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Stratégie d’acteurs
et processus d’introduction
d’outils de contrôle
de gestion en PME
A study of management
© Association Francophone de Comptabilité | Téléchargé le 28/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.121.128.237)
Résumé Abstract
Cette recherche aborde la problématique This research paper deals with the issue of
de l’introduction du contrôle de gestion en introducing management control in Small and
PME en mobilisant l’analyse stratégique de Medium sized Enterprises. To complete existing
Crozier et Friedberg (1977). Une étude de cas research in the field, this piece of research focuses
est menée dans une PME souhaitant formali- on a socio-political perspective by using the
ser et instrumenter sa gestion interne. Deux framework of the Crozier and Friedberg strategic
méthodologies d’accès au terrain sont mobi- analysis (1977). The research is based on a case
lisées : la recherche action puis l’observation study which was carried out within a SME and
participante. Trois tentatives infructueuses mobilized two research methods of access to the
sont successivement lancées et conduisent à la field : action research followed by participatory
démission de deux directeurs administratifs et observation. The analysis of 3 failures encoun-
financiers. Il est mis en évidence que ces échecs tered by the company during the introduction
sont dus aux comportements paradoxaux des of management control tools highlights inherent
acteurs stratégiques de la PME que sont le mechanisms to the development of management
dirigeant et l’expert-comptable. Dans ce cas, control within SME’s. This proved that the inter-
la recherche montre que l’introduction du action between the 3 strategic actors i.e. the Chief
contrôle de gestion par le directeur adminis- Executive Officer, the Chartered Accountant and
tratif et financier est perçue comme une me- the Chief Financial Officer determines the meth-
nace qui vient remettre en question leurs zones ods of introducing management control tools. The
d’incertitude et donc leurs pouvoirs. action of the CFO is perceived as a threat, which
challenges the areas of uncertainty controlled by
the two other actors and questions their power
within the company.
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Introduction
Le Groupe de recherche en économie et gestion des PME (GREPME) souligne dès 1995 la nécessité
de développer des recherches en contrôle de gestion dans le contexte de la PME. De nombreux auteurs
insistent plus particulièrement sur l’intérêt de l’étude de la phase d’introduction du contrôle de ges-
tion dans les organisations (McMahon et Holmes, 1991, Chenhall, 2003, Luft et Shields, 2003).
Trois angles d’analyse peuvent être mobilisés pour appréhender cette thématique : technique, cognitif
ou sociologique. Un premier angle d’analyse technique conduit à s’intéresser aux caractéristiques ins-
trumentales de l’ingénierie de gestion qu’il convient de mettre en place. La dimension cognitive met
en lumière les phénomènes d’apprentissage puisque les conventions et routines en place dans l’organi-
sation devront évoluer lors de l’introduction du contrôle de gestion (Solle, 2001). Un troisième angle
d’analyse privilégie une approche sociologique en mettant l’accent sur le rôle et le comportement des
acteurs. La recherche se positionne dans cette troisième perspective et met en lumière les mécanismes
sociopolitiques dans la mise en œuvre du contrôle de gestion dans les PME. Cette recherche mobilise
l’analyse stratégique de Crozier et Friedberg en partant des acteurs stratégiques identifiés en PME
pour ce processus (le dirigeant, l’expert-comptable et le directeur administratif et financier). Ce choix
théorique trouve également son origine dans les mécanismes observés sur le terrain qui montrent, à
partir de trois échecs, une évolution originale relative à l’introduction d’outils de contrôle de gestion
en PME. Il s’agit du cas de la résistance venant de la dyade dirigeant/expert-comptable alors que ces
mêmes acteurs sont les promoteurs initiaux de l’introduction du contrôle de gestion dans leur PME.
