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Balanced scorecard et pilotage de la responsabilité sociale

de l'entreprise
Retour d'expérience
François Meyssonnier, Fana Rasolofo-Distler
Dans Revue française de gestion 2011/2 (n° 211), pages 81 à 92
Éditions Lavoisier
ISSN 0338-4551
ISBN 9782746232693
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DOSSIER
FRANÇOIS MEYSSONNIER
Université de Nantes, IEMN-IAE
FANA RASOLOFO-DISTLER
Université Paul Verlaine, ESM-IAE, Metz

Balanced scorecard
et pilotage
de la responsabilité
sociale de l’entreprise
Retour d’expérience

Dans cet article, les auteurs s’interrogent sur la nature du


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balanced scorecard en prenant comme terrain d’application la
mise en œuvre du pilotage de la responsabilité sociale de
l’entreprise (RSE) dans une entreprise sociale pour l’habitat
(ESH). La recherche intervention a été engagée sur une durée
de trois ans et a abouti à la mise en place d’un tableau de bord
stratégique annuel et d’un système de reporting mensuel.
L’apport du travail réside dans une réflexion sur les tableaux
de bord stratégiques et leur articulation avec les modes
d’instrumentation du pilotage de la responsabilité globale de
l’entreprise.

DOI:10.3166/RFG.211.81-92 © 2011 Lavoisier, Paris


82 Revue française de gestion – N° 211/2011

L
e Balanced Scorecard (BSC) fait nons sur la nature du BSC puis nous pré-
partie des nouveaux outils de ges- sentons le débat relatif à une gestion
tion qui se diffusent actuellement conjointe ou des gestions séparées de la
dans les organisations. Dans le champ du performance économique et de la responsa-
contrôle de gestion, c’est une des deux bilité globale. Dans une seconde partie,
innovations majeures des dernières années, nous rendons compte de notre étude de cas
avec la méthode de calcul de coûts Activity portant sur la mise en place d’un système
Based Costing (ABC). Ces deux outils ont de pilotage de la RSE dans une ESH. Après
d’ailleurs parmi leurs concepteurs-promo- avoir présenté le contexte et les enjeux,
teurs le même homme, Robert Kaplan, dont nous décrivons la démarche et les résultats
la contribution à l’instrumentation du de la mise en œuvre de l’outil et nous en
contrôle de gestion est majeure dans la tirons des enseignements.
période récente : l’ABC dans les années
1980 ; le BSC à la fin des années 1990 ; une I – L’INSTRUMENTATION
nouvelle version de l’ABC, le Time Driven DU PILOTAGE
– Activity Based Costing (TD-ABC) à partir DE LA RESPONSABILITÉ
des années 2000. Le BSC a subit au fil du SOCIALE DE L’ENTREPRISE
temps des évolutions non négligeables. Il a 1. Interrogations sur la nature
intégré certaines critiques académiques et du balanced scorecard
pris en compte plusieurs des difficultés ren- Le BSC a été présenté et promu par Kaplan
contrées lors de son introduction dans les et Norton dans de nombreux articles (écrits
entreprises. Son développement a aussi été essentiellement dans la Harvard Business
facilité par la récente montée en puissance Review) et dans plusieurs ouvrages. La pre-
des préoccupations de responsabilité mière version de l’outil date de 1992. À
sociale de l’entreprise (RSE). En effet, cette date le BSC n’est encore qu’une
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parce qu’il prend en compte des indicateurs ébauche et c’est juste le côté multidimen-
non purement financiers et par sa vocation à sionnel (« équilibré ») qui est mis en avant.
équilibrer la dimension financière par Il n’y a pas de liens de causalité explicites
d’autres dimensions, il semble beaucoup entre les différents axes (innovation et
plus compatible avec les préoccupations de apprentissage, processus internes, clients,
développement durable que le système bud- finance). Les auteurs indiquent que : « En
gétaire à logique purement financière. combinant les perspectives financières,
Notre contribution au débat se fera à la clients, processus internes, innovation et
lumière de l’expérience de mise en œuvre apprentissage organisationnel, le BSC aide
d’un BSC dans une entreprise sociale pour les managers à comprendre, au moins
l’habitat (ESH) qui souhaitait se doter d’un implicitement, les nombreuses interrela-
