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L'inquiétude ethnographique
Didier Fassin
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
La Découverte | « Recherches »
2008 | pages 7 à 15
ISBN 9782707156563
DOI 10.3917/dec.fassi.2008.01.0007
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L’inquiétude ethnographique
Didier Fassin
Notre propos n’est toutefois pas tant de revenir sur ces critiques, au
fond, de plus en plus acceptées, que d’en prendre acte empiriquement
et d’en tirer les leçons théoriques. De ce point de vue, notre position est
claire et, pour paraphraser une formule de Norbert Elias [1993, 1983,
p. 63], nous croyons que le chercheur lorsqu’il nous parle des indi-
vidus, des groupes et des sociétés qu’il étudie doit nous en apprendre
plus sur ces derniers que sur lui-même ou sur sa discipline. Dans cet
ouvrage, la réflexivité que nous nous efforçons de mettre en œuvre ne
cherche donc pas à poser un regard sur l’expérience intime de l’ethno-
graphe pour en décrire les états d’âme, mais vise avant tout à mieux
comprendre celles et ceux dont nous parlons. L’analyse critique de la
situation ethnographique – en tant que scène historique où se joue la
rencontre entre l’anthropologue et ses interlocuteurs – et de la relation
ethnographique – en tant que rapport inégal qui se noue entre l’enquê-
teur et les enquêtés – est pour nous la condition de possibilité d’un
savoir anthropologique ou sociologique.
Pendant longtemps, les chercheurs ont pu croire ce savoir assuré,
solidement ancré dans des modèles théoriques – fonctionnaliste,
culturaliste, structuraliste, marxiste – qui réduisaient l’enquête
ethnographique à un rôle de validation et les sociétés ethnographiées à
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et ceux qui font l’objet de son attention. Fanny Chabrol, qui a conduit une
enquête sur la prise en charge des malades du sida au Botswana, se
demande ce qu’implique le fait de travailler dans des lieux et sur des
thèmes surinvestis par la recherche sous toutes ses formes, avec pour
conséquence notamment de dévoiler non seulement des rapports de pou-
voir entre pays occidentaux et pays pauvres, mais aussi la relative
vulnérabilité des sciences sociales au regard de la question de leur utilité
sociale. Antonella Di Trani, qui s’est engagée dans une étude sur le ghetto
de Venise, raconte comment elle se heurte à une méfiance et une agres-
sivité croissantes de ses interlocuteurs et interprète ces réactions à la fois
comme une réalité structurelle de la pratique ethnographique et comme
la conséquence particulière d’événements violents générateurs de peurs.
Samuel Lézé, qui a dû se faire une place dans le milieu des psychana-
lystes à Paris pour pouvoir étudier leurs pratiques, propose de
comprendre les résistances qui lui sont opposées non pas comme des obs-
tacles mais comme une modalité particulière d’une sorte d’éducation
scientifique qui implique une relation d’apprentissage mais aussi des rap-
ports de savoir. Pour terminer, je reviens moi-même sur les difficultés
rencontrées dans la réalisation d’une enquête portant sur les pratiques
éthiques des soignants dans un hôpital d’Afrique du Sud tant dans les
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REMERCIEMENTS
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Alban Bensa
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
La Découverte | « Recherches »
2008 | pages 19 à 39
ISBN 9782707156563
DOI 10.3917/dec.fassi.2008.01.0019
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Père de Pwädé.
Retour sur une ethnologie au long cours
Alban Bensa
L’ethnographie, quand elle est mise en œuvre dans une même région
du monde pendant longtemps, pose des questions que les enquêtes plus
rapides ne peuvent ni soulever, ni même pressentir1. J’ai entrepris dans la
durée des enquêtes de terrain en Nouvelle-Calédonie kanake et n’ai pas
à ce jour mis un terme à ces investigations. Cette situation, assez fré-
quente somme toute dans l’anthropologie française, a induit en
l’occurrence des effets spécifiques dont, avec le recul, je prends
conscience peu à peu. Tout en sachant que le démêlage de ce qui advint
ne saurait être que partiel et reste sans cesse à poursuivre, je tenterai ici
de présenter et d’évaluer, telles qu’elles m’apparaissent aujourd’hui et
sachant que des cheminements comparables ont été analysés, quelques-
unes des conditions et des conséquences de mon implication à perpétuité
dans cette aventure ethnographique. Toutes les considérations qui vont
suivre, émanent donc, jusque dans leur formulation parfois plus générale,
de mon expérience de terrain.
Sur le terrain, à partir de 1973, mes questions ont d’abord porté sur la
mémoire orale et sa mise en forme dans des poésies versifiées et des
récits relatant l’histoire des groupes avant et après l’invasion blanche du
milieu du XIXe siècle. Mon insertion dans une équipe de linguistes2 a pesé
d’un grand poids sur la mise en place d’une méthode d’enquête que je
n’ai jamais abandonnée : le privilège autant que possible accordé aux
langues de la région étudiée, sachant que les Kanaks parlent pourtant
aussi le français.
Le souci linguistique donne accès à des univers de sens, des décou-
pages du réel, des sentiments sociaux et des modalités d’expression que
la pratique de cette langue seconde que reste le français pour les Kanaks
masque presque entièrement. L’attention aux langues austronésiennes
parlées dans la zone d’enquête m’a placé dans une plus grande intimité
psychologique avec mes interlocuteurs et interlocutrices au point que le
paicî (sa musicalité, son lexique, ses formes rhétoriques [Rivierre,
1983]), sa transcription mot à mot, puis sa traduction, ont participé pour
2. A. G. Haudricourt, J.-C. Rivierre, Membres du laboratoire de Langues et
civilisations à traditions orales, LACITO, CNRS, qui m’ont initié à la langue paicî parlée
dans le centre nord de la Nouvelle-Calédonie [Rivierre, 1983].
RETOUR SUR UNE ETHNOLOGIE AU LONG COURS 21
Le monde calédonien
J’ai donc avec cet appui linguistique inestimable et au fil d’une série
de missions de recherche, établi systématiquement en compagnie de mes
hôtes des généalogies de leurs familles, des relevés de leurs toponymes,
des transcriptions de leur mémoire du passé et décrit certaines de leurs
activités sociales, etc., tout en partageant leur vie quotidienne et aussi des
moments plus exceptionnels comme ceux au cours desquels ils
22 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
ÉPREUVES, EXORCISMES
Mais, dès lors qu’on fait durer longtemps l’expérience de terrain, cet
espace systématisé n’apparaît plus que comme l’une des branches
pourries à laquelle l’ethnographe, voire aussi l’ethnographié, s’accro-
chaient encore à ses débuts pour mieux hypostasier l’autre en héros ou
en victime, plutôt que de prendre le risque de le connaître. Les modèles,
comme les slogans publicitaires ou dénonciateurs, ne sont bien souvent
que des cache-misère dressés au détriment de la compréhension des
actes des personnes étudiées. Comme l’exprime bien Eric Chauvier
[2008, p. 19], « nous évaluons qu’à un certain moment, l’étrangeté du
monde doit ‘se carapater’ dans ce modèle qui rassure, mais qui ne sert
parfois qu’à étouffer la perception de ce qui est ténu ou indéterminé, et
qui pourrait devenir une source durable d’inquiétude ou de souf-
france. » Mais plus les situations, les interactions et les quiproquos se
multiplient, plus chacun des protagonistes, et en particulier l’ethno-
graphe, ramène l’autre aux proportions de la réalité effective, celle de
la trivialité pratique des significations qui ne sont pas les éléments d’un
grand mécano sophistiqué mais des tentatives partielles, incertaines et
souvent ratées de tisser du sens.
Formes et contenus des paroles varient en effet selon le degré d’in-
sertion du chercheur et selon les moments de l’histoire personnelle et
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6. Dans les langues kanakes le terme qui pourrait désigner ce que nous entendons en
français par « ami » est béé qui désigne aussi les alliés matrimoniaux et/ou politiques
[Rivierre, 1983].
RETOUR SUR UNE ETHNOLOGIE AU LONG COURS 33
LE SAVOIR IMPLIQUÉ
l’ethnologue que s’il parvient sur le long terme à nouer avec les acteurs
de cette joute permanente des relations continues de proximité. Il sera
alors en mesure de décrire dans ses méandres cette pensée politique
kanake en acte et de saisir à la fois son universalité (rien de ce qui m’est
étranger ne m’est inaccessible) et sa singularité (c’est ici et pas ailleurs
que de telles élaborations ont été rendues possibles).
On le voit, la longue durée a en elle-même des effets critiques qui
interdisent toute absolutisation du sens. La situation se complique
encore dès lors que l’ethnographe devient, au fil du temps, porteur d’un
savoir. D’intrus, plus ou moins bien toléré, il peut, pour les personnes
qui l’accueillent, tantôt constituer une force d’appoint, tantôt devenir
un hôte embarrassant parce qu’il dispose de connaissances en mesure,
si elles sont divulguées, d’altérer l’image de tel ou tel groupe ou indi-
vidu. Son savoir local accumulé, ses liens avec l’extérieur de la
communauté, l’atout qu’il peut représenter en tant que nouveau parent
du groupe familial et du clan et, disons-le, la distraction qu’apporte
nécessairement un étranger plus ou moins empoté, constituent de puis-
sants vecteurs à son intégration. En outre son savoir, consigné dans ses
carnets de notes et ses enregistrements, finit par constituer une sorte de
pouvoir local particulier dont il est amené, qu’il le veuille ou non, à
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Martina Avanza
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
La Découverte | « Recherches »
2008 | pages 41 à 58
ISBN 9782707156563
DOI 10.3917/dec.fassi.2008.01.0041
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Martina Avanza
rôle identique à celui joué par Alban Bensa auprès des Kanaks, à savoir
le rôle de caution intellectuelle de la lutte indépendantiste [Bensa,
1995b]. Cette attente n’est d’ailleurs pas totalement incongrue tant
l’ethnologie, « savoir justificatif », a souvent été en Europe « mise en
jeu pour “naturaliser” la nation, pour établir la continuité entre projet
politique et fondement “ethnique” » [Fabre, 1996, p. 99].
Il apparaît alors, qu’on ne peut répondre à la question soulevée ici,
comment enquêter sur l’autre politiquement « répugnant » [Harding,
1991], en prenant en compte le seul point de vue de l’ethnographe. En
effet, les enquêtés, et ce d’autant plus que je travaille sur un mouve-
ment politique, tentent de donner leur propre définition à la relation
ethnographique en la tournant à leur avantage.
haineux sur les immigrés et notamment sur les musulmans sans jamais
les avoir sollicités. C’était également le cas dans mes conversations
informelles avec les militants, à l’instar de la scène rapportée en début
d’article, régulièrement ponctuées de propos xénophobes totalement
banalisés. Ce racisme « ordinaire » m’était d’ailleurs plus insupportable
que la xénophobie organisée mise en scène lors de manifestations offi-
cielles du fait que je connaissais et fréquentais les auteurs de ces propos.
Il est alors aisé de comprendre les raisons pour lesquelles je trouvais
« mes » indigènes détestables.
Je suis d’ailleurs loin d’être la seule à avoir cette opinion des léguistes.
Le parti est largement attaqué dans les médias et les milieux intellectuels,
ce qui ne paraît pas étonnant au regard de ses positions xénophobes.
Pourtant, quand on lit ces invectives, on s’aperçoit qu’elles portent moins
sur le contenu xénophobe des discours léguistes, que sur l’accent de leurs
représentants, « l’ignorance » de leurs électeurs, la « vulgarité » de leur
leader (Bossi), l’autodidaxie de leur personnel politique.
