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MONNAIE ET CAPITAL

Contributions du Capital au XXIe siècle à l’histoire et à la théorie monétaires

Éric Monnet

Éditions de l'EHESS | « Annales. Histoire, Sciences Sociales »

2015/1 70e année | pages 35 à 46


ISSN 0395-2649
ISBN 9782713224638
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-annales-2015-1-page-35.htm
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Monnaie et capital
Contributions du Capital au XXI e siècle
à l’histoire et à la théorie monétaires

Éric Monnet

La monnaie est-elle une forme particulière de capital ? Et, le cas échéant, quelles
sont les conséquences, pour l’histoire et la théorie du capital, du fait que le capital
non monétaire puisse potentiellement être changé en monnaie ? Ces questions ne
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figurent pas explicitement au centre de l’argumentation développée par Thomas
Piketty dans Le capital au XXI e siècle, mais font irruption à plusieurs reprises et sont
au fondement de distinctions essentielles effectuées dans l’ouvrage. L’histoire du
capital ne se fait pas sans histoire monétaire.

La monnaie comptabilisée comme capital


D’un point de vue comptable, selon les conventions actuelles des comptes natio-
naux, la monnaie appartient au capital, au sens où ce dernier se définit comme
l’ensemble du patrimoine (la richesse des individus). Il n’y a pas de distinction
– contrairement à celle que faisait Karl Marx par exemple – entre la monnaie
utilisée pour l’échange et la monnaie utilisée pour l’accumulation du capital 1.

1 - Selon Karl Marx, il existe deux formes d’échanges, ou circulations de marchandises.


La première est la transformation de marchandise en argent, et retransformation en mar-
chandise : « vendre pour acheter ». La seconde est la transformation de l’argent en marchan-
dise et retransformation en argent : « acheter pour vendre ». C’est seulement quand l’argent
(la monnaie) suit cette seconde forme de circulation qu’il « devient capital et est déjà
par destination capital ». Voir Karl MARX, Le capital. Critique de l’économie politique, Livre
premier, Le développement de la production capitaliste, trad. par J. Roy, Paris, Éd. sociales,
[1950] 1969, t. 1, p. 151. 35

Annales HSS, janvier-mars 2015, n° 1, p. 35-46.


ÉRIC MONNET

Fondant ses analyses et son travail empirique sur cette approche, T. Piketty est
amené à faire un détour par une présentation relativement succincte mais très
intéressante de l’histoire de la comptabilité nationale. La prise en compte du capital
a connu un relatif oubli au moment où se créait la comptabilité nationale trimes-
trielle et annuelle telle que nous la connaissons aujourd’hui, et il a fallu attendre les
années 1990 pour que les comptes de patrimoine redeviennent une priorité des
instituts de statistiques. Toutefois les statistiques fiscales permettent de reconstruire
des séries bien plus longues, dès le XVIIIe siècle pour la France et le Royaume-Uni.
La comptabilisation du capital a connu son heure de gloire à la fin du XIXe siècle
et jusqu’avant la Première Guerre mondiale, à une période où le niveau du capital
en proportion du revenu atteignait un sommet historique. Le grand économiste
écossais Robert Giffen publiait ainsi en 1889 un ouvrage, The Growth of Capital,
qui présentait une méthode et des estimations précises, reprenant des travaux
antérieurs, notamment ceux de William Petty. Dans ces travaux statistiques du
XIXe siècle, la question de la possible distinction entre monnaie et capital était
résolue de manière simple puisque le stock de pièces était intégré au stock de
capital national. Alors que le Royaume-Uni connaissait les débats monétaires les
plus virulents, notamment pour savoir si le crédit était de la monnaie et si l’émission
de monnaie augmentait le capital national 2, on peut s’étonner de l’absence de
référence à ces querelles théoriques dans l’ouvrage de R. Giffen. Ce dernier ne
discute pas de la possible différence entre monnaie et capital, mais il place au
centre de son ouvrage la question de la valeur monétaire du capital, reconnaissant
ainsi que le capital a une valeur parce qu’il peut être revendu (à son prix de marché)
et donc qu’il peut redevenir monnaie 3.
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T. Piketty se situe à maints égards dans le sillon de R. Giffen, qu’il cite à
plusieurs reprises. Il adopte dans une majeure partie du livre une approche comp-
table du capital, sauf lorsqu’il expose sa théorie de la dynamique du capital qui
dépend de la différence entre le taux de rendement réel de ce dernier et le taux
de croissance du revenu par habitant (théorie dans laquelle la monnaie ne joue
aucun rôle). La question de la valeur monétaire est quant à elle traitée principale-
ment en concentrant l’analyse sur le rapport capital/revenu plutôt que sur les rap-
ports entre capital réel et capital nominal. Autrement dit, le choix de l’approche
comptable implique bien que, comme il le précise clairement au début de l’ouvrage,
T. Piketty considère que « capital » et « patrimoine » sont de parfaits synonymes 4,
ce qui revient à inclure la masse monétaire dans le capital et donc à passer outre
à une possible distinction théorique entre monnaie et capital.

