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Le contrôle de gestion des entreprises de taille réduite

François Meyssonnier
Dans ACCRA 2019/3 (N° 6), pages 63 à 82
Éditions Association Francophone de Comptabilité
ISSN En cours
DOI 10.3917/accra.006.0063
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DOI : 10.3917/accra.006.0063

Le contrôle de gestion
des entreprises de taille réduite
Small business management control

François Meyssonnier
IAE de Nantes
Francois.meyssonnier@univ-nantes.fr
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RÉSUMÉ – Une réflexion est menée sur les recherches actuelles en contrôle de ges-
tion des entreprises de taille réduite. L’importance mais aussi les limites du facteur taille
dans la mise en place du contrôle de gestion sont mises en évidence. Les apports des
études sur l’usage des outils de contrôle de gestion dans les PME, sur la structuration
du contrôle de gestion dans les ETI ou sur les modalités du pilotage de la performance
dans les startups sont soulignés. Les questions liées à la nature du contrôle de gestion
dans les entreprises de taille petite ou intermédiaire, à sa structuration comme un sys-
tème ou comme un assemblage et à sa contribution à la financiarisation ou à la ratio-
nalisation de gestion sont abordées. En matière de contrôle de gestion des entreprises
de taille réduite, l’article préconise de développer les connaissances empiriques plutôt
que de multiplier les théorisations successives.
MOTS CLÉS – Contrôle de gestion, petite et moyenne entreprise, entreprise de taille
intermédiaire, startups, état de l’art

ABSTRACT – A reflection is carried out on current research in small business man-


agement control. The importance but also the limits of the size factor in the imple-
mentation of management control are highlighted. The contributions of studies on the
use of management control tools in SMEs, on the structuring of management control
in mid-caps or on the methods of performance management in startups are under-
lined. Issues related to the nature of management control in small and medium-sized
enterprises, its structuring as a system or as a package and its contribution to finan-
cialization or management rationalization are addressed. In the field of small business
management control, the article recommends developing empirical knowledge rather
than multiplying successive theorizations.
KEYWORDS – Management control, small and medium-sized company, mid-cap,
start-up, state of the art

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Le contrôle de gestion des entreprises de taille réduite

Introduction

Dans la période actuelle, la demande sociale en matière de contrôle


de gestion est particulièrement importante dans des contextes qui
représentent des champs d’application émergents, les « nouvelles
frontières » du contrôle de gestion comme le secteur public (admi-
nistrations, hôpitaux, universités, collectivités locales) ou les petites
et moyennes entreprises par exemple. De nombreux articles ont ainsi
évoqué dans ACCRA la difficile mise en place du contrôle de gestion
dans les communes. Notre contribution fait le point pour sa part sur
les recherches portant sur le contrôle de gestion dans les PME, qui
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après avoir été longtemps assez réduites (Mitchell et Reid 2000), se
sont récemment bien développées.
On peut définir les entreprises de taille réduite en substance ou
en énumération. Conceptuellement, il s’agit d’une entreprise indépen-
dante de petite taille où la proximité spatiale, hiérarchique et fonction-
nelle est prédominante. Pratiquement, on classe les PME en prenant en
compte plusieurs critères dont le principal est l’effectif du personnel, ce
qui permet de distinguer les très petites entreprises (TPE) de moins de
10 salariés, les petites entreprises (PE) de 10 à 50 salariés, les moyennes
entreprises (ME) de 50 à 250 salariés. A ces entreprises, on rajoutera
naturellement les entreprises de taille intermédiaire (ETI) entre 250 et
5 000 salariés qui se caractérisent aussi par une taille relativement
réduite.
On peut également définir le contrôle de gestion de la même façon,
en substance et en énumération. Fondamentalement, le contrôle de
gestion est l’ensemble des dispositifs formels garantissant la mise en
œuvre de la stratégie au niveau des processus opérationnels. Cela s’in-
carne dans les pratiques de calcul et gestion des coûts (comptabilité
de gestion et actions d’amélioration de l’efficience), dans le système
budgétaire (prévision annuelle, reporting mensuel, analyse des écarts
et actions correctives, ajustements éventuels des échéances ou des
objectifs), dans le déploiement des tableaux de bord opérationnels
mensuels (dans les services, les départements ou les projets) et straté-
giques annuels (balanced scorecard de la direction) et dans les audits
internes de performance (évaluations économiques d’un investisse-
ment ou d’un projet, contrôle organisationnel périodique in situ d’un