La Ligue du Nord
Les travaux d’Ilvo Diamanti [1993 et 1996] ont mis en évidence que
la Ligue s’est implantée dans une aire géographique précise. Il s’agit de
l’aire préalpine traversant l’Italie septentrionale d’est en ouest. Le vote
léguiste s’enracine dans les zones les plus au nord du pays qui sont péri-
phériques par rapport aux concentrations urbaines majeures (Milan,
Turin, Gênes, Venise) et extérieures aux régions proprement alpines. À
l’intérieur même de cette zone, la Ligue obtient les scores les plus élevés
dans les localités petites et moyennes (pas dans les chefs-lieux de pro-
vince), où le taux d’industrialisation est plus fort, où le taux de
tertiarisation est plus faible (tant dans le privé que dans le public), où le
poids des indépendants est très important et où le taux de chômage est le
plus bas. Selon le même auteur, l’électorat léguiste est composé majori-
tairement d’ouvriers, employés et petits commerçants et indépendants,
ayant un faible niveau d’études et vivant dans les petites villes et villages
industriels de la région préalpine.
Cette population est porteuse d’un certain nombre de stigmates qui,
à en juger par un article de Jean-Luc Douin en première page du Monde
des Livres du 31 mai 2002, définissant Vérone (située en zone d’in-
fluence léguiste) comme une « ville bigote, près de ses sous, qui a la
réputation d’abriter une population sectaire, grossière, d’une ignorance
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3. Alors que la Ligue du Nord a obtenu un important résultat aux élections législatives
d’avril 2008 (plus de 8% au niveau national), tous les sondages (d’avant le vote ou de sor-
tie d’urne) avaient sous-estimé ce succès. Preuve que les électeurs du parti peuvent avoir
honte de leur choix et donc le dissimuler.
48 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
« contrat » clair avec les enquêtés sans leur mentir sur la raison de leur
présence sur le terrain, moi je faisais exactement le contraire.
Je n’ai pas trouvé de solution face à ce malaise et, je l’avoue, j’ai été
soulagée quand j’ai pu mettre un terme à mon terrain. Néanmoins, j’ai
adopté une attitude qui rendait, à mes yeux, ma relation à mes enquêtés
sinon sincère, du moins acceptable. J’ai décidé de prendre les militants
léguistes, qui sont la risée de tout le monde, au sérieux. Je les ai pris au
sérieux quand ils déclamaient en vers leur adhésion à la cause padane
[Avanza, 2003a], quand ils débattaient pendant des heures de la « langue
padane » (qui ne compte aucun locuteur) [Avanza, 2005], me parlaient
avec fierté de leur origine celtique [Avanza, 2003b], ou organisaient des
visites touristiques sur les « lieux emblématiques de la padanité ». J’ai
pris au sérieux tout ce qui est considéré comme folklorique et grotesque
au sein du léguisme. Même si je ne conteste pas le caractère inventé de
la revendication identitaire léguiste, j’ai décidé de la prendre au sérieux
tout simplement parce qu’elle est sérieuse pour les militants rencontrés
sur le terrain. Je me suis donc intéressée à ce que ces militants font (de la
défense des dialectes aux rondes nocturnes contre les immigrés) comme
s’il s’agissait de membres d’un parti quelconque (donc un parti
« sérieux »). En définitive, pour reprendre le Guide de l’enquête de
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CONCLUSION
AVANZA M. (2003a), « “Une politique qui vole sur les ailes de la poésie”. Pratiques
politico-poétiques au sein de la Ligue du Nord », Terrain, 41, p. 47-62.
—, (2003b), « Une histoire pour la Padanie. La Ligue du Nord et l’usage politique
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—, (2005), « La Ligue du Nord : de la défense des dialectes à la recherche d’une
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UNE ENQUÊTE AU SEIN D’UN MOUVEMENT XÉNOPHOBE 57
Marieke Blondet
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
La Découverte | « Recherches »
2008 | pages 59 à 80
ISBN 9782707156563
DOI 10.3917/dec.fassi.2008.01.0059
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Le genre de l’anthropologie.
Faire du terrain au féminin
Marieke Blondet
Les premiers pas sur le terrain sont toujours déterminants ; c’est d’eux
que va dépendre l’accès aux données dont l’ethnographe a besoin. Si cela
est vrai pour tout chercheur, il apparaît que ces premiers pas sont encore
plus subtils à négocier lorsqu’il s’agit d’une femme ethnographe. La
question notamment de son positionnement et de son intégration dans la
communauté qu’elle étudie se pose de manière vive. En effet, l’anthro-
pologie a montré que toute société possède un code plus ou moins strict
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Pour ma thèse de doctorat, j’ai choisi de travailler dans le Pacifique Sud, aux
Samoa américaines, un petit groupe de cinq îles et trois atolls situé à l’est de
Samoa et sous administration états-unienne. Ce territoire jouit d’une certaine
autonomie dans ses affaires internes mais dépend des États-Unis pour ce qui est de
la diplomatie et du commerce international. Ce qui m’intéressait plus
particulièrement dans ces îles était la création, par le gouvernement fédéral
américain, d’un parc national, avec en son sein des villages samoans dont les
familles étendues possèdent toujours, de manière communautaire, les terres
protégées par le parc. Pour utiliser ces espaces et en préserver les ressources
naturelles, le Service des parcs nationaux verse un loyer à ces familles, revenu en
échange duquel elles acceptent certaines restrictions dans leurs usages de
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1. Matai est le terme qui qualifie de manière générique les chefs samoans. On devient
matai de son aiga (famille étendue) de deux façons : soit parce que l’on a été choisi par
consensus des membres de l’aiga pour être à la tête de celle-ci, soit parce que ce chef de
famille va lui-même nommer des matai de rang inférieur pour le servir. Il arrive aussi
62 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
cet exploit, il était traité comme un hôte d’honneur dont les seules
activités étaient manger, dormir et rester étendu toute la journée sur un
matelas. Pour changer ce statut et s’intégrer d’avantage à la commu-
nauté, O’Meara choisit une des activités masculines les plus
valorisées : la pêche à la tortue. Sa réussite changea la position qu’il
avait aux yeux des villageois et son intégration s’en trouva immédiate-
ment facilitée. Il gagna ainsi en prestige et se vit, par la suite, offrir un
titre de matai qui lui permit de participer aux conseils du village et à sa
vie politique. Rarement une femme ethnographe rencontrera une telle
opportunité. La raison en est simple : cette forme de pêche hautement
valorisée n’est pas une activité féminine. Il existe évidemment des
occupations typiquement féminines que j’aurais pu pratiquer, comme la
vannerie. Cependant, même avec le plus grand des succès, je n’aurais
jamais acquis un statut autre que celui d’une femme habile de ces
mains. Etant une femme, je ne disposais d’aucun moyen pour impres-
sionner les villageois car aucun Samoan ne s’attend à ce qu’une femme
le fasse. Une femme sur le terrain se voit immédiatement renvoyée aux
codes de conduite de la société qu’elle étudie. Elle ne bénéficie pas, par
conséquent, des mêmes occasions qu’un homme pour se positionner et
son intégration en sera plus problématique. Un autre exemple renforce
encore cette idée, celui de Derek Freeman [1999, p. 204] qui explique
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parfois qu’un titre de matai soit offert a une personne extérieure à l’aiga en marque de
respect ou pour services rendus.
FAIRE DU TERRAIN AU FÉMININ 63
Tutuila, la plus grande des îles des Samoa américaines, et est toujours
totalement interdit aux îles Manu’a. Il est donc exceptionnel qu’une
femme participe à un conseil de village. Même Derek Freeman, dans sa
critique des conclusions de Margaret Mead, nota les difficultés occasion-
nées par le genre de la chercheuse dans son accès à la vie politique
samoane. Il écrit [Freeman, 1996, p. 71] : « Pendant son séjour à Manu’a,
Mead n’eut aucune participation à la vie politique du village étant donné
qu’il existait à Manu’a dans les années 1920, une stricte prohibition à
l’encontre de la participation des femmes dans toutes les assemblées de
chefs lors desquelles étaient prises l’ensemble des décisions concernant
la vie économique, politique, cérémonielle et religieuse. »
Lors de mon propre terrain, j’eus la chance d’assister à un conseil
du village dans lequel j’avais élu domicile. Cependant il semble que
cela ait été le résultat d’un concours de circonstances. En effet, je fus
invitée au conseil à la dernière minute par un matai de rang inférieur
qui, je pense, n’en avait pas référé aux matai de plus haute autorité qui
dirigent le conseil et qui auraient peut-être, eux, refusé. Ensuite, étant
donné que j’étais arrivée la veille dans le village, ces matai de haut rang
saisirent l’opportunité de me présenter officiellement à l’ensemble des
autres matai, ainsi qu’au village tout entier. De plus, le conseil se
déroula en samoan et ne parlant pas cette langue, je ne représentais
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LA PROTECTION
Ce que Peggy Golde [1970] entend par ce concept, n’est pas tant la
protection de la chercheuse, mais celle mise en place par la communauté
dans laquelle elle s’installe pour faire face à son intrusion. Étrangère au
groupe, l’ethnographe n’a pas, aux yeux des locaux, de justification à
être là et à participer à la vie de la communauté. En même temps, du fait
de sa différence, elle attire immédiatement l’attention et la curiosité des
gens. Au-delà elle inquiète : que peut-elle bien être venue faire ici ?
D’autant qu’étant une femme, seule bien souvent, elle provoque les
craintes de la communauté qui s’alarme de la séduction qu’elle pourrait
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LA CONFORMITÉ
2. Cette offre peut s’expliquer par l’absence du village du chef de famille, son senior
matai, qui réside en permanence à Hawaii. De fait, personne ne représente officiellement
et légitimement la famille dans les affaires du village et elle souffre par conséquent d’une
reconnaissance moindre que celle qui lui aurait été normalement due. Dans une société du
paraître, l’invitation qui m’a été faite était peut-être une manière de « redorer le blason »
de la famille en montrant aux autres villageois sa générosité.
FAIRE DU TERRAIN AU FÉMININ 71
LA SUSPICION
Du reste, sans même être dans les pas d’un autre chercheur,
l’ethnologue se trouve face à des populations qui, du fait du contact et des
migrations, ont déjà en tête des idées précises de ce qu’un ethnologue
étudie et du genre de personne qu’il doit être. Par exemple Narmala
Halstead [2006] qui a travaillé dans sa communauté d’origine, les
Hindous de Guyane en diaspora à New York, explique que, parce qu’elle
était issue de ce groupe, elle se trouva prise au milieu des attentes
diverses de ses enquêtés : certains virent en elle l’Indienne et se
demandèrent alors ce qu’elle pouvait bien étudier de cette culture qu’elle
connaissait déjà ; d’autres s’interrogèrent sur ce qu’elle cherchait dans sa
propre communauté puisque, pour eux, par définition, un ethnologue
étudie un « primitif d’un autre temps » alors qu’ils se considéraient
comme modernes [Halstead, 2006, p. 54-6]. Les sujets de l’enquête
réagirent alors négativement à sa présence et lui reprochèrent son attitude
de supériorité ; une critique plus souvent faite aux ethnologues issus des
anciens pays colonisateurs et étudiant les anciennes colonies plutôt qu’à
ceux originaires de ces secondes.
Aucune société, donc, n’ignore ce que nous sommes et toutes ont des
préjugés nous concernant, images encore renforcées par des stéréotypes
sur ce qu’un Occidental, homme ou femme, peut être. Du point de vue
des autochtones, l’ethnographe, quel que soit son sexe, est souvent perçu
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CONCLUSION
3. Pour les Samoans une taupou est sélectionnée parmi les filles des plus importants
chefs du village pour représenter celui-ci sur la scène publique. La jeune fille est alors
considérée comme une vierge cérémonielle et se doit d’être un modèle de vertu pour l’en-
semble de ses condisciples.
