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Regards croisés

L’innovation managériale dans les organisations publiques


Soufyane Frimousse, Jean-Marie Peretti
Dans Question(s) de management 2022/2 (n° 39), pages 147 à 206
Éditions EMS Editions
ISSN 2262-7030
DOI 10.3917/qdm.219.0147
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L’innovation managériale dans
les organisations publiques
Soufyane FRIMOUSSE,
Jean-Marie PERETTI

Les organisations publiques confrontées à la nécessité de se transformer pour réussir leur transforma-
tion digitale, s’adapter aux évolutions sociétales, développer l’engagement des collaborateurs et aux
attentes de toutes les parties intéressées doivent faire évoluer les systèmes organisationnels en déve-
loppant de nouveaux modes de coopération et de collaboration. Dans cette optique, un mouvement de
réorganisation est engagé. Il vise l’amélioration de la qualité du service rendu aux citoyens, la motivation
et la valorisation des agents publics…
L’innovation managériale est ainsi présentée comme l’un des vecteurs de la
modernisation du secteur public. C’est aussi un moyen d’anticiper les évolutions. Innovation mana-
gériale publique est multidimensionnelle, de nature à la fois stratégique, organisationnelle, compor-
tementale, culturelle et instrumentale. Elle semble répondre au besoin des organisations publiques
de dépasser leurs modèles organisationnels devenus non adaptés et de co-construire des systèmes
de gestion renouvelés. L’innovation managériale dans les organisations publiques et privées partagent
certaines convergences. Les organisations, publiques comme privées, peuvent puiser dans la boîte à
outils des innovations managériales en veillant à les adapter à leurs spécificités11. Ainsi, l’émergence
des modes collaboratifs et des applications dédiées appelées Civic Tech montre que la sphère publique
est concernée par la recherche d’innovations au service de la participation citoyenne avec des disposi-
tifs participatifs et digitaux dans le cadre de la démocratie participative digitale22.
Implémenter, stimuler et piloter l’innovation managériale est très complexe car elle demeure
intangible et incertaine. À cela il convient d’ajouter que l’adoption des innovations managériales dans
les organisations publiques peut être ralentie ou arrêtée par diverses barrières. L’innovation managé-
riale est donc un phénomène multidimensionnel, dont la dynamique est déterminée par une diversité
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d’éléments à la fois contextuels, organisationnels, individuels et/ou liés à la dynamique d’innovation
elle-même.
Le succès d’une innovation managériale dépend de la façon dont elle est adoptée et adaptée aux
spécificités de l’organisation publique. Il est donc apparu opportun de poser à des experts, praticiens
et chercheurs, la question : « Quels marqueurs de l’innovation managériale dans les organisations
publiques ? »
104 enseignants-chercheurs, dirigeants d’entreprise, DRH, responsables opérationnels, experts et
consultants dans 15 pays – Algérie, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Canada, Côte d’Ivoire, Gabon, Ita-
lie, France, Liban, Maroc, Russie, Sénégal, Suisse, Tunisie – ont accepté de répondre à cette question
et de croiser leurs regards.
Merci à Abdelwahab AÏT RAZOUK, Boualem ALIOUAT, Christophe ASSENS, Zeyneb ATTYA, Hervé
AZOULAY, Olivier BACHELARD, Armand Polycarpe BASILE GBEDJI, Mustapha BELAIDI, Moez BEN
YEDDER, Charles-Henri BESSEYRE des HORTS, Mustapha BETTACHE, Maëlys BEULQUE, Mireille
BLAESS, Cynthia BLANCHETTE, Ben BOUBAKARY, Jean-Pierre BOUCHEZ, Natalia V. BOUROVA,

1 Autissier D., Métais-Wiersch E., Peretti J.-M. (2019), La boîte à outils de l’innovation managériale, Dunod.
2 Autissier D., Debrosse D., Lehmann V., Métais-Wiersch E. (2019), Démocratie participative digitale, Éditions EMS.

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REGARDS CROISÉS

Jérôme CABY, Philippe CANNONE, David CARASSUS, Nathalie CHARTON, Mireille CHIDIAC El HAJJ,
Philippe CLERC, Yves CLOT, Nathalie COMMEIRAS, Giovanni COSTA, Denis CRISTOL, Patricia DAVID,
Anne-Marie de VAIVRE, Bruno DUFOUR, Christine DUGOIN-CLEMENT, Jean-Marc DULOU, Michelle
DUPORT, Jean-Jacques EKOMIE, Christophe FAVOREU, Driss FERAR, Jean-Marie FESSLER, Fabrice
FORT, Yassine FOUDAD, Jean-Michel GARRIGUES, Baï Judith M. GLIDJA, Laurent GRANDGUILLAUME,
François GUEUZE, Mohamed HARAKAT, Driss HELMI, David HURON, Abdelkader JAMAL, David
JANELA, Carole JEAN-AMANS, Philippe JEAN-AMANS, Souleymanou KADOUAMAÏ, Assya KHIAT,
Bertin Léopold KOUAYEP, Arnaud LACAN, Hubert LANDIER, Graziella LUISI, Dominique MARIANI,
Roula MASOU, Mohammed MATMATI, Bachir MAZOUZ, Olivier MEIER, Laurent MERIADE, Ange
MEZZADRI, Romain MORETTI, Frédéric MORTINI, Hassan MOUHEB, Jean-Louis MOULINS, Gambetta
Aboubakar NACRO, Hervé NDOUME ESSINGONE, Hadj NEKKA, Florent NOËL, Joseph NZONGANG,
Viviane ONDOUA BIWOLE, Gillian ORIOL, Hugues PERINEL, Yvon PESQUEUX, Frédéric PETITBON,
Jean-Jacques PLUCHART, Nadezhda N. POKROVSKAIA, Magdalena POTZ, Elena de PREVILLE, Sana
QARROUTE, Yann QUEMENER, Yoann QUEYROI, Martin RICHER, Marie-Noëlle RIMAUD, Madina
RIVAL, Khaled SABOUNÉ, Arnaud SCAILLEREZ, Marie José SCOTTO, Hervé SERIEYX, Patrick
STORHAYE, Charles STRABONI, Alain TAKOUDJOUÉ NIMPA, Jean-Guy TALAMONI, Nino TANDILASH-
VILI, Jean-Paul TCHANKAM, Nathalie TESSIER, Lassana TIOTE, Jordan TOURNOIS, Oumar TRAORÉ,
Stéphanie TRILLE, Christian VAUDAUX et Gilles VERRIER.
Abdelwahab AÏT RAZOUK et Yann QUEMENER expliquent comment gérer les tensions de l’innovation
managériale des entreprises publiques. Boualem ALIOUAT affirme que l’innovation managériale n’est
en rien distinctive de l’une ou l’autre des formes d’organisation publiques ou privées. Pour Christophe
ASSENS, il s’agit d’innover en plaçant au centre de l’organisation publique le citoyen. Zeyneb ATTYA s’in-
terroge sur les défis liés à l’innovation managériale. Hervé AZOULAY incite à la déviance positive. Pour
Olivier BACHELARD, il s’agit d’une mosaïque fragile soumise à de fortes tensions. Armand Polycarpe
BASILE GBEDJI milite pour une organisation publique performante. Mustapha BELAIDI souligne le rap-
prochement avec les lois du marché. Moez BEN YEDDER incite à faire du management public un mana-
gement socialement responsable. Charles-Henri BESSEYRE des HORTS présente quelques marqueurs
de l’innovation managériale. Mustapha BETTACHE insiste sur la créativité et le sens. Maëlys BEULQUE
propose les étapes de l’implémentation. Mireille BLAESS revient sur l’importance de la solidarité et de
la transparence. Cynthia BLANCHETTE interroge la nécessite du besoin d’innovation managériale.
Ben BOUBAKARY met en lien succès et innovation managériale. Jean-Pierre BOUCHEZ explique
comment combiner innovation managériale et innovation publique. Natalia V. BOUROVA propose une
approche inclusive élargie. Jérôme CABY milite pour un service public au service du public. Philippe
CANNONE parle d’oxymore à tiroirs. David CARASSUS insiste sur le leadership partagé. Nathalie
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CHARTON souligne l’importance d’être au service de la qualité de vie au travail. Mireille CHIDIAC El
HAJJ revient sur la nécessité d’intelligence collective. Selon Philippe CLERC, l’innovation managériale
dans les organisations publiques est à ré-inventer. Yves CLOT évoque une « coopération conflictuelle ».
Nathalie COMMEIRAS indique que pour pallier les dysfonctionnements de l’hôpital, les cadres de santé
innovent. Giovanni COSTA évoque l’innovation des routines et innovation comme routine.
Pour Denis CRISTOL, les idées des innovateurs publics sont combattues comme de mauvaises herbes
dans le champ bien organisé de l’administration. Patricia DAVID et Nathalie TESSIER incitent les mana-
gers des organisations publiques à franchir le rubicon. Anne-Marie de VAIVRE souhaite une réelle prise
en compte de la santé mentale. D’après Bruno DUFOUR, l’innovation dans le management public est
plus un enjeu qu’une controverse. Christine DUGOIN-CLEMENT rappelle que les réformes managé-
riales dans le secteur public sont impératives et incontournables. Pour Jean-Marc DULOU, l’innovation
managériale ne doit pas faire perdre de vue le sens de l’engagement des collaborateurs, au risque d’y
perdre l’âme de l’organisation publique.
Michelle DUPORT souligne que l’innovation managériale suppose avant tout des managers et du mana-
gement mais aussi une vision et une compréhension fine des organisations. Jean-Jacques EKOMIE
présente cas issu de la gestion des usagers dans les organisations publiques gabonaises. Christophe
FAVOREU et Yoann QUEYROI indiquent que les organisations publiques doivent promouvoir et accom-

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pagner les phénomènes d’expérimentation, d’apprentissage, de perception et de construction de sens
autour des pratiques innovantes.
Driss FERAR interroge la faisabilité de l’innovation managériale dans les organismes publics. Selon
Jean-Marie FESSLER, le bien commun et les services à rendre à toutes et tous ne peuvent se prêter aux
modes managériales qui, trop souvent, déstabilisent inutilement des fondamentaux du management.
Pour Fabrice FORT, le nouveau management public constitue un changement de paradigme dans la
gestion des politiques publiques. Yassine FOUDAD met en lien management public, développement
durable et responsabilité sociétale des organisations. Jean-Michel GARRIGUES analyse les injonctions
paradoxales liées à l’innovation managériale. Baï Judith GLIDJA rappelle que les règles de bonne ges-
tion font souvent obstacles à l’émergence de l’innovation qui est par nature un processus long, incertain
et à haut risque. Laurent GRANDGUILLAUME explique le nécessaire passage de l’école du centralisme
à l’école du pragmatisme. François GUEUZE souligne que les entreprises découvrent depuis peu la
notion d’entreprise à mission. Ce n’est pas pour que le secteur public l’oublie dans sa quête de la per-
formance. Mohamed HARAKAT donne des recommandations pour accompagner l’innovation managé-
riale. Driss HELMI évoque la transformation digitale et l’agilité organisationnelle dans les organisations
publiques. David HURON situe le citoyen et l’évolution de la demande sociale au cœur de l’innovation
managériale publique. Abdelkader JAMAL présente les défis et enjeux de l’innovation managériale dans
les entreprises publiques algériennes. David JANELA et Elena de PREVILLE suggèrent de passer d’un
management des agents à un leadership de la coresponsabilité. Philippe JEAN-AMANS et Carole JEAN-
AMANS expliquent le passage de l’innovation technologique à l’innovation collaborative.
D’après Souleymanou KADOUAMAÏ, l’adoption des Normes Comptables Internationales du Secteur Pu-
blic (NCISP) oblige à préciser comment leur adoption contribuerait à marquer l’innovation managériale
effective dans les organisations publiques des État africains. Assya KHIAT insiste sur le changement de
paradigme. Bertin Léopold KOUAYEP présente les pratiques interactionnistes dans les entreprises afri-
caines. Arnaud LACAN estime que seul un manager leader est capable de mettre en place un manage-
ment tout à fait pertinent pour l’organisation publique et ses agents. Hubert LANDIER rappelle que les
chiffres ignorent l’essentiel et qu’il faut donc et au plus vite, en finir avec « l’innovation managériale »
dans les services publics pour y substituer d’autres critères de bonne gestion, qui restent en grande
partie à inventer. Selon Graziella LUISI, il faut avoir des pratiques centrées usagers pour innover dans les
organisations publiques. Dominique MARIANI met en garde contre une hybridation porteuse d’un risque
allogénique ou xénogénique. Pour Roula MASOU, il s’agit de choisir entre valeur et coût. Mohammed
MATMATI s’interroge sur l’efficacité des cabinets de conseils dans l’administration publique. Bachir
MAZOUZ analyse les tensions de gouvernance. Olivier MEIER pousse à un renouvellement des actions
et pratiques en matière de management public.
Laurent MERIADE plaide pour une culture raisonnable et raisonnée du chiffre dans le management
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public. Pour Ange MEZZADRI, l’innovation réelle ne peut s’inscrire que dans un cadre éthique. Romain
MORETTI souligne le passage du sens du devoir au sens de la performance. Fréderic MORTINI revient
sur les nouvelles modalités de travail engendrées par la crise Covid. Hassan MOUHEB donne trois orien-
tations pour innover dans la fonction managériale de la fonction publique. Pour Jean-Louis MOULINS,
c’est aux réponses apportées aux besoins d’appartenance, de reconnaissance et d’accomplissement
de ces derniers que devrait aussi se mesurer la performance des services publics.
D’après Gambetta Aboubakar NACRO, l’assurance qualité, la collecte et la correction des dysfonc-
tionnements et des insatisfactions des parties prenantes, devront constituer des marqueurs majeurs
d’innovation managériale. Hervé NDOUME ESSINGONE indique que la contingence socio-anthropolo-
gique marque l’innovation managériale dans les organisations publiques africaines. Hadj NEKKA évoque
les difficultés de mise en œuvre. Florent NOËL identifie quelques solutions : retrouver la raison d’être,
restaurer la confiance, remettre au centre le travail et la compétence, tenter l’autonomie, arrêter de
compter… Joseph NZONGANG et Alain TAKOUDJOU NIMPA reviennent sur la nécessité d’intensifier
la relation client. Viviane ONDOUA BIWOLE et Jean-Paul TCHANKAM analysent le mythe du couple
rationalité-efficacité. Gillian ORIOL présente les défis et les perspectives de l’innovation managériale.
Hugues PERINEL indique qu’il s’agit d’un un processus d’amélioration continue de l’organisation impli-
quant les agents, comme les managers et de les impliquer en interne dans une démarche de responsa-

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REGARDS CROISÉS

bilité durable. Yvon PESQUEUX évoque la fin du New Public Management. Frédéric PETITBON incite à
démarquer les castes et marquer la confiance. Selon Jean-Jacques PLUCHART, la notion d’innovation
managériale recouvre un phénomène complexe reposant sur des principes à la fois dialogique, récursif
et hologrammatique.
Nadezhda N. POKROVSKAIA insiste sur l’importance des valeurs pour la vie au travail et l’allocation des
ressources humaines impliquées. Magdalena POTZ souligne l’importance de la co-création. Pour Sana
QARROUTE, le secteur public n’a pas le choix, il doit innover. Martin RICHER revient sur les principes du
Guide Mieux manager pour mieux soigner. Marie-Noëlle RIMAUD présente les politiques touristiques
avec un mille-feuille territorial et la clause de compétences partagées. D’après Madina RIVAL, l’inno-
vation publique suppose une ouverture à des acteurs très divers qu’ils soient issus du secteur privé
comme du secteur public. Khaled SABOUNÉ interroge la faisabilité de l’innovation managériale dans le
secteur public. Pour Arnaud SCAILLEREZ, l’innovation managériale revient alors à croire en soi, autant
qu’aux autres et donner pour recevoir en retour. Marie José SCOTTO et Jordan TOURNOIS soulignent
que les outils du NMP issus pour la plupart, du secteur privé, ne peuvent que difficilement, ou ne pas
être transposés sans une réflexion approfondie. Selon Hervé SERIEYX, l’irruption, tous azimuts, de
l’incertitude a rendu et rend de plus en plus nécessaire l’invention d’un management public qui va devoir
tenir compte de l’évolution à géométrie variable de la place de l’action publique dans le pays.
Patrick STORHAYE indique l’importance du rôle et la fonction avant le statut. Charles STRABONI met
le management public à l’épreuve du chiffre. Jean-Guy TALAMONI affirme que l’engagement des élus
est la condition sine qua non de l’innovation. Nino TANDILASHVILI évoque le paradoxe de l’innovation
managériale dans les organisations publiques. Lassana TIOTE analyse les caractéristiques de la per-
formance de l’administration publique africaine. Oumar TRAORÉ insiste sur le temps des remises en
question. Pour Stéphanie TRILLE, la fonction publique est amenée à devenir un laboratoire de l’innova-
tion managériale au service de ses usagers. Christian VAUDAUX plaide pour une réconciliation qualité
du travail et qualité du service public. Pour Gilles VERRIER, c’est l’animation du sens qui est le moteur
potentiel des organisations publiques.
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Gérer les tensions de l’innovation managériale
des entreprises publiques
Abdelwahab AÏT RAZOUK, MCF, Université Rennes 2, Liris/LEGO
Yann QUEMENER, Enseignant-chercheur, Brest Business School, Laboratoire du LEGO
L’innovation managériale se définit comme de « nouveaux programmes et pratiques affectant la straté-
gie, la structure, les processus managériaux et la prise de décision […] dont l’adoption vise à modifier
le système administratif et le travail de gestion » (Damanpour et al., 2018). Elle s’est progressivement
imposée dans les organisations publiques au travers du Nouveau Management Public (NMP) et du
post NMP. Ce courant est considéré comme un mode de management participatif et transversal dont
l’objectif est d’améliorer l’efficacité et l’efficience des organisations publiques. Cette transformation a
notamment, reposé sur l’implication des managers intermédiaires (MI) qui ont joué un rôle crucial dans
sa mise en œuvre. Néanmoins, si la transformation organisationnelle a permis aux MI d’adopter de nou-
velles compétences d’animation, de facilitation et de conseil, elle a aussi été porteuse de risques. Les
MI se trouvent souvent tiraillés par un ensemble de tensions génératrices d’inconfort psychologique
et de perte de sens : coexistence de la culture marchande et de la culture de service public ; primauté
du triptyque qualité-coûts-délais, etc. Ces tensions constituent un point de vigilance à surveiller pour
éviter qu’elles ne se transforment en contradictions permanentes et ne freinent l’innovation managé-
riale. Les modes de gestion des tensions sont nombreux et l’on peut retenir par exemple l’instauration
d’espaces de concertation. Ces espaces forment un lieu où se discutent les choix stratégiques mais
aussi les opérations, afin d’éclairer les décisions et mettre en évidence les points de convergence et
de tensions, dans la construction d’un projet de transformation (Anton et al., 2021).

Quand les organisations « Janus » innovent


Boualem ALIOUAT, Professeur, Université Côte d’Azur
Les organisations publiques structurent leur offre de biens ou de services autour des notions d’intérêt
général ou d’intérêt commun. Même si le bien commun semble relever désormais des impératifs impo-
sés à toute forme d’organisation, qu’elle soit publique ou privée. Joseph Bower avait, en ce sens, tout
à fait raison de distinguer deux formes de leaderships – technocratique et politique – pour différencier
deux comportements, davantage que deux types d’organisation : une rationalité orientée vers la perfor-
mance et une autre davantage orientée vers l’intérêt des parties prenantes. C’est de ces deux formes de
leaderships que la créativité organisationnelle relèverait en réalité. L’innovation managériale des organi-
sations publiques porte alors en elle des marqueurs en termes de connaissances, de compétences, de
ressources, de capacités, de culture organisationnelle, de spécificités individuelles et organisationnelles
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et même de facteurs d’environnement. Ces marqueurs relèvent d’une sémiotique en rupture de sens
tout à la fois managériale et politique. L’esprit « corporate », la culture « de l’efficience budgétaire », le
« lean management », les indicateurs de performance… sont dorénavant des langages courants dans
les organisations publiques qui oscillent entre rationalités politique et managériale. L’inverse est vrai.
Les organisations privées s’emploient toujours à valoriser des rationalités politiques (contraintes ou vou-
lues) pour une quête de sens, de légitimation ou de bien commun dont les dividendes ne sont pas
négligeables compte tenu des pressions qu’exercent les sphères juridiques et normatives en matière
d’éthique, d’environnement ou de bien commun. La complexité des mécanismes de développement de
la créativité organisationnelle en tant qu’auto-éco-ré-organisation ne doit donc négliger, pour les orga-
nisations publiques, comme pour les organisations privées, aucun élément clé : l’enchâssement des
leaderships technocratique et politique, l’encastrement des compétences individuelles et collectives (le
fameux esprit « corporate »), l’apprentissage permanent en tant que processus continu de création de
connaissances nouvelles, le déploiement de ressources tangibles et intangibles, et des capacités dyna-
miques (comme pour les organisations privées), des styles de management ou de leadership appropriés
à l’émergence de la motivation et de l’engagement et enfin le passage d’une culture d’usagers passifs à
une approche orientée client ou marché, car les sollicitations de l’environnement sont un facteur essen-
tiel de l‘innovation managériale. L’innovation managériale n’est donc en rien distinctive de l’une ou l’autre
des formes d’organisation publiques ou privées, toutes deux « Janus » en réalité.

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REGARDS CROISÉS

Innover pour servir : un oxymore ?


Christophe ASSENS, Professeur, ISM-IAE, UVSQ, Université Paris Saclay
Une organisation publique a pour vocation de protéger la vie, défendre la liberté et la propriété de cha-
cun, administrer les biens universels au service de tous. Pour assurer ces missions, le management
public navigue souvent entre deux écueils : le syndrome bureaucratique étouffant la décision politique
et la responsabilité managériale par une surcharge réglementaire ; le syndrome libéral consistant
à transposer par copier/coller les recettes du secteur privé au risque de perdre le sens de l’intérêt
général. Il convient d’imaginer une autre perspective managériale en valorisant le mérite, l’effort, le
dévouement et l’esprit d’initiative des fonctionnaires dans une gestion personnalisée des ressources
humaines. L’animation des équipes doit remplacer le contrôle par la confiance pour favoriser le décloi-
sonnement administratif et la collaboration à tous les niveaux, en incitant à prendre des décisions par
subsidiarité au contact du citoyen, en simplifiant fortement les règles bureaucratiques, et en rempla-
çant les procédures par des plateformes digitales jouant le rôle de guichet unique. Il s’agit d’innover
en plaçant au centre de l’organisation publique le citoyen, tout en valorisant les missions des fonction-
naires dans une logique d’entrepreneuriat public aux antipodes de la rente statutaire.

L’innovation managériale dans les organisations


publiques : lubie ou impératif ?
Zeyneb ATTYA, Consultante RH, Présidente HR EXPO, Tunisie
L’évolution sociétale, l’impact de la pandémie et de la crise sanitaire, l’environnement VUCA, la néces-
sité de trouver du sens dans ses activités et de s’accomplir, l’impératif de la performance mais aussi
le principe de la coresponsabilité ont forcé les acteurs des organisations publiques à adopter un nou-
vel état d’esprit, de nouveaux rôles et de nouveaux comportements. En rupture avec les fondamen-
taux du management traditionnel consacrant une stricte division du travail, une hiérarchie verticale
avec une forte rigidité et une distanciation autoritaire avec les employés ainsi qu’une forte opacité des
informations et une faible communication, l’innovation managériale s’est imposée à toutes les orga-
nisations. Apprendre à désapprendre et à réapprendre en se basant sur des piliers fiables et solides
et en s’appropriant de nouvelles postures pour réformer certains paradigmes du management tradi-
tionnel voilà des marqueurs fiables de l’innovation managériale dans les organisations. Lors de la 8é
édition de HR Awards organisée par l’Association tunisienne des responsables de formation et ges-
tion humaine dans les entreprises une organisation publique tunisienne jouant un rôle économique
important dans la politique de développement de la Tunisie la STB (Société Tunisienne de Banque) a
été primée en deuxième position pour tous les efforts consentis en matière de valorisation du capital
humain, conduite du changement et notamment en matière d’innovation managériale. Suite à l’audit
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effectué et aux entretiens menés en binôme avec un collègue il m’a semblé pertinent de prendre en
exemple le cas de cette organisation publique pour mettre en exergue les marqueurs de l’innovation
managériale mis à contribution dans ce contexte de crise sanitaire et post crise. Cette banque créée
en 1958 dotée de 149 agences avec un effectif de 1 864 employés a été confrontée à la nécessité
d’un programme d’assainissement et de restructuration en 2021 et a su affirmer une position clé en
initiant un vaste programme d’innovation par le biais de plusieurs actions et projets, en transformant
ses pratiques managériales, en diffusant une nouvelle culture pour s’approprier de nouvelles valeurs
et en instaurant un nouveau mindset. Les principaux projets ont tourné autour de plusieurs axes :res-
tructuration de toutes les unités de la direction centrale des ressources humaines et réorganisation
des directions affiliées :direction de gestion du capital humain, direction du bien-être social, direction
du développement des compétences et gestion des carrières, de même création d’une direction de
la RSE directement liée à la DG compte tenu de son importance, lancement d’une vaste campagne
de recrutement de jeunes diplômés, mise en place d’un programme de Knowledge Management
en cherchant à capitaliser sur la gestion des acquis et savoirs et en encadrant les nouvelles recrues,
lancement d’un programme de renforcement des capacités et organisation d’ateliers sur la culture
d’entreprise et la diffusion de nouvelles valeurs, programmes de coaching et accompagnement des
managers et responsables d’unités.