2 - Il s’agit notamment de l’opposition entre currency school et banking school, et de


l’ensemble des controverses suivant la suspension temporaire de la livre sterling et se
prolongeant jusqu’au Peel Act de 1844, qui sépara l’émission monétaire et l’activité
bancaire au sein de la Banque d’Angleterre.
3 - Robert GIFFEN, The Growth of Capital, Londres, G. Bell, 1889, p. 61.
36 4 - Thomas PIKETTY, Le capital au XXI e siècle, Paris, Éd. du Seuil, 2013, p. 84.
LIRE LE CAPITAL DE T. PIKETTY

Différences théoriques entre monnaie et capital


Nous ne pouvons pas retracer ici l’histoire complète des différentes théories de la
monnaie et du capital, mais il nous semble important d’insister sur le fait que les
économistes ne sont toujours pas d’accord quant à savoir si la monnaie est ou non
du capital, et encore moins sur la manière dont le second dépend de la première.
La plupart ne voient dans la monnaie qu’un moyen de transaction permettant
d’acheter des biens et n’ayant pas de lien avec l’accumulation du capital ou la pro-
duction de richesses. Dans la très grande majorité des modèles néoclassiques et
keynésiens, le capital se distingue de la monnaie car il entre dans la fonction de
production, sans avoir besoin pour cela de cette dernière 5. L’observation d’une
corrélation positive entre détention de monnaie et richesse personnelle (non moné-
taire) peut ainsi paraître peu surprenante – et elle est totalement compatible avec
le récit que fait T. Piketty de la distribution du capital – mais elle n’est pas cohé-
rente avec un grand nombre de théories économiques pour lesquelles la monnaie
est neutre et doit être, en tant que moyen de transaction, simplement corrélée à
la consommation 6.
Cette distinction théorique, qui fonde la différence entre monnaie et capital,
établit que le second produit un rendement réel alors que la première produit un
service de liquidité généralement pas ou très peu rémunéré 7. Au contraire de la
théorie de Marx selon laquelle la monnaie permet d’accumuler du capital, certaines
théories reposent sur l’idée que la détention de monnaie a un coût (d’opportunité)
car la richesse monétaire est une richesse qui ne rapporte pas d’intérêt. Ainsi Milton
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Friedman conclut-il que le taux d’intérêt nominal doit être égal à zéro pour éviter que
la détention de monnaie soit coûteuse 8. Dans ces modèles, la monnaie se substitue

5 - Dans ces modèles, les agents maximisent une fonction de production (incluant capital
et travail) sous contrainte budgétaire. La monnaie peut apparaître, soit dans la fonction
d’utilité de l’agent, soit dans la contrainte budgétaire, comme une limite aux transactions,
ou alors comme un moyen – via l’épargne et le transfert d’actifs liquides d’une période
à l’autre – de « lisser » la contrainte budgétaire sur plusieurs périodes. Des tentatives
d’introduire la monnaie dans la fonction de production ont existé (voir Stanley FISCHER,
« Money and the Production Function », Economic Inquiry, 12-4, 1974, p. 517-533), mais
elles n’ont pas abouti à des conclusions théoriques probantes. Des théories institution-
nalistes de la monnaie, comme celles de Marcel Mauss, Michel Aglietta, André Orléan
ou Karl Polanyi, offrent quant à elles des perspectives différentes, sur lesquelles nous
reviendrons, mais sans donner un rôle important à la distinction avec le capital.
6 - Xavier RAGOT, « The Case for a Financial Approach to Money Demand », Journal of
Monetary Economics, 62, 2014, p. 94-107.
7 - Pour une tentative de théoriser le capital comme de la monnaie (c’est-à-dire entrant
dans la fonction de production et produisant également un service de liquidité), voir
Ricardo LAGOS et Guillaume ROCHETEAU, « Money and Capital as Competing Media
of Exchange », Journal of Economic Theory, 142-1, 2008, p. 247-258.
8 - Il y a un coût d’opportunité à détenir de la monnaie plutôt que des actifs avec un
rendement positif. Pour que ce coût d’opportunité soit égal à zéro, il faut donc que le
taux d’intérêt nominal soit égal à zéro, ce qui signifie que la banque centrale doit atteindre
un taux d’inflation négatif égal au taux d’intérêt réel des actifs sûrs. Voir Milton FRIEDMAN,
The Optimum Quantity of Money, and Other Essays, Londres, Macmillan, 1969. 37
ÉRIC MONNET