outil de pilotage intégrant le développe- tions. » (Kaplan et Norton, 1992, p. 79).
ment durable. Le pilotage de la RSE repré- C’est seulement en 1996, avec la sortie d’un
sente en effet un bon test de la nature et des second article (Kaplan et Norton, 1996a) et
possibilités d’usage de l’outil BSC. Dans d’un livre (Kaplan et Norton, 1996b), que la
une première partie, nous faisons le point communauté scientifique et le monde de
sur l’instrumentation de la RSE. Nous reve- l’entreprise se saisissent de l’outil. L’élé-
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ment déclencheur est probablement le fait Toutefois, dans la pratique actuelle, der-
que l’outil se présente alors clairement rière l’étiquette balanced scorecard, on
comme un système de pilotage avec au cœur distingue trois réalités bien différentes
de son fonctionnement les chaînes de causa- (Choffel et Meyssonnier, 2005). Il peut
lités entre les indicateurs des différents axes. s’agir d’un simple levier de communica-
Un fait parmi d’autre atteste que c’est bien tion externe de l’entreprise montrant aux
cet élément qui est décisif dans le succès du parties prenantes, dans un document de
BSC. Le BSC est connu en France sous le synthèse multidimensionnel, comment
nom de « Tableau de bord prospectif » leurs préoccupations sont prises en
(Kaplan et Norton, 1998). Contrairement à compte. Cela peut être un outil de repré-
ceux qui voient dans ce titre une trahison par sentation stratégique utilisé par l’équipe
rapport à l’appellation anglo-saxonne origi- de direction pour formaliser, dans une
nelle et plaident pour une traduction littérale carte cognitive collective, une vision par-
de la terminologie anglo-saxonne en tagée des facteurs clés de succès et des
« Tableau de bord équilibré », on peut consi- chaînes d’implications qui permettent leur
dérer que cette traduction souligne bien la réalisation. Enfin, cela peut représenter un
nouveauté de l’outil pour les utilisateurs véritable système de pilotage, complémen-
francophones. Nous connaissions déjà bien taire ou alternatif aux budgets (dans ce
les tableaux de bord « à la française », équi- dernier cas il peut permettre la gestion
librés entre les intérêts des acteurs internes sans budgets).
ou des partenaires externes de l’organisa- Ce n’est que dans sa forme de système de
tion. L’apport fondamental du BSC réside pilotage que le BSC relève vraiment du
donc principalement dans l’importance contrôle de gestion et qu’on s’appuie sur
accordée aux liens de causalité qui mènent lui pour animer l’organisation, faire
depuis la réalisation d’objectifs physiques converger les comportements, évaluer les
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locaux (indicateurs avancés, aux sources de acteurs et mesurer la performance. Dans le
la performance) jusqu’à la matérialisation tableau de bord, l’accent est surtout mis
des effets induits au niveau de la rentabilité sur le développement des leviers de la per-
de l’entreprise (indicateurs retardés, de formance. Les risques de dérives budgé-
concrétisation de la performance). Si cet taires dans la gestion sont en effet de plus
aspect a été critiqué par certains (et même en plus contenus par des procédures auto-
en partie minimisé ultérieurement par les matisées comme par exemple, en environ-
concepteurs du balanced scorecard eux- nement ERP, l’impossibilité d’engager des
mêmes), il s’agit là de l’élément central et le dépenses non prévues sans validation par
plus novateur de l’outil pour un public euro- le supérieur hiérarchique direct. On agit
péen (alors que le plaidoyer pour une prise donc par les tableaux de bord plutôt sur les
en compte des sources de la performance à sources de la performance en amont, l’aval
long terme par-delà l’optimisation des per- étant encadré par l’automatisation crois-
formances financières à court terme pouvait sante du contrôle budgétaire rendue pos-
susciter déjà beaucoup d’intérêt pour les sible par les nouvelles technologies de
Nord-Américains). l’information et de la communication.
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2. Interrogations sur la gestion conjointe et outils du développement de la RSE doi-