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Mais les efforts entrepris ont été soutenus en engageant un plan de conduite du changement qui a
pu se caractériser par la mise en place de nouvelles pratiques managériales, l’émergence et la déma-
térialisation d’un leadership libérateur et le développement de nouveaux modes d’organisation du
travail. Le statut des travailleurs eux-mêmes, leur espace de travail, leur bien-être, leurs conditions
de travail, leur santé ont également été pris en compte. C’est ainsi que ces avancées sociales ont pu
profiter à cette banque publique.
Dans le cadre de l’audit effectuée les employés et collaborateurs de la STB ont assuré qu’ils avaient
compris qu’ils étaient devant une situation inédite et qu’il fallait réagir tout de suite. Ainsi il s’agissait
de prendre soin de la santé de toutes et de tous faire preuve d’empathie et de solidarité et faire des
efforts pour affronter la complexité émergente. Des actions concrètes et immédiates s’imposaient à
savoir : faire évoluer les pratiques de management, instaurer le principe de la coresponsabilité, privi-
légier la confiance et la créativité, tirer profit de l’intelligence collective et mettre en œuvre la collabo-
ration et la coopération. Dans la première période de la crise le management s’est attaché à prendre
soin des collaborateurs et de leurs proches, à implémenter de nouveaux modes de travail par le biais
de la transition digitale et le télétravail. La continuité de l’activité a été assurée avec un encadrement
très serré de la part des unités de la DCRH. Il fallait rassurer, protéger et gérer la démotivation des
collaborateurs, faire preuve de résilience individuelle et collective pour aboutir à un réajustement de
l’organisation. En fait pour relever de nouveaux défis il fallait de toute évidence adopter de nouveaux
rôles et s’approprier de nouvelles postures. Humaniser l’organisation, communiquer en continu et en
toute transparence et susciter l’envie de travailler figuraient dorénavant parmi les priorités des mana-
gers. Mais ces nouveaux réflexes, nouveaux comportements et nouvelles attitudes à l’interne ont
aussi impacté le rôle de la STB à l’externe. Ainsi elle a affirmé son soutien au développement durable
et a prouvé que la croissance économique ne peut être assurée que par la conciliation des facteurs
économiques, sociaux et environnementaux. Sa responsabilité économique et financière multidimen-
sionnelle s’est déclinée sur plusieurs facettes environnementales, sociétales et inclusives. Un projet
phare baptisé Network Economic Organisation NéO by STB a été entrepris en juillet 2020 et a pu
constituer le principal pilier économique de la responsabilité sociétale de la banque. Dans ce projet Il
s’agissait de mettre en maillage sectoriel des PME et des startups en les aidant à se fixer des objec-
tifs pertinents et à se hisser à des niveaux intéressants d’innovation et de création de valeur. En étant
à l’écoute de ses clients pour comprendre leur stratégie et les accompagner dans leur transformation
digitale, leur transition énergétique et écologique la banque a engagé une démarche participative et
les a incités à percevoir les risques environnementaux, sociaux et disruptifs comme des opportunités
à saisir. Elle s’est donc fixé comme objectif d’assumer une mission sociétale d’envergure à travers
sa contribution à monter un tissu dense d’entreprises qui résistent au mieux aux chocs économiques
et assurent leur continuité dans un monde en rupture. Pour revenir aux marqueurs de l’innovation
managériale dans les organisations publiques et dans ce cadre la STB peut constituer un bon exemple
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de conduite du changement et impulser des initiatives similaires. Aujourd’hui et dans ce nouvel éco-
système l’innovation managériale devient une nécessité et tout dirigeant charismatique doit s’y sou-
mettre pour permettre à son organisation de survivre et d’aspirer à la pérennité.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 153


REGARDS CROISÉS

L’innovation managériale dans l’organisation


publique : une désobéissance qui a réussi ?
Hervé AZOULAY, chef d’entreprise
Nos organisations publiques souffrent de bureaucratie du fait d’une hiérarchie pesante liée aux orga-
nisations pyramidales d’un autre âge avec l’attribution stricte des tâches, la formalisation et sur-
tout un manque d’efficacité et d’efficience. Dans ce contexte, adopter des innovations managériales
semble répondre au besoin de dépasser ces modèles organisationnels devenus obsolètes. Or, les
travaux existants ont mis en évidence de nombreux freins à l’adoption d’innovations managériales
parmi lesquelles le facteur humain constitue un obstacle majeur. Il faut dire que notre système élitiste
a fabriqué et raffiné de décennie en décennie des générations entières de non communicants pour
diriger l’organisation publique. Un des drames de la France c’est qu’on met n’importe qui, même bril-
lant, à n’importe quel poste qu’il n’est pas forcément capable d’assumer ! Un dirigeant très connu a
fait quatre métiers en dix ans et probablement aucun de bien. Un sauteur en hauteur bien affiné dans
sa discipline ne peut pas lancer le poids, il pourrait le faire, mais mal. On ne peut pas s’improviser diri-
geant de toutes sortes d’activités. Ce modèle de parachutage a développé des comportements qui
freinent l’innovation et le changement dans nos organisations publiques. Pour moderniser ces organi-
sations, on ne peut pas dupliquer les méthodes d’innovation de l’entreprise sans prendre en compte
leurs spécificités. Les organisations publiques ont également pour mission d’assurer le service public
et de servir l’intérêt général en offrant le meilleur service possible à l’usager. Historiquement, la
culture administrative n’était pas encline aux changements et à la prise de risques. Aujourd’hui l’inno-
vation s’infiltre partout pour rendre le service plus rapide, plus clair et plus accessible à tous grâce
à la révolution numérique, l’ubérisation ou la montée en puissance de l’économie circulaire. Nous
pouvons définir dans ce contexte quelques marqueurs d’innovation prioritaires pour l’organisation
publique : les femmes et les hommes doivent être au cœur du dispositif, il faut mettre en place des
structures souples, interactives avec une décentralisation des décisions, l’ensemble étant piloté par
des managers ayant fait leurs preuves dans des organisations soumises à la concurrence.

Le management public : une mosaïque fragile


soumise à de fortes tensions
Olivier BACHELARD, Professeur emlyon business school
Dans un contexte très mouvant que le US Army War College qualifie de VUCA (Volatility, Uncertainly,
Complity and Ambiguity), caractérisé par des évènements imprévisibles, brutaux aux fortes consé-
quences, nous pouvons citer par exemple la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, une remon-
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tée de l’inflation, mais également marqué par les attentes toujours plus exigeantes en matière de
qualité de service de nos concitoyens, notre modèle républicain d’action publique est profondément
remis en cause. Des changements radicaux doivent être opérés pour permettre que notre contrat
social soit renforcé, que la dépense publique soit optimisée et davantage perçue comme allant de soi.
Pour qu’une dynamique d’amélioration de la qualité de service public soit à l’œuvre, deux paradigmes
du management public doivent être profondément modifiés : il est indispensable d’intégrer dans la
réflexion le bien-être des agents publics (au sens de l’OMS « La santé n’est pas une absence de mala-
die, mais un état complet de bien-être physique, mental et social ») (Bachelard 2017), et l’usager doit
devenir un acteur essentiel de la construction et de l’appréciation de la qualité de l’offre de service
public (49 % des répondants au baromètre de l’action publique France services indiquent avoir déjà
renoncé à des droits ou allocations en raison de démarches administratives trop complexes) (Pisany-
Ferry, 2021).Cette double prise en compte (du bien-être des agents publics et de l’usager) nécessite
que le management public favorise l’innovation, la bienveillance, mais aussi la transversalité. En ma-
tière d’innovation, il existe des exemples remarquables comme la dématérialisation des déclarations
de revenus, (avec la prise en compte des enjeux de satisfaction des contribuables, d’efficience, d’ac-
cès aux droits, de confiance), mais aussi des carences criantes quand on ne prend pas en compte le
phygital (service digital mais aussi physique et téléphonique) au nom de la seule réduction des coûts.

154 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


En ce qui concerne la double bienveillance, nous pouvons citer le cas bien connu des soignants dans
la fonction publique hospitalière, prendre soin des soignants pour prendre soin des patients. (Duarte
A.P, Sibé M. 2020). C’est généralement d’autant plus vérifié qu’il s’agit de métiers dont la vocation
est puissante (le soin, l’enseignement, la sécurité), il faut donc donner les moyens aux agents publics
les moyens de bien faire leur travail, comme le rappelle Clot Y. (2010), « Le plaisir du travail bien fait
est la meilleure prévention contre le stress : il n’y a pas de bien-être sans bien faire ». Dans ce dernier
cas force est de reconnaître qu’un travail considérable reste à faire.
De même en matière de transversalité nous pouvons mentionner la question de la continuité entre
police et justice qui nécessite de repenser, de clarifier l’activité des managers publics comme des
agents de manière décloisonnée et intégrée à partir de délibérations ouvertes : pourquoi, comment,
dans quel cadre, avec quelles marges de manœuvre, pour quels types de reconnaissances. Pour cela
la logique de renforcement des compétences professionnelles des managers publics tout au long
de la vie est stratégique (Bachelard et Espagno-Abadie, 2019). Nous terminerons cette réflexion en
soulignant le rôle déterminant des managers publics dans cet univers public très hétérogène et mar-
qué par la verticalité de l’état composé de trois fonctions publiques (État, collectivités territoriales,
hospitalière) et d’entreprises ayant des missions de service public (la Sécurité Sociale), soumis à des
contractions de moyens budgétaires et humains et à des réformes structurelles d’envergure.
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Une organisation publique performante, c’est possible
Armand Polycarpe BASILE GBEDJI, Autorité de Régulation de l’Électricité du Bénin
Une organisation publique est une structure de l’État qui est destinée à satisfaire les besoins sociaux.
Elle est à but non lucratif et se caractérise souvent par une bureaucratie où les contraintes déci-
sionnelles sont fortes avec pour corolaire une lourdeur administrative et la prise d’actes légaux et
règlementaires régulièrement contradictoires. Il y a donc lieu d’inverser cette tendance par une inno-
vation de la gestion de ces organisations par l’introduction de nouvelles pratiques managériales ayant
pour but de favoriser une bonne relation entre dirigeants et collaborateurs en vue d’augmenter leurs
performances. Une telle révolution ne peut procéder que d’un bon diagnostic des maux qui minent
ces organisations et la prise de décisions idoines pour les résorber. Dans tous les cas de figures, la
satisfaction continue des bénéficiaires des services que fournissent ces organisations publiques doit
être le but primordial à atteindre. Il faudra pour cela moderniser l’organisation du travail au regard de
l’évolution des besoins de la société en s’appuyant sur les outils modernes de gestion que facilite
la technologie du numérique. Cela passe, avant tout, par le recrutement de personnes qui ont une
vocation à travailler dans ces organisations publiques, la mise en place de formations continues pour
les maintenir à niveau, une bonne rémunération et l’évolution des carrières adossées aux résultats
obtenus par chaque travailleur.

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REGARDS CROISÉS

Lorsque l’utilité sociale le dispute à la rationalité


Mustapha BELAIDI, Consultant – Président de l’Association Algérienne des Ressources
Humaines – ALGRH
Le management aussi bien des établissements mis au service de la collectivité que des entités
publiques à caractère économique souffre, dans la quasi-totalité des secteurs, d’une comparaison si
défavorable en terme de résultat avec les entités privées de même nature, que la question du mode
de management des composantes de ce secteur ne quitte que très rarement la table des débats. La
raison d’État, entendez par là la démarche destinée à assurer le renouvellement des différents man-
dats qui composent la hiérarchie des responsabilités, va le plus souvent sacrifier le profit économique
sur l’autel de la paix sociale. Cette réalité est d’autant plus évidente lorsque les pouvoirs publics dis-
posent d’un espace de production économique et social important comme c’est le cas des régimes
politiques d’essence collectiviste. Il en va ainsi en Algérie où un important secteur économique public
subsiste et ou l’État génère, grâce notamment aux revenu de la fiscalité sur les hydrocarbures les
revenus les plus importants. De l’État acteur économique à l’État providence il n’y a qu’un pas, vite
franchi, où la prodigalité va mettre au rancart la pondération et ce malgré les mises en garde récur-
rentes d’une cour des comptes soucieuse de veiller à la meilleure utilisation des fonds publics.
Il y a là matière à une normalisation du management public dont l’efficacité va s’apprécier à l’aune
des indices de développement social rapportés aux moyens investis. Cette approche, déjà tentée,
consiste à majorer le résultat économique des dépenses que le pouvoir impose aux entités écono-
miques et sociales qui relèvent de son autorité lorsqu’elles qu’elles soutiennent et amplifient les
politiques d’emploi, de santé, de logement, d’éducation, de sport, de consommation et autres sans
se préoccuper véritablement de leur coût et donc du résultat financier qu’elles impactent. L’État qui
subventionne les déficits générés par ces mesures peut, de ce fait, accorder un satisfecit à un mana-
ger économiquement défaillant mais socialement utile. Ce paradoxe qui éloigne le management pu-
blic des lois du marché imprègne le fonctionnement économique et social d’une coloration politique
indélébile avec laquelle il convient nuancer toute évaluation de l’action publique et de ses différents
acteurs. Toute ambition d’imposer une démarche moins dispendieuse devra en tenir compte.

Faire du management public un management socialement responsable


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Moez BEN YEDDER, Enseignant-chercheur, ISC Paris
Bien que le secteur public soit un secteur qui par définition s’aligne sur la volonté de la société, l’his-
toire particulière de l’administration publique a amené à une bifurcation institutionnalisée entre les
attentes des citoyens et l’administration des services publics. Historiquement bâti sur le socle de
l’idéologie jacobine, de la doctrine Napoléonienne de l’État et de l’idéal Wébérien, le secteur public
est marqué par le juridisme le plus impersonnel et le conformisme le plus détaché. L’administration
publique dans ses composantes centrale, décentralisée et territoriale s’est ainsi créée une trajec-
toire propre en découplage voire en rupture avec les aspirations de la société. Ce timbre particulier
à l’administration publique parfois décriée comme source d’inertie est aussi ce qui fait en France et
plus généralement en Europe Rhénane de la continuité et de la régularité des services publics une
mission sacro-sainte aux yeux des fonctionnaires et un repère de droits sociaux qui rythme la vie des
citoyens. Ces mêmes citoyens expriment à l’égard du secteur public d’autres attentes que la provi-
sion des services socio-administratif. Au-delà de la nécessaire mise à jour des services, la société
est demandeuse d’inclusion, de respect de l’environnement et de solidarité envers les catégories les
moins privilégiées. Il s’agit là des questions sociétales que la société civile adresse et sur lesquels le
secteur public ne s’aligne pas suffisamment.

156 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Le monde du management a, pour sa part, su entendre les aspirations sociétales et les transformer
en motif d’action à travers le concept de RSE. Bien que le secteur privé n’est pas toujours en position
de donner l’exemple au secteur public, la RSE fait partie des concepts qui ont été largement dévelop-
pés dans le cas des entreprises privées et que la branche du management public n’arrive pas encore
à intégrer. Si des questions théoriques sont en suspens sur la transposition de la RSE au management
public, les initiatives de responsabilité sociale sont en train d’émerger sur le terrain des organisations
publiques : multiplication des indicateurs d’inclusion, mise en place de reporting dans les entreprises
publiques, évaluation de l’impact écologique dans les collectivités ou exigence de normes sociales
et/ou environnementales lors de l’attribution des marchés publics sont autant d’exemples d’une pra-
tique du management public qui met à l’honneur la logique de responsabilité sociale et l’aspiration
citoyenne au développement durable. Ces initiatives émanent tantôt d’évolutions juridiques, tantôt de
partenariats entre l’administration et la société civile ou trouvent encore leur origine dans la volonté
personnelle de managers de la fonction publique en phase avec l’évolution de la société et aussi
enclin que leurs homologues du privé à faire évoluer les choses. Si de telles initiatives prolifèrent
salutairement, un cadre systémique est encore à construire afin de les généraliser et de faire du
management public un management socialement responsable.

Quels marqueurs de l’innovation managériale


dans les organisations publiques ?
Charles-Henri BESSEYRE des HORTS, Professeur Emérite à HEC Paris
De nombreux observateurs reconnaissent aujourd’hui que la crise sanitaire a fait bouger les lignes
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dans les organisations privées et publiques beaucoup plus rapidement qu’on aurait pu l’espérer dans
une période plus « normale ». Et c’est dans le secteur public, souvent assimilé à la rigidité bureaucra-
tique voire l’immobilisme, que la crise a été le terrain d’exemples d’agilité qui n’ont rien à envier aux
leaders de l’innovation de la Silicon Valley comme en témoignent les trésors d’ingéniosité déployés
sur le terrain par les hôpitaux publics pour faire face aux conséquences dramatiques de la pandé-
mie ou les collectivités locales pour créer en quelques jours des drives fermiers et des réseaux de
distribution d’aide alimentaire. Ces réalités et bien d’autres repérées dès le premier confinement
dans des établissements publics d’enseignement, notamment à la faveur de la digitalisation accélé-
rée, dans des collectivités territoriales ou des services de l’État démontrent que contrairement aux
idées reçues, un environnement bureaucratique ne fait pas obstacle à l’innovation. Un livre publié
récent propose des pistes très intéressantes fondées sur l’humain pour redonner de l’agilité à des
organisations, privées et publiques, engluées dans des modes de fonctionnements hiérarchiques et
verticaux. Parmi ces recettes que nos administrations publiques ont eu la bonne idée d’emprunter
ou de renforcer pendant la crise, on peut citer : redonner aux personnes le pouvoir d’agir avec plus
d’autonomie, reconnaître les initiatives de terrain couronnées de succès pour les essaimer, s’appuyer
sur la dynamique des communautés formelles et informelles, être dans une posture d’ouverture en
écoutant ses parties prenantes (agents publics, usagers des services…), oser des expériences nou-
velles pour tester et apprendre.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 157


REGARDS CROISÉS

Innovation managériale dans les organisations


publiques : entre créativité et sens de l’humain
Mustapha BETTACHE, Professeur titulaire, Département des relations industrielles,
Université Laval, Québec (Québec)

L’innovation managériale dans les organisations publiques est perçue aujourd’hui comme un impor-
tant enjeu dans une perspective d’augmentation à la fois de l’efficience et de l’efficacité de l’action
publique, et ce, tout en considérant à la fois le volume des ressources disponibles et les contraintes
environnantes. Se déployant jadis plutôt dans le secteur privé, l’innovation managériale est de plus en
plus portée à l’échelle du secteur public, constituant du coup un centre d’intérêt majeur notamment
auprès des chercheur(e)s et suscitant de nombreux écrits autant que s’imposant dans les discours
se rapportant à la réforme du secteur public. L’innovation managériale est alors perçue comme un
moyen d’importance majeure d’amélioration, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, de la perfor-
mance globale des gouvernements en place ainsi que d’adaptation des solutions à apporter à des
problèmes sociétaux complexes. Cela reviendrait, en filigrane, à repenser les schèmes cognitifs, les
règles et les normes ainsi que les pratiques des acteurs et actrices et à apporter des changements
drastiques dans les structures, les pratiques organisationnelles et professionnelles, les technologies
et la culture organisationnelle pour ne citer que celles-là. Toutefois, il convient de noter l’importance
de la forte influence des contextes politiques et économiques sur les objectifs managériaux des
secteurs publics, susceptible d’en réduire la portée, voire d’empêcher dans certains cas leur réali-
sation. Un autre marqueur de l’innovation managériale dans les organisations publiques, et non des
moindres, n’est autre que la nécessaire implication des gestionnaires dans la définition des objectifs
des actions menées et dont ces derniers héritent malheureusement bien souvent sans même y avoir
été impliqué(e)s, voire parfois sous la contrainte et sans souci des résultats attendus. Que dire aussi
de la Nouvelle Gestion Publique (NGP) ou New Public Management (NPM) présentée comme éten-
dard des réformes administratives un peu partout dans le monde et visant à transposer les modes
de gestion et d’organisation du secteur privé vers le secteur public à travers un discours néo-libéral
abondamment utilisé ? Après une quarantaine d’années d’existence, d’aucuns en retirent aujourd’hui
un bilan mitigé pour ne pas dire négatif car n’ayant pas favorisé, comme il était attendu, de résultats
positifs des services gouvernementaux, et ce, tant en efficience qu’en efficacité. Dès lors, d’autres
marqueurs de l’innovation managériale dans les organisations publiques font leur apparition, tels que
le changement technologique, la numérisation, voire le recours à l’intelligence artificielle favorisant
l’émergence d’un gouvernement électronique (e-government), présentés aujourd’hui comme de
puissants vecteurs d’optimisation des processus administratifs et d’amélioration des services offerts
aux populations. Sur un plan plus politique, l’innovation managériale dans les organisations publiques
est de plus en plus préconisée à travers la préservation d’espaces de négociation dans les processus
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décisionnels avec les différentes parties prenantes afin de susciter un meilleur niveau de cohésion
dans un réseau d’acteurs hétérogènes aux intérêts parfois divergents, et ce, tout en maintenant une
capacité de dialogue avec ces parties, axée sur un engagement réel. Par ailleurs, s’atteler à résoudre
l’équation d’un affrontement constant entre deux logiques, soit financière et sociale, apparaît plus
qu’opportun, contribuant ainsi à donner au management public, outre une gestion financière efficace,
une dimension plus humaine en axant sa performance sur le bien-être du citoyen usagé, situé au
cœur du processus. N’oublions pas toutefois que l’innovation managériale dans les organisations
publiques ne peut être dessinée ni décidée en vase clos, tant elle peut être conjuguée avec d’autres
phénomènes, tels les crises et d’autres contextes politico-économiques susceptibles d’en dicter les
contours. Enfin, devoir à la fois être créatif, placer le bien être humain au cœur du processus de
management du secteur public et atteindre une certaine performance financière, c’est tout un défi !

158 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Implémenter l’innovation, du secteur économique
privé aux organisations publiques
Maëlys BEULQUE, International Management School Geneva, Genève
L’innovation n’est pas simplement de la nouveauté. Partant de ce postulat, il est plus aisé de constater
que la majorité des innovations proposées par les organisations publiques ne sont en fait réellement
que des nouveautés pour ce secteur, qui proviennent le plus souvent de secteurs plus en pointe,
ayant investi dans l’innovation. Ce que l’on entend ici par le terme « innovation » est, selon la défini-
tion de l’INSEE, l’acte d’innover, donc d’introduire sur un marché un produit ou un procédé nouveau,
en vue d’une recherche constante de drastiques améliorations. Pour les organisations publiques, cela
peut concerner les SIC (Système d’Information et de Communication), l’organisation de procédures,
la gestion administrative, les ressources humaines ou encore la logistique. Plus en détails, quand à
l’innovation managériale, il s’agit de transformer et de faire évoluer des postures managériales pour
favoriser la collaboration entre l’ensemble des collaborateurs, selon le degré hiérarchique. Sur le
territoire français, les organisations publiques, par définition, ont pour fonction de produire des ser-
vices non marchands, en vue de la satisfaction de l’intérêt général. Leur finalité se veut non lucrative
et, via les pouvoirs conférés par l’État, elles ont une compétence fonctionnelle pour appliquer des
politiques publiques décidées et votées. Il est donc possible à priori de douter que les organisations
publiques soient les lieux les plus enclins à installer un programme d’innovations managériales. Il
est plus aisé d’attribuer ces avancées au secteur privé, qui investit parfois massivement dans la Re-
cherche et Développement. Ils développent une manière innovante de travailler, de nouveaux outils,
de nouvelles façons de faire, les testent, et les incrémentent dans le quotidien de l’entreprise, en
priorité. Avant de pouvoir éventuellement en faire bénéficier d’autres secteurs, comme celui des
organisations publiques, par effet de ruissellement. En revanche, ce qu’il est possible de souligner
c’est que souvent ces investissements importants en R&D par les PME, les startups, ou les grandes
entreprises, sont soutenus massivement par l’État. Serait-il donc dès lors possible de conclure que
les innovations managériales, d’abord appliquées dans les entreprises bénéficient in fine au secteur
des organisations publiques, via des crédits accordés par l’État ? L’État serait alors l’un des premiers
acteurs à investir dans l’innovation managériale tout en sachant pertinemment qu’il ne sera pas le
premier à en bénéficier car la primauté reviendra aux entreprises ? C’est une manière élégante de
soutenir les entreprises et l’innovation, en sacrifiant justement cette prééminence, pour le compte
de l’économie nationale. Il est donc tout à fait possible de nuancer la première affirmation comme
quoi « les innovations proposées par les organisations publiques ne sont en fait réellement que des
nouveautés pour ce secteur », car même si les organisations publiques ne bénéficient que dans un
second temps de ces innovations, ce sont bien elles qui, via leurs organes étatiques et dirigeants, ont
pris la décision d’investir dans l’innovation, pour conserver le dynamisme économique nécessaire à
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toute société pour être bien portante. Les organisations publiques sacrifient alors leur prévalence sur
l’innovation, pour l’accueillir finalement comme une « nouveauté », ce qui induit un délai de latence.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 159


REGARDS CROISÉS

Innover simplement pour développer la solidarité et la transparence


Mireille BLAESS, Vice-Présidente, Human Capital, VCLS
Une nouvelle fois interpellée dans un champ qui n’est pas celui que je pratique, ma réflexion a glis-
sé immédiatement vers la question de l’utilité du management étant par conviction plus mobilisée
par la notion de leadership indispensable dans l’entreprise là où le management de manière géné-
rale, et non spécifiquement dans le secteur public, est à réinventer. Quel intérêt à un management
innovant ? Dans un secteur avec souvent d’importants effectifs, des besoins semblent émerger,
assez simples mais qui apparaissent aussi en contradiction avec les pratiques plus globales de notre
Société. Par exemple Zappos aux États-Unis en matière de management innovant avait travaillé sur
l’idée d’apprendre à se connaître pour mieux travailler ensemble avec une application informatique
pour renforcer l’esprit d’équipe en préservant l’anonymat de chacun. Ainsi chaque matin, quand les
collaborateurs se connectent à leur ordinateur, la photo de l’un d’eux apparaît sur l’écran avec un choix
de trois noms. Il s’agit bien de deviner le bon. Une fois la réponse faite, bonne ou mauvaise, le colla-
borateur reçoit la fiche de présentation de la personne en question avec son poste, son ancienneté,
ses centres d’intérêt, etc. Autre initiative simple développée chez Mars chocolat en France, appelée
« Ça se discute », qui renforce la confiance entre les membres de la direction et les collaborateurs
par l’organisation régulière de questions réponses. Ce ne sont que quelques exemples d’innova-
tions simples en management qui contribuent au bon fonctionnement d’un groupe. Car, innover en
management vise essentiellement à rendre les missions de chacun plus passionnantes, à souder les
équipes, engager chacun et autonomiser (alors même que le secteur public est perçu comme très
processé), développer une forme de créativité, et ainsi améliorer le bien-être et la fluidité. Ceci même
si le sujet de la marque employeur et de la performance s’inscrit sans doute un registre fort différent
de l’entreprise privée. Ceci dans un temps où le service public tente de prendre soin de ses clients et
pour cela doit le faire aussi pour ses salariés.

