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Grégory Denglos
Le modèle de création
Stratégie de la gouvernance
de valeur « EVA-MVA » :
Présentation, ajustements et reformulations
par Grégory Denglos
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leur capacité à afficher une croissance confortable de troisième et dernière section, on dresse une liste appro-
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aux immobilisions nettes, augmentées des besoins en y concourent également. Au numérateur, le bénéfice net
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fonds de roulement et des disponibilités. a pour inconvénient d’inclure les produits financiers qui
Déterminer le montant de la dette ne pose pas en soit de déforment la rentabilité, au travers des produits finan-
problème majeur. Il en va tout autrement des fonds ciers et qui n’ont, comme les éléments exceptionnels,
propres. D’après le plan comptable, les capitaux propres qu’un lointain rapport avec le cœur de métier du
correspondent à la somme des apports (capital, primes groupe3. Enfin, l’optique du modèle est de calculer la
liées au capital), des écarts de réévaluation, des valeur créée à destination des prêteurs, créanciers et
bénéfices autres que ceux pour lesquels une décision de actionnaires, en soustrayant le coût du capital au résultat
distribution est intervenue (réserves, report à nouveau économique. Il faut donc se placer au niveau opéra-
créditeur, bénéfice de l’exercice, report à nouveau tionnel pour éviter de déduire deux fois le coût des
débiteur, perte de l’exercice), des subventions d’inves- dettes financières et tenir compte de l’imposition dès
tissement et des provisions réglementées dont la justifi- lors qu’une partie du résultat est vouée à disparaître.
cation est fiscale. La rentabilité des capitaux qui intervient dans le calcul
Il est souvent avancé que l’approche patrimoniale des de l’EVA est ainsi une rentabilité opérationnelle : on
1.2. La rentabilité
des capitaux investis
avec
La rentabilité des capitaux investis doit être cohérente l : le levier financier, conçu comme le rapport des dettes
avec la détermination des capitaux investis. On ne financières aux fonds propres pour leurs valeurs de
saurait pour cette raison la limiter à la seule rentabilité marché respectives,
des capitaux propres, qui présente par ailleurs quatre r : la rentabilité exigée par l’actionnaire sur les fonds
inconvénients. Elle est tout d’abord sensible à la struc- propres,
(3) NOPAT = EBIT x (1-τ) où l’EBIT (« Earnings Before Interests and
ture financière. Substituer de la dette aux fonds propres,
diminue la valeur portée au dénominateur et augmente Taxes ») est le bénéfice d’exploitation et τ le taux d’imposition des bénéfices.
mécaniquement la rentabilité ainsi calculée. Mais, il Le NOPAT est ainsi le résultat opérationnel diminué du montant de l’impôt
qui devrait être payé si l’entreprise n’avait aucune charge financière liée à
convient surtout de l’écarter pour trois autres raisons. l’endettement (quand seules les charges d’exploitation sont incluses).
Les fonds propres ne sont pas les seules ressources à (4) Ce qui n’est pas le cas, lorsque l’entreprise consolidante n’a qu’une
l’origine du bénéfice, les dettes financières à long terme influence notable.
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t : le taux d’imposition des bénéfices, Rf : le taux sans risque, donné le plus souvent par le
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i : le coût des dettes financières (à court et long termes) rendement des obligations d’Etat à 10 ans,
avant impôt. bj : le coefficient de risque, qui détermine la volatilité de
la rentabilité d’une action par rapport à celle du
Le coût moyen pondéré des capitaux exprime les marché, avec , où est la covariance de la rentabilité
attentes de rendement des bailleurs de fonds (actionna- du titre et du marché, la volatilité du marché, , le
ires et créanciers). A défaut d’information, le coût des coefficient de corrélation entre les deux types de
dettes est un coût moyen que l’on obtient en rapportant rentabilités, et l’écart-type de la rentabilité de
aux dettes d’emprunt les charges financières inscrites au l’action et du marché, respectivement.