ou séparée de la performance vent être mis en œuvre de façon indépen-
économique et de la responsabilité dante du système de pilotage central de
globale l’entreprise, qui est fortement marqué par la
Selon Pfeffer (2010), la recherche d’une per- dimension financière. L’argument essentiel
formance durable de l’entreprise implique mis en avant est que si on gère conjointe-
une bonne utilisation des ressources finan- ment les dimensions économiques et socié-
cières, une meilleure préservation des res- tales, les contraintes de la vie des affaires
sources naturelles et surtout la gestion straté- auront une tendance naturelle à s’imposer et
gique des ressources humaines. La définition la mise sous tension de l’organisation sur la
et la délimitation du concept de RSE font base d’impératifs économiques à court
toutefois l’objet de discussions récurrentes terme annihileront les efforts souhaitables
entre différentes approches. L’approche libé- en matière de développement durable. On
rale illustrée par Milton Friedman (1970) doit donc gérer la performance économique
considère que la seule responsabilité de l’en- d’une part (la plupart du temps par les bud-
treprise consiste à satisfaire les actionnaires gets) et assurer d’autre part l’institutionnali-
en respectant les usages d’une compétition sation interne et la légitimation externe des
loyale dans le cadre légal. L’approche de préoccupations de développement durable
l’école américaine du « Business and (par des actions de communication). On
Society », dont Carroll (1979) est un des peut, pour faire ceci, utiliser le balanced
auteurs les plus connus, affirme que la res- scorecard dans sa version de document
ponsabilité sociale fait partie de l’ensemble annuel de synthèse et de communication
des responsabilités de l’entreprise composé présentant l’activité de l’entreprise et ses
de quatre niveaux interdépendants (éco- impacts sociétaux à tous et de façon équili-
nomique, légal, éthique et philanthropique). brée entre les différentes dimensions (par
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La théorie des parties prenantes, dans son exemple dans le rapport annuel « Dévelop-
approche instrumentale (Donaldson et pement Durable »). On a donc affaire dans
Preston, 1995), préconise d’intégrer la RSE ce cas plus à une communication sur la RSE
dans la démarche stratégique de l’entreprise qu’à un réel pilotage de la RSE.
et de gérer conjointement la RSE et la Si on souhaite faire leur place aux indica-
dimension économique des activités. Si les teurs RSE dans le pilotage réel de l’entre-
comportements des entreprises peuvent être prise, plusieurs choix s’ouvrent pour
très différents en matière d’articulation et prendre en compte la RSE dans le BSC
d’instrumentation des modes de gestion res- (Figge et al., 2002 ; Bieker, 2003 ; Kaplan
pectifs de la performance économique et de et al., 2007). On peut effectuer un couplage
la responsabilité globale, dans tous les cas la limité entre RSE et performance écono-
gestion de la RSE s’appuie beaucoup sur mique. Le BSC sera une façon de rappeler
l’outil synthétique et multidimensionnel par aux dirigeants et à l’ensemble du corps
nature qu’est le BSC. social de l’entreprise la diversité des dimen-
Une première façon de faire réside dans le sions à prendre en compte. On construira un
découplage de la gestion de la RSE. Pour Sustainability Balanced Scorecard (SBSC)
certains auteurs (Quairel, 2006) les modes avec un cinquième axe sociétal et des équi-
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finalités économiques, sociales et environ- sa réalisation) et le contrôle opérationnel