Le besoin d’innovation managériale des organisations


publiques est-il toujours nécessaire ?
Cynthia BLANCHETTE, Enseignante-chercheuse, EDC Paris Business School
« Gouverner c’est prévoir » comme le précise la célèbre citation d’Émile de Girardin, journaliste
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et homme politique français. Cette citation nous amène à réfléchir notamment sur l’avenir de nos
organisations publiques et à la place des innovations managériales dans le service public. En 1999,
le conseil d’État définissait le service public comme « une activité d’intérêt général, soit directement
prise en charge par une personne publique, soit exercée sous son contrôle étroit ». Actuellement,
l’innovation dans le secteur public est au cœur des préoccupations des gestionnaires. L’innovation
désigne une « discontinuité radicale avec le passé » (Brown et Osborne, 2012). Cette « discontinuité
radicale » est la différence notable entre innovation et amélioration. Quels marqueurs de l’innovation
managériale dans les organisations publiques ? Les organisations publiques doivent s’adapter aux
nouveaux besoins et attentes des parties prenantes. L’innovation managériale est l’un des moyens
pour répondre aux grands défis socio-économiques de la France. La transition numérique, le télétra-
vail, l’agilité de l’organisation ou encore la collaboration des administrations entre elles sont autant de
chantiers dont l’organisation publique doit se saisir. Ces sujets génèrent des attentes du côté des usa-
gers et des agents. Pourtant, il faut s’interroger sur la nécessité de recourir à des innovations mana-
gériales pour y répondre. Est-ce que tout doit passer par des innovations c’est-à-dire par des ruptures
avec le passé ? Qui décide que l’innovation managériale est nécessaire ? Quels sont les risques et
les enjeux pour l’organisation de faire table rase avec le passé ? À mon sens, toutes ces questions
doivent également être prises en compte dans les réflexions avant toutes innovations managériales
dans les organisations publiques. Le besoin d’innovation est probablement nécessaire sans pour au-

160 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


tant être systématique. Les réformes se multiplient depuis de nombreuses années avec l’avènement
du concept de la « nouvelle gestion publique » (New Public Management). Depuis les années 1980,
de nombreux gouvernements ont eu la volonté de mener des programmes managériaux cohérents et
d’améliorer la qualité des services publics. Pourtant, l’OCDE en 2006 souligne le retard de la France
sur les autres pays concernant la qualité des services publics. Cette situation s’explique probable-
ment par les ressources financières limitées et une nécessité de réduire le poids des déficits publics.
Donc, s’il est indispensable de s’adapter aux nouveaux besoins et attentes des parties prenantes, il
faut également réfléchir en amont sur les réels besoins de l’organisation publique et s’interroger sur
la nécessité d’innover ou bien d’opter pour une amélioration surtout dans le contexte actuel. N’est-il
pas nécessaire d’évaluer la portée des innovations managériales pour les parties prenantes afin de
s’assurer qu’elles répondent aux besoins socio-économiques ?

L’innovation managériale : un véritable facteur-


clé de succès des organisations publiques ?
Ben BOUBAKARY, Enseignant-chercheur, Université de Yaoundé II, Cameroun
L’innovation managériale fait depuis quelques temps l’objet d’un intérêt académique croissant. Elle
est considérée comme l’adoption de nouveaux programmes et pratiques qui affectent la stratégie, la
structure, les processus de gestion et la prise de décision, dans le but de modifier et améliorer l’effi-
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cacité des systèmes administratifs et de gestion des entreprises. Les organisations publiques sont
souvent considérées comme synonymes d’inefficacité et de manque de motivation pour l’innovation
en générale, et celle managériale en particulier. La théorisation de la gestion des organisations pu-
bliques présente un ensemble unique de restrictions et d’exigences. L’innovations managériale dans
les organisations publiques peut être induite par des éléments contextuels et environnementaux
ou résulter d’initiatives endogènes et d’actions délibérées des responsables de ces organisations.
Si les facteurs essentiels favorisant cette innovation managériale dans les organisations publiques
sont nombreux, force est de relever que, l’engagement de la direction, l’orientation stratégique, les
capacités dynamiques et la mobilisation de ressources (internes et externes) sont ses facteurs d’in-
fluence les plus pertinents. Toutefois, dans les organisations publiques, l’innovation managériale, de
par les valeurs et représentations qu’elle véhicule, est souvent source de conflits, d’incertitudes et
de résistances organisationnelles, bien que les évolutions poussent ces organisations publiques à
transformer leur management. Cependant, pour que l’innovation managériale puisse trouver sa légi-
timité et réussisse à mieux s’implanter et à mieux jouer son rôle dans les organisations publiques, il
est indispensable d’impliquer les différentes parties prenantes et de satisfaire leurs attentes afin de
réduire les incertitudes et de lutter contre les résistances et les a priori en termes de culture et de
valeurs. C’est à ce prix que l’innovation managériale pourrait se transformer en un véritable facteur
clé de succès des organisations publiques.

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REGARDS CROISÉS

Secteur public : combiner innovation


managériale et innovation publique
Jean-Pierre BOUCHEZ, Directeur de Recherches et Innovation au cabinet IDRH, Professeur
associé à l’Université de Versailles Saint-Quentin

De manière très ramassée deux types de scénarios polaires sont mobilisés s’agissant des pratiques
managériales à déployer dans les organisations publiques. Le premier entend défendre, s’agissant
plus spécifiquement mais pas seulement des fonctionnaires d’État, le statut quo, quoi qu’il en coute,
quitte à être taxé de se figer sur des avantages durablement acquis. Le second visant en quelque
sorte à l’opposé à appliquer les méthodes et pratiques du secteur privé, en vue notamment d’y ins-
taurer un processus de débureaucratisation poussée. Quitte à sous-estimer, voire ignorer singulière-
ment la culture qui fonde sa spécificité. Dans un monde de plus en plus complexe et incertain, ces
deux scénarios ne résistent durablement pas à l’analyse. Un scénario intermédiaire faisant preuve à
la fois de réalisme et d’innovation, est à construire, même si des expérimentations semblent déjà
se faire jour. Pour progresser dans cette voie prometteuse, il importe singulièrement de combiner
activement innovation managériale et innovation publique, ce qui conduira notamment à rendre les
agents encore plus autonomes dans le déploiement des politiques publiques et des relations de ser-
vice auprès des citoyens. Ce qui amènera probablement (à l’exception des fonctions régalienne), à
assouplir certaines règles statutaires (comme la garantie de l’emploi à vie). Mais les enjeux politiques
seront assurément conséquents…
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Approche inclusive élargie
Natalia V. BOUROVA, Professeure, Université d’État d’Économie de Saint-Pétersbourg, Russie
Les organisations publiques sont créées en but de résoudre les problèmes de la communauté, y com-
pris la collaboration des employés pour assurer les objectifs communs. La pandémie a épuisé des
réserves et des fonds publics, ce qui provoque des difficultés à gérer et à planifier de développement
des organisations publiques. L’innovation managériale est une réponse à la situation de ressources
humaines exténuées et de déséquilibre entre les catégories des populations. Le problème de la fidéli-
sation des employés qualifiés et de l’attractivité des organisations publiques pour des professionnels
peut être résolu à la base de l’innovation managériale des cultures organisationnelles horizontales.
Les marqueurs de l’innovation incluent la description claire des processus organisationnels axée à
l’adhésion et à la diversité des voies qui mènent à l’accomplissement des fins de l’organisation. La
diversité comprend l’inclusion des professionnels et des solliciteurs en tant que partenaires en gou-
vernance des objectifs communs de la société. Cette inclusion concerne aussi les agents que les
missions et problèmes à résoudre, par exemple, le fonctionnement des écoles joue le rôle important
en intégration sociale des enfants y compris l’organisation de leur temps et même de leur nourriture.
Cette inclusion élargie représente la nouvelle compréhension des objectifs et l’innovation managé-
riale des organisations publiques.

162 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Pour un service public au service du public
Jérôme CABY, délégué général de la FNEGE
Le sens du service public est un concept très français qui fait parfois l’objet d’appropriation en déna-
turant l’objet. Ainsi, la défense du service public est-elle souvent devenue un argument pro domo
renvoyant à la préservation d’avantages statutaires des agents de l’État. Au point que parfois l’on en
oublie le fondement du service public, c’est-à-dire l’intérêt général au service des usagers. Il est vrai
que les politiques successives de modernisation des services publics mises en œuvre ces dernières
décennies ont beaucoup porté sur la rationalisation de son fonctionnement (au travers du nombre
de fonctionnaires, par exemple). À tel point que parler de gestion ou de management public renvoie
aujourd’hui le plus souvent à la réduction ou à l’optimisation des coûts. Pourtant, le management et
la gestion ont bien plus à offrir au service public. Le monde change, les attentes de nos concitoyens
également. Cela implique de repenser les missions du service public, leur champ, leur contenu et leur
pertinence. Une sorte de reengineering du service public au service de ses valeurs en lui redonnant du
sens tout en évitant les écueils d’un illusoire « c’était mieux avant » et du « on a toujours fait comme
ça ». L’innovation managériale a un rôle central à jouer car elle peut contribuer à interroger l’action du
service public et à inventer un nouveau service public en phase avec son époque et ses usagers.
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Oxymore à tiroirs
Philippe CANNONE, ancien DRH
Voilà une question qui a de la gueule : « Quels marqueurs de l’innovation managériale dans les orga-
nisations publiques ? ». Un programme, une ambition, que dis-je, un cap, une péninsule. On imagine
l’académique chenu soupesant ces satanés marqueurs. Perspective sidérante, ne pas en louper un
dans l’abysse foisonnante des expériences managériales des organisations publiques. À moins que
ce soit mettre la charrue avant les bœufs. Pour en trouver les marqueurs encore faudrait-il qu’il y ait
innovation managériale. Et pour qu’il y ait innovation dans le management encore faut-il qu’il y ait…
management. Et des managers… Et surtout qu’ils managent… Tout cela acquis il n’y aura plus qu’à
chercher les marqueurs de cette révolution vertueuse. On peut rêver. Quand volontarisme rime avec
désert l’oxymore n’est pas loin. L’Innovation managériale a tout du Silence assourdissant d’Aragon.
Ou de cette Obscure clarté du Cid. Quant au Public la figure de style est-elle sur l’innovation ou sur
le management ? Sauf à penser qu’il ne s’agit que de signifier un futur aussi radieux que lointain, et
s’il faut un marqueur, observons que pour rédiger un guide du télétravail dans la Fonction publique
l’Administration a dû recourir au sulfureux Mc Kinzey. Quand elle trouvera en son sein les éléments
capables de piloter ses chantiers de transformation nous approcherons peut-être du but. Des Hauts
fonctionnaires sans doute. Encore un oxymore ? Marquer c’est révéler, c’est aussi mettre le but.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 163


REGARDS CROISÉS

Quel déterminant de l’innovation publique ?


Vers le leadership partagé…
David CARASSUS, Professeur, Université de Pau et des Pays de l’Adour
Comme l’indique Damanpour et Schneider (2006) la dynamique d’innovation est théoriquement in-
fluencée par une diversité de facteurs internes et externes à l’organisation. En effet, les recherches
sur les antécédents de l’innovation considèrent généralement deux familles principales de facteurs :
les facteurs environnementaux ou contextuels, externes aux collectivités, et les facteurs organisation-
nels, plus internes eux. Ainsi, l’approche interne, volontariste, met l’accent sur la nature intentionnelle,
rationnelle et planifiée de l’innovation publique. L’innovation est alors portée par un agent du change-
ment et constitue une réponse ou un choix stratégique à un problème ou une opportunité organisation-
nelle. Au contraire, pour la seconde approche, exogène et déterministe, la dynamique d’innovation est
contrainte par des caractéristiques environnementales de type socioéconomiques et par des pressions
institutionnelles. La pression fiscale, la contrainte financière ou encore le mimétisme entre organi-
sations publiques ou avec le secteur privé seraient alors explicatifs de l’innovation publique. Dans le
contexte français, plusieurs études menées, notamment celle de Carassus et al. (2013), mettent en
évidence l’influence prépondérante des facteurs internes sur les facteurs externes. De manière simpli-
fiée, les contraintes externes, notamment financières, ne suffisent pas seules à expliquer l’innovation
publique. Dans ce cadre, le facteur le plus important dans le processus d’innovation concerne le leader-
ship, qu’il soit politique, mais aussi, et surtout, technico-administratif. Les leaders permettraient alors
de lever la plupart des freins au changement existants dans le secteur public, que cela soit en termes
d’émergence, de portage ou de diffusion des innovations. En outre, ces études constatent aussi des
formes de processus d’innovation de plus en plus collaboratifs et ouverts. Ainsi, la conduite des inno-
vations locales semble reposer de moins en moins sur un leader public unique ou une structure ad
hoc, mais de manière croissante sur des réseaux collaboratifs intra et inter-organisationnels, comme
l’indiquent Crosby et al. (2017). Un leadership partagé apparaît alors nécessaire dans les organisations
publiques, associant à la fois des acteurs internes (techniciens, élus), mais aussi externes (usagers,
citoyens, entreprises, etc.), dans le cadre de démarches itératives, mêlant processus descendant et
ascendant, avec des rôles et responsabilités complémentaires.

L’innovation managériale au service de la qualité de vie au travail


Nathalie CHARTON, Chargée de projet en innovation Managériale et QVT, CHRU Nancy
Le CHRU de Nancy s’inscrit depuis 2017 dans une démarche d’optimisation de l’Innovation Managé-
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riale au service de la Qualité de Vie au Travail à travers différents dispositifs pour accompagner ses
cadres dans leurs missions et dans le développement d’un nouvel esprit de coopération territoriale
en santé. Toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées et en bénéficient afin de pro-
mouvoir par ailleurs une dynamique de co-management au sein et entre les pôles hospitaliers, les
départements administratifs et logistiques, mais aussi développer des collectifs inter-hospitaliers à
l’échelle du territoire. Cette approche s’origine à l’articulation des politiques de préventions déployées
par le CHSCT et la Cellule Qualité de Vie au travail de la Commission Médicale d’Établissement, du
Projet Social du département Ressources Humaines et Affaires Sociales dont la thématique « Mana-
gement » constitue un volet complet, régulièrement réactualisée en fonction des besoins et des
orientations des établissements et selon les évolutions réglementaires. Ces actions sont étayées
et traversées par la création d’une cellule dédiée au niveau de la Formation Continue qui a construit
des outils et fait intervenir des expertises extérieures quand cela est nécessaire, adaptées à chaque
situation, qu’elle soit individuelle et/ou collective. À l’interface de ces ensembles, c’est un chargé
de Projet en Innovation Managériale du Département Ressources Humaines et Affaires Sociales qui
intervient sur chaque demande, analyse la demande, propose un plan d’actions et de formations en
lien avec les acteurs responsables des politiques et Instances précitées. Chaque Manager et/ ou son
équipe est accompagnée par cette fonction qui lui confère l’assurance d’un dispositif sur mesure,

164 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


adapté au contexte dans lequel ils évoluent, ici l’hôpital, et enfin, la possibilité d’un suivi au long court
par le chargé de projet. Ainsi, cette innovation managériale au service de la qualité de vie au travail,
de l’attractivité aux valeurs du service public, traite tout le panel de situations qu’un cadre et son
équipe sont susceptibles de rencontrer : Conduite du changement, management quotidien, conflits
d’équipes, organisations du travail, harcèlement, gestion de crise, communication… L’augmentation
significative du recours à ce dispositif de la part des responsables d’équipes ou de pôles depuis 2018
est un marqueur essentiel de l’intérêt et de l’efficience de celui-ci. Par ailleurs, des témoignages
viennent étayer cet élan vers l’Innovation Managériale.

L’Intelligence collective au service de


l’Innovation dans le secteur public
Mireille CHIDIAC El HAJJ, Professor, Faculty of Business and Economics, Lebanese University, Beiru
La volonté de recourir à l’innovation pour réformer les organisations publiques est grande. Toutefois,
la réflexion sur cette question renvoie à la théorie de « La dépendance au sentier » qui implique que
les décisions prises par les décideurs publics sont pérennes, parce qu’elles sont influencées par les
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décisions prises par le passé, et protégées par des acteurs engagés qui tiendraient à maintenir le
statu quo (Greener, 2002 ; Pierson, 2000 ; Levi, 1997 ; North, 1990). Cependant, une intelligence
collective, cognitive et coordonnée, bâtie sur une synergie tripartite des données, des équipements
et des compétences serait capable de faire converger intelligence et connaissances vers un but
commun, (Frimousse et Peretti, 2019), soit l’innovation de nouveaux éléments dans les organisations
publiques (Brown & Osborne, 2013). Ainsi, la discontinuité avec le passé, pourrait-elle être introduite
sous la forme d’une nouvelle organisation, ou d’une nouvelle gestion, de nouvelles compétences ou
de nouveaux processus. Des éléments qui pourraient certes engendrer un certain degré de résis-
tance et de risques individuels, organisationnels ou comportementaux, puisque chaque rupture avec
le passé signifierait « crises » (Brown & Osborne, 2013). Ce qui nécessitera, sans aucun doute, tant
un processus politique de négociation avec l’ensemble des intervenants que l’implantation d’une
bonne gouvernance décisionnelle. Le but étant de permettre à des points de vue opposés de coexis-
ter, aux changements incrémentaux ou radicaux de devenir possibles et systémiques, et à une nou-
velle trajectoire d’être tracée. Elle sera pavée d’initiatives et de responsabilité humaine, de leadership
et d’apprentissage avec pour facteurs déterminants : confiance dans le système, compréhension
commune des valeurs et engagement collectif (Crozier & Frieddberg, 1977). Reste que ce sont les
sociétés les plus avancées qui ont le plus de chances d’inventer du nouveau, parce qu’elles peuvent
payer le prix élevé de l’innovation et du changement (Brown & Osborne, 2013).

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 165


REGARDS CROISÉS

L’innovation managériale dans les organisations


publiques est à ré-inventer
Philippe CLERC, président de l’Académie de l’intelligence économique
Management et organisations publiques ? La situation est grave. Des années passées à dire la ré-
forme, la modernisation, la simplification pour, à la fin, ne pas innover. Quels marqueurs de l’innova-
tion managériale ? En creux, une double peine dont il faut sortir. D’abord, un « état de vide » c’est-
à-dire d’une éternelle répétition des schémas venus du passé. Chaque situation nouvelle est lue au
prisme de solutions identiques dupliquées sans autre imagination que celle de l’imitation. Ce vide écrit
Philippe Baumard « contrôle et paralyse par son indétermination ». Il conduit à l’inaction et à l’immo-
bilisme. Seconde peine : le New Public Management, doxa managériale issue du monde anglo-saxon,
innovation conceptuelle et organisationnelle, hyper rationnelle et techniciste (reporting, tableau de
bord, indicateurs…). Une telle approche niant les métiers du public a fini par vider « les intelligences »
des agents de l’État et des collectivités, indispensables aux stratégies des organisations publiques,
pour les transférer à des consultants censés porter cette fameuse innovation managériale. L’innova-
tion managériale dans les organisations publiques reste à ré – inventer : cela passe par la prospective
réhabilitée, « la conquête des risques » et l’apprentissage, l’expérimentation. Les tiers-lieux ?
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Une « coopération conflictuelle » ?
Yves CLOT, Professeur émérite en psychologie du travail au CNAM
Autant le dire tout de suite : je n’ai jamais cru au management participatif, pas plus dans le privé que
dans le public. Mon expérience m’a convaincu que, dans ce domaine, la course effrénée à l’innova-
tion est le symptôme d’une obsolescence programmée. La participation est généralement conçue
comme celle des salariés aux projet managériaux. En matière d’action, j’ai plutôt l’inverse en tête : la
participation des hiérarchies à la solution des problèmes ordinaires du travail, recensés à l’initiative de
celles et ceux qui le font et qu’ils finissent par ne plus poser tant la parole leur semble inutile. C’est
leur libre examen qu’il faut rétablir, des temps d’analyse entre eux avant de solliciter la contribution
hiérarchique à leur solution. Ce retournement de la participation change l’origine de l’initiative. C’est
un premier marqueur. Le « travail bien fait » est le cœur du problème. Pour l’évaluer les profession-
nels de terrain et les dirigeants ont chacun leurs « angles morts ». Ils n’ont pas les mêmes critères.
Ce conflit de critères autour des dilemmes de la qualité du travail est normal dans les organisations,
même publiques. S’il n’est pas nié mais institué, il peut servir à dialoguer en faveur d’arbitrages plus
robustes dont personne n’avait encore eu l’idée. Cette coopération conflictuelle est source de per-
formance et de santé. Utile pour l’attractivité des métiers de la fonction publique, c’est un deuxième
marqueur.

166 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Pour pallier les dysfonctionnements de
l’hôpital, les cadres de santé innovent
Nathalie COMMEIRAS, Professeur des Universités, Université de Montpellier, MRM
(Montpellier Research Management)

La détérioration des conditions de travail dans les hôpitaux (intensification du travail, pression tempo-
relle, agressivité des patients et de leur famille, etc.) et leurs conséquences notables pour l’individu
et l’organisation (stress accru, épuisement professionnel, sentiment de mal faire son travail, perte
de sens au travail, conflits de valeurs, absentéisme élevé, etc.) ont été à maintes reprises, mises en
lumière par les résultats de recherches et d’enquêtes et dénoncées par les personnels soignants.
Sous la pression coercitive légale et pour redorer leur image, les établissements hospitaliers ont mis
en place des actions de prévention des RPS (et notamment des enquêtes sur les conditions de travail,
formations sur la gestion du stress etc.) dont l’efficacité reste à prouver. Peu adaptées aux particulari-
tés de chaque métier et de chaque unité de soin, ces actions paraissent « glisser » sur l’organisation,
sans modifier l’activité au quotidien des soignants, toujours confrontés aux mêmes exigences de tra-
vail (Abord de Chatillon et al., 2016). Face à ce constat et tributaire des ressources dont ils disposent
(humaines et financières), les cadres de santé font preuve d’ingéniosité et d’inventivité pour amélio-
rer les conditions de travail des personnels infirmiers et des aides-soignants dans leur unité de soin
et redonner du sens à leur travail. Parmi les initiatives mises en place figurent la création d’espaces
de discussion, de « temps de parole » ou encore de réunions d’échanges de pratiques où chacun
peut s’exprimer librement sur son métier, sur les difficultés rencontrées et co-construire l’activité de
travail. Dans la même veine, la gestion des absences dans les services de soin relève de la « débrouil-
lardise » et d’arrangements directs entre les acteurs. Des recherches montrent que le cadre de santé
mobilise en priorité l’auto-remplacement (rappel des personnels sur leur temps de repos), l’ajuste-
ment des plannings (en fonction des effectifs présents) et la mobilité inter-service. Ces modalités
de gestion de l’absentéisme sont efficaces à court terme mais ne peuvent perdurer dans le temps.
Leurs conséquences sur le personnel et les patients peuvent être délétères (présentéisme, fatigue
physique et psychologique intense, qualité et sécurité des soins dégradées) (Achmet & Commeiras,
2018). Pour pallier certains dysfonctionnements de l’hôpital, les cadres de santé dans leur unité de
soin mettent en place des innovations managériales relevant du « bricolage organisationnel » et plus
spécifiquement d’un « bricolage par nécessité » (Lévi-Strauss, 1966). Bien qu’efficace, ce « bricolage
managérial local » reste fragile, tributaire du bon vouloir des acteurs et des ressources disponibles.
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Management public : innovation des routines
et innovation comme routine
Giovanni COSTA, Professeur émérite, Université de Padova, Italie
« Il faut que tout change pour que rien ne change », la célèbre phrase de Giuseppe Tomasi di Lampe-
dusa (Le Guépard) semble être l’inspiration cachée de la plupart des projets d’innovation managériale
dans les organisations publiques, où le gigantisme des intentions va de pair part au nanisme des réali-
sations. Une façon de briser la spirale perverse du tout et rien est de rester ancré aux opérations sans
tomber dans le piège de la mesurabilité qui conduit inévitablement à rechercher l’efficacité à court
terme. Cela écrase l’innovation sur la réduction des coûts, qui ont l’avantage d’être facilement mesu-
rables. Et c’est la raison pour laquelle le management de l’efficacité est si impopulaire et si inefficace.
L’innovation managériale nécessite un horizon temporel adéquat et la création par les dirigeants stra-
tégiques du cadre culturel et technologique dans lequel activer une décentralisation poussée des
initiatives et des responsabilités. Une décentralisation qui doit inclure et responsabiliser les citoyens.
Le degré de décentralisation peut être le principal marqueur de l’innovation managériale, capable
d’intégrer d’autres dimensions de l’innovation. L’interaction continue entre tous les niveaux de l’orga-
nisation, la mobilisation des compétences qui se forment au contact quotidien des citoyens, en les

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 167


REGARDS CROISÉS

écoutant, en les associant à la production du service peuvent alimenter un processus d’amélioration


incrémentale des choix stratégiques et des routines. Une routine est une innovation qui a réussi à
résoudre un problème. Les routines permettent d’économiser la rationalité organisationnelle qui reste
limitée (H. Simon) même à l’ère de l’intelligence artificielle et du big data, favorisent la digitalisation et
répondent à certaines contraintes de l’action publique (équité, légitimité, impersonnalité). La routine
n’est pas le problème des organisations publiques mais une partie de la solution. À condition que ce
soit une routine toujours actualisée, partagée et surtout non établie par décret.