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François Meyssonnier

centre de responsabilité, diagnostic sur la performance d’une entité,


etc.). Tout ceci peut être effectué par un spécialiste (le contrôleur de
gestion) mais peut aussi être mis en œuvre directement par l’équipe de
direction (ce qui est assez fréquent dans les PME où la fonction n’existe
pas toujours).
Nous n’allons pas établir un état de l’art académique exhaustif sur
la thématique du contrôle de gestion en PME. Plusieurs ont été faits
et présentent des synthèses intéressantes, que ce soient les travaux de
Garengo et al. (2005) de Condor (2012) ou de Lopez et Hiebl (2015).
Ces travaux sont par nature amenés à énumérer et décrire les nom-
breux facteurs de contingence qui agissent sur le contrôle de gestion
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en PME. Nous allons développer une synthèse réflexive plus focalisée
sur les particularités du contrôle de gestion des entreprises de taille
réduite d’aujourd’hui et sur les facteurs propres qui distinguent sa mise
en œuvre de celle de l’entreprise « standard ». Pour cela nous présen-
terons le contexte et les spécificités du contrôle de gestion en PME
(partie 1), les déterminants de l’instrumentation (partie 2), les cas parti-
culièrement intéressants des ETI familiales et des startups (partie 3), les
débats actuels et pistes de recherche futures (partie 4).

1.  Contexte et spécificités


La recherche sur la gestion des PME n’accordait traditionnellement
qu’une attention assez limitée au contrôle de gestion (section 1.1.),
mais les chercheurs en contrôle de gestion s’intéressent maintenant
beaucoup aux PME en croissance (section 1.2.) et se reconnaissent
naturellement dans le cadre de référence du cycle de développement
de la PME et de ses seuils, élaboré par Greiner dès 1972 (section 1.3.).

1.1.  L’approche des chercheurs spécialistes de la PME


Historiquement, une communauté de chercheurs en gestion de
la PME s’est progressivement constituée dans la francophonie à par-
tir des premières études de Michel Marchesnay à Montpellier et des
travaux des universitaires québécois de Trois-Rivières. Une association
s’est constituée, l’Association internationale de recherche sur la PME
(AIRPME), avec ses congrès et sa revue, la Revue internationale de la

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Le contrôle de gestion des entreprises de taille réduite

PME (RIPME). On a un développement analogue dans le monde anglo-


saxon autour du courant du Family Business (même si les concepts
d’entreprise de petite taille et d’entreprise familiale ne se recoupent
pas totalement).
Les chercheurs spécialistes de la PME ont été amenés à prendre
en compte les trois pôles de la PME : l’entreprise elle-même en tant
qu’organisation avec sa personnalité morale propre ; le propriétaire-­
dirigeant, qui en a été parfois le fondateur et qui y joue toujours un
rôle déterminant ; la famille qui y a ses intérêts, y défend ses propres
valeurs et dont les membres sont souvent présents à des postes de res-
ponsabilité dans la structure. Ainsi, comme le souligne Bauer (1997), les
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choix exercés se font en combinant des logiques gestionnaire (tournée
le développement de l’entreprise), sociologique (tournée vers l’image
personnelle et sociale du propriétaire-dirigeant) et patrimoniale (tour-
née vers l’enrichissement de la famille).
Ceci amène à une focalisation logique de l’attention sur le com-
portement du propriétaire-dirigeant qui doit arbitrer entre ces trois
logiques. Les travaux de recherche des spécialistes du champ font une
place non négligeable à l’éloge du bon sens des artisans et des com-
merçants et à la valorisation des outils « bricolés » de façon empirique
par les propriétaires-dirigeants pour orienter leurs choix de gestion.
Les entreprises peu structurées, peu outillées, peu rationnalisées mais
florissantes dans des cas particuliers de positionnements pérenne de
niche ou de croissance significativement importante (malgré qu’elle
soit souvent non délibérée mais aspirée par la demande ou les circons-
tances et particulièrement fragile) sont ainsi souvent valorisées.

1.2.  L
 e point de vue des chercheurs en contrôle
de gestion
En général, les chercheurs spécialistes du contrôle de gestion qui se
sont intéressés à la question (Nobre 2001 ; Germain 2005 ; Granlund et
Taipaleenmäki 2005 ; Davida et Foster 2005 et 2007 ; Meyssonnier et
Zawadzki 2008 ; Meyssonnier 2015 a et b ; Barbelivien et Meyssonnier
2018) ont un point de vue un peu différent. Pour eux les fondamentaux
du pilotage de la performance sont universaux même s’il est nécessaire
de les contextualiser dans le cas de la PME, comme on doit le faire dans