Cette étude de cas permet de montrer toute l’ambiguïté issue de la confrontation entre d’une part
la volonté de rationalisation et de professionnalisation et, d’autre part, la crainte de la dépossession
dans un contexte marqué par une forte personnalisation du management. D’autres champs théo-
riques et notamment celui de l’acteur réseau permettraient d’approfondir le rôle de traducteur joué
par le directeur administratif et financier lors de l’introduction du contrôle de gestion. Toutefois, le
fonctionnement largement informel de la PME laissant une place privilégiée aux individus renforce
l’intérêt de l’analyse stratégique d’autant qu’il existe peu de travaux utilisant cette approche pour
l’étude de l’introduction du contrôle de gestion dans les PME. La problématique de l’article est donc
la suivante : Quels sont les jeux d’acteurs qui se développent dans la PME lors de l’introduction d’un
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le faible nombre de cadres. Quéré (2003) constate que dans sa configuration la plus élémentaire,
la PME s’articule autour d’un dirigeant polyvalent, qui supervise lui-même ses salariés. Il regroupe
souvent, à lui seul, toutes les responsabilités et tous les pouvoirs (Parent, 1978). Dans ce cas, aucun
niveau hiérarchique n’existe entre la direction et les employés. Torrès (2000) justifie d’ailleurs cette
absence de ligne hiérarchique par la très forte proximité qui existe entre les subordonnés et le chef
d’entreprise. Ce dernier fait preuve d’un fort leadership et sa personnalité influence la structure même
de la PME (Bayad et Garand, 1998 ; Santin et Van Caillie, 2008). Le dirigeant de PME est donc très
polyvalent et peu spécialisé (Lavigne, 2002 ; Van Caillie, 2002). Il exprime ses propres idées à travers
les objectifs qu’il fixe à son entreprise (Marchesnay, 1991 ; Plane et Torrés, 2003). Il assume tous les
types de responsabilité : financière, technique, sociale, morale, quelle que soit la forme juridique de
l’entreprise (Wtterwulghe, 1998). Cette spécificité est exacerbée dans le cas d’une entreprise fami-
liale. Ce type d’entreprise a trois caractéristiques essentielles (Sharma, Christman et Chua, 1997) :
la multiplicité des rôles joués par les membres de la famille ; l’influence de l’institution familiale sur
la vie de l’entreprise et l’intention de continuité inter-générationnelle. L’imbrication peut même être
totale entre la famille et l’entreprise (Meyssonnier et Zawadzki, 2008). Le dirigeant ne souhaite pas
formaliser sa vision et déléguer ses pouvoirs, afin de garder une totale autonomie de décision (Kalika,
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avec une entreprise aux caractéristiques proches, appartenant au même marché (équipement de la
personne). Tous les points de distribution sont des succursales, le dirigeant ne désirant pas perdre la
propriété de ses magasins par la mise en place de franchises.
Figure 1
Historique de l’entreprise
105 magasins
480 salariés
40 magasins
CA = 75 millions d’euros
225 salariés
CA = 62
millions d’euros
CA = 25
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Création
d’Alpha Mode 1re croissance 2e croissance Audit organisationnel :
externe externe création d'un poste de
+ 11 magasins + 20 magasins directeur administratif
et financier
1984 n–5 n –2 N
Bien qu’Alpha Mode ait dépassé les seuils quantitatifs de définition de la PME, elle présente néan-
moins les traits caractéristiques qualitatifs de la moyenne entreprise (Reyes, 2004) :
•• La responsabilité personnelle du dirigeant propriétaire (Le Vigoureux, 1997) ;
•• L’omniprésence du dirigeant, la centralisation des décisions, la flexibilité (Hirigoyen, 1981) ;
•• L’insuffisance du système d’information, l’importance des relations interpersonnelles, la commu-
nication informelle, etc.
Ce constat est d’ailleurs confirmé par le dirigeant qui déclare « On est quand même une petite
famille même si on est un grand groupe maintenant ».
mimétisme, en appliquant le mode d’organisation développé par l’entreprise partenaire qui est éga-
lement une PME familiale gérée par des autodidactes. En effet, ce recrutement correspond à un
objectif de structuration de la fonction financière et de pilotage dans une démarche anticipatrice
et non dans un objectif de régulation de dysfonctionnement éventuel. Le directeur administratif et
financier aura en charge la supervision de la comptabilité, la gestion de la trésorerie, l’établissement
des documents annuels, les relations avec les banques, le tout en étroite collaboration avec le cabinet
d’expertise comptable comme le précise la direction au cours des entretiens de recrutement. Il aura
également pour mission de mettre en place, en collaboration avec son assistante, un système de
contrôle de gestion, de résoudre les dysfonctionnements relevés par l’audit, d’apporter une aide dans
les domaines sociaux, juridiques, fiscaux ainsi que d’assister la direction dans ses prises de décision.
