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LE MODÈLE DE CRÉATION DE VALEUR « EVA-MVA »

Présentation, ajustements et reformulations

Grégory Denglos

Direction et Gestion | « La Revue des Sciences de Gestion »

2005/3 n°213 | pages 43 à 60


ISSN 1160-7742
DOI 10.3917/rsg.213.0043
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion-2005-3-page-43.htm
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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie 43

Le modèle de création

Stratégie de la gouvernance
de valeur « EVA-MVA » :
Présentation, ajustements et reformulations
par Grégory Denglos

Dans une économie où existe une sanction par le


marché, les dirigeants sont les mandataires des inves-
tisseurs (les mandants) auprès desquels ils sont tenus de
justifier l’emploi des capitaux qui leur sont prêtés
(Fruhan, 1979 ; Hax et Majluf, 1984 ; Rappaport,
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1986). L’actionnaire assume le risque de l’entreprise, en
garantissant le concours des créanciers, qui n’accordent
d’emprunts que sur gages de fonds propres, et qui
obtiennent en retour une rémunération contractuelle,
Grégory DENGLOS alors que la sienne est incertaine et résiduelle (Martinet,
Maître de Conférences 2002 ; Albouy, 2002). L’intérêt de l’entreprise n’étant
Ecole Supérieure des Affaires, pas exclusif de celui de l’actionnaire, tout groupe coté
Département Management Stratégique, devrait pouvoir être jugé sur sa capacité à créer de la
Université de Lille II valeur. Dans cette optique, les dirigeants acceptent que
les stratégies qu’ils entreprennent soient jugées par des
tiers, représentés par les propriétaires du capital, les
intervenants sur les marchés, les agences de notation et
les auditeurs.
Pour Martinet et Reynaud (2001), les structures et la
culture caractéristiques du capitalisme français ont
permis aux dirigeants de l’hexagone de ne pas ressentir,
hier encore, une pression de leur actionnariat aussi
pesante qu’outre-atlantique. Il n’ y a pas si longtemps,
les dirigeants rivalisaient auprès des investisseurs dans

Dossier
44 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie

leur capacité à afficher une croissance confortable de troisième et dernière section, on dresse une liste appro-
Stratégie de la gouvernance

1. La création de valeur mesurée


leur bénéfice net par action, alors qu’au présent, ils fondie de ses qualités et défauts.

par l’EVA : l’esprit du modèle


s’efforcent d’indiquer comment ils créent de la valeur
auprès de leurs actionnaires et, en son nom, justifient
leurs choix opérationnels et stratégiques.
L’EVA1 – le résultat des activités hors produits et frais
financiers, après impôt théorique, diminué de la rémuné- Formellement, l’EVA se déduit de l’équation suivante :
ration des capitaux employés –, dont la paternité revient (ROIC - CMPC) x CI, où ROIC, est la rentabilité opéra-
au cabinet américain « Stern, Stewart & Co », est l’un tionnelle des capitaux investis, CMPC, le coût moyen
des indicateurs de création de richesse qui permet pondéré des dettes et des fonds propres et où CI sont les
d’apprécier la qualité de l’équipe dirigeante en place et investissements consentis. Lorsque l’EVA est positive,
d’établir un lien avec les performances boursières la rentabilité de l’exploitation excède le coût des fonds
(Stewart, 1991). Plus que par le passé, l’EVA, qui mis à disposition : l’entreprise est créatrice de richesse
intègre le coût des fonds propres, est placée en-tête des pour ses bailleurs de fonds. Cela signifie aussi, du seul
performances des groupes cotés, comme au cœur des point de vue de l’actionnaire, qu’elle réalise des perfor-
préoccupations scientifiques. Il y a que cette approche mances supérieures aux attentes du marché. Lorsque
novatrice permet de dénouer de nombreux paradoxes, l’EVA est négative, l’entreprise détruit de la valeur au
en particulier, les déconvenues boursières dont pâtissent détriment de choix stratégiques ou opérationnels plus
les compagnies pourtant à croissance rentable. rémunérateurs, les performances réalisées sont
Le coût du capital ne se limite pas aux seuls « intérêts inférieures à ce que le marché attend compte tenu de la
et charges assimilées ». L’actionnaire attend des fonds classe de risque à laquelle l’entreprise appartient. Dans
qu’il prête un rendement qui n’est pas porté au compte le cas très exceptionnel d’une EVA nulle, il n’y a ni
de résultats, sinon autrement que par les dividendes destruction ni création de valeur : la rentabilité permet
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distribués, et qui ne sont au plus qu’une composante de tout juste d’honorer les exigences des prêteurs de fonds.
son entière rémunération. Faut-il au fond s’étonner que Chacun des trois termes inclus dans l’EVA mérite
le coût des fonds propres ne soit pas inscrit en compta- arguments et détails.
bilité quand la logique sous-jacente à la rédaction des
documents comptables satisfait aux intérêts des créan- 1.1. Les capitaux investis
ciers, intéressés par l’éventualité d’un boni de liquida-
tion en cas de faillite, plutôt qu’elle ne sert les intérêts Les capitaux investis sont le plus souvent définis à partir
des actionnaires, attachés aux fruits d’une continuité de de la somme des fonds propres et des dettes financières
l’exploitation ? nettes. On retrouve alors à l’actif le même montant en
L’objectif de cet article est de présenter la logique sous- additionnant les actifs immobilisés nets aux variations
jacente au modèle EVA-MVA2, ainsi que sa portée et ses du besoin en fonds de roulement. Si les dettes finan-
limites pour le management. Dans un premier temps, cières son retenues pour leur valeur inscrite au passif,
après avoir défini les paramètres qui interviennent dans sans que ne soit défalquée la trésorerie, le montant des
l’équation de l’EVA, on aborde les principaux retraite- capitaux investis correspond alors, du côté de l’actif,
ments qui en améliorent le contenu informatif. Dans un
second temps, on reformule le modèle en fonction des
(1) Market Value Added, valeur ajoutée de marché.
paramètres de rentabilité, du coût des capitaux ou de la (2) Les produits financiers proviennent d’opérations de change ou de parti-
croissance, sous une hypothèse double de constance ou cipations et de placements, alors que les charges financières, quant à elles,
d’érosion des avantages concurrentiels. Dans une tiennent en partie au financement des actifs.