à un certain type de capital (le capital financier, c’est-à-dire principalement les


obligations d’État) et n’est pas la condition de celui-ci. En d’autres termes, selon
ces théories, lorsque la monnaie acquiert une fonction de réserve de valeur – en
plus d’être un moyen de paiement –, elle n’est plus à strictement parler de la
monnaie : elle devient du capital puisqu’elle est immobilisée et qu’elle produit
un rendement réel positif. John Maynard Keynes défend également une telle
distinction mais, loin de la neutralité monétaire de la théorie néoclassique, il s’inté-
resse à la substitution entre monnaie et capital – auxquels il consacre deux chapitres
successifs –, et au rendement relatif de ces deux actifs 9. Il précise ainsi que, pour
être accumulé ou produit, le capital doit avoir un rendement supérieur à celui de
la monnaie et qu’il n’y a aucune raison de supposer que les mécanismes de marché
vont égaliser parfaitement le taux d’intérêt de la monnaie et celui du capital.

La monnaie comme type particulier de capital


et les conséquences de l’inflation
Le succès de l’approche adoptée par T. Piketty pour comptabiliser monnaie et
capital – et inclure la première dans le second –, sans entrer dans les débats inter-
minables sur la nature de la monnaie, peut tendre à rendre bien désuètes et
inutiles les controverses épistémologiques sur la nature de la monnaie ainsi que la
distinction entre la monnaie et le capital. Cependant, la question monétaire revient
à plusieurs reprises dans son ouvrage, preuve que l’on ne s’en débarrasse peut-
être pas si facilement.
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Tout d’abord, T. Piketty évoque l’inflation en tant qu’équivalent possible
de la taxation du capital 10. L’inflation diminue le capital s’il s’agit d’une inflation
du niveau général des prix : la valeur réelle du capital diminue puisque sa valeur
nominale est fixe tandis que le niveau des prix augmente. Cela est nécessairement
vrai avec la monnaie (et donc une partie du capital), mais également avec les titres
financiers non monétaires. Si vous détenez une obligation du Trésor de 10 000 euros,
sa valeur nominale sera la même dans 10 ans mais sa valeur réelle sera diminuée
de l’inflation. Il y a, par conséquent, un type de capital qui se déprécie avec l’infla-
tion, qui est alors une taxe sur la monnaie. Si, au contraire, l’inflation concerne
seulement le prix de certains actifs et non pas le niveau général des prix (c’est-à-
dire qu’il ne s’agit pas d’une taxe sur la monnaie), alors il peut s’agir d’une augmen-
tation de la valorisation du capital ; c’est le cas par exemple de l’immobilier ou de
la terre. Ainsi l’inflation diminue la valeur réelle du capital lorsqu’il s’agit d’une
taxe sur la monnaie mais l’augmente s’il s’agit seulement d’une hausse du prix du
capital immobilier. Comme l’explique T. Piketty, il faut donc distinguer les actifs
nominaux (monnaie, dépôts à terme, obligations publiques ou privées non indexées),
soumis à un fort risque inflationniste, et les actifs réels (immobiliers, actions, etc.).

9 - John Maynard KEYNES, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Paris,


Payot, [1936] 1963, liv. 4, chap. 16 et 17.
38 10 - T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 835-940.
LIRE LE CAPITAL DE T. PIKETTY