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tous les cas. Le contrôle de gestion de la PME n’est donc pas substan-
tiellement différent du contrôle de gestion des autres entreprises dans
ses fondamentaux même s’il peut s’incarner sous des formes adaptées
aux particularités de la PME.
Il est courant de distinguer au sein du contrôle de gestion deux
dimensions différentes : l’aide à la décision d’une part, la contribution
à la convergence des comportements d’autre part. Dans la palette des
outils et pratiques du contrôle de gestion, certains visent à garantir
la qualité des décisions prises par les managers. On peut ranger dans
cette catégorie par exemple les méthodes de calcul des coûts, les tech-
niques de choix d’investissement, les systèmes de gestion des données
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et de data visualisation, les prévisions de trésorerie et de résultat, les
modélisations en seuils de rentabilité, en matrices stratégiques ou des
facteurs clés de succès. A côté de cela, d’autres outils et pratiques visent
plus particulièrement à piloter la performance en intégrant, motivant
et évaluant les acteurs dans l’organisation. Et ici le système budgétaire
est central avec sa préparation, son adoption, son suivi, ses ajuste-
ment éventuels. Le contrôle de gestion par la délimitation des rôles
des managers de l’entreprise, des prix de cession internes entre centres
de responsabilité, des systèmes d’intéressement, des règles de révision
budgétaire, etc. joue alors un rôle déterminant dans la convergence
des comportements.
Bien évidemment, le rôle du contrôle de gestion pour assurer la
convergence des comportements est surtout utile à partir d’une cer-
taine taille quand la supervision directe par le dirigeant devient difficile.
C’est pourquoi les chercheurs en contrôle de gestion s’intéressent plus
aux entreprises qui sont petites momentanément mais qui ont vocation
à grandir et à devenir de plus grandes entreprises (les PME CAP au
sens de Julien et Marchesnay (1987), c’est-à-dire celles pour lesquelles
la croissance passe avant l’autonomie et la pérennité) qu’aux PME par
vocation qui servent essentiellement à fournir un travail et des revenus
à leurs propriétaires-animateurs sans perspective stratégique volonta-
riste de développement (les PME PIC au sens de Julien et Marchesnay
(1987), c’est-à-dire celles pour lesquelles la pérennité et l’indépendance
passent avant la croissance).

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Le contrôle de gestion des entreprises de taille réduite

1.3.  Le cadre de référence des seuils de croissance


La PME étant définie par la taille et les chercheurs en contrôle de
gestion s’intéressant particulièrement aux PME en développement, le
cadre de référence des seuils de croissance (Greiner 1972) est apparu
comme incontournable pour les travaux de recherche sur le contrôle
de gestion en PME. Greiner suggère que, dans son expansion, la PME
suit un cycle qui la confronte régulièrement à des phases clés, des
moments difficiles (les seuils) qui l’amènent à transformer sa structure
et son fonctionnement.
D’abord la très petite ou petite entreprise (TPE ou PE) va avoir un
fonctionnement informel et peu instrumenté sous la supervision directe
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du dirigeant-propriétaire. Pendant cette phase, l’outillage de gestion
est assez réduit en général et on ne trouve pas de contrôle de gestion.
C’est l’expert-comptable externe qui établit les comptes et conseille
souvent le dirigeant en direct.
Si l’entreprise se développe, on arrive à un premier seuil, souvent alors
vers 50 salariés, où le dirigeant ressent la nécessité d’organiser mieux
son entreprise et de formaliser plus sa gestion. Passant d’une petite
entreprise à une entreprise moyenne (ME), le dirigeant-­propriétaire va
mettre en place des procédures plus structurées, va se doter d’outils de
contrôle de gestion, encore épars et rudimentaires, pour l’aider dans ses
prises de décision (le premier rôle classiquement attribué au contrôle de
gestion). Il va aussi fréquemment embaucher ou promouvoir un respon-
sable administratif et financier (RAF) pour l’assister. L’instrumentation
du contrôle de gestion sera généralement incomplète et disparate et il
n’y aura pas forcément de contrôleur de gestion en titre.
Si la croissance de l’entreprise se poursuit, on arrive à un deuxième
seuil, souvent vers 250 salariés nous dit la littérature sur le sujet, où
le dirigeant de l’entreprise, maintenant de taille intermédiaire (ETI),
confronté aux limites de sa disponibilité et de ses compétences va
éprouver le besoin d’embaucher des spécialistes et de déléguer ses
responsabilités. C’est le moment où il met en place des business units
et des services spécialisés. C’est le moment où on va faire appel à
des cadres extérieurs compétents pour les placer à des positions clés
de l’entreprise et pas seulement recourir des promotions internes.
Classiquement, une équipe de direction se forme alors autour du PDG,

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du directeur commercial, du directeur technique ou de la production et


du directeur administratif et financier. Si on décentralise les pouvoirs, il
est aussi naturel de demander des comptes et de mettre en place des
modalités de contrôle des tâches et des résultats. Nous sommes alors
dans la phase de structuration du contrôle de gestion comme un sys-
tème visant à garantir la convergence des comportements dans l’entre-
prise (le deuxième rôle classiquement attribué au contrôle de gestion).
On voit que cette vision semble assez adaptée à la compréhension des
métamorphoses de la PME en croissance, surtout dans ce qui est relatif
à son contrôle de gestion. Pour résumer, on n’aurait pas de contrôle
de gestion significatif en général dans la TPE ou la PE, des linéaments
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de contrôle de gestion tournés vers l’aide à la décision dans la ME et
une structuration progressive du contrôle de gestion assurant la conver-
gence des comportements dans l’ETI. Enfin, l’installation d’un système
cohérent de pilotage de la performance et la mise en place d’une fonc-
tion contrôle de gestion légitime et ayant un minimum d’autorité signe
la fin des particularités liées à la taille en matière de contrôle de gestion.
Malheureusement, les études réalisées n’ont pas toujours abondé
dans cette vision et le modèle des seuils est aujourd’hui souvent criti-
qué. Les recherches montrent que ce séquençage est très variable dans
la réalité, les seuils intervenants avec un très grand écart-type autour
des tailles attendues. D’autres facteurs interviennent donc probable-
ment en matière de contrôle de gestion de la PME. C’est ce que nous
allons essayer d’étudier en examinant la nature précise des dispositifs
de contrôle déployés en PME et les facteurs qui les déterminent.