FAIRE DU TERRAIN AU FÉMININ 79
BIBLIOGRAPHIE
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Sarah Mazouz
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
La Découverte | « Recherches »
2008 | pages 81 à 98
ISBN 9782707156563
DOI 10.3917/dec.fassi.2008.01.0081
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/politiques-de-l-enquete---page-81.htm
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l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
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Sarah Mazouz
1. J’utilise le mot racial afin de désigner un rapport social hiérarchique entre des indi-
vidus – au même titre que la classe ou le genre – dans lequel les inégalités sont
essentialisées. Consciente de la possible « valeur de légitimation » [Sabbagh, 2003,
p. 281], contenue dans le langage, je souhaiterais toutefois rester attentive aux phéno-
mènes de déni, en nommant ce que font certains individus quand ils le font, quand ils
construisent des différences sur un mode racial et en examinant l’impact de ces construc-
tions sur les modes d’identification des personnes victimes d’une perception racialisée.
2. Pour des raisons d’anonymat, tous les noms propres ont été modifiés.
82 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
elle, « faire une thèse sur les discriminations raciales3 ». Kahina, l’une
des deux stagiaires réagit tout de suite : « Une thèse sur les
discriminations raciales… On est comme des rats de laboratoire
maintenant, sur lesquels on vient faire des thèses ! » Je balbutie quelques
mots pour lui dire qu’il ne s’agit pas de cela puis je quitte le centre avec
un profond sentiment de malaise qui me poursuivra pendant de longues
heures (Journal de terrain, Doucy, le 13 avril 2006).
Novembre 2006. Alors que je dois écrire un texte sur l’expérience
que font mes enquêtés de la stigmatisation raciale, je m’aperçois que
pour décrire leur expérience, je suis obligée de les décrire physique-
ment et d’utiliser, pour rendre compte de leur expérience, les catégories
raciales auxquelles ils sont assignés.
C’est le sentiment de malaise, dû au fait de devoir utiliser, pendant
l’enquête de terrain mais aussi au moment de sa mise en écriture et de la
formulation des premières analyses, les catégories qui fondent l’altérisa-
tion et l’assignation raciales auxquelles sont soumis mes enquêtés, que ce
texte se propose d’analyser. Dans la mesure où faire de l’ethnographie ne
va pas de soi et pose des problèmes qui sont d’ordre éthique et politique,
il s’agit de prendre au sérieux ce malaise en tentant d’examiner ce qu’il
nous dit du monde social et de la position singulière de l’anthropologue.
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3. C’est la responsable de la mission locale qui m’a mise en contact avec ce centre qui
m’avait présentée ainsi.
LES MOTS POUR LE DIRE 83
L’enquête de terrain
PAROLES D’ENQUÊTÉS
son poste : “je ne pensais pas que c’était pour nous”, expliquant cela en
réutilisant la même expression : “je ne pensais pas avoir la tête de l’em-
ploi” » (Extrait du Journal de terrain, 22 mai 2006).
« C’est à la tête »
Lors d’une séance de l’atelier « socio » à laquelle il participe, Khalil revient sur cette ques-
tion des emplois libre-service en disant que ces postes-là, « c’est fait pour les rebeus ».
Journal de terrain, Doucy, du 25 juillet 2006.
5. Il dira ainsi : « En France, on ne s’attache plus. On est français, mais pas pour les
Français… Ils nous prennent pour des étrangers. C’est un problème de confiance. » Journal
de terrain, Doucy, notes prises pendant la séance de l’atelier « socio » du 25 juillet 2006.
6. Journal de terrain, séance de l’atelier « socio », Doucy, le 14 juin 2006.
LES MOTS POUR LE DIRE 85
Mise en garde
Mon malaise était d’autant plus grand que j’avais affaire dans cette
partie de mon enquête de terrain à des personnes dont le propos laissait
d’emblée apparaître qu’ils avaient conscience d’être l’objet d’une
stigmatisation raciale soulignée quasi quotidiennement par les médias
et les responsables politiques et renforcée pendant les émeutes de
l’automne 20059, soit quelques mois à peine avant mon arrivée dans le
7. Ce que laissaient entendre certains passages de ses textes de slam, très autobiogra-
phiques, dans lesquels il est constamment fait référence à la question des « discriminations
ethniques » dans l’accès à l’emploi ou aux difficultés d’accéder à une carrière politique
pour les « populations ethniques ». Journal de terrain, soirée « slam poésie » à la mission
locale de Beltrand-Lès-Monts, le 16 juin 2006.
8. Journal de terrain, Doucy, notes prises le 20 juin 2006.
9. On pourra notamment penser à la manière dont ont été présentées et médiatisées les
affaires de tournantes et à la façon dont Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, pro-
posait de se débarrasser de la « racaille » qui, à ses yeux, relevait du « karcher ». De même,
les émeutes de l’automne 2005 ont été expliquées par le fait que « la plupart [de ces jeunes]
sont noirs ou arabes avec une identité musulmane » (Alain Finkielkraut, « Quelle sorte de
Français sont-ils ? » entretien accordé à Dror Mishani et Aurelia Smotriez, Haaretz, 17
novembre 2005) ou par la polygamie supposée de leurs parents (Bernard Accoyer cité dans
86 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
MALAISE DE L’ANTHROPOLOGUE
Si loin, si proche
11. D’ailleurs, certains d’entre eux que j’ai revus pendant l’année 2007 avaient entre
temps oublié cela. Ainsi pendant le deuxième entretien réalisé avec Élisée, j’en viens à dire
de nouveau que je suis Tunisienne. Il me répond : « ah oui, c’est vrai que vous êtes tuni-
sienne ! J’avais oublié ». Entretien avec Élisée, Doucy, le 29 novembre 2007.
12. Peut-être d’ailleurs que si j’avais été Française, l’intérêt que je manifestais pour
mes enquêtés et les positions que je pouvais manifester quand ils me faisaient le récit
d’une interaction avec la police ou d’une expérience avec un employeur auraient fini par
me « déblanchir » à leurs yeux.
88 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
13. Un enquêté comme Joachim a par exemple pensé que j’étais portugaise parce que,
m’expliqua-t-il, il m’avait entendu dire « merci » en portugais au professeur de capoeira
venu donner quelques cours d’initiation au centre. De la même manière Élisée m’a posé la
question sans doute parce que mes réactions ou mon propos pendant cette séance, où cer-
tains « stagiaires » ont parlé de leur expérience au collège et au lycée, l’avaient mis sur la
piste. Par ailleurs, sur une autre partie de mon enquête de terrain menée à la préfecture et
à la mairie de Doucy, j’avais constaté que tous les membres de l’équipe municipale inter-
rogés dont la plupart étaient soit d’origine étrangère soit descendants d’immigrés
m’avaient demandé à l’issue de l’entretien de quelle origine j’étais. En revanche, et alors
même que je posais le même type de questions, personne ne m’a interrogé sur ma natio-
nalité lors de mon enquête de terrain en préfecture et il semblait évident à tout le monde
que je ne pouvais être que française. Si ces deux attitudes distinctes peuvent s’expliquer
par la différence qui existe entre l’ambiance plus décontractée de la mairie et celle plus
protocolaire de la préfecture, il me semble aussi s’expliquent par la différence d’expé-
rience et de parcours des enquêtés.
14. Extrait du Journal de terrain, Doucy, le 20 juin 2006.
LES MOTS POUR LE DIRE 89
plutôt comme un écart. Je veux dire par là que, dans ce cas, une forme
de proximité était maintenue malgré la conscience d’une différence. De
ce fait, Leïla ou Kahina ont eu tendance à m’inclure dans leur propos
comme si je vivais les mêmes choses qu’elles ou leurs amis. De mon
côté, j’oscillais entre le fait de m’identifier à mes enquêtés et d’avoir
ainsi l’impression que je pouvais mieux les comprendre et la peur de ne
pas saisir complètement leur expérience du fait même de nos différences
de parcours. En effet, même si la notion d’expérience comprend à la fois
l’idée d’expérience individuelle et directe et celle médiée d’expérience
collective [Essed, 1991, p. 58], il me semblait que, du fait de mon appar-
tenance sociale et de mon apparence physique, je ne pouvais être par
rapport à mes enquêtés une insider à part entière. J’occupais plutôt la
position d’outsider within status [Islam, 2000, p. 41-42]. Cette position
d’entre-deux imposait donc des contraintes propres, différentes de celles
informées par la position d’outsider ou d’insider. Et ce type particulier
de contrainte a surdéterminé ma façon de problématiser l’interprétation
et l’analyse que je donnais à l’expérience de mes enquêtés. En effet, dans
la mesure où mes enquêtés semblaient m’accorder leur confiance et esti-
mer que je pouvais mieux les comprendre même si je n’appartenais pas
à leur monde, je me trouvais face à une exigence de fidélité de la restitu-
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PENSER LA RACIALISATION
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d’autres groupes sont pensés comme pouvant l’être. Des auteurs comme
W. E. Du Bois ou Philomena Essed ont, quant à eux, thématisé dans leurs
travaux la manière dont le fait d’être racialisé comme noir détermine l’ex-
périence des individus et détermine la connaissance et la vision qu’ils ont
de la société dans laquelle ils vivent. La notion de « double conscience »
du monde [Du Bois, 2007] c’est-à-dire le fait que les Noir-e-s ont, en
même temps que leur conscience de membres d’un groupe minoritaire,
présents à l’esprit les codes et les normes qui sont imposés par les Blancs,
dit cela. Il y a d’abord et avant tout une expérience irréductible, celle de
la victime de l’assignation raciale ou de l’acte raciste. C’est aussi en se
fondant sur l’expérience singulière que font les Noirs du racisme et sur
la connaissance qu’elle leur donne du racisme dans la société que
Philomena Essed [1991] introduit et détermine son concept de « racisme
au quotidien ». De la même manière, les difficultés qui se sont posées à
moi au moment de rédiger ce texte ont partie liée à l’expérience dédou-
blée de minoritaire non perçue comme telle. En ce sens, l’expérience
personnelle que fait ou ne fait pas l’anthropologue de la racialisation ou
de la stigmatisation raciale est définitoire des modes d’appréhension
qu’il a de ces questions.
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Principe d’inquiétude
CONCLUSION
REMERCIEMENTS
BIBLIOGRAPHIE
Gwénaëlle Mainsant
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
La Découverte | « Recherches »
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Gwénaëlle Mainsant
13 juillet 2007, Café, Rémi I., Mathieu X., Christophe A., Gaétan L
[policiers chargés de la répression du proxénétisme] Delphine C. [sta-
giaire, étudiante en droit] et Gwénaëlle M. [l’auteure]. Nous prenons
un café pendant la pause déjeuner, accoudés au zinc. Mathieu X. et
Rémi I. enchaînent de nombreuses plaisanteries, associant les derniers
mangas qu’ils ont visionnés et des frasques lors d’interpellations sca-
breuses en BAC [Brigade anti-criminalité]. Delphine C. rit et relance
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Christophe A. : Alors t’en penses quoi de ces personnes qui ont des pou-
voirs énormes sur la vie des gens et qui disent autant de conneries… ces
personnes qui font si puériles… Ça fait peur ?
Gwénaëlle M. :… Hum…
Delphine C. : C’est pour décompresser après tout ce que vous voyez…
souvent c’est pour ça les blagues, ça permet de passer à autre chose…
Christophe A. : Je vois ce que tu veux dire… je suis pas sûr…
Gwénaëlle M. : Et toi t’en penses quoi ?
Christophe A. : Moi ça me fait rire… et j’y participe largement… (rires)
(Journal de terrain, 13/07/2007)
1. Voir les analyses produites dans le sillage de Christophe Dejours au CNAM pour le
champ français ou Robinson et Smith-Lovin [2001] qui établissent un lien de quasi-néces-
sité entre plaisanteries et expressions d’une souffrance mentale, hypothèse que nos
observations ne permettent pas de corroborer.
