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Jean-François Gabriel
Érès | « Le Coq-héron »
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de siècle de nouvelles pressions menacent l’architecture comme elles mena-
cent la société tout entière. Le réchauffement de la planète, la croissance de la
population, la diminution des ressources naturelles sont des problèmes que ni
l’architecture ni l’urbanisme ne pourront résoudre seuls. Malgré tout, certains
indices sont chargés de promesses.
Le mouvement moderne a pris son essor après la Première Guerre
mondiale. L’argent manquait, et il fallait malgré tout reconstruire et loger les
gens. Il fallait aussi leur redonner l’optimisme. Les toits traditionnels coûtant
plus cher que les toits plats, on a vanté les mérites des terrasses, sur lesquelles
« on peut faire de la gymnastique » et aussi « se dorer au soleil ». On a fait des
fenêtres horizontales pour des raisons d’hygiène et aussi parce que beaucoup de
gens avaient perdu leur mobilier dans les bombardements et n’avaient plus les
moyens de décorer leurs murs. On a donc fait davantage de placards. La couleur
blanche s’est généralisée en symbole de pureté. En un mot, on a cherché à faire
un monde innocent et meilleur.
Depuis, le rôle de l’architecte dans la société a grandi jusqu’à être quel-
quefois idéalisé pour son potentiel de héros et de génie, souvent incompris.
Frank Lloyd Wright, qui ne manquait jamais l’occasion de faire parler de lui,
proposa sans rire de construire un gratte-ciel de 1 500 m de hauteur. Depuis,
Les figures 1 à 4 sont de
on a vu des architectes soumettre des visions de plus en plus farfelues et leurs Jean-François Gabriel, issues
commanditaires, en concert avec la presse, de crier au génie. On assiste de nos de son ouvrage Beyond the
jours à une surenchère de l’absurde, du « jamais vu », de la nouveauté pour Cube : The Architecture of
Space Frames and Polyhe-
elle-même, confondus avec l’invention et l’originalité authentiques. Nous en dra, éditions John Wiley and
sommes arrivés au point où un architecte en vue pouvait récemment déclarer Sons, 1997.
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définissait lui-même non comme un
architecte ou comme un ingénieur, mais
comme « généraliste ». Le dôme géodé-
sique fit son entrée sur la scène mondiale
de manière spectaculaire en 1967, pour
représenter les États-Unis à l’exposition
internationale de Montréal. Avec une
hauteur de 60 m et un diamètre de 76 m,
c’était de beaucoup le plus grand dôme
jamais construit. L’épaisseur de la struc-
ture elle-même n’est que de 1 m, et elle
est transparente, constituée d’un réseau
d’éléments très fins en acier disposés
de manière à rendre l’ensemble indéfor-
mable.
Le gratte-ciel est une autre inven-
tion du XXe siècle, rendue possible elle
Fig. 1 : La triangulation assure ici la rigidité aussi par le fer et l’acier. Les premiers
d’une structure de six étages et remplace le gratte-ciel apparurent autour de 1900.
système traditionnel de poteaux verticaux. Ils poussent maintenant partout dans le
S’il nous est difficile d’admettre qu’une telle monde et ils sont de plus en plus hauts.
structure soit indéformable, c’est parce
Et plus ils sont hauts, plus les forces laté-
que nos expériences visuelles et tactiles
quotidiennes sont limitées aux espaces rales dépassent les efforts verticaux dûs
essentiellement cubiques qui nous abritent. au poids mort de la construction. Malgré
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Fig. 2 : Ossature indéformable d’un module de dix étages pour une ville « spatiale ».
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par un assemblage de modules tels que nous cubique !
en montre la figure précédente. Ici, trois tours Heureusement, consoler le ou
hélicoïdales sont groupées autour d’un ensemble
d’ascenseurs verticaux. Les jardins suspendus
la topologiste en herbe est facile.
incluent de grands arbres. Montrez-lui comment construire
une pyramide à base carrée, qui
requiert huit baguettes. Avec les
quatre baguettes qui vous restent, formez une seconde pyramide que vous atta-
cherez à la base de la première. Vous obtiendrez ainsi un octaèdre qui, lui,
conservera sa forme sans hésiter.
Peut-être savez-vous déjà qu’il n’existe que cinq polyèdres réguliers : le
tétraèdre (à quatre faces triangulaires), le cube, dont le nom savant est hexaèdre
(six faces carrées), l’octaèdre (huit faces triangulaires), le dodécaèdre (douze
faces pentagonales), et l’icosaèdre (vingt faces triangulaires). Avec ses douze
baguettes, l’enfant ne pourra construire que les trois premiers polyèdres mais,
cela fait, il ou elle en saura plus sur le comportement des structures que bien
des adultes. Il remarquera d’abord que, à la différence du cube, le tétraèdre et
l’octaèdre conservent sans difficulté la forme qui leur a été donnée. Montrez-lui
alors que ces deux polyèdres peuvent mettre en commun une de leurs faces
(ce qui aurait l’avantage de libérer trois baguettes), et il vous sera facile d’en
tirer avec elle ou lui des conclusions sur les conditions de l’espace habitable et
l’essentiel des structures.