Pour connaître le rendement réel d’un actif nominal, il faut déduire l’inflation
des intérêts ; pour un actif réel, ce n’est pas nécessaire 11. Constatant que, en
moyenne, plus des trois quarts des actifs des ménages sont constitués d’actifs réels,
T. Piketty considère donc qu’une bonne approximation du rendement moyen du
capital s’obtient sans soustraire l’inflation 12.
Les choses se compliquent toutefois puisque monnaie et capital sont en
partie substituables. Si l’inflation du niveau général des prix augmente, alors les
agents peuvent se débarrasser de la monnaie et du reste des actifs nominaux (princi-
palement les bons du Trésor non indexés sur l’inflation) et transférer cette somme
pour acquérir des biens immobiliers par exemple. Cela fera d’autant plus augmen-
ter le prix de l’immobilier et créera donc également une augmentation de la valeur
du capital, qui peut par ailleurs elle-même alimenter l’inflation en faisant, par
exemple, pression sur les salaires. Ces précisions sont essentielles pour comprendre
pourquoi la taxe inflationniste n’est pas une taxe globale sur le capital et ne peut en
elle-même provoquer « l’euthanasie des rentiers 13 ». Encore une fois, T. Piketty est
très explicite, même si ces précisions ne constituent pas le cœur de la présentation
de l’argument du livre. Dans une note de bas de page, il conclut ainsi : « Autrement
dit, le fait de faire passer l’inflation de 0 % à 2,5 %, dans un monde où le rendement
du capital était initialement de 4 %, n’est certainement pas équivalent à une taxe
de 50 % sur le rendement du capital, pour la bonne et simple raison que le prix des
actifs immobiliers et boursiers se mettra lui aussi à croître de 2 % par an, et que seule
une toute petite partie des actifs détenus par les ménages – en gros, les encaisses
monétaires et une partie des actifs nominaux – paiera la taxe inflationniste 14. »
En raison des phénomènes complexes de substitution possible entre monnaie
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et capital, T. Piketty en vient à conclure que l’inflation est un mauvais instrument
de redistribution des richesses par rapport à une taxe directe sur le capital car « son
ciblage est relativement grossier 15 ». L’inflation peut en effet avoir de multiples
effets contradictoires sur la distribution du capital selon qu’il s’agit d’un ajustement
du niveau général des prix, des salaires ou des prix des actifs. Une inflation des prix
à la consommation tirée par les salaires, sans augmentation des loyers et des prix de
l’immobilier, sera plus favorable aux travailleurs les plus pauvres, alors qu’une
augmentation des prix tirée par les prix de l’immobilier avec des salaires fixes sera

11 - Ibid., p. 332-333, également p. 724 sq. Rappelons que le rendement du capital est
calculé en divisant les revenus du capital (en valeur nominale) par le stock du capital
(en valeur nominale). Par ailleurs, dans les faits, les actifs réels ont un rendement ou
une plus-value alors que les actifs nominaux ont un taux d’intérêt.
12 - Ibid., p. 333-334.
13 - On attribue souvent à tort à Keynes l’idée selon laquelle l’inflation est l’euthanasie
des rentiers. On ne trouve pourtant aucune trace d’une telle affirmation dans les écrits
de ce dernier. Ce que dit Keynes, au contraire – et dans des termes très proches de
ceux de T. Piketty –, est que l’euthanasie des rentiers est causée par une diminution
du rendement marginal du capital. Voir J. M. KEYNES, Théorie générale..., op. cit., liv. 4,
chap. 16.
14 - T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 335.
15 - Ibid., p. 896. 39
ÉRIC MONNET

favorable aux propriétaires. Ainsi, le choix entre taxe sur la monnaie (inflation) et
taxe sur le capital dépend bien de la substitution possible entre monnaie et capital.
Le deuxième moment où T. Piketty discute du rapport entre monnaie et
capital est lorsqu’il explique, dans le chapitre consacré à la dette publique, qu’une
augmentation de l’émission de monnaie par la banque centrale n’augmente ni
immédiatement ni mécaniquement le capital national 16. Lorsqu’une banque cen-
trale imprime de la monnaie, elle ne jette pas des sacs de billets sans contrepartie
à la population ; cette monnaie est créée par le crédit : les banques empruntent à
la Banque centrale une somme qui est de la pure création monétaire. Parce que
les banques (ou un gouvernement) deviennent ainsi débitrices, il n’y a pas d’aug-
mentation immédiate du capital d’un point de vue comptable, même si la part de
la monnaie dans le capital augmente alors. Toutefois, l’ouvrage reconnaît que par
ses effets successifs indirects, la politique monétaire peut bien avoir des effets sur
le capital, par exemple en évitant la faillite d’établissements, ou par son impact
sur l’inflation ou le prix des actifs.
La façon dont T. Piketty comptabilise le capital est donc fortement inspirée
des comptes de patrimoine, des inventaires au décès ou des recensements de richesse
nationale du XIXe siècle à la Giffen. Il s’agit de recenser tout ce qu’un individu ou
une nation possède, moins ses dettes (donc en richesse nette), à un moment donné,
et de valoriser ces possessions à leur valeur de marché. Les moyens de paiement
y sont nécessairement inclus ; le lien avec diverses théories économiques du capital
n’est dès lors pas évident. Cela semble relativement en accord avec la conception
de Marx selon laquelle le capital est de l’accumulation de monnaie, même si ce
dernier envisageait également une fonction monétaire non capitalistique. Tout
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bien pouvant donc être (re)transformé en monnaie est du capital et produit poten-
tiellement une plus-value 17. Cette conception peut sembler toutefois moins cohé-
rente avec la théorie néoclassique qui fait une distinction nette entre capital et
monnaie et qui voit dans le capital quelque chose produisant un rendement réel,
dont la valeur de marché importe relativement peu. La question, qui renvoie à la
« controverse des deux Cambridge » et qui a déjà été soulevée dans de nombreuses
critiques de l’ouvrage, est donc de savoir s’il y a un sens à parler d’un rendement
du capital puisque ce dernier est composé d’actifs extrêmement divers, y compris
de la monnaie. Si le livre rejoint finalement la théorie néoclassique en calculant
le rendement du capital à partir de l’ensemble du patrimoine et le compare au
taux de croissance, sa définition du capital semble bien plus large que ce qu’im-
plique cette théorie au sens où le capital est ici patrimoine, et inclut donc toute la
richesse (et implicitement le pouvoir social) qui l’accompagne.