L’expert-comptable participe aux entretiens finaux de sélection, au côté de la direction. Le directeur
administratif et financier a été recruté en fonction des critères suivants : sa personnalité, ses préten-
tions salariales et ses compétences techniques. Il a quinze années d’expérience dans le monde indus-
triel en tant que responsable administratif et financier.
les outils sont perçus trop lourds et généraux, techniquement difficiles à maîtriser pour les dirigeants
d’Alpha Mode. Le classement actuel des magasins ne se base que sur le chiffre d’affaires : certains
points de vente caractérisés de « bons » ne sont pas rentables et la démarche budgétaire bouleverse de ce
fait certaines de leurs intuitions. Au niveau de l’acceptation de l’outil, cela apparaît comme un travail
supplémentaire pour les cadres, sans nécessité perçue puisque l’entreprise se développe correctement.
Il s’avère impossible de mettre en place une démarche budgétaire permettant la négociation entre
la direction et les chefs de service des objectifs et des moyens alloués. L’introduction d’un contrôle
de gestion chez Alpha Mode nécessite ainsi une nouvelle démarche qui doit prendre en considération
ces difficultés.
3.2. Une seconde approche orientée qualité pour optimiser les processus
La deuxième tentative de rationalisation s’oriente vers une démarche qualité. L’objectif n’est pas d’at-
teindre une certification mais plutôt de s’inspirer de la démarche d’amélioration continue préconisée
par la norme ISO 9001. Il est décidé de se baser sur les conclusions et recommandations de l’audit
organisationnel mené par le cabinet d’expertise comptable pour formaliser et optimiser les processus :
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rétorque une comptable. Il y a donc un échec explicite de la deuxième tentative de mise en place du
contrôle de gestion qui présente deux caractéristiques.
Suite à ces deux échecs, le premier directeur administratif et financier décide de quitter l’entre-
prise. Il déclare : « Je veux un travail où je peux m’ épanouir, où on me fait confiance. On met les choses en
place à deux, cela ne suit pas dans l’entreprise ».
il n’y ait pas de contrôle de gestion. Ce n’est pas dans leur culture de faire bouger les choses. Au contraire,
ils veulent que ça reste comme cela est actuellement. Ils ne veulent pas changer leur mode de fonction-
nement et ne sont pas prêts pour le pilotage » commente M. Y. Cette troisième tentative s’avère à son
tour être un échec. La figure 2 résume, dans une approche chronologique, les différents événements
intervenus au cours de la période.
Figure 2
Frise chronologique des tentatives
3e
Temps forts
Audit croissance
de l'entreprise
externe
Présence des
directeurs
administratifs DAF1 DAF2
et financiers
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janv. à mai sept. déc. janvier février mars avril mai juin juillet
N N+1
Figure 3
Processus d’introduction du contrôle de gestion chez Alpha Mode
Supervise la démarche
de maîtrise des charges
engagée par l'assistante
du directeur administratif
et financier sur les frais
de personnel, les loyers
et la logisitique
DAF2
notamment
Quitte l'entreprise en
intégrant le plan de
sauvegarde de l'emploi
de l'entreprise achetée
Démissionne après le 2e
échec d'introduction
du contrôle de gestion
de croissance externe
(aspect commercial) Gèrent la croissance
externe (nombre
Projet d'introduction demagasins x 1,75 ;
ducontrôle de gestion : effectif x 1,9)
création d'un poste
de directeur administratif Ne soutient pas la Ne soutient pas la Participe à l'intégration
et financier et d'assistante démarche budgétaire démarche qualité de la nouvelle société
Expert-Comptable
Gère projet de
croissance externe
(aspect financier)
Temps
Confrontée à ces événements, la recherche prend une autre forme. La posture de recherche action
est abandonnée car l’objectif des dirigeants n’est plus d’introduire des outils de contrôle de gestion.
Suivant l’opportunisme méthodique de Girin (1989), le chercheur s’oriente vers de l’observation par-
ticipante afin de poursuivre la relation avec l’entreprise pour tirer des éléments de compréhension du
phénomène observé.
Ces échecs successifs incitent à analyser les jeux d’acteurs pour comprendre les mécanismes empê-
chant l’introduction du contrôle de gestion.
de cette manière par ces deux acteurs puisqu’elles remettaient en cause leurs pouvoirs. Les concepts
centraux présentés dans l’analyse stratégique nous permettent d’éclairer les trois échecs d’introduc-
tion du contrôle de gestion chez Alpha Mode en montrant comment les deux acteurs ont perçu et
vécu ces trois tentatives (cf. figure 4).
Le dirigeant vit l’approche budgétaire comme une remise en cause de l’allocation intuitive des
ressources et de son pouvoir de fixer les objectifs. L’expert-comptable y voit une obligation de partager
son pouvoir d’établissement, d’interprétation et de lecture de la situation comptable et financière de
l’entreprise.