nementales. On est alors, nous semble-t-il, (qui porte sur l’ensemble des tâches
dans une approche de type carte cognitive conduites au quotidien afin de s’assurer du
et modélisation stratégique (comme nous déploiement de la stratégie définie). Cette
l’avons vu plus haut). Mais ceci ne risque-t- mission rejoint celle évoquée par Bouquin
il pas de développer une schizophrénie (2005, p. 44) de garantir la « cohérence
organisationnelle si on prend les choses à entre la stratégie et les missions des mana-
cœur ou une forme d’hypocrisie organisa- gers, notamment les actions concrètes et
tionnelle (Brunsson, 2003, 2006) si on est quotidiennes ». Pour Burlaud et al. (2004,
plus cynique ? p. 201), « S’assurer de la cohérence du
Enfin, la dernière possibilité consiste en contrôle opérationnel et du contrôle straté-
l’intégration de la RSE au système de pilo- gique c’est vérifier que jusqu’au plus bas
tage central de l’entreprise en insérant les niveau hiérarchique (selon une logique ver-
indicateurs RSE dans les chaînes de causa- ticale) ou jusqu’au plus fond degré de
lités des quatre axes fonctionnels déclinés décomposition des processus (selon une
dans l’ensemble de l’organisation. Ceci logique horizontale), le fonctionnement
convient bien à certains types d’organisa- opérationnel d’une entreprise, l’ensemble
tions : par exemple les organisations des tâches exécutées quotidiennement, le
publiques pour lesquelles la finalité n’est sont conformément à la stratégie privilégiée
pas financière ou bien les organisations par la direction ». C’est ce que nous avons
pour lesquelles le bouclage entre la perfor- essayé de construire concrètement pour
mance économique et la responsabilité glo- piloter la RSE d’une entreprise sociale pour
bale est facile car les parties prenantes l’habitat (ESH).
proches sont sensibles à la réalisation d’ob-
jectifs sociétaux (entreprises de l’économie
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II – MISE EN PLACE
sociale comme la MAIF ; business models D’UN SYSTÈME DE PILOTAGE
tournés vers des spécificités faisant leur INTÉGRANT LE DÉVELOPPEMENT
place à la RSE comme chez Nature et DURABLE DANS UNE ESH
Découverte ; stratégies orientées vers des
cibles sensibles à cette dimension comme 1. Contexte et enjeux de l’étude de cas
chez Danone ; etc.). Une recherche-intervention a été réalisée
L’intégration de la RSE dans le système de sur une durée de 3 ans au sein d’une entre-
pilotage de l’entreprise nécessite un enga- prise qui est un des leaders sur le secteur du
gement de cette dernière pour une stratégie logement social avec 60 000 logements
de développement durable, mais également, gérés et 250 millions de chiffre d’affaires.
la mise en œuvre d’une instrumentation qui La première partie du travail de recherche
opérationnalise ses objectifs stratégiques. (identification des besoins et des outils uti-
La mission du contrôle de gestion dans la lisables par l’entreprise) a déjà été l’objet
concrétisation de la RSE consiste à assurer d’une restitution (Meyssonnier et Rasolofo-
l’interface entre la planification stratégique Distler, 2008). Nous nous intéressons plus
(qui vise à définir la stratégie de développe- particulièrement ici à la phase d’instrumen-
ment durable et les ressources nécessaires à tation du système de pilotage.
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Les deux activités principales du groupe des résultats économiques durables par la
sont le « développement immobilier » et la préservation de l’environnement (système
« gestion locative ». Le développement de production de chaleur économe, système
immobilier est caractérisé par des actions d’isolation renforcée, système hydro-éco-
de création de patrimoine (constructions nome, etc.) et par le renforcement du lien
neuves, acquisition-amélioration ou crois- social (chantiers confiés à des associations
sance externe) et de renouvellement du d’insertion, implication dans les manifes-
patrimoine existant (restructuration et réha- tations culturelles ou sportives de quar-
bilitation). La deuxième activité, de gestion tier, etc.). Le groupe s’inscrit également
locative, est caractérisée par des tâches de dans une démarche de développement
location du patrimoine et de gestion des durable se concrétisant par des opérations
relations avec les locataires. La préoccupa- « haute qualité environnementale ».
tion sociétale de l’entreprise apparaît au tra- Pour fidéliser ses locataires, le groupe mise
vers de deux orientations stratégiques du sur une logique d’amélioration continue des
groupe : « Assurer un logement aux per- services offerts. C’est le rôle du département
sonnes les plus fragiles » et « Agir sur l’en- « activité locative et relation client ». L’ob-
vironnement ». Par l’orientation stratégique jectif fixé est d’atteindre un taux de satisfac-
« Assurer un logement aux personnes les tion des clients supérieur à 80 %. Pour ce
plus fragiles », l’entreprise poursuit deux faire, le groupe a mis en place différents dis-
objectifs : construire 60 logements dits positifs comme le décrit un haut respon-
« très sociaux » par an (objectif sous la res- sable : « Nous avons déployé un nouveau
ponsabilité du département « développe- référentiel service : il s’agit de 55 engage-
ment immobilier ») et accompagner les ments regroupés dans sept domaines. Nous
familles en grande difficulté dans leur avons commencé par réunir les équipes par
démarche d’accès au logement (objectif métiers (les hôtesses d’accueil, les chargés
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sous la responsabilité du département de clientèles et les gardiens) pour échanger
« activité locative et relation client »). Au sur leurs pratiques et pour faire des proposi-
travers de l’orientation stratégique « Agir tions aux clients. Nous avons aussi décidé de
sur l’environnement » l’entreprise poursuit réunir les fournisseurs car ils sont coproduc-