PRENDRE LE RIRE AU SÉRIEUX 101
premier temps, elle n’en est, une fois les barrières levées, que plus
intense dans le groupe policier. Or, mon expérience auprès du groupe
d’investigation G1 (cf. encadré ci-après) s’inscrit en rupture avec cette
version. Évoluant d’un relatif malaise à une intégration policée et
partielle auprès des « nouveaux arrivants sérieux », ces positionnements
conditionnent mon accès, limité dans les premiers temps, à
l’information.
4. [Pruvost, 2007].
5. De même G1, G2 peuvent être caractérisé de groupe vitrine à certains égards : l’un ayant
des résultats très élevés quantitativement, le second s’occupant de proxénétisme de luxe.
108 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
Dernier étudié, le groupe G3 est présenté comme « un groupe qui tourne bien
avec une bonne ambiance ». Créé en 2003 et caractérisé par de très bons
« résultats » en termes de nombre de gardes à vue, la récente fondation du groupe
a autorisé un « recrutement au choix » de « bons éléments », des « jeunes »6
policiers âgés de 28 à 36 ans à l’exception du chef de groupe, de gardien de la paix
à commandant. Ce groupe ne comprend aucune femme, ce qui est revendiqué par
le chef de groupe.
À plusieurs égards, la « personnalité » du chef de groupe distingue ce groupe
des autres. La gestion des ressources humaines à l’échelle du groupe est décrite
comme « fonctionnant à l’affectif » : le chef accorde une plus grande autonomie à
ses subalternes et met un point d’honneur à entretenir une « bonne ambiance »,
ainsi qu’à reconnaître le travail de ses collaborateurs. De ce fait, l’un des leitmotivs
est que les policiers font des affaires pour « se faire plaisir » et non pour « faire du
chiffre » : un certain nombre de gardes à vue. De surcroît, le chef de groupe
affiche clairement dans ses lectures et ses propos un positionnement de gauche,
réduisant d’autant la distance politique avec l’ethnographe, lui autorisant
certaines plaisanteries qui, dans un autre contexte, seraient trop marquées
politiquement, permettant ainsi de négocier grâce à une certaine impertinence
une position réaffirmée – en particulier dans le cas de plaisanteries misogynes –
dans les interactions avec les policiers. De plus, l’ouverture aux extérieurs ne
commence pas avec la présence de l’ethnographe mais succède à la présence
prolongée d’une journaliste à leurs côtés : le groupe incarne une forme de
« modèle » d’ouverture à l’extérieur.
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6. Si parler de jeunesse du groupe peut sembler inapproprié étant donnée la faible dif-
férence d’âge entre G1 et G3, il n’en demeure pas moins que les moments fondateurs de
G3 sont marqués par une très grande jeunesse des effectifs et le groupe reste présenté
comme tel au sein de la brigade et ce, relativement aux autres groupes malgré les rema-
niements internes au groupe et au service.
PRENDRE LE RIRE AU SÉRIEUX 109
8. Il s’agissait à la fois d’un jeu comme latitude d’action, choisir ses affaires pour se faire
plaisir et conduire les enquêtes « librement », mais aussi d’un jeu dans la façon de mener
l’enquête, d’aller sur le terrain en plaisantant et se moquant en permanence et en action.
PRENDRE LE RIRE AU SÉRIEUX 111
… néanmoins heuristiques
Si le langage n’est pas neutre, que les mots ne sont pas que des mots
mais ont une valeur performative, que faire de discours et pratiques
contradictoires livrés par une ethnographie prolongée ? À cette diversité
des discours et pratiques se superpose le registre même de ces interac-
tions : quel usage faire de propos proférés par les policiers sur ce ton
moqueur ? De quelle façon se saisir de ce matériel empirique quand ce
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10. Une chèvre est une personne, souvent un indicateur, que les policiers envoient ren-
contrer des personnes sur lesquelles ils enquêtent sous de faux prétextes pour recueillir des
informations, par exemple jouer le rôle d’un client dans un bar à hôtesses où ils suspectent
que se déroule de la prostitution.
PRENDRE LE RIRE AU SÉRIEUX 115
11. Infractions à la législation sur les étrangers, et non pas arrestations pour motif de
proxénétisme.
PRENDRE LE RIRE AU SÉRIEUX 117
cibles, sur les policiers en tant que spécialistes étiquetés par ces
populations dont ils sont spécialistes. Comment les policiers se
moquent-ils de leur « clientèle »12 ou d’eux-mêmes à travers ce lien
avec leurs « clientèles » ? Comment mettent-ils en scène leur malaise
voire leur dégoût vis-à-vis de leurs « clientèles » ? Si le lien avec ces
populations est plaisanté unanimement, les analogies entre ces der-
nières et les policiers sont plus complexes et distribués de façon genrée.
L’exemple suivant suggère ainsi les divergences entre policiers quant à
ce qui est ou non de l’ordre du risible. Sur le bureau se trouvent deux
photos d’archives présentant deux prostituées des années 195013 au
moment de leur « encartage » par la police et qui portent toutes deux le
même nom : Caroline Lebas et Joséphine Lebas. Romain C. est à son
bureau, mitoyen à celui où sont posées les photos. Gaétan L. arrive et
s’assied derrière le bureau, Pascal Lebas le suit et s’installe derrière un
autre bureau. Gaétan L. trouve les photos : « Tiens des photos de famille,
c’est ta maman ! » Pascal Lebas regarde alors les photos et rit jaune.
Romain C. et Gaétan L. s’esclaffent. […] Plus tard, Mathias C. passe
dans le bureau et tombe sur les photos : « Ah parfait ! Vous avez pas fait
ça quand même… j’en connais un qui doit être content [de voir sa mère
assimilée à une prostituée] ! »
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12. Dans la mesure où il s’agit d’un registre usuel des sociabilités policières.
13. Au moment où le système réglementariste était encore en vigueur et où les prosti-
tuées étaient encore fichées par la police.
118 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
CONCLUSION
De ceci découle une attention aussi bien aux registres et à la trame des
discours qu’aux « façons de faire » l’action policière, c’est-à-dire au jeu
policier. Ce jeu policier ne saurait être appréhendé comme extérieur au
chercheur puisque sa personnalité est un élément constituant de l’hu-
mour et des types d’interactions observés.
Ainsi semble-t-il important de replacer l’humour au cœur de l’en-
quête, d’aller contre une image de légèreté à laquelle il est souvent
réduit (et de ce fait négligé), sans pour autant le considérer comme une
forme autonome de discours. Il faut donc conduire une réflexion sur les
modes du « passage au sérieux » des matériaux d’enquête qui ne sont
jamais donnés pour tel, qu’il s’agisse de plaisanteries ou d’entretiens.
Pour moi, il s’agit d’une entrée utile pour penser l’État au concret à tra-
vers les registres de l’action publique, à travers les façons dont un
pouvoir « plaisanté » s’opérationnalise entre les policiers et leurs popu-
lations cibles.
REMERCIEMENTS
Mes remerciements les plus sincères vont aux lecteurs avisés de ce texte,
Didier Fassin, Lola Gonzalez, Carolina Kobelinski, Olivier Louail et Geneviève
Pruvost, sans les aiguisés commentaires desquels ce texte n’aurait pu prendre
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BIBLIOGRAPHIE
La Découverte | « Recherches »
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Au-delà de la déontologie.
Anonymat et confidentialité
dans le travail ethnographique
ici de revenir sur des débats et des choix scientifiques qui induisent des
postures contrastées, et plus ou moins problématiques, en termes
d’anonymisation. Nous partirons de débats dans le champ de la socio-
logie française, prise entre le modèle scientifique des statistiques et le
recours à l’ethnographie, avant d’entrer dans les différences entre des
conceptions concurrentes de l’ethnographie.
ANONYMAT ET CONFIDENTIALITÉ
DANS LA CONSTRUCTION DE LA RELATION D’ENQUÊTE
Selon les choix théoriques qui sont faits, les questions d’anonymat
et de confidentialité ne se posent donc pas de la même manière et avec
la même acuité. En ethnographie, des difficultés particulièrement fortes
attendent le chercheur désireux de respecter ces principes. Mais quels
sont les enjeux qui se tiennent derrière le « respect de ces principes » ?
AU-DELÀ DE LA DÉONTOLOGIE 131
Comme souvent lorsque l’on parle d’anonymat, les expressions les plus
couramment utilisées renvoient au champ lexical de la déontologie : il
s’agit de protéger les personnes, les respecter, ne pas enfreindre des
règles éthiques qui transcenderaient toutes les situations et s’impose-
raient aux scientifiques comme à n’importe qui. Un tel registre rend
mal compte du travail ethnographique, pour lequel la gestion de l’ano-
nymat et de la confidentialité ne se résume ni à une procédure a priori,
ni à une opération de dernière minute visant à respecter des exigences
éthiques, mais s’intègre de multiples façons aux relations sociales qui
se nouent et se développent lors de l’enquête, depuis son commence-
ment jusqu’à ses retombées.
appelle une réflexion sociologique à part entière, qu’elle soit menée par
soi seul ou appuyée par d’autres travaux.
Anonymiser l’inanonymisable :
le cas des personnes et des institutions publiques
prend le pas sur les problèmes d’anonymat, son respect impose des
solutions moins évidentes et plus difficiles à mettre en œuvre.
CONCLUSION
REMERCIEMENTS
BIBLIOGRAPHIE
Julien Grard
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
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Devoir se raconter.
La mise en récit de soi, toujours recommencée
Julien Grard
Bien plus encore, leur statut d’handicapés psychiques les place dou-
blement dans cette liminalité. Tout d’abord, comme le rappelle Marcel
Calvez [1994] ou encore Henri-Jacques Stiker [1996], toutes les per-
sonnes étiquetées comme handicapées se trouvent dans une situation
liminale. L’épithète « psychique » n’a été accolée au terme de handicap
dans la loi qu’en 20052, sans y être pour autant défini de manière claire
et définitive. Au final, que ce soit dans la législation, les définitions pro-
fessionnelles ou profanes du handicap psychique, celui-ci est
généralement défini de manière négative et constitue un statut haute-
ment ambigu3 [Le Roy-Hatala, 2007]. Premièrement, le handicap
psychique est supposé être différent du handicap mental mais cette dis-
tinction, pour nombre d’employeurs, comme pour ceux qui bénéficient
de ce statut, demeure floue. Deuxièmement, le handicap psychique, de
par son caractère fluctuant – selon les moments, selon les formes qu’il
prend chez chaque individu – échappe aux catégorisations et aux défini-
tions. Et pour les individus qui bénéficient de ce statut, il est d’autant
plus difficile à cerner. D’abord, la plupart se sentent physiquement aptes
à exercer un métier. Ensuite, son caractère fluctuant implique qu’en cer-
tains moments ils se sentent capables de travailler : les difficultés liées
à leur maladie peuvent certains jours se faire moins ressentir, puis d’au-
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2. Loi 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la partici-
pation et la citoyenneté des personnes handicapées.
3. À l’absence de visibilité du handicap psychique dans l’espace public s’ajoute un fai-
ble intérêt pour la question dans les sciences sociales et les disability studies, au sein
desquelles les travaux consacrés à ce type de handicap sont rares [Albrecht et al., 2001 ;
Le Roy-Hatala, 2007]. On peut citer les travaux de Sue E. Estroff [1991, 1993, 1998] ou
en France les travaux de Pierre André Vidal-Naquet [2003, 2007].