compte de résultats. Le taux nominal des dettes est un
taux brut alors que le coût réel pour l’entreprise est le Le taux de rendement exigé augmente au fur et à mesure
taux net de l’économie d’impôt. Le coût est calculé de l’augmentation du bêta. Une erreur d’interprétation
après impôt dès lors que les charges d’intérêts au profit du modèle consisterait à croire, qu’une baisse du taux
des créanciers, à la différence des dividendes versés aux sans risque va accroître le coût des fonds propres car
actionnaires, sont déductibles du résultat imposable. l’écart pondéré « E(Rm) - Rf » augmente. Cependant, le
Pour l’entreprise, les dettes sont donc moins chères que bon raisonnement est de tenir pour certain qu’une baisse
les fonds propres. du taux sans risque va, dans tous les cas, réduire le coût
Les méthodes d’évaluation du coût des fonds propres des fonds propres : avec la diminution du taux sans
sont nombreuses : dividendes capitalisés divisés par le risque, tout investisseur exigera un rendement moindre
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capital investi de la valeur comptable nette de la
recherche et développement (les investissements
consentis diminués des amortissements). La durée de
l’amortissement est le nombre de périodes au cours
desquelles les produits ou les services qui résultent de
l’investissement vont produire des bénéfices.
Du côté du résultat opérationnel, il faut éliminer l’inci-
Quel serait le coût moyen pondéré du capital si l’endet- dence des charges passées durant l’exercice, dès lors que
tement était nul ? La réponse la plus spontanée serait de l’on assimile les dépenses de recherche et développe-
dire que le coût moyen pondéré du capital serait égal au ment à de véritables investissements. Il convient donc
coût des fonds propres. Si le risque de faillite devient d’accroître le résultat opérationnel de leur montant.
nul, r va diminuer. Connaissant le coût moyen pondéré Toutefois, il faut déduire les amortissements, y compris
du capital pour une structure financière donnée, on ceux qui restent à passer au titre des années précédentes,
mesure le « CMPC0 », en cas de financement intégral comme pour toute autre catégorie d’investissement dont
par fonds propres, comme suit : les amortissements viendraient en diminution du résultat
opérationnel.
2. L’EVA ajustée
catégories d’investissements immatériels comme les
et charges
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et développement
partie des charges envisagées au cours des exercices
précédents a été payée. En d’autres termes, les provi-
sions pour risques et charges doivent être assimilées à
de véritables réserves. Leur variation doit être prise en
Imputer au compte de résultat, la totalité des dépenses compte dans le résultat opérationnel tandis que le solde
de R&D de l’année en cours revient à sous-évaluer les du compte doit être intégré au capital investi.
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en provenance de sociétés
mises en équivalence Le montant offert pour racheter une société correspond
rarement à la valeur comptable (l’actif net). Une partie
Lorsque qu’une société ne détient sur une filiale qu’une de la différence entre le prix payé et la valeur comptable
influence notable, les comptes consolidés sont établis est affectée aux actifs immobilisés corporels. Cet écart,
selon la méthode de mise en équivalence. L’actif net dit de « première consolidation », correspond à une
n’est pas intégré aux comptes consolidés. Cependant, on réévaluation des terrains, des sites industriels… Une
trouve dans les capitaux propres consolidés, la quote- partie du reliquat, qui ne correspond à aucun poste du
part des capitaux propres de la filiale (y compris le bilan de la société acquise, est inscrite en immobilisa-
résultat de l’exercice) au travers des titres de participa- tions incorporelles chez l’acquéreur. Cette étape revient
tion de la société consolidante. Les capitaux investis à donner une valeur comptable à une marque, une part
doivent intégrer l’ensemble des investissements de de marché, un brevet ou un droit à la concession. Enfin,
l’entreprise mère dans ses filiales au travers des capitaux
propres consolidés qui les regroupent. Par voie de (5) (551 + 538 + 526 + 514 + 447) / 5.
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La comptabilisation du « goodwill » dans les résultats
taire. L’écart d’acquisition qui apparaît au bilan a été
réalisé en N – 3 et fait l’objet d’un amortissement
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Total de l’actif 13 964 Total du passif 13 964
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une bonne approximation de leur valeur effective. Enfin,
le taux de l’impôt sur les bénéfices est de 36,66 %.