16 - Ibid. Pour une présentation plus détaillée de la prise en compte des actifs des
banques centrales pour le calcul du capital public, voir les annexes de Thomas PIKETTY
et Gabriel ZUCMAN, « Capital is Back: Wealth-Income Ratios in Rich Countries 1700-
2010 », The Quarterly Journal of Economics, 129-3, 2014, p. 1255-1310. Je remercie
Guillaume Bazot pour ses commentaires éclairants sur ce sujet.
40 17 - Sur la comptabilisation des plus-values, voir T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 334.
LIRE LE CAPITAL DE T. PIKETTY

Le capital et l’histoire monétaire :


trois prolongements possibles
Le livre de T. Piketty propose donc de vastes et passionnantes pistes pour l’histoire
monétaire et financière, à savoir étudier les substitutions entre les types de capital
(dont la monnaie) et les différents processus d’accumulation. Du fait du traitement
général dans une perspective sur le long terme qu’il réserve au capital, le livre ne
répond pas pleinement à ces questions mais ouvre ainsi d’importants champs de
recherche. Sans fournir d’explications à tous les types de substitutions possibles
au sein du patrimoine au cours des siècles, il donne toutefois des pistes et consacre
déjà de larges développements à ces questions. C’est par exemple le cas dans sa
discussion de l’esclavage, mais aussi dans son explication de la fin du capital ter-
rien 18. Empruntant cette voie, nous esquissons ci-dessous quelques prolongements
envisageables de l’histoire du capital à partir de l’histoire monétaire.

La part monétaire du capital

Un premier prolongement serait de concentrer l’analyse sur la part monétaire du


capital telle qu’elle est prise en compte par T. Piketty et dans les comptes de
patrimoine. Cette part est quantitativement faible en moyenne, l’ouvrage le montre
bien, mais elle peut avoir une grande importance économique si, comme le propose
Marx par exemple, la monnaie est ce qui permet l’accumulation du capital, ou si,
suivant certains modèles standard d’arbitrage, la monnaie est un actif substituable
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au capital. On peut donc poser la question de la quantité de monnaie nécessaire
à l’accumulation du capital et se demander s’il y a un rapport constant entre les
deux au cours du temps. T. Piketty ne publie pas, dans sa très large base de
données, une décomposition assez fine des encaisses monétaires qui composent
le capital au cours des XIXe et XXe siècles. On peut toutefois utiliser d’autres sources
présentant des séries de masse monétaire. Ces séries sont à manier avec grande
précaution car leur construction est soumise à de nombreux aléas et elles proviennent
de sources différentes des séries de capital (incluant la monnaie) publiées dans
Le capital au XXI e siècle 19. Nous utilisons des séries assemblées par Moritz Schularick
et Alan Taylor, qui concernent une définition large de la masse monétaire (M2),
incluant les pièces, billets et dépôts à vue, et nous présentons ci-après les cas de
la France et du Royaume-Uni 20. Un premier résultat frappant, corroboré par les
séries des autres pays, est que l’évolution de long terme de la masse monétaire est

18 - T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 250 sq. ; p. 310 sq.