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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie 45

aux immobilisions nettes, augmentées des besoins en y concourent également. Au numérateur, le bénéfice net

Stratégie de la gouvernance
fonds de roulement et des disponibilités. a pour inconvénient d’inclure les produits financiers qui
Déterminer le montant de la dette ne pose pas en soit de déforment la rentabilité, au travers des produits finan-
problème majeur. Il en va tout autrement des fonds ciers et qui n’ont, comme les éléments exceptionnels,
propres. D’après le plan comptable, les capitaux propres qu’un lointain rapport avec le cœur de métier du
correspondent à la somme des apports (capital, primes groupe3. Enfin, l’optique du modèle est de calculer la
liées au capital), des écarts de réévaluation, des valeur créée à destination des prêteurs, créanciers et
bénéfices autres que ceux pour lesquels une décision de actionnaires, en soustrayant le coût du capital au résultat
distribution est intervenue (réserves, report à nouveau économique. Il faut donc se placer au niveau opéra-
créditeur, bénéfice de l’exercice, report à nouveau tionnel pour éviter de déduire deux fois le coût des
débiteur, perte de l’exercice), des subventions d’inves- dettes financières et tenir compte de l’imposition dès
tissement et des provisions réglementées dont la justifi- lors qu’une partie du résultat est vouée à disparaître.
cation est fiscale. La rentabilité des capitaux qui intervient dans le calcul
Il est souvent avancé que l’approche patrimoniale des de l’EVA est ainsi une rentabilité opérationnelle : on

NOPAT anglo-saxon, « Net Operating Profit After


fonds propres a l’avantage de la précision, puisque les rapporte le résultat d’exploitation net d’impôt (le

Taxes »4), aux fonds propres augmentés des dettes après


conditions de leur détermination sont claires, à raison de
critères juridiques rigoureux, tandis que l’approche
économique est, par essence, imprécise parce qu’elle correction. Ainsi définie, la rentabilité des capitaux
prend en considération des éléments qui n’ont pas tous investis n’est aucunement affectée par la structure finan-
été envisagé par les textes. Il faut cependant rappeler cière : substituer de la dette aux fonds propres a pour
que, même dans l’approche comptable, certains postes conséquence de réduire le coût du capital, mais sera sans
font l’objet d’estimations, comme les écarts de rééva- effet sur la rentabilité des capitaux investis.
luation. Si la détermination économique des capitaux
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propres présente un caractère périlleux, c’est à ce prix 1.3. Le coût des investissements
que l’on peut évaluer plus précisément le montant des
capitaux que les dirigeants se doivent de rémunérer Le coût du capital est un coût moyen pondéré (CMPC)
correctement. qui se déduit de la formule suivante :

1.2. La rentabilité
des capitaux investis
avec
La rentabilité des capitaux investis doit être cohérente l : le levier financier, conçu comme le rapport des dettes
avec la détermination des capitaux investis. On ne financières aux fonds propres pour leurs valeurs de
saurait pour cette raison la limiter à la seule rentabilité marché respectives,
des capitaux propres, qui présente par ailleurs quatre r : la rentabilité exigée par l’actionnaire sur les fonds
inconvénients. Elle est tout d’abord sensible à la struc- propres,
(3) NOPAT = EBIT x (1-τ) où l’EBIT (« Earnings Before Interests and
ture financière. Substituer de la dette aux fonds propres,
diminue la valeur portée au dénominateur et augmente Taxes ») est le bénéfice d’exploitation et τ le taux d’imposition des bénéfices.
mécaniquement la rentabilité ainsi calculée. Mais, il Le NOPAT est ainsi le résultat opérationnel diminué du montant de l’impôt
qui devrait être payé si l’entreprise n’avait aucune charge financière liée à
convient surtout de l’écarter pour trois autres raisons. l’endettement (quand seules les charges d’exploitation sont incluses).
Les fonds propres ne sont pas les seules ressources à (4) Ce qui n’est pas le cas, lorsque l’entreprise consolidante n’a qu’une
l’origine du bénéfice, les dettes financières à long terme influence notable.

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t : le taux d’imposition des bénéfices, Rf : le taux sans risque, donné le plus souvent par le
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i : le coût des dettes financières (à court et long termes) rendement des obligations d’Etat à 10 ans,
avant impôt. bj : le coefficient de risque, qui détermine la volatilité de
la rentabilité d’une action par rapport à celle du
Le coût moyen pondéré des capitaux exprime les marché, avec , où est la covariance de la rentabilité
attentes de rendement des bailleurs de fonds (actionna- du titre et du marché, la volatilité du marché, , le
ires et créanciers). A défaut d’information, le coût des coefficient de corrélation entre les deux types de
dettes est un coût moyen que l’on obtient en rapportant rentabilités, et l’écart-type de la rentabilité de
aux dettes d’emprunt les charges financières inscrites au l’action et du marché, respectivement.
compte de résultats. Le taux nominal des dettes est un
taux brut alors que le coût réel pour l’entreprise est le Le taux de rendement exigé augmente au fur et à mesure
taux net de l’économie d’impôt. Le coût est calculé de l’augmentation du bêta. Une erreur d’interprétation
après impôt dès lors que les charges d’intérêts au profit du modèle consisterait à croire, qu’une baisse du taux
des créanciers, à la différence des dividendes versés aux sans risque va accroître le coût des fonds propres car
actionnaires, sont déductibles du résultat imposable. l’écart pondéré « E(Rm) - Rf » augmente. Cependant, le
Pour l’entreprise, les dettes sont donc moins chères que bon raisonnement est de tenir pour certain qu’une baisse
les fonds propres. du taux sans risque va, dans tous les cas, réduire le coût
Les méthodes d’évaluation du coût des fonds propres des fonds propres : avec la diminution du taux sans
sont nombreuses : dividendes capitalisés divisés par le risque, tout investisseur exigera un rendement moindre

du PER (« Price Earnings Ratio », cours/bénéfice par


cours d’achat, rendement historique des actions, inverse et réciproquement.
Quelles relations existent entre le taux sans risque, le
action)… La méthode de capitalisation des dividendes coût des dettes et des fonds propres ? Si le coût des fonds
conduit à sous-évaluer le coût du capital car elle ignore propres va de pair avec le taux de rémunération d’un
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les plus-values ; le rendement historique global des placement sans risque, il va également de concert avec
actions revient à supposer, en cas de faible performance le coût des dettes. Même si un nouvel investissement
que le coût du capital est peu élevé, ce qui est erroné ; marginal est intégralement financé par de la dette, son
l’expression du coût du capital par l’inverse du PER coût effectif n’est pas celui de l’emprunt. Comme les
suppose d’accepter l’hypothèse d’une rentabilité finan- créanciers sont prioritaires sur les actionnaires (l’entre-
cière égale au coût des fonds propres, cette méthode prise ne peut en effet payer de dividendes qu’après avoir
n’est donc recevable qu’en cas d’absence de création de payé ses créanciers et ne peut rembourser son capital
valeur… qu’après avoir remboursé ses dettes), le risque pour les
Pour ces raisons, on a plus souvent recours au Medaf actionnaires de ne pas être rémunérés devient plus consé-
(Modèle d’évaluation des actifs financiers). Le coût des quent. Dit autrement, en augmentant la part de la dette
fonds propres y est égal à la rentabilité tirée d’un actif dans les capitaux investis, l’entreprise accroît immédia-
sans risque, auquel s’adjoint une prime correspondant au tement sa prime de risque ; consécutivement le coût de
risque de l’activité : ses fonds propres s’en trouve plus élevé (à la différence
du coût moyen pondéré du capital).

