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La politique monétaire doit-elle être utilisée à des fins de

stabilité financière ?
Grégory Levieuge
Dans Revue française d'économie 2018/3 (Vol. XXXIII), pages 63 à 104
Éditions Revue française d’économie
ISSN 0769-0479
DOI 10.3917/rfe.183.0063
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Grégory
LEVIEUGE
La politique monétaire
doit-elle être utilisée
à des fins de stabilité
financière ?

L
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a crise financière de 2008 a soulevé


plusieurs questions sur la politique monétaire. Il s’est d’abord agi
de savoir comment les banques centrales pouvaient répondre à
la crise. Il s’en est suivi une abondante littérature sur les mesures
dites non conventionnelles. Mais les interrogations ont aussi été
rétrospectives : dans quelle mesure la politique monétaire passée

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a-t-elle contribué aux vulnérabilités financières qui ont conduit


à la crise ? De façon plus générale, la politique monétaire peut-
elle être responsable de la stabilité (et de l’instabilité) financière ?
L’instabilité financière renvoie à l’ampleur du cycle
financier, qu’il soit défini par les fluctuations des prix d’actifs,
le cycle du crédit et/ou l’évolution de la structure du bilan des
agents. Ce cycle peut se caractériser par des périodes de forte
croissance (boom) et des périodes de fortes baisses (bust). De
ce point de vue, les crises financières peuvent être considérées
comme la réalisation d’un point extrêmement bas du cycle
financier. Combattre l’instabilité financière c’est à la fois lisser le
cycle financier et limiter le risque de crise financière.
Ces interrogations ont relancé le débat du « leaning
against the wind » (LAW) vs « cleaning up afterwards » (CUA)
qui avait émergé au tournant des années 2000, à l’occasion de
la formation et de l’explosion de la bulle sur les prix d’actifs liés
aux nouvelles technologies de l’information et de la communi-
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cation (NTIC). Le LAW renvoie à une règle de taux d’intérêt
consistant à répondre, de façon systématique, au cycle financier
(en plus de réagir au cycle réel). A l’opposé, le CUA consiste à
ne réagir au cycle financier qu’en cas de crise. Cette stratégie, qui
crée de l’aléa moral, ne trouve guère de partisans aujourd’hui.
Le débat se concentre donc autour du LAW1 : les banques cen-
trales doivent-elles ou pas réagir de manière systématique au
cycle financier ?
Formellement, les avis se fondent sur deux types de travaux :
-- une partie s’appuie sur l’optimisation de règle de Taylor aug-
mentée d’une cible financière, dans le cadre d’un modèle DSGE
avec frictions financières ;
-- un autre pan de la littérature s’appuie sur des analyses coût/
bénéfice du LAW2.
Depuis les premières contributions du tournant des
années 20003, on peut dire que les méthodes se sont affinées,
que les modèles sont plus complets et les analyses se veulent
plus rigoureuses. Mais, tout compte fait, les bénéfices espérés,
ainsi que les limites et les dangers du LAW avaient déjà, pour
l’essentiel, été identifiés il y a près de deux décennies.

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Il convient de reconnaître que le scepticisme prévaut


quant aux bénéfices nets du LAW. Certes, la Banque des règle-
ments internationaux continue d’y être plutôt favorable (Borio
et Lowe [2002]). De même, Jeremy Stein, universitaire et mem-
bre du conseil des gouverneurs de la Federal Reserve américaine
de 2012 à 2014, fournit en ces termes un des arguments les plus
forts en faveur du LAW : « …while monetary policy may not
be quite the right tool for the job, it has one important advan-
tage relative to supervision and regulation – namely that it gets
in all of the cracks (of the financial system) » (Stein [2013]).
Toutefois, la majorité des banquiers centraux demeurent scep-
tiques, y compris et en particulier B. Bernanke et L. Svensson.
Par exemple, selon Williams [2015], ex-gouverneur de la Fed de
San Francisco : « Monetary policy is poorly suited for dealing
with financial stability, even as a last resort ». C’est également
le point de vue du FMI [2015], suivant lequel : « Based on cur-
rent knowledge, the case for leaning against the wind is limited,
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as in most circonstances costs outweigh benefits ».
Le CUA n’étant pas plus plébiscité – si peu d’ailleurs qu’il
ne suscite aucune évaluation en tant que tel – l’alternative au
LAW reste à être définie. Ce dispositif alternatif pourrait naturel­
lement impliquer la politique macro-prudentielle. Or, comme
nous allons le voir, les travaux n’intègrent pas, ou trop peu, les
effets du macro-prudentiel. C’est d’ailleurs là leur principale limite.
Dans cette revue critique de la littérature, nous allons
en premier lieu essayer de comprendre comment et pourquoi
la politique monétaire d’avant-crise, fidèle au consensus de
Jackson Hole et à une forme inhérente de « douce insouciance »
(benign neglect), a pu être à l’origine de vulnérabilités qui ont
conduit à la crise. Nous nous interrogerons alors sur l’optima-
lité d’une politique monétaire qui réagirait de manière systéma-
tique au cycle financier. Suivant les deux voies empruntées par
les économistes pour répondre à cette question, notre analyse
sera menée en deux temps. D’une part, nous examinerons les
enseignements et les limites des travaux sur le LAW qui s’ap-
puient sur des règles de Taylor augmentées et optimisées dans
des modèles DSGE avec frictions financières. D’autre part, nous

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considérerons les résultats, ainsi que les insuffisances des analyses


fondées sur une approche coûts/bénéfices du LAW.
De façon générale, les lacunes de cette littérature consti-
tuent autant de pistes à creuser pour améliorer notre connais-
sance sur ce que la politique monétaire peut/ne peut pas et doit/
ne doit pas faire. Nous conclurons sur ces prolongements sou-
haitables, en insistant sur l’impérieuse nécessité de prendre en
compte les effets des mesures macro-prudentielles, sans quoi les
conclusions sur le LAW sont biaisées.

La politique monétaire est-elle


responsable de la crise financière ?
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La crise de 2008 a révélé que les vulnérabilités et les déséqui-
libres financiers avaient été négligés. Il y a des arguments de jure
et des arguments de facto pour justifier ce fait. Pour corolaire, les
autorités monétaires ont pu être à l’origine de ces déséquilibres.

Aux origines de « la douce insouciance »

La douce insouciance qui a prévalu – du moins jusqu’en 2008 –


et l’adhésion au CUA puisent d’abord leur origine dans le cadre
institutionnel et réglementaire qui gouverne la conduite de la
politique monétaire. Selon les études approfondies des statuts
des banques centrales réalisées par de Haan et Oosterloo [2004]
et la BRI [2009], l’objectif de stabilité financière n’était pas un
objectif explicite inscrit dans la loi4. Dans le cas contraire, l’ob-
jectif de stabilité financière restait très vague. Par exemple, les
banques centrales concernées étaient supposées « promouvoir »
ou « contribuer à » la stabilité financière. Mais l’absence de défi-
nition de « l’instabilité financière », de cible, de précision sur
les instruments dédiés et de cadre opérationnel ont contribué à

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faire passer cet objectif au second plan (fallait-il même l’appe-


ler « objectif » ?). Somme toute, il n’engageait guère la respon-
sabilité du banquier central. Le contraste est saisissant avec les
exigences qui encadrent l’objectif de stabilité des prix, statutai-
rement supérieur à tous les autres.
Les doutes sur la capacité de la politique monétaire à
juguler efficacement les vulnérabilités financières expliquent
aussi que les autorités monétaires ont été peu enclines à faire du
LAW. Certes, comme le souligne J. Stein (cf. citation infra), les
mouvements de taux d’intérêt affectent tous les segments des
marchés financiers. Mais le taux d’intérêt est souvent vu comme
un instrument émoussé qui ne traite que grossièrement les désé-
quilibres financiers visés, tout en affectant la sphère réelle de
manière inopportune si le cycle financier est déconnecté du cycle
réel. En outre, l’impact des taux directeurs sur les prix d’actifs est
très incertain. Aussi, notre connaissance des ressorts de l’instabi-
lité financière et de ses effets est encore incomplète. En l’absence
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de définition claire de ce qu’est l’instabilité financière, il demeure
difficile de définir une cible opérationnelle associée à cet objec-
tif. A l’aune de quels indicateurs la stabilité financière doit-elle
être appréciée ? Et par rapport à quelles cibles – ou valeurs de
référence – doit-on considérer que ces indicateurs signalent une
menace ou un déséquilibre ? L’objectif de stabilité financière sou-
lève en ces termes la question de la détermination de la valeur
fondamentale des prix d’actifs. Les débats sur la bonne façon
d’extraire les primes de terme de la courbe des taux, de détermi-
ner si les prix immobiliers sont sur ou sous-évalués, de calculer
le taux de change d’équilibre, ou encore d’estimer le « credit-to-
GDP gap » montrent la difficulté de la tâche.
Or, une évaluation erronée du contexte financier
conduirait la banque centrale à agir à mauvais escient, au risque
d’entamer sa crédibilité, d’autant plus que son action ne saurait
être neutre sur son objectif prioritaire de stabilité des prix, pour
lequel sa responsabilité est engagée. Ainsi, en l’absence d’obli-
gations claires vis-à-vis de l’objectif de stabilité financière – au
demeurant complexe et périlleux si l’instrument est le seul taux
d’intérêt – on comprend la tentation de la douce insouciance.

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Comment la priorité à l’inflation peut-elle conduire à de


l’instabilité financière ?