148 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
« Moi, je sais pas, jusqu’à 30 ans, j’ai vécu normalement, bon, j’ai été
malade, […] mais j’ai fait des études [il a obtenu un bac ES, puis s’est ins-
crit en 1re année de sociologie à l’université, avant de se réorienter vers un
BTS force de vente qu’il a obtenu, mais n’a que peu travaillé à hauteur de
ses compétences], des boulots, tout ça, et puis tout d’un coup, alors que
j’ai 30 ans, on me dit “vous êtes handicapé, monsieur…” Alors là, je com-
prends plus, ça veut dire quoi ? Qu’est-ce que je suis, moi ? Toute ma vie,
je pensais être quelqu’un de normal, bon, j’étais malade, mais là, ça a tout
changé […] Qu’est-ce qu’on va faire de moi, maintenant ? Je suis un
déchet, moi, on va me mettre aux encombrants, ou au tri sélectif, j’sais pas,
moi, de toutes façons, on ne me mettra même pas au tri parce que y’a rien
à récupérer sur moi, je suis arabe, malade, handicapé… »
« Tu sais, Julien, je ne vais pas te raconter ma vie, hein, mais faut savoir
que j’ai pas toujours été comme ça, j’ai travaillé, avant, j’ai pas toujours
été comme ça, j’en ai fait plein, des boulots. »
« Je vais pas te raconter ma vie, mais j’ai travaillé en Belgique, j’ai travaillé
à Paris, j’ai travaillé en Picardie, à Roubaix, j’ai travaillé à Dunkerque… J’ai
même travaillé dans les champs moi, des fois dans certains boulots je devais
me lever à 3 heures du matin pour aller travailler, j’ai travaillé dans des
usines, j’ai fait les 3/8, faut pas croire, parce qu’on me voit là, que j’ai
toujours été comme ça, je suis pas un profiteur. »
4. À propos des valeurs et de l’engagement politique – dans un sens large – des ultras
et hooligans français, voir Hourcade [2000].
150 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
6. Ces attitudes ou manières de se positionner face au handicap ne sont bien sûr pas
les seules qu’il m’ait été donné d’entendre et d’observer. En ce qui concerne la manière de
se penser en relation à ce statut d’un point de vue normatif, elles constituent deux attitudes
opposées, sujettes à débats et à discussions.
154 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
en récit sert à mon sens en partie pour Paul à s’inclure dans cette
communauté morale et à nous montrer qu’il « n’a pas toujours été
comme ça ». Mais elle correspond également à une manière de se
raconter que j’identifierai plus tard, après de nombreux entretiens et
conversations avec lui. C’est en effet ainsi qu’il a dû se mettre en récit
devant des travailleurs sociaux, au moment, tout d’abord où il a demandé
l’obtention du RMI, puis à d’autres reprises. Construite et formatée par
l’intervention de certains professionnels, il trouve donc cette façon de
faire, socialement, plus acceptable.
D’autres fois, il me raconte son parcours social en mettant en avant
sa capacité à agir. Il m’explique ainsi la manière dont il s’est investi
dans ses études, pour pouvoir quitter son quartier. Il m’expose égale-
ment comment, pour supporter son séjour en prison, il s’est plongé
dans la lecture, rédigeant des listes d’ouvrages à lire, qui constituaient
ainsi des buts lui permettant de « faire passer le temps sans exploser ».
Il me dit enfin, dans la période qui a suivi sa sortie de l’hôpital psychia-
trique, comment il s’est investi dans diverses associations, en tant que
bénévole. Cette manière de se raconter, en mettant en avant ses capaci-
tés de résistance en tant qu’individu face aux contraintes, face aux
inégalités sociales est également la manière, il me le confiera plus tard,
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« […] Je le vois une fois une fois par mois, il me dit la même chose à
chaque fois : “Comment ça va ? Qu’est ce que vous avez fait [pendant le
mois] ? Vous allez toujours au GEM ? C’est bien, faut continuer…”. Ça
donne quoi ? Je me demande ce que je vais lui raconter la prochaine fois.
Il ne m’a jamais rien expliqué à propos de mes problèmes. »
« Tu vois, le Dr V., il m’a vraiment bien aidée, il ne m’a jamais rien caché,
il m’a expliqué ce que j’avais : tu sais, c’est une psychose, ce que j’ai, et
il m’a expliqué pourquoi j’étais comme ça, il m’a expliqué que je pouvais
158 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
CONCLUSION
REMERCIEMENTS
BIBLIOGRAPHIE
Carolina Kobelinsky
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
La Découverte | « Recherches »
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Carolina Kobelinsky
1. Le terme « restitution » est toutefois employé dans ce texte dans un souci d’éviter
la répétition du mot « retour ».
188 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
Le mémoire que j’ai donné à lire aux travailleurs sociaux porte sur les
conditions politiques et sociales de la gestion de l’asile politique en France.
L’enquête de terrain a été principalement menée dans un CADA, que j’ai nommé
ici CADA 1, situé dans la banlieue d’une grande agglomération, sur la base
d’observations et d’entretiens avec les professionnels et les résidents. Les
structures CADA – qui font partie du dispositif national d’accueil, sont financées
par l’État et gérées par différentes associations loi 1901 – hébergent des
demandeurs d’asile de toute origine pendant la durée de la procédure juridique
d’évaluation de leur dossier. L’étude proposée s’inscrit sur deux axes. Le premier
est centré sur le traitement institutionnel des individus indésirables dans un temps
et un espace de confinement, le centre d’accueil étant une sorte de purgatoire (un
entre-deux, espace intermédiaire où se déploie un temps de « purge » et d’attente
du « Jugement ») qui combine pratiques de contrôle et de compassion. En
m’inspirant des analyses de Michel Foucault sur les techniques pour
« gouverner », je m’interrogeais sur les pratiques mises à l’œuvre au CADA qui
consistent à « conduire la conduite » des demandeurs d’asile. L’aide
compassionnelle apparaît ici comme un mode de régulation du politique. Si, à un
niveau singulier, un référent social se sent touché par la souffrance d’une famille,
il cherchera rapidement à réparer le besoin le plus immédiat ; au niveau politique,
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concepts qui n’avaient pas d’autre sens pour mes enquêté-e-s que celui,
au dire d’un des intervenants, de « brouiller les pistes pour qu’on ne
comprenne rien ».
L’instrumentalisation de la recherche
peut donc penser qu’elle s’est sentie délaissée alors que j’essayais
d’avancer dans mon travail en suivant l’activité d’autres intervenants,
ce qui me laissait moins de temps pour discuter avec elle dans son
bureau, comme on faisait autrefois. 2) Depuis le début du terrain,
Thérèse se montrait intéressée par ce que je pouvais « apporter pour
améliorer son travail dans la gestion du quotidien ». Sans jamais pro-
noncer le mot, très souvent elle m’assignait le rôle d’experte lorsqu’elle
me demandait par exemple d’apprécier son savoir-faire et ses qualités
après un premier entretien avec des nouveaux résidents qu’elle avait
réussi à « mettre à l’aise » malgré les « questions délicates » et la bar-
rière linguistique. Je devenais une sorte d’experte en « relations
d’altérité », capable d’évaluer les aptitudes des intervenants sociaux à
traiter avec des Autres venus de loin. Le texte que je lui avais remis ren-
dait compte des procédures standardisées que les référents mettaient en
place au CADA1 tout en reflétant également les différentes façons de
faire des intervenants. Dans le mémoire on pouvait noter que les inter-
actions de Thérèse – comme celles d’autres salariés mais les siennes
étaient les plus nombreuses et saillantes dans le texte – étaient toujours
marquées par une forte empreinte émotionnelle et un registre compas-
sionnel dans le traitement quotidien des demandeurs d’asile. Bien que
je ne porte pas de jugement (en tout cas dans le texte) sur cette moda-
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Alors que j’y menais mon enquête depuis plusieurs mois, un des
responsables du CADA 2, qui avait toujours manifesté un intérêt expli-
cite à l’égard de ma recherche, me demanda de présenter « les idées et
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« L’ethnographie n’est pas un miroir. Or, c’est bien sous cette forme que,
dans la plupart des cas, la demande de restitution s’exprime : ce que
LES SITUATIONS DE RETOUR 193
les travailleurs sociaux ne jugeraient pas les gens. Les termes de mon
analyse ne correspondaient pas à leur vision de ce qu’est « le social »
et ils n’envisageaient pas – en tout cas ils ne l’ont pas envisagé sur le
coup – que « le social » puisse être appréhendé de manières diverses et
variées. Quant à la légitimité d’un travail fondé sur une enquête de ter-
rain, il faut dire tout de suite que ce dernier terme est à la mode. Le
terrain est devenu un mot de passe du discours médiatique et politique
contemporain, comme le note James Clifford [1997]. Dans le monde
des intervenants sociaux du CADA, l’anthropologue ne peut plus
appuyer son autorité ethnographique sur le « I was there », être là,
c’est-à-dire sur le terrain, parce qu’eux-mêmes revendiquent justement
une « vraie » connaissance de ce qu’ils appellent aussi le terrain. Ils se
savent et se disent des « acteurs du terrain » alors que j’étais perçue
comme une observatrice externe, plus encore, une outsider – hors du
terrain – par rapport au monde social que je tentais d’analyser.
Les critiques des travailleurs sociaux montrent que la situation de
retour constitue un enjeu d’appropriation et de concurrence qui modi-
fie, voire conteste, la position de la chercheuse. Le savoir
anthropologique est engagé dans une compétition avec d’autres savoirs
(celui des éducateurs et des assistants sociaux) et c’était le sens attribué
aux termes ainsi que la légitimité au nom de laquelle parler du « ter-
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peut s’avérer un moment d’échange très riche et doit donc être prise au
sérieux comme faisant partie de l’activité scientifique et non pas (seu-
lement) comme étant une étape qui interviendrait après l’enquête de
terrain, après même l’écriture. Cette réunion avec l’équipe du CADA
m’a d’ailleurs permis de mettre à l’épreuve mon hypothèse et d’affiner
l’analyse.
« Quand j’avais vingt ans, une chercheuse était venue parler de la relation
dominant-dominé dans le travail social, je suis presque parti en claquant
la porte tellement j’étais vexé et énervé par ce qu’elle disait. Quelques
années après, je savais qu’elle partait à la retraite et je lui ai écrit une let-
tre pour la remercier de m’avoir fait un peu moins con ce jour-là. Elle avait
tout à fait raison mais je n’ai pas pu le comprendre sur le coup. Je pense
donc que votre intervention aujourd’hui va travailler la tête de certains tra-
vailleurs sociaux et c’est vraiment une grande chose. » (Directeur d’une
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Je pense que Aké m’a vue dans un tel état d’angoisse qu’il a voulu
me remonter le moral en rapprochant mon travail de celui des
« chercheurs qui découvrent des vaccins » et guérissent des malades.
Or, concrètement, la recherche ne lui apporte pas grand-chose.
Honnêtement, je ne sais pas ce qui pourrait constituer une forme de
restitution aux demandeurs d’asile qui leur soit « utile ». S’il en existe
une, je pense qu’elle passe par l’intermédiaire du retour de la recherche
auprès des intervenants sociaux et des associations qui gèrent le
dispositif.
CONCLUSION
L’une des apories de cette réflexion est peut-être de penser que l’on
peut aborder le comment de la restitution sans faire aucune allusion au
pourquoi. Certes, la question de l’utilité sociale de la recherche ne peut
être évitée, mais il est difficile d’apporter un nouveau regard sur une
discussion qui, d’habitude, n’a l’air de mener nulle part. Comme l’écri-
vait Foucault [2001, p. 1051] à propos de ses recherches sur le pouvoir :
« Si j’accorde un certain privilège à la question du “comment”, ce n’est
pas que je veuille éliminer la question du quoi et du pourquoi. C’est
pour les poser autrement. »
REMERCIEMENTS
BIBLIOGRAPHIE
© La Découverte | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via INIST-CNRS (IP: 193.54.110.56)
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Bastien Bosa
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
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Bastien Bosa
1. J’ai réalisé deux « terrains » d’un an chacun en 2003 et 2005 dans le cadre de ma
thèse de doctorat réalisée à l’EHESS sous la direction d’Alban Bensa.