Pourquoi persistent les mauvaises herbes ? Peut-


on empêcher des managers publics d’innover ?
Denis CRISTOL, Directeur innovation et développement Apm
Il est difficile d’innover dans le secteur public puisque tout le système est orienté vers la conformité
des règles, des rôles et de statuts et le contrôle a priori. Autant dire que les managers innovateurs
publics sont en mission et solidement motivés. Parfois ils font faire des progrès dans une politique
publique, mais, le système n’a de cesse que de recréer des équilibres maîtrisables et rapidement
contrôlables. Pourtant certaines dynamiques d’innovations perdurent et des services, voire des direc-
tions entières évoluent. Il est donc possible d’innover. Ayant été manager public en charge d’innova-
tion, j’ai pu constater la dose de stress à assumer pour faire ce que l’on croit juste pour son institution.
J’ai pu aussi observer le « burn-out de l’innovateur » pour nombre de mes compagnons de route
rattrapés par la double peine, faire le travail attendu et mettre au point leur innovation organisation-
nelle, sociale ou technologique, ce qui s’apparente à une surcharge de travail. Souvent l’usure gagne
les managers innovants, que reste-t-il de leurs propositions, quand ils ne peuvent plus lutter contre
le système ? Les idées des innovateurs publics sont combattues comme de mauvaises herbes dans
le champ bien organisé de l’administration. Si l’on suit cette métaphore on dispose de stratégie pour
faire grandir l’innovation. Mon initiation récente à la permaculture, m’invite à porter un regard diffé-
rent sur les plantes et d’essayer de comprendre comment s’agence le monde du vivant. Ce que je
nommais « mauvaise herbe » a son utilité du point de vue de la permaculture et joue souvent des
fonctions d’équilibre dans le milieu où elles se développent. Les « mauvaises herbes » viennent des
éboulis, chablis, des rivages, des friches ou succession d’espaces naturels. Les machines dispersent
les « mauvaises herbes » allant de champ en champ. La contamination transite aussi par l’ingestion
des graines par les animaux qui les dispersent par leurs défécations, le vent et l’eau participent au
déplacement, la fourrure des animaux contribue aussi au déplacement. Pourtant les « mauvaises
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herbes » persistent.
La malherbologie est l’art de comprendre pourquoi ce que l’on cherche à éliminer dure et s’accroche.
Tout d’abord il faut savoir qu’un mètre carré de terre comprend en moyenne entre 1 000 à 50 000 se-
mences qui peuvent émerger. Sur 20 à 30 « mauvaises herbes », 4 à 5 seront dominantes et ce
n’est pas moins de 5 % à 10 % des graines qui émergent chaque année. Et quand on sait que la
graine persiste dans le sol minimum 6 à 10 ans et qu’elle peut se multiplier par 10 mais parfois à plus
de 100 fois, de 10 000 à 50 000 cela fait frémir les jardiniers et les agriculteurs. Imaginons que les
« mauvaises herbes » soient les idées qui ne cessent de circuler. Il n’est pas finalement si aisé de
les extirper, de les arracher, de les faucher, de les nettoyer, car les managers qui cherchent à innover
ne cessent de rêver, de parler, d’imaginer avec d’autres. Ils sèment des pratiques, celles-ci sont imi-
tées. Elles circulent dans les équipes à chaque fois qu’elles apportent un bénéfice dans la réalisation
des missions. Elles progressent dans les interstices organisationnels, à l’occasion de projets, dans
chacune des conversations. Le manager qui souhaite innover le fait en commençant par se lier aux
autres et par parler. Plus il parle, plus ses mots ont de l’emprise car ils se diffusent. Quand il passe à
l’acte, il nourrit les imaginaires qu’il à semer avec des réalisations concrètes, imitables. D’autres mots
sont prononcés et il devient difficile de les arrêter. Changeons-le de poste, ou de mission et il jouera
à l’égal des graines qui se dispersent. Excluons-le de l’organisation et les mots qu’il a prononcé per-

168 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


sisteront encore un moment, jusqu’à ce que de nouvelles actions soient initiées. Le temps long et la
démultiplication des tests jouent en la faveur de l’innovation.
Si l’on quitte la métaphore, on se rappellera de « L’innovation ordinaire » décrite par Norbert Alter.
Chaque geste est potentiellement transformateur de toute une direction prise. Le quotidien est un
champ d’exploration infini. Désormais l’innovation a bien pénétrée le monde public, de nombreuses
formations professionnalisent les managers, des communautés d’innovateurs se sont mises en place
en moins de 10 ans et ont initiés de nombreux agents publics à des pratiques d’intelligence collec-
tive et de codesign. Des nouveaux espaces (tiers-lieux, fab-labs), et de nouvelles pratiques organi-
sationnelles (start-up publiques) sont à la base de renouveau de territoires et de nouveaux services.
Le monde public s’efforce bien de stériliser tout ce qui dévie par l’équivalent organisationnel du
glyphosate, toujours plus de règlements, de circulaires et de rappel à l’ordre, « toujours plus de la
même chose », pour reprendre les constats de systémiciens. Mais, les managers publics innovants
trouvent des soutiens entre eux, sont reconnus par des prix (Prix Territoria), finissent par faire corps
pour lutter contre un système bureaucratique toujours difficile à manœuvre. Les managers publics qui
s’efforcent d’innover gardent en tête ce diction mexicain « Ils ont voulu nous enterrer, ils ont oublié
que nous étions des graines ».

Managers des organisations publiques, osez franchir le Rubicon


Patricia DAVID, Professeure Émérite, Institute of Sustainable Business and Organizations,
Confluence : Sciences et Humanités – UCLY, ESDES
Nathalie TESSIER, Enseignante-chercheuse, Institute of Sustainable Business and
Organizations, Confluence : Sciences et Humanités – UCLY, ESDE
Les « marqueurs » du New Public Management (NPM) comme la « Performance », la « Responsabili-
sation » et « l’Externalisation » dans les administrations publiques seraient déterminés selon D.Huron
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et J.Spindler (2019) par le « fétichisme des chiffres ». Pour rendre les territoires inclusifs et durables,
une approche qualitative renouvelée nécessite un travail « pour et avec les citoyens » ; approche qui
devient un objectif prioritaire et nécessaire dans le contexte actuel post-Covid. La mise en place d’un
management innovant des administrations publiques s’orienterait vers l’émergence d’un « capita-
lisme responsable » qui devrait dépasser des frontières entre les sphères publiques et privées. L’éco-
logie, le développement durable, le bien-être des habitants sont des enjeux incontournables dans le
développement des territoires. La QVT et le management des organisations publiques avec les chal-
lenges liés aux nouvelles formes d’organisation du travail comme le télétravail constituent également
un défi. L’accent doit être mis sur l’innovation managériale dans les organisations publiques (Armandy
et Rival ; 2021). L’innovation publique (numérique et managériale) prend ainsi le pas sur le NPM qui
a largement montré ses limites. Dès 2018, Noguera proposait des pistes d’action pour accélérer la
transformation du management public. Depuis la crise sanitaire, des travaux sur les métamorphoses
des organisations publiques se sont multipliés (Guelmami, 2021 ; Larivière, 2021 sur la gestion hospi-
talière). C’est notamment dans le domaine des soft skills telles que l’agilité, la souplesse, la créativité,
la résolution de problèmes complexes, que l’innovation managériale dans les organisations publiques
permettra de favoriser les initiatives locales et citoyennes, le développement des incubateurs, la mul-
tiplication des éco-quartiers, les partenariats entre le secteur public et le secteur privé. Alors soyons
prêts à libérer les frontières du management public… « alea jacta est ».

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 169


REGARDS CROISÉS

Innovation managériale et Éducation nationale :


pour quand une vraie prise en compte de la santé mentale ?
Anne-Marie de VAIVRE, déléguée générale, Cercle Entreprise et Santé
Avec 12,5 millions d’élèves, près de 2 millions d’enseignants et personnels d’éducation, et aussi plus
de 20 millions de familles concernées via enfants et adolescents et indirectement toutes les com-
munes et tous les territoires de France, la santé mentale dans le.s monde.s de l’enseignement est
un creuset et un périmètre crucial pour l’équilibre de tous nos concitoyens. La lecture du rapport de
synthèse du Baromètre International de la santé et du bien-être du personnel de l’éducation (Baro-
mètre RES/FESP-MGEN, paru en 2022, données 2021 pour 6 pays), est édifiante : la France présente
les plus mauvais scores sur à peu près tous les items, avec par exemple le taux le plus élevé de
stress dans la perception de leurs métiers par les agents : 81 % en France, pour 67 % en Belgique,
et 62 % au Maroc. Idem, le pourcentage d’enseignants souffrant souvent ou très souvent d’anxiété,
de sentiments de désespoir ou de dépressions : ils sont 52 %, selon ce même Baromètre, à exprimer
être touchés en France. Où sont dans ce domaine les facteurs d’innovation managériale et de per-
formance en effet d’entraînement du côté de l’État Employeur ? Alors que le décret pour (l’obligation
de) prévention médicale et santé-sécurité dans la fonction publique remonte à 1982, que le premier
accord entre l’État employeur et les syndicats de salariés, sur la santé et la sécurité au travail dans la
Fonction publique date de novembre 2009, et qu’un(nième) rapport pour la Santé au Travail dans la
fonction publique a été remis au Président de la République il y a à peine quelques mois, la situation
structurelle, les obligations et les moyens que se donne l’État en Prévention Santé et Santé Mentale
ne semble avoir guère évolué pour ses personnels de l’éducation : une infime minorité, moins de
5 %, dit avoir eu l’opportunité de voir un médecin du travail. Durant toute leur carrière, la plupart des
autres n’auront jamais vu un médecin ou un service de santé au travail. Et si des dispositifs ont pu
être mis en place ponctuellement, et souvent efficacement pour la réponse ponctuelle aux crises
/ – pour les plus criantes d’entre elles – assassinat de Samuel Paty, crise Covid, accidents majeurs
de harcèlement ou suicide / force est de constater qu’une prévention forte, réelle, de long terme,
en responsabilité de l’État employeur avec les moyens adéquats n’est pas encore mise en place, et
laisse en déshérence et en risque, livrés à leurs seuls efforts de terrain, des dizaines de milliers d’éta-
blissements, près de deux millions d’adultes, enseignants administratifs et personnels techniques,
plus de douze millions d’enfants, adolescents, élèves, avec les effets délétères inéluctables sur les
territoires environnants.
En mars 2022, le Cercle Entreprises et Santé1 organisait une table-ronde sur ce thème sociétal essen-
tiel de résilience, sur la base d’exemples de prise en compte de terrain de ces enjeux : responsables
d’établissements, enseignants, syndicats, relais, partenaires mutualistes, associations…, agissent
positivement, sans attendre, sur leurs territoires, mais aspirent à une vraie coordination en Santé
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Globale de la part de leur employeur. La vraie innovation managériale, ce sera quand l’État employeur,
– qui comme tout employeur a ou devrait avoir une ardente obligation de sécurité-santé de résultat –,
assumera pleinement sa responsabilité d’employeur, de prévention et d’exemple, par des textes et
des moyens, qui aligneront enfin objectifs et cadre réglementaire, comme ceux qui s’imposent aux
organismes et entreprises privés y compris les PME, et se dotera réellement des moyens – pérennes
et en propre – de développer la prévention primaire en santé mentale, pour tous ses opérateurs. À
quand ?

170 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Un oxymore : l’innovation dans le management public ?
Bruno DUFOUR, ancien DG de l’EM Lyon, Initiateur d’Equis
L’innovation peut concerner l’ensemble des produits ou processus de l’organisation, être incrémen-
tale ou de rupture. Dans le premier cas, on trouvera dans la mise en place de groupes de progrès, de
pratiques d’auto-évaluation, de boites de suggestion, de démarches d’accréditation, voire de bench-
marking. Pour que l’innovation de rupture soit possible il faut identifier la culture organisationnelle.
Est-elle ouverte, flexible ou non ? On trouve schématiquement soit le type À « tout ce qui n’est pas
explicitement autorisé est interdit », soit le type B « tout ce qui n’est pas explicitement interdit est
autorisé ». Le management public est plutôt de type A, modulo quelques paramètres. Parmi ceux-ci,
on trouve le niveau d’autonomie du statut, le mode de gouvernance et le style de management des
dirigeants, le type d’activité et le niveau de risque associé, et enfin le contexte et les partenaires de
l’organisation concernée qui peuvent être plus ou moins entrepreneuriaux. L’expérience de visite
d’accréditation montre que le même genre d’institution, par exemple un IAE, peut présenter des mar-
queurs d’innovation nettement différenciés. Un IAE (type A) au sein d’une Faculté de géographie sera
potentiellement plus contraint qu’un IAE (type B) relié directement à l’Université. Un IAE (type B) a pu
ainsi mettre en place un partenariat innovant avec son environnement économique, en développant
en coopération/délégation avec le club des entreprises locales le service qui gère, au sein même de
l’IAE, les relations avec ces mêmes entreprises : service stages, formation continue, carrière, taxe
d’apprentissage…Quand la coopération est là, les problèmes se résolvent vite. Contraindre ne motive
pas, l’innovation ne se décrète pas. Comme le disait L. Schweitzer, Président de Renault, « on ne
pousse pas sur une ficelle ». L’innovation dans le management public est donc plus un enjeu qu’une
controverse.

Pour le secteur public, si l’innovation veut exister


elle devra aussi être managériale
Christine DUGOIN-CLEMENT, IAE Paris
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Au lendemain du scrutin présidentiel, la Covid-19 perdure et le conflit russo-ukrainien perturbe les
schémas organisationnels en matière, notamment de supply chain et de compliance. Ces change-
ments radicaux, qui affectent profondément le rapport au travail, exigent que les entreprises et les
organisations publiques placent la performance au centre de leurs priorités. À cet égard, alors que l’in-
novation managériale constituerait un facteur de performance (Le Roy et al., 2013), Boltanski (1981)
considère que les technologies sociales pourraient être plus perturbatrices pour le rapport de travail
que les innovations techniques. Il semble alors que les évolutions actuelles du contexte sanitaire et
géopolitique sont les vecteurs d’un changement radical de nature à encourager, voire à contraindre,
l’innovation managériale. La progression du télétravail en est un exemple. Cependant, ces pertur-
bations de l’environnement à l’échelle du monde pourraient n’avoir fait qu’accélérer une évolution
inéluctable puisque, pour Vigoda-Gadot et al. (2018), les réformes managériales dans le secteur public
sont impératives et incontournables. Ainsi, la période actuelle offre un parfait sujet d’étude pour
les problématiques de Curry (2014) relatives à l’avenir des réformes managériales et à leur impact
éventuel sur la gouvernance mondiale. Cette question appelle une réponse en termes d’innovations
organisationnelle (Daft, 1978 ; Ménard, 1995 ; Ayerbe-Machat, 2003), et surtout managériale (Hamel,
2006 ; Birkinshaw et al., 2008 ; Damanpour et Aravind, 2012 ; Jaouen et Le Roy, 2013), pour le sec-
teur public qui en est un acteur privilégié.

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REGARDS CROISÉS

Innovation sans conscience, ruine de l’âme managériale ?


Jean-Marc DULOU, Directeur pédagogique. ESG RH, Paris
Plus que jamais les outils liés au pilotage de la performance sont prééminents parmi les marqueurs de
l’innovation managériale : du balanced score card et ses KPI au pilotage en temps réel en mode pro-
jet. Les marqueurs de l’innovation managériale semblent s’inscrire dans un pilotage serré en mode
projet d’une « performance joyeuse ».
Pour autant, François DUPUY1 déplore le non-sens de la multiplication des chefs de projets et Jean-
Michel CAYE2 l’inutilité de 40 % des indicateurs de certaines organisations. Enfin, à l’heure des ques-
tions d’inclusion, Eva ILLOUZ souligne les travers de l’happycratie3.
Ainsi, l’innovation managériale ne doit pas nous faire perdre de vue le sens et le sens de l’engage-
ment des collaborateurs, au risque d’y perdre l’âme de l’organisation. Les managers ne peuvent
s’affranchir de ce marqueur essentiel sous peine de perdre les autres, interdépendants, que sont la
loyauté à l’organisation et la vision globale de la direction donnée.
Co-construire l’organisation de ses besoins et non celle de ses habitudes redevient essentiel et vital
pour nos organisations, qu’importe quelles soient publiques ou privées.
Dupuy F (2015), La faillite de la pensée managériale.
Caye J.-M. (2014), Etude sur la contribution des ressources humaines à la performance financière des entreprises, Boston
Consulting Group.
Illouz E. (2018), Happycratie – Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies.

L’innovation managériale : Tribulations et


chimères de l’enseignement supérieur
Michelle DUPORT, Université Paul Valéry, CORHIS EA 74 000
L’enseignement supérieur (ES) a profondément changé au cours des dernières décennies du fait de
d’évolutions sociétale, socioéconomique, technologique, politique, démographique… Les missions
des Universités ont été bouleversées et accompagnées d’injonctions paradoxales. Ce tsunami peut
être résumé en quelques mots : compétences, autonomie, performance, concurrence, rentabilité
mais aussi par de nouveaux objectifs d’innovation et de modernisation. Le cap est donné par diverses
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lois dont la LRU (Loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007), la LOLF (Loi

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organique relative aux lois de finances), la loi sur l’innovation de 1999 avec pour objectif déclaré de
concurrencer les meilleures universités mondiales. Le vocabulaire de la gestion est désormais de
mise : gouvernance, appel à projets, indicateurs, tableaux de bord, évaluation… Tous les outils des
entreprises privées sont transférés – Contrôle de gestion, GPEC, Primes (RIFSEEP : Régime indem-
nitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel),
GED (Gestion électronique de documents) – avec deux objectifs implicites, performance et rentabilité
financière. Ces outils s’imposent dans les activités et le discours managérial est omniprésent. Le
changement de paradigme est violent et les problèmes d’acculturation comme de compétences sont
criants. Pour autant, pouvons-nous conclure à l’innovation managériale ? L’innovation managériale
ne peut se réduire à la technique pas plus qu’à l’émancipation aveugle des modèles classiques. Elle
suppose avant tout des managers et du management mais aussi une vision et une compréhension
fine des organisations. Certes il y en a de plus en plus de managers mais avec quelles compétences ?
Une innovation pensée dans les Ministères et imposée dans les établissements sans qu’elle ne soit
toujours ni maîtrisée ni adaptée n’est pas l’apanage de la réussite de la performance. Ajoutons que
l’innovation managériale comporte aussi le bien-être et la réponse aux attentes des salariés ou usa-
gers de plus en plus avides de liberté, d’autonomie et de sens du travail. Nous pourrions ajouter, en ce
cas précis, de sens du service public alors que les marges de liberté et d’initiative se rétrécissent dans

172 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


des carcans de procédures et de tableaux de reporting chronophages à la finalité douteuse. L’inten-
tion de départ est oubliée, la performance escomptée n’est pas au rendez-vous et les coûts cachés
explosent. Que penser de la mise en place d’une dématérialisation qui, parallèlement, s’accompagne
de fait de la transmission de documents papier, de l’utilisation d’un parafeur électronique, avec im-
pression du document, signature, scan et dépôt sur la plateforme ? Des questions subsistent. Quelle
est la cohérence entre ces pratiques managériales et la structure organisationnelle des universités,
quelle compatibilité entre la GAR (Gestion axée sur les résultats) et les missions de l’ES et le système
partagé de valeurs ? Quel accompagnement au changement ? Quelle compréhension et maîtrise du
management ? Quelle mesure de l’impact de ces innovations ? L’évaluation réelle des effets positifs
mais surtout négatifs est la grande oubliée de ces injonctions à l’innovation managériale dans l’ES.

L’e-administration comme marqueur de l’innovation managériale


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dans les pays en développement : le cas de la gestion des
usagers dans les organisations publiques gabonaises
Jean-Jacques EKOMIE, Professeur agrégé, faculté des Sciences économiques, CIREGED,
Université Omar BONGO, Libreville, Gabon
Entamée avec le Plan Stratégique Gabon Émergent (PSGE) en 2009, la modernisation de l’administra-
tion publique gabonaise a trouvé un cadre favorable à sa redynamisation avec la crise de la Covid-19.
En effet, le pays est le mieux classé de la région Afrique centrale sur l’intégration du numérique dans
la gestion des usagers du service public à travers son dispositif e-governement (E-governement sur-
vey 2020, ONU). Ainsi, l’e-administration, entendue comme l’usage des Technologies de l’Information
et de la Communication pour offrir une prestation de qualité aux administrés, d’une part, leur donner
la possibilité de procéder en ligne à leurs démarches administratives, d’autre part, s’est rapidement
imposée comme innovation managériale dans les organisations publiques gabonaises. Dans ce sens,
le dispositif e-tax de la Direction Générale des Impôts est un portail fiscal pour renforcer l’efficacité
opérationnelle dans le recouvrement de l’impôt public. Le programme SmartGov crée un écosystème
de partage entre administrations dans le but de les rendre plus collaboratives et plus efficaces. Ces
dispositifs, et bien d’autres, constituent des marqueurs de l’innovation managériale dans la gestion
des usagers publics au Gabon à l’ère du digital.

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REGARDS CROISÉS

Comprendre l’innovation publique locale pour mieux l’accompagner


Christophe FAVOREU, Professeur, Toulouse Business School
Yoann QUEYROI, Maître de conférences, INU Champollion, LGCO
Souvent considérées comme la principale réponse aux bouleversements sans précédent que connaît
le secteur public, les innovations publiques demeurent paradoxales, et peu d’entre elles parviennent à
dépasser les phases de mise en œuvre et de diffusion. Ainsi, il est indispensable de progresser dans
la compréhension et l’accompagnement de cette thématique auprès des managers publics. D’abord,
l’innovation prend de multiples traductions au sein des organisations publiques en étant protéiforme.
Elle participe alors à l’amélioration des modes de fonctionnement, dans une logique managériale et
interne, mais elle répond aussi à une logique sociétale en apportant une amélioration du bien-être de
la population, et un développement durable.
Ensuite, parmi les multiples facteurs qui influencent la dynamique d’adoption de l’innovation, il semble
crucial de porter attention aux caractéristiques des innovations publiques. En effet, la compatibilité
avec les valeurs publiques, la perception de l’avantage, le caractère frugal semblent être des critères
majeurs de réussite. Enfin, l’innovation publique paraît largement dépendre d’une logique détermi-
niste, en étant portée par des managers endossant la posture de leader. Dans ce cadre, un mode de
management collaboratif et interactif questionne le processus d’appropriation, et conditionne l’utili-
sation et la diffusion effectives des innovations. C’est pourquoi, les organisations publiques doivent
promouvoir et accompagner les phénomènes d’expérimentation, d’apprentissage, de perception et
de construction de sens autour des pratiques innovantes.
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L’innovation managériale dans les organismes
publics est-elle possible ?
Driss FERAR, Colonel-Major de Gendarmerie Royale (E.R), docteur en sciences de gestion,
enseignant-chercheur

Si l’innovation managériale relève d’une approche par un management de la connaissance (Brown,


1999), dans le contexte des pays en développement l’innovation est perçue comme similaire à l’imi-
tation. (Gray 2002). L’innovation se heurte en effet à la prédominance des intérêts individuels des
responsables qui se sentent plus à l’aise dans leur situation actuelle jugée plus confortable (Benson
et Al-Arkoubi, 2006). Cependant, l’évolution de l’innovation managériale serait tributaire d’un chan-
gement de situation de statu quo vers une situation de conception nouvelle et de développement
durable (Brette et al., 2011). Il n’en demeure pas moins que quelques tentatives de changement
de pratiques managériales (transparence, responsabilisation, bonne gouvernance, performance),
constitueraient des réformes structurelles ambitieuses, plutôt que des marqueurs d’innovation et de
créativité. Par contre l’innovation technologique, la cybersécurité des systèmes d’informations et de
défense relevant des attributs régaliens des organisations publiques, demeurent les marqueurs les
plus significatifs de l’innovation.