Dans ce contexte institutionnel, plusieurs arguments expliquent


pourquoi et comment une préférence délibérée pour l’objectif
de stabilité des prix peut créer de l’instabilité financière.
Tout d’abord, les cycles réels et financiers ne sont pas
forcément synchrones (Borio [2014]). Dès lors, en se concen-
trant sur l’objectif prioritaire de stabilité des prix, les autorités
monétaires dotées d’un seul instrument vont négliger l’objectif
secondaire de lissage du cycle financier. A posteriori, les dévelop-
pements financiers observés au cours de la période 2002-2007
dans les économies développées auraient pu justifier un resser-
rement de la politique monétaire. Mais cette orientation était
inenvisageable à l’aune du taux d’inflation alors très bas.
L’absence de synchronisation des cycles réels et finan-
ciers est source de conflit d’objectif, comme le montre le tableau
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n° 1. Dans ce cas, il y a un coût, en termes d’inflation, à avoir
un objectif de stabilité financière. Or, dans le contexte institu-
tionnel susmentionné, les autorités monétaires donnent prio-
rité à l’objectif de stabilité des prix. Heller [1991], Goodhart et
Schoenmaker [1993], Di Noia et Di Giorgio [1999] et Hasan
et Mester [2008] trouvent que les pays où les banques cen-
trales n’ont pas d’obligations en termes de supervision finan-
cière affichent en moyenne des taux d’inflation plus faibles.
Ioannidou [2005] trouve que lorsque la Fed resserre sa poli-
tique monétaire, elle devient moins stricte du point de vue de la
supervision bancaire.

Tableau 1
Orientation de la politique monétaire suivant les cycles réel
et financier
Cycle financier
Haut Bas
Haut Resserrement Conflit d’objectif
Cycle réel
Bas Conflit d’objectif Assouplissement

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Le canal de la prise de risque (Risk-taking channel) naît


précisément de ce conflit d’objectif. Typiquement, dans un
contexte de faible inflation, comme lors de la période dite de
« grande modération » qui a précédé la crise, les banques cen-
trales essentiellement préoccupées par la stabilité des prix ont
maintenu des taux d’intérêt à des niveaux très faibles. Une litté-
rature aujourd’hui abondante démontre qu’une période prolon-
gée de taux d’intérêt bas biaise la perception du risque et encou-
rage une prise de risque excessive des agents privés. Générateur
de risque systémique, ce canal de la prise de risque peut être
plus précisément vu comme la combinaison de quatre méca-
nismes (Colletaz et al. [2018]) :
-- une tendance à des investissements plus risqués (Rajan [2005])
dans l’espoir de rendements plus élevés que ceux offerts dans un
contexte de taux bas (search for yield) ;
-- un délitement de la qualité du bilan (notamment du pas-
sif ) des intermédiaires financiers qui substituent de la dette au
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capital, en faisant jouer l’effet de levier (Ciccarelli et al. [2013],
Adrian et Shin [2010], Angeloni et al. [2015]) ;
-- une confiance excessive des agents dans leur capacité à gérer le
risque lorsque la conjoncture économique est durablement favo-
rable (Thakor [2015]) et dans la capacité des autorités moné-
taires à lisser les cycles5 (paradoxe de la crédibilité) ;
-- des comportements risqués, encouragés par le CUA déployé
pour gérer les crises passées, et qui génère de l’aléa moral
(Diamond et Rajan [2012], Brunnermeier et Sannikov [2014]).
Enfin, un attachement moins fort à l’objectif d’inflation,
au profit de l’autre objectif traditionnel de stabilisation de l’output,
aurait pu profiter à la stabilité financière. En effet, les variations de
prix d’actifs ont des effets sur l’activité réelle, au travers des effets
de richesse, du canal du ratio Q de Tobin, des effets de bilan (accé-
lérateur financier et canal du capital bancaire) et du canal du taux
de change. Stabiliser l’activité économique aurait donc exigé de
tenir compte un tant soit peu des déséquilibres financiers. A l’op-
posé, comme le montrent Levieuge et al. [2018a], les vulnérabili-
tés du secteur bancaire augmentent significativement avec le degré
de conservatisme (au sens de Rogoff) des banques centrales.

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Ainsi, eu égard aux priorités qui sont assignées aux autori-


tés monétaires, l’objectif de stabilité des prix peut entrer en contra-
diction avec la stabilité financière. Faut-il forcément en déduire
que les banques centrales devraient répondre de manière systéma­
tique aux déséquilibres financiers, comme le suggère une stratégie
de LAW ? De nombreuses contributions récentes cherchent à
répondre à cette question. Voyons d’abord quels sont les enseigne-
ments des travaux qui s’appuient sur des modèles DSGE. Nous
traiterons ensuite des études fondées sur des analyses coût/bénéfice.

Les enseignements et limites des


analyses fondées sur les modèles DSGE
La question du LAW a émergé au tournant des années 2000,
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conjointement à l’explosion de la bulle Internet et au dévelop-
pement de modèles DSGE incorporant des frictions financières
(Kiyotaki et Moore [1997], Bernanke et al. [1999]). La ques-
tion était déjà d’étudier l’optimalité d’une cible de prix d’actifs
insérée dans la règle de taux de la banque centrale. Bernanke et
Gertler [1999] rejettent le bénéfice d’une telle cible, définissant
alors en ces termes ce qu’on nommera le Consensus de Jackson
Hole : « Given a strong commitment to stabilizing expected
inflation, it is neither necessary nor desirable for monetary pol-
icy to respond to changes in asset prices, except to the extent that
they help to forecast inflationary or deflationary pressures ». En
revanche, en s’appuyant pourtant sur le même modèle, Cechetti
et al. [2000] défendent la position opposée, favorable au LAW.
En réponse, Bernanke et Gertler [2001] leur reprocheront de
n’avoir optimisé leur règle que sous l’hypothèse de chocs finan-
ciers, ce qui biaise les résultats en faveur du LAW. Simulations à
l’appui, ils réaffirment que la meilleure politique monétaire est
celle qui suit une règle agressive envers l’inflation, avec réaction
à l’output gap, mais sans référence explicite aux prix d’actifs6.
Le ciblage d’inflation ne requiert pas de cible additionnelle de

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prix d’actifs puisqu’il permet d’assurer la stabilité macroécono-


mique, condition nécessaire et suffisante à la stabilité financière.
La crise de 2008 a démontré que cette croyance était
fausse. Elle a ravivé la recherche sur le LAW, principalement au
sein de modèles DSGE intégrant des frictions financières.

Un aperçu des principales contributions

On doit à Curdia et Woodford [2010], à Woodford [2010] et à


Gertler et Kiyotaki [2010, 2015] les premiers modèles d’après-
crise, intégrant différentes formes de rigidités ou imperfections
financières, et qui vont servir de modèles de référence à la plu-
part des études sur le LAW.
La prise en compte de frictions financières s’est naturel-
lement traduite par la présence de nouvelles variables d’état dans
ces modèles. Se pose alors la question de savoir s’il est souhai-
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table ou pas de les inclure comme cible supplémentaire dans la
règle de politique monétaire. Selon les contributions, les règles
de Taylor ont ainsi été augmentées :
-- des cours boursiers (Faia et Monacelli [2007] ; Nisticò [2012])
-- des prix immobiliers (Gelain et al. [2013] ; Lambertini et al. [2013])
-- du crédit (Curdia et Woodford [2010] ; Badarau et Popescu
[2014] ; Gelain et al. [2013] ; Lambertini et al. [2013] ; Quint
Rabanal [2014], Verona et al. [2017] ; Gourio et al. [2017])
-- des spreads de taux – qu’il s’agisse de spread de terme ou de
crédit (Curdia et Woodford [2016] ; Gilchrist et Zakrajšek
[2011, 2012] ; Hirakata et al. [2013] ; Carlstrom et al. [2017]).
Certains trouvent que le LAW améliore significativement
la stabilisation macroéconomique et accroît le bien-être, compa-
rativement à une règle de Taylor standard7. L’accroissement de la
volatilité de l’inflation et de l’output serait raisonnable au regard
des bénéfices induits par un meilleur contrôle des déséquilibres
et/ou des effets réels des déséquilibres financiers.
D’autres, comme Faia et Monacelli [2007] et Gelain
et al. [2013] se montrent plus nuancés, et ne trouvent pas
d’avantages nets au LAW. Plus généralement, il apparaît – et

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on peut aisément le comprendre – que l’optimalité du LAW est


sensible au modèle utilisé. La nature des frictions financières,
la fonction de perte des autorités, la variable financière incluse
dans la règle de Taylor augmentée, l’incertitude sur les effets des
frictions financières et de la politique monétaire sur ces fric-
tions, sont autant de facteurs qui influencent la règle optimale.
Aucune contribution ne souligne comme il se devrait la sensibi-
lité des résultats obtenus à l’ensemble de ces facteurs. Enfin, on
constate que la plupart des résultats étaient déjà connus depuis
les travaux précurseurs du tournant des années 20008. Les sec-
tions qui suivent soulignent les principales lacunes des études
fondées sur les modèles DSGE.

