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La décision de crédit :
Management et finance
Procédure et comparaison de la performance
de quatre modèles de prévision d’insolvabilité
par Yoser Gadhoum, Jean-Pierre Gueyié et Mohamed Karim Siala
P
endant la décennie quatre-vingt-dix, et au cours de la réces-
sion du début des années 2000, les défaillances d’entre-
prises, mesurées par le nombre d’ouvertures de procé-
dures de redressement et de liquidation judiciaire par les
tribunaux de commerce, ont connu une envolée spectaculaire. En
Mohamed Karim SIALA France par exemple, après un pic historique en 1993 où elles ont
École des Sciences de la Gestion atteint 68 000, ces défaillances se sont établies à 61 000 en
Université du Québec 1997, contre 46 500 en 1990. Aux États-Unis, en 2001, 257
Montréal (Canada) entreprises publiques ayant des actifs totalisant 256 milliards de
$ se sont placées sous le chapitre 11 de la loi sur les faillites,
chiffre le plus élevé depuis l’année 1980.1
Une des caractéristiques principales de cette ère est le fait que
les défaillances débouchent de plus en plus sur une liquidation,
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plutôt que sur un redressement ou une cession de l’entreprise. – évaluation du risque de crédit et décision d’accorder ou de
De plus, elles touchent autant les grands groupes cotés en refuser le prêt ;
Bourse que les petites et moyennes entreprises. – structuration du prêt, vérifications, signature du contrat de prêt
Pour les établissements financiers, cette évolution s’est traduite et déboursé ;
par une augmentation non négligeable du risque de crédit. Quant – suivi de la performance des paiements.
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aux entreprises industrielles et commerciales, qui sont souvent, Dans la phase d’application pour le prêt, le client présente au
sans en avoir toujours pleinement conscience, le premier prêteur une demande de prêt conforme aux spécifications de ce
banquier de leurs clients au travers des délais de paiement dernier. Cette demande contient généralement tous les rensei-
qu’elles leur accordent, cet accroissement du nombre des faillites gnements pertinents à l’analyse du dossier et à la prise de
a pu avoir des conséquences plus dramatiques : le non-paiement décision.4 Dans le cas contraire, ils devront être fournis.
d’une importante facture par un client défaillant est en effet L’évaluation du risque de crédit (ou risque de défaut de paiement)
susceptible de remettre en cause la survie de l’entreprise qui en représente l’étape cruciale de la gestion du crédit. D’elle dépend
est victime. Elle peut même enclencher une véritable réaction en en grande partie la performance du prêt consenti au client. Il
chaîne. Le risque d’insolvabilité constitue donc pour ces entre- s’agit pour le prêteur de déterminer le plus adéquatement
prises un péril financier majeur, au même titre que le risque de possible le risque réel de l’emprunteur afin de prendre la décision
change pesant sur les entreprises actives à l’exportation. appropriée d’acceptation ou de refus du prêt, et, en cas d’accep-
Se prémunir contre les risques liés à l’insolvabilité des débiteurs tation, de proposer au client une juste tarification des services
est donc devenu un impératif pour tous les prêteurs, qu’ils soient offerts. À ce stade, l’accent est généralement mis sur les cinq
établissement financier, entreprise industrielle ou société « C » de l’analyse du crédit que sont : la Capacité (financière) de
commerciale. Cette généralisation des pratiques et du risque de remboursement de l’emprunteur ; le Caractère, qui a trait à sa
crédit rend nécessaire une bonne compréhension du processus valeur morale et à son intention de rembourser ; le Capital, qui
de crédit, ainsi qu’une connaissance des modèles d’évaluation du reflète sa solidité financière ; le Collatéral, qui fait référence aux
risque de crédit. C’est à cette tâche de vulgarisation que s’attelle garanties que ce dernier peut offrir et les Conditions du marché,
cet article qui par ailleurs analyse la performance relative de représentées par la conjoncture économique générale et secto-
quatre modèles de prévision d’insolvabilité. rielle, et en particulier par le niveau des taux d’intérêt. C’est donc
Le texte continue comme suit : La section 2 traite de la décision dire que se limiter à l’analyse des états financiers de l’emprun-
de crédit. Dans un premier temps, nous décrivons les différentes teur c’est ne faire qu’une partie de l’analyse de la demande de
étapes du processus d’analyse de crédit, en prenant soin de crédit.
mettre en évidence les facteurs qui entrent en jeu lors de l’éva- Les données nécessaires à l’analyse de la situation financière du
luation des demandes de crédit présentées par les clients. Dans client proviendront principalement des états financiers, des
un second temps, nous faisons une revue des modèles d’évalua- agences de notation du crédit et de différentes sources externes.
