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Les enjeux de la patrimonialisation dans la gestion du

développement économique : un cadre conceptuel


Marie Lavoie
Dans Sociétés 2014/3 (n° 125), pages 137 à 151
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 0765-3697
ISBN 9782804191825
DOI 10.3917/soc.125.0137
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.67.5.193)

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Marges

LES ENJEUX DE LA PATRIMONIALISATION


DANS LA GESTION DU DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE : UN CADRE CONCEPTUEL
Marie LAVOIE *

Résumé : Le but de cet article est de présenter un cadre conceptuel permettant d’ana-
lyser les enjeux que soulève la patrimonialisation sur le développement économique et,
par conséquent, de gérer les déséquilibres qui peuvent survenir au niveau national et
international. Une stratégie patrimoniale devrait viser prioritairement le bien-être humain
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d’une population, mais il serait irréaliste de passer outre l’impact d’une telle stratégie sur
le développement et le bien-être économique. Le cadre d’analyse développé par l’OCDE
prend en compte des objectifs de croissance économique, de bien-être économique et
humain. Ce cadre est opportun et particulièrement bien adapté à la mise en œuvre de
la stratégie de patrimonialisation. Le concept de capital tel qu’utilisé par l’OCDE permet
de lier de façon systémique les différentes influences, qu’elles soient sociales, culturelles,
humaines, matérielles et naturelles, sur le développement économique et les autres formes
de bien-être. En permettant de bien cerner la complémentarité entre les capitaux et les
dispositions institutionnelles et juridiques, il s’avère un guide très efficace pour le processus
d’élaboration des politiques publiques dans un contexte de patrimonialisation.
Mots clés : conventions de l’Unesco, patrimonialisation, développement économique,
OCDE, bien-être économique et humain, PIB, capital

Abstract: The goal of this paper is to present a conceptual framework to analyse the stakes
raised by the patrimonialization on economic development and, consequently, to man-
age imbalances induced by this process at the national and international level. While this
strategy should prioritize human well-being, its impact on economic development and eco-
nomic well-being is far-reaching and should be carefully analysed. The OECD developed

* Professeur agrégé, Département de sciences économiques et École graduée d’affaires


publiques et internationales, York University/Glendon College 210 Glendon Hall Toronto,
Canada M4N 3M6. lavoie@glendon.yorku.ca.

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138 Les enjeux de la patrimonialisation dans la gestion du développement économique

a conceptual framework integrating the notion of capital to assess the complementary


relation between social, cultural, human, material and natural determinants with political,
institutional and legal arrangements affecting economic growth as well as economic and
human well-being. This framework guides the process of policy-making and is particularly
appropriate to the implementation of a heritage strategy.
Keywords: Unesco conventions, patrimonialization, economic development, OECD,
economic and human well-being, GDP, capital

Introduction
Hérité du passé, le patrimoine comprend généralement deux grandes catégories :
le patrimoine matériel incluant les édifices, monuments, statues, sites historiques ou
encore des objets d’art, une peinture et le patrimoine immatériel au sein duquel on
retrouve la langue, la littérature, la musique et toute autre forme de connaissance ou
de compétence reconnue par des groupes et communautés. L’environnement et plus
particulièrement la biodiversité font également partie intégrante du patrimoine. La
patrimonialisation est une intervention visant la création, la préservation ainsi que
la diffusion de ces formes de patrimoine dans une perspective intergénérationnelle.
Le but de cet article est de présenter un cadre permettant d’analyser les enjeux
que soulève la protection du patrimoine sur le développement économique et, par
conséquent, de gérer les déséquilibres qui peuvent survenir au niveau national et
international. Par exemple, bien que la liste du patrimoine mondial de l’Unesco ne
constitue pas en soi un outil de développement économique, elle peut produire
des effets positifs ou négatifs sur le développement. Le passage de l’inscription
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sur la liste du patrimoine mondial au développement économique n’est certes pas
linéaire ; cette trajectoire est parsemée d’embûches. Dépendamment du niveau de
développement économique des pays, la patrimonialisation pourra bénéficier ou
nuire au bien-être économique et humain dépendamment de leur capacité à gérer
les externalités positives et de contrôler les externalités négatives. Les pays en voie
de développement qui possèdent un riche patrimoine n’auront pas nécessairement
la même capacité de faire face à ces externalités que les pays développés. Avant de
se pencher sur la stratégie de patrimonialisation et ses enjeux, il convient de définir
ce que l’on entend par développement économique. Une définition élargie qui
tient compte à la fois de la croissance économique et du bien-être économique 1 et
humain 2 est certes plus appropriée dans un contexte de patrimonialisation.
Nous posons donc qu’une stratégie patrimoniale devrait viser prioritairement
le bien-être humain d’une population, mais qu’il serait irréaliste de passer outre
le poids d’une telle stratégie sur le développement et le bien-être économique.
Le cadre d’analyse développé par l’OCDE permet de guider systématiquement

1. « Le bien être économique est le fruit du produit économique », OCDE, p.11, 2001.
2. « Le bien-être humain est plus que la somme des différents niveaux de bien-être, car
il est lié aux préférences individuelles et sociétales à l’égard de l’égalité des chances, les
libertés civiles, de la répartition des ressources et des possibilités de toujours apprendre
plus », Ibid., pp. 10-11.