MÉTHODOLOGIE

Notre étude de cas a été réalisée dans le cadre d’une bourse CIFRE au sein du Groupe Bati-
gère. La méthodologie mobilisée est celle de la recherche-intervention avec comme objectif
la production de connaissances à la fois scientifiques et utiles à l’action (David, 2000). La
recherche-intervention que nous avons menée a des visées descriptives et explicatives mais
également opératoires. Plusieurs sources d’information ont été mobilisées pour la collecte de
données au sein de l’entreprise d’accueil (étude de documents, observation participante et
entretiens avec les acteurs) tout au long du processus de conception et de mise en œuvre des
outils de pilotage.
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teurs de notre qualité de service. Nous nous cières contribue à la fidélisation du person-
sommes dotés d’outils de mesure : baromètre nel et à la maîtrise du turn-over ce qui per-
de satisfaction annuel, enquête mensuelle met de garder les compétences au sein de
nouvel entrant et enquête mensuelle SAV. l’entreprise.
Enfin, nous avons mis en place un dispositif Afin de déployer cette stratégie de dévelop-
d’écoute téléphonique pour mesurer la qua- pement durable, la direction du groupe a
lité de notre accueil téléphonique. ». Le réfé- opté pour la conception d’un système de
rentiel décline les sept dimensions identi- tableaux de bord. Il est composé d’un
fiées des rapports aux locataires : « l’accueil, tableau de bord stratégique de suivi annuel
l’écoute, l’information, le logement, la des orientations stratégiques (le SAOS) et
demande, l’intervention, le délai ». de quatre tableaux de bord opérationnels
L’approche processus mise en œuvre au regroupés dans un suivi des activités men-
sein du groupe s’intègre dans la démarche suelles (le SAM).
de certification de la qualité ISO 9001. Elle
2. Construction d’une représentation
comporte cinq processus principaux :
stratégique partagée : le SAOS
– le processus « location » de l’accueil du
client jusqu’à la résiliation de son bail de L’outil de pilotage stratégique (SAOS) est
location et la réattribution du logement à un fondamentalement un Sustainability Ba-
autre client ; lanced Scorecard (SBSC). Les objectifs du
– le processus « vie dans le logement » de plan stratégique ont été déclinés suivant
maîtrise des ratios budgétaires de mainte- cinq axes : perspective financière, perspec-
nance mais également de respect des délais tive client, perspective processus interne et
d’intervention en réponse aux demandes perspective apprentissage ainsi qu’une cin-
des locataires ; quième perspective relative à l’aspect socié-
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– le processus « facturation » de suivi des tal de l’activité de l’entreprise.
étapes de facturation aux locataires et de Le SAOS est un outil de pilotage centré qui
collaboration avec les organismes sociaux fournit des informations transversales sur
qui versent les aides au logement ; les différentes perspectives de la stratégie
– le processus « recouvrement » pour récu- de l’entreprise. Une carte stratégique a été
pérer les sommes impayées par les loca- élaborée (voir figure 1), basée sur une série
taires et assurer la gestion contentieuse des d’entretiens réalisés auprès des acteurs diri-
dossiers de recouvrement ; geants et membres du comité stratégique
– le processus « développement immobi- ainsi que sur les discours tenus par les diri-
lier » de maîtrise de l’investissement dans geants lors des différentes manifestations
sa dimension financière ainsi que dans ses de communication interne organisées par le
aspects opérationnels (dépôt de dossier, groupe. Cette carte stratégique schématise
mise en chantier, livraison). les représentations mentales des dirigeants.
Les dirigeants du groupe considèrent par Elle traduit les relations causales que ces
ailleurs que l’optimisation du capital derniers font entre les différents objectifs de
humain au travers d’actions de formation, l’organisation. Nous y retrouvons les cinq
de communication et d’incitations finan- perspectives du plan stratégique.
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Figure 1 – La carte stratégique des dirigeants (version simplifiée)