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1. La décision de crédit 2. La décision de crédit est fondamentale pour toute institution financière. Aussi,
Barrickman (2003) souligne-t-il l’importance et la nécessité pour chaque banque
de bien définir, clarifier et spécifier dans un document écrit tous les règlements
et toutes les politiques internes en matière de crédit. Ces règlements et
1.1. Le processus d’analyse du crédit politiques constituent un plan stratégique pour le dépar tement de crédit. Il
devrait être élaboré par le Conseil d’administration ou, à défaut, par la haute
direction de la banque, en collaboration avec le département de crédit.
Le processus d’analyse du crédit comprend plusieurs phases, 3. Voir Cohen, Gilmoure et Singer (1966), Altman (1980) et Bartlett (2000) pour
dont la plus importante en terme de quantification du risque du d’autres illustrations du processus de crédit).
4. Nous supposons ici que le client va vers le prêteur. Bien que ce soit souvent
client est l’analyse de son dossier de crédit.2 De façon générale, le cas, il est à noter que dans un environnement concurrentiel, où plusieurs insti-
les principales étapes dans la décision de crédit peuvent se tutions se bousculent pour faire des offres au client, cette étape est générale-
ment précédée par une sollicitation de ce dernier. Cette sollicitation peut prendre
résumer comme suit3 :
plusieurs formes : appels téléphoniques, courriers postaux, courriers électro-
– application pour le prêt ; niques, etc. Le but ultime est d’emmener le client à pencher pour les services
offerts par le solliciteur.
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plan d’affaires et des états financiers pro-forma fourniront des 1.2 Les modèles de mesure
renseignements sur les perspectives futures. Toutes ces informa-
tions sont utilisées dans des analyses et/ou modèles de notation
du risque de crédit
« credit scoring » pour déterminer la qualité de la demande de D’après Altman et Saunders (1998), la mesure du risque de crédit
crédit considérée. a énormément évolué au cours des 20 dernières années. Cette
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Le processus d’évaluation d’une demande de crédit corporatif est évolution a été influencée par plusieurs facteurs. Parmi ceux-ci,
plus complexe. Il comprendra de façon générale une analyse de les plus importants sont : une importante augmentation du
l’économie afin d’en déceler les tendances des années futures ; nombre de faillites à travers le monde ; un accroissement de la
une analyse de l’industrie dans laquelle opère l’entreprise désintermédiation financière chez les grandes entreprises (i.e.,
emprunteuse (cycles dans l’industrie, changement dans la un accès direct de celles-ci aux marchés des capitaux), un marché
compétition, innovation technologique…) et de sa position concur- du crédit plus compétitif ; le déclin de la valeur des biens mis en
rentielle dans cette industrie ; une analyse du facteur humain garantie, une forte croissance des instruments financiers hors
dans l’entreprise et de la qualité de la gestion ; une analyse de la bilan (qui ont très souvent leur propre risque endogène de défaut
situation financière de l’entreprise et, s’il y a lieu, une analyse de de la contrepartie). Face au changement du contexte économique
son risque environnemental. induit par cette évolution, les académiciens et praticiens ont
L’évaluation du risque du client (individuel ou corporatif) se réagi : en développant des modèles de notation de crédit plus
termine par la décision d’accorder ou de refuser le crédit. L’étape sophistiqués et des modèles de mesure du risque de crédit des
de la structuration du prêt suit, lorsque la décision est favorable. instruments financiers hors bilan ; en ne s’intéressant plus
Les termes du prêt comprennent entre autres les composantes uniquement au risque de crédit des prêts individuels, mais en
suivantes : le montant définitif du prêt, l’échéance, le taux adoptant une approche portefeuille des modèles de mesure du
d’intérêt et l’échéancier des remboursements ; les frais de risque des prêts.