2.  Les déterminants de l’instrumentation


Les outils du contrôle de gestion ont une diffusion très variable (sec-
tion 2.1.) qui semble dépendre de plusieurs causes (section 2.2.).

2.1.  Les outils du contrôle dans la PME


Nobre (2001) s’est intéressé aux outils du contrôle de gestion en
PME. Il met en évidence l’importance du métier pour la mise en place
des calculs de coûts. Les comptabilités de gestion sont ainsi plus répan-
dues dans les PME industrielles (avec une épaisseur et une complexité

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Le contrôle de gestion des entreprises de taille réduite

de la chaîne de valeur interne), dans les entreprises multi-produits (où il


faut déterminer la performance de chaque activité si on veut dévelop-
per le mix le plus rentable) et dans les activités « à façon » où on doit
établir des devis (qui fondent la profitabilité de l’entreprise sur la qualité
de la prévision des coûts ex ante). Donc en matière de comptabilité de
gestion l’instrumentation dans les PME semble plus corrélée aux carac-
téristiques du métier qu’à la taille.
En matière de budgets là un phénomène de seuil lié à la taille paraît
évident. A partir d’une certaine taille (Nobre parle de 100 salariés) les
budgets sont nettement plus fréquents. Il y a pourtant deux usages des
budgets. Les budgets peuvent servir simplement à ajuster les prévisions
de résultat et de bilan à une évolution des décisions de gestion. Dans
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ce cas la prévision budgétaire est un outil d’aide à la décision qui sert
quel que soit la taille de la PME. Par contre l’usage des budgets comme
un système complet permettant d’assurer la convergence des com-
portements, donc avec reporting et système de contrôle budgétaire
visant à tenir collectivement les objectifs de l’entreprise est lui corrélé
au passage de la supervision directe au management à distance par les
chiffres après le second seuil de structuration du fonctionnement de la
PME, souvent à partir de 250 salariés.
Les tableaux de bord sont très utiles à la gestion de la PME (Germain
2005). Dans les très petites et petites entreprises ils peuvent servir pour
l’exploration des marchés, des opportunités et des offres de valeur de
l’entreprise de façon plus adaptée que les budgets. Ils peuvent être
limités à certains domaines ou englober l’ensemble des dimensions de
la gestion des TPE ou PE. Dans les moyennes entreprises et les ETI, les
tableaux de bord stratégiques sont mis en œuvre en l’absence ou en
complément du contrôle budgétaire. Ils permettent surtout de mesurer
le déploiement des ressources avec des indicateurs avancés de la per-
formance plus que d’assurer la mesure de l’exploitation des ressources,
qui se fait traditionnellement par les indicateurs financiers constatant la
performance dans le cadre des budgets.

2.2.  Les facteurs de contingence du contrôle


Dans les études globales anglo-saxonnes les plus récentes (CIMA
2013 ; Lopez et Hiebl 2015), plusieurs facteurs de contingence en matière
de développement du contrôle gestion en PME sont mis en évidence.

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Bien évidemment, la taille est le premier facteur de contingence qui


apparaît en matière de développement du contrôle de gestion, dans
sa réalisation (constatation objective) et dans l’importance accordée à
l’objectif de croissance (intention subjective). La taille justifie la prise
en compte de la catégorie PME comme élément contextuel majeur en
matière de contrôle de gestion (cf. partie précédente 1.3.). Toutefois
ceci est plus vrai pour la dimension « assurer la convergence des com-
portement » qui s’incarne de façon emblématique dans les budgets
que pour la dimension « garantir la qualité des prises de décisions » qui
s’incarne, par exemple, dans un outil comme la comptabilité de gestion.
En matière d’outils d’aide à la décision, le métier exercé, la com-
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plexité des opérations à gérer et la diversité des produits délivrés
(tout ce qui a trait au couple produits/marchés) sont des éléments qui
poussent à développer les techniques et outils du contrôle de gestion.
Les études de terrain comme celle menée par CIMA (2013) au
Royaume-Uni ou les états de l’art sur l’ensemble de la bibliographie
disponible comme celui mené par Lopez et Hiebl (2015), mettent aussi
en évidence l’importance des compétences maitrisées ou non par
les propriétaires-managers de la PME en matière d’outils de modéli-
sation financière (plus de recours à l’instrumentation quand les diri-
geants ont suivi une formation à la gestion, moins d’appétence pour
l’instrumentation chez les dirigeants autodidactes) et l’influence plus
ou moins significative des parties prenantes extérieures comme les
experts-comptables, les banquiers ou les investisseurs dans la PME (qui
poussent au développement du contrôle de gestion s’ils sont associés
aux choix de gestion).
On peut enfin souligner l’importance des changements d’environ-
nements de la PME dans l’instrumentation du contrôle de gestion. Si
de nouveaux produits sont développés (accroissement de la variété à
gérer), si de nouveaux établissements sont créés (pilotage à distance
nécessaire), si une croissance externe est réalisée (gestion d’une inté-
gration organisationnelle et de la nécessaire mise sous contrôle d’actifs
structurés différemment), en cas de LBO (avec une contrainte finan-
cière accrue et qui devient centrale) ou de baisse de la rentabilité, de
difficultés de gestion rencontrées ou de crise (nécessité de faire face
de façon outillée à l’adversité), alors un besoin accru de contrôle de
gestion se fera jour dans la PME.