La modélisation des processus est vue par le dirigeant comme une limitation de son intervention
dans tous les services et une remise en cause de ses prises de décisions intuitives. L’expert-comptable y
voit une limitation de son pouvoir de supervision voire d’intervention lié à ses prestations de conseil.
Le dirigeant perçoit l’approche par la maîtrise des charges comme une perte de son pouvoir dis-
crétionnaire favorisant la visibilité de l’allocation des ressources. L’expert-comptable vit cette tentative
comme une remise en cause de son quasi-monopole de lecture et d’explication de la dimension éco-
nomique de l’entreprise.
Pour chacune de ces tentatives, l’acteur qui remet en cause l’équilibre initial entre le dirigeant
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Figure 4
Menaces ressenties par les acteurs stratégiques originels de la PME
lors de l’introduction du contrôle de gestion
Introduction du contrôle de gestion par Perte de son pouvoir de décision, Perte du caractère indispensable
le directeur administratif et financier : déléguée à des responsables et stratégique de ses interventions
budgétaires
Introduction du contrôle de gestion par Perte de la gestion intuitive Perte de la partie « conseil »
le directeur administratif et financier : et du management informel et « maîtrise des risques »
de l’entreprise de ses missions
3e tentative
Maîtrise des charges : Dirigeant Expert-comptable
Pouvoir discrétionnaire pour Supervise la comptabilité
Pouvoir détenu l’affectation des charges (validation de création
de compte PCG…)
Vision globale de la Lecture de la mesure du
Zone d’incertitude contrôlée consommation des charges management économique
l’introduction d’un contrôle de gestion par un directeur administratif et financier. Il a donc adopté
une attitude rationnelle stratégique, ajustée aux opportunités et jeux des autres acteurs, combinant
une stratégie offensive (« saisie d’opportunités en vue d’améliorer sa situation », Crozier et Friedberg,
1977, p. 56) et défensive (« maintien et élargissement de sa marge de liberté », Crozier et Friedberg, 1977,
p. 56). Ses relations de confiance et de proximité avec le dirigeant lui permettent d’être le pilote du
projet de croissance externe, sans l’aide du directeur administratif et financier, dont les avis ne sont
de toute façon pas pris en compte. Ce dernier ne se voit confier par le dirigeant et l’expert-comptable
que des activités opérationnelles (caractéristiques des magasins : chiffre d’affaires, date échéance des
baux, etc.), loin des compétences en finance mobilisées dans ses précédents emplois. Cette situation
permet à l’expert-comptable de maîtriser trois des cinq sources de pouvoir mises en évidence par
Crozier et Friedberg (1977) et Mintzberg (1986) : l’expertise, le contrôle des relations entre l’organi-
sation et son environnement et la proximité du pouvoir. Le dirigeant, quant à lui, maîtrise l’ensemble
des sources de pouvoir, sauf celles de l’expertise, comme le montre le tableau 1.
Tableau 1
Identification des sources de pouvoir de l’expert-comptable et du dirigeant
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L’expertise X
Tableau 2
Identification des sources de pouvoir des acteurs stratégiques
Acteurs stratégiques
L’expertise X X
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L’introduction du contrôle de gestion n’a pas permis un nouvel équilibre entre les sources de pou-
voir des différents acteurs stratégiques ce qui a contribué à ces trois échecs successifs.
Contrairement aux chefs d’atelier de l’entreprise Monopole décrite par Crozier et Friedberg, les
directeurs administratifs et financiers successifs ne veulent pas développer la stratégie rationnelle adap-
tée à la structuration de pouvoir existante, telle qu’elle est conçue par ces auteurs : « À moins de quitter
l’organisation, c’est en acceptant leur situation d’ infériorité, en diminuant leur engagement et en se résignant
qu’ ils arrivent le mieux à tirer leur épingle du jeu » (Crozier et Friedberg, 1977, p. 61). Aucun des deux
directeurs administratifs et financiers successifs ne fait preuve de « participation apathique » (Crozier
et Friedberg, 1977, p. 61) en acceptant la situation d’infériorité dans laquelle ils se trouvent. Sur les
recommandations du dirigeant, certaines activités du directeur administratif et financier doivent être
validées au préalable par l’expert-comptable : modifications de l’architecture de la comptabilité et ana-
lytique, création de subdivision de compte en comptabilité générale, courrier d’informations aux ban-
quiers, etc. Ces éléments tendent à diminuer la légitimité du directeur administratif et financier, même
dans son propre service. « L’expert-comptable aurait certainement préféré recruter quelqu’un de malléable
qui aurait appliqué ses techniques d’audit » ; « Aucun autre directeur administratif et financier n’acceptera
d’ être ainsi mené à la baguette par l’expert-comptable, ni même un responsable administratif et financier »
explique le premier directeur administratif et financier, ce qui conduit à leurs départs successifs.