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le processus d’élaboration de politiques publiques derrière une telle stratégie en


tenant compte de la complémentarité de tous les capitaux et en privilégiant le long
terme avec toute l’incertitude associée. En présentant les composantes du dévelop-
pement en termes de capital, nous pouvons appréhender la dynamique entre ces
capitaux dans un contexte de croissance économique, de bien-être économique et
de bien-être humain allant au-delà de la stricte logique du marché.

1. Quelle vision du développement ? Le cadre conceptuel de l’OCDE


De façon générale, les économistes associent le développement économique à la
croissance économique ; celle-ci étant mesurée par une augmentation du produit
intérieur brut (PIB). Indicateur synthétique quantifiable, le PIB permet de mesurer
la production actuelle des biens de consommation, d’équipement et des services
qui figurent dans la comptabilité nationale. Le PIB comporte plusieurs limites dont
le fait que les activités non marchandes des ménages ainsi que celles de conser-
vation des ressources naturelles soient exclues. Cet indicateur fait de plus en plus
l’objet de critiques 3. Comme le souligne Hugon, « [l]e développement ne peut
être réduit à la simple expansion du capitalisme ou de la croissance économique.
Il est un concept multidimensionnel ayant une dimension économique, sociale,
environnementale. Il pose la question des équités intra et intergénérationnelles »
(Hugon, 2003, p. 71). De façon encore plus précise, cet auteur avance qu’il « peut
être défini comme un processus endogène et cumulatif de long terme de progrès
de la productivité et de réduction des inégalités, en intégrant des coûts humains et
environnementaux acceptables » 4.
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D’autres observateurs, quant à eux, font référence au développement durable
stricto sensu lorsqu’ils traitent de développement économique. On parle ici d’un
développement qui répond aux besoins présents sans compromettre les besoins
des générations futures. Par ailleurs, bien qu’on ne puisse associer directement
patrimonialisation et développement durable, on peut toutefois avancer que la
stratégie de protection du patrimoine contribue au développement durable au sens
où ce processus ne peut aller à l’encontre des besoins des générations futures au
profit des générations présentes.
L’intérêt du cadre d’analyse de l’OCDE (2001) dans l’analyse de la relation
patrimonialisation/développement économique, réside dans le fait que les différents
capitaux qui y sont inclus interagissent et déterminent à la fois la croissance ainsi
que le bien-être économique et humain. Le bien-être est un objectif fondamental
dans le développement de toute société et réfère à un niveau d’épanouissement

3. Voir à ce propos : J. E. Stiglitz, A. Sen, J.-P. Fitoussi, Measurement of Economic Per-


formance and Social Progress, Report by the Commission, Executive Summary, pp. 7-18,
2009 ; L. Osberg, A. Sharpe, « How should we measure the “economic” aspects of well-
being? », Review of Income and Wealth, vol. 51, n° 2, June, pp. 312-336, 2005 ; OCDE,
Du bien-être des nations : le rôle du capital humain et social, 2001.
4. P. Hugon, « Peut-on parler d’une crise ou d’un renouveau de l’économie du dévelop-
pement durant la dernière décennie ? », in Revue Tiers-Monde, vol. 3, n° 187, 2006, p. 11.

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individuel en fonction des valeurs qui varient selon les individus et les groupes
sociaux5. Les différentes formes de capital sont donc des ressources utilisées pour
favoriser le développement économique et social. Nous considérons que le patri-
moine est un élément important du capital culturel et du capital naturel contribuant
à des finalités sociales et humaines qui vont bien au-delà des objectifs de crois-
sance économique6.

Cette approche permet ainsi de mettre l’accent sur le progrès économique et


son point d’articulation avec le bien-être en dépassant la logique strictement mar-
chande. Dans cette optique, la perspective ne se limite pas au court terme, mais
privilégie le long terme. En combinant les objectifs de croissance économique et de
bien-être, on arrive à insérer le patrimoine dans une catégorie particulière tout en
l’intégrant pleinement dans la dynamique économique et dans celle du bien-être.
Comme la patrimonialisation produit inévitablement des impacts sur l’économie,
l’isoler de cette dynamique en postulant qu’elle ne correspond pas à une catégorie
marchande nous empêche de bien appréhender les enjeux politiques associés. Le
cadre conceptuel développé par l’OCDE remet en perspective la logique patri-
moniale « qui prévaut dans le cadre de la relation marchande » 7, mais de façon
beaucoup plus englobante.
En plus d’aller au-delà de la croissance économique, ce cadre conceptuel tient
compte des regrettables, c’est-à-dire des éléments qui font partie du PIB, mais qui
sont situés à l’extérieur du bien-être économique et humain. Prendre en compte
les éléments regrettables permet de développer une stratégie plus adéquate de
patrimonialisation. D’une part, une absence de patrimonialisation ou un sous-
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investissement (en temps et argent) dans la sauvegarde du patrimoine, serait,
quant à nous, un exemple typique de perte éventuelle de patrimoine. Les dépenses
occasionnées par la destruction de ce patrimoine pourraient être incluses dans
les éléments regrettables tout comme celles liées à la pollution ou à la criminalité.
D’autre part, une patrimonialisation mal conçue pourrait également entraîner des
externalités négatives telle une pollution liée à la surcharge touristique et contribuer
ainsi à faire augmenter les regrettables.
Selon l’OCDE, quatre capitaux interagissant entre eux permettent d’atteindre
des niveaux élevés de PIB, de bien-être économique ainsi que de bien-être humain.
L’atteinte de ces objectifs sera possible pour autant que chacun de ces capitaux
puisse s’accumuler et non pas se détériorer et, qui plus est, se compléter dans
leur interaction. Le but de la stratégie de patrimonialisation consiste précisément
à sauvegarder un patrimoine, en empêchant sa détérioration, pour le transmettre
aux générations futures.
À ce cadre nous avons ajouté la notion de capital culturel qui est au centre
de la stratégie de patrimonialisation. Nous considérons qu’une des sources du