174 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Une histoire d’être ensemble ?
Jean-Marie FESSLER, ancien directeur d’hôpital et des établissements de soins de la MGEN,
enseignant pour l’ESSEC, les Arts & Métiers, Stanford University

En France, chacun sait que l’action publique dessine une cosmologie déterminante. Une longue pra-
tique professionnelle d’organisations publiques en santé et une appartenance au think-tank opéra-
tionnel Galilée.sp – on pourra utilement se reporter au site du même nom – qui se confronte à la rude
question suivante : « De quelle fonction publique avons-nous besoin pour traverser le XXIe siècle ? »,
incitent à la synthèse. Le bien commun et les services à rendre à toutes et tous ne peuvent se prêter
aux modes managériales qui, trop souvent, déstabilisent inutilement des fondamentaux du manage-
ment. Ainsi, l’action publique ne devrait-elle pas être résolument orientée sur les quatre ensembles
de marqueurs suivants : les résultats et la qualité réels des services rendus aux usagers ; le respect
de la fierté des métiers et la prise en compte véritable des avis et propositions de celles et ceux qui
savent faire et produire quelque chose ; l’attachement à l’étape de conception des innovations, dont
on sait qu’elle détermine deux-tiers des coûts et avantages sur leur durée de vie ; la priorité fixée sur
la solidité des équipes et donc la disparition des craintes, exhortations, quotas et objectifs chiffrés
brouillons. Se perdre dans le mouvement exalté de la gouvernance par les textes et les nombres qui
impose tant d’exigences à nos existences, hors délibération démocratique et fût-ce sous la forme
apparemment moderne d’algorithmes jamais soumis au moindre débat infoéthique, liquide aussi la
solidarité et la fraternité. Au total, n’apparaît-il pas vital et urgent d’apprendre que les dirigeant.e.s
efficaces pensent et disent « nous » ?

Management des activités publiques :


vers un changement de paradigme ?
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Fabrice FORT, Président de l’association pour le développement et l’enseignement de
l’ingénierie sociale (ADERIS), Délégué-Général du cabinet ACACIA

La gestion publique fut longtemps assimilée à une bureaucratie, totalement déconnectée des concepts
de management développés par les entreprises du secteur concurrentiel. Deux éléments différencient
la gestion publique de celle de l’entreprise : le positionnement en termes d’intérêt général et les régle-
mentations spécifiques. A. Bartoli donne la définition suivante du management public : « l’ensemble
des processus de finalisation, d’organisation, d’animation et de contrôle des organisations publiques
visant à développer leurs performances générales et à piloter leur évolution dans le respect de leur
vocation ». Ce concept a beaucoup évolué ces trois dernières décennies et a fait l’objet de nombreux
travaux dans la sphère des sciences de gestion. Le nouveau management public constitue en ce sens
un changement de paradigme dans la gestion des politiques publiques, assimilable à un changement
de convention de l’État au sens de Salais et Storper. Il serait alors possible de considérer que l’État
ambitionne de faire passer la sphère publique d’une logique de bureaucratie wéberienne de service
public à une logique post-bureaucratique promouvant des valeurs d’efficience économique, en réfé-
rence aux « trois E » de la littérature anglo-saxonne : Economy, Efficiency et Effectiveness. Afin de
conduire cette transition, les collectivités publiques font appel à des cabinets de conseil spécialisés
dans le cadre d’appels d’offres publics prévoyant un accompagnement sur plusieurs années.

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REGARDS CROISÉS

Le Management Public à l’ère du développement durable


et de la responsabilité sociétale des organisations
Yassine FOUDAD, président de l’Association algérienne de l’audit social
À l’instar du management d’entreprise et des organisations marchandes, le management public est
aussi interpellé par de nouvelles problématiques en phase avec les questions environnementales,
économiques et sociales tant au niveau local que global :
• Sur les questions environnementales : le changement ou plutôt réchauffement climatique à
l’échelle planétaire nécessite la participation-contribution de l’ensemble des parties prenantes,
notamment les institutions et administrations publiques. Tant dans l’élaboration des politiques pu-
bliques que de leur exécution par des agences spécialisées ainsi que de leur évaluation post-ante
selon les critères d’efficience-efficacité et pertinence. Le management public est donc interpellé
pour revisiter ses modes d’action et méthodes de gestion pour s’adapter à cette nouvelle donne,
notamment avec la contribution aux 17 ODD (objectifs développement durable) 2015-2030 des
Nations Unies dans les principaux domaines régaliens de l’état (eau, santé, alimentation, agricul-
ture, énergie, justice, emploi, coopération internationale…). La dématérialisation des principaux
services publics et documents fournis aux citoyens contribue également à ce challenge, ne serait-
ce que pour réduire l’énorme consommation de papier et dossiers budgétivores et aux bilans
carbones élevés ;
• Sur les questions économiques, le changement du modèle économique de ce XXIe siècle néces-
site la conception et mise en œuvre de nouvelles approches macro et micro-économiques dans
les nouvelles filières industrielles, tertiaires, agricoles avec l’appui de la recherche fondamentale
et appliquée. L’administration publique est donc interpellée tant au niveau stratégique qu’opéra-
tionnel pour évoluer d’une approche budgétaire et de moyens à une Gestion Axée sur les Résul-
tats (GAR). A-fortiori pour les entreprises publiques qui activent dans des marchés concurrentiels
en perpétuelle évolution qui les obligent à s’adapter aux nouveaux besoins d’une clientèle de
plus en plus exigeante et mobile. Le management public est donc interpellé pour revisiter ses
modes de gestion économiques, notamment dans les processus de planification, de gestion des
projets, d’appels d’offres et passation de marchés publics, d’évaluation des programmes avec
une contribution élevée à la lutte anti-corruption dans les « fonctions à risques » (achats, travaux,
sous-traitance, prestations de services, concessions…). Avec comme conséquence, une meil-
leure Redevabilité et Transparence dans la restitution des dépenses-résultats et de la reddition
des comptes. À l’avenir le management sera Responsable ou pas avec l’intégration des principes
de RSO (responsabilité sociétale des organisations) dans les triples axes EES (économique, envi-
ronnemental et sociétal) de manière volontaire et non coercitive en s’appuyant sur les référentiels
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internationaux de RS et également de Reporting extra-financier ;
• Sur les questions sociales, la fin de « l’état-providence » va développer des approches mieux
ciblées et sélectives dans l’attribution des subventions publiques de certains produits alimen-
taires, énergétiques, du logement social, de l’habitat, l’eau potable et de l’enseignement. La fin
de « l’emploi à vie » avec le développement de la flexibilité du travail et de la négociation collec-
tive avec les partenaires sociaux va entraîner de nouveaux réajustements que ne permettaient
pas toujours les statuts généraux et particuliers de la fonction publique. De ce fait, l’avenir des
systèmes de protection sociale, notamment de retraite et d’assurance-chômage devront élabo-
rer de nouveaux mécanismes d’ajustement pour assurer leur équilibre et leur pérennité au profit
des futures générations. La formation continue est également nécessaire pour accompagner ces
changements de paradigmes et de visions, notamment la formation des élus communaux, régio-
naux, parlementaires et des agents/responsables administratifs à tous les échelons pour assurer
la mise à niveau de leurs compétences et leur adaptation continue. Ceci favoriserait l’ancrage de la
démocratie participative à tous les échelons et la participation de la société civile et du mouvement
associatif dans des domaines d’intérêt commun complémentaires aux politiques publiques.

176 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Les injonctions paradoxales
Jean-Michel GARRIGUES, Associé, Ressources Humaines et Développement, BLB
L’innovation managériale dans la fonction publique est aujourd’hui prégnante, et veut s’inspirer du pur
privé. J’ai créé depuis plusieurs années un club des DRH du « public », pour y mêler des pures admi-
nistrations ou organisations publiques à des entreprises dans le capital desquelles l’État est présent,
mais qui sont gérées comme des entreprises privées. Les échanges y sont riches, et instructifs, parti-
culièrement quand sont abordés les exemples d’entreprises mêlant encore fonctionnaires et contrac-
tuels, comme Orange. Les contradictions sont encore patentes : on veut reproduire des modes d’or-
ganisation ou de management d’entreprises capitalistiques tout en s’extrayant d’office de règles qui
y sont applicables, en matière de durée du travail ou de gestion des carrières notamment. On veut le
bénéfice des unes sans les contraintes des autres. L’État, déjà réputé mauvais payeur, s’avère égale-
ment mauvais employeur, malgré de réels efforts pour rendre attractive la fonction publique, pour y
créer de vraies vocations et pas uniquement le souci d’y chercher des carrières sereines. La coexis-
tence, de plus en plus marquée, entre agents publics et salariés sous contrat complexifie la situation,
puisque les fondamentaux sont différents pour les deux catégories. En outre, certaines organisations
ont des filiales ou des activités relevant totalement du droit privé, ce qui embrume encore davantage
la réflexion de la gouvernance. Prenons l’exemple des entretiens annuels d’évaluation : le privé a déjà
pu décider de s’en passer quand le public ne les connaît pas encore beaucoup. Les partisans de la
rémunération au mérite et les tenants de la rémunération à l’ancienneté ne cessent de s’invectiver
par partenaires sociaux interposés.
Certes, quelques collectivités nationales ou territoriales, quelques acteurs publics à taille humaine,
s’orientent résolument vers une gestion assez similaire à celle d’entreprises privées, avec d’ailleurs
des résultats utiles. Des DRH issus du privé intègrent des entreprises ou des organisations publiques
pour tenter d’y porter la bonne parole. Mais, dans une course de fond, difficile d’évaluer les coureurs
quand ils ne partent pas de la même ligne et quand ils n’ont pas les mêmes longueurs de parcours ni
les mêmes obstacles… Délicat, donc, d’évoquer des marqueurs communs, quand la réalité est telle-
ment diverse… Entre les harangues solennelles des ministères de tutelle et les constats quotidiens
de pur terrain, on est plus près du gouffre que de la faille, même si les bonnes volontés ne sont pas
niables, de part et d’autre. Le chemin est encore long, déjà, simplement, vers une appréciation com-
mune des modes de gestion de l’humain dans tout ce qui dépend de l’État, en tout ou partie. Choisir
des marqueurs collectifs avant de vouloir l’innovation managériale. Les concepts avant les outils, la
réflexion avant l’action ».
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REGARDS CROISÉS

Management de l’innovation dans les


organisations publiques : un paradoxe ?
Baï Judith GLIDJA, Professeure Agrégée des Universités, Université d’Abomey-Calavi, DG de
La Poste du Bénin SA

L’innovation demeure au cœur de la stratégie et de la réussite organisationnelles. Elle permet aux


entreprises d’être compétitives et résilientes aux aléas économiques et environnementaux mais
aussi aux entreprises et administrations de relever les grands défis d’intérêt général et d’améliorer
la qualité des services publics. Mais, il est de plus en plus difficile aux décideurs d’engager leur
organisation dans un processus d’innovation, surtout lorsqu’il s’agit des organisations publiques dont
la gouvernance et le management sont généralement influencés par la rigidité (Weber, 1920) et les
aléas politiques (Crozier et Friedberg, 1977). En effet, les règles de bonne gestion font souvent obs-
tacles à l’émergence de l’innovation qui est par nature un processus long, incertain et à haut risque
(Christensen, 1997). Les managers se trouvent donc dans une situation de dilemme. Silberzahn et al.
(2007) perçoivent l’intrapreneuriat comme la solution à ce dilemme car il permet d’innover de manière
radicale et incrémentale. L’intrapreneuriat traduit l’idée de laisser les salariés entreprendre au sein
de l’organisation. Stimuler l’innovation dans une organisation publique semble donc une remise en
question de cette forme d’organisation au plans managérial et culturel. Ce paradoxe pourrait-elle être
surmonté en recourant au New Public Management ?

Passer de l’école du centralisme à l’école du pragmatisme


Laurent GRANDGUILLAUME, Ancien député, auteur de la loi d’expérimentation territoriale
visant à résorber le chômage de longue durée du 29 février 2016, Président de l’association
Territoires zéro chômeur de longue durée

Dans un contexte de crises, l’État doit se réinventer, entre le krisis, porteur de fractures, et le kairos,
porteur de nouvelles bifurcations et d’opportunités. Cette transformation passe non pas seulement
par un changement conceptuel de la mesure de la performance, et un dépassement des limites de
la LOLF, mais surtout par l’innovation managériale des organisations publiques. Les organisations
publiques, à travers leur management, doivent en effet innover face à un triple défi :
• La défiance vis-à-vis du politique qui guide pourtant l’action des organisations publiques et qui les
légitiment ;
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• Le passage de problématiques à résoudre qui était compliquées et qui deviennent par nature com-
plexes avec une multiplication des interactions avec les acteurs de la société civile ;
• L’accélération technologique accompagnée d’une décélération sociale qui s’incarne en particulier
dans les phénomènes de déréliction, de désaffiliation et d’éclatement des structures tradition-
nelles de socialisation.
Dans le cadre de nos recherches, et en particulier d’une observation participante, nous pensons que
l’innovation managériale dans les organisations publiques peut s’articuler autour de deux principes :
• Face à la défiance et à la complexité, développer un management inclusif qui considère toutes les
parties prenantes comme des acteurs et non pas seulement comme des bénéficiaires. Il s’agit
de faire « avec » et non pas seulement « pour ». Cela vaut pour les personnes comme pour les
territoires. C’est bien le principe de confiance qui doit fonder un management inclusif ;
• Développer de nouvelles médiations sociales, culturelles, publiques qui relient et facilitent les
échanges. Il s’agit de considérer l’exhaustivité des situations à travers l’altérité. Il n’existe pas
d’invisibles des politiques publiques, mais des ignorés. Il convient donc d’aller au-devant par de
nouvelles médiations et non pas seulement de se satisfaire d’une relation algorithmique. Nous
invitons donc au pragmatisme de John Dewey bien plus qu’au centralisme et au « système » de
Richelieu.

178 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Père gardez-vous à droite, père gardez-vous à gauche…
François GUEUZE, Enseignant-chercheur, MAG RH
Ne voyez dans cette reprise de Philippe le Hardi aucune allusion politique, mais simplement l’illustra-
tion du difficile chemin de la transformation et de l’innovation managériale au sein du secteur public.
D’autant que bien souvent l’« innovation managériale » est bien souvent la transposée de modes de
fonctionnements empruntés au secteur « privé » et qu’ils sont vus comme autant d’occasion d’accroître
performance et productivité. Faut-il alors s’étonner des difficultés de mise en œuvre et du faible niveau
d’adoption de ces innovations ? Un DRH hospitalier me disait un jour, « la grande différence entre toi
et moi c’est que j’ai toutes les peines du monde à sanctionner ou reconnaître… ». Une première mise
en garde que l’on pourrait ainsi donner à un manager du secteur public serait de ne jamais oublier qu’il
est dans un contexte particulier, qui n’est pas celui de l’entreprise privée et que l’acceptabilité d’une
innovation managériale doit prendre en compte les points de vue de l’ensemble des parties prenantes.
Ensuite, n’oublions pas que les organisations publiques savent se « retrousser » les manches, regardons
dans le passé très récent le développement du télétravail, les efforts considérables, très visibles, faits
par les agents hospitaliers et les trésors d’adaptation et de disponibilité mis en œuvre par tous les autres.
Derrière ces réussites, la volonté de garantir et de maintenir au mieux la notion de service public, de
service au service du public. Les entreprises découvrent depuis peu (et lentement il est vrai) la notion
d’entreprise à mission. Ce n’est pas pour que le secteur public l’oublie dans sa quête de la performance.
Manager, gardez-vous du contexte, Manager, gardez-vous d’oublier vos missions…
(PS : espérons aux managers une meilleure fin que celle du Roi Jean Le bon à Poitiers)

Comment repenser et rendre l’économie politique de l’innovation


managériale plus grande dans l’approche des crises ?
Mohamed HARAKAT, Professeur, Université Mohammed V, Rabat
Avec l’émergence des biens publics communs affectant notre quotidien : TIC, changement climatique,
sécurité alimentaire, santé, gouvernance stratégique de l’État et de l’ entreprise, l’économie politique
des organisations publiques devrait repenser et réinventer de nouveaux projets sociétaux d’innovations
managériales dans le processus d’approche des crises dramatiques et des grandes questions de rési-
lience qui se posent dans ces temps difficiles. En fait, le cercle vicieux de la gouvernance se manifeste
notamment par le dysfonctionnement du marché, la stagflation, le déficit de la santé et l’irrespect de
la propriété ce qui entraîne le développement de l’économie de la rente, l’instabilité et la récession. Il
incombe à l’État social de découvrir un nouveau modèle de développement, de documenter les inéga-
lités et de comprendre et suggérer des politiques efficaces pour protéger les couches sociales les plus
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vulnérables et de défendre leur dignité humaine. Il est question aujourd’hui de repenser et rendre l’éco-
nomie politique des organisations publiques plus grande dans l’approche des crises (cf. AV, Banergie & E.
Duflo,2019). Une telle économie politique devrait être au service du bien commun. Ce retour avec force
de l’État social aura pour tâche d’identifier les institutions et les politiques qui promouvront l’intérêt géné-
ral, en vue d’examiner les situations où l’intérêt individuel est compatible avec cette quête du bien-être
collectif (J. Tirole, Economie du bien commun, 2014). Une telle action devrait favoriser l’émergence d’un
État moderne, défendant les vertus du marché concurrentiel permettant notamment d’augmenter le
pouvoir d’achat des ménages en abaissant le prix, de créer des incitations pour réduire les coûts de pro-
duction, de stimuler l’innovation, et surtout de protéger le citoyen de la discrétion et du secret marquant
les marchés monopolistiques. Cinq marqueurs essentiels de la gouvernance stratégique et humaine
devraient être envisagés, à ce titre : 1.L’élaboration d’une vision stratégique participative proactive en
termes de force et de faiblesse des actions managériales de l’État ; 2.Favoriser l’émergence d’une nou-
velle organisation des actions publiques par le biais de la mise en place des mécanismes d’un véritable
État social, dynamique, stratège, protecteur et surtout mobilisateur et communicant basé sur un sys-
tème de communication organisée et homogène ;3.Instaurer un système de management public favori-
sant la compétition, les valeurs de compétences et de mérite dans la gestion des risques ;4. Développer
des structures de contrôle interne et d’audit stratégique dans l’évaluation des risques et des indicateurs
de performance et de changement organisationnel ; 5.Mettre en place un système transparent et fiable
d’évaluation démocratique des politiques publiques et de reddition des comptes.

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REGARDS CROISÉS

La transformation digitale et l’agilité organisationnelle


dans les organisations publiques
Driss HELMI, Professeur, Ecole Nationale de Commerce et de Gestion, Oujda, Algérie
Une innovation managériale est une transformation majeure des pratiques entre les managers et les
collaborateurs. Il s’agit d’évoluer d’une relation de subordination vers la coresponsabilité. Parmi les mar-
queurs les significatifs dans cet ordre d’idées la transformation digitale. Parler de transformation digitale
(TD) en entreprise, c’est parler de conduite de changements liés à la mise en œuvre des nouvelles tech-
nologies d’information et de communication dans toutes les strates de l’entreprise. La réussite d’une
TD passe nécessairement par une disruption des modes d’organisation et de gestion des entreprises.
Selon Dudézert la transformation digitale est une démarche volontaire qui consiste en « l’exploration et
l’exploitation des nouveaux possibles engendrés par ces technologies de l’information, en particulier au
niveau organisationnel ». Elle implique « une transformation des pratiques de travail internes […] vers
une organisation plus collaborative plate, moins centralisée et laissant une large autonomie d’action à
l’acteur » (Dudézert, 2018). Pour cet auteur, la transformation digitale entraîne de nombreux change-
ments et nécessite d’être agile. L’agilité permet de dépasser le modèle d’organisation taylorien et les
modes de fonctionnement classiques avec des actions détaillées et pré-pensées en faveur d’un modèle
plus agile plus collaboratif dans lequel l’être disparaît au profit du processus ; les relations hiérarchiques
et de subordinations sont totalement abolis avec la dématérialisation et la déspécialisation générées par
le numérique. Ceci a été confirmé par plusieurs chercheurs qui considèrent que l’agilité est avant tout
une philosophie gestionnaire, qui a pour objectif de mieux développer des produits par la pratique, en
construisant l’organisation pendant le déroulement du projet (par exemple, Khalil, 2011). Par ailleurs,
on peut résumer les principales caractéristiques d’une organisation agile ; sur lesquelles les recherches
actuelles convergent :
• La transversalité de l’organisation : le passage d’une organisation verticale à une organisation
horizontale ;
• La réduction du nombre de niveaux hiérarchiques ;
• La décentralisation de l’entreprise par la mise en place de petites entités, relativement autonomes
et reliées les unes aux autres et avec l’extérieur ;
• Le décloisonnement de l’entreprise afin de favoriser les initiatives personnelles et la communica-
tion avec comme objectif majeur ; la satisfaction client ;
• La délégation d’une partie des taches aux subordonnes (déhiérarchisassions) ;
• L’externalisation d’activités considérées comme secondaires et jugées non stratégiques (manage-
ment contractuel) ;
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• L’Émergence de nouveaux modes de management, encourageant l’initiative, l’autonomie, l’ap-
prentissage par essais/erreurs ;
• Le développement du management participatif ;
• Le développement d’un management visuel et de l’E-management ;
• Le développement de l’entreprise virtuelle et du management par projet ;
• L’accroissement de la flexibilité de la réactivité ;
• La promotion de l’autocontrôle et de l’auto discipline.

180 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Le citoyen et l’évolution de la demande sociale
au cœur de l’innovation managériale publique
David HURON, MCF HDR, Université de Nice Côte d’Azur
S’interroger sur les marqueurs de l’innovation managériale revient à identifier les constituants de cette
dernière. Innover, c’est introduire de la nouveauté, donc procéder à un changement. L’introduction
d’une innovation managériale traduit la conscience que le fonctionnement n’est pas adéquat et qu’il
peut être perfectible. Toutes les organisations sont concernées par ce raisonnement et les marqueurs
communs tournent autour de la quête de sens, de l’amélioration de service et de la responsabilité
dans l’utilisation des ressources (humaines, physiques, etc.). Appliquer ce questionnement aux orga-
nisations publiques revient à souligner les spécificités de ces dernières (absence de recherche de pro-
fit, intervention en l’absence de marché, présence des fonctions régaliennes, etc.). Plus précisément,
le marqueur d’une innovation managériale dans une organisation publique est conditionné à la relation
au citoyen. Le principe d’accountability (bien mal traduit par l’expression « reddition des comptes » en
français) résume probablement la nature de ce marqueur. Mais ce dernier dispose d’une appréciation
à géométrie variable, fonction des conditions vécues dans la société. Si l’on devait connoter tempo-
rellement (en 2022) le marqueur en question lorsqu’on observe les innovations managériales dans le
public, deux grandes thématiques semblent émerger. L’une touche à la digitalisation et aux progrès
issus de l’intelligence artificielle. L’autre relève des contraintes environnementales et de la prise de
conscience de nos ressources limitées dans le cadre d’un management public « responsable ».
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Défis et enjeux de l’innovation managériale dans
les entreprises publiques algériennes
Abdelkader JAMAL, Directeur de la recherche, Ecole Supérieure de Management d’Alger (ESSEM)
L’innovation managériale, à la différence de l’innovation technique, constitue un processus qui inter-
roge aussi bien les techniques de travail, l’organisation, l’environnement et, surtout, les Hommes qui
les sous-tendent. La gestion des organisations publiques dans notre pays a été marquée du sceau de
l’insuffisante appréhension de la performance, du coût et de l’évaluation, en raison de l’histoire poli-
tique, économique et institutionnelle du pays (socialiste, bureaucratique et arrimé au « juridicisme »
français hérité). La crise financière (forte dépendance aux hydrocarbures) conjuguée à la Covid-19 a
révélé l’importance d’actions sur les différents éléments qui constituent la trame de l’innovation : l’or-
ganisation, qui doit être de plus en plus agile et réactive, le système d’information, qui doit être plus
souple, la formation des Hommes qui doit prendre compte le volet économique voire financier pour
intégrer les dimensions de coût, de productivité et de performance. Les méthodes de travail doivent,
également, être revisitées pour encourager davantage l’esprit collaboratif, la motivation, une plus
grande flexibilité, une agilité permanente et, par ailleurs, une résilience à la rupture des errements
habituels ayant conduit à l’ignorance totale des coûts des actions menées. Elles doivent, en outre,
stimuler l’esprit d’initiative et le développement des soft skills.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 181


REGARDS CROISÉS

Passer d’un management des agents à un


leadership de la coresponsabilité
David JANELA, coach professionnel, facilitateur et formateur
Elena de PREVILLE, Chercheuse associée, Chaire ESSEC de l’Innovation Managériale
« L’innovation managériale » peut-être définie comme « un écart important par rapport aux principes,
processus et pratiques traditionnels de management » (Hamel, 2006, p.75 ; cité par Le Roy et al., 2013,
p. 80-81). Une expérimentation managériale d’envergure a été conduite par la Direction de l’Action
Culturelle de la Ville de Garges les Gonesse de 2015 à 2018 où le management « traditionnel » est
passé à un management de la coresponsabilité, soutenu par la valeur liberté qui transforme en profon-
deur la relation au travail. Cette expérimentation a été mis en place en réponse au défi du développe-
ment très rapide des services ayant comme conséquence une perte de repères des agents, malgré leur
enthousiasme et une réussite manifeste et mise en place des protectionnismes individuels, en créant
un sentiment chez eux d’être « non-bénéficiaires » de l’élan du nouveau projet culturel. Comment faire
aussi bien pour le développement du capital humain à l’interne de l’organisation qu’à l’externe ? Com-
ment choisir sa voie, être agile, expérimenter…, des compétences nécessaires pour naviguer dans un
monde complexe… ? Pour répondre à cet enjeu, 7 axes d’intervention ont été exploités : donner du
sens, créer les conditions de mobilisation, laisser chacun définir son engagement, lâcher prise sur la
réalisation, mettre en place la confiance et la transparence, passer du contrôle à l’autocontrôle, valoriser
la contribution. Grace à ce changement de la « façon dont le travail managérial est réalisé », (idem),
chacun est devenu auteur et acteur responsable de son épanouissement et de sa performance profes-
sionnelle. La création des compétences en quelque sorte uniques pour l’organisation ou l’entreprise
lors d’une innovation managériale, ainsi que des difficultés de l’identification, de la formalisation et du
partage des ressources et des savoir-faire ont déjà été soulignés depuis un certain temps par les cher-
cheurs qui travaillent dans le domaine de l’innovation managériale, tout comme son importance pour
la performance organisationnelle. L’expérimentation managériale accomplie par la Direction de l’Action
Culturelle de la Ville de Garges les Gonesse nous amène à poser les questions de recherche sur le rôle
des acteurs internes dans le développement de l’innovation managériale et sur le rôle des organisations
externes dans la diffusion des innovations managériales où il est possible de mentionner, suite à Le Roy
et al. (2013), les pouvoirs publics, les chercheurs, les consultants, etc.