Avec un accroissement de l’endettement (un accroisse-

actionnaires est : r = (1 + λ) x CMPC – i x (1 – τ) x l.


avec ment du levier financier), la rentabilité exigée par les
E(Rm) : le taux de rentabilité espéré d’un portefeuille
diversifié de valeurs, On sait en effet que :

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capitaux réellement investis. Il convient d’accroître le

Stratégie de la gouvernance
capital investi de la valeur comptable nette de la
recherche et développement (les investissements
consentis diminués des amortissements). La durée de
l’amortissement est le nombre de périodes au cours
desquelles les produits ou les services qui résultent de
l’investissement vont produire des bénéfices.
Du côté du résultat opérationnel, il faut éliminer l’inci-
Quel serait le coût moyen pondéré du capital si l’endet- dence des charges passées durant l’exercice, dès lors que
tement était nul ? La réponse la plus spontanée serait de l’on assimile les dépenses de recherche et développe-
dire que le coût moyen pondéré du capital serait égal au ment à de véritables investissements. Il convient donc
coût des fonds propres. Si le risque de faillite devient d’accroître le résultat opérationnel de leur montant.
nul, r va diminuer. Connaissant le coût moyen pondéré Toutefois, il faut déduire les amortissements, y compris
du capital pour une structure financière donnée, on ceux qui restent à passer au titre des années précédentes,
mesure le « CMPC0 », en cas de financement intégral comme pour toute autre catégorie d’investissement dont
par fonds propres, comme suit : les amortissements viendraient en diminution du résultat
opérationnel.

développement s’applique mutatis mutandis à d’autres


La logique appliquée ici aux frais de recherche et

2. L’EVA ajustée
catégories d’investissements immatériels comme les

2.1.2. Les provisions pour risques


dépenses de publicité.

et charges
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Dans la pratique, des retraitements s’imposent afin de
rectifier le résultat opérationnel et le capital investi.
L’objectif est double : estimer précisément le montant Les provisions pour risques et charges sont une source
des capitaux sur lesquels les dirigeants doivent garantir de distorsions comptables importantes. Les manipula-
un rendement acceptable et déterminer le profit réelle- tions sur ce poste visant à réduire la hauteur des profits
ment engendré grâce aux investissements. imposables ne sont pas rares. La technique la plus
répandue pour résoudre ce problème consiste en l’ana-
2.1. Les principaux retraitements lyse des variations annuelles. L’accroissement des
provisions viendra en augmentation du résultat opéra-
Lorsque les capitaux investis sont calculés sur la base du tionnel et inversement dans le cas d’une diminution des
passif, six postes méritent attention. Pour en faire le provisions. Car une élévation des provisions traduit une
descriptif, on s’appuie ici sur les travaux de Young charge aléatoire non associée à une sortie de trésorerie,

2.1.1. Les dépenses en recherche


(1998). tandis qu’une réduction des provisions indique qu’une

et développement
partie des charges envisagées au cours des exercices
précédents a été payée. En d’autres termes, les provi-
sions pour risques et charges doivent être assimilées à
de véritables réserves. Leur variation doit être prise en
Imputer au compte de résultat, la totalité des dépenses compte dans le résultat opérationnel tandis que le solde
de R&D de l’année en cours revient à sous-évaluer les du compte doit être intégré au capital investi.

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2.1.3. Les contrats de crédit-bail


assimilables à des contrats
de location
conséquence, les gains ou les pertes en provenance de
Stratégie de la gouvernance

sociétés mises en équivalence doivent s’insérer au

2.1.5. Les intérêts minoritaires


résultat opérationnel.

Dans ce type de contrat, les paiements sont assimilés à


de simples loyers et l’actif acquis par le contrat n’est
pas capitalisé. Les biens ne figurent pas dans le bilan Lorsque qu’une société détient sur une filiale un droit de
tant que l’entreprise n’en est pas propriétaire. Or, de contrôle exclusif (de droit, de fait ou contractuel), les
leurs effets au compte de résultats, on déduit qu’ils sont comptes consolidés sont établis selon la méthode de
assimilables à de véritables dettes financières. Il s’agit l’intégration globale. Les documents comptables distin-
dès lors d’ajouter au capital investi les loyers futurs guent alors les « intérêts majoritaires » (appelés parfois
actualisés au coût de l’emprunt. Il faut ensuite accroître aussi « part du groupe ») des « intérêts minoritaires »
le résultat opérationnel des dépenses d’intérêt, obtenues (les autres actionnaires des filiales consolidées) 5. Au
par le produit de la valeur actuelle du contrat de crédit- compte de résultats, le résultat opérationnel consolidé
bail avec le coût d’emprunt. En effet, les charges de comprend une fraction du résultat revenant ultérieure-
crédit-bail de l’année en cours ont en principe été ment aux minoritaires en fonction de la part d’intérêt
comptabilisées dans les charges opérationnelles du côté qu’ils détiennent dans le capital de la filiale. Comme les
des autres achats et charges externes. Assimiler les « intérêts minoritaires » interviennent à l’avant
loyers futurs à de quasi-dettes, revient à considérer que dernière ligne de l’ensemble consolidé afin de déter-
les charges afférentes seront transférées du côté des miner le « résultat net part du groupe », le résultat
charges financières. En amont, le résultat opérationnel opérationnel n’a donc pas à être retraité. En revanche, il
ne doit aucunement être affaibli par les charges de est logique que les « intérêts minoritaires » inscrits au
crédit-bail : il s’en trouve augmenté afin que la bilan, côté passif, après les fonds propres consolidés,
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politique de financement soit neutralisée, mais aussi afin viennent s’ajouter aux capitaux investis. Ils correspon-
de ne retenir le coût du capital qu’au moment du calcul dent aux droits des actionnaires de la filiale dans le

2.1.4. Les gains ou les pertes 2.1.6. Les écarts d’acquisition


de l’EVA. capital.

en provenance de sociétés
mises en équivalence Le montant offert pour racheter une société correspond
rarement à la valeur comptable (l’actif net). Une partie
Lorsque qu’une société ne détient sur une filiale qu’une de la différence entre le prix payé et la valeur comptable
influence notable, les comptes consolidés sont établis est affectée aux actifs immobilisés corporels. Cet écart,
selon la méthode de mise en équivalence. L’actif net dit de « première consolidation », correspond à une
n’est pas intégré aux comptes consolidés. Cependant, on réévaluation des terrains, des sites industriels… Une
trouve dans les capitaux propres consolidés, la quote- partie du reliquat, qui ne correspond à aucun poste du
part des capitaux propres de la filiale (y compris le bilan de la société acquise, est inscrite en immobilisa-
résultat de l’exercice) au travers des titres de participa- tions incorporelles chez l’acquéreur. Cette étape revient
tion de la société consolidante. Les capitaux investis à donner une valeur comptable à une marque, une part
doivent intégrer l’ensemble des investissements de de marché, un brevet ou un droit à la concession. Enfin,
l’entreprise mère dans ses filiales au travers des capitaux
propres consolidés qui les regroupent. Par voie de (5) (551 + 538 + 526 + 514 + 447) / 5.

