jusque dans les grandes communautés arabo-musulmanes d'Occident, en
France et en Belgique en particulier, l'avenir de la paix civile est
aujourd'hui compromis en Europe même. Près de soixante ans après la fin
de la Shoah, l'avenir des Juifs n'est plus assuré ni sur le Vieux Continent
ni dans l'État qu'ils ont fondé. Le discours diabolisant qui nie leur mort
passée pour pouvoir programmer mieux encore peut-être leur mort à venir
fait aujourd'hui d'eux, partout sur la terre, des étrangers en puissance2.

Georges Bensoussan

Nota bene
À nos lecteurs, à nos abonnés
À partir de janvier 2004, la Revue d'histoire de la Shoah paraîtra au
rythme de deux numéros par an. Nous avons pris cette décision pour une
raison technique liée à notre prochain partenariat avec un grand éditeur
national. Cette nouvelle périodicité n'affectera pas le volume publié,
chaque numéro comptant désormais plus de 350 pages. En outre, si le prix

1. Cf. Al-Manar qui « montre » des Juifs procédant à des « crimes rituels » dans des
scènes particulièrement sanglantes ; des scènes qui sont donc vues jusqu'au cœur de l'Hexa-
gone par le biais du satellite.
2. Frappée le 27 décembre 2003 par un tremblement de terre, la République islamique
d'Iran, dépassée par l'ampleur de la catastrophe, lance un appel à l'aide adressé au monde
entier, États-Unis inclus (« le Grand Satan »). Sauf Israël, précise le gouvernement de
Téhéran. On voudrait signifier à l'État juif son exclusion de l'espèce humaine qu'on ne s'y
prendrait pas autrement.
de vente au numéro passe à 19 € compte tenu de cette augmentation de
pagination, le tarif de nos abonnements, comme vous le verrez dans le
bulletin en fin de numéro, a sensiblement baissé en revanche.
Dans tous les cas, merci de poursuivre avec nous l'étude historienne
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d'une catastrophe qui n'en finit pas de nous interroger.

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