19 - Toutefois, les séries des actifs monétaires dans les comptes de patrimoine depuis
1970, reprises dans T. PIKETTY et G. ZUCMAN, « Capital is Back... », art. cit., en pourcen-
tage du capital, sont proches des séries de masse monétaire que nous utilisons ici.
20 - Moritz SCHULARICK et Alan M. TAYLOR, « Credit Booms Gone Bust: Monetary Policy,
Leverage Cycles, and Financial Crises, 1870-2008 », The American Economic Review,
102-2, 2012, p. 1029-1061. 41
ÉRIC MONNET

bien différente de celle du capital (figure 1). Comparé au capital divisé par le
revenu national, le ratio de la masse monétaire sur le revenu national est relative-
ment stable, comme nous l’apprend la théorie quantitative de la monnaie. Surtout,
il ne suit pas de courbe en U au cours du XXe siècle. Au contraire, il y a une montée
progressive avec un maximum atteint au milieu du siècle, ce qui suggère une
évolution inverse à celle du capital. Le ratio monnaie/capital pour la France et le
Royaume-Uni suivrait donc une courbe en cloche au cours du siècle (figure 2).
Plusieurs explications peuvent être avancées. Tout d’abord, il est possible que cela
soit dû à un arbitrage entre prix d’actifs. Les périodes où le ratio monnaie/revenu
a été le plus élevé (c’est-à-dire pendant les années 1950 et 1960) correspondent
principalement à des périodes de faible rendement réel des actifs financiers non
monétaires, tels que les obligations d’État, et où le taux de croissance était réguliè-
rement supérieur au taux de rendement du capital. Dans ce cas, en effet, l’utilité
instrumentale des encaisses monétaires augmente : une part plus importante du
capital dans le revenu national nécessite moins d’encaisses monétaires si le capital
est moins mobile que le travail. Plus généralement, un large travail – commencé

Figure 1 – Évolution du ratio capital (patrimoine privé)/monnaie (1880-2000)


120 %

100 %

80 %
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60 %

800 % 40 %

700 %
20 %
600 %
0%
500 %

400 %

300 %

200 %
80 90 00 10 20 30 40 50 60 70 80 90 00

Monnaie/revenu, France (échelle de droite)


Monnaie/revenu, Royaume-Uni (échelle de droite)
Capital/revenu, France (échelle de gauche)
Capital/revenu, Royaume-Uni (échelle de gauche)
42 Sources : M. SCHULARICK et A. M. TAYLOR, « Credit Booms... », art. cit. ; T. PIKETTY, Le capital..., op. cit.
LIRE LE CAPITAL DE T. PIKETTY

Figure 2 – Évolution du ratio masse monétaire/capital privé (1880-2000)


50 % 50 %

40 % 40 %

30 % 30 %

20 % 20 %

10 % 10 %

0% 0%
80 90 00 10 20 30 40 50 60 70 80 90 00

Masse monétaire/Capital privé (France)


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Masse monétaire/Capital privé (Royaume-Uni)
Sources : M. SCHULARICK et A. M. TAYLOR, « Credit Booms... », art. cit. ; T. PIKETTY, Le capital..., op. cit.
Patrimoine et capital sont ici synonymes et incluent la masse monétaire. Les séries représentent donc la part de
la monnaie au sein du patrimoine total.

en partie dans l’ouvrage à propos des loyers ou de l’esclavage – reste à accomplir


pour calculer les rendements effectifs auxquels les agents pouvaient avoir accès,
et ainsi voir si les variations au sein de la distribution du capital s’expliquent
par des effets prix (c’est-à-dire par les rendements du capital) ou par des effets
institutionnels non réductibles au rendement du capital.
L’attention portée aux séries de masse monétaire incite également à inter-
préter différemment le rendement réel du capital pendant les Trente Glorieuses,
quand la masse monétaire a pu représenter entre un tiers et la moitié du capital
pour la France, et quand, selon T. Piketty, le rendement réel du capital atteignait
sa valeur maximum 21. Si la part monétaire du capital était si importante, alors ce
rendement n’était en fait pas totalement « réel » mais en grande partie « nominal ».