De l’innovation technologique à l’innovation


collaborative dans les organisations publiques
Philippe JEAN-AMANS, MCF, Université Toulouse Jean Jaurès
Carole JEAN-AMANS, MCF, Université Toulouse 3 Paul Sabatier
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La transformation digitale des organisations, réel marqueur de l’innovation managériale, a mis en
lumière la nécessité de mobiliser de nouvelles compétences. Au sein des organisations publiques,
elle s’est traduite par un recours massif à l’externalisation de certaines missions de service public,
parfois de nature stratégique. Dans cette logique, le New Public Management prône la transférabilité
des pratiques issues du secteur privé au secteur public et le recours à l’externalisation. Toutefois,
l’approche hiérarchique du contrôle des résultats, le manque d’incitations économiques sont peu
favorables au développement de l’innovation. Pour autant, comme le soulignent Sorensen et Torfing
(2015), il est nécessaire de s’extraire du stéréotype d’exagérer la capacité d’innovation du secteur
privé en sous-estimant celle du secteur public. Face aux limites du New Public Management (Osborn,
2018) dans un environnement de plus en plus complexe et interdépendant (Osborn et al., 2013), le
paradigme de la New Public Governance (Bingham, Nabatchi & O’Leary, 2005) préconise l’usage de
relations inter-organisationnelles collaboratives plus susceptibles de favoriser des conditions d’émer-
gence de l’innovation au sein des organisations publiques. Les enjeux consistent donc à combiner
les compétences mobilisées au sein du secteur privé et du secteur public et à coordonner l’action
publique, l’état devenant ainsi un coproducteur de services publics. Dans ce sens, la transformation
digitale peut s’appréhender comme un levier de l’innovation collaborative au sein des organisations
publiques.

182 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Les normes comptables internationales du secteur public à
l’épreuve de l’efficacité de la gouvernance publique en Afrique
Souleymanou KADOUAMAÏ, Professeur Agrégé – CAMES, Université de Maroua, Cameroun
L’adoption des Normes Comptables Internationales du Secteur Public (NCISP) oblige à préciser com-
ment leur adoption contribuerait à marquer l’innovation managériale effective dans les organisations
publiques des État africains. A priori, le problème d’harmonisation comptable posé est celui de la re-
cherche d’un indice d’efficacité dans la gouvernance publique. En décrivant la posture d’adoption des
NCISP par les pays en développement comparativement aux pays développés pendant une décennie,
les NCISP à l’aune de la mondialisation des économies des pays en développement et leur apport en
management du secteur public sont légitimement illustrés. Mieux appréhender les éléments structu-
rants l’innovation du management public permet alors de préciser ce que deviennent les dynamiques
de management dans ce contexte. Depuis plusieurs années, des travaux de recherche ont été jus-
tement conduis dans l’objectif d’étudier la structuration et le développement des systèmes comp-
tables dans le contexte des pays en développement. Mais ces travaux ne se sont pas intéressés à la
contribution de l’innovation managériale suite à l’adoption de la norme comptable internationale dans
le secteur public pour la gouvernance des États africains. Ainsi, l’objet de ce papier est de décrire les
effets de la mise en place des normes comptables internationales du secteur public sur la gouver-
nance des économies africaines. En conclusion, les effets de la mise en place des NCISP seraient
conséquents à la transparence internationale du management des États. Toute adoption limitée de
ces normes apparaîtrait comme une des preuves d’inefficacité de la gouvernance publique.

Au changement de paradigme : de nouveaux signaux ?


Assya KHIAT, Professeur, Université d’Oran 2
Quand le changement du management des organisations publiques s’impose dans le débats des
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chercheurs, des praticiens et des étudiants dans toutes les disciplines reconnues. Cela suppose un
temps de réflexion sur les signaux susceptibles de répondre à la question suivante : « Quels mar-
queurs à l’innovation managériale dans les organisations publiques ? » Comment le manager conçoit-
il l’entreprise du futur ? En a-t-il une vision ? A-t-il les moyens de projeter le devenir de l’organisation
publique dans une perspective durable en tenant compte des défis et des attentes de toutes les par-
ties prenantes, sachant qu’ils s’inscrivent dans une complexité à paramètres variables ? Ou s’agit-il
de « puiser dans les modèles du passé en colmatant ici et là sans pour autant apporter les réponses
attendues ? Selon Business Futures 2021 Signals of Change, six signaux présentent des opportunités
et des incitations à embrasser le changement et les nouveaux moyens de se développer : Apprendre
du futur et non du passé, prendre des décisions décentralisées, avoir une raison d’être durable, se
doter de capacité d’approvisionnement illimitée, conceptualiser les virtualités réelles, adosser l’entre-
prise à la science. Ces signaux supposent un véritable changement de paradigme qui laisserait plus
de place aux champs du possible et des écosystèmes ; plus d’autonomie, il s’agit aussi de repenser
la production et les réseaux de distribution et de repenser les avantages concurrentiels loin de l’ap-
proche de l’avantage des coûts comparatifs de Ricardo. Tirons la leçons de la période de la Covid-19.
Une véritable approche disruptive qui annonce une ère nouvelle dans le cycle de formation / concep-
tion / production, faisant de l’économie de la connaissance la pierre angulaire des organisations en
devenir et qui imposerait de nouvelles stratégies RH !

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REGARDS CROISÉS

L’innovation managériale dans les entreprises publiques :


quelles pratiques interactionnistes dans les entreprises africaines ?
Bertin Léopold KOUAYEP, Professeur, Directeur de l’ESCG de Yaoundé-Cameroun
Les besoins en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les entre-
prises africaines (GPEC – EPA) sont croissants. Les entreprises publiques ne font pas exception en
la matière, étant confrontées à une évolution des métiers, à un défi d’attractivité des talents, à des
problématiques d’usure professionnelle et à la nécessité de professionnaliser leurs agents ou les
postes. L’un des défis de l’innovation managériale dans le contexte des entreprises publiques afri-
caines est la gestion des compétences (Gouvernance et GRHxC). À travers la contextualisation et le
dimensionnement de la GRHxC dans une organisation, en vue de mieux calibrer les pratiques liées à
la gouvernance et au développement de l’organisation et des personnes, Kouayep (2018) montre que
l’innovation managériale passe nécessairement par la prise en compte d’un leadership éthique qui a
des bénéfices considérables pour les organisations : réduction de l’absentéisme des employés et de
la mauvaise conduite, augmentation de la satisfaction et de la performance du personnel au travail
(Cheteni et Shindika, 2017). Cependant, le management public est contextuel, c’est-à-dire, regorge
de principes universels de science de gestion, et se modifie en fonction des difficultés contingentes
qu’il rencontre (Fninou et Meyssonnier, 2013). Pour ce qui est de l’Afrique, le système de manage-
ment public reste en phase d’appropriation et fonction de la zone où l’on se trouve. En conséquence,
les pratiques du management public africain sont différentes selon les découpages laissés par l’héri-
tage colonial, notamment en Afrique subsaharienne, Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Afrique du
Nord (Nhema, 2016 ; Lahjouji et Menzhi, 2018 ; Bityé, 2019). L’approche par les barrières ou obstacles
à l’innovation vise à identifier les problèmes qui empêchent d’innover ou qui font que le processus
d’adoption d’une innovation s’interrompt prématurément ou est sérieusement ralenti (Tourigny et Le,
2004). Elle cherche également à en connaître la nature, l’origine, l’importance et l’impact (Hadjima-
nolis, 1999). Le processus d’adoption d’une innovation est généralement composé de quatre phases
principales : l’initiation, la décision, la mise en usage et la poursuite de l’usage (Damanpour et Schnei-
der, 2006). En conclusion, pour contribuer à la mise en œuvre effective et optimale de l’IM dans les
entreprises publiques africaines, l’adoption d’un plan intégrant les pratiques d’interaction entre les ac-
teurs, les agents et les structures est nécessaire afin de revoir la mise en œuvre de la gouvernance et
la gestion des compétences. Ceci passe par une proposition analytique composée de trois aspects :
• l’intégration verticale et contextuelle de la GRHC ;
• la stratégie, le développement et le contrôle des entreprises ;
• l’intégration horizontale des différents sous-systèmes de la GRH au modèle des compétences.
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184 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Innover en matière de management public
c’est déjà refuser d’être « New »
Arnaud LACAN, Professeur, KEDGE Business School
Les grandes mutations socioéconomiques nous amènent à dire, avec d’autres, que l’époque moderne
(fin XVIIe – fin des années 1970) s’efface peu à peu au profit d’une nouvelle ère appelée postmoderne.
Cette postmodernité consacre l’émergence des valeurs en rupture profonde avec tous les schémas de
pensées qui avaient structuré le management de l’époque moderne… et le New Public Management
dont l’idée principale est que le secteur public, organisé selon les principes de la bureaucratie, est
inefficace, et qu’il est faut y transposer les méthodes de gestion du secteur privé. À la rigidité d’une
administration bureaucratique centralisée, focalisée sur son propre développement, le New Public
Management objecte un secteur public reposant sur le triptyque « Économie, Efficacité, Efficience »,
capable de répondre aux attentes des citoyens, désormais devenus des clients. Aujourd’hui, innover
en matière de management public c’est déjà refuser cette vision et rejeter ce « new » management
pour au contraire penser un management qui permettrait aux organisations publiques de mettre en
place des nouvelles pratiques managériales en prise avec les attentes légitimes des collaborateurs
au service des citoyens. Le manager que nous cherchons alors, celui qui peut faire rentrer la post-
modernité dans les organisations publiques et permettre ainsi aux collaborateurs – et notamment les
nouvelles générations – d’y trouver un écho positif à leurs aspirations intimes, c’est le manager leader.
Il adopte un style bienveillant et cadrant, il régule et se place en animateur de l’équipe, il accompagne
les collaborateurs dans la réalisation d’eux-mêmes et se met au service de l’intérêt collectif. Ce mana-
ger-là peut en rupture avec le New Management Public, innover et mettre en place un management
tout à fait pertinent pour l’organisation publique et ses agents. Il peut redonner sens et motivation à
des collaborateurs qui n’attendent probablement que cela en acceptant de renoncer à une partie de sa
verticalité de supérieur hiérarchique pour gagner l’horizontalité de son autorité sur ses pairs.
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Pour en finir avec « l’innovation managériale »
Hubert LANDIER, VP IAS
Les organisations publiques, afin de réellement jouer leur rôle, qui consiste à prendre soin, devraient
au plus vite se débarrasser des méthodes qu’elles empruntent aux organisations de l’économie pro-
ductive. Le management, tel qu’il nous vient des États-Unis pour l’essentiel, consiste en une alloca-
tion optimale des ressources disponibles en vue d’un objectif qui consiste lui-même en la création de
valeur. Cette conception de la valeur est une conception tronquée, qui ignore la valeur des communs
qu’elle contribue à détruire en vue de produire des artefacts. Ce sont ces communs que les organisa-
tions publiques ont – ou devraient avoir – pour mission de préserver, ce qu’elles ne font pas, ou mal.
Leur rôle n’est pas de produire mais de prendre soin : prendre soin des personnes, des liens sociaux
et de la planète. Cela suppose de réduire l’importance attribuée aux indicateurs quantitatifs afin de
se consacrer à ses objectifs qualitatifs qui ne peuvent se réduire en chiffres, qu’il s’agisse de soigner,
de réconforter, d’éduquer, de transmettre, de rendre la justice, de réserver l’ordre public, d’assurer
la sécurité ou de préserver un paysage. Les chiffres, en effet, ignorent l’essentiel. Il faut donc, et au
plus vite, en finir avec « l’innovation managériale » dans les services publics pour y substituer d’autres
critères de bonne gestion, qui restent en grande partie à inventer.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 185


REGARDS CROISÉS

Pratiques centrées usagers pour innover


dans les organisations publiques
Graziella LUISI, Directrice de la fondation de l’Université de Corse
Les impacts déjà visibles du réchauffement climatique, de la crise énergétique, et plus récemment de
la crise sanitaire dessinent un avenir plus que jamais incertain pour les territoires. L’époque est néan-
moins porteuse de nouveaux horizons et de nouveaux outils par le biais de la révolution numérique
qui redessine des paysages, offre de nouvelles opportunités d’innovation. La compréhension de ces
mutations apparaît comme une interrogation permanente pour les collectivités. Face à ces nouveaux
défis, elles doivent désormais faire preuve de capacités d’adaptation, comme on a pu le voir pendant
la crise sanitaire mais aussi d’anticipation et d’innovation pour réimaginer leur territoire et améliorer
le quotidien de celles et ceux qui y vivent, y travaillent, s’y déplacent. Dans cet environnement, les
collectivités ont été amenées à questionner voire transformer leurs pratiques managériales avec
une injonction à l’innovation centrée « usager » (von Hippel, 2005). De nouvelles pratiques issues du
design de service, loin des processus « top down » des structures bureaucratiques se déploient au-
jourd’hui dans les collectivités et les laboratoires d’innovation publique afin d’optimiser les réponses
apportées aux usagers pour des services plus accessibles, plus efficaces, plus inclusifs. La capacité
des collectivités à faire évoluer les compétences et les structures organisationnelles reste néanmoins
déterminante dans la diffusion de cette culture de l’innovation.

Les pratiques innovantes managériales de l’entreprise injectées


sans prérequis dans les organisations publiques : une hybridation
porteuse d’un risque allogénique ou xénogénique ?
Dominique MARIANI, Directeur Général, Solution & co
Ces dernières années, une des évolutions les plus significatives en matière de management des
organisations publiques aura été l’introduction de méthodes et de vocabulaire issus directement du
monde de l’entreprise. Les acteurs publics ont souhaité faire évoluer leur management afin de tenter
d’introduire un prisme de « performance » dans la finalité de leurs organisations. Cela a ouvert sur une
grande période de transposition du concept de l’entreprise libérée dans les organisations publiques.
Le Ministère de la transformation et de la fonction publique a publié en 2019 un rapport au titre évo-
cateur : « Transformation Managériale vers un modèle d’organisation plus ouverte ». Ce rapport met
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clairement en avant les trois dynamiques essentielles de l’entreprise libérée :
• Une nouvelle organisation du travail moins pyramidale, hybride, symbolisée par une intégration
fulgurante du télétravail accélérée par la pandémie Sars-CoV-2.
• Le développement de l’innovation managériale visant à introduire des pratiques nouvelles à tous
les échelons où la co-action et un management moins directif permettraient l’introduction d’expé-
rimentations innovantes.
• L’amélioration des conditions de travail qui reconnaît que bien-être et performance sont des cou-
sins qui s’ignorent trop souvent.
Mais finalement, il est trop tôt pour conclure à un succès. L’un des facteurs essentiels symboli-
sant la réussite de l’hybridation du management publique serait de constater la persistance de ces
innovations managériales au-delà des cycles électoraux qui rythment la vie des collectivités ou des
mouvements managériaux imposés aux hauts fonctionnaires. Quel chemin prendre ? Deux facteurs
indissociables de l’innovation managériale et de la transformation des organisations libérées seraient
à traiter au préalable alors qu’ils sont édulcorés de la majorité des initiatives : la culture et le style de
leadership qui déterminent « l’espèce de l’organisation » et la fonctionnalité du « greffon » qui se
retrouve dans le sens partagé de l’organisation et de l’adhésion des agents à celui-ci au risque d’un
rejet fatal.

186 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Innover dans le public : choisir entre valeur et coût
Roula MASOU, Professeur, ESSCA Angers
Depuis plusieurs années, de nombreuses réformes managériales inspirées du New Public Manage-
ment (NPM) ont promu l’innovation dans les organisations publiques. Le NPM a donné une nouvelle
image au secteur public en appliquant les pratiques du secteur privé. Néanmoins, le NPM a été
largement critiqué, particulièrement sa dimension financière qui l’emporte sur les valeurs censées
être prioritaires dans le public (Masou, 2017). L’innovation dans le public diffère de celle du privé,
notamment dans sa finalité et son mode de diffusion. Alors que le but dans le secteur privé est de
maximiser la valeur financière de l’entreprise, le public a pour objectif de rendre ses organisations
plus performantes et de remédier aux problèmes liés à leurs aspects trop bureaucratiques, tout en
respectant les valeurs de ce secteur. L’innovation dans le secteur public n’est pas destinée à être
monopolisée dans un but concurrentiel, mais plutôt à être partagée pour renforcer la collaboration
entre les organisations publiques. L’innovation managériale dans le secteur public comme dans le
secteur privé est largement influencée par la motivation individuelle, la culture organisationnelle et
l’ampleur du défi pour les employés (Demircioglu et Audretsch, 2017). Les managers publics peuvent
faciliter cette innovation en donnant à leur personnel plus d’espace pour participer, expérimenter et,
surtout, admettre que l’innovation a un coût financier à payer pour trouver les meilleurs processus
managériaux.

Les cabinets de conseil dans l’administration publique :


une innovation managériale pour plus d’efficacité ?
Mohammed MATMATI, Professeur, Grenoble Ecole de Management
L’administration publique s’est réformée ces dernières années dans l’objectif de répondre avec effica-
cité à la demande sociale de plus en plus exigeante. Elle s’est ouverte à de nombreuses innovations
dans ses pratiques ainsi qu’aux technologies numériques et aux nouvelles formes de travail comme
le télétravail et les prestations en ligne. Dans ce contexte, l’appel aux cabinets de conseil privés dans
les administrations publiques s’est développée. Les cabinets de conseils sont réputés pour apporter
dans le cadre d’une démarche intellectuelle, dans un domaine donné de la gestion des organisations,
une expertise reconnue utilisant des méthodologies éprouvées construites à partir de théories et
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d’une expérience diversifiée, pour permettre à une organisation d’améliorer sa performance par des
solutions innovantes. Ces dernières sont élaborées le plus souvent avec la collaboration du personnel
de l’organisation cliente à partir d’un diagnostic partagé appuyé sur l’expertise et l’expérience des
consultants. La prestation peut aller jusqu’à la mise en place des solutions proposées. Ils sont connus
aussi pour partager une grande proximité avec les entreprises qui constituent leur marché principal
et qui évoluent dans un monde concurrentiel. Le recours croissant aux cabinets de consulting privés
a fait l’objet, ces derniers mois, d’une grande campagne dans les médias. Le nom de McKinsey,
un grand cabinet américain, a été souvent cité. Le Sénat a publié un rapport sur ce sujet. Dans ce
contexte, plusieurs questions viennent à l’esprit ?
• Cette pratique est-elle limitée à des domaines techniques (informatique, logistique…) ou concerne-
t-elle aussi les projets de réformes des politiques publiques ?
• Quel peut être l’effet de l’intervention de ces cabinets privés ouverts sur le contenu des politiques
publiques qui elles prennent en compte l’intérêt général ?
• Les méthodes de ces cabinets inscrites dans une perspective concurrentielle sont-elles compa-
tibles avec celles de l’administration publique centrées sur la qualité du service public ?
• L’utilisation des cabinets de conseil privés dans l’administration publique constitue-t-elle une inno-
vation managériale et sociale pour accroître l’efficacité de cette dernière ?

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 187


REGARDS CROISÉS

Les tensions de gouvernance au cœur de l’innovation managériale


Bachir MAZOUZ, Professeur Ecole Nationale d’Administration Publique, Montréal, Canada
Les tensions de gouvernance, qu’elles soient d’ordre éthique, organisationnel ou artéfactuel sont des
marqueurs de l’innovation managériale dans les organisations publiques. Pour preuve, les difficiles
tentatives d’innovations managériales qui découlent de la reconfiguration des systèmes nationaux de
gouvernance publique engagée par des réformateurs se revendiquant du New Public Management
(NPM) suscitent encore des controverses et des résistances de la part des agents et employés pu-
blics. Gestionnaires publics / administrateurs font face à des problématiques de management d’une
grande complexité tant au niveau de la conception qu’au niveau de la mise en œuvre des change-
ments induits par les innovations en question. Les rapports tensionnels entre les membres d’une
même direction ou entre directions, employés et autorités supérieures témoignent alors des effets et
impacts des innovations managériales au sein des administrations et organismes publics.

Pour un renouvellement des actions et pratiques


en matière de management public
Olivier MEIER, Professeur, Université Paris-Est
Dans le cadre de la Chaire « Innovation Publique » en coll. avec Polytechnique et Sciences Po Paris,
nous avons souhaité créer un Observatoire ASAP, dédié à l’impact des transformations sociales et
sociétales sur l’action publique. L’Observatoire ASAP entend questionner le management public et
ses voies de transformations. Ces transformations concernent aussi bien les questions liées au nu-
mérique, à la mondialisation, au développement économique, écologique ou social. Or ce processus
ne va pas nécessairement de soi et fait émerger des résistances et freins importants, tant sur le plan
structurel, organisationnel que culturel qu’il convient d’identifier et d’analyser. Les freins observés
sont nombreux et concernent aussi bien le manque de connaissances et de formations, lié aux outils
et méthodologies à mettre en œuvre, que la difficulté à impliquer les acteurs dans ces changements,
une fois ces derniers identifiés et amorcés. Les résultats de l’Observatoire ASAP a donc plusieurs
rôles et missions :
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• Nourrir les débats scientifiques et public ;
• Favoriser les échanges entre acteurs d’univers et de disciplines différents, pour les inciter à colla-
borer dans le cadre de projets au service de l’action publique et territoriale ;
• Comprendre l’impact des actions politiques (éducative, sociale, sanitaire, etc.) menées au niveau
de la gestion de l’État et des territoires ;
• Accompagner et soutenir les acteurs de l’action publique dans leurs démarches et programmes
d’actions : recherche-intervention, recherche-action, expertises, dispositifs de formation.
Les résultats de l’Observatoire mettent en avant plusieurs points d’adaptation possible et de propo-
sitions en matière de développement et d’organisation : a)Établir des connexions multi-niveaux et
multi-acteurs entre les différents niveaux stratégiques, en combinant enjeux économiques, action
publique et réalité locale. b)Faciliter l’émergence et l’expérimentation de projets d’innovation publique
centrés sur les questions de territoire, sous l’impulsion des acteurs de terrain. c)Mettre en place des
modes de gouvernance hybrides, en laissant l’initiative aux acteurs locaux d)Insister sur les cadres
intermédiaires et les managers locaux comme acteurs de transformation des organisations publiques
(partage d’informations, ressources et bonnes pratiques, accompagnement et suivi…) e)Proposer
des opérations à fort impact économique mais également social et sociétal, afin de renforcer la légi-
timation des projets mis en œuvre.

188 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Pour une culture raisonnable et raisonnée du
chiffre dans le management public
Laurent MERIADE, Professeur des Universités, IAE Clermont Auvergne School of
Management, Clermont Recherche Management (CLERMA)

Au cours de ces vingt dernières années, avec notamment le New Public Management (NPM), un mar-
queur essentiel de l’innovation managériale publique aura été la culture du chiffre, symbolisée par la ges-
tion publique par indicateurs. Les décideurs publics ont ainsi pu découvrir les avantages de la quantifica-
tion de l’action publique. Ils ont notamment trouvé, dans l’objectivité et la force de conviction apparentes
du chiffre, un moyen de renforcer la légitimité de l’action publique mais tout en réduisant parfois la déli-
bération publique à de simples systèmes d’évaluation. Aussi, aujourd’hui, une multitude de programmes
ministériels, de contrats d’objectifs, de rapports d’évaluation circulent dans les organisations publiques
sans que la cohérence managériale de leurs informations chiffrées soit réellement questionnée. En effet,
la délibération autour de ces informations semble toujours plus difficile à mener, d’autant plus quand les
chiffres sont partout et que le risque est grand de voir les éventuelles contestations d’un chiffre devenir
elles-mêmes contestables et contestées. Dès lors, pour les utilisateurs de ces chiffres, l’aveuglement,
l’acceptation ou la résignation sont les attitudes les plus communément choisies, sans garantie que
l’efficacité, l’efficience ou la pertinence de l’action publique en sortent pour autant améliorées. Pourtant,
dans l’outillage du manager privé, dont le NPM s’est fortement inspiré, des tableaux de bord prospec-
tifs (balanced scorecard), des cartographies d’indicateurs (indicator mapping), des systèmes intégrés
de mesure de la performance (Performance Based Management Special Interest group) ou encore des
méthodes de réduction des indicateurs (critical few method) proposent d’interroger et repenser la cohé-
rence des chiffres produits par les indicateurs. Mais plus qu’une nouvelle transposition d’outils issus du
management privé, il est surtout attendu des managers publics une réflexion sur la cohérence des indi-
cateurs publics reposant sur une « culture raisonnée et raisonnable du chiffre ». Ce changement culturel
impose que l’innovation publique chiffrée soit également pensée en termes d’« harmonie managériale »,
dès sa conception. C’est, en effet, à cette question de la mise en cohérence des chiffres que les déci-
deurs et managers publics doivent aujourd’hui pouvoir aussi répondre s’ils veulent réellement contribuer
au renouvellement de la délibération publique et ainsi faire face à la défiance politico-publique à laquelle
celle des chiffres n’est probablement pas totalement étrangère.