Les limites d’une réponse systématique à une cible financière

Verona et al. [2017] sont les seuls à poser les conditions qu’une
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variable financière devrait satisfaire pour prétendre au statut
de cible dans la règle des autorités monétaires. Cette variable
devrait être : i) facile à mesurer ; ii) liée à l’activité économique ;
iii) contrôlable par la banque centrale.
Verona et al. soulignent que, de façon générale, les prix
d’actifs ne respectent pas la condition i) car on connaît mal
leur valeur fondamentale. Ils ne respecteraient pas non plus la
condition iii), dans la mesure où les effets des taux directeurs
sur les prix d’actifs sont très incertains. Ils affirment ensuite que
de nombreuses variables telles que le taux de change dans les
grandes économies « peu » ouvertes, par exemple, ne respectent
pas le critère ii). Tout compte fait, ils soutiennent que l’excès
de crédit (et d’endettement) constitue l’une des rares variables
financières pouvant satisfaire les trois critères. Certes, les crises
financières et bancaires dont les excès d’endettement sont à
l’origine ont des effets réels importants (critère ii). Mais l’excès
de crédit n’est pas évident à mesurer en pratique. L’indicateur le
plus communément admis, à savoir le credit-to-GDP gap, fait
l’objet de discussions. Enfin, le contrôle de la politique moné-
taire sur l’excès de crédit est loin d’être évident (voir supra).

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Finalement, les spreads de taux (spreads de crédit et


spreads de terme) constituent de sérieux candidats. Ils sont
faciles à mesurer, et les structures par risque et par terme des
taux d’intérêt réagissent généralement bien aux taux directeurs.
Mais un avertissement s’impose. Cibler les spreads de taux, et
plus généralement tout prix d’actif financier, expose la banque
centrale à un risque de circularité : la banque centrale cible-
rait une variable financière (forward-looking, par définition)
qui serait elle-même sensible aux orientations anticipées de la
politique monétaire. Ceci renvoie à la Loi de Goodhart, selon
laquelle toute régularité statistique (telle que par exemple une
corrélation forte a priori entre une variable financière et l’objec-
tif final de la banque centrale) tend à s’effondrer une fois l’atten-
tion portée dessus dans un but de contrôle. Levieuge [2003]
montre que le contenu prédictif du spread de terme s’effondre
dès lors que la banque centrale l’intègre comme cible dans sa
règle. Cette circularité peut également conduire à des problèmes
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de multiplicité ou d’inexistence de l’équilibre (Fuhrer et Moore
[1992] ; Woodford [1994] ; Bullard et Schaling [2002]). La lit-
térature d’après-crise tend à l’ignorer.
De même, les études récentes négligent souvent le fait
que les résultats obtenus dépendent de la nature, de l’ampleur et
de la fréquence des chocs considérés. En l’absence de chocs réels,
les résultats sont biaisés en faveur d’une cible de prix d’actifs,
comme c’est le cas chez Verona et al. [2017]. Bernanke et Gertler
[2001] reprochaient déjà à Cecchetti et al. [2000] de n’optimiser
leur règle de politique monétaire que sous le seul scénario de
choc financier (bulle boursière). À fonction de perte donnée, le
poids à accorder à la cible de prix d’actifs dépend (en partie) de
l’importance des chocs financiers relativement aux chocs d’offre
et de demande. Cela apparaît assez chez Gourio et al. [2017].
L’importance de la nature des chocs est un point déjà
souligné dans la littérature du tournant des années 2000 (Smets
[1997] ; Gerlach et Smets [2000] ; Dor et Durré [2002]),
période marquée par cette ambiguïté : la montée des cours
boursiers était-elle justifiée par un choc technologique (lié aux
NTIC), ou bien s’agissait-il d’un choc financier (autrement dit

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d’une bulle) ? La réponse était cruciale pour les autorités moné-


taires ; certes, une réaction à un choc financier – déconnecté
de l’économie réelle – aurait pu s’entendre. Mais si une hausse
des cours boursiers a pour cause sous-jacente un choc technolo-
gique favorable, il n’y a pas à y répondre, au risque d’empêcher
le système d’atteindre son nouvel équilibre. La conséquence est
que la politique monétaire ne peut se satisfaire d’une réponse
systématique telle que le suggère une règle de Taylor augmentée
des prix d’actifs. La révélation de la nature des chocs qui sous-
tend l’évolution des prix d’actifs est préalablement nécessaire.
Mais il est compliqué en pratique de déterminer la nature des
chocs en temps réel (Dor et Durré [2002]). Quant à « l’impor-
tance » des chocs financiers, on notera que les crises bancaires et
financières ne sont pas si fréquentes9, ni systématiquement aussi
coûteuses que ce qui est présupposé dans les travaux susmen-
tionnés (Laeven et Valencia [2012]). En exagérer l’ampleur et la
fréquence crée évidemment un biais favorable au LAW.
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Le bénéfice net du LAW doit aussi dépendre de l’em-
prise des autorités monétaires sur les chocs, pour peu que cer-
tains d’entre eux soient endogènes. Chez Gourio et al. [2017],
par exemple, la probabilité de crise financière dépend du taux
de croissance du crédit, lui-même sous l’influence de la poli-
tique monétaire. Les auteurs montrent que le LAW n’est pas
souhaitable sans cette hypothèse d’endogénéité de la probabi-
lité de crise. Dans ce cas, cibler uniquement l’output gap (en
plus de l’inflation) constitue une façon plus directe et efficace
(puisque la bulle est exogène) de stabiliser l’économie.
Ce résultat conduit d’ailleurs à s’interroger sur la défini-
tion et le contenu informationnel de l’output gap en matière de
déséquilibre financier. En cas de survalorisation des prix d’actifs
ou d’excès de crédits, l’output gap devrait capter les excès de
demande imputables aux effets de richesse, aux effets de bilan
et à la stimulation de l’investissement via l’accroissement du
ratio Q de Tobin. Dans cette perspective, Borio et al. [2017]
proposent d’étendre le concept d’output potentiel à celui d’out-
put soutenable, qui inclurait de l’information sur le cycle finan-
cier. Ils proposent ainsi un « finance-neutral output gap », qu’ils

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


Grégory Levieuge 75

estiment être plus précis, plus robuste en temps réel et donc


plus fiable à des fins de politique économique que l’output gap
usuel. Or, dans les travaux susmentionnés, et plus généralement
dans les modèles DSGE, le produit potentiel n’est pas toujours
rigoureusement défini. Il est parfois vu comme le produit qui
prévaudrait en l’absence de rigidités nominales et réelles, ou en
l’absence de frictions financières, ou bien tout simplement à
l’état stationnaire. Les différences ne sont pas neutres dans une
règle optimisée : a priori, un output gap contenant de l’infor-
mation sur les déséquilibres financiers devrait réduire le bénéfice
d’une cible additionnelle dédiée au LAW.
Enfin, quand bien même il conduirait à cibler non pas
les prix d’actifs mais l’endettement des agents privés, le LAW
pourrait être contre-productif (Svensson [2017c])10. En effet,
en ne réduisant que les flux de crédits futurs, un relèvement
de taux d’intérêt n’a pas d’effets immédiats, loin s’en faut, sur
l’encours. Partant, si le niveau des prix baisse plus rapidement
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que la dette nominale, la dette réelle augmente. De même, si le
PIB réagit plus vite, le ratio dette sur PIB augmente en réponse
à un resserrement de politique monétaire, du moins à court
terme (Alpanda et Zubairy [2017] ; Bauer et Granziera [2017] ;
Gelain et al. [2017]). Korinek et Simsek [2016] montrent égale­
ment qu’une hausse des taux d’intérêt motivée par un objec-
tif de désendettement peut être contre-productive parce qu’elle
peut plonger l’économie en récession et pousse alors les emprun-
teurs à s’endetter encore plus, pour lisser leur consommation.
Parallèlement, les banques, elles-mêmes affectées par la réces-
sion, pourraient tenter le « tout pour le tout » (gambling for
resurrection) et satisfaire cette demande de crédit.

Critiques méthodologiques

Les travaux existants ne sont pas exempts de lacunes métho-


dologiques. Dans cette section, nous critiquons deux points en
particulier : l’hypothèse de linéarité et les insuffisances liées aux
procédures d’optimisation.

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


76 Grégory Levieuge

Les limites des modèles linéaires


Comme définie en introduction, l’instabilité financière renvoie
à l’ampleur du cycle financier, ainsi qu’aux situations de crise
financière, pouvant être vues comme des points extrêmement
bas du cycle. La plupart des travaux examinent l’optimalité du
LAW au regard de sa capacité à lisser le cycle financier (et le
cycle réel, par transmission). Le cas des crises financières et,
partant, la question de la résilience de l’économie aux (grands)
chocs financiers sont, quant à eux, généralement négligés.
Une des raisons est que les modèles sur lesquels les ana-
lyses s’appuient sont principalement linéaires (et/ou log-linéari-
sés), tandis que les configurations de crise/non crise exigeraient
une modélisation non linéaire, avec au moins deux régimes. On
peut souligner quelques rares exceptions11. Ajello et al. [2016]
développent un modèle DSGE néo-keynésien dans lequel une
crise financière peut survenir moyennant une probabilité qui
dépend du taux de croissance des crédits bancaires. Le décideur
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politique doit arbitrer entre stabiliser la production et l’inflation
« en temps normal » (régime de non crise), et contenir le risque
de crise financière future12. S’appuyant sur une calibration
rigoureuse, notamment fondée sur les estimations de Schularick
et Taylor [2012] de la sensibilité de la probabilité de crise au
taux de croissance du crédit, ils trouvent que le coût du LAW
en temps normal (moindre inflation et chômage plus élevé)
est très modéré. En effet, un faible accroissement (permanent)
du taux d’intérêt – de l’ordre de 10 points de base – suffirait à
contrôler le risque de basculer en régime de crise. Gerdrup et al.
[2017] trouvent eux aussi que le LAW est profitable, dans un
cadre non linéaire, pourvu que la sévérité de la crise soit endo-
gène à la politique monétaire. La sensibilité de la probabilité
de crise à l’instrument de politique monétaire constitue alors la
clé de l’analyse. Or, on doit reconnaître que notre connaissance
sur la question est réduite et que l’incertitude sur les effets de
la politique monétaire est à cet égard importante (voir supra).
Finalement, Alpanda et Ueberfeldt [2016] parviennent à la
conclusion opposée : même si une stratégie de LAW diminue

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


Grégory Levieuge 77

la volatilité de l’économie en réduisant la probabilité de crise,


c’est au prix d’un niveau moyen de dette plus faible, qui pénalise
les emprunteurs et induit une dégradation du bien-être global.