5. OCDE, Du bien-être des nations : le rôle du capital humain et social, op. cit., p. 11.
6. Ibid., p. 9.
7. F.-D. Vivien, « Pour une économie patrimoniale des ressources naturelles et de
l’environnement », in Mondes en développement, vol. 1, n° 145, 2009, p. 24.

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capital culturel est le patrimoine exprimé sous toutes ses formes et sur une longue
période et que l’on retrouve dans les conventions de l’Unesco. Comme toute autre
forme de capital, le capital culturel constitue un déterminant au développement
économique. En d’autres termes, le patrimoine pourrait difficilement être isolé de
l’économie tout comme de la société. Notre propos est fondé sur le fait que les
capitaux agissent les uns sur les autres et ne peuvent être isolés dans un contexte
national. Par exemple, le capital humain et le capital social ont une très grande
complémentarité et leur accumulation dépendra fortement des dispositions poli-
tiques, institutionnelles et juridiques d’un pays donné.
Le cadre institutionnel national est donc un facteur important dans l’accumu-
lation et la détérioration des capitaux. Il existe une variété d’institutions parmi les
pays qui explique pourquoi certains capitaux sont plus avantagés dans certains
pays alors qu’ils sont négligés dans certains autres. Finalement, les dispositions
juridiques ont également un rôle non négligeable sur ces capitaux. Il suffit de men-
tionner entre autres les droits de propriété intellectuelle ainsi que les instruments
légaux internationaux tels les conventions, les résolutions, etc.
Dans le cadre emprunté de l’OCDE, il est important de mentionner que le
capital culturel n’est pas présent et est, en quelque sorte, intégré au capital social.
Dans cet article, ces deux capitaux sont distingués puisque nous considérons que
le patrimoine culturel ou naturel en constitue une composante importante et agit
directement sur le capital social par sa fonction identitaire et son rôle sur la cohé-
sion sociale. À notre avis, il y aurait une complémentarité aussi importante entre
capital social et capital culturel qu’entre capital humain et capital social. Cette com-
plémentarité étant également soutenue et influencée par les dispositions politiques,
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institutionnelles et juridiques. Tout comme la connaissance scientifique et techno-
logique, considérée comme le moteur de la croissance économique, la connais-
sance patrimoniale incorporée dans le capital culturel et partie prenante du capital
humain peut, même si ce n’est pas sa finalité propre, contribuer à la croissance
économique en stimulant diverses industries dont l’industrie touristique, mais aura
d’abord un impact sur le bien-être économique et humain.

2. Capital et patrimonialisation
La patrimonialisation est un mode d’intervention qui a pour but d’assurer la créa-
tion, la préservation et la diffusion du patrimoine. Il s’agit d’un processus qui évolue
et est, en quelque sorte, déterminé par les interventions antérieures qu’elles soient
locales, nationales ou internationales. Ces interventions produisent des externalités
qui influencent le développement économique. Il nous faut donc comprendre la
dynamique qui va de la patrimonialisation au progrès économique. Cette straté-
gie contribue à influencer le développement économique, mais également social,
puisque le capital naturel et culturel (qui incluent certains éléments patrimoniaux)
interagissent étroitement avec les autres capitaux qui affecteront à la fois la crois-
sance économique et le bien-être.

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142 Les enjeux de la patrimonialisation dans la gestion du développement économique

De nombreux observateurs écartent le patrimoine comme forme de capital.