Chiffres d’affaires 12 037
Le groupe « EVA » crée-t-il de la valeur pour ses
Marge brute 3 690
Coût des ventes 8 347
bailleurs de fonds ? Le détail des étapes indispensables
au calcul de la valeur ajoutée économique est fourni au
Résultat opérationnel 1 466
Charges opérationnelles 2 224
cours des tableaux 5 à 8.
N
Résultat courant avant impôt 1 412 Coût d’un placement sans risque 5,1 %
de milliers d’euros)
Montant des dettes 778,8
N
Proportion des capitaux propres dans les ressources totales 88,69 %
0,08 = 21,66…
d’euros)
ne figure pas dans le résultat opérationnel consolidé, il n’y a donc pas lieu à
correctif.
(9) [(514 – (514 x 4/5)) + (526 – (526 x 3/5)) + (538 – (538 x 2/5)) + (551
N – (551 x 1/5)). Les dépenses N – 4 sont supposées entièrement amorties
Capitaux propres 5 253 compte tenu de la durée de l’amortissement de cinq ans.
(10) Ecart d’acquisition inscrit au bilan après quatre amortissements : 207
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nette des capitaux investis, la richesse accumulée envers
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Résultat opérationnel après ajustements 1 604,5
les actionnaires, depuis l’introduction en bourse. Elle
Résultat opérationnel ajusté net d’impôt 1 016,3
n’augmente que si le rendement opérationnel des
capitaux investis est supérieur au coût du capital. Si, un
Capitaux investis après ajustements 9 107,6
million d’euros de capitaux nouveaux sont investis dans
Coût des capitaux investis 855,2
Coût moyen pondéré des ressources totales 9,39 %
une stratégie dont le rendement égalise le coût du
EVA 161 capital, la valeur totale et le total des capitaux ont
chacun augmenté de un million d’euros : la MVA reste
inchangée.
Le groupe crée bien de la valeur pour ses bailleurs de Le modèle stipule ainsi que la valeur ajoutée de marché
fonds. Un montant d’EVA exprimé en valeur absolue n’a évolue au rythme des EVA, qu’elle représente la somme
cependant pas de signification en soi : l’EVA doit être des EVA attendues, actualisées au coût moyen pondéré
exprimée en pourcentage du montant des capitaux des dettes et des fonds propres :
investis, avec :
ou
ou
ou
où ROIC est la rentabilité opérationnelle des capitaux
investis corrigés (après impôt) et CMPC, le coût moyen
pondéré du capital. Une MVA positive reflète un marché optimiste quant à
Tableau 9(a) : Calcul du taux d’EVA la capacité des dirigeants à créer de la richesse au-delà
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(« Market-to-Book »).
EVA 161 comme Fruhan (1979) l’avait fait pour le modèle M/B
3. Reformulations
3.1. Le modèle EVA-MVA simplifié
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Déduisons de cette équation la précédente, il suit alors : Si le CMPC est supérieur au taux de croissance, à
l’infini, le dernier terme de cette équation tend vers zéro,
d’où :
d’où,
17 Le taux de croissance est alors :
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prise est supposée maintenir le même niveau
de rentabilité.
Pour comprendre cette équation, il faut exprimer le flux
d’EVA transféré aux actionnaires sous l’hypothèse
d’une croissance constante g :
Sur le long terme, si g tend vers le CMPC, la valeur
ajoutée de marché a une croissance infinie. Pour cette
Une hypothèse supplétive pour que le modèle EVA- raison, le coût du capital doit être supérieur au taux de
MVA conserve sa cohérence est que le coût moyen croissance. Plutôt que de s’en tenir à la MVA, il est utile
pondéré du capital soit supérieur au taux de croissance. de calculer le taux de création de richesse à l’égard des
Si g avoisine le CMPC, la différence au dénominateur actionnaires en rapportant la MVA générée aux capitaux
devient proche de zéro et la MVA tend alors vers l’infini. investis. Ce ratio s’apparente à la productivité du capital
3.2. Le modèle EVA-MVA révisé Sur longue période, il est aisé de montrer que « MVA /
CI » tend vers :
En réécrivant la MVA à partir des paramètres inclus dans
l’EVA, et pour un écart constant entre rentabilité opéra-
tionnelle et coût du capital, il suit que : En effet,
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Le modèle suppose que les paramètres ROIC, g et hypothèses de constance du ROIC et du CMPC, est
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CMPC restent constants. Ce qui implique que l’entre- strictement identique à la croissance des EVA.