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ment survaleur ou « goodwill ».


le solde est inscrit en écart d’acquisition, appelé égale- D’autres informations sont données à titre complémen-

Stratégie de la gouvernance
La comptabilisation du « goodwill » dans les résultats
taire. L’écart d’acquisition qui apparaît au bilan a été
réalisé en N – 3 et fait l’objet d’un amortissement

l’acquéreur via les amortissements. Elle comprime les


fait disparaître une fraction de l’investissement de linéaire sur cinq ans. Les provisions ont augmenté de
1 700 000 € entre N – 1 et N. Le coût moyen de l’endet-

façon satisfaisante. Toute réduction du « goodwill » réel


capitaux investis que le dirigeant doit rémunérer de tement avant impôt est de 8 %. Le taux moyen d’un
placement sans risque est de 5,1 %, le rendement moyen
par le biais des amortissements conduit à sous-évaluer du marché est de 10,8 % et le bêta de 0,85. La valeur de
le montant des capitaux investis et à sur-estimer la marché des capitaux propres est fondée sur un cours
valeur ajoutée économique. Pour cette raison, la « surva- moyen de 47,4 € par action pour un total de 12 500 314
leur » n’est pas amortie dans la méthode EVA. Les
Tableau 2 : Répartition des frais de recherche et développement non capita-
lisés (en centaines de milliers d’euros, amortis sur cinq ans)
amortissements sur écarts déjà effectués doivent être

Exercice Dépenses de R&D enregistrées au compte de résultats


réintégrés dans le capital investi tandis qu’ils doivent en
principe ne pas figurer dans le résultat opérationnel.
L’amortissement des écarts d’acquisition intervient en N–4 447

effet après détermination du « résultat net des sociétés N–3 514


N–2 526
intégrées » pour définir le résultat net de l’ensemble
N–1 538
consolidé, auquel on déduit les « intérêts minoritaires »
N 551
pour parvenir au « résultat net part du groupe ». Aucun
Tableau 3 : Etat des loyers sur contrats de crédit-bail (en centaines de
retraitement n’est donc à effectuer du côté du résultat
opérationnel. milliers d’euros)

Exercice Loyer annuel


2.2. Application des correctifs N 114
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N+1 101
Un exemple avec la société « EVA S.A. » va permettre N+2 90
d’appréhender l’ensemble de la démarche. Les tableaux N+3 78
1 à 4 fournissent le point de départ de l’analyse. N+4 52

Tableau 1 : Extrait du bilan de « EVA S.A. » (en centaines de milliers d’euros)

Actif Net au 31.12.N Passif Net au 31.12.N


Ecart d’acquisition 207 Capital social 1 143
Immobilisations incorporelles 815 Primes d’émission 874
Immobilisations corporelles 6 548 Réserve légale et résultat 3 236
Immobilisations financières 451 Total des capitaux propres 5 253
Titres mis en équivalence 396
Total de l’actif immobilisé 8 417 Intérêts minoritaires 182
Provisions pour risques et charges 989
Stocks et en-cours 1 066 Emprunts 508
Créances clients 2 987 Dettes fournisseurs 5 213
Autres créances d’exploitation 338 Autres dettes 1 819
Valeurs mobilières de placement 612
Disponibilités 544
Total de l’actif circulant 5 547 Total des dettes 7 540

Dossier
Total de l’actif 13 964 Total du passif 13 964
50 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie

Tableau 4 : Extrait du compte de résultat consolidé de « EVA S.A. »


(en centaines de milliers d’euros)
actions. La valeur comptable des dettes correspond à
Stratégie de la gouvernance

N
une bonne approximation de leur valeur effective. Enfin,
le taux de l’impôt sur les bénéfices est de 36,66 %.
Chiffres d’affaires 12 037
Le groupe « EVA » crée-t-il de la valeur pour ses
Marge brute 3 690
Coût des ventes 8 347
bailleurs de fonds ? Le détail des étapes indispensables
au calcul de la valeur ajoutée économique est fourni au
Résultat opérationnel 1 466
Charges opérationnelles 2 224
cours des tableaux 5 à 8.

Tableau 7 : Calcul du coût moyen pondéré du capital (en %)


Charges financières (126)

Perte financière (54)


Produits financiers 72

N
Résultat courant avant impôt 1 412 Coût d’un placement sans risque 5,1 %

Résultat net des sociétés intégrées 1 061


Impôts sur les sociétés (351) Rendement moyen du marché 10,8 %
Bêta des actions 0,85
Quote-part dans les résultats des sociétés mises Coût des capitaux propres 9,945 %11
en équivalence 64
Coût de la dette nette d’impôt 5,066 %12

Résultat net de l’ensemble consolidé 918


Amortissements des écarts d’acquisition (207)
Valeur de marché des capitaux propres 5 92513
Intérêts minoritaires 182

Résultat net part du groupe 879


Intérêts des minoritaires (39)
Montant des capitaux propres 6 107
Emprunts 508

Tableau 5 : Calcul du résultat opérationnel ajusté net d’impôt (en centaines


Crédit-bail 270,8

de milliers d’euros)
Montant des dettes 778,8

N
Proportion des capitaux propres dans les ressources totales 88,69 %

Résultat opérationnel avant ajustements 1 466


Proportion des dettes dans les ressources totales 11,31 %
Coût moyen pondéré des capitaux propres 8,82 %14
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+ Dépenses de recherche et développement activées 551 Coût moyen pondéré des dettes 0,57 %15
– Dotations aux amortissements sur investissements en R&D 515,26 Coût moyen pondéré des ressources totales 9,39 %
+ Augmentation des provisions 17
+ Intérêt sur la dette d’emprunt correspondant au crédit-bail 21,77

= Résultat opérationnel après ajustements 1 604,5


(6) (551 + 538 + 526 + 514 + 447)/5
(7) [101 x 1,08-1 + 90 x 1,08-2 + 78 x 1,08-3 + 52 x 1,08-4] x 0,08 = 270,81 x
+ Quote-part des sociétés mises en équivalence 64
8

0,08 = 21,66…

Tableau 6 : Calcul des capitaux investis ajustés (en centaines de milliers


(8) 1 466 + 35,8 + 17 + 21,7 + 64. L’amortissement de l’écart d’acquisition

d’euros)
ne figure pas dans le résultat opérationnel consolidé, il n’y a donc pas lieu à
correctif.
(9) [(514 – (514 x 4/5)) + (526 – (526 x 3/5)) + (538 – (538 x 2/5)) + (551
N – (551 x 1/5)). Les dépenses N – 4 sont supposées entièrement amorties
Capitaux propres 5 253 compte tenu de la durée de l’amortissement de cinq ans.
(10) Ecart d’acquisition inscrit au bilan après quatre amortissements : 207

= Capitaux investis avant ajustements 5 761


+ Dettes d’emprunt 508 milliers d’euros. Comment obtenir le montant brut ? On a l’équation suivante
en N : 207 = X – (4/5 x X) = X x (1 – 4/5). Le montant brut est donc obtenu
en divisant 207 par (1 – 4/5) soit 1 035 milliers d’euros. Le cumul des
amortissements s’élève ainsi à 1 035 x (4/5) = 828.
+ Valeur comptable nette des dépenses de R&D 1 076,89
+ Provisions pour risques et charges 989
(11) Le coût des capitaux propres est donné par le MEDAF (Modèle
+ Somme des loyers de crédit-bail futurs actualisés 270,8 d’Evaluation Des Actifs Financiers) : 5,1 % + [0,85 x (5,7 %)].
au coût d’emprunt (12) 8% x (1 – 0,3666…).
+ Intérêts minoritaires 182 (13) 12 500 314 x 47,4 € = 592 514 883,6 € soit 5 925 centaines de milliers
d’euros.
(14) 0,8869 x 0,09945.
= Capitaux investis après ajustements 9 107,6
+ Cumul des amortissements sur écart d’acquisition 82810

(15) 0,1131 x 0,05066.