Si tous les enfants du monde avaient reçu leurs douze baguettes en
temps utile, qui sait si l’histoire de l’architecture n’aurait pas pris une tout
autre direction…
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Pendant plus de vingt-cinq siècles, les rois, les philosophes et les archi-
tectes ont cherché à définir l’ordre idéal pour la société et à l’établir. Et main-
tenant, pour la première fois dans l’histoire, il se trouve des architectes qui
cherchent à nous convaincre que le chaos est la forme ultime de l’imagination
créatrice ! On peut déjà voir, à Bilbao, à Boston, et bientôt à Paris, de nouvelles
constructions qui affectent l’allure d’un effondrement. Ceci est non seulement
absurde mais inquiétant, car il est à craindre qu’il s’agisse là d’une stratégie
plus ou moins consciente pour nous préparer aux désastres qui noircissent
nos horizons. Car il est plus facile d’accepter un avenir difficile si nous nous
persuadons que c’est justement celui que nous souhaitions.
En ce qui concerne l’habitation, il nous reste heureusement un patrimoine
architectural de valeur inestimable dans nos villes, dans nos campagnes et dans
nos livres. Ce patrimoine va des palais aux plus humbles maisons de village.
Nous pouvons continuer à en jouir si nous en prenons soin ; nous pouvons aussi
continuer à l’enrichir si nous savons le comprendre et l’adapter avec finesse à
nos besoins. Quelle est l’origine de ces trésors, et qu’est-ce qui fait leur homo-
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généité ? À cette question, l’un de nos historiens de l’architecture les plus
respectés a donné cette réponse : « Le langage classique de l’architecture hérité
de Rome fut pratiquement le langage commun de la civilisation occidentale
pendant les cinq siècles de la Renaissance à notre temps. » Ce même historien
disait aussi ce que nous semblons avoir oublié : « Je ne sais pas si l’évolution
de ce langage est terminée ou si elle le sera jamais 1. »
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cercle pour une arche ou une voûte) et au carré, au demi-carré ou au double
carré. Le triangle est la forme réservée au fronton (Fig. 5).
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Fig. 8. Ici, la plus large ouverture est celle de la grange, rejetée sur un côté ;
la porte de l’habitation est rejetée sur l’autre côté mais les quatre ouvertures placées
au centre indiquent clairement que nous avons tout d’abord affaire à une habitation humaine
sous ce toit d’un seul tenant.
On trouve parfois dans les rues de nos villages d’heureux mélanges d’ordre
et de fantaisie qui ne sont certainement pas dus au hasard (Fig. 9).
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Fig. 10. Maison à Margency, au nord de Paris. Située à l’extrémité d’une allée de tilleuls, elle a
très probablement été l’habitation d’une famille nombreuse et fortunée avant de remplir une autre
fonction, changement auquel elle semble s’être adaptée sans difficulté.
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Résumé
En répondant partiellement à la question « Où sommes-nous ? » l’architecture nous
aide à répondre à l’autre question : « Qui sommes-nous ? » Au cours de l’histoire, l’ar-
chitecture a été l’objet de maintes définitions. La plus déroutante est peut-être celle qui
affirme que le chaos est aussi une forme d’ordre… Déjà au XVIe siècle, Leon Battista
Alberti moquait avec esprit les partisans du chaos en architecture. Bien au contraire,
l’architecture a toujours été un effort d’organisation de l’espace. Il existe heureusement
deux tendances particulièrement prometteuses pour l’architecture contemporaine : l’une
trouve ses racines dans la tradition classique, qui est loin d’être épuisée ; l’autre tendance
se fonde sur une meilleure compréhension du potentiel des structures dites « spatiales »,
un potentiel en pleine expansion et dont les limites sont inconnues. Chacune de ces
tendances est infiniment riche de possibilités. Rien ne s’oppose à ce qu’elles coexistent,
chacune à sa place, pour satisfaire la multiplicité de nos besoins.
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Mots-clés
Leon Battista Alberti, chaos, classicisme, Fuller, Buckminster, Léon Krier, Le Corbu-
sier, octaèdre, organisation, patrimoine, structures spatiales, symètrie, tétraèdre, trian-
gulation.
Ce livre aborde avec les concepts de Jacques Lacan la place d’une rencontre
heureuse ou malheureuse, dans le destin d’un artiste, et ce à partir du récit qu’il en
aura fait et à travers les créations artistiques qui en découleront. Les vignettes clini-
ques et récits biographiques montrent qu’il existe, au-delà du déterminisme freu-
dien, un inconscient qui ouvre à la création. Les passeurs hors du commun qu’ont
été Barbara, Leiris, Giacometti ou Picasso invitent à réfléchir sur l’importance de
la rencontre et de la création face au « malaise dans la civilisation ».
290 pages, 26 €
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