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Le contrôle de gestion des entreprises de taille réduite

Pour synthétiser, les principaux facteurs de contingence en PME


semblent donc être la taille bien sûr (les besoins en contrôle de gestion
évoluant au fil de la croissance de la PME) mais aussi, comme dans
les autres entreprises, le métier de l’entreprise (besoins internes assez
stables), les compétences des acteurs (capacités internes évolutives) et
les changements de l’environnement (évènements externes liés à la tur-
bulence du contexte).

3.  Deux terrains particulièrement intéressants


Dans la période récente, deux types d’entreprises de taille réduite
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ont été l’objet d’études développées sur lesquelles nous allons revenir
car elles nous semblent apporter un éclairage nouveau et particulière-
ment intéressant. Il s’agit des entreprises de taille intermédiaires avec
la question de la structuration du contrôle de gestion qui s’y réalise
sous des formes et avec des résultats variables (section 3.1.) et du pilo-
tage de la performance dans les startups et entreprises « gazelles »,
qui représentent un enjeu considérable en matière de développement
économique (section 3.2.).

3.1.  La structuration du contrôle de gestion dans les ETI


Des études emblématiques ont été menées ces dernières années en
France sur le processus de structuration du contrôle de gestion dans
les ETI familiales. Elles s’appuient sur une méthodologie de recherche-­
observation sur la durée, qui est un dispositif de recherche bien adapté
à l’étude d’un processus, celui de mise en place d’un système cohérent
de pilotage de la performance.
Meyssonnier et Zawadzki (2008) mènent une étude dans une ETI
familiale lorraine de la grande distribution qui est devenu un leader sur
son marché. Le retard observé dans la structuration de son contrôle
de gestion et l’échec de sa mise en place au moment où l’étude est
réalisée s’expliquent par le fait que le positionnement stratégique
favorable de l’entreprise sur un segment de clientèle lui procure une
efficacité économique indéniable, que la fonction de production est
réduite (l’entreprise s’approvisionnant en Chine et revendant direc-
tement en France les produits dans un vaste réseau de magasins

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François Meyssonnier

identiques) et que le profil autodidacte des dirigeants contribue à


leur réticence face à des outils non maitrisés. Pour toutes ces raisons
la structuration du contrôle de gestion ne semble pas indispensable
et n’aboutit pas. D’autres interprétations sont ensuite développées
successivement sur le même cas par Nobre et Zawadzki. Si l’explica-
tion socio-politique par l’analyse sociologique des organisation (ASO)
(Nobre et Zawadzki 2013) semble convaincante, leurs explications sui-
vantes psycho-­cognitive avec l’Actor-Network Theory (ANT) (Nobre
et Zawadzki 2015) puis par l’approche de la structuration de Giddens
(Nobre et Zawadzki 2017) convainquent moins. La multiplication des
grilles de lecture reposant sur des modélisations différentes appli-
quées à la même réalité amène à douter de leur pouvoir réellement
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explicatif.
Barbelivien et Meyssonnier (2018) développent une analyse compa-
rée de trois ETI familiales industrielles vendéennes (une des zones de
très fort développement des PME familiales en France avec l’existence
de nombreux districts industriels spécialisés ayant un impact écono-
mique remarquable). L’étude de ces trois entreprises révèle que la taille
n’est pas le principal facteur déclenchant la structuration du contrôle
de gestion, que l’instrumentation est incomplète et que la fonction
contrôle de gestion reste peu puissante (de type « garde-fou » au sens
de Sponem et Lambert 2009).
Ces recherches montrent la difficulté à mettre en place un système
cohérent et efficace de pilotage de la performance dans les ETI fami-
liales et permettent de relativiser l’effet des besoins liés à l’évolution de
la taille de la PME si par ailleurs les autres facteurs de contingence ne
sont pas favorables à la structuration du contrôle de gestion.