2. Comme le dit Didier Fassin [2006] à propos du contexte français, « l’intégrité
morale et la rigueur scientifique » sont généralement considérées comme des « garanties
suffisantes du respect des principes éthiques ».
3. Pour plus de détails institutionnels,
cf. http://www.nhmrc.gov.au/ethics/human/hrecs/overview.html
206 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
4. Ce document, qui datait de 1999, a été remplacé en 2007 par le National Statement
on Ethical Conduct in Human Research.
5. NHRMC Act 1992; Privacy Act 1988; Information Privacy Act 2000 ; Health
Record Act 2001.
6. LTU guidelines, 08/2004. Le National Statement repose sur trois principes : Respect
de la personne : les individus doivent être traités comme autonomes ; Bienveillance : mini-
miser les dommages (pas seulement physiques), faire en sorte que les bénéfices soient plus
importants que ces dommages ; Justice : obligation de distribuer honnêtement les coûts et
profits (burden et benefits) de la recherche.
208 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
Quelles sont les conditions concrètes à remplir pour obtenir une approbation
éthique ? Au-delà de quelques renseignements généraux sur l’enquête et son
déroulement7, l’objectif premier du Comité d’Éthique est de s’assurer que la
participation des enquêtés repose sur un consentement « libre et éclairé ». D’où
l’obligation pour l’enquêteur de leur remettre un Information and Consent Form
(avec une traduction dans la langue vernaculaire si nécessaire). Un tel formulaire
est censé permettre à l’enquêté de disposer par écrit des informations essentielles
sur l’enquête et de bénéficier de certaines protections : outre quelques
renseignements pratiques (noms des enquêteurs et contacts des personnes en cas
de réclamation), le chercheur doit expliquer – sans nécessairement entrer dans le
détail – les grandes lignes de sa recherche et préciser en quoi consistera
l’entretien : durée approximative, orientation générale et type de questions,
nature de l’enregistrement (dictaphone, vidéo, CD Rom, etc.) et usage de
l’enregistrement.
Le formulaire permet également d’offrir aux personnes interrogées un
certain nombre de garanties, notamment en termes de protection de la vie privée.
D’une part, l’enquêté est informé de ses droits pendant l’entretien : s’il considère
que les questions deviennent trop personnelles, il peut demander à l’enquêteur
de changer de sujet, ou lui demander du temps pour rassembler ses pensées. Il
peut également interrompre l’entretien à tout moment s’il le souhaite. D’autre
part, il a droit à un minimum de précisions concernant l’usage qui sera fait des
enregistrements : il peut demander que son nom n’apparaisse pas dans la
publication ainsi que des garanties sur le devenir des matériaux le concernant
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7. Les enquêteurs doivent préciser le cadre dans lequel le projet s’inscrit (diplôme,
organisations impliquées, etc.), le nombre d’enquêteurs et les financements dont le projet
bénéficie. Ils doivent décrire brièvement les objectifs du projet et les méthodes mises en
œuvre. Ils doivent enfin répondre à des questions portant spécifiquement sur les enquêtés :
méthodes de recrutement, compensation éventuelle, assurance que la participation est
purement volontaire (l’existence de liens de dépendance par exemple étudiants/professeur
entre enquêtés et enquêteurs peut poser problème). D’autres aspects de l’enquête sont
également abordés : usage de bases de données, de lieux d’enquête hors université.
À L’ÉPREUVE DES COMITÉS D’ÉTHIQUE 209
11. Voir par exemple Beaud et Weber [1997]. Il existe une différence importante entre
le fait de rendre les transcriptions des entretiens aux enquêtés et celui de leur communi-
quer les résultats finaux de la recherche. Si certains chercheurs justifient leur refus
d’envoyer les entretiens par des principes scientifiques (protéger les enquêtés de l’objec-
tivation), ce refus masque en fait souvent la paresse des chercheurs.
12. En partie parce qu’il n’existe pas de structure pour les recevoir. Cf. Laferté [2006].
212 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
13. Les archives montrent que dans le cas des recherches en anthropologie physique,
les anthropologues étaient très loin de respecter l’idée d’un consentement éclairé, par
exemple lorsqu’ils avaient besoin de faire des prises de sang. Dans le cas de l’anthropolo-
gie sociale, les relations n’étaient pas non plus sans ambiguïté. On m’a ainsi raconté que
Fred McCarthy, l’un des principaux anthropologues de la Sydney School, allait directe-
ment au poste de police quand il se rendait sur le terrain, indiquant : « Amenez-moi
Dutton ! » (C’était le nom de l’un de ses principaux informateurs).
À L’ÉPREUVE DES COMITÉS D’ÉTHIQUE 213
« L’héritage ne peut jamais être aliéné, cédé ou vendu, sauf pour des
usages conditionnels. Le partage crée une relation entre celui qui donne et
celui qui reçoit le savoir. Le “donneur” conserve l’autorité qui garantit le
bon usage du savoir, et le “récipiendaire” continue de reconnaître et de
rembourser le don. »
« Les chercheurs doivent être conscients que les intérêts des peuples
indigènes, et de toute communauté directement impliquée, peuvent du point
de vue des résultats de la recherche, différer de ceux envisagés par le
chercheur. »
15. On sait bien que les enquêteurs rendent souvent à leurs enquêtés des versions
« édulcorées » de leur travail, desquelles les éléments les plus « objectivants » ou les plus
polémiques sont écartés ; précisément parce que la circulation d’un rapport de recherche
dans le milieu d’enquête peut poser de nombreux problèmes.
16. Il est précisé ailleurs dans le document que le chercheur doit identifier les « com-
munity, regional or other Indigenous umbrella organizations ». Le HEC de l’université qui
m’accueillait stipulait de même que le chercheur précise quelles sont les « personnes et/ou
organismes auprès desquels une permission avait été demandée pour que ces groupes par-
ticipent à votre recherche ».
17. La tâche est d’autant plus difficile que l’enquêteur est incité à tenir compte des dif-
férences internes aux communautés, « par exemple en fonction du genre, de l’âge, de la
religion, et de l’intérêt communautaire ». On remarquera que la classe sociale n’est pas
retenue comme un critère important de la différentiation interne.
216 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
18. On notera également que les journalistes doivent faire face aux mêmes types de
censure. Les communautés aborigènes, explique Jack Waterford, rédacteur en chef du
Canberra Time, imposent des restrictions sur les journalistes qui sont plus « contrai-
gnantes que celles des militaires en temps de guerre ».
À L’ÉPREUVE DES COMITÉS D’ÉTHIQUE 217
19. Une citation est utilisée pour appuyer « scientifiquement » cette conception : « To
“misrecognise or fail to recognise (cultural difference) can inflict harm, can be a form of
oppression, imprisoning someone [or a group] in a false, distorted and reduced model of
being”… Research cannot be “difference-blind”. » [Taylor, 1992].
20. Ces « valeurs » ont été déterminées au cours d’un séminaire qui s’est tenu à
Ballarat en juin 2002 et qui réunissait divers « acteurs » aborigènes. Les six valeurs iden-
tifiées sont les suivantes : réciprocité, respect, égalité, survivance et protection,
reponsabilité, « spirit » et intégrité. Voir diagramme en annexe.
21. Cf. Fabian [1983], « le temps immobile de l’ethnologie rappelle celui de l’anato-
mie, qui saisit le corps dans la simultanéité de ses composantes inertes. »
218 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
22. Dans un livre qu’elle a coordonné sur cette question, l’anthropologue Pat Caplan [2003]
insiste sur le fait que l’éthique en anthropologie ne peut jamais se résumer à « suivre une sé-
rie de directives » : l’anthropologue est toujours confronté à des choix moraux qui ne vont ja-
mais de soi. L’une des contributrices de l’ouvrage, Marilyn Silverman, insiste spécifiquement
sur le décalage entre la déclaration d’éthique qu’elle a dû préparer pour obtenir un finance-
ment et les multiples dilemmes éthiques auxquels elle devait faire face sur le terrain en Irlande.
23. Au début de ma thèse, je m’étais déjà très largement inspiré du formulaire d’un
autre historien. Il existe en effet des modèles de rédaction qui circulent informellement
d’un chercheur à l’autre de manière à faciliter le processus d’approbation.
À L’ÉPREUVE DES COMITÉS D’ÉTHIQUE 219
24. C’est le nom utilisé pour désigner les Aborigènes dans le Sud-Est de l’Australie.
25. Étant hors d’Australie, je ne pouvais suivre les débats que de manière distante.
220 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
26. Cf. l’accusation d’espionnage (on le surnommait « l’œil de Moscou ») dont il a fait
l’objet dans le cadre d’une enquête par observation participante.
À L’ÉPREUVE DES COMITÉS D’ÉTHIQUE 221
30. C’est également un choix qu’a fait Florence Weber [2005, p. 22]. L’expression
« biographie autorisée » est reprise de l’historienne Victoria Haskins.
À L’ÉPREUVE DES COMITÉS D’ÉTHIQUE 223
31. La question aurait pu être réglée en recourrant à l’anonymat. Mais mes enquêtés
préféraient, semblent-ils être identifiés. La difficulté de l’anonymisation (et surtout de la
confidentialité) était d’autant plus difficile qu’il s’agissait de « personnes publiques »
(ayant eu pour certain d’entre eux, un profil national), pour lesquelles je voulais décrire
des éléments relevant du monde du privé, de l’intime.
32. Reste que l’interprétation de ces « non-réponses » ne va pas de soi : comment être
sûr qu’il s’agit d’un désintérêt et non d’une forme de résistance passive ?
224 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
succès, les leaders du mouvement Black Power qui avait réussi à faire
trembler l’Australie blanche au début des années 1970.
Mais il est bien évident que dans d’autres circonstances, le travail
d’objectivation aurait pu être beaucoup plus difficile à faire accepter. Je
pense notamment qu’il ne m’aurait pas été facile de donner à lire à mes
enquêtés des textes portant sur des situations récentes d’exclusion ou
d’échec social qui caractérisent pourtant la vie d’une grande partie de
leur entourage (et en particulier, dans certains cas, leurs enfants). De
manière générale, et pour de bonnes raisons, nombreux sont ceux qui
ne sont pas en mesure d’accepter l’objectivation des rapports de force
sociaux dans lesquels ils sont pris.
Enfin, je suis conscient que ce travail de restitution a été grande-
ment facilité par les caractéristiques sociales des enquêtés : non
seulement, ils disposaient du capital scolaire et culturel pour lire (et
pour s’intéresser) aux textes que j’avais écrits, mais leurs trajectoires
ont rendu possible l’établissement de relations de complicité ou de
confiance. Dans de nombreux autres cas, l’existence d’une trop grande
distance ou inégalité sociale entre l’informateur et le chercheur (voir
l’absence de sympathie, comme dans le cas de Martina Avanza) peut
empêcher tout processus de restitution.
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BIBLIOGRAPHIE
Fanny Chabrol
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
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l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
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Fanny Chabrol
1. Il ne s’agit pas d’une traduction littérale de son titre qui est celui de « matrone »,
mais de son équivalent dans le système hospitalier français.
ENQUÊTER EN MILIEU CONVOITÉ 231
Un objet convoité
chute de plus de vingt ans au tournant des années 2000) suscitent des
intérêts scientifiques multiples tout comme la présence d’un virus spé-
cifique4 et d’une population dont les caractéristiques biologiques sont
convoitées dans le cadre la recherche biomédicale internationale. Ces
éléments se conjuguent avec un facteur démographique : une « petite »
population de 1,7 million d’habitants, avec de très fort taux de préva-
lence du VIH permettant d’obtenir aisément des échantillons pour la
réalisation d’études quantitatives. Enfin, l’expérience actuelle : le pre-
mier pays africain à généraliser les ARV de façon gratuite et l’existence
d’infrastructures hospitalières jugées suffisantes pour mener des
recherches cliniques (« Le Botswana est très propice en termes d’essais
cliniques5 ») expliquent aussi l’investissement massif des institutions
internationales et bilatérales, publiques et privées dans le domaine de la
recherche sur le sida et l’accès aux traitements.