3. Mise en place d’un système de pilotage les fonctions opérationnelles (le SAM-
opérationnel : le SAM développement immobilier et le SAM-acti-
Les tableaux de bord opérationnels servent, vité locative et relation client) et deux
eux, d’outil de pilotage aux managers des autres volets sur les fonctions supports (le
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centres de responsabilités du groupe. Les SAM-ressources financières et le SAM-res-
indicateurs des tableaux de bord opération- sources humaines).
nels sont connectés directement aux objec- Le choix des indicateurs est fondamentale-
tifs stratégiques, variables d’action et résul- ment basé sur trois critères de pertinence. Le
tats cibles définis pour l’ensemble de premier critère est bien évidemment la coor-
l’entreprise. Les indicateurs retenus pour dination des indicateurs avec les orienta-
mesurer la performance des centres de res- tions stratégiques de l’entreprise, assurant
ponsabilité sont établis en concertation avec ainsi l’alignement stratégique par le biais du
les responsables ce qui évite que ces der- système de tableaux de bord. Le deuxième
niers ne se retrouvent à travailler avec des critère est celui de l’adéquation des indica-
indicateurs dont ils ne seraient pas coau- teurs avec le champ d’action du responsable,
teurs. En participant à la détermination des au sens où les indicateurs retenus par centres
indicateurs, les responsables sont plus en de responsabilité sont liés à des processus
mesure de les comprendre, de les identifier d’action précis intervenant dans le champ de
dans leur pratique habituelle et de les inter- responsabilité du manager concerné confor-
préter pour la prise de décision. Le SAM mément à la notion de pertinence opération-
comporte quatre volets dont deux volets sur nelle évoquée par Lorino (2001). Ce
Balanced scorecard et pilotage de la RSE 89

deuxième critère s’apparente au principe de couples coût/performance ne sont pas tou-


la contrôlabilité (Demeestère et al., 2006) jours aisés à délimiter. Le troisième critère
qui implique que le manager ait sous son retenu pour le choix des indicateurs est celui
contrôle les couples coût/performance du de comparabilité interne et externe. Il faut
centre de responsabilité. C’est un critère qui que les destinataires des tableaux de bord
n’est pas toujours facile à respecter car les puissent disposer des informations néces-

Figure 2 – Le système de pilotage mensuel (version simplifiée)