Critiques de la procédure d’optimisation


Une autre lacune importante de cette littérature tient à la façon
dont l’optimalité du LAW est évaluée. De façon générale, il s’agit
de déterminer si une règle de Taylor augmentée d’une cible « de
stabilité financière » (prix d’actif, spread de taux, excès de crédit,
etc.), est meilleure qu’une règle de Taylor standard en termes
de minimisation d’une fonction de perte donnée. Plusieurs pro-
blèmes se posent, concernant la forme fonctionnelle de la règle,
la méthode d’optimisation et la fonction de perte supposées des
autorités monétaires.
Tout d’abord, comme le rappelle Svensson [2017b],
les règles de type Taylor comptent trop peu d’arguments pour
constituer la politique optimale. Celle-ci exigerait de répondre
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à toutes les variables d’état du modèle, ainsi qu’aux chocs (look-
at-everything rules). Dès lors, ajouter un argument à une règle
de Taylor initialement sous-optimale est bénéfique dans la plu-
part des cas, quelle que soit la variable ajoutée, pourvu qu’elle
soit assez bien corrélée aux autres variables d’état du système.
De ce point de vue, le bénéfice net d’une cible financière est
évident. Pour autant, ce résultat ne scelle pas la supériorité du
LAW, dans la mesure où la cible de stabilité financière pour-
rait être remplacée, avec potentiellement autant d’efficacité, par
toute autre variable d’état telle que les salaires, le stock de capi-
tal, la richesse nette des ménages, la consommation, etc.
Ensuite, les auteurs imposent souvent certaines restric-
tions sur les paramètres des règles de taux d’intérêt « optimi-
sées » (standard ou augmentées). Un temps de calcul substantiel
peut être économisé lorsque la valeur de certains paramètres
de la règle est, a priori, fixée (en cas de mise en œuvre d’un
algorithme d’optimisation) ou bornée à un intervalle (en cas de
recherche par balayage ou « grid search »). Le problème est que
ces contraintes peuvent conduire à des compensations sur les

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


78 Grégory Levieuge

paramètres non contraints et donc biaiser les résultats de l’opti-


misation, possiblement au bénéfice de la cible financière. On
peut, par exemple, imaginer que si la réponse à l’output gap est
contrainte, alors une partie de la réaction requise à l’endroit des
effets réels des déséquilibres financiers peut se reporter sur le
crédit ou sur les prix d’actifs. En toute rigueur, il conviendrait
de ne pas contraindre les paramètres de la règle et de tous les
optimiser13.
Enfin, il y a une assez grande hétérogénéité dans les
fonctions « objectif à optimiser ». Certains travaux s’appuient
sur des fonctions de bien-être avec fondements microéco-
nomiques, déduites de la fonction d’utilité du ménage repré-
sentatif. Il est d’ailleurs dans ce cas possible de justifier théo-
riquement la présence d’un terme lié aux frictions financières
(Curdia et Woodford [2010]). Cependant, ce procédé peut être
insoluble dans certaines configurations (ménages hétérogènes,
modèles non linéaires, etc.). C’est sans doute la raison pour
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laquelle, dans la plupart des cas, les travaux s’en tiennent à une
fonction de perte quadratique usuelle qui pénalise de manière
ad hoc la volatilité de l’inflation, de l’output et du taux d’intérêt,
à quoi s’ajoute parfois un facteur lié à des frictions financières.
Les résultats et les conclusions sont alors spécifiques à ce choix
de modélisation, et difficilement généralisables. Il conviendrait
donc d’examiner la robustesse des résultats en considérant une
multitude de configurations plausibles au regard des dévelop-
pements récents de l’économie politique du central banking
(Masciandaro et Quintyn [2016]) et des réformes institution-
nelles qui ont eu lieu depuis 2008 (Khan [2017]).

Quid de la politique macro-prudentielle ?

Les travaux sur le LAW négligent la politique macro-pruden-


tielle, pourtant essentielle au regard de la question posée. On
peut raisonnablement imaginer qu’il est d’autant moins néces-
saire à la politique monétaire de répondre de manière systéma-
tique à une cible financière que l’économie peut compter sur

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


Grégory Levieuge 79

un ou plusieurs instruments prudentiels dédiés aux objectifs de


résilience (exigences en fonds propres par exemple) et de lissage
du cycle macro-financier (contraintes sur le ratio prêt/valeur ou
le ratio d’endettement par exemple).
Certes, la question de la coordination entre la politique
monétaire et la politique macro-prudentielle suscite de plus en
plus de travaux (Aikman et al. [2018] ; de Paoli et Paustian
[2017] ; Leduc et Natal [2018]). Mais ce n’est pas pour déter-
miner dans quelles mesures cette dernière rendrait le LAW
vain. L’affectation optimale des instruments aux objectifs n’y
est guère discutée14. Les analyses portent plutôt sur les com-
plémentarités ou conflits pouvant exister entre une politique
monétaire exclusivement chargée de la stabilité des prix et une
politique macro-prudentielle concentrée sur l’objectif de stabi-
lité financière.
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LAW : une stratégie empreinte d’incertitude

Une stratégie de LAW soulève au moins deux sources d’incer-


titude dont les conséquences sont débattues. La première des
incertitudes concerne la valeur d’équilibre des prix d’actifs. Une
cible de prix d’actifs venant augmenter une règle de Taylor doit
être définie par l’écart d’une variable financière à cette valeur
d’équilibre. Or, il n’existe pas de méthode infaillible pour
déterminer cette valeur fondamentale, vis-à-vis de laquelle une
valorisation ou une quantité observée serait jugée excessive ou
insuffisante. Typiquement, il est souvent avancé que les banques
centrales ne sont pas plus que les investisseurs privés capables
d’identifier des bulles en temps réel (Cogley [1999] ; Okina
et Shiratsuka [2003] ; Woodford [2012]). Dans ce contexte,
le LAW est coûteux car il expose les autorités monétaires à un
risque de première et un risque de seconde espèce : répondre
à une bulle alors qu’il n’y en a pas, ou ne pas répondre alors
qu’il y en a une. Toutefois, certains économistes soulignent que
cette évaluation n’est pas plus complexe que la détermination
du PIB potentiel ou du NAIRU, deux variables au demeurant

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


80 Grégory Levieuge

déterminantes dans les décisions d’orientation de la politique


monétaire (Cechetti et al. [2000, 2003]).
L’incertitude vise également les effets de la politique
monétaire sur le cycle financier. Théoriquement, une baisse des
taux d’intérêt devrait certes faire augmenter les cours boursiers,
en partie grâce à une hausse des dividendes anticipés. Mais
qu’en est-il des autres prix d’actifs et des flux de crédit ? Les esti-
mations empiriques sont rares et ne peuvent compter que sur
un nombre réduit d’observations (le nombre de crises étant rela-
tivement faible). Enfin, elles se heurtent à un problème d’endo-
généité ainsi qu’à un problème d’identification des seuls effets
imputables à la politique monétaire.
Quelles sont les conséquences de ces incertitudes ?
Spontanément, en cas d’incertitude sur la cible (valeur d’équi-
libre mesurée avec erreur) et/ou d’incertitude sur les paramètres
du modèle (élasticités des prix d’actifs ou du crédit au taux
d’intérêt), on s’attendrait à ce qu’un principe d’atténuation à
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la Brainard [1967] s’applique15. Ceci expliquerait et justifierait
la douce insouciance d’avant 2008. Mais Ajello et al. [2016]
démontrent que ce résultat n’est pas si évident.
L’analyse de Ajello et al. [2016] se place dans le cadre
d’un modèle IS-Phillips-Courbe de Taylor à deux périodes, avec
possibilité de crise financière. Deux types de banquiers cen-
traux sont considérés :
-- un banquier central « bayésien » qui maximise le bien-être
global anticipé étant donné une distribution a priori des para-
mètres du modèle ;
-- un banquier central « robuste » qui vise à protéger l’écono-
mie contre la pire perturbation que le système risque de subir.
Suivant le principe de « safety first », il minimise la perte maxi-
male parmi un vaste ensemble de réalisations plus ou moins
probables.
Les auteurs analysent le comportement de ces deux types
d’agents suivant trois sortes d’incertitudes :
-- incertitude sur le lien entre probabilité de crise et volume de
crédit ;
-- incertitude sur la sévérité de la crise ;

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


Grégory Levieuge 81

-- incertitude sur la façon dont le LAW affecte l’inflation et la


production courantes.
Ils trouvent que l’incertitude concernant la sensibilité de
la probabilité de crise au taux de croissance du crédit conduit les
deux types de banquiers centraux à accroître leur taux d’intérêt
plus qu’ils ne le feraient en l’absence d’incertitude. Ceci tient à
l’hypothèse selon laquelle la probabilité de crise financière serait
croissante et convexe avec le crédit. Cette configuration est
représentée sur le graphique n° 1. Plus le crédit L est élevé, plus
la probabilité de crise P est à la fois élevée et sensible à L. Cela
signifie que, pour une élasticité donnée (négative) du crédit au
taux d’intérêt i, plus L est élevé et plus la politique monétaire
aura un effet sur P. Le bénéfice marginal associé à un resserre-
ment de la politique monétaire, qui fait baisser la probabilité
anticipée de crise future, s’en trouve accru ; il est alors optimal
pour la banque centrale de réagir vigoureusement aux condi-
tions financières.
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Graphique 1
Probabilité de crise, crédit et incertitude
Probabilité
de crise