gestion (si applicables) ; les garanties exigées (si nécessaires) et L’approche portefeuille de la modélisation du risque de crédit
les restrictions imposées au client (Catanach, Kemp et Pettit, prend de plus en plus d’essor, et est aujourd’hui au centre de la
2000 ; Morsman, 2002). majorité des modèles de mesure du risque de crédit. Cette
Le taux d’intérêt exigé est fixé par le banquier à la lumière de tendance ne semble toutefois pas reléguer aux oubliettes les
l’évaluation du risque de crédit de l’entreprise. Plus il est grand, modèles d’estimation du risque, basés sur un score « credit
plus grand devrait être le taux d’intérêt exigé. Toutefois, lors de scoring ». Ceux-ci semblent encore avoir de beaux jours devant
cette étape, l’analyste devrait aussi prendre en considération eux car plusieurs modèles récents sont basés sur les informa-
toutes les caractéristiques spéciales de chaque relation d’affaires tions de marché dont ne disposent pas toujours les emprunteurs
comme l’ancienneté du client, son historique des prêts avec la individuels et les petites et moyennes entreprises.
banque, l’industrie dans laquelle il évolue, sa taille, etc. Les
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dire ceux qui vont honorer leurs créances et ceux qui ne vont pas cerveau humain. Elle reçoit l’information, l’analyse et réagit en
rembourser leur emprunt. Elle se base sur le principe de la transmettant ou non un signal à un autre neurone. La particula-
maximisation de la variance entre les deux groupes tout en rité de la méthode des réseaux de neurones est basée sur le fait
minimisant la variance au sein d’un même groupe. Le modèle qu’elle explore les corrélations potentielles entre les différentes
d’analyse discriminante le plus connu est sans doute celui variables explicatives. Celles-ci sont alors exploitées comme varia-
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élaboré par Altman, Haldeman et Narayanan en 1977 intitulé le bles additionnelles dans la fonction non linéaire de prévision de
« Zeta analysis ». Le modèle logit talonne l’analyse discriminante la faillite. Parmi les études qui ont incorporé l’analyse par réseaux
en terme de popularité. Il utilise un ensemble de variables de neurones dans un modèle de prévision de la faillite, on note
comptables pour prédire la probabilité de défaut future d’un Coats et Fant (1993), Tam et Kiang (1993), Back, Laitinen et Sere
emprunteur, en supposant que ladite probabilité de défaut est (1996), Zhang, Hu, Patuwo et Indro (1999).
distribuée logistiquement : la probabilité cumulée de défaut prend
la forme d’une fonction logistique et est, par définition comprise
entre 0 et 1. 1.2.3. Les modèles intégrant des variables
de marché et l’approche portefeuille
1.2.2. Les modèles de notation de crédit Cette classe de modèles utilise soit exclusivement des données
basés sur l’intelligence artificielle de marché ou les combine avec des données comptables. La
forme la plus simple, est basée sur la théorie des options (Black
L’intelligence artificielle est souvent mise à contribution pour et Scholes, 1973 ; Merton, 1974). La probabilité pour une firme de
discriminer entre les bons et les mauvais dossiers de crédit. Les faire faillite dépend alors essentiellement de la valeur de ses
modèles courants dans ce chapitre incluent : le partitionnement dettes (B), de la valeur marchande de ses actifs (A) et de la volati-
récursif ; l’algorithme génétique et les réseaux de neurones. lité de cette valeur marchande (σA). Ces deux derniers paramè-
Le partitionnement récursif est une technique itérative et non tres sont non observables et sont estimés simultanément. Le
paramétrique. Le modèle prend la forme d’arbre de classification modèle Credit Monitor de KMV appartient à cette catégorie. Il
binaire dont les étapes de construction sont les suivantes : utilise les valeurs de B, A et A pour calculer la distance du défaut
construction d’un univers de questions binaires ; sélection des (DD), laquelle est ensuite traduite en une fréquence de défaut
meilleures questions qui optimisent la classification des entre- anticipée (Expected Defautlt Frequency ou EDF). Cette EDF est
prises en minimisant la fonction d’impureté dans les nœuds calibrée de façon à équivaloir au pourcentage historique de
terminaux ; affectation des nœuds terminaux aux groupes qui défauts empiriquement observé.5
assurent la minimisation des coûts de mauvaise classification. Le Longtemps négligée, la dimension portefeuille est de plus en plus
partitionnement récursif a été appliqué par plusieurs auteurs à la présente dans l’estimation du risque de crédit. Les modèles
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principales caractéristiques de ces différents modèles de risque X6 = Capitalisation boursière/Capital total (Valeur marchande
de crédit du portefeuille. avoir des actionnaires) et
X7 = Log [actif total] (Mesure de la taille).