21 - T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 318. 43


ÉRIC MONNET

Les différents types de capital et les effets de l’inflation

Un deuxième prolongement serait de s’intéresser plus particulièrement aux pos-


sibles substitutions entre les types de capital et d’en dégager les enjeux historiques,
notamment les conséquences de l’inflation ou de politiques sur cette substitu-
tion 22. Il s’agit non seulement de la substitution entre encaisses monétaires et
capital non financier, que nous venons d’aborder, mais aussi, par exemple, au sein
du capital financier, entre les encaisses monétaires et les actifs financiers non
monétaires. Nous avons vu que T. Piketty distingue actifs nominaux et actifs réels,
les seconds n’étant pas soumis à l’inflation. Cela signifie que, dans des périodes
de forte inflation, les ménages et les banques ont intérêt à reporter leurs investisse-
ments vers les actifs réels. Une conséquence en est un affaiblissement des ressources
pour l’État. Celui-ci profite de l’inflation qui réduit sa dette mais le Trésor public
est mis en difficulté par la baisse du rendement réel – et donc de l’attractivité –
de ses bons et obligations. Une réaction possible est alors de forcer certains agents,
en particulier les banques, à détenir des bons du Trésor, ce qui fut appliqué en
France et dans de nombreux pays au moment des fortes crises inflationnistes qui
suivirent la Seconde Guerre mondiale 23. Ce n’est là qu’un exemple de politiques
publiques visant à orienter l’épargne et donc le capital, souvent vers des actifs au
rendement réel plus faible, ce que certains économistes nomment « la répression
financière 24 ». T. Piketty ne fait qu’évoquer ces politiques, lorsqu’il discute de la
différence entre capital privé et capital public. Un gros travail reste à effectuer
pour resituer ces politiques d’orientation d’épargne dans une histoire longue de
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l’accumulation du capital.
Un autre enjeu majeur lié à la substitution entre capital réel et capital nominal
tient aux effets distributifs de l’inflation. À cet égard, les séries publiées dans
Le capital au XXI e siècle apportent déjà un élément important au débat, puisqu’elles
montrent clairement que la grande inflation des années 1970 en Europe et aux
États-Unis n’a pas causé de réduction des inégalités de patrimoine, pas plus que
la déflation des années 1930 n’a entraîné de reconstitution des patrimoines les plus
élevés 25. Ainsi, à l’échelle d’un siècle, ce sont exclusivement les périodes d’hyper-
inflation (pendant ou à la sortie des deux guerres mondiales), dont l’impact est
difficile à distinguer de celui de la destruction physique de capital, qui ont pu avoir

22 - Comme nous l’avons vu précédemment, Keynes offre des pistes d’investigation


puisque, selon lui, l’accumulation du capital s’explique par la différence entre le rende-
ment marginal de ce dernier et le taux d’intérêt de la monnaie.
23 - Éric MONNET, « Monetary Policy without Interest Rates: Evidence from France’s
Golden Age (1948-1973) », American Economic Journal: Macroeconomics, 6-4, 2014, p. 137-169 ;
Éric MONNET et Anna KELBER, « Politiques prudentielles et instruments quantitatifs :
une perspective historique européenne », Revue de la stabilité financière, 18, 2014,
p. 165-175.
24 - Ronald MCKINNON, Money and Capital in Economic Development, Washington,
Brookings Institution, 1973.
44 25 - T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 535-598.
LIRE LE CAPITAL DE T. PIKETTY

un effet significatif sur l’accumulation et les inégalités de patrimoine. T. Piketty


ne présente pas cette analyse dans l’ouvrage mais ce constat vient à l’appui de son
argument selon lequel une hausse de l’inflation (à un taux annuel de 10 % par
exemple) serait insuffisante pour affecter fortement les inégalités de patrimoine,
à moins d’envisager une période d’hyperinflation, où les prix pourraient doubler
d’année en année, mais dont les effets économiques et sociaux seraient incontrô-
lables. C’est l’argument avancé dans l’ouvrage en faveur d’une taxe sur le capital
plutôt qu’une taxe inflationniste. On peut toutefois préciser qu’une taxe sur le
capital ne pourrait pas s’appliquer à la monnaie (ou, au moins, pas à la monnaie
fiduciaire), ce qui rendrait possible un transfert du capital non monétaire vers le
capital monétaire ; dans ce cas, une inflation élevée serait un complément indispen-
sable pour maintenir l’efficacité d’une taxe sur le capital. Ce mécanisme pourrait
d’ailleurs être automatique, sans nécessiter l’intervention des pouvoirs publics :
soumis à un taux d’imposition élevé sur le capital, les agents transféreraient leurs
actifs non monétaires vers des actifs monétaires, augmentant la masse monétaire
sans augmentation du revenu, ce qui aurait un impact à la hausse sur le niveau
des prix. Il reste donc à étudier comment, dans le passé, l’inflation a pu être complé-
mentaire des quelques expériences d’imposition sur le capital.