Selon Hugon, « [o]n gère un capital pour l’accroître et un patrimoine pour le trans-
mettre » 8. Billaudot va dans le même sens et considère que le patrimoine « …relève
de la conservation et de la transmission, non de la destruction et de l’appropriation
(personnelle ou collective) » 9. Pour Barthelemy et ses collègues, le capital « vise à
renvoyer à la démarche fondamentale en termes de substitution entre deux biens
en fonction de leurs raretés respectives » tel que stipulé par les économistes néo-
classiques 10.
En utilisant le concept de capital selon le cadre de l’OCDE, ce n’est pas la subs-
titution des capitaux qui est visée, mais plutôt leur complémentarité. Ce concept
permet donc de lier de façon systémique les différentes influences qu’elles soient
sociales, culturelles, humaines, matérielles et naturelles sur le développement éco-
nomique et les autres formes de bien-être. De plus, toute forme de patrimoine
n’est pas statique, mais en constante évolution. La patrimonialisation consiste en
un investissement direct (non exclusivement monétaire) dans le capital culturel ou
naturel qui, par conséquent, a un impact positif sur son accumulation et les autres
formes de capital tels le capital humain et le capital social en autant que sa diffusion
soit étendue à l’ensemble de la population et non pas réservée à une élite mon-
diale. Faisant face à un scénario où seule une élite serait favorisée, le capital social
des communautés locales risquerait de se détériorer entraînant des problèmes non
seulement d’équité, mais économiques d’où l’importance de mettre l’emphase sur
les autres formes de capitaux, en particulier, humain et social.
Une croissance économique combinée à de hauts niveaux de bien-être ne
sera possible qu’à condition qu’il y ait une accumulation simultanée de toutes ces
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formes de capital et que ces derniers soient complémentaires. En mettant l’em-
phase sur la diversité des capitaux dans le cadre d’analyse, on est forcé à considé-
rer la nature systémique des dimensions économique, sociale, environnementale,
culturelle et humaine. Une description succincte de ces capitaux dans un contexte
de patrimonialisation s’avère utile à ce point.
Capital culturel : Bien que difficilement mesurable, le capital culturel permet
de générer les valeurs les plus importantes, soit celles qui donnent une significa-
tion à la vie 11. Le capital culturel est celui qui est le plus directement touché par
la stratégie de patrimonialisation. En permettant une valorisation identitaire, la

8. P. Hugon, « Les frontières de l’ordre concurrentiel et du marché : les biens publics


mondiaux et les patrimoines communs », in Géographie, Économie, Société, vol. 6, 2004,
p. 271.
9. B. Billaudot, « À propos de deux questions concernant le concept de patrimoine : de
quels éléments se compose un patrimoine et quels en sont les titulaires possibles ? », in
Géographie, Économie, Société, vol. 6, 2004, p. 292.
10. D. Barthélemy, M. Nieddu, F.-D. Vivien, « Externalités ou production de patrimoines ?
Les enseignements de travaux récents sur l’agriculture et l’environnement », in Géographie,
Économie, Société, vol. 6, 2004, p. 336.
11. A. Klamer, « Accounting for Social and Cultural Values », De Economist, vol. 150, n° 4,
2002, p. 467.

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patrimonialisation contribue à contrer l’uniformisation des cultures. Cette contri-


bution est loin d’être négligeable dans le contexte de mondialisation. L’impact de
ce capital ne se fait pas sentir exclusivement sur le bien-être ou le développement
social, mais affecte également le développement économique. Si les communautés
locales décidaient par exemple de répondre à des incitatifs économiques plutôt que
de préserver leur identité culturelle suite à une stratégie nationale ou internationale
de patrimonialisation sur leur territoire, le capital culturel risquerait d’être détérioré.
Le risque peut être important dans certains pays où le niveau de pauvreté est endé-
mique. Par exemple, la surcharge touristique liée au tourisme de masse ainsi que
le tourisme d’élite présente une telle menace. Il faut cependant considérer l’état
des autres capitaux avant de conclure sur l’effet du tourisme sur les communautés
locales de différents pays. La pauvreté peut être importante, mais un capital social
élevé pourrait permettre de contrer certains effets néfastes de cette industrie. On
pourrait hypothétiquement poser qu’un capital humain élevé aurait le même effet
protecteur.
Capital matériel : C’est sur le capital matériel (ou physique) que la patrimonia-
lisation aura des retombées les plus visibles. C’est par l’entremise de trois canaux,
soit la création d’emplois, la création d’entreprises et l’essor touristique que le capi-
tal matériel s’accumulera et qu’ultimement la croissance de la richesse (PIB) pourra
prendre place. Si les dirigeants n’ont que pour unique but la croissance écono-
mique, s’ensuivra une surconsommation des ressources, une surcharge touristique,
une muséification des cultures qui entraîneront une augmentation des regrettables.
Capital humain : La patrimonialisation a le potentiel de produire une aug-
mentation des connaissances permettant ainsi une appréciation de la culture sous
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toutes ses formes, qu’elle soit locale ou mondiale. Le capital humain représente non
seulement les compétences et les connaissances d’un individu ou d’une société,
mais également des caractéristiques tel l’état de santé. La protection du patrimoine
naturel et de la biodiversité permettront, par exemple, d’enrichir le capital humain,
c’est-à-dire les compétences, les connaissances ainsi que le niveau de santé. Le
capital humain est lui-même une condition d’accès au patrimoine.
Capital social : En mettant l’emphase sur le patrimoine, la fonction identitaire
est renforcée. Qui plus est, cette identité traversera le temps pour atteindre les
générations futures. Cependant, si la patrimonialisation entraînait une surcharge
touristique, par exemple, celle-ci pourrait menacer le mode de vie des communau-
tés locales allant même jusqu’à les expulser de leur habitat situé sur des sites de
patrimoine et, qui plus est, risquerait de muséifier leurs coutumes, traditions, arts et
culture. Si cette stratégie prenait place dans un contexte où règnent d’importantes
inégalités économiques, seule une partie de la population pourra en bénéficier. Par
ricochet, cette situation pourrait avoir un effet négatif sur le capital social.
Capital naturel : La patrimonialisation vise également la valorisation du poten-
tiel biotechnologique en protégeant la diversité génétique et la diversité des espèces
ainsi que l’équilibre dans les écosystèmes. Ce capital est un réservoir potentiel de
médicaments. En contrepartie, la patrimonialisation, induite par les conventions