3.2.  L
 e pilotage de la performance dans les startups
et les « gazelles »
Les travaux de recherche menés sur le contrôle de gestion dans
les PME aux Etats-Unis dans la période récente portent pour leur part
plutôt sur les entreprises nouvellement créées, fondées sur la science et
potentiellement ou réellement à forte croissance. Ceci est assez logique
dans un pays neuf, où l’esprit d’entreprise est exalté et qui est le foyer
des nouvelles technologies et des GAFAM. Les travaux de référence en

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Le contrôle de gestion des entreprises de taille réduite

matière de contrôle de gestion dans les startups sont essentiellement


ceux menés par Davila et Foster en 2005 et 2007 dans 78 startups
de la Silicon Valley. On peut aussi y adjoindre l’étude de chercheurs
scandinaves sur neuf startups du Nord de l’Europe (Granlund et
Taipaleenmäki 2005).
En France une étude est réalisée auprès de huit PME dans l’éco-­
système des startups nantaises par Meyssonnier (2015 a). Un des
apports importants de cette étude en matière de contrôle de gestion
dans les startups est la distinction qui apparaît entre les PME restées
proche de la science et qui ne produisent pas encore et ne commer-
cialisent pas directement, par exemple les bio-techs qui peuvent res-
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ter sans chiffre d’affaire pendant 10 ans mais en développant leurs
concepts, en validant leurs molécules aux différentes étapes (test de la
non-nocivité sur l’animal, test de la non-nocivité sur l’homme, test de
l’efficacité pour traiter la maladie) et en levant de façon permanente
de nouveaux fonds, et les startups du numériques qui produisent et
vendent assez rapidement. Dans le premier cas le contrôle de gestion
n’est pas vraiment nécessaire alors qu’il l’est dans le second cas quand
il existe une chaîne de valeur interne et qu’on développe les ventes.
Le chercheur tire dix propositions (Meyssonnier 2015b) de ses
observations :
1) Si la startup se développe, elle a tendance à utiliser d’abord des
tableaux de bord de trésorerie et des comptes de résultats tri-
mestriels, puis des tableaux de bord de production et de ventes
hebdomadaire, enfin une comptabilité de gestion, des budgets et
un tableau de bord stratégique.
2) Le contrôle de gestion n’est pas utile s’il n’y a pas de chiffre d’af-
faires (cas plus fréquent qu’on ne le croit surtout dans les pre-
mières années de la startup) ou dans le cas des bio-techs.
3) En phase de démarrage, les investisseurs s’intéressent peu au
contrôle de gestion.
4) Si la startup reste proche de la science, elle déploiera peu l’instru-
mentation du contrôle de gestion.
5) Le développement du contrôle de gestion est limité par la pres-
sion temporelle et le peu de ressources humaines disponibles
dans la startup.

74 ACCRA – 2019/3 – n° 6, septembre 2019


François Meyssonnier

6) Les dirigeants ont en général peu d’intérêt pour le contrôle de


gestion dans les premiers temps de la startup.
7) Le développement des ventes pousse à la structuration du
contrôle de gestion.
8) La mise en œuvre d’une production interne complexe pousse à la
structuration du contrôle de gestion.
9) Les responsables du contrôle de gestion se limitent souvent à un
rôle de « garde-fou ».
10) Le pilotage de la performance est souvent souple, adaptatif et
de type « interactif » dans les startups.
Ces constations méritent d’être recoupées par d’autres études mais
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elles peuvent être utiles concrètement pour les entrepreneurs innovants
qui développent aujourd’hui de nouveaux business models fondés sur
le recours aux technologies innovantes.
Les développements récents des travaux sur le contrôle de gestion
de deux catégories particulières d’entreprises de taille réduite qui se
caractérisent soit par leur mutation structurelle (les ETI) soit par leur
dynamique potentielle ou réelle (les startups) permettent aussi d’éclai-
rer de nouveaux débats plus théorico-conceptuels en matière de
contrôle de gestion de l’entreprise de taille réduite.

4.  Débats et pistes de recherche


Nous allons maintenant nous interroger sur les controverses actuelles
entre chercheurs spécialistes du contrôle en PME. Nous en avons iden-
tifié trois : que doit-on mettre dans le terme « contrôle de gestion de
la PME » ? (section 4.1.) ; ce contrôle de gestion doit-il être abordé
as a system ou as a package ? (section 4.2.) ; le contrôle de gestion de
l’entreprise de taille réduite est-il un facteur de financiarisation ou de
rationalisation ? (section 4.3.).