Forte
incertitude

Faible
A
incertitude

-
L (i)

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


82 Grégory Levieuge

Aussi, on comprend aisément l’absence de comportement


de modération du côté du banquier central robuste : plus d’incerti-
tude autour d’une élasticité médiane, notée A sur le graphique n° 1,
signifie que des probabilités plus élevées de crise peuvent être
atteintes. La banque centrale qui a pour objectif d’éviter le pire des
scénarios cherchera d’autant plus à faire baisser L que la pire des
situations possibles s’aggrave avec la montée de l’incertitude.
Ajello et al. [2016] obtiennent un résultat similaire pour le
cas où l’incertitude porte sur le coût de la crise (en termes de varia-
bilité de l’output gap et de l’inflation). Finalement, le principe
d’atténuation à la Brainard ne prévaut que dans le cas où l’incer-
titude porte sur la réponse de l’inflation et de l’output à l’orienta-
tion courante de la politique monétaire16. Un comportement trop
agressif des autorités monétaires se traduirait dans ce cas par un
excès de volatilité (pénalisant) de l’inflation et de l’output.
L’analyse de Ajello et al. [2016] soulève d’importantes
questions. Sur le plan méthodologique, la remise en cause du
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principe de conservatisme ne serait sans doute pas aussi évidente
sans l’hypothèse, pourtant peu justifiée par les auteurs, de rela-
tion non linéaire convexe entre la probabilité de crise et le crédit.
Sur les plans théoriques et pratiques, cette étude amène à s’inter-
roger sur le(s) objectif(s) des autorités monétaires. Peut-on ou
doit-on considérer que leur objectif est de minimiser les pertes
en cas de risque extrême ? Ou bien peut-on ou doit-on admettre
que leur objectif est de minimiser la volatilité macroéconomique,
quel que soit le niveau de risque, tout au long du cycle macro-
financier, comme le suggèrerait une fonction de perte quadra-
tique standard ? On notera que le risque extrême pourrait être
traité comme une cible dans la règle et/ou comme argument dans
la fonction de perte, au travers d’indicateurs de risque extrême
comme la CoVaR, la SRisk, etc. Une telle extension serait cohé-
rente avec l’univers bayésien dans lequel s’inscrivent les modèles
DSGE. Somme toute, et de nouveau, ces interrogations sou-
lignent la nécessité de clarifier la fonction objectif des autorités
monétaires dans les travaux sur le LAW.
Les conclusions de Ajello et al. soulèvent d’autres ques-
tions pratiques : un banquier central peut-il convaincre les agents

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


Grégory Levieuge 83

privés de l’opportunité d’une politique restrictive aujourd’hui,


impliquant des sacrifices à court terme, dans le but d’éviter une
crise demain ? Peut-il contrarier la croissance courante, risquer
de manquer sa cible d’inflation, provoquer des effets de richesse
négatifs et une hausse du chômage, sachant que le succès de sa
politique, si succès il y a, c’est-à-dire l’absence de crise financière,
sera un « non-événement », au sens où par définition ce résultat
ne se verra pas ? Autant on peut observer le taux d’inflation et
estimer en conséquence le bienfondé des orientations de la poli-
tique monétaire menées à des fins de stabilité des prix, autant
l’objectif de stabilité financière a ceci d’ingrat que seul l’échec
(l’occurrence d’une crise financière) est observable, tandis que
les agents considèreront comme « normale » une situation de
non-crise17. On voit les difficultés que pose une politique moné-
taire préventivement agressive, telle que celle qui prévaut chez
Ajello et al. [2016] en présence d’incertitude.
Ainsi, le renoncement au « benign neglect » soulève
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un défi majeur en matière de communication : parvenir à jus-
tifier une politique agressive a priori et montrer a posteriori
que l’orientation choisie était la bonne. Ceci exige des outils
d’analyse fiables pour détecter la montée des risques et pour
communiquer sur les trajectoires insoutenables détectées sur
certains marchés. Le PER, le credit-to-GDP gap, la recherche
de contrefactuels historiques et/ou dans des pays proches, sont
des exemples d’outils pouvant être utilisés à cette fin. Là aussi
des avancées sont nécessaires.

Enseignement et limites des analyses


coûts/bénéfices
Une autre branche de la littérature sur le LAW s’attache à mesu-
rer et comparer les coûts et les bénéfices associés à cette straté-
gie. Nous allons d’abord décrire les canaux, les mécanismes, les
hypothèses et les méthodes retenus pour déterminer les coûts et

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


84 Grégory Levieuge

les bénéfices. Nous verrons quels sont les résultats, notamment


ceux de Svensson qui, pour l’heure, font autorité. Enfin nous
identifierons les lacunes de cette littérature et suggèrerons plu-
sieurs pistes d’amélioration.

Les coûts excèdent les bénéfices

Les deux principaux coûts du LAW


On doit à Svensson une série de travaux approfondis sur cette
question. De façon générale, ses résultats sont défavorables au
LAW. Il démontre en particulier que, contrairement à l’objectif
souhaité, le LAW génère des pertes plus élevées en cas de crise.
La raison est la suivante. Du fait des taux d’intérêt plus élevés
(nécessité imposée par le LAW), l’économie en temps « normal »
(en situation de non-crise) est à un équilibre plus bas, avec un
chômage plus élevé. Dans ces conditions, l’impact d’une crise
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financière (qu’il est impossible d’empêcher absolument, y com-
pris avec le LAW) sera d’autant plus violent que l’économie est
initialement affaiblie par le LAW.

Tableau 2
Un exemple simple du surcoût du LAW en cas de crise
Sans LAW Avec LAW
Pas de crise Crise Pas de crise Crise
Chômage UNC = 0 UC = 5 UNC = 0,5 UC = 5,5 (= 0,5 + 5)
Perte L(UNC) = 0 L(UC) = 25 L(UNC) = 0,25 L(UC) = 30,25
Coût de la crise L(UC) – L(UNC) = 25 L(UC) – L(UNC) = 30

Le tableau n° 2 illustre ce raisonnement. Dans cet


exemple, on suppose que le chômage augmente de 5 points de
pourcentage en cas de crise (avec ou sans LAW) et que les pertes
se définissent suivant une fonction quadratique du taux de chô-
mage18. Sans LAW, la perte en cas de non-crise est nulle et la
perte en cas de crise est de 52, soit 25. Le coût de la crise, défini
comme le coût en cas de crise moins le coût en cas de non-crise

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


Grégory Levieuge 85

est égal à 25. Avec LAW, les pertes sont plus importantes et
de deux ordres. Il y a une perte (modeste) en cas de non-crise
due à une orientation plus restrictive de la politique monétaire
(chômage plus élevé). A cela s’ajoute en partie, par conséquent,
une perte plus élevée en cas de crise (le chômage augmente à
partir d’un niveau initialement plus élevé, d’où 30,25 > 25).
En somme, comme le coût marginal du LAW est positif, le
coût d’une crise est plus élevé avec LAW que sans (30 > 25).
Partant, considérer que la perte est constante en cas de crise
d’une ampleur donnée et indépendante de la situation initiale
de non-crise, c’est négliger un coût majeur du LAW.
L’expérience de la Suède en 2010-2011 permet à Svensson
[2017d] de montrer combien les coûts du LAW – en cas de non-
crise – peuvent être importants. En juin 2010, la Suède affiche
des prévisions d’inflation inférieures à 2 % et des prévisions
de chômage qui auraient pu justifier un assouplissement de la
politique monétaire. La Banque de Suède va au contraire bru-
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talement augmenter son taux directeur, de 0,25 % à 2 % entre
juillet 2010 et juillet 2011, en réaction à des prix immobiliers
et à un niveau d’endettement des ménages jugés préoccupants.
La situation macroéconomique va alors se dégrader : baisse de
l’inflation (qui atteindra 0 % en 2014), hausse du taux d’intérêt
réel, taux de chômage plus persistant que dans les pays voisins19.
A partir du printemps 2014, réalisant que cette politique n’est
pas tenable, la Banque de Suède décide de changer radicalement
d’orientation. Elle baissera ses taux jusqu’en territoire négatif et
mettra en œuvre un programme d’achat d’actifs20.