Politique de l’accumulation du capital et de la stabilité monétaire

Une troisième voie de prolongement possible est de revenir aux questions théo-
riques que pose la transformation de la monnaie en capital, à partir de l’étude de
l’évolution à long terme de ces deux variables. Une manière de traiter historique-
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ment ces questions serait de partir des théories qui insistent sur l’importance de
la confiance pour les échanges monétaires et sur le fait que la monnaie est un
rapport social 26. S’ensuit une question apparemment simple mais qui ne semble
pas avoir trouvé de réponse définitive : en quoi la stabilité monétaire (et le maintien
de la confiance dans les échanges) favorise-t-elle l’accumulation du capital réel,
alors même que ce dernier n’est pas a priori affecté par l’inflation ? Quels liens
peuvent exister entre les régimes monétaires et les régimes d’accumulation du
capital ? Ainsi, l’étalon-or classique (1880-1914) est bien évidemment un régime
monétaire particulier qui affectait, par la spécificité de la régulation de monnaie,
l’accumulation du capital. La stabilité monétaire était perçue comme quelque
chose de bien plus général que le simple maintien du taux de change ; elle impli-
quait également des engagements en termes de gestion de la dette publique et
de liberté des capitaux qui avaient notamment de forts impacts sur la circulation,
et donc l’accumulation, du capital 27. Un deuxième exemple tient à la manière
dont la peur d’une dévalorisation de la monnaie et celle d’une taxe sur le capital

26 - Voir notamment André ORLÉAN, « L’approche institutionnaliste de la monnaie : une


introduction », in V. MONVOISIN, J.-F. PONSOT et L.-P. ROCHON (éd.), What about the
Nature of Money ? A Pluridisciplinary Approach, à paraître.
27 - Michael BORDO et Hugh ROCKOFF, « The Gold Standard as a ‘Good Housekeeping
Seal of Approval’ », The Journal of Economic History, 56-2, 1996, p. 389-428. 45
ÉRIC MONNET

ont pu se combiner dans les années 1920 en France 28. Un dernier concerne l’argu-
ment utilisé par les banques centrales au cours des années 1970 pour justifier le
ciblage de la masse monétaire, au nom des besoins de mobiliser l’épargne en
rassurant les épargnants et en leur fournissant un ancrage des anticipations permet-
tant un calcul plus aisé du rendement réel 29. Dans ces différents exemples, la
distinction établie par Marx entre la monnaie utilisée pour les transactions et la
monnaie utilisée pour l’accumulation du capital s’estompe, et il est nécessaire de
dépasser la vision comptable du patrimoine pour comprendre combien la monnaie
est un type particulier de capital, au-delà de sa simple fonction instrumentale.

La réflexion menée autour des apports du Capital au XXI e siècle à la connaissance


des liens entre monnaie et capital conduit à poser des questions fondamentales à
l’histoire monétaire et financière. Non seulement la monnaie représente une part
non négligeable du capital comptabilisé par T. Piketty (et même près de la moitié,
au milieu du XXe siècle, pour certains pays), ce qui incite à étudier sa fonction et
à la distinguer des actifs réels, mais elle joue aussi un rôle particulier en tant
que moyen d’accumulation du reste du capital. Comme dans beaucoup d’autres
domaines, l’ouvrage établit de nouveaux jalons et incite à reprendre des débats que
les théories économiques avaient malheureusement délaissés. En quoi la monnaie
contribue-t-elle à l’accumulation de capital non monétaire ? Quels sont les possibles
effets de substitution entre capital et monnaie et quelles formes ont-ils pris histori-
quement (selon les individus, les entreprises et les gouvernements) ? Quels furent
les effets historiques de la combinaison entre inflation et taxe sur le capital ? La
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substitution entre divers actifs s’est-elle effectuée pour des raisons d’arbitrage ou
pour des raisons institutionnelles ? Ces questions restent ouvertes et nous aurions
tort de ne pas les aborder de front.
Éric Monnet
Banque de France 30

28 - Pierre-Cyrille HAUTCŒUR et Pierre SICSIC, « Threat of a Capital Levy, Expected


Devaluation and Interest Rates in France during the Interwar Period », European Review
of Economic History, 3-1, 1999, p. 25-56.
29 - Éric MONNET, « La politique de la Banque de France au sortir des Trente Glorieuses.
Un tournant monétariste ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, à paraître ; Duncan
NEEDHAM, UK Monetary Policy from Devaluation to Thatcher, 1967-1982, New York,
Palgrave Macmillan, 2014.
30 - Le contenu de cet article n’engage que l’auteur et ne reflète pas nécessairement
46 l’opinion de la Banque de France ou de l’Eurosystème.

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