4.1.  Qu’est-ce que le contrôle de gestion en PME ?


Un certain nombre de travaux de chercheurs (Zawadzki 2014)
décrivent des dispositifs qui sont considérés comme relevant du contrôle
de gestion de la PME, toutefois la possibilité d’un contrôle de gestion

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Le contrôle de gestion des entreprises de taille réduite

de l’exploration, d’un contrôle de gestion fondé sur la confiance ou


d’un contrôle de gestion avec ajustements permanents des objectifs
laisse dubitatif.
Le contrôle de gestion est-il vraiment adapté aux activités en
émergence, aux phases de lancement quand il faut explorer plutôt
qu’exploiter (au sens de Burns et Stalker 1961) ? On peut en douter.
Il nous semble que le contrôle de gestion est par nature le levier du
suivi et de l’optimisation d’un outil de production et de commercia-
lisation existant que l’on peut comparer à des objectifs fondés sur
une modélisation explicite. Si l’appareil productif est en constitu-
tion, si les perspectives sont très aléatoires, si le business model est
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encore adaptatif… alors la mise en place d’un « contrôle » est bien
présomptueuse. Ainsi, en phase d’exploration les budgets sont juste
des outils de prévisions ajustés en permanence à une stratégie émer-
gente et pas la mise en place de reportings et de contrôle budgétaire
strict qui se révèlerait être difficile voire dangereuse. Décrire une réalité
qui relève de la gestion de projets plus que du contrôle de gestion,
en y voyant un contrôle de gestion spécifique de la PME n’est-ce pas
alors se tromper de grille de lecture et dénaturer l’objet « contrôle de
gestion » ?
De même, les travaux qui valorisent un hypothétique contrôle de
gestion fondé sur la confiance qui serait bien adapté à la PME, n’em-
portent pas la conviction. Le contrôle de gestion est par nature formel
(avec des procédures, des outils, de la mesure). Certes, la gestion ne se
cantonne pas aux aspects formels et instrumentaux. Le management
fait une large part aux aspects informels, culturels, aux valeurs et à
l’histoire de l’organisation, à la création de sens. Mais le contrôle de
gestion en est son volet instrumental et formalisé. Et, sauf à jouer sur
les mots, confiance et contrôle sont deux réalités différentes même si
elles ne sont pas systématiquement antinomiques.
Enfin quand on insiste sur l’importance du contrôle interactif (au
sens de Simons 1995) dans les PME avec ses révisions fréquentes
n’est-ce pas galvauder les termes et dénaturer une interactivité qui n’a
de sens que dans une acceptation limitée. Si les révisions budgétaires
sont fréquentes en cours d’année, le reporting mensuel perd beaucoup
de son sens. On ne contrôle plus grand-chose et on n’essaie plus de
mettre en œuvre dans le réel les objectifs budgétaires qu’on s’est fixés

76 ACCRA – 2019/3 – n° 6, septembre 2019


François Meyssonnier

mais on ajuste les objectifs à une réalité qu’on subit. In fine on attein-
dra peut-être les objectifs révisés pour la n-ième fois mais sans que cela
constitue la démonstration d’une maîtrise des processus de gestion mis
en œuvre.
Il semble donc nécessaire de manier avec précaution les concepts et
de ne pas croire découvrir une forme spécifique de contrôle de gestion
de la PME dans certains cas où un contrôle de gestion au sens classique
n’existe pas, souvent d’ailleurs pour de bonnes raisons.

4.2.  C
 ontrôle de gestion as a system
ou as a package
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Il est classique aujourd’hui de distinguer les dispositifs de pilotage de
la performance des organisations en opposant ceux qui fonctionnent
as a system et ceux qui fonctionnent as a package (Ferreira et Otley
2009). Le contrôle de gestion peut être intégrateur et en cohérence
avec les autres pratiques, formelles ou informelles. On considèrera
alors qu’il fonctionne comme un système. Le contrôle de gestion peut
être réduit, coexistant avec d’autres dispositifs et tolérant une dose
d’ambiguïté et des objets-frontières. On considèrera alors qu’il s’agit
d’un assemblage.
Dans les jeunes entreprises « gazelles » fondées sur la science, le
contrôle de gestion est souvent mis en œuvre as a system par des
dirigeants formés au management et technophiles dans des PME
« dénaturées » qui sont gérées comme des grandes entreprises en
miniatures créées ex nihilo. Dans les PME familiales pérennes, possé-
dées par une famille, transmises dans la famille et avec la présence de
plusieurs membres de la famille à la direction de l’entreprise, le contrôle
de gestion mis en place relève beaucoup plus souvent d’une approche
as a package car il doit coexister avec les valeurs et les acteurs de
la famille.
Mais au-delà cette évidence, il nous semble, comme le demandent
Grabners et Moers (2013), que l’étude détaillée des pratiques locales,
consistantes, concrètes et dédiées de contrôle de gestion est une
étape préalable nécessaire avant de caractériser le pilotage de la per-
formance mis en œuvre globalement dans la PME as a system ou as a
package.