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144 Les enjeux de la patrimonialisation dans la gestion du développement économique

de l’Unesco, pourrait avoir des effets néfastes occasionnant une surconsommation


des ressources, une augmentation du bruit, de la pollution contribuant à la des-
truction du capital naturel.
Afin de réellement comprendre l’effet d’une stratégie de patrimonialisation sur
le développement économique et sur le bien-être, il faut tenir compte de l’interac-
tion de tous ces capitaux dans un pays donné.

3. La patrimonialisation et les conventions de l’Unesco


Alors que la patrimonialisation ne peut se résumer aux seules conventions de
l’Unesco, ces dernières ont un important rôle à jouer compte tenu du caractère obli-
gatoire des signataires surtout en ce qui concerne le patrimoine mondial. Instrument
légal international, elles suggèrent un cadre normatif aux États qui devront éven-
tuellement intervenir afin de composer avec l’intérêt des communautés locales et
celui de la communauté internationale vis-à-vis une forme patrimoniale possédant
« une valeur universelle exceptionnelle ». Le patrimoine renvoie non seulement à
la culture, mais au domaine génétique, scientifique, environnemental et foncier 12.
Les conventions et résolution de l’Unesco peuvent être considérées comme
une disposition juridique et institutionnelle mondiale tel que démontré dans le
cadre conceptuel de l’OCDE. Compte tenu des limites de ce texte, nous résume-
rons l’essentiel de ces instruments. Quatre conventions et une déclaration sont
présentées puisqu’elles composent la stratégie de patrimonialisation de l’Unesco.
Elles visent non seulement la reconnaissance du patrimoine, mais également sa
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protection et sa survie.
Il y a d’abord la Convention concernant la protection du patrimoine mon-
dial, culturel et naturel adoptée en 1972. Elle vise l’identification, la protection, la
conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patri-
moine culturel (les monuments, les ensembles et les sites) et du patrimoine naturel
(les monuments naturels, les formations géologiques et physiographiques, les sites
naturels et les zones naturelles) qui présentent une valeur universelle exceptionnelle.
La Convention sur la diversité biologique, adoptée en 1992, pour sa part vise
« la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments et le
partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources
génétiques… » (Nations unies, 1992). On parle également d’accès satisfaisant à
ces ressources et de transfert des techniques pertinentes. La diversité biologique est
valorisée compte tenu de son impact sur l’environnement, la génétique, l’écono-
mie, la science, l’éducation, la culture, la récréation ainsi que l’esthétique.
Vient ensuite la Déclaration de l’Unesco sur la diversité culturelle adoptée en
2001. Celle-ci vise la promotion de la diversité culturelle qui renvoie à la multiplicité

12. P. Hugon, « Les frontières de l’ordre concurrentiel et du marché : les biens publics
mondiaux et les patrimoines communs », op. cit., p. 270.

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des cultures luttant ainsi contre la tendance actuelle d’uniformisation associée au


courant de mondialisation.
La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel adoptée
en 2003 venait, quant à elle, compléter celle visant la protection du patrimoine
matériel compte tenu de leur profonde interdépendance. Des mesures de sauve-
garde des traditions et expressions orales (dont la langue), les arts du spectacle,
les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques
concernant la nature et l’univers ainsi que les savoir-faire de l’artisanat traditionnel
doivent être mises en œuvre selon cette Convention.
Finalement, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des
expressions culturelles adoptée en 2005 renvoie à la sauvegarde, la préservation
et la mise en valeur des expressions culturelles tant des minorités que celles appar-
tenant aux peuples autochtones.
Ces conventions constituent en quelque sorte le cadre de la stratégie de patri-
monialisation de l’Unesco. Les objectifs et principes de ces instruments légaux
contraignent l’action politique des pays signataires et soulèvent des enjeux que
nous présentons brièvement dans la section suivante.