Dossier
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie 51

Tableau 8 : Calcul de l’EVA (en centaines de milliers d’euros)

N
nette des capitaux investis, la richesse accumulée envers

Stratégie de la gouvernance
Résultat opérationnel après ajustements 1 604,5
les actionnaires, depuis l’introduction en bourse. Elle
Résultat opérationnel ajusté net d’impôt 1 016,3
n’augmente que si le rendement opérationnel des
capitaux investis est supérieur au coût du capital. Si, un
Capitaux investis après ajustements 9 107,6
million d’euros de capitaux nouveaux sont investis dans
Coût des capitaux investis 855,2
Coût moyen pondéré des ressources totales 9,39 %
une stratégie dont le rendement égalise le coût du
EVA 161 capital, la valeur totale et le total des capitaux ont
chacun augmenté de un million d’euros : la MVA reste
inchangée.
Le groupe crée bien de la valeur pour ses bailleurs de Le modèle stipule ainsi que la valeur ajoutée de marché
fonds. Un montant d’EVA exprimé en valeur absolue n’a évolue au rythme des EVA, qu’elle représente la somme
cependant pas de signification en soi : l’EVA doit être des EVA attendues, actualisées au coût moyen pondéré
exprimée en pourcentage du montant des capitaux des dettes et des fonds propres :
investis, avec :
ou

ou

ou
où ROIC est la rentabilité opérationnelle des capitaux
investis corrigés (après impôt) et CMPC, le coût moyen
pondéré du capital. Une MVA positive reflète un marché optimiste quant à
Tableau 9(a) : Calcul du taux d’EVA la capacité des dirigeants à créer de la richesse au-delà
N
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des exigences de rentabilité. A l’inverse, une MVA
négative signifie que le marché prévoit une rentabilité
ROIC 11,16 %16
insuffisante face au coût des capitaux.
= Taux d’EVA 1,77%
– Coût moyen pondéré des ressources totales 9,39%
L’expression de la MVA se simplifie sous l’hypothèse
d’une EVA et d’un coût moyen pondéré du capital
En soustrayant au taux de rentabilité de « EVA S.A. » le constants ; son expression se simplifie encore sous
coût moyen pondéré du capital, on retrouve le taux l’hypothèse d’une croissance régulière des EVA ; ce
d’EVA : 11,16 % – 9,39 % = 1,77 %. que l’on montre dans la première sous-section. On
Tableau 9(b) : Calcul du taux d’EVA propose ensuite une version plus raffinée du modèle à
N
partir des trois paramètres qui en sont les déterminants,

(« Market-to-Book »).
EVA 161 comme Fruhan (1979) l’avait fait pour le modèle M/B

= Taux d’EVA 1,77%


: Capitaux investis après ajustements 9 107,6

3. Reformulations
3.1. Le modèle EVA-MVA simplifié

du modèle EVA-MVA Simplifier le modèle consiste à poser des hypothèses de

Dans le modèle, la MVA (« Market Value Added », ou


constance, jugées parfois irréalistes. La logique sur
(16) Résultat opérationnel ajusté net d’impôt/ Capitaux investis après ajuste-
Valeur Ajoutée de Marché) est la capitalisation boursière ments = 1 016,2/9 107,6.

Dossier
52 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie

3.1.2. Sous l’hypothèse d’une


croissance régulière des EVA
laquelle elles s’arc-boûtent est la suivante : les cours
Stratégie de la gouvernance

reflètent la capacité des groupes à créer de la valeur, si


ce n’est à partir des EVA, dans leur totalité, au moins à Pour une EVA croissante à taux constant, l’expression

3.1.1. Sous l’hypothèse


partir de leur composante permanente. de la MVA se simplifie pour devenir17 :

d’une EVA constante


Lorsque l’EVA n’est plus constante, mais croissante
Pour un coût moyen pondéré du capital et un flux d’EVA d’un facteur (1 + g), la MVA prend la forme suivante :
constants, à perpétuité, le modèle se simplifie pour
devenir :

En effet, Si l’on multiplie cette équation par (1 + g)/(1 + CMPC),


les termes deviennent :

Si l’on multiplie les termes de cette équation par (1 +


CMPC), on obtient :
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En soustrayant cette équation à la précédente, il vient :

Déduisons de cette équation la précédente, il suit alors : Si le CMPC est supérieur au taux de croissance, à
l’infini, le dernier terme de cette équation tend vers zéro,
d’où :

A l’infini, tend vers zéro. Ainsi,

MVA x (1 + CMPC) – MVA = EVA ;


MVA x CMPC = EVA ;
En multipliant par (1 + CMPC), il suit que :

d’où,
17 Le taux de croissance est alors :

Dossier
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie 53

N: le nombre d’années durant lesquelles l’entre-

Stratégie de la gouvernance
prise est supposée maintenir le même niveau
de rentabilité.
Pour comprendre cette équation, il faut exprimer le flux
d’EVA transféré aux actionnaires sous l’hypothèse
d’une croissance constante g :
Sur le long terme, si g tend vers le CMPC, la valeur
ajoutée de marché a une croissance infinie. Pour cette
Une hypothèse supplétive pour que le modèle EVA- raison, le coût du capital doit être supérieur au taux de
MVA conserve sa cohérence est que le coût moyen croissance. Plutôt que de s’en tenir à la MVA, il est utile
pondéré du capital soit supérieur au taux de croissance. de calculer le taux de création de richesse à l’égard des
Si g avoisine le CMPC, la différence au dénominateur actionnaires en rapportant la MVA générée aux capitaux
devient proche de zéro et la MVA tend alors vers l’infini. investis. Ce ratio s’apparente à la productivité du capital

3.2.1. Sur longue période


Ceci suppose une valeur de marché elle aussi infinie, ce en termes de création de valeur.
qu’on ne peut admettre à raison.

3.2. Le modèle EVA-MVA révisé Sur longue période, il est aisé de montrer que « MVA /
CI » tend vers :
En réécrivant la MVA à partir des paramètres inclus dans
l’EVA, et pour un écart constant entre rentabilité opéra-
tionnelle et coût du capital, il suit que : En effet,
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avec
ROIC : Le rendement opérationnel des capitaux
investis (fonds propres + dettes),
CMPC : la rentabilité exigée par les actionnaires et les
bailleurs de fonds,
G: le taux de croissance anticipé sur le résultat Si l’on multiplie cette équation par (1 + g / 1 + CMPC),
opérationnel, on obtient :

Tableau 10 : Les déterminants de la valeur dans le modèle EVA - MVA

Année 1 Année 2 … Année t


Valeur comptable des capitaux investis en début d’année CI (1 + g) x CI … (1 + g)t-1 x CI
Coût des capitaux CI x CMPC CI x (1 + g) x CMPC … CI x (1 + g)t-1 x CMPC
EVA (ROIC – CMPC) x CI (ROIC – CMPC) x (1 + g) x CI … (ROIC – CMPC) x (1 + g)t-1 x CI