De l’innovation comme vrai remède


Ange MEZZADRI, Médecin, diplômé de Santé Publique, spécialiste en Médecine du Travail
« Innover », voici une injonction fort présente aujourd’hui tant le secteur privé où elle s’avère un impératif
ancien que dans le secteur public où elle correspond à un changement de paradigme. Médecin du travail, je
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fus maintes fois témoin des bouleversements engendrés par cette frénésie d’innovation, et acteur engagé
pour en atténuer les retombées du point de vue de la santé. « Frénésie », dis-je, car c’est souvent de cela
qu’il s’agit et c’est bien là que le bât blesse : quand « l’innovation » est décrétée d’en haut sans concerta-
tion préalable. Les guillemets sont ici capitaux. Car « l’innovation » dont beaucoup se targuent n’est sou-
vent qu’un alibi, qu’un mot-valise particulièrement vide de sens et de pertinence concrète. D’expérience,
les personnes exécutantes ne sont pas hostiles à des changements ; pour peu qu’elles en comprennent
la nécessité ; pourvu qu’ils ne s’apparentent pas à une énième lubie décisionnelle ou à un gadget d’auto-
promotion pour des décideurs arrivistes de passage. Comment s’y retrouver ? La démarche médicale peut
offrir une piste car l’innovation (la vraie !) est l’aboutissement d’un processus comparable à celui que suit
tout médecin : analyser les maux, c’est, dans le cas de l’entreprise, établir l’état des lieux ; mettre un mot
sur ces maux, c’est le diagnostic ; identifier la cause, l’étiologie, c’est le point névralgique dont dépend
l’étape ultime, le traitement, l’innovation. Dans cette perspective, quels marqueurs d’efficience retenir ?
L’innovation, pour être féconde, doit découler d’un diagnostic partagé. Elle doit également apparaître à
tous comme une nécessité incontournable en vue d’une amélioration profitable à chacun. Elle doit enfin
s’inscrire dans une temporalité maîtrisée et une continuité assumée. Ainsi définie, l’innovation réelle se
distingue aisément de la fausse innovation, cette étiquette si communément mise en avant de nos jours.
L’innovation réelle ne peut s’inscrire que dans un cadre éthique, loin, vraiment très loin, des basses intri-
gues carriéristes.

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REGARDS CROISÉS

Du « sens du devoir » au « sens de la performance »


Romain MORETTI, Docteur en sciences de gestion et management. Université de Corse
L’objectif de l’innovation managériale est la recherche de l’épanouissement individuel et de la perfor-
mance collective. Or la recherche de la performance dans l’organisation publique se fait trop souvent
au détriment de ses spécificités : on passe progressivement de logiques d’efficience, d’équilibre
et de qualité, à des logiques d’efficacité, de rentabilité et de quantité. La quête de performance a
transformé les valeurs en objectifs, les devoirs en responsabilité et a conduit l’organisation publique
dans une impasse caractérisée par une perte de sens et de confiance. Dans ce contexte d’injonction
paradoxale, caractérisé par une fracture entre le sommet de l’organisation et sa base, le manager
de proximité fait office de nouveau repère. L’agent s’identifie désormais au métier et à son équipe,
sa fidélité ne s’oriente plus vers l’institution mais d’avantage vers son manager direct, qui l’écoute
qui le comprend et l’accompagne au quotidien, enfin son dévouement se focalise sur les usagers et
la mission à accomplir. Afin de ré-investiguer la vision institutionnelle de ses membres et son iden-
tité, l’organisation publique devrait renforcer l’action de ses managers de proximité en encensant le
sens. L’expérimentation et l’essor d’environnement capacitant au sein du secteur public pourraient
permettre de rompre avec des logiques d’hybridation de rôles qui ont révélé leurs contradictions et
qui confisquent le sens de l’action. En transformant les potentialités en possibilités, l’organisation
publique aiderait à reconstruire le sens et la confiance de l’agent dans son activité, par la réalisation
et l’appropriation de celle-ci. Le secteur public doit dépasser les carcans de l’agent « hybride » (tech-
nique et gestionnaire), il doit fabriquer des agents « apprenants », c’est-à-dire proactif et capables,
grâce à leurs expériences quotidiennes, de faire évoluer leur activité et ainsi d’être la principale source
de l’innovation publique.

La fonction publique territoriale percutée par les nouvelles


modalités de travail engendrées par la crise Covid
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Fréderic MORTINI, Directeur ARACT Corse
C’est un constat général, la crise Covid a questionné les organisations publiques, leurs modèles de
fonctionnement et les compétences de l’encadrement face à des changements contraints, soudains
et comme pour tous, peu anticipés. C’est une fonction publique territoriale essoufflée qui a dû abor-
der une obligation de continuité de service en mode fortement dégradé et qui s’interroge désormais
sur son modèle d’organisation, laissant plus facilement la porte ouverte aux expérimentations pour
tenter d’y répondre. C’est par ce biais, que des agents et cadres, retrouvant une part d’autonomie,
ont permis de rendre le système soutenable durant la phase critique de la pandémie. Leurs expéri-
mentations, leurs « tests » de fonctionnement organisationnel et décisionnel, ont été reconnus sans
trouver immédiatement un déploiement interne suffisant. Parfois mis en difficulté pour démontrer
les bienfaits directs de ces démarches innovantes et apprenantes, leur marge de manœuvre s’est
vue paradoxalement diminuée face au retour, parfois chaotique, au travail en présentiel. Les inno-
vations managériales qu’induisent ces multiples évolutions demeurent le fruit de processus encore
vécu comme un risque de rupture face aux anciennes pratiques et pour lesquelles, tout à la fois la
hiérarchie et les organisations syndicales demeurent encore interrogatives. Pourtant, ces innovations
conduisent à des évolutions managériales et trouvent aujourd’hui leurs marques dans les pratiques
innovantes que représentent le débat et la controverse autour du fonctionnement du service public.

190 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Trois orientations pour innover dans la fonction
managériale de la fonction publique
Hassan MOUHEB, Managing Director, MetrixLab, Genève, Suisse
Souvent bâties sur des modèles pyramidaux et hiérarchiques, les organisations publiques montrent
surement un réel potentiel à l’innovation managériale. Ainsi, lorsqu’elles sont comparées aux orga-
nisations modernes et plus récentes, trois marqueurs de l’innovation managériale pour les organi-
sations publiques ressortent. Tout d’abord la diversité et l’inclusion dans les différents niveaux de
management. En effet, bien que la diversité et l’inclusion peuvent être constatées au niveau bas des
employés, elles s´estompent lorsque l’on se rapproche des étages les plus élevés de management.
Distorsion qui tend à disparaître au sein des organisations du secteur privé les plus actives en matière
d’innovation managériale. Le second marqueur concerne la mesure de performance des équipes/
services de ces managers. En tant qu’organisations publiques, l’usager et donc sa satisfaction du
service reçu, devrait être au cœur de la performance du management des organisations publiques.
Les organisations privées de services (e.g. hôtellerie) ont presque toutes intégré la satisfaction (ou
NPS – recommandation) comme critère de performance et de rémunération des équipes et de leurs
managers. Bien que certaines organisations publiques, concurrencées par le secteur privé, ont depuis
longtemps fait le pas de la « mesure externe » (e.g. transport), nombreuses sont celles qui pourraient
innover en intégrant la satisfaction de l’usager comme critère innovant de la performance du manager
d’organisations publiques. Enfin, le troisième marqueur porte sur le rôle même (nombre et fonction)
du manager hiérarchique dans ces organisations, souvent conditionné par la structure hiérarchique de
l’autorité. Les organisations les plus innovantes ont laissé place à des modèles plus plats, réduisant
le nombre et le poids des managers dans les processus de décision, avec des managers plutôt coach
que chef, et des organisations agiles plutôt que rigides.

Quand les managers publics se décideront


ils enfin à gravir la pyramide ?
Jean-Louis MOULINS, Professeur des universités émérite – Aix Marseille Université
Il y a bientôt soixante-dix ans le psychologue américain A. Maslow présentait sa célèbre pyramide
des besoins humains, composée de cinq niveaux : à la base les besoins physiologiques (alimentation,
eau, hygiène…) puis les besoins de sécurité (santé, emploi…), d’appartenance, de reconnaissance ou
estime et tout en haut d’accomplissement personnel. La théorie est qu’un besoin de niveau supérieur
ne peut s’activer que si un minimum de besoins inférieurs est satisfait. Le marketing s’est, depuis de
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nombreuses décennies, emparé de cette approche et a rapidement grimpé les échelons de la pyra-
mide, tout en rajoutant quelquefois des demi-étages ou des ascenseurs directs. Il y a bien longtemps
que les savonnettes ne lavent plus (besoin physiologique) mais vous tonifient et vous rendent votre
jeunesse et la séduction qui l’accompagne (accomplissement). Il y a bien longtemps aussi que les
automobiles sont des espaces à vivre et pas seulement des moyens de locomotion. Les managers
publics ont beaucoup plus récemment découvert cette pyramide et ont commencé à intégrer que
l’usager est aussi un être de chair et de sang capable de désirs et de passions. Découverte tardive
et timide car ils sont toujours bloqués aux étages inférieurs. Ils ont certes bien intégré que les trans-
ports publics correspondent à un besoin de se mouvoir mais leurs indicateurs de performance se
limitent au respect des horaires et de la durée des trajets. Que dire des mesures de l’appréciation
des patients (santé) et des citoyens (sécurité publique) sur ces missions régaliennes des pouvoirs
publics. La notion d’indicateurs de performance perçue semble étrangère aux réponses apportées
à ces besoins légitimes de sécurité ; hormis bien entendu les indicateurs comptables à usage in-
terne ! Et pourtant… si les transports publics servent à se déplacer pourquoi ne permettraient-ils pas
de s’évader (besoin d’accomplissement) ou de se rencontrer (besoin d’appartenance) ? La SNCF a
depuis quelque temps commencé à amorcer ce virage mais il est vrai qu’il s’agit d’un service public
qui s’ouvre à la concurrence. Le patient d’un hôpital n’a-t-il pas besoin de reconnaissance et même
d’estime au-delà, bien entendu, des soins fonctionnels qui lui sont apportés ? Il en va même de

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REGARDS CROISÉS

même du contribuable dont le besoin de reconnaissance est très rarement comblé par son percep-
teur ! Du coup, il ne l’attend plus depuis longtemps. Pourquoi devoir et reconnaissance seraient-ils
antinomiques ? Il est donc grand temps que les managers publics commencent l’ascension des trois
derniers étages de la pyramide, même si pour beaucoup il s’agit d’un Everest dont le sommet est
perdu dans un épais brouillard, quand ce ne sont pas les premiers mètres du sentier. Pour cela, il fau-
dra peut-être renoncer, risquons le mot, au terme sacré de « mission ». Mot chargé d’un imaginaire
si important, d’une histoire si lourde, qu’il devient difficile à porter et à appliquer lorsque l’usager-
administré devient le client-citoyen. C’est aux réponses apportées aux besoins d’appartenance, de
reconnaissance et d’accomplissement de ces derniers que devrait aussi se mesurer la performance
des services publics. Les indicateurs existent, en psychologie et en marketing notamment, je ne peux
qu’inciter les managers publics à les consulter. Tant qu’ils y sont, ils pourraient aussi se plonger dans
les manuels de marketing interne… mais cela est une autre histoire.

Des marqueurs d’innovation managériale sous l’impulsion du


management de la qualité au sein des organisations publiques
Gambetta Aboubakar NACRO, Président de Apidon International group, Burkina Faso
Dès qu’il s’agit d’hommes et d’objectifs, cela exige des principes fondamentaux similaires de ges-
tion, que l’on soit en entreprise privée ou en organisation publique. Les exigences managériales de
capitalisation, d’anticipation et d’innovation sont impératives, quel que soit le type d’organisation, car
il est question de parties prenantes à satisfaire. Aussi, les organisations publiques devraient-elles
faire de la qualité, un point d’appui de leurs marqueurs d’innovation managériale. Ce point d’appui
combattra avec efficacité les effets pervers de la nature bureaucratique du service public avec son lot
de rigidités, de lenteurs et d’insatisfaction des usagers. Cela impulsera la mise en place d’une charte
de valeur et d’un mécanisme d’intelligence collective à même de booster la performance attendue.
In fine, l’assurance qualité, la collecte et la correction des dysfonctionnements et des insatisfactions
des parties prenantes, devront constituer des marqueurs majeurs d’innovation managériale.

La contingence socio-anthropologique marque l’innovation


managériale dans les organisations publiques africaines
Hervé NDOUME ESSINGONE, Professeur titulaire, Institut National des Sciences de Gestion,
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Libreville, Gabon

La contingence « socio-anthropologique » est un marqueur de l’innovation managériale dans les orga-


nisations publiques. Elle jette un pont entre sociologie et anthropologie afin de saisir la complexité des
faits sociaux et leur explication à l’échelle locale (Olivier de Sardan, 2001). La socio-anthropologie pro-
pose alors d’explorer des mythes, des représentations sociales et locales de l’organisation publique
qui permettent de (re) construire un management à l’opposé de règles universelles, préétablies,
prescrites et appliquées mécaniquement. Ainsi, face au principe de mutabilité, qui consiste pour le
service public à fournir des prestations adaptées aux besoins sociaux, l’innovation managériale est
attendue comme un outil de conciliation du global avec le local. Par exemple, le mix-management
des styles paternaliste et participatif, en ce qu’il créé les conditions d’un dialogue social constructif,
favorise notamment dans les organisations publiques africaines, la mise en place des pratiques GRH
innovantes telles qu’une caisse commune de secours, le transport des fonctionnaires, la prise en
charge des frais funéraires. Autant d’ingrédients d’une paix sociale durable souvent citée en exemple
par les gouvernants. Il reste que ces pratiques GRH peuvent revêtir une forme de simplification com-
préhensive de l’organisation publique (Muller, 1990). C’est pourquoi, il convient de les intégrer dans
un « dialogue de contingence » pour enrichir les connaissances globales sur le management des
organisations publiques avec des savoirs locaux (Lavigne Delville, 2017).

192 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


L’innovation managériale dans les organisations publiques :
une évidence avec des difficultés de mise en œuvre
Hadj NEKKA, MCF HDR, Université d’Angers
L’innovation reste une source d’avantage concurrentiel dans les entreprises privées. Un tel propos
est-il tenable dans le cas des organisations publiques ? Si la réponse est simple dans le secteur public
habitué à la concurrence avec le secteur privé, dans les organisations publiques restantes telles que
les administrations une analyse plus fine s’impose. Pour comprendre l’importance de l’innovation
dans les administrations, il suffit de questionner les défis auxquelles celles-ci sont confrontées. Plu-
sieurs défis sont mentionnés dans la littérature dont l’examen permet de mesurer les opportunités
et les blocages en termes d’actions innovantes. On y trouve en premier la complexité de l’envi-
ronnement des administrations. La diversité des problèmes et leur enchevêtrement montrent que
ces organisations ne peuvent plus mobiliser les solutions habituelles et doivent trouver et mettre
en œuvre de nouvelles méthodes. Ainsi l’innovation apparaît comme une opportunité qui n’est pas
toujours à porter de main. En effet, dans ces structures, les problèmes budgétaires sont un obstacle
et conduisent ces organisations publiques à une situation inconfortable où pour innover il faut faire
mieux avec toujours moins de moyens. Une même analyse peut être faite à partir du défi relatif au
développement des technologies de l’information et de la communication. Si ces technologies offrent
aux organisations publiques de nouvelles opportunités pour améliorer leurs services, faciliter leur
accessibilité, les personnaliser ou encore les simplifier, elles nécessitent aussi d’associer un grand
nombre d’acteurs. L’implication de ces derniers dans les processus de décision est indispensable
pour favoriser la transparence, un chantier loin d’être facile. Ainsi, si les innovations dans les orga-
nisations publiques apparaissent comme une évidence dans les organisations publiques, c’est leur
mise en œuvre qui semble être la problématique essentielle. Comme l’État doit rétablir sa légitimité
à travers des formes de gouvernance plus collaboratives et démocratiques, on craint que nous ayons
un défi de taille pour illustrer encore une fois l’importance de l’innovation dans les administrations
sans aucune conséquence en termes de progrès dans la mise en œuvre des innovations.
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Esprit du « public », es-tu là ?!
Florent NOËL, Professeur, IAE Paris Sorbonne Business School
Les réformes en cours entendent moderniser la fonction publique en alignant certaines pratiques ma-
nagériales sur celles du serveur privé. Qu’il s’agisse d’en finir avec les grands corps, de multiplier les
contrats de travail de droit privé, de rémunérer au mérite, d’individualiser les parcours professionnels,
d’instaurer des objectifs à atteindre et des comptes à rendre, on voit bien comment les pratiques du
« privé » se diffusent dans le « public ». Pourtant, partout, les apories du management sont criantes.
On peut certes déplorer le « syndrome de la salle des profs » qui tirerait les énergies vers le bas,
mais ce spleen touche aussi les « bars à afterworks » et on en vient à se demander d’où proviennent
ces vacillements de la flamme. Tous les commentateurs constatent une crise du sens. On relève les
limites de l’individualisation et les envies de participation et de collectif. On peine à convaincre les
jeunes générations. Les solutions sont identifiées : retrouver la raison d’être, restaurer la confiance,
remettre au centre le travail et la compétence, tenter l’autonomie, arrêter de compter… Tout cela a
un petit gout de « motivation à l’égard du service public » qu’on croyait désuet. De fait, on sait faire
depuis longtemps, mais on n’y a plus cru. Sumanthra Goshal relevait, il y a longtemps, le problème
des mauvaises théories qui détruisent les bonnes pratiques. Revenir aux fondamentaux de la fonction
publique, une issue ?

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 193


REGARDS CROISÉS

La nécessité d’intensifier la « relation client »


Joseph NZONGANG et Alain TAKOUDJOU NIMPA, Agrégés en Sciences de Gestion, Centre
d’Études et de Recherche en Management et Économie (CERME), Université de Dschang-
Cameroun

Depuis plusieurs décennies, on assiste dans les organisations publiques, à une modernisation de leur
fonctionnement, sous l’impulsion des gouvernements, et spécifiquement en ce qui concerne leur « rela-
tion client ». La question de la gestion de la relation client a été longtemps considérée comme une
exigence du secteur marchand, elle devient à la réalité aussi celle du secteur public. Selon Jallat et al.
(2006), le terme relation évoque un sentiment qui peut s’exprimer entre deux personnes : attraction mu-
tuelle, respect, considération, dépendance, etc. La base de la relation client/fournisseur est l’HUMAIN,
humain dont les décisions sont basées à la fois sur des éléments factuels et des émotions. À l’évidence,
l’organisation publique ne peut plus se comporter uniquement comme une autorité. Elle peut sans doute
regarder avec intérêt les meilleures pratiques du secteur privé dans lequel par une nécessité écono-
mique un effort tout particulier s’est développé pour faire de la relation l’enjeu principal du marketing.
Il faille désormais pour satisfaire les attentes égoïstes des usagers qui pensent que leur désir est un
droit, des méthodes nouvelles. Il faut créer de la confiance, l’attachement, individualiser dans la mesure
du possible et fluidifier les échanges, ou encore s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue
de la qualité de services offerts aux usagers. Il faut également réfléchir à la dimension morale de cette
démarche relationnelle ; l’intégrité et la dignité seront sans doute des critères déterminants. Mais plus
encore, dans un contexte où l’administration ne dispose pas du choix de ses clients, et dispose de
ressources limitées, on ne pourra penser la relation client avec la débauche de moyens qui est celle du
secteur profitable. Une relation frugale est à privilégier ici. Il ne faut pas tout sacrifier aux exigences que
l’économie de marché encourage ; l’usager n’est pas client, le consommateur n’est pas un citoyen, et
vice versa. L’on peut difficilement réduire à un rôle de client l’étudiant, l’administré, le justiciable, ou le
citoyen. Le critère de satisfaction des attentes n’est qu’une étape, celle de confiance en est une autre
sans doute meilleur mais incomplet, celle de la légitimité des services rendus est alors essentiel.

Innovation managériale dans les organisations


publiques : le mythe du couple rationalité-efficacité
Viviane ONDOUA BIWOLE, Professeure, Université de Yaoundé
Jean-Paul TCHANKAM, Professeur HDR, Kedge Business School Bordeaux
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Depuis plus de 40, les organisations publiques adoptent le « New Public Management » (NMP) que
l’on doit à Hood (1976) et qui renvoie à l’action de transposer les modes de gestion et d’organisation
du secteur privé vers le secteur public (Giauque & Emery, 2008 ; Mazouz et al., 2017). Malheureuse-
ment, le bilan mitigé des expériences remet en question le mythe du couple rationalité-efficacité sur
lequel ce modèle managérial a été « vendu » aux organisations publiques. Son caractère pathogène
dans les organisations publiques (Chanial, 2010) invite à la prise de conscience des enjeux humains
des changements organisationnels (Abord de Chatillon & Desmarais, 2012), (Tornare & Rinfret, 2018)
au point où le Post new Management Publique (PNMP) se positionne en guise d’alternative. Toute-
fois, les innovations managériales induites par le NMP ne constituent pas des échecs tous azimuts et
à tous les égards. Les résultats quoique contrastés ont souvent le mérite d’introduire – à des degrés
divers – des améliorations voulues, conceptualisées, discutées et implémentées avec le concours
des acteurs organisationnels. Ce qui semble alors en jeu est le rôle des acteurs dans ce processus
d’innovation managériale au sein d’un cadre structurel qui peine à se départir de la bureaucratie.
Aujourd’hui encore, les enjeux structurels de la gestion des organisations publiques suscitent une de-
mande de la littérature en rapport avec les rôles de acteurs (Dupuis, 2020). Cette piste de recherche
de nature essentiellement cognitive pourrait contribuer à une meilleure compréhension du phéno-
mène d’innovation managériale dans les organisations publiques.

194 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


L’innovation managériale : défis et perspectives
Gillian ORIOL, Doctorante en sciences de gestion IMPGT – CERGAM
Les enjeux du XXIe siècle, tels que la transition écologique, la lutte contre les inégalités sociales, ne
peuvent être entrepris par une organisation à elle seule. Ainsi, les pouvoirs publics et les acteurs
socio-économiques du territoire sont invités à œuvrer dans le développement d’un ensemble de
réponses stratégiques et coordonnées. Le défi consiste à réfléchir à des structures organisationnelles
suffisamment souples pour améliorer la compréhension de l’environnement. Chaque entité impliquée
dans la résolution d’un problème associe les enjeux à son expérience et son expertise. Les managers
qui s’intéressent à l’innovation managériale ont une influence sur l’adaptation des procédures et des
structures internes aux conditions environnementales. Garants des processus organisationnels et im-
pliqués dans le rééquilibrage des relations territoriales, les actions qu’ils décident de mettre en place
résultent de la compréhension et du sens donné aux enjeux. Les managers qui favorisent le partage
de ressources et de compétences en continu interviennent avant que le besoin de changement ne se
fasse ressentir. Par le développement de pratiques managériales inclusives, ils génèrent une amélio-
ration dans les prises de décision. Grâce à leur rôle d’orchestrateur des délibérations multipartites, les
managers agissent comme des catalyseurs de l’innovation collaborative. Ils facilitent l’émergence de
réseaux qui permettent à différents acteurs de converger autour de projets communs.
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L’innovation managériale au service de l’innovation publique
Hugues PERINEL, Animateur du Réseau Service Public et du Cercle des Acteurs Territoriaux
L’innovation publique que demandent les élus ne peut être, c’est trop souvent le cas, décorrélée de
l’innovation managériale, car rien ne se fera sans ces équipes qui ont su faire preuve d’inventivité et
d’adaptation face à la crise sanitaire, ont assoupli leur fonctionnement pour se concentrer sur des
décisions rapides, ont su casser d’anciennes pratiques en un temps record ! Entre bonnes pratiques
et simplifications adaptées à l’instant il existe là un véritable champ d’investigation. Tout est question
de pédagogie et cela passe d’abord par l’idée force que le privé comme le public sont tous les deux,
chacun dans leur rôle, créateurs de richesse nationale. Cela passe ensuite par des organisations
capables d’évaluer leurs actions, de réaffecter des moyens, bref de s’adapter, condition première
et garantie de la continuité du service public. Cela passe encore par un management qui s’appuie
sur le sentiment d’appartenance et la coresponsabilité : comment je contribue l’équipe à laquelle
j’appartiens ? Quel est mon rôle, ma valeur ajoutée ? Un management qui donne à voir ce qui fait
sens commun aux uns et aux autres, ce sur quoi on est amené à travailler ensemble. Il s’agit aussi
dans une telle démarche de s’engager dans un processus d’amélioration continue de l’organisation
impliquant les agents, comme les managers et de les impliquer en interne dans une démarche de
responsabilité durable.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 195


REGARDS CROISÉS

La fin du New Public Management, enfin ! – Du déclassement


de ses catégories par la Covid-19 et la guerre en Ukraine
Yvon PESQUEUX, Hesam Université, Professeur du CNAM
Ces deux événements questionnent en effet :
• La gestion efficace des administrations publiques qui ont été impactées selon leur domaine (la
santé publique, bien sûr, mais aussi l’éducation et la défense pour prendre l’exemple de trois
fonctions régaliennes) ;
• La gestion des politiques publiques dont le contexte se trouve bouleversé avec la généralisation
des revenus de compensation aussi bien pour les entreprises que pour les salariés, face à la réduc-
tion d’activité, à une inflation croissante et à la nécessité d’accroître les dépenses.
Avec la pandémie et la guerre en Ukraine, le contenu de l’efficience est remis en cause car il s’agit
de faire fonctionner le système hospitalier ou encore de ne pas déboucher sur des années blanches
dans le système éducatif et de s’organiser face à la menace tout en aidant un pays agressé. Le
modèle de l’excellence l’est tout autant car il n’est plus question de « culture administrative », ni
de « clients », mais tout simplement d’assurer le fonctionnement des services publics. Le modèle
de la flexibilité, de la décentralisation et du downsizing des processus de décision ne tient plus lui
non plus : le « niveau stratégique » a été confronté à la navigation à vue au regard d’une pandémie
et d’une guerre inattendues, les niveaux opérationnels faisant face comme ils le peuvent. La LOLF
est oubliée. L’ensemble doctrinal du NPM se dépassé par les modalités de gestion de la pandémie
et du conflit en Ukraine. Par conséquent, une ère post-NPM au regard de la « transformation numé-
rique » des administrations (e-administration) se dessine aujourd’hui, transformation numérique où la
question de l’efficience se pose plus du tout de la même manière tout en induisant également une
relecture de la gouvernance publique.
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Démarquer les castes et marquer la confiance ?