4. Enjeux politiques de la patrimonialisation de l’Unesco


Les enjeux réfèrent à ce que l’on peut gagner ou perdre suite à une action et que
l’on doit gérer afin d’atteindre un état d’équilibre et ainsi éviter la crise. Nous avons
retenu le cadre de l’OCDE comme guide pour la gestion de ces enjeux dans la
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stratégie de sauvegarde et de transmission du patrimoine. Six catégories d’enjeux
liés à l’action de l’Unesco ont été identifiées.
(i) Le premier enjeu réfère à la possibilité de faire face à un déséquilibre entre
la transmission intergénérationnelle et intragénérationnelle du patrimoine. Il s’agit
d’abord de trouver un équilibre dans le temps entre les générations futures et pré-
sentes ainsi qu’un équilibre d’équité au sein des générations présentes, c’est-à-dire
entre catégories socio-économiques et entre consommation élitiste et populaire du
patrimoine.
(ii) Le second enjeu fait référence à un équilibre dans l’espace. On parle ici
d’un équilibre entre appropriation des communautés locales et appropriation mon-
diale des conséquences positives et négatives de la mise en patrimoine. Il faut
trouver un équilibre entre le patrimoine mondial en tant que propriété de tous et
un patrimoine ancré sur un territoire dont la propriété appartient à la population
locale. Si la localisation d’un patrimoine n’a que des externalités négatives pour les
communautés locales et que la population mondiale en retire tous les bénéfices, les
incitatifs de préservation ne seront pas élevés pour la population locale.
(iii) Le patrimoine a des finalités à la fois économiques et culturelles. L’équilibre entre
ces deux finalités constitue un autre enjeu important. Des conflits potentiels peuvent
affecter l’équilibre entre utilisation économique et utilisation culturelle du patrimoine,

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146 Les enjeux de la patrimonialisation dans la gestion du développement économique

entre valorisation et destruction de la culture locale 13. En fait, il est quelquefois diffi-


cile de départager les finalités économiques de celles qui sont culturelles. Entre le
développement touristique qui impose souvent une folklorisation de la culture locale
aux dépens de la communauté locale et le développement touristique qui permet de
développer économiquement un territoire, il doit y avoir un équilibre. Par ailleurs,
les populations locales ou autres qui participent peuvent récolter une satisfaction qui
n’entre pas dans le calcul économique, mais qui contribue au bien-être.
(iv) La diversité culturelle entre souvent en conflit avec la culture nationale
autochtone et de façon encore plus importante entre la culture nationale minori-
taire et la diversité culturelle. On pourrait même ajouter entre le multiculturalisme
et la diversité culturelle et les cultures autochtones. La conciliation entre favori-
ser une diversité culturelle et protéger la culture nationale lorsque minoritaire est
un enjeu au cœur de certaines sociétés contemporaines qui deviennent de plus
en plus multiculturelles. Les tensions sont susceptibles de se faire sentir avec plus
d’acuité dans un contexte où la culture nationale est déjà minoritaire.
(v) La mondialisation entraîne une course effrénée vers la croissance écono-
mique. Certaines communautés de certains pays sont victimes ou vulnérables face
à ce courant. La croissance économique augmente la quantité de regrettables liés
à la nature et sa préservation, mais également des regrettables liés à l’emploi de
populations qui, vivant jadis de leur artisanat, sont maintenant supplantés par les
biens artisanaux fabriqués en Chine. En ce qui a trait à la nature, la mondialisa-
tion tend à une surconsommation des ressources naturelles pouvant entraîner une
perte de la biodiversité et la destruction des écosystèmes qui constituent une partie
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importante du patrimoine.
(vi) La biodiversité ainsi que la diversité culturelle sont complémentaires. La
protection de la biodiversité doit passer par la reconnaissance entre le bien-être
des peuples autochtones et celui des communautés locales. La sauvegarde ainsi
que la diffusion des connaissances traditionnelles des peuples autochtones est un
autre enjeu important qui permet d’atteindre un équilibre entre ces deux types de
diversité et le maintien du patrimoine lié à la biodiversité.

5. Externalités de la patrimonialisation

Si la patrimonialisation permet de pérenniser le passé, elle provoque également


des externalités positives et négatives. Comme nous l’avons démontré à la sec-
tion précédente, ces externalités constituent d’importants enjeux pour le dévelop-
pement économique. En fait, la patrimonialisation per se n’est pas un processus
qui vise directement le développement économique comme le souligne justement

13. P. Marcotte, L. Bourdeau, « La promotion des sites du Patrimoine mondial de


l’Unesco : Compatible avec le développement durable ? », Revue management & avenir,
vol. 4, n° 10, 2010, p. 282.

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Marie LAVOIE 147

Billaudot 14. Ce sont plus précisément les externalités de ce processus qui produisent