Dossier
54 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie

3.2.2. Sous l’hypothèse d’érosion


des avantages concurrentiels
Stratégie de la gouvernance

Si l’on ne raisonne plus sur l’infini, mais que l’on borne


l’horizon de prévision à n années, il suit :

Le second terme de l’équation représente la valeur

l’année n. Cette valeur est égale à la valeur comptable


En soustrayant cette équation à la précédente, il suit : résiduelle de la firme (ou valeur terminale) à la fin de

des fonds investis à ce moment précis qui croît au taux


(1 + g)t. Il découle de l’équation précédente, l’expres-
sion suivante du modèle MVA/CI :

En raisonnant sur l’infini, le dernier terme tend vers


zéro, le modèle se simplifie pour devenir :
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Or, il peut être montré que,

En multipliant par (1 + CMPC),

En substituant cette dernière équation à la précédente,

A ce stade, il vient aisément :

Dossier
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie 55

Le modèle suppose que les paramètres ROIC, g et hypothèses de constance du ROIC et du CMPC, est

Stratégie de la gouvernance
CMPC restent constants. Ce qui implique que l’entre- strictement identique à la croissance des EVA.
prise autofinance sa croissance et qu’elle trouve suffi-
samment d’opportunités dont la rentabilité est fixe grâce Proposition 3 : Plus le nombre d’années n au cours
à l’avantage concurrentiel qu’elle détient. desquelles l’entreprise est profitable
La rente, la croissance, et le nombre d’années durant s’accroît (ROIC – CMPC > 0), toutes
lesquelles l’entreprise dispose d’un avantage compétitif choses égales par ailleurs, plus le ratio
déterminent l’intensité de la valeur ajoutée de marché : MVA/CI augmente. Réciproquement,
une augmentation de n détériore
Proposition 1 : Plus l’entreprise génère une rentabilité MVA/CI, si « ROIC – CMPC < 0 ».
des capitaux investis importante, par On écrit :
rapport au coût du capital, toutes MVA/CI = f+ (n) si ROIC > CMPC ;°

4. Portées et limites du modèle


choses égales par ailleurs, plus la MVA/CI = f- (n) si ROIC < CMPC.°

EVA-MVA pour le management


création de valeur est élevée (ratio
MVA/CI élevé). On écrit :
MVA/CI = f+ (ROIC) ;
MVA/CI = f- (CMPC).
Il nous appartient à présent de discuter les avantages et
Proposition 2 : Plus le taux de croissance des les inconvénients du modèle EVA-MVA pour le
bénéfices opérationnels est important, management, après en avoir présenté l’esprit et les
toutes choses égales par ailleurs, plus principales corrections ou raffinements.
l’actionnaire s’enrichit si « ROIC –
CMPC > 0 ». A l’inverse, plus la 4.1. L’EVA discutée
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croissance est forte, plus le taux de
MVA diminue dans le cas où « ROIC L’avantage indéniable de l’EVA est qu’elle ne limite pas
– CMPC < 0 » . En d’autres termes, le coût des capitaux investis au coût de la dette, mais
toutes choses égales par ailleurs, on a qu’elle intègre également le coût des fonds propres en
les relations suivantes : rapport avec le risque que prend l’actionnaire. Autre
MVA/CI = f+ (g) si ROIC > CMPC ;° avantage : son calcul au niveau opérationnel offre d’éli-
MVA/CI = f- (g) si ROIC < CMPC.° miner l’incidence des écritures exceptionnelles ou finan-
cières sur le bénéfice, suite aux provisions pour restruc-
A ce stade, on distingue trois situations possibles pour turation ou suite à la revente de valeurs mobilières de
une entreprise en croissance régulière (voir tableau 10). placement.
A l’arrivée d’un nouveau dirigeant par exemple, il est
La réalité économique que dissimule g est celle de la courant d’observer le passage de provisions exception-
croissance des capitaux investis qui, compte tenu des nelles (en excès) au motif de restructurations. Dès lors

Tableau 10 : Croissance et création de valeur

Le groupe créateur de valeur Le groupe à l’équilibre Le groupe destructeur de valeur


ROIC > CMPC ROIC = CMPC ROE < CMPC
MVA/CI > 0 MVA/CI = 0 MVA/CI < 0
g accroît MVA/CI g n’affecte pas MVA/CI g réduit MVA/CI

Dossier
56 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie

que les charges sont réalisées, les provisions deviennent sous l’effet d’une réduction de l’endettement, on est
Stratégie de la gouvernance

sans objet et doivent être reprises en comptabilité, avec également porté à croire qu’il y a création de valeur sur
pour effet d’accroître subitement le bénéfice net qu’elles le plan financier. Toutefois, si la création de valeur
avaient antérieurement contribuées à détériorer. De stratégique est réelle, la création de valeur financière est
même, la cession de valeurs mobilières de placement quant à elle artificielle ; elle ne repose pas sur une
affaiblit le bilan, mais accroît de façon soudaine le meilleure combinaison de dettes et de fonds propres.
résultat financier qui risque alors de masquer une perte Par ailleurs, il est difficile d’arbitrer entre elles les
nette. Le bénéfice s’améliore grâce à une opération qui origines stratégiques de la création de valeur. Une
n’a que peu de rapport avec l’activité et grâce à un solde stratégie basée sur le volume (à marge opérationnelle
qui, au fond, n’a que fort peu de signification, né de la réduite), accompagnée d’un coefficient de rotation des
différence entre des produits de placement et des capitaux investis rapide (beaucoup de chiffre d’affaires
charges d’endettement. Ces techniques, bien connues de généré par euro investi), et une stratégie fondée sur la
la communauté comptable, augmentent la variance des différenciation (au contraire, marge opérationnelle
résultats et altèrent la réalité économique initiale du élevée et rotation lente des investissements) sont deux
bénéfice opérationnel. En étant calculée à partir du stratégies qui sauraient conduire à une même EVA. Le
résultat d’exploitation, l’EVA donne ainsi une saine modèle n’est donc pas « normatif » quant à la stratégie
image de la création de valeur. à suivre pour accroître la valeur.
Néanmoins, l’EVA n’est pas sans limites. Surtout, le mode de calcul favorise les groupes. En effet,
Paradoxalement, l’EVA s’améliore parfois, alors que les la taille des capitaux investis n’est pas neutre dès lors
« actifs » stratégiques se détériorent. Une EVA que l’on est en présence d’un effet de levier, aussi
attrayante est parfois due à une politique de sous-inves- modeste soit-il. Les groupes diversifiés, à fort actif
tissement : une réduction sensible des services apportés économique, pourraient dégager une EVA élevée malgré
au client mènera rapidement à une amélioration de l’EVA un taux de création de valeur peu enviable par euro de
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sous l’effet d’une réduction des charges d’exploitation, capital investi. En cela, il est plus révélateur de calculer
avec toutefois des conséquences inquiétantes pour le le taux de création de richesse en rapportant l’EVA
futur. Au contraire, une EVA négative peut naître d’inves- générée aux capitaux investis sur la même période.
tissements massifs, dont la valeur actuelle est positive,
qui servent à maintenir l’avance sur les concurrents, mais La valeur ajoutée économique présente un second défaut
qui obèrent la marge opérationnelle à court terme. qui empêche toute comparaison : elle n’est pas fondée
sur des règles édictées par le plan comptable. Chaque
Autre inconvénient : l’EVA n’offre pas toujours de faire direction pratique ses propres arbitrages sans qu’aucune
clairement la distinction entre création de valeur straté- réglementation ne vienne imposer ce qu’il convient
gique et création de valeur financière. L’interdépen- d’ajuster ou non. Certains avancent dès lors que cette
dance des paramètres ROIC, CMPC et CI est à l’origine technique reste plus appropriée aux analyses internes.
de ce problème. Envisageons le cas de l’abandon d’acti- Si le problème se trouve posé pour des entreprises de
vités peu rentables. Le provisionnement massif des même nationalité, il l’est avec d’autant plus d’acuité
créances génère une perte à court terme, mais épure le quand il s’agit de comparer des entreprises internatio-
bilan et permet de renouer avec la création de valeur à nales, car la notion de bénéfice opérationnel diffère d’un
plus long terme. Il y a création de valeur au plan straté- pays à l’autre. Le bénéfice opérationnel, en France, est
gique s’il y a diminution des capitaux engagés pour un par exemple fréquemment calculé avant frais financiers
niveau de bénéfice opérationnel au moins identique. et participation des salariés contrairement aux Etats-
Cependant, dès lors que le coût des capitaux a diminué, Unis.