Plusieurs logiciels ont été utilisés dans le processus. Il s’agit de :
Xlstat pour l’analyse discriminante multivariée ; Cart pour le parti-
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tionnement récursif ; Evolver pour l’algorithme génétique et
Neuroshell pour les réseaux de neurones.
Pour tester l’efficacité des modèles retenus, nous avons eu
recours à la technique de la validation croisée. Elle consiste, lors
de l’étape d’estimation du modèle (encore appelée période
d’apprentissage), à laisser de côté une partie de l’échantillon de
base qui servira par la suite à tester son pouvoir prédictif.
Nous avons divisé les 144 observations de notre échantillon en
six sous-groupes comprenant chacun 24 entreprises, soit 12
entreprises défaillantes et 12 entreprises saines. Chaque modèle
a été testé six fois. Dans chaque test, les données de cinq sous-
groupes (120 observations) ont été utilisées pour estimer les
paramètres du modèle (phase « Apprentissage »). Celles du
Tableau 1. Comparaison des modèles d’estimation du risque de crédit d’un
sixième sous-groupe (24 observations) ont servi quant à elles à
portefeuille.
tester la validité du modèle. Les taux de bonne classification
figurent dans la partie « Test de validation » du tableau associé
à chaque méthode (voir annexes). Pour chacun d’eux, nous avons
2. Données et méthodologie calculé le taux moyen de bonne classification, qui est la moyenne
des six tests de validation croisée. Leur variance a aussi été
de recherche calculée. Elle mesure la stabilité des résultats à travers les six
Un autre objectif de cette étude est de tester l’efficacité relative tests de validation. Finalement, nous avons calculé la perfor-
de quatre modèles de prévision de l’insolvabilité. Cependant, ne mance ajustée, que nous définissons par le ratio du taux moyen
disposant pas de données sur les prêts bancaires, nous avons de bonne classification sur son écart type.
procédé indirectement, en utilisant un échantillon composé
d’entreprises en faillite et d’entreprises saines. Nous avons alors
fait des prévisions de faillite, selon l’hypothèse qu’une entreprise 3. Résultats et analyses
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Tableau 3. Taux de bonne classification pour l’analyse discriminante multivariée. Tableau 4. Taux de bonne classification pour le partionnement récursif.
Tableau 5. Taux de bonne classification pour l’algorithme génétique. Tableau 6. Taux de bonne classification pour les réseaux de neurones artificiels
ciels, avec un taux moyen de bonne classification (calculé à partir l’avantage d’être des modèles non paramétriques, qui ne font
des tests de validation croisée) de 79,86 %. Le deuxième modèle aucune hypothèse quant à la distribution des variables explica-
le plus performant est l’analyse discriminante multivariée avec un tives utilisées. L’analyse discriminante est par contre une
taux de 71,53 %. Il est suivi de l’algorithme génétique (70,08 % méthode statistique paramétrique. Les variables explicatives
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using machine learning. IEEE Expert. p. 71-79.
disposions pas- nous avons procédé indirectement, à travers une
prévision de la faillite. Il serait donc intéressant de reprendre cette Catanach, A.H. Jr., Kemp, R.S., et Pettit L.C. 2000. « Proper Loan
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