un impact sur le niveau de développement économique. Par exemple, le tourisme
culturel et le tourisme durable se sont avérés, dans certains cas, une externalité
négative suite à la patrimonialisation. Au lieu de contribuer positivement au déve-
loppement économique et au bien-être économique et humain, certaines formes
de développement touristique découlant de la patrimonialisation ont considérable-
ment nui au bien-être des populations locales. En mettant l’emphase sur l’ensemble
des capitaux et leur interaction au niveau national, tel que présenté dans le cadre
de l’OCDE, cela permettrait d’identifier les failles qui ont provoqué ces effets néga-
tifs. Est-ce qu’une communauté locale par le faible niveau de son capital social et
humain aurait été plus vulnérable qu’une autre communauté possédant de forts
capitaux social et humain face à la même stratégie de patrimonialisation ?
Le cadre de l’OCDE nous permet à la fois de mieux cerner les facteurs déter-
minants, mais également d’identifier les retombées économiques, humaines et
sociales de la patrimonialisation. Compte tenu de l’état de l’ensemble des capi-
taux et la qualité de leur complémentarité, il est possible d’identifier les acteurs
qui profiteront de la patrimonialisation et ainsi, à l’aide de politiques publiques
adéquates, permettre une plus grande équité dans la distribution des retombées
de cette stratégie. Est-ce que seules les entreprises (i.e. les opérateurs de tours tou-
ristiques, les guides touristiques, les hôtels, la restauration, etc.) qui exploitent cette
industrie en profiteront ou si des effets positifs tel la création d’emplois de qualité
pourront également améliorer l’équité et le bien-être économique et humain de
l’ensemble de la population ?
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D’autres externalités peuvent être positives bien que difficiles à évaluer de par
leur nature intangible. Par exemple, une visite au musée peut avoir des retom-
bées autres qu’économiques pour un individu et même une société et se traduire
par un accroissement du capital humain et du capital social. Cependant, pour
que cette visite puisse accroître le capital humain, il faut qu’un individu puisse
acquérir a priori un seuil de connaissances lui permettant d’apprécier l’art en ques-
tion. Comme le mentionne Klamer 15, un investissement dans la connaissance est
nécessaire afin d’acquérir le goût de cet art. Afin de permettre à la population de
développer un goût pour le patrimoine, certaines dispositions politiques et insti-
tutionnelles doivent exister tel des cours de formation continue ou des politiques
d’éducation qui favorisent l’initiation à la culture en général afin d’aider toutes
les communautés à apprécier la peinture, l’opéra, les expressions culturelles, etc.
Ces initiatives permettraient d’accroître le capital humain, de raffermir la cohésion
sociale, de diminuer la criminalité, donc d’améliorer le capital social et probable-
ment d’augmenter les niveaux de productivité, éléments qui permettraient à la
fois d’améliorer la croissance économique ainsi que le bien-être économique et

14. B. Billaudot, « À propos de deux questions concernant le concept de patrimoine :


de quels éléments se compose un patrimoine et quels en sont les titulaires possibles ? »,
op. cit., p. 292.
15. A. Klamer, « Accounting for Social and Cultural Values », op. cit.

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148 Les enjeux de la patrimonialisation dans la gestion du développement économique

humain. On revient donc au cadre initial qui tient compte de tous les capitaux pour
atteindre les objectifs de croissance économique et de bien-être.

6. Gestion des enjeux de la patrimonialisation


La gestion du patrimoine doit donc inévitablement passer par la gestion des exter-
nalités. Elle doit prendre place au niveau national (et même local) et international.
Dans un souci d’équité, la gestion nationale doit se préoccuper de la valeur accor-
dée au patrimoine par différents groupes. La patrimonialisation doit tenir compte
de la valeur attribuée par la population : celle qui a accès à ce patrimoine ou qui a
contribué à la création de ce dernier. L’évaluation du patrimoine permettra, par la
suite, de développer des politiques publiques qui, une fois bien harmonisées, aide-
ront à le préserver et le diffuser afin d’atteindre des niveaux de développement éco-
nomique et de bien-être économique et humain pour l’ensemble de la population.
Évidemment, la valeur culturelle per se ne peut être confondue à une valeur
économique. Comme le souligne Throsby, elle peut être désagrégée en plusieurs élé-
ments : valeur esthétique, valeur spirituelle, valeur sociale, valeur historique, valeur
symbolique, valeur d’authenticité et valeur liée à la localisation géographique 16.
L’estimation de la valeur culturelle au-delà d’une valeur économique per-
met de gérer les différentes formes de patrimoine en fonction non seulement des
objectifs de croissance, mais de bien-être économique et humain. Un État qui
met l’emphase non seulement sur la croissance économique, mais également sur
le bien-être économique et humain, tel que présenté par le modèle de l’OCDE,
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développera des politiques publiques visant l’accumulation simultanée de tous les
capitaux et ne limitera pas le patrimoine à une valeur économique ou marchande.

6.1. Harmonisation des politiques publiques en fonction de la ressource patrimoniale


De nombreux déséquilibres peuvent survenir suite à l’application nationale des
instruments légaux internationaux telles les conventions et résolutions de l’Unesco
et produire des enjeux politiques importants. Ces enjeux seront maîtrisés par l’éla-
boration de politiques publiques visant la réduction des externalités négatives et
stimulant les externalités positives. Par exemple, la déclaration universelle sur la
diversité culturelle de l’Unesco de novembre 2001 a donné une orientation aux
politiques culturelles des pays signataires. Elle influence également la politique
d’immigration ainsi que la politique qui vise le développement touristique.
De façon générale, et comme guide à l’élaboration des politiques publiques
dans un contexte de développement économique tenant compte du bien-être
économique et humain, il faut viser l’accumulation simultanée des capitaux, non
seulement culturel, mais humain, social, physique et naturel. La figure 1 illustre

16. D. Throsby, The Economics of Cultural Policy, Cambridge University Press, Cambridge,
2010, p. 112.

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Marie LAVOIE 149

l’importance de certaines politiques et de leurs interactions sur l’accumulation et


la prévention de la détérioration des capitaux dans un contexte de patrimoniali-
sation et comme déterminant au développement économique et aux différentes
dimensions du bien-être.