Dossier
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie 57

D’autre part, chacun des termes inclus dans l’EVA exprimés en valeur comptable. Afin que l’EVA garan-

Stratégie de la gouvernance
présente ses propres limites. Les produits finis compta- tisse que de la valeur ait bien été créée à l’égard des
bilisés en « production stockée » viennent accroître le actionnaires, Bacidore, Boquist, Milbourn et Thakor
bénéfice opérationnel alors qu’ils ne sont qu’une (1997) ont défini différemment l’EVA :
addition de coûts de revient. Un groupe pourrait dégager
un bénéfice opérationnel simplement grâce au gonfle- REVAt = NOPATt – CMPCt x VMt-1(D - FP)
ment de ses stocks. Les éléments exceptionnels non
inclus dans le bénéfice opérationnel peuvent parfaite- avec

(« Refined Economic Value Added »),


ment poser un problème de liquidité ; que l’entreprise REVA : la valeur ajoutée économique ajustée
soit en forte croissance ou soit sensible au refinance-

(« Net Operating Profit After Taxes »),


ment. En revanche, l’EVA est peu sensible à la situation NOPAT : Le bénéfice opérationnel après impôt
de trésorerie de l’entreprise. Certains préconisent
l’appréciation d’une CVA (Cash Value Added), en CMPC : le coût moyen pondéré du capital,
complément de l’EVA, lorsque l’entreprise est sensible VMt-1(D + FP) : les fonds propres, augmentés de la valeur
au refinancement (Shaked, Michel et Leroy, 1998). La de marché des dettes (à l’exclusion des
CVA, qui est donnée par la trésorerie d’exploitation dettes ne portant pas intérêt), exprimés
moins le coût des capitaux employés, reproduit mieux la en valeur de marché.
position de trésorerie que les grandeurs basées sur le
résultat d’exploitation. On retrouve ici la distinction Puisque les fonds propres et les dettes sont exprimés de
classique entre la rentabilité et la solvabilité. La renta- façon identique dans le CMPC et dans REVA, il vient :
bilité d’exploitation n’a que peu de rapport avec la . Cette EVA améliorée serait d’après Bacidore, Boquist,
position de trésorerie qui est au cœur de la richesse de Milbourn et Thakor (1997) mieux corrélée à la rentabi-

Enfin, on ne saurait pas non plus faire fi des limites du


l’actionnaire. lité boursière, pp. 17-18)…
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Autre source de critiques : la détermination des
capitaux investis. Dans une optique de création de Medaf. Hormis, les biais entraînés par le choix de la
valeur, ils sont déterminés par la somme des fonds période d’estimation, la relation positive qui devrait en
propres et des dettes, augmentée des charges passées en principe unir le risque de marché (risque systématique)
immobilisations (recherche et développement, publicité, à la rentabilité est parfois compromise car, en dépit
formation), des charges d’exploitation assimilables à de d’une forte volatilité du titre18, une faible corrélation
véritables dettes (loyers de crédit-bail), des provisions avec le marché atténue la prime de risque et, au final, le
pour risques et charges, des amortissements cumulés de coût des fonds propres19. D’autre part, Lintner (1965,
la survaleur voire d’emplois exceptionnels (frais de p. 15 et pp. 33-34) lui-même reconnaissait que les
restructuration). Pour certains, cette approche est par hypothèses sous-jacentes au modèle, notamment celles
essence imprécise parce qu’elle prend en considération posées par sur le fonctionnement des marchés, méritées
des éléments qui n’ont pas tous été envisagés par les d’être relâchées : il est stipulé que tous les investisseurs
textes. De fait, l’information précieuse au calcul de peuvent emprunter ou placer au taux sans risque, qu’ils
l’EVA est difficile à extraire ou à reconstituer à partir font les mêmes estimations de l’espérance et du risque,
des comptes.
Certains préconisent alors de retenir la valeur de marché
(18) La variance de la rentabilité du titre.
des capitaux investis, car dans le calcul du coût moyen (19) On rappelle ici que le bêta peut être obtenu de deux façons :
pondéré du capital, les capitaux investis sont exprimés
en valeur de marché, tandis que dans l’EVA, ils sont

Dossier
58 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie

qu’aucun n’influence à lui seul le prix de marché, et que sur investissement marginal qui ne décroît pas au fur et
Stratégie de la gouvernance

l’échange de titres se fait sans coût. à mesure que les investissements s’alourdissent ni à
mesure que la concurrence s’intensifie. Ces groupes sont
4.2. La MVA questionnée capables de conserver leurs avantages concurrentiels
pendant de longues périodes en maintenant une rentabi-
Dans son expression la plus simple, la MVA est déter- lité exemplaire. Dans les cosmétiques, le géant L’Oréal
minée par la valeur de marché, nette des capitaux est l’exemple emblématique du modèle de croissance
investis depuis l’introduction en Bourse. Elle apparaît inoxydable depuis deux décennies et qui met à mal
immédiatement comme une mesure « hybride », l’hypothèse de rendement décroissant.
puisque les capitaux investis sont retenus pour leur Enfin, il faut bien admettre que l’état des preuves
valeur comptable historique tandis que la valeur de empiriques du lien entre l’EVA et la MVA ne joue pas

actionnaires. La MVA ne serait donc ni une valeur ex


marché intègre par définition les anticipations des en faveur du modèle. En dehors des recherches de Lehn