Coût et bénéfice marginaux du LAW


Au-delà de cet exemple, Svensson [2017a] propose un cadre
d’analyse simple et transparent pour mener une analyse rigou-
reuse des coûts et bénéfices associés au LAW. Nous proposons
de donner quelques précisions sur la méthode employée et sur
les résultats obtenus.
-- Le coût marginal : les effets du taux directeur sur le taux
de chômage en cas de non-crise sont déduits des estimations

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


86 Grégory Levieuge

de la Banque de Suède et du FMI [2015]. Ensuite, en référence


aux mêmes travaux, l’ampleur du coût d’une crise en matière
d’accroissement du chômage est supposée être déterministe et
constante, égale à 5 points de pourcentage. Enfin, pour son éva-
luation de référence (benchmark), Svensson fait l’hypothèse que
la probabilité annuelle de déclenchement d’une crise est de 3,2
%, soit une crise tous les 31 ans. Une crise est supposée durer
huit trimestres21.
-- Le bénéfice marginal : l’évaluation des effets de la politique
monétaire sur la probabilité de crise et sur l’ampleur des crises
est réalisée de manière indirecte, en deux temps. Il s’agit d’abord
de considérer l’impact de la politique monétaire sur l’endette-
ment privé. A cette fin, Svensson [2017a] s’appuie sur les esti-
mations de la Banque de Suède [2014] et du FMI [2015]22.
Ensuite, il considère l’impact de l’endettement : i) sur la pro-
babilité de crise, suivant les estimation de Schularick et Taylor
[2012]23 ; ii) sur l’ampleur d’une crise, en référence aux estima-
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tions de Flodèn [2014] et de Jordà et al. [2013].
Après calcul, Svensson trouve que les coûts du LAW
excèdent largement les bénéfices. En ce sens, il confirme les con-
clusions du FMI [2015], selon lesquelles : « the case for leaning
against the wind is limited, as in most circumstances costs out-
weigh benefits ». Les nombreuses analyses de robustesse réalisées
par Svensson indiquent que, même en forçant le trait24, le LAW
n’est pas souhaitable. Pour atteindre le seuil à partir duquel les
bénéfices atteignent les coûts, il faut s’écarter nettement des
estimations empiriques. Par exemple, il faut que la sensibilité
de la probabilité de déclenchement de crise au taux d’intérêt
soit 6 fois plus élevée que ce que suppose le benchmark. Il fau-
drait sinon, toutes choses égales par ailleurs, que l’effet du taux
d’intérêt sur la dette réelle soit 20 fois plus élevé que ce qui
ressort des estimations de la Banque de Suède. Autre exemple, il
faudrait que l’effet de la dette réelle sur l’ampleur des crises soit
18 fois plus élevé que ce qui ressort des estimations de Flodèn
[2014]. Il est donc difficile, pour des hypothèses raisonnables et
réalistes, de trouver des cas où les bénéfices du LAW l’emportent
sur les coûts.

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


Grégory Levieuge 87

Svensson confirme ce résultat dans une série de plusieurs


articles25 où il critique également les travaux qui aboutissent au
résultat contraire. Ainsi, il reproche à Gourio et al. [2017] et
Filardo et Rungcharoenkitkul [2016] de négliger le coût du
LAW en cas de crise. Il reproche à Adrian et Liang [2018]
d’avoir mené une contre-expertise non pas fondée sur le cadre
d’analyse complet qu’il utilise, mais sur une structure sim-
plifiée assimilable à celle présentée dans le tableau n° 2, qui
n’a initialement qu’un but illustratif. Svensson démontre que
même dans ce cadre analytique les hypothèses alternatives rete-
nues par Adrian et Liang pour contrer ses conclusions sont
peu réalistes. Enfin, il développe un argumentaire particu-
lièrement circonstancié à l’encontre des analyses fondées sur
des modèles DSGE en général et contre la contribution de
Gerdrup et al. [2017] en particulier (voir Svensson [2017b],
section 4).
Bien que rigoureuses, les différentes études de Svensson
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ne sont pas exemptes de limites. Les sections suivantes sont
dédiées aux pistes d’amélioration possibles et souhaitables.

Interrogations sur les effets de la politique monétaire et des


crises bancaires
La politique monétaire est-elle neutre à long terme ?
Svensson fait l’hypothèse que la politique monétaire est neutre
à long terme : la probabilité de crise diminuerait pendant 4 à
5 ans suivant un relèvement des taux d’intérêt, et augmente-
rait ensuite. Le LAW permettrait donc moins d’éviter les crises
que de les ajourner. Pourtant, l’étude empirique de Bauer
et Granziera [2017], fondée sur des fonctions de réponse de
modèles VAR, tend à montrer que la politique monétaire a un
effet sur le risque financier à plus long terme, ce qui serait favo-
rable au LAW. Des approfondissements à ce sujet seraient néces-
saires, sauf à admettre qu’une politique monétaire restrictive,
puisque guidée par le LAW, peut être reconduite de période en
période.

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


88 Grégory Levieuge

À cet égard, les études négligent généralement les effets


dynamiques et rétroactifs de la politique monétaire. Pour coro-
laire, l’incidence des anticipations – conditionnelles à la straté-
gie avérée ou anticipée de la politique monétaire – n’est guère
prise en compte. C’est une lacune importante ; sans cela, il
n’est pas possible d’apprécier l’impact des annonces des auto-
rités monétaires, alors que la forward guidance, par exemple,
revêt une importance considérable dans un contexte de crise.
De même, les efforts à consentir, et donc les coûts, ne sont pas
les mêmes selon le degré de crédibilité de la banque centrale.
A cela s’ajoutent les effets de la transparence (Bianchi et Melosi
[2018]). Une analyse seulement fondée sur des élasticités ne
permet pas de tenir compte de tous ces effets, pourtant cru-
ciaux en pratique. Les études qui s’appuient sur des modèles
DSGE présentent sur ce point un avantage. Enfin, les analyses
coût/bénéfice sont sujettes à la critique de Lucas.
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Les crises bancaires ont-elles des effets permanents ou temporaires ?
Svensson fait l’hypothèse que l’incidence d’une crise est tempo-
raire. A l’inverse, Gourio et al. [2017] font l’hypothèse d’effets
permanents, ce qui se justifie au regard des travaux empiriques
de Cerra et Saxena [2017]. Dans ce cas, si tant est que la poli-
tique monétaire a un effet sur la probabilité et l’ampleur d’une
crise, l’hypothèse d’effet permanent des chocs serait un facteur
favorable au LAW.

Les risques ignorés qui pourraient être favorables au LAW

Les analyses coût/bénéfice, y compris celles réalisées par


Svensson, négligent certains risques qui pourraient promouvoir
le recours au LAW.

Limites à la baisse du taux directeur (ZLB, ELB)


En cas de choc majeur, la réaction de la politique de taux est
contrainte par la non-négativité du taux d’intérêt (Zero Lower

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


Grégory Levieuge 89

Bound ou ZLB) ou par une « contrainte effective » en dessous


de laquelle le taux d’intérêt directeur ne pourrait pas descendre
(Effective Lower Bound ou ELB). Plusieurs menaces et diffi-
cultés se présentent dans ce cas : trappe à liquidité, risque
d’atteindre le seuil (reversal interest rate) en dessous duquel
la baisse du taux d’intérêt aurait des effets contreproductifs
(Brunnermeier et Koby [2018]), nécessité de mettre en œuvre
des mesures non conventionnelles, etc. Ces contraintes ne sont
pas prises en compte dans les analyses. Pourtant, si une stratégie
de LAW est efficace, son bénéfice en serait encore plus impor-
tant, puisqu’elle permettrait de réduire le risque d’atteindre les
seuils qui rendent inopérante la politique de taux. A l’opposé,
si le LAW tend à aggraver le coût des crises, comme le prétend
Svensson, il augmenterait par là-même le risque de buter contre
ces contraintes.

L’aléa moral et le canal de la prise de risque (Risk-taking channel)


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La gestion des crises passées (krach d’octobre 1987, faillite du
fonds LTCM, explosion de bulle Internet, etc.) a fait naître la
croyance en l’existence d’une assurance implicite offerte par
les autorités monétaires. Peek et al. [2016] ont récemment
montré que les questions d’ordre financier ont pesé sur les
orientations de la politique monétaire américaine, en particu-
lier en période de cycle financier baissier26. Ce comportement
asymétrique est générateur d’aléa moral. Il déresponsabilise les
agents et accroît leur tolérance au risque. Dans le cadre d’une
analyse coût/bénéfice, cela implique plus de vulnérabilité
ex ante, pouvant rendre la crise plus probable et plus sévère.
Le LAW permettrait de prévenir une partie des prises de risque
excessives.
Adrian et Liang [2018] soulignent justement l’impor-
tance qu’il y a à considérer le canal de la prise de risque dans
les analyses coût/bénéfice. En effet, l’ignorer, comme le fait
Svensson, c’est présupposer que le LAW n’a pas d’impact, ni sur
la probabilité de crise ni sur l’ampleur de la crise, alors qu’en
décourageant les prises de risque excessives il pourrait réduire

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


90 Grégory Levieuge

les deux. Svensson argue que ce canal est statistiquement signi-


ficatif mais économiquement insignifiant. Il serait plus juste de
dire qu’il n’existe pas (encore) d’estimation macro-économé-
trique exploitable à des fins de chiffrage de l’importance de ce
canal. Pour autant, énormément de travaux et d’observateurs
s’accordent à lui reconnaître une responsabilité majeure dans la
crise de 2008. Un prolongement important des analyses coût/
bénéfice consisterait donc à considérer ce canal, autrement dit
considérer les effets de la politique monétaire (via le LAW) sur
le coût anticipé des crises.