D’autre part, une continuité historique caractérise l’intervention occi-
dentale dans un pays apprécié par l’Occident depuis son indépendance,
même si son importance relative a évolué au gré de l’amélioration des
conditions économiques et de la mesure qui était faite de son « dévelop-
pement ». En outre, grâce à ses succès économiques liés à l’exploitation
des mines et à la rente du diamant, le Botswana est devenu un « pays à
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Cet environnement propice est une terre de choix dans une économie
politique internationale dans laquelle la recherche pharmaceutique,
l’« industrie émergente de la recherche sur les sujets humains » [Petryna,
2005] occupe une place croissante. Les personnes qui bénéficient du pro-
gramme national d’accès aux ARV, tout comme celles qui sont séroposi-
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Le centre de soins pour l’accès aux ARV peut être considéré comme
un site « surinvesti » par la présence de chercheurs convergeant vers ces
potentielles populations d’enquête. Il concentre la plus forte proportion
de patients séropositifs sous traitement et cette importance numérique
des données se matérialise en dossiers que l’on peut considérer comme
faciles d’accès7. Le système informatique de gestion des données permet
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7. Fin 2007, plus de 18 000 dossiers ont été enregistrés dans le centre de soins, chiffre
qui inclut les décès, les transferts et les « perdus de vue ».
236 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
8. Une autre jeune chercheuse rencontrée par la suite et qui travaillait en binôme avec
la précédente, pour la même étude, m’expliquait quant à elle de façon laconique qu’elle
souhaitait profiter d’être au Botswana pour mener également sa propre recherche : sur les
connaissances, attitudes, pratiques et comportements des étudiants de l’Université du
Botswana, thème sur lequel il existe déjà une littérature assez abondante. Il s’agit des
enquêtes « KAPB » qui ont marqué les premières recherches « socio-anthropologique »
sur le sida et qui ont depuis été largement critiquées et remises en question. [Dozon et
Fassin, 1988 ; 1999] et [Vidal, 1995].
9. Par exemple, dans des endroits stratégiques, des affiches expliquant les études cli-
niques auxquelles les étudiants seraient susceptibles de participer ou des petits prospectus au
format carte de visite mentionnant « Couples wanted » pour une étude sur la sérodiscordance.
10. Entretien avec Dr L., mai 2007, Université du Botswana, Gaborone.
238 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
L’anthropologie au Botswana
11. Botswana Network of Ethics, Law and HIV/AIDS. Site Internet : http://www.bonela.org
ENQUÊTER EN MILIEU CONVOITÉ 239
12. On peut également citer l’exemple les Indiens Navajos, des Dogons au Mali ou,
en ce qui concerne les controverses issues des terrains revisités : M. Mead et M. Freeman
dans les îles Samoa et R. Redfield et O. Lewis au Mexique.
240 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
13. À cet égard, voir les suites des recherches biomédicales menées dans les villages
yanomami du Venezuela et du Brésil à la fin des années 1960, en particulier la question du
prélèvement d’échantillons de sang et de leur restitution [Albert, 2003].
242 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
CONCLUSION
REMERCIEMENTS
BIBLIOGRAPHIE
Antonella Di Trani
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
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Antonella Di Trani
2 La ville de Venise contient six quartiers, chacun d’eux apparaît sous le terme de
« sestiere ».
250 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
3. Il fait référence à une thèse d’un anthropologue, écrite il y a une vingtaine d’années
et qui portaient surtout sur les fêtes juives dans le Ghetto.
TRAVAILLER DANS DES LIEUX SENSIBLES 251
4. La garde financière (Guardia di Finanza) est un corps spécial de la police qui dépend
directement du ministère de l’Économie et des finances. Elle fait partie des forces armées de
l’État et pourvoit à la prévention, recherche et dénonciation des évasions et violations finan-
cières, ainsi qu’au contrôle et respect des dispositions d’intérêt politique et économique, au
maintien de l’ordre et de la sécurité publique, et à la défense des frontières.
TRAVAILLER DANS DES LIEUX SENSIBLES 253
« préoccupations qui sont là mais, dont ils ne veulent pas trop parler ».
Une habitante m’explique ainsi qu’elle « ne préfère pas trop dire
qu’elle n’est plus tranquille dans son quartier ». L’idée de crainte et de
tension était ainsi affirmée de façon singulière, presque par antiphrase,
par une forme de négation qui renvoyait à ce qui ne pouvait être énoncé
en clair, d’où un certain resserrement de la parole.
Les acteurs percevaient le Ghetto en fonction du travail médiatique
qui rendait tangible, presque physiquement, les conséquences de l’évé-
nement du 11 septembre. L’événement, d’une manière générale, « ne se
donne jamais dans sa vérité nue, il se manifeste – ce qui implique aussi
qu’il est manifesté, c’est-à-dire qu’il résulte d’une production, voire
d’une mise en scène : il n’existe pas en dehors de sa construction. »
[Bensa et Fassin, 2002]. Il convient donc de porter une attention parti-
culière à la perception que les acteurs locaux ont du lieu en regard des
effets médiatiques qui accompagnent les événements et en fonction des
différents sens qu’ils attribuent, dans ce contexte spécifique, à la pré-
sence et à la démarche de l’ethnologue.
Pour éviter que le terme de suspicion à propos du Ghetto n’appa-
raisse comme une notion flottante, il convient de préciser comment les
acteurs l’expriment dans les entretiens ou les échanges informels. Si je
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partie de mon identité, comme mon lieu de provenance, etc., ont été
réinterprétées. Un habitant me dit un jour en présence d’autres per-
sonnes du quartier : « À mon avis, tu travailles pour les renseignements,
c’est pour ça que tu parles plusieurs langues et qu’on ne sait pas très
bien d’où tu viens ». Et « c’est pour ça qu’elle est seule ici » ajouta un
autre. Je dus expliquer que j’étais de nationalité italienne ayant suivi
mes études en allemand au Luxembourg et faisant mes études univer-
sitaires actuellement en France. Les informations que les interlocuteurs
avaient eues au début de mon séjour de terrain prenaient ainsi un autre
sens en référence à une nouvelle situation de tension. Avoir à démentir
les suspicions devenait fastidieux et compliquait mon travail tout en
affectant inévitablement la relation d’enquête.
Dans le Ghetto, le climat de tension s’est intensifié en raison des
événements politiques mondiaux, en particulier après les attentats de
novembre 2003 visant deux synagogues à Istanbul. Le samedi
15 novembre une personne de la communauté juive de Venise informe
le Rabbin pendant l’office à la synagogue que des attentats ont été per-
pétrés en Turquie. À la sortie, la nouvelle s’ébruite dans le Ghetto. Une
certaine agitation est perceptible. Les mesures de sécurité sont renfor-
cées dans les heures qui suivent. Le matin du 16, les habitants et les
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5. C’est la première enclave qui en porte le nom, puisque le mot « Ghetto » vient du
dialecte vénitien « geto » signifiant fonderie et qui fait référence à la fonction du site avant
l’institution de l’enclave. La « Carrière » de Carpentras semble être l’enclave la plus
ancienne, datant de 1496 et instituée non pas par une République comme ce fut le cas à
Venise mais par le Pape.
256 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Samuel Lézé
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
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Résister à l’enquête ?
Le chercheur face à l’autorité des psychanalystes
Samuel Lézé
Or, qu’il ne soit pas possible de tout voir ou qu’il ne soit pas possible,
pour un acteur, de tout dire, ne relève pas exclusivement d’une situation
de domination. Dominants comme dominés n’acceptent de livrer des
informations ou des situations à l’observation pour autant qu’ils accep-
tent la définition de la situation dans les termes de leur monde.
L’asymétrie n’est donc pas de pouvoir (de différentiel de force), mais
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Ainsi, le retour réflexif sur les phases de mon enquête m’amène non
seulement à relativiser cette notion de résistance à la durée, à
l’apprentissage et aux alliances qui font tomber les obstacles à
l’enquête, mais surtout à en récuser l’évidence et la pertinence théo-
rique si elle est employée en dehors d’une conjoncture (coloniale ou
6. Avoir l’intelligence de la situation c’est formuler des questions acceptables ou
recevables.
7. Ce qui n’est plus le cas dans le champ médical anglo-saxon où les commandes
publiques d’études qualitatives sur l’expérience phénoménologique des patients
s’adressent de plus en plus aux anthropologues. La frontière entre clinique et recherche est
brisée par la médecine basée sur les preuves. Le succès de la phénoménologie des
maladies mentales est l’envers du succès des classifications nosographiques.
266 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
d’un analysant à l’égard de son psychanalyste que Sartre avait publié dans les Temps
modernes en 1969.
9. Je m’inspire largement ici d’un article de Jean Bazin [1996, p. 401-20]. Dans cet
article, il oppose le “paradigme ethnologique” qui valorise la différence pour elle-même au
“paradigme anthropologique” qui vise à réduire la différence. L’une implique un programme
herméneutique, l’autre pragmatique. Cet usage s’oppose à la façon canonique de considérer
la discipline comme un immeuble à “étages” depuis le rez-de-chaussée empirique de
l’ethnographie, en passant par l’escalier de l’ethnologie de synthèse jusqu’à la terrasse de
l’anthropologie, théorique et comparative. Pour Jean Bazin, une description anthropologique
est aussi bien ethnographique que théorique pour autant qu’elle se fait pragmatique. Décrire
une règle sociale, c’est à la fois décrire l’actualisation toujours singulière d’un possible tel
“on a volé une vache” et le réinscrire dans une minutieuse casuistique des “coups possibles”,
en puissance.
268 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
Problème de communication
12. Le site de l’ECF indique que cette rencontre s’adresse « à tous ceux qui désirent
s’informer sur la cure analytique, la formation dispensée à l’École, parler de leur parcours
personnel ou de leur intérêt particulier pour la psychanalyse ».
13. Une situation similaire, quoique par e-mails interposés, se répéta lors du premier
contact d’un membre de la SPP, Société psychanalytique de Paris.
RÉSISTER À L’ENQUÊTE ? 271
14. Les entretiens préliminaires consistent en échanges d’une durée plus ou moins
longue qui précèdent le passage sur le divan.
15. L’étude des valorisations de la parole commence à se développer en anthropolo-
gie. Voir par exemple Dominique Casajus [2000]. Je pense que toutes les leçons de
l’ouvrage « classique » de Jeanne Favret-Saada [1977], qu’on ne cesse pourtant pas de
citer avec éloge, ne sont toujours pas clairement tirées.
272 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
16. Deux ou trois séances par semaine de 45 à 55 minutes. Ils ont donc un cadre
« fixe ».
17. Psychanalyste reconnu comme chevronné (au sein d’un cercle ou d’une association)
qui supervise le travail clinique des psychanalystes en formation ou en période de difficulté.
18. Ou psychanalyste débutant.
19. Patient en cours de cure.
20. Ancien patient.
21. Tout individu qui présente une demande à un psychanalyste.
RÉSISTER À L’ENQUÊTE ? 273
CONCLUSION
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22. Il s’agit d’un extrait de l’un de mes carnets de début 2003. Je suis perplexe et
embarrassé par cette situation : quel « nom » donner ?
23. L’ « interlocuteur impartial » de Freud, c’est l’État.
24. D’où la question de Antoine Compagnon et Michel Schneider [1973] dans un arti-
cle ironique : « Qu’est-ce que l’analyste en tant qu’analyste ne peut interpréter ? »,
« Économie et marché de la psychanalyse en France », Les Temps Modernes, 1973.