Frédéric PETITBON, Associé People & Organisation, PWC Consulting
Les comités de direction où on voit la déférence de caste entre l’inspecteur des finances et le simple
administrateur civil ? Bon indicateur de possible innovation technique mais d’impossible innovation
managériale : le respect lié au rang fait que l’indispensable confrontation des idées est battue en
brèche avant toute expression. Indicateur d’innovation managériale : les communautés profession-
nelles comme celles des enseignants en collège sensible : on est entre pairs, confrontés aux mêmes
enjeux de service public, avec une vraie marge de manœuvre pour adapter les pratiques et le faire
ensemble, en équipe, en codéveloppement. Avec bien sûr un inconvénient : la non transmissibilité de
l’innovation – la démarche collective de confiance et de respect ne se met pas dans une procédure !

196 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


L’innovation managériale, une notion encore impensée ?
Jean-Jacques PLUCHART, Professeur émérite à l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne
L’innovation managériale a été initialement définie par opposition à l’innovation technologique (Kim-
berly,1981 ; Edquist et al., 2001). La notion a été enrichie par Birkinshaw, Hamel et Mol (2008), qui la
désignent comme « l’invention et la mise en œuvre d’une pratique, d’un processus, d’une structure
ou d’une technique de management nouveaux par rapport à ce qui est connu, dans l’objectif de mieux
atteindre les buts de l’organisation ». Elle est, selon Hamel et Breen (2007), une des quatre formes
de l’innovation, avec « l’innovation de procédés », « l’innovation de produits et/ou de services » et
« l’innovation stratégique ». Mais quelque-soit sa forme, seule l’innovation de rupture est de nature
à créer une avantage concurrentiel durable et/ou un changement significatif de système socio-écono-
mique. Dans le secteur public, pour être considérée comme significative, l’innovation managériale doit
présenter un caractère transversal et impliquer tous les services publics. Elle doit résulter d’une innova-
tion technologique de rupture, s’inscrire dans une nouvelle politique publique, réformer les procédures
administratives en vigueur et/ou modifier profondément les services au public. C’est notamment le
cas de l’Intelligence Artificielle et des nouveaux systèmes d’information, qui impactent notamment les
services de santé (grâce à la médecine prédictive, à l’assistance au diagnostic, aux robots chirurgicaux,
aux androïdes…), l’éducation et la culture (par la recherche automatique de documents, le recours à des
assistants personnels…), l’énergie (avec les compteurs intelligents, le fonctionnement optimisé des
réseaux ; la maintenance intelligente des infrastructures…), les mobilités (avec les flottes autonomes,
l’assistance à la conduite, le contrôle de la circulation, la sécurité routière renforcée…) et les services
administratifs, financiers et fiscaux, « augmentés » par des relations automatisées avec les usagers
(grâce aux robo-advisors…). Un autre marqueur réside dans la responsabilisation sociale et sociétale
des agents de l’État et des collectivités locales, qui contribuent à promouvoir l’usager (ou l’assujetti)
en partie prenante, la démarche administrative en service de proximité, la procédure anonyme en pres-
tation personnalisée… Ces deux exemples invitent à repenser la notion d’innovation managériale, qui
recouvre un phénomène complexe reposant sur des principes à la fois dialogique (les formes d’inno-
vation interagissent entre elles), récursif (l’effet de l’innovation agit sur sa cause) et hologrammatique
(l’innovation managériale intègre les autres formes d’innovation). Cette approche systémique (Morin,
1986) permet de dégager les différents « niveaux de signification » du phénomène.

Des valeurs pour la vie au travail et l’allocation


des ressources humaines impliquées
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Nadezhda N. POKROVSKAIA, Professeur, Université Electrotechnique de Saint-Pétersbourg
« LETI » ; Université Polytechnique de Saint-Pétersbourg, Russie

Les innovations dans les organisations publiques et privées concernent l’équipement et la vie au travail.
Pour les infrastructures et logiciels, les marqueurs de l’innovation sont accumulés autour de la répar-
tition des ressources financières, y compris l’allocation des investissements et la qualité des maté-
riaux octroyés à l’introduction des technologies numériques intersectorielles. La vie au travail change
profondément avec les innovations managériales, et la liste des marqueurs est plus large mais moins
quantifiée : les organisations publiques consistent des processus dont l’ouverture représente le premier
marqueur. Les gens, hommes et femmes impliqués à des processus intérieurs et à la communication
extérieure des organisations publiques démontrent leur façon de prendre part et responsabilités, la ma-
nière de cette participation témoigne de la balance entre la hiérarchie et la collaboration en organisation :
les gens tiennent plus à résoudre des tâches et moins à rendre des rapports. La gestion participative est
enracinée en valeur de l’aide et entraide, qui forme le sens essentiel de l’existence des organisations
publiques, cette valeur s’exprime en comportement réel en facilité de l’appropriation des charges des
emplois voisins en but final de remplir l’obligation centrale de l’organisation. Le marqueur temporaire
reflète la répartition des efforts entre la vie au travail et la présence en lieu au travail. Ces marqueurs ne
sont pas évidents à mesurer, mais ils sont perçus par les clients des organisations publiques.

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REGARDS CROISÉS

La co-création, une innovation managériale


pour faire face aux enjeux sociétaux
Magdalena POTZ, Doctorante en Sciences de Gestion, Institut de Management Public et
Gouvernance Territoriale, CERGAM, AMU

Les événements qui marquent et bouleversent la société – le changement climatique, la migration,


ou encore la pandémie de Covid-19 – montrent la complexité croissante des problèmes auxquels se
voient confrontées les organisations publiques. Ils se caractérisent par leur incertitude, une multitude
d’interprétations possibles, l’absence d’un répertoire de réponses préexistantes, et donc le besoin
d’innover pour y faire face. Afin d’aborder ces questions, les managers publics ressentent le besoin
de sortir des sentiers battus. Ouvrir les processus décisionnels pour co-créer des réponses avec
les parties prenantes publiques et privées s’avère être un outil précieux pour eux dans ce contexte.
Pénétrant les frontières organisationnelles, rompant avec les pratiques bureaucratiques établies, et
exigeant de la transversalité plutôt qu’une réflexion en silos, la co-création vise à résoudre des pro-
blèmes communs et à répondre aux besoins en réunissant une variété d’acteurs et leurs expériences,
connaissances et parcours. Ce faisant, elle constitue en soi une innovation managériale dans l’éla-
boration et la mise en œuvre des politiques publiques. Ainsi, les problèmes sociétaux complexes
exigent que les managers publics soient capables d’innover à deux niveaux simultanément : en effet,
la co-création transforme profondément les processus décisionnels dans les organisations publiques,
et est censée aboutir à des réponses innovantes aux problèmes de politique publique. La formation
que reçoivent les managers publics, leurs compétences, et la perception de leur profession doivent
être à la hauteur de ce défi.

Le secteur public n’a pas le choix, il doit innover


Sana QARROUTE, Professeur, Ecole Nationale de Commerce et de Gestion Université
Mohamed Premier – Oujda, Maroc

Des contraintes budgétaires, des réformes en continue, des exigences de qualité et d’efficience des
services rendus et s’ajoute d’emblée le nouvel environnement numérique en perpétuelle évolution
dont les organisations publiques y sont confrontées. Le secteur public est conditionné par le contexte
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politique qui impacte notamment la définition des objectifs et l’obtention des ressources (Halvorsen
et al., 2005). En plus de la lourdeur des procédures administratives et de la prolifération des règles qui
constituent des obstacles majeurs de l’innovation, nous trouvons le style du management top-down
qui n’implique pas les collaborateurs dans l’élaboration des stratégies (Moore, 1995). Les innova-
tions dans le secteur public sont dépendantes à des évènements (Eggers et Singh, 2009), et la crise
sanitaire de la Covid-19 est une opportunité à en profiter pour réinventer le management. Jadis, le
paradigme de la nouvelle gestion publique considérait que le seul moyen d’innovation dans le secteur
public est d’imiter le secteur privé. Or, avec la nouvelle gouvernance publique (Osborne, 2010), le sec-
teur est considéré comme un terrain fertile qui doit être stimulé par des partenariats et collaborations.
La collaboration est capitale pour développer des nouvelles pratiques managériales et pour l’élabora-
tion des politiques d’innovation. L’innovation managériale est donc un nouveau paradigme dont l’État
s’inspire du privé et développe des logiques plus partenariales que régaliennes. Un paradigme qui
prend en compte l’ensemble des parties prenantes, il s’agit d’une innovation plus collaborative qui a
pour but de faire converger des solutions innovantes en interne et en externe. Les innovations mana-
gériales constituent un levier de la modernisation de l’action publique. Carassus (2016) insiste sur le
constat que ces innovations se sont progressivement devenues des enjeux de survie pour le secteur
public. Boukamel et Emery (2019) précisent que l’innovation est un impératif et que le secteur public
« N’a pas le choix, il doit innover ».

198 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Quand un rapport officiel devient charte managériale
Martin RICHER, Président et fondateur, Management & RSE
Enserré dans la gangue de la RGPP, le management public s’est davantage illustré par le manage-
ment des process que par celui des femmes et des hommes. Mais les choses changent, dans l’un
des compartiments le plus fragilisé du secteur public, l’hôpital. En juin 2020, le Pr Olivier CLARIS,
président de la CME des Hospices civils de Lyon, remettait son rapport officiel sur « la gouvernance
et la simplification hospitalières », qui tirait les leçons managériales apprises au forceps par la confron-
tation courageuse aux effets de la crise sanitaire. Fait plus inhabituel, ce rapport s’est prolongé avec
la publication en août 2021, sous l’égide du même praticien et dans le cadre du Ségur de la Santé,
du « Guide Mieux manager pour mieux soigner ». Comme l’affirmait le ministre Olivier Véran dans la
préface, « la gestion de la crise Covid a démontré que l’hôpital pouvait trouver lui-même les solutions
aux difficultés de fonctionnement interne et s’organiser en équipes pour poursuivre des objectifs
communs. Il s’agit désormais de capitaliser sur ces bonnes pratiques mises en place durant la crise ».
Ce guide est une belle concrétisation de cet effort de formalisation des bonnes pratiques de manage-
ment, de confiance vis-à-vis des personnels et d’autonomie de décision. Il prolonge la définition que
nous avions élaborée autour de Philippe Détrie au sein de la Maison du Management : « le manage-
ment des personnes est l’art d’animer une équipe pour atteindre les objectifs attendus en incitant
chacun à donner le meilleur de lui-même et à progresser ».

Politiques touristiques : un « mille-feuille territorial » et une clause


de compétences partagées qui redessinent le management territorial
Marie-Noëlle RIMAUD, Professeur associé, Directrice INNOV Case Lab, CERIIM – Centre de
Recherche en Intelligence et Innovation Managériales

La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe)
retient le principe d’une spécialisation des collectivités et supprime en conséquence la clause géné-
rale de compétence. Par crainte, doute ou du fait d’un lobbying intense, le législateur a maintenu le
principe de compétences partagées, notamment en matière de culture, sport et tourisme… (Article
L1111-4 Code général des collectivités territoriales). Sachant que les projets de territoire sont des
processus qui nécessitent la mobilisation d’un écosystème d’envergure, cette compétence partagée
questionne ! La redéfinition préalable du territoire des régions (Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015
relative à la délimitation des régions) et la montée en puissance des métropoles et intercommunali-
tés, entraînent de nouveaux contacts et de connexions, directs ou non, formalisés ou non, entre les
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entités (acteurs ou groupes d’acteurs). Comment et quels arbitrages opérés, avec quelles parties
prenantes, tels sont les enjeux auxquels sont désormais confrontés les élus en charge du tourisme ?
Ils doivent accepter de faire des concessions, de négocier avec les autres élus, mais également
avec leurs homologues dans les collectivités, une forme d’innovation orientée relations – IOR (David,
1996). Le moyen également de résister à l’heure de la concurrence féroce entre les territoires. Les
lois de décentralisation n’ayant pas affectés les moyens financiers à la hauteur des besoins, une
inégalité se fait jour à deux niveaux : entre les pépites touristiques et les collectivités moins bien
loties en termes de valeurs distinctives ; mais également entre les régions et métropoles dotées de
la capacité juridique suffisante pour agir sur différents segments et les départements et communes,
aux compétences limitées. Il faut admettre, que la compétition entre sites pour l’accueil des projets
nécessite des investissements conséquents, des stratégies bien établies et la coordination d’acteurs
variés aux intérêts très divers (Soldo et al., 2013 ; Lanciano et al., 2016) ; un travail d’équilibriste
pour celles et ceux qui ont la charge de décider puis mettre en œuvre les politiques touristiques !Du
côté des services, la situation oblige également à un management adapté, avec des techniciens qui
ont été amenés à opérer des changements drastiques, à apprendre de nouveaux métiers. Situation
d’autant plus compliquée que « la très grande majorité de salariés de la fonction publique territoriale :
le service public du quotidien, […] sont au SMIC et n’en sortiront pas avant 10 à 12 ans… », selon
Yves Veyrier, secrétaire général de FO.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 199


REGARDS CROISÉS

L’innovation publique, un incontournable du management public


Madina RIVAL, Professeur des universités au Conservatoire National des Arts et Métiers
(Cnam), Directrice du laboratoire Lirsa (EA 4603)

L’innovation publique est aujourd’hui présente dans tous les discours des administrations, qu’elles
soient centrales comme la DITP (Direction Interministérielle de la Transformation Publique) ou locales.
Pour faire face aux limites du « New Public Management » (introduction dans les années 1980 des
outils de l’entreprise dans les organisations publiques au prisme de la gestion financière), il s’agit au
XXIe siècle d’inventer un service public plus proche des besoins des usagers. Cela passe par des dis-
positifs comme les laboratoires d’innovation ou les start-up publiques, des outils comme la facilitation
ou le design. En matière de management, l’innovation publique est marquée par deux grandes ten-
dances. D’une part, en interne, la gestion des ressources humaines comme les méthodes de travail
vont être transformées. Ouverture des recrutements hors des schémas classiques des concours,
autonomie, travail transversal en mode « gestion de projet », échanges et apprentissages aux sein de
communautés de pratiques sont autant de marqueurs observés. D’autre part, en externe, l’innovation
publique suppose une ouverture à des acteurs très divers qu’ils soient issus du secteur privé (asso-
ciations de citoyens, entreprises) comme du secteur public (à différentes échelles territoriales ou
d’expertise). À cette condition d’hybridation, le management public peut se saisir de problématiques
complexes, par exemple en matière de précarité ou de santé.

L’innovation managériale dans le secteur public, c’est possible ?


Khaled SABOUNÉ, MCF en Sciences Gestion, IMPGT, Aix-Marseille Université, Laboratoire de
recherche Cergam (EA 4225)

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, le télétravail, les évolutions


sociétales, les réformes successives, les injonctions paradoxales, les stratégies de rationalisation
des coûts, les crises sanitaires et économiques successives, le développement des organisations du
travail de plus en plus rigides et la montée de l’individualisme font évoluer les attentes des agents
publics, qu’ils soient managers ou non-managers, envers leurs supérieurs hiérarchiques. Outre les
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attentes liées à l’évolution professionnelle et aux revalorisations salariales tout à fait légitimes, les
agents souhaitent avoir un management qui sait prendre soin d’eux ! Plus concrètement, ils attendent
de leurs supérieurs hiérarchiques de la proximité relationnelle, de la bienveillance, de l’empathie, de
l’écoute et de la discussion. Les agents des trois versants de la fonction publique souhaitent évoluer
sous la direction d’un manager agile qui sait mettre en place une organisation du travail adaptée,
individualiser son management et conduire le changement. Les agents attendent plus largement de
leurs managers qu’ils mobilisent et rassemblent leurs équipes autour des valeurs publiques, qu’ils
leur fixent des objectifs clairs et atteignables, et qu’ils clarifient le rôle de chaque collaborateur. Pour
pouvoir répondre à ces attentes, les managers publics sont invités à remettre en question leurs pra-
tiques managériales, à se réinventer, à innover et à devenir plus agile, mais tout cela ne serait possible
sans le soutien technique, matériel, financier et affectif du top management et des directions des
ressources humaines. Ces dernières peuvent notamment redéfinir les rôles du manager public et
de faire évoluer leurs politiques de recrutement et de gestion des compétences de tous les agents
en poste d’encadrement. La gestion de ces dernières devrait concerner non seulement les compé-
tences techniques mais aussi et surtout les compétences cognitives, sociales et psychologiques. Il
est enfin nécessaire de noter que le manager, malgré toute « la bonne volonté du monde », ne peut
pas satisfaire tous les besoins de ses partenaires professionnels. Pour cela, ces derniers devraient
faire preuve de bienveillance et revoir leurs exigences à la baisse pour le bien-être de tous.

200 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Adaptation, acceptation, ouverture et tolérance
Arnaud SCAILLEREZ, Professeur agrégé, Université de Moncton, Nouveau-Brunswick, Canada
Les organisations publiques inscrivent leur action dans un environnement empreint de turbulences,
d’incertitudes et de complexité, phénomènes exacerbés depuis la pandémie (Covid-19) et amenant
le manager à innover. L’action publique se heurte parfois à l’ambiguïté, l’imprévision et à des injonc-
tions contradictoires qui obligent le manager à s’adapter en permanence avec souplesse, flexibilité
et agilité. Certains problèmes se résolvent par l’expérimentation et certaines solutions se trouvent à
tâtons. Le manager peut être conduit à désapprendre et sortir de ses croyances les plus élémentaires
pour composer avec une nouvelle donne. Il doit se montrer résilient et accepter de donner une place
aux erreurs en les considérant comme autant d’opportunités d’apprentissage.
Pour faire face à ces situations complexes, le manager doit miser avant tout sur l’intelligence col-
lective en abandonnant le simple rapport hiérarchique au profit d’une relation fondée sur l’échange,
la collaboration, le partage, le soutien et la confiance. Pour ce faire, il doit se montrer soucieux des
résultats, sans faire fi du bien-être de ses collaborateurs, être à leur écoute, développer de solides
compétences interpersonnelles et ainsi, appréhender ses émotions autant que celles des autres. Le
manager ne doit pas non plus s’oublier. Il doit être en mesure de se préserver, de conserver un certain
recul face à la pression, prendre de la hauteur selon les cas, ne pas hésiter à solliciter de l’aide, tout en
ayant la capacité de préserver son équilibre vie privée/vie professionnelle. L’innovation managériale
revient alors à croire en soi, autant qu’aux autres et donner pour recevoir en retour.

Innovation Managériale dans la Fonction


publique : un enjeu de survie ?
Marie José SCOTTO, Professeure, IPAG Business School
Jordan TOURNOIS, IPAG Business School, Nice
Les organisations publiques sont souvent l’objet de critiques pour leur rigidité bureaucratique qui
ne rime pas avec l’agilité ou la créativité associée à l’innovation en général, et plus précisément à
l’innovation managériale. Ce que les auteurs appellent le Nouveau Management Public (NMP) peine à
émerger et à remettre en question le cadre Wébérien fortement ancré au sein de la sphère publique.
Mais est-ce vraiment la bonne question à poser ? Les outils du NMP issus pour la plupart, du sec-
teur privé, ne peuvent que difficilement, ou ne pas être transposés sans une réflexion approfondie.
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Cette réalité s’inscrit de plus dans d’un contexte où les objectifs et les modes de fonctionnement
sont différents, voire même s’opposent. Le monde des entreprises, opère dans une logique de ren-
tabilité à plus ou moins court terme. Les organisations publiques quant à elles, s’inscrivent sur le
long terme ou l’intérêt général et l’accessibilité au plus grand nombre priment. Pourtant, le NMP doit
véritablement émerger. Même s’il apparaît que les administrations publiques s’engagent plus facile-
ment sur la voie des innovations des process administratifs et technologiques, l’importance d’une
réelle réflexion sur les nouvelles formes de management, l’accompagnement du changement et plus
globalement, la mise en œuvre de pratiques RH motivantes est souvent négligée à défaut de réels
moyens, de compétences, ou encore, d’une certaine « frilosité » des décideurs. L’enjeu crucial pour
la Fonction Publique (FP) porte notamment sur son attractivité, sa performance et plus globalement
sur la pérennité d’un service public confronté à une évolution permanente des besoins de la popula-
tion et du cadre législatif. Ainsi, quelle Ressource Humaine souhaite-t-on afin ce service public soit la
hauteur des défis actuels et futurs ? Quelle est l’image employeur à construire ? Comment la rendre
plus attractive y attirer les talents ? Toutes ces questions ne se résoudront pas simplement à coup
d’indicateurs de performance. Elles impliquent indéniablement une réflexion en profondeur mais pas
en copiant aveuglément les pratiques du privé car toutes ne sont transposables. De même que les
modes de fonctionnement, même ils se rapprochement progressivement, les finalités ne sont pas et
ne seront probablement jamais les mêmes.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 201


REGARDS CROISÉS

Le management public à l’épreuve de l’incertitude :


réforme ou révolution culturelle ?
Hervé SÉRIEYX, Vice-président national de France Bénévolat
Pour qui a pu observer les administrations françaises depuis cinquante ans et a été un acteur enga-
gé dans la modernisation de celles-ci, demeure plus actuel que jamais ce commentaire de Michel
Crozier : « Le problème de l’État est au centre de toute tentative sérieuses de réforme dans nos
sociétés modernes complexes. Non seulement parce que l’État constitue le levier d’action privilégié
de tout gouvernement mais parce qu’en même temps sa lourdeur et son inertie en font le principal
obstacle à tout changement réel. » Barricadée dans ses catégories A, B, C, ses corps, ses statuts,
ses fonctionnements en tuyaux d’orgues, sa verticalité immuable et surtout conçue volontairement
comme un système bureaucratique, une sorte de machine fonctionnant partout et pour tous à l’iden-
tique, dans un monde stable, l’Administration a longtemps considéré, à juste titre, que la notion de
« management » constituait un corps étranger dont elle n’avait nul besoin, une mode réservée aux
entreprises. C’est l’irruption, tous azimuts, de l’incertitude au cœur de la société française qui a rendu
et rend de plus en plus nécessaire l’invention d’un management public qui va devoir tenir compte de
l’évolution à géométrie variable de la place de l’action publique dans le pays, ce qui impactera le fonc-
tionnement de son Administration, la formation de ses fonctionnaires, le choix de leurs responsables,
les critères de leur évaluation, le cours de leurs affectations et le profil de leurs carrières. Dès lors, les
principaux « marqueurs de l’innovation managériale dans les organisations publiques » à venir seront,
au moins, la capacité à imaginer des processus souples, vivants, symbiotiques, capables de s’ajuster
à la diversité sans cesse accrue des demandes et de l’irruption de l’inattendu ; la capacité à créer et
à entretenir un climat de confiance au sein des équipes, qui permettra d’éliminer contrôles inutiles,
reporting coûteux, travaux identiques inutilement dupliqués, déresponsabilisation des agents, etc. ; la
capacité à pratiquer l’analyse de la valeur, démarche qui consiste à « passer au marbre » chaque mis-
sion qu’une organisation est censée remplir et les activités qui mobilisent en son sein des personnes,
du temps et des coûts, afin d’apprécier, en fonction de critères d’utilité, si ont été convenablement
hiérarchisées priorités, urgences et affectations des moyens ; la capacité – et le droit-, pour les res-
ponsables et leurs agents, d’innover en vue d’assurer toujours mieux la qualité du service public. En