Le risque de dominance financière


Pour certains économistes, la stabilité financière doit être une
préoccupation pour les banques centrales parce qu’il existe un
risque de dominance financière (Smets [2014]). La dominance
financière désigne une situation qui survient lorsque le secteur
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financier est incapable d’absorber l’ensemble de ses pertes, avec
un risque de défaut en cascade s’il n’est pas renfloué. Cette situa-
tion ajoute un second niveau au jeu traditionnel de la poule
mouillée qui oppose le gouvernement aux autorités monétaires27
(Brunnermeier [2015]) : en cas de crise, les autorités budgé-
taires aimeraient que les pertes soient absorbées via le bilan
de la banque centrale. Les autorités monétaires, quant à elles,
préfèreraient que le gouvernement se charge de recapitaliser les
banques. Toutefois, dans un contexte de dette publique initia-
lement élevée, la banque centrale est pratiquement condamnée
à céder ; la réduction de la charge réelle de la dette des agents
passe par une politique monétaire accommodante28 (Lewis et
Roth [2017]). A ce propos, Hannoun [2012] suggère que le
LAW est une solution pour éviter de basculer en situation de
dominance financière : « The risk of financial dominance arises
when central banks factor in financial stability considerations
in their monetary policy decisions in times of financial bust but
fail to do it in times of financial boom when financial imbal-
ances are building up ». C’est donc un point supplémentaire à
considérer dans les analyses coût/bénéfice.

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


Grégory Levieuge 91

Les instruments de politique économique négligés dans les


analyses

Les études sur le LAW se concentrent exclusivement sur les effets


de la politique monétaire. Elles en oublient les autres instruments
de régulation, avec lesquels la politique monétaire peut interagir
et en l’absence desquels les résultats pourraient être biaisés.

Le cadre de politique économique et le policy-mix sont à considérer


L’apport net du LAW peut être exagéré quand on néglige la poli-
tique budgétaire, le régime de change, ou encore la régulation
bancaire, qui eux aussi influencent la probabilité et l’ampleur des
crises (Levieuge et al. [2018b]). Par exemple, lorsqu’elle concerne
la fiscalité sur les intérêts de la dette ou sur l’épargne financière,
la politique fiscale peut réduire l’intérêt de recourir au LAW.

La banque centrale pourrait aussi utiliser son bilan à des fins de


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stabilité financière
Dans la perspective de l’affectation optimale de ses instruments,
en nombre idéalement au moins égal à celui de ses objectifs,
la banque centrale pourrait jouer sur la composition de son
bilan à des fins de stabilité financière. C’est la thèse défendue
par Greenwood et al. [2016]. Selon eux, la transformation de
maturité constitue une source majeure d’instabilité financière.
Or, en influençant à la baisse le rendement relatif des actifs sans
risque de la partie courte de la courbe des taux, l’expansion du
passif de la banque centrale – que ce soit via les réserves portant
intérêt ou les prises en pension – pourrait réduire les incitations
des intermédiaires financiers à faire trop de transformation de
maturité. En agissant ainsi sur les taux courts, cette mesure se
transmettrait à tous les marchés, régulés ou pas. De ce point de
vue, la politique de bilan de la banque centrale présente l’avan-
tage du « get in all the cracks ». De surcroît, cette forme de LAW
ne priverait pas la banque centrale de l’usage plein et entier de
son taux d’intérêt directeur pour atteindre son objectif final de
stabilité des prix. Ainsi, dans le cadre d’une analyse coût/bénéfice,

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


92 Grégory Levieuge

l’utilisation du bilan pourrait réduire le coût du LAW en cas de


non-crise, mais aussi et par conséquent, le coût des crises.

La politique macro-prudentielle : la grande oubliée des analyses


coût/bénéfice
Comme les travaux qui s’appuient sur les modèles DSGE, les
analyses coût/bénéfice négligent la politique macro-pruden-
tielle. Pour le justifier, Gourio et al. [2017] par exemple dressent
un bilan expéditif et assez caricatural des effets de la politique
macro-prudentielle ; celle-ci ne pourrait compter que sur un
ensemble limité d’instruments, difficiles à manipuler, lents à
mettre en œuvre, aux effets incertains et possiblement contre-
productifs à cause du développement inhérent du shadow ban-
king. La politique macro-prudentielle souffrirait de surcroît
d’une dispersion des autorités qui en ont la charge. Son ineffi-
cacité présupposée permet de justifier l’analyse du LAW indé-
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pendamment de toute autre mesure. On notera juste que les
instruments macro-prudentiels sont nombreux (cf. Cerutti et al.
[2017]) et que leurs effets sur le coût anticipé des crises ne sont
pas plus incertains que ceux du taux d’intérêt, dont l’estima-
tion est pourtant centrale dans les analyses coût/bénéfice sur le
LAW29. Du reste, il est curieux de justifier le recours au LAW
par la défaillance du macro-prudentiel, alors qu’en pratique, ce
dernier se développe en réponse aux insuffisances avérées de la
politique monétaire et à ses externalités financières.
Svensson [2017a] suggère, au contraire, que la poli-
tique monétaire a un désavantage comparatif en termes de coût
et d’ampleur des crises. C’est aussi une critique qu’il adresse à
Gerdrup et al. [2017] : dans leur modèle, l’excès de crédit ne fait
qu’accroître le coût espéré des crises bancaires. Il n’a aucun effet
stimulant sur l’activité réelle. Dans ces conditions, les bénéfices
du macro-prudentiel sont évidents et supérieurs aux bénéfices
attendus de la politique monétaire, dont le resserrement aurait
un impact négatif sur l’activité réelle (in all the cracks).
De façon générale, il peut exister des complémentari-
tés, mais aussi des conflits potentiels entre politique monétaire

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


Grégory Levieuge 93

et politique macro-prudentielle, qui ne sont pas neutres sur les


résultats du LAW. Considérer la politique macro-prudentielle
et son interaction avec la politique monétaire apparaît donc
comme indispensable30.

Dans cet article dédié à la relation entre politique moné-


taire et stabilité financière, nous avons d’abord vu comment et
pourquoi, étant donné les priorités assignées aux banques cen-
trales, l’objectif de stabilité des prix pouvait entrer en opposition
avec la stabilité financière. Nous nous sommes ensuite interro-
gés sur l’optimalité d’une politique monétaire qui répondrait de
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manière systématiquement au cycle financier, conformément à
une stratégie de « leaning against the wind » (LAW).
Dans cette perspective, nous avons d’une part passé en
revue les travaux qui cherchent à répondre à cette question en
optimisant des règles de Taylor augmentées d’une cible finan-
cière dans des modèles DSGE avec frictions financières. Certes,
certains de ces travaux trouvent optimal d’augmenter la règle de
Taylor d’une cible financière. D’autre part, nous avons souligné
certaines insuffisances qui mériteraient d’être comblées afin de
véritablement parvenir à des conclusions robustes. Ainsi, parmi
les principales pistes d’amélioration, il conviendrait de :
-- considérer des chocs de toutes natures, avec fréquences et
ampleurs réalistes ;
-- considérer l’endogénéité des déséquilibres financiers et du
risque systémique à l’orientation de la politique monétaire ;
-- privilégier une modélisation non linéaire ;
-- procéder avec rigueur à l’optimisation des règles de Taylor
augmentées (ne pas contraindre de paramètres des règles à opti-
miser, poser de manière rigoureuse la fonction objectif des auto-
rités monétaires, et examiner la sensibilité du LAW à l’introduc-

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


94 Grégory Levieuge

tion d’autres variables d’état, notamment à une cible d’output


gap qui serait « finance-neutral »).
D’autre part, nous avons passé en revue les analyses coût/
bénéfice qui sont, quant à elles, plutôt défavorables au LAW.
Toutefois, au regard des lacunes existantes, plusieurs pistes d’in-
vestigation permettraient de vérifier comme il se doit la robus-
tesse des résultats obtenus. Il s’agirait, en particulier de :
-- mieux cerner les effets de la politique monétaire à court terme
et à long terme sur le cycle financier ;
-- déterminer plus clairement si une crise bancaire implique des
effets permanents ou seulement transitoires ;
-- considérer, comme il se doit, les risques qui pourraient émer-
ger en l’absence de LAW (aléa moral en cas de CUA, risque de
dominance financière, canal de la prise de risque) ;
-- considérer que la banque centrale peut aussi influencer la
structure par terme des taux via sa politique de bilan.
Enfin, et surtout, que ce soit dans le cadre de l’une ou de
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l’autre des deux approches, il est indispensable que les travaux
intègrent les effets de la politique macro-prudentielle, jusqu’à
présent injustement négligés. La nécessité de recourir à la poli-
tique macro-prudentielle et sa supériorité sur la politique moné-
taire pour ce qui concerne l’objectif de stabilité financière sont
des résultats qui ont fait l’objet de démonstrations théoriques
rigoureuses31. Sur le plan pratique, la mise en œuvre de la poli-
tique macro-prudentielle est en cours dans la plupart des pays
(Cerutti et al. [2017]).
Pour autant, les banques centrales ne peuvent plus igno-
rer que la politique monétaire peut générer des externalités
financières. Il n’est donc guère recommandable de se satisfaire
de la douce insouciance qui a prévalu avant la crise de 2008.
A ce propos, Woodford [2012] avance qu’un régime de ciblage
d’inflation flexible serait des plus opportuns pour assurer à la
fois stabilité macroéconomique et stabilité financière. Ce n’est
pas parce que le premier implique le second, mais plutôt parce
qu’un ciblage d’inflation flexible permet de se détourner tempo-
rairement de l’objectif final, si besoin était, par exemple lorsque
l’orientation de la politique monétaire constitue une menace

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


Grégory Levieuge 95

pour la stabilité financière. Svensson [2017d] rejoint ce point de


vue et précise même : « the financial-stability authority should
warn the monetary policy authority if monetary policy poses a
threat to financial stability that the financial-stability authority
could not contain with its available policy instruments. Then the
monetary policy authority may choose to adjust monetary pol-
icy, either tightening or loosening, depending on the situation,
and thus temporarily deviate from the monetary policy goals ».
En somme, cette forme de coordination suggère de
dépasser le principe de séparation, qui voudrait que chaque
autorité (monétaire et prudentielle) ne se préoccupe que de
son propre objectif final. Elle est cohérente avec la « I-théorie »
développée par Brunnermeier et Sannikov [2014], selon laquelle
stabilité des prix et stabilité financière sont étroitement imbri-
quées, tant et si bien que les politiques monétaires, prudentielles
et budgétaires, doivent être vues comme interdépendantes.
La coordination entre les différentes autorités de poli-
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tique économique constitue un chantier théorique et pratique
encore inachevé. De même, il existe encore des marges de pro-
gression dans la mise en œuvre et l’efficacité de la politique
macro-prudentielle. Mais, quand bien même les effets de la poli-
tique prudentielle et son articulation avec la politique moné-
taire sont perfectibles, on voit mal comment les hypothétiques
bénéfices du LAW pourraient résister à la prise en compte de la
politique macro-prudentielle.