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saires à la prise de décision tout en situant le système de pilotage central de l’organisa-


leur performance par rapport à celles des tion en liaison avec les budgets. L’usage du
autres sociétés du groupe et par rapport aux SAM est tourné vers le pilotage interne.
sociétés concurrentes en dehors du groupe. Étant donné que la finalité ultime de l’en-
Les plans d’actions identifiés au niveau treprise reste focalisée sur la dimension
du groupe deviennent des objectifs à économique, les indicateurs purement RSE,
atteindre pour les centres de responsabilité dissociés ou sans volonté d’agrégation avec
(cf. figure 2). la performance économique, ont par consé-
Nous avons constaté que, dans les tableaux quent disparu du pilotage opérationnel.
de bord opérationnels, les indicateurs socié-
taux sont souvent (mais pas toujours) inté- CONCLUSION
grés dans les quatre axes initiaux du BSC.
Les objectifs et les moyens mis en œuvre au Nous avons montré comment l’outil BSC
sein de l’entreprise sont tournés vers une jouait un rôle central dans le pilotage de la
stratégie de développement économique et responsabilité sociale de l’entreprise. On
les indicateurs retenus dans le SAM sont constate dans l’entreprise observée que, si
articulés vers cette finalité ultime. Par au niveau de la direction le tableau de bord
contre, les indicateurs qui sont purement stratégique annuel décline cinq axes (les
RSE et dissociés ou sans volonté d’agréga- quatre axes classiques plus un axe RSE), au
tion avec la performance économique, ont niveau des tableaux de bord opérationnels
disparu du pilotage opérationnel mensuel. mensuels on ne retrouve qu’un nombre plus
limité d’indicateurs RSE reliés par des
4. Enseignements de la démarche chaînes de causalités et aboutissant à une
En ce qui concerne l’intégration de la RSE partie seulement des indicateurs straté-
dans les chaînes de causalité du BSC notre giques synthétiques de développement
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étude de cas nous a permis de constater que durable. Il apparaît donc que certains
le cinquième axe spécifique préconisé leviers de la RSE peuvent être gérés
récemment par Kaplan et Reisen de Pinho conjointement aux leviers économiques à
(2007) pour distinguer la perspective socié- différents niveaux de l’entreprise dans le
tale lors de la conception d’un Sustainabi- système de pilotage global de l’entreprise.
lity Balanced Scorecard, bien qu’il per- Par contre d’autres indicateurs RSE, sont
mette de mettre en exergue les politiques fondamentalement des contraintes ou des
sociétales de l’entreprise, est conduit à dis- obligations non convergentes avec la per-
paraître lors de la traduction de la stratégie formance économique et doivent être res-
dans les tableaux de bord opérationnels. La pectés ou pris en compte sans que cela ali-
carte stratégique élaborée dans le SAOS mente de façon harmonieuse les indicateurs
constitue plus un cadre de référence (Bieker, synthétiques.
2003) qui permet d’identifier les liens de Dans l’entreprise étudiée, parce que la
causalité entre les différentes dimensions satisfaction des parties prenantes de la RSE
des orientations stratégiques de l’entreprise, boucle facilement avec la performance de
qu’un outil de pilotage central. Les tableaux l’entreprise (par l’accroissement de la noto-
de bord opérationnels du SAM constituent riété de l’entreprise, l’amélioration de son
Balanced scorecard et pilotage de la RSE 91

image de marque auprès de sa clientèle, le dans le développement du tourisme respon-


développement de liens favorables avec sable ou la labellisation RSE des produits
d’autres acteurs de son champ d’activité ou ou des services. Mais si les parties pre-
l’élévation de la satisfaction et de la moti- nantes sont hors du premier cercle des
vation de son personnel) l’intégration de la contacts et partenaires de l’entreprise (cas
RSE au système de pilotage est relative- par exemple des préoccupations de déve-
ment facile. C’est aussi le cas par exemple loppement durable à long terme et d’avenir
dans les organisations s’occupant de la de la planète), il est probablement beaucoup
commercialisation de produits éthiques, plus difficile de réaliser cette synthèse.

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