prise autofinance sa croissance et qu’elle trouve suffi-
samment d’opportunités dont la rentabilité est fixe grâce Proposition 3 : Plus le nombre d’années n au cours
à l’avantage concurrentiel qu’elle détient. desquelles l’entreprise est profitable
La rente, la croissance, et le nombre d’années durant s’accroît (ROIC – CMPC > 0), toutes
lesquelles l’entreprise dispose d’un avantage compétitif choses égales par ailleurs, plus le ratio
déterminent l’intensité de la valeur ajoutée de marché : MVA/CI augmente. Réciproquement,
une augmentation de n détériore
Proposition 1 : Plus l’entreprise génère une rentabilité MVA/CI, si « ROIC – CMPC < 0 ».
des capitaux investis importante, par On écrit :
rapport au coût du capital, toutes MVA/CI = f+ (n) si ROIC > CMPC ;°
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que les charges sont réalisées, les provisions deviennent sous l’effet d’une réduction de l’endettement, on est
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sans objet et doivent être reprises en comptabilité, avec également porté à croire qu’il y a création de valeur sur
pour effet d’accroître subitement le bénéfice net qu’elles le plan financier. Toutefois, si la création de valeur
avaient antérieurement contribuées à détériorer. De stratégique est réelle, la création de valeur financière est
même, la cession de valeurs mobilières de placement quant à elle artificielle ; elle ne repose pas sur une
affaiblit le bilan, mais accroît de façon soudaine le meilleure combinaison de dettes et de fonds propres.
résultat financier qui risque alors de masquer une perte Par ailleurs, il est difficile d’arbitrer entre elles les
nette. Le bénéfice s’améliore grâce à une opération qui origines stratégiques de la création de valeur. Une
n’a que peu de rapport avec l’activité et grâce à un solde stratégie basée sur le volume (à marge opérationnelle
qui, au fond, n’a que fort peu de signification, né de la réduite), accompagnée d’un coefficient de rotation des
différence entre des produits de placement et des capitaux investis rapide (beaucoup de chiffre d’affaires
charges d’endettement. Ces techniques, bien connues de généré par euro investi), et une stratégie fondée sur la
la communauté comptable, augmentent la variance des différenciation (au contraire, marge opérationnelle
résultats et altèrent la réalité économique initiale du élevée et rotation lente des investissements) sont deux
bénéfice opérationnel. En étant calculée à partir du stratégies qui sauraient conduire à une même EVA. Le
résultat d’exploitation, l’EVA donne ainsi une saine modèle n’est donc pas « normatif » quant à la stratégie
image de la création de valeur. à suivre pour accroître la valeur.