RÉSISTER À L’ENQUÊTE ? 275
REMERCIEMENTS
BIBLIOGRAPHIE
Natacha Gagné
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
La Découverte | « Recherches »
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LLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLL
Natacha Gagné
était alors clairement l’enjeu des critiques, comme c’est aussi le cas
plus largement des critiques portant sur les recherches de chercheurs
non autochtones relatives aux questions autochtones, c’est ce qui peut
être dit sur les populations à l’étude, par qui et dans quels contextes.
À titre d’exemples, je relaterai deux situations qui m’apparaissent
bien révéler la teneur des critiques qui m’ont été adressées, mais
voyons d’abord plus en détail ce qui ressort de mes recherches. Par la
suite, je discuterai du contexte dans lequel les critiques reçues se situent
et je terminerai par une réflexion sur les limites et possibilités de la
recherche dans le champ des études relatives aux Maaori. Les considé-
rations plus méthodologiques et théoriques se retrouveront donc dans
le dernier tiers de ce chapitre.
Les whare Maaori sont ouvertes sur une base quotidienne aux
membres de la famille étendue et aux amis. Ils y viennent pour bavarder,
partager un repas, demander des conseils sur les bonnes façons de faire
en accord avec la tradition, s’occuper des enfants, aider dans les tâches
de la maison ou passer la nuit. Les whare Maaori sont des lieux où les
liens au passé, à la tribu, à la terre et aux mondes ancestraux sont
entretenus, où les connaissances « traditionnelles » et la langue maaori
sont enseignées, où les nouvelles et les potins sont échangés, et où
d’importantes décisions concernant la famille, les enfants, les terres
collectives et la politique sont prises. Ce type particulier de maisons s’est
révélé être, en ville, un lieu crucial pour l’affirmation maaori et la
résistance aux effets de la colonisation, à la société paakehaa, à
l’Occident plus généralement.
J’ai présenté ces conclusions dans divers congrès internationaux, ainsi
que lors de séminaires et conférences publiques en Nouvelle-Zélande.
Deux scènes vont me permettre d’illustrer les réactions que j’ai obtenues.
282 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
3. Je n’ai pas d’espace dans ces pages pour développer cette question de la rectitude
politique, en particulier dans le contexte des pays anglo-saxons. Je pense pourtant qu’elle
est importante pour expliquer la réaction des participants à la séance lors de l’intervention
de mon ami. De façon à donner une meilleure idée des situations que la rectitude politique
engendre, je donnerai un exemple supplémentaire. Lors du même colloque, un autre
Maaori est intervenu de façon interminable, hors de propos et même grossière à l’égard du
conférencier d’honneur sans que personne ne l’interrompe. Il fut même applaudi par cer-
tains anthropologues (blancs) du colloque. Mon ami maaori trouva d’ailleurs lui-même
cette intervention et applaudissements fort déplacés. Cette rectitude politique, à mon sens,
traduit le malaise des chercheurs non autochtones qui tentent tant bien que mal de renégo-
cier, dans un contexte hautement politisé, potentiellement conflictuel et questionnant leur
autorité ainsi que le futur de leurs recherches, la relation avec les autochtones. Ce malaise
se traduit parfois par un certain paternalisme et parfois par un excès de complaisance qui
ne fait, à mon sens, qu’amplifier le malaise général des autochtones comme des non-
autochtones et multiplier les sites possibles de tensions entre chercheurs autochtones et
non autochtones.
284 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
4. Encore ici, pour des questions de confidentialité, le sexe de la personne ne sera pas
révélé. Le générique masculin sera utilisé.
5. Ce commentaire me toucha particulièrement, puisque cette interprétation allait
complètement à l’encontre de ma propre intention qui visait, au contraire, à donner une
image positive de la famille comme une famille exemplaire illustrant bien les succès de la
lutte maaori au quotidien. Je trouvai malgré tout un certain réconfort dans le fait que cer-
tains membres de la famille partagaient ma lecture.
286 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
J’ai rapporté ces deux études de cas parce que je pense qu’elles illus-
trent bien trois points importants. D’abord, elles montrent que le terrain
de l’anthropologue se poursuit longtemps après qu’elle a quitté physique-
ment le terrain. En effet, les réactions à mes recherches furent très
révélatrices des relations de pouvoir en Nouvelle-Zélande parmi les
Maaori, mais aussi entre Maaori et non Maaori, ainsi que des enjeux liés
à des relations inégales de pouvoir. Dans ce contexte, et ceci constitue
mon deuxième point, il n’est pas surprenant de constater que certains
positionnements ou certaines idées qui apparaissent comme menaçantes
font apparaître des comportements et des discours standardisés qui nient
la flexibilité des mondes (par exemple, le monde maaori versus le monde
paakehaa), des actions et narrations possibles en réifiant certains aspects
censés représenter de façon plus « authentique » la maoritude, notam-
ment chez certains leaders ou élites6. Dans le cas des Maaori, ces derniers
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6. Notons que les Maaori avec qui j’ai discuté n’aiment pas trop en général l’appella-
tion « élite ». Ils préfèrent de loin « leader » qui fait, à leurs yeux, beaucoup moins
péjoratif et plus politique. C’est particulièrement le cas de ceux qui font justement partie
de ce segment de la population. Comme le rappelle d’ailleurs Shore [2002, p. 3], se réfé-
rant à Marcus [1983, p. 9], « élite » est plutôt un terme pour référer à d’autres plutôt qu’un
terme pour s’identifier soi-même, c’est-à-dire une catégorie du point de vue de l’observa-
teur plutôt que du point de vue de celui qui parle de lui-même.
288 LES POLITIQUES DE L’ENQUÊTE
Ce type de recherche est donc conçu par Smith [1999, p. 116] comme
une stratégie menant à l’autodétermination, ainsi que contribuant plus
généralement à la justice dans les domaines psychologique, social, cultu-
rel et économique et donc, bien au-delà du domaine strictement politique.
Le développement de ces principes de recherche a été accompagné
par le développement d’exigences plus grandes en matière de recherche
avec les autochtones au sein des organismes subventionnaires, ainsi
qu’au sein des universités, en autres, au sein des comités d’éthique de
la recherche dont tout chercheur doit obtenir l’approbation avant d’al-
ler sur le terrain et débuter sa collecte des données. Ceci est vrai en
Nouvelle-Zélande comme au Canada. Les mêmes tendances sont aussi
à l’œuvre aux États-Unis et en Australie.
À la demande des chercheurs et des communautés/peuples autoch-
tones, mais aussi des organismes subventionnaires7 et des comités
d’éthique de la recherche des universités8, les chercheurs sont encoura-
gés à développer des pratiques de recherche dites collaboratives avec
les autochtones qui sont les sujets de leurs recherches, tant au plan de
la définition du projet de recherche, qu’au plan de la collecte de don-
nées, de l’analyse et de la rédaction du rapport final. Plusieurs
arrangements sont alors possibles et à explorer.
En Nouvelle-Zélande (et dans une moindre mesure, au Canada, aux
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Les questions qui s’imposent alors sont les suivantes : Quel est
l’avenir de la recherche sur les questions autochtones pour des non-
autochtones ? Quel est le rôle des anthropologues non maaori dans la
compréhension de situations impliquant des Maaori ? Quelle peut être
la relation entre nous ? Dans le contexte hautement conflictuel actuel,
il est même difficile de ne pas se demander ce que des non-Maaori peu-
vent ajouter à ce que les Maaori eux-mêmes ont à dire10. Ces questions
peuvent sembler inconcevables à ceux qui ne se situent pas dans le
contexte des études relatives aux questions autochtones et elles peuvent
même être interprétées comme frôlant le racisme. Ces questions sont
pourtant hautement significatives en Nouvelle-Zélande – et en
Amérique du Nord comme en Australie et Hawaï – dans le contexte de
la décolonisation de la recherche et du développement de théories et
méthodologies dites autochtones qui font eux-mêmes partie de luttes
politiques, économiques et sociales très importantes. Elles sont
10. La même question se pose ou a pu se poser pour les Noirs, les femmes, etc.
LE SAVOIR COMME ENJEU DE POUVOIR 293
CONCLUSION
c’est ce qui fait, selon moi, que la confrontation des perspectives peut-
être riche et féconde. Cependant, les chercheurs non autochtones
(comme autochtones) doivent prendre acte du nouveau contexte de la
recherche. Ils doivent adopter les mesures nécessaires pour favoriser la
collaboration à toutes les étapes de la recherche et adapter leurs métho-
dologie et déontologie aux critères jugés acceptables par les
autochtones. La solution n’est surtout pas, à mon sens, dans la rupture
des relations avec eux, au contraire. Nous devons maintenir le dialogue
et les échanges dans la mesure où la situation le permet. Cela peut par-
fois exiger de prendre une certaine distance, au moins temporairement,
et de se retirer de certains domaines les plus sensibles ou qui revêtent
une sacralité plus grande.
Même si ce nouveau contexte de la recherche nous rend parfois la
vie difficile, il a permis de corriger certaines pratiques du passé qui
n’ont pas toujours bénéficié aux autochtones. Entre autres retombées, il
a donné la possibilité aux autochtones d’être tenus mieux informés des
processus et des retombées de la recherche. Il a encouragé la formation
de chercheurs autochtones compétents et le développement de nou-
veaux champs de recherche spécialisés. Il a aussi rappelé aux
anthropologues et autres chercheurs que leurs sujets « traditionnels »
d’étude peuvent aussi dire non à leur intrusion et refuser d’être leurs
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REMERCIEMENTS
Pendant les réflexions ayant conduit à ce texte, j’ai bénéficié de bourses post-
doctorales du Conseil de la recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) et
de l’Université d’Ottawa. Les réflexions qui se trouvent dans ces pages doivent
beaucoup aux échanges avec des collègues et des amis, maaori et non maaori, en
Nouvelle-Zélande, au Québec et en France. Ils se reconnaîtront, j’en suis sûre. Des
versions préliminaires de ce texte ont été discutées lors du colloque
« Ethnografeast II : La fabrique de l’ethnographie » qui se tint en septembre 2004,
à l’École normale supérieure, à Paris, ainsi que lors du colloque organisé par DIA-
LOG ― Le Réseau québécois d’échange sur les questions autochtones, « Les
langages de l’altérité II », qui se tint dans le cadre du congrès de l’Association fran-
cophone pour le savoir (ACFAS), en mai 2006, à l’Université McGill, à Montréal.
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Didier Fassin
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Répondre de sa recherche.
L’anthropologue face à ses « autres »
Didier Fassin
Nature
Autorité Loyauté Responsabilité Légitimité
du conflit
Chercheur
Ethnographique Inconditionnelle Déontologique Universelle
étranger
Chercheur
Indigène Située Conséquentialiste Souveraine
local
DE L’HOSPITALITÉ À L’HOSTILITÉ
CONCLUSION
REMERCIEMENTS
Les enquêtes auxquelles ce chapitre se réfère ont été conduites grâce à des
financements de l’ANRS, Agence nationale de la recherche sur le sida. Le maté-
riau réuni pour l’écrire et la réflexion qui a permis d’en faire un texte doivent
beaucoup à la qualité des échanges scientifiques et des relations amicales au sein
d’une équipe que, malgré les difficultés et les dissensions, je continue de considé-
rer comme franco-sud-africaine. Je remercie Fanny Chabrol et Julien Grard pour
leurs remarques sur une version initiale.
BIBLIOGRAPHIE
Alban Bensa
in Alban Bensa et al., Les politiques de l'enquête
La Découverte | « Recherches »
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
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sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Alban Bensa
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Julien Grard est doctorant à l’EHESS et membre de l’Iris. Il travaille sur les
parcours et les expériences de malades mentaux chroniques en France et a conduit
une recherche sur la prise en charge des malades hospitalisés en Afrique du Sud.
Composition : Bouchène
Achevé d’imprimer en novembre 2008
par l’Imprimerie France Quercy à Mercuès.
Dépôt légal : novembre 2008
N° d’impression : xxxxx
Imprimé en France