ante ni une valeur ex post. Or, ce qui intéresse les action-


et Makhija (1996, p. 36) ou celles de Chen et Dodd
(1997), qui établissent un pouvoir explicatif loin des
naires n’est pas tant la valeur créée par le passé que celle 50 % annoncés par Stewart (1991), aucune autre publi-
qui leur sera transférée dans le futur. cation scientifique ne s’est faîte remarquer outre-atlan-
Les changements en matière de MVA ne peuvent tique sur ce point. En France, à partir des classements
malheureusement être connus que lors de la publication publiés par l’antenne parisienne du Cabinet « Stern,
des résultats trimestriels. La valeur de marché, quant à Stewart & Co », Denglos (2003, 2004) montre qu’en
elle, change en continu. Même si la MVA était connue moyenne 75 % de la MVA des 47 groupes français les
sur un intervalle de temps plus bref, sa variation ne plus régulièrement créateurs de valeur, au cours de la
serait rien d’autre que la variation de la valeur de période 1996-1999, est inexpliquée par les EVA

free cash-flow se révèle supérieur…


marché. Or, la MVA n’est en réalité significative que sur annuelles, tandis qu’à trois ans, le pouvoir explicatif des
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Conclusions
un horizon limité, car dans le cas contraire, le coût des
fonds propres ne correspond plus à la vraie rentabilité
exigée par l’actionnaire et la valeur est inexacte.
Une autre question d’importance est de savoir si, pour
une même société, il n’y a qu’une seule ou une multi- Construite sur des bases économiques anciennes,
tude de MVA. Pour les actionnaires récemment entrés redécouvertes, la création de valeur donne une image
dans le capital et pour ceux qui ont achetés les titres lors plus exacte de la rentabilité des groupes, au-delà des
de l’introduction en Bourse, la MVA peut-elle symbo- trajectoires boursières erratiques qui sont les leurs ou
liser la valeur réciproque de leurs investissements ? De des évolutions accidentées de leurs bénéfices. Fruhan
toute évidence, la réponse est négative. (1979), Hax et Majluf (1984) et Rappaport (1986), en
Par ailleurs, comme tout autre modèle de création de précurseurs, avaient invoqué la nécessité d’intégrer la
valeur, la MVA s’appuie sur l’hypothèse fondamentale théorie financière au management, pour au moins trois
de rendements décroissants ou, ce qui revient au même, raisons.
sur l’hypothèse de coût marginal croissant. A l’issue de La performance stratégique est mal définie quand elle
la projection, l’avantage concurrentiel dépérit et la s’appuie sur les données comptables, même prévision-
rentabilité opérationnelle avoisine le coût du capital. A nelles. L’avenir n’est pas la reproduction ou la simple

soit débordée. Achi et alii (1996, p. 47) ont observé « le


de rares exceptions près, il se peut que cette hypothèse extrapolation du passé et les résultats comptables sont
sensibles aux écritures sans incidence aucune sur la
paradoxe des champions de la croissance » : un retour trésorerie. Or, c’est l’allocation de la trésorerie excéden-

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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie 59

taire qui est au centre des relations entre actionnaires, Il est légitime de se demander néanmoins si le marché

Stratégie de la gouvernance
prêteurs et dirigeants ; ces derniers devant arbitrer entre boursier évalue correctement les actifs stratégiques, tels
distribution et investissement. qu’ils sont définis dans l’approche basée sur les
D’autre part, l’image qui fait de l’actionnaire un parte- ressources (Penrose, 1959 ; Wernerfelt, 1984 ; Barney,
naire à la poursuite de ses intérêts les plus immédiats, 1991 ; Nelson, 1991 ; Arrègle, 1996 ; Desreumaux et
privilégiant le court terme sur le long terme, la sécurité Bréchet, 1998) : à l’image de ce qu’a connu France
des dividendes sur le risque du réinvestissement, est Télécom, passant de 240 milliards à 15 milliards d’euros
trompeuse. Un rendement moyen des actions, hors plus- de capitalisation boursière, entre 2001 et 2002, alors que
values, avoir fiscal compris, deux fois moins élevé que la valeur conjuguée de ses filiales dépassait 30
la rentabilité des obligations, normalement sans risque, milliards20. La véritable valeur du groupe ne tient-elle
émises par le Trésor, suffit à démontrer que l’investis- pas, du point de vue du management, aux difficultés de
seur achète essentiellement du futur (Albouy, 2002, conquérir le même avantage concurrentiel, bâti sur un
p. 23), que son comportement est par conséquent réseau unique ? Or, la construction d’un tel fonds de
compatible avec l’horizon stratégique. commerce obligerait à une dépense comprise entre 120
Si l’on admet ensuite que l’intérêt de l’actionnaire va et 150 milliards d’euros…
dans le sens de celui de tout autre partenaire, la création Plus encore que la validité des rentabilités boursières
de valeur est un critère général d’évaluation, qui allie comme mesures de la performance stratégique, c’est
stratégie et finance. En amont, la création de valeur est aujourd’hui la relation qui lie le risque à la création de
soumise à l’existence de perspectives futures favorables, valeur qui provoque le débat. Tout d’abord, à travers
autorisées par le maintien ou le renouvellement de l’intérêt d’une décomposition du risque. Seul le risque
l’avantage concurrentiel (Porter, 1986 ; Ghemawat, systématique fait l’objet d’une rémunération attendue
1986), tandis qu’en aval, sa mesure apporte une réponse dans le Medaf, alors que les dirigeants n’ont aucun
au problème d’une évaluation à priori (i.e. par le moyen de réduire l’exposition des investisseurs aux
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marché) ou à posteriori (i.e. par les résultats comptables incertitudes macroéconomiques (Chatterjee, Lubatkin et
retraités) des décisions de nature stratégique, dont le Schulze, 1999). D’un autre côté, le risque pour le
risque est la substance principale (Thiétart, 1990 ; dirigeant ne se limite pas au seul risque de l’investisseur,
Hirigoyen, 1997). En ce sens, le montant de la richesse il a d’autres partenaires à satisfaire que l’actionnaire qui,
que l’investisseur accumule s’impose comme « le phare eux, n’ont aucun moyen de diversifier le risque qu’ils
de la décision stratégique » (Batsch, 1999, p. 7). supportent (Freeman, 1984).
On est en droit de se demander pourtant si l’EVA n’est Surtout, Bowman (1980, 1982) a démontré que risque et
pas autre chose qu’une anomalie financière que le rentabilité des fonds propres sont négativement corrélés.
marché va corriger, dès lors que l’occurrence de résul- Ce résultat théoriquement impossible, du point de vue

est a priori impossible sur des marchés efficients (Paulo,


tats excédentaires couvrant plus que le coût du capital de la théorie financière, est néanmoins observé par le
chercheur du MIT, alors que la qualité des tests n’est
2002). Pour Chen et Dodd (2002), cette objection porte pas sujette à être remise en cause. Au présent, les
en son sein une confusion entre le concept d’efficience chercheurs s’efforcent par conséquent de discuter, autant
et celui de rente. L’existence de sur-profits ne contrarie qu’il est possible, les conditions de validité des mesures
pas l’hypothèse d’efficience aussi longtemps que les du risque et d’expliquer pourquoi le paradoxe n’apparaît
cours reflètent les capacités à créer de la valeur. pas sur les marchés financiers.
Réciproquement, l’efficience des marchés n’empêche
nullement les groupes cotés d’obtenir une rentabilité (20) A l’époque : Wanadoo, Orange, Equant, STMicroelectronics, Sprint et
supérieure à ce qu’exigent les bailleurs de fonds. Wind.

Dossier
60 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 213 - Stratégie

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