Figure 1. Harmonisation des politiques nationales dans un contexte de patrimonialisation

Dans un cadre national, il est certain que la politique culturelle influencera la


stratégie de patrimonialisation en privilégiant soit la diversité culturelle ou la culture
minoritaire ou les deux. On peut également imaginer que cette politique aura un
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effet sur la politique d’immigration et vice versa. Dans un contexte de valorisation
du patrimoine, la politique d’éducation ainsi que la stratégie d’apprentissage à vie
d’un pays contribueront à une plus grande valorisation du patrimoine de certaines
communautés. Un niveau de capital humain élevé est probablement la protection
la plus efficace contre les abus du tourisme sur la population locale. Afin d’assurer
la gestion des ressources naturelles, une politique environnementale permettra la
protection de la biodiversité. On pourrait multiplier les exemples d’interaction entre
les politiques publiques qui sont élaborées dans un contexte de patrimonialisation
et qui contribuent à augmenter les diverses formes de capital et, par conséquent,
affectent le développement économique ainsi que le bien-être économique et
humain. Toutes ces politiques doivent cependant être harmonisées.

6.2. En l’absence de gouvernement international


Hugon recommande que l’Unesco positionne son action en relation avec les autres
organisations internationales 17. Le cadre d’analyse présenté dans cet article et
emprunté à l’OCDE nous semble tout à fait opportun et compatible au programme

17. P. Hugon, « L’économie éthique publique : biens publics mondiaux et patrimoines


communs », Unesco : Secteur des sciences sociales et humaines, Économie éthique, n° 3,
2003, p. 72.

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150 Les enjeux de la patrimonialisation dans la gestion du développement économique

de l’Unesco sur le patrimoine mondial. Comme un gouvernement international


n’existe pas et que nous sommes « plutôt en situation de “déficit institutionnel”
international, c’est-à-dire d’absence d’espace institutionnel capable de gérer ces
biens publics mondiaux » 18, la collaboration des organisations internationales
quant à leurs agendas de recherche est essentielle. Une étroite collaboration entre
l’OCDE et l’Unesco concernant la patrimonialisation et le développement écono-
mique n’en constitue qu’un exemple.

Conclusion
Gérer le processus de patrimonialisation comme s’il ne relevait que de la conser-
vation et de la transmission sans tenir compte de son impact sur le développement
économique est irréaliste. Inévitablement, cette stratégie affectera le niveau de déve-
loppement économique d’un pays en agissant sur les différents capitaux et, ultime-
ment, sur la croissance et le bien-être économique ainsi que sur le bien-être humain.
Le bien-être économique est une composante importante de la production
économique qui va au-delà de l’efficience économique pour tenir compte de
l’équité. Sans création de richesse, il ne peut y avoir de bien-être économique.
Cependant, la croissance économique ne garantit ni le bien-être économique ni le
bien-être humain. Osberg et Sharpe (2005), tous deux économistes, ont développé
un indicateur de bien-être économique tout à fait crédible et ont remarqué sur cette
base un écart grandissant entre la croissance économique et le bien-être écono-
mique. En d’autres mots, la croissance économique progresserait beaucoup plus
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rapidement que le bien-être économique. En termes économiques, cela signifie
que la croissance économique aurait des rendements décroissants sur le bien-être
dans certains pays de l’OCDE. Quelles conditions permettraient de réduire l’écart
entre la croissance économique et le bien-être économique et social ? Est-ce que la
patrimonialisation pourrait contribuer à réduire un tel écart ?
Un des défis de la stratégie de patrimonialisation de l’Unesco pour les pays
signataires est de maintenir un équilibre dans les enjeux mentionnés plus haut.
La spécificité des pays face à la patrimonialisation de l’Unesco impose différentes
stratégies de gestion pour atteindre des niveaux d’équilibre tant dans le dévelop-
pement économique qu’en termes de bien-être : équilibre dans le temps entre la
transmission intergénérationnelle et intragénérationnelle ; équilibre dans l’espace
entre appropriation des communautés locales et mondiale dans un contexte de
surcharge touristique ; équilibre entre finalités économiques et culturelles afin d’évi-
ter une trop grande marchandisation du passé ; équilibre entre diversité culturelle
et protection de la culture nationale lorsque minoritaire ; équilibre entre nature
(environnement) et croissance économique ; équilibre entre biodiversité et diver-
sité culturelle.

18. Ibid., p. 72.

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Marie LAVOIE 151

Le cadre conceptuel développé par l’OCDE s’avère utile pour gérer ces enjeux
et développer une stratégie de patrimonialisation dont l’objectif ultime est le bien-
être humain. Il serait impossible de déconnecter la patrimonialisation de cette
dynamique systémique. Cette stratégie sera inévitablement développée dans un
contexte où les objectifs économiques seront entremêlés à ceux du bien-être éco-
nomique et humain. De ce fait, toutes les formes de capital même celles négligées
par la science économique néoclassique devront être prises en compte et stimulées
par des politiques publiques adéquates. Ce cadre permet d’ordonner la gestion de
la logique patrimoniale dans un contexte de développement économique.

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Hugon, P., « L’économie éthique publique : biens publics mondiaux et patrimoines com-
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79 p., 2003.
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