Le tableau 3 nous permet d’illustrer les propos de Crozier et Friedberg (1977, p. 62) : « l’analyse
empirique du vécu des acteurs permet de déceler, chez chacune des catégories de personnel, l’existence
d’une stratégie dominante stable, autonome et bien caractérisée qui ne pouvait pas être prévue ». L’objectif
affiché pour les trois acteurs stratégiques de la PME est d’introduire un contrôle de gestion (objectif
manifeste). Toutefois, ils vont utiliser leurs compétences (ressources mobilisables) pour dépasser leurs
contraintes apparentes et ainsi développer une stratégie réelle (stratégie paradoxale) différente de celle
affichée, ce afin d’atteindre leurs objectifs latents (conserver leurs marges de manœuvre).
Tableau 3
Analyse stratégique des jeux d’acteurs durant le processus
d’introduction du contrôle de gestion
Objectif Objectifs Ressources Contraintes
Acteurs Stratégies
manifeste latents mobilisables apparentes
L’analyse des stratégies paradoxales développées par les acteurs de la PME lors de l’introduc-
tion d’un contrôle de gestion à la lumière de l’analyse stratégique nous incite à avancer quelques
préconisations.
Ces deux acteurs stratégiques du fonctionnement de la PME confortent les réticences des sala-
riés en cherchant eux-mêmes à conserver leurs marges de manœuvre. Les changements induits par
l’introduction d’un contrôle de gestion sont vécus comme une forme de dépossession de sa propre
entreprise par le dirigeant ce qui remet en cause la primauté de la dimension intuitive de la gestion
des PME.
Face à ce constat, le dirigeant doit se préparer à un changement de posture au sein de son entre-
prise. L’introduction de méthodes objectivantes a forcément une implication sur le mode de mana-
gement et les pratiques de gestion. En particulier, l’introduction d’outils de contrôle de gestion ou
de contrôle organisationnel impose de stimuler une vision à long terme chez les dirigeants, qui dans
la PME sont souvent assaillis par des préoccupations immédiates. De même, il est nécessaire de les
sensibiliser à la dimension sociopolitique du fonctionnement de l’organisation afin d’appréhender la
complexité des rapports entre les acteurs qui sont un élément déterminant pour la réussite de ce type
de projet.
L’expert-comptable doit quant à lui accompagner cette transition. Il sera amené à accepter la
nécessaire coopération avec le directeur administratif et financier, qui à terme deviendra son parte-
naire privilégié et non un concurrent potentiel. Ce changement l’amènera finalement à s’interroger
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Conclusion
La recherche action puis l’observation participante conduite chez Alpha Mode ont permis de démon-
trer que la mise en place d’outils n’est pas neutre. L’introduction du contrôle de gestion se heurte à des
facteurs sociopolitiques liés au rôle des acteurs stratégiques qui peuvent faire échouer la démarche :
les outils ne s’appliquent pas de manière mécanique (Bernoux, 2004). La recherche a mis en évidence
que l’avènement du contrôle de gestion bouleverse les zones d’incertitude contrôlées par le dirigeant
et son expert-comptable. Le contrôle panoptique et clanique du dirigeant ainsi que les prises de déci-
sion centralisées et intuitives sont remis en question. Quant à l’expert-comptable, son influence dans
la gestion interne de la PME risque d’être transférée au directeur administratif et financier. Dans la
PME étudiée, le système d’action concret mis en œuvre par ces deux acteurs pour conserver leurs
pouvoirs a fait échouer les trois tentatives successives d’introduction du contrôle de gestion. Ceci a
conduit à la démission des deux directeurs administratifs et financiers qui n’arrivent pas à trouver leur
place dans la dyade expert-comptable – dirigeant. D’un point de vue académique, cette recherche,
en mobilisant l’analyse stratégique de Crozier et Friedberg, met en évidence une résistance sociopoli-
tique originale. En effet, il ne s’agit pas uniquement de celle des salariés mais également de celle des
dirigeants et de l’expert-comptable, pourtant à l’origine de la démarche. Les relations de pouvoir ne
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