ACCRA – 2019/3 – n° 6, septembre 2019 77


Le contrôle de gestion des entreprises de taille réduite

4.3.  L
 e contrôleur de gestion au service
de la financiarisation ou de la rationalisation ?
Un thème est actuellement développé dans la littérature en contrôle
de gestion, celui du rôle actif du contrôleur de gestion au service de
la financiarisation des entreprises (Morales et Pezet 2010 ; Legallais et
Morales 2014). Il s’appuie souvent sur des études menées au sein des
grandes entreprises cotées sur les marchés financiers et souvent mon-
dialisées. Ceci décrit probablement la réalité de ces entreprises mais
n’a pas été constaté dans les études menées dans les ETI en phase de
structuration de leur contrôle de gestion.
Il semble que dans la plupart des cas, le contrôleur de gestion dans
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les ETI soit plus, comme d’ailleurs l’expert-comptable dans les petites
et moyennes entreprises, un acteur de la rationalisation plutôt que de
la financiarisation au sens où il contribue à garantir l’amélioration de la
qualité des prises de décisions qu’elles soient opérationnelles ou stra-
tégiques plutôt qu’à préparer une valorisation financière en vue d’une
cession d’actifs permettant une sortie financière optimale à moyen
terme. Ceci est vrai dans la plupart des cas étudiés par la littérature
consacrée au contrôle de gestion en PME à l’exception notoire du cas
de certaines startups où là effectivement la question de la valorisation
financière et de la sortie des propriétaires fondateurs du capital de l’en-
treprise à l’occasion d’une revente du capital est centrale.
Ce point renvoie aussi à la question de la formalisation de la ges-
tion des PME dans les pays émergents. La réduction de l’importance
de l’économie informelle et souterraine par le développement de la
comptabilité et du contrôle de gestion dans les PME locales est moti-
vée essentiellement par la recherche d’une plus grande efficience des
décisions de gestion des entreprises et l’accroissement de la ratio-
nalité globale du fonctionnement du tissu productif. Le recours aux
documents comptables normalisés et à un contrôle de gestion insti-
tutionnalisé dans les PME représente, mutadis mutandis, un levier du
développement économique en Afrique au même titre que l’accultura-
tion aux bonnes pratiques de gestion nord-américaines mise en place
en Europe avec les missions de productivité liées plan Marshall dans les
années 1950.

78 ACCRA – 2019/3 – n° 6, septembre 2019


François Meyssonnier

Conclusion
Il ressort de ce bref panorama des études et débats actuels en
contrôle de gestion des entreprises de taille réduite quelques enseigne-
ments relatifs à l’objet de la recherche, aux modalités de la recherche
et aux perspectives de la recherche.
En matière d’objet de la recherche, il paraît assez évident qu’en
PME le contrôle de gestion est d’abord et avant tout l’introduction du
management par les chiffres. On dépasse par ce moyen la supervision
directe, l’importance écrasante de la personnalité et du comportement
des propriétaires-dirigeants en faisant sa place à l’instrumentation de
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gestion, aux dispositifs formels, pérennes et rationnels de pilotage de
la performance. L’enjeu central en PME est donc celui de l’introduction,
de l’appropriation et de l’usage des outils classiques du contrôle de
gestion plutôt que leur réinvention hypothétique sous des formes qui
seraient spécifiques aux entreprises de taille réduite (ce que l’on n’ob-
serve pas vraiment). Si Lopez et Hiebl (2015) pensent qu’il faut moins
s’intéresser à l’adoption des outils du contrôle de gestion qu’à leur
adaptation, ils ne le démontrent pas.
En matière de modalités des recherches sur le contrôle de gestion
en PME, le développement des connaissances empiriques des pratiques
et des réalités observables est une nécessité. L’abus des théorisations
plaquées et souvent fragiles des chercheurs peut parfois être un obs-
tacle à l’avancée concrète des connaissances académiques et à des
apports pratiques aux professionnels et acteurs de la gestion des PME.
De ce point de vue, beaucoup de travaux anglo-saxons semblent assez
désincarnées et mettent en œuvre des modèles statistiques appliqués
à des concepts très généraux qui permettent mal de comprendre et
d’agir sur la réalité du terrain. Et beaucoup de travaux français font la
part belle aux modélisations multiples d’essence sociologique dont on
a beaucoup de peine à voir l’apport concret et la preuve scientifique.
Nous plaidons donc pour plus de modestie et plus de recherches appli-
quées dans ce champ, ce qui ne surprendra pas les lecteurs d’ACCRA.
Il est maintenant clair qu’il existe de nombreux facteurs de
contingence en PME et que la taille n’est qu’un des éléments (même
si c’est probablement le plus important) parmi d’autres. Pour dépasser
une vision contingente qui a ses limites, ne pourrait-on aller vers une

ACCRA – 2019/3 – n° 6, septembre 2019 79


Le contrôle de gestion des entreprises de taille réduite

typologie des idéaux-types en matière de contrôle de gestion en PME,


en reprenant une classification à la Mintzberg ? Ainsi on articulerait le
rôle des acteurs et les caractéristiques des outils du contrôle de gestion
de façon concrète et utile pour les professionnels de la gestion des
entreprises de taille réduite.

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