Néanmoins, l’EVA n’est pas sans limites. Surtout, le mode de calcul favorise les groupes. En effet,
Paradoxalement, l’EVA s’améliore parfois, alors que les la taille des capitaux investis n’est pas neutre dès lors
« actifs » stratégiques se détériorent. Une EVA que l’on est en présence d’un effet de levier, aussi
attrayante est parfois due à une politique de sous-inves- modeste soit-il. Les groupes diversifiés, à fort actif
tissement : une réduction sensible des services apportés économique, pourraient dégager une EVA élevée malgré
au client mènera rapidement à une amélioration de l’EVA un taux de création de valeur peu enviable par euro de
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D’autre part, chacun des termes inclus dans l’EVA exprimés en valeur comptable. Afin que l’EVA garan-
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présente ses propres limites. Les produits finis compta- tisse que de la valeur ait bien été créée à l’égard des
bilisés en « production stockée » viennent accroître le actionnaires, Bacidore, Boquist, Milbourn et Thakor
bénéfice opérationnel alors qu’ils ne sont qu’une (1997) ont défini différemment l’EVA :
addition de coûts de revient. Un groupe pourrait dégager
un bénéfice opérationnel simplement grâce au gonfle- REVAt = NOPATt – CMPCt x VMt-1(D - FP)
ment de ses stocks. Les éléments exceptionnels non
inclus dans le bénéfice opérationnel peuvent parfaite- avec
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qu’aucun n’influence à lui seul le prix de marché, et que sur investissement marginal qui ne décroît pas au fur et
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l’échange de titres se fait sans coût. à mesure que les investissements s’alourdissent ni à
mesure que la concurrence s’intensifie. Ces groupes sont
4.2. La MVA questionnée capables de conserver leurs avantages concurrentiels
pendant de longues périodes en maintenant une rentabi-
Dans son expression la plus simple, la MVA est déter- lité exemplaire. Dans les cosmétiques, le géant L’Oréal
minée par la valeur de marché, nette des capitaux est l’exemple emblématique du modèle de croissance
investis depuis l’introduction en Bourse. Elle apparaît inoxydable depuis deux décennies et qui met à mal
immédiatement comme une mesure « hybride », l’hypothèse de rendement décroissant.
puisque les capitaux investis sont retenus pour leur Enfin, il faut bien admettre que l’état des preuves
valeur comptable historique tandis que la valeur de empiriques du lien entre l’EVA et la MVA ne joue pas
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taire qui est au centre des relations entre actionnaires, Il est légitime de se demander néanmoins si le marché
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prêteurs et dirigeants ; ces derniers devant arbitrer entre boursier évalue correctement les actifs stratégiques, tels
distribution et investissement. qu’ils sont définis dans l’approche basée sur les
D’autre part, l’image qui fait de l’actionnaire un parte- ressources (Penrose, 1959 ; Wernerfelt, 1984 ; Barney,
naire à la poursuite de ses intérêts les plus immédiats, 1991 ; Nelson, 1991 ; Arrègle, 1996 ; Desreumaux et
privilégiant le court terme sur le long terme, la sécurité Bréchet, 1998) : à l’image de ce qu’a connu France
des dividendes sur le risque du réinvestissement, est Télécom, passant de 240 milliards à 15 milliards d’euros
trompeuse. Un rendement moyen des actions, hors plus- de capitalisation boursière, entre 2001 et 2002, alors que
values, avoir fiscal compris, deux fois moins élevé que la valeur conjuguée de ses filiales dépassait 30
la rentabilité des obligations, normalement sans risque, milliards20. La véritable valeur du groupe ne tient-elle
émises par le Trésor, suffit à démontrer que l’investis- pas, du point de vue du management, aux difficultés de
seur achète essentiellement du futur (Albouy, 2002, conquérir le même avantage concurrentiel, bâti sur un
p. 23), que son comportement est par conséquent réseau unique ? Or, la construction d’un tel fonds de
compatible avec l’horizon stratégique. commerce obligerait à une dépense comprise entre 120
Si l’on admet ensuite que l’intérêt de l’actionnaire va et 150 milliards d’euros…
dans le sens de celui de tout autre partenaire, la création Plus encore que la validité des rentabilités boursières
de valeur est un critère général d’évaluation, qui allie comme mesures de la performance stratégique, c’est
stratégie et finance. En amont, la création de valeur est aujourd’hui la relation qui lie le risque à la création de
soumise à l’existence de perspectives futures favorables, valeur qui provoque le débat. Tout d’abord, à travers
autorisées par le maintien ou le renouvellement de l’intérêt d’une décomposition du risque. Seul le risque
l’avantage concurrentiel (Porter, 1986 ; Ghemawat, systématique fait l’objet d’une rémunération attendue
1986), tandis qu’en aval, sa mesure apporte une réponse dans le Medaf, alors que les dirigeants n’ont aucun
au problème d’une évaluation à priori (i.e. par le moyen de réduire l’exposition des investisseurs aux
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