Ce travail a bénéficié d’échanges éclairants et stimulants avec Klodiana Istrefi et Julien


Matheron. L’auteur les remercie, comme il remercie Jean-Paul Pollin, ainsi qu’un référé
anonyme de la RFE, pour leurs remarques et suggestions. Il reste seul responsable d’éven-
tuelles erreurs ou omissions. Les vues exprimées ici sont les siennes et n’engagent en aucune
façon la Banque de France ou l’Eurosystème.

Grégory Levieuge est économiste chercheur à la Banque de France (Direction des études
monétaires et financières) et professeur à l’université d’Orléans, Laboratoire d’économie
d’Orléans, Rue de Blois, BP 26739, 45067 Orléans Cedex 2.
Adresse : Banque de France, 31 Rue Croix des Petits Champs, 75049 Paris cedex 1.
Tél : 02 38 41 70 37. Email : gregory.levieuge@banque-france.fr

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


96 Grégory Levieuge

Notes

1. Voir Smets [2014] pour un aperçu des 8. Voir par exemple Levieuge [2005].
travaux réalisés dans l’immédiat après-crise.
9. Dans son analyse coût/bénéfice,
2. Notons que le recours à une ana- Svensson [2017], par exemple, suppose
lyse coût/bénéfice n’exclut pas l’utilisa- une probabilité de crise de 6 %, soit une
tion d’un modèle DGSE, quand il s’agit crise tous les 31 ans (voir supra).
par exemple d’évaluer l’élasticité d’une
variable à une autre. Mais le modèle n’est 10. Voir « The Riksbank is wrong about the
alors pas destiné à déterminer la règle debt: Higher policy rates increase rather
monétaire optimale. than decrease the household-debt ratio »,
Vox : CEPR’s Policy Portal, September 4,
3. Voir par exemple Kent et Lowe [1997], [2013]. https://voxeu.org/article/riksbank-
Bernanke et Gertler [1999, 2001], Cechetti wrong-about-household-debt.
et al. [2000], Bordo et Jeanne [2002].
11. Brunnermeier et Sannikov [2014]
4. Ce constat est d’autant plus saisissant ont ouvert une voie dans cette direction.
que, historiquement, les missions de sta- Filardo et Rungcharoenkitkul [2016] pro-
bilité financière des banques centrales ont posent une modélisation alternative.
préexisté à leurs missions de politique
12. Friedrich et al. [2018] montrent que
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monétaire. Voir l’article de P. Jaillet et B.
cet arbitrage est pertinent sur le plan
Mojon dans ce numéro. Voir également
empirique.
Goodhart [1988].
13. Typiquement, les résultats de Verona
5. Goodfriend [2003] soulignait déjà ce
et al. [2017] seraient encore plus convain-
point, en référence à l’expérience japo­
cants dans ces conditions ; car dans de
naise : « In retrospect, it seems that both
nombreux cas les paramètres « optimisés »
the Bank of Japan and Japanese public
de leurs règles butent sur les bornes hautes
may have been fooled to a degree by the
ou basses des intervalles qu’ils imposent
recently acquired credibility for low infla-
arbitrairement.
tion into thinking that the economy had
become inherently more inflation-proof. 14. Selon le principe de Tinbergen, le
That belief may have contributed to the nombre d’instruments doit être au moins
spectacular rise in Japanese asset prices ». égal au nombre d’objectifs. En outre, sui-
vant la règle de Mundell, un instrument
6. Voir Levieuge [2005] pour un exposé
doit être assigné à l’objectif pour lequel il
détaillé des méthodes, des résultats et
est comparativement le plus efficace.
des limites de ces travaux, ainsi que des
raisons pour lesquelles leurs conclusions 15. Voir par exemple Levieuge [2006]
divergent. pour une illustration de l’effet d’atté-
nuation lorsque la banque centrale suit
7. Il s’agit notamment de Curdia et une règle de Taylor augmentée d’une
Woodford [2010], Gilchrist et Zakrajsek cible de taux de change, tandis que le
[2012], Nisticò [2012], Andrés et al. taux de change d’équilibre est mesuré
[2013], Gambacorta et Signoretti [2014], avec erreur.
Verona et al. [2017], Carlstrom et al.
[2017], Gourio et al. [2017], Gerdrup 16. En effet, on est alors dans un cas
et al. [2017]. d’incertitude dite « multiplicative » dans

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


Grégory Levieuge 97

lequel le principe d’atténuation tend Ce qui fait dire à Svensson [2017c] que
généralement à s’appliquer. l’effet du taux d’intérêt sur le ratio crédit/
PIB est économiquement insignifiant.
17. A titre d’illustration, on peut se sou-
venir des nombreux débats qui se sont 23. Une hausse de 1 pp du taux d’inté-
tenus, au lendemain de la crise de 2008, rêt réduirait la probabilité de crise de 6 à
sur la responsabilité d’ Alan Greenspan, 5,9 %.
qui selon certains aurait négligé les désé-
quilibres financiers, se contentant de 24. Par exemple, il suppose que le chô-
dénoncer l’exubérance irrationnelles des mage dû au LAW en cas de non-crise est
marchés financiers et contribuant à créer deux fois plus faible que dans le scénario
un aléa de moralité en faisant du CUA, de référence, il considère un boom du
suite à l’explosion de la bulle Internet. crédit associé à une plus forte probabilité
inhérente de déclenchement de crise, une
18. En toute rigueur, il faudrait parler plus forte ampleur de crise, ainsi qu’une
d’« unemployment gap », c’est-à-dire rai- durée de crise plus longue.
sonner en termes d’écart au taux de chô-
mage qui prévaudrait sous l’égide d’une 25. Voir Svensson [2017c,d,e]. Svensson
politique optimale avec une probabilité [2016] contient tous les détails de
de crise nulle. Voir la 2ème section et l’an- Svensson [2017a]. S’y trouvent aussi les
nexe A de Svensson [2017a]. réponses de Svensson aux critiques de la
BRI (encadré IV.B pp. 76-77] [2016].
19. Des détails figurent dans Svensson
[2010], Banque de Suède [2010] et 26. Ils trouvent que les périodes baissières
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Svensson [2017d]. en particulier ont entraîné une réduction
significative du taux des fonds fédéraux
20. Si le coût à court terme de cet relativement au taux de Taylor.
exemple de LAW est assez évident, on
n’a aucune indication sur les bénéfices. 27. Ce second niveau de jeu s’ajoute à
A-t-on évité une crise ? Cela renvoie au la traditionnelle opposition entre domi-
caractère ingrat du LAW, dont le résul- nance monétaire et dominance fiscale.
tat est difficile à apprécier. Néanmoins, La dominance monétaire renvoie à un
selon Claussen et al. [2011] il aurait contexte dans lequel la politique moné-
fallu accroître le taux directeur de plus taire est exclusivement tournée vers
de 5 points de pourcentage pour que les l’objectif de stabilité des prix qui lui est
cours immobiliers décrochent de leur assigné, indépendamment de la situation
tendance observée entre 2004 et 2010. financière de l’Etat, supposée saine. A
L’inflation aurait alors été de 6 points l’opposé, la dominance fiscale désigne une
de pourcentage en-dessous de sa cible situation dans laquelle l’état des finances
et la perte cumulée de PIB aurait atteint publiques est à ce point insoutenable que
12 %. Il faut donc que les bénéfices la banque centrale doit renoncer à son
soient très élevés pour compenser ces objectif d’inflation et monétiser la dette
coûts. publique pour éviter le défaut souverain.
21. La probabilité d’être en crise serait 28. Tant et si bien même que, dans Lewis
alors d’environ 6 %. et Roth [2017], la violation du principe
de Taylor est requise pour garantir l’exis-
22. D’après la banque de Suède, un tence d’un équilibre stable.
accroissement d’un point de pourcentage
du taux directeur pendant un an réduirait 29. Il existe de nombreux travaux sur
de moins de 1 % le ratio dette sur PIB des les effets réels et financiers des politiques
ménages dans les deux ans qui suivent. prudentielles, parfois d’ailleurs à des fins

Revue française d’économie, n°3/vol XXXIII


98 Grégory Levieuge

d’analyse coût/bénéfice. Voir par exemple 30. On notera que c’est déjà une desprin-
BRI [2010] et Pollin [2012] pour ce qui cipales conclusions du survey de Levieuge
concerne l’impact des exigences en fonds [2005].
propres bancaires. Pour une revue de litté- 31. Voir par exemple Farhi et Werning
rature, voir Galati et Moessner [2013] et [2016], Korinek et Simsek [2016] et
Fidrmuc et Lind [2018]. Alpanda et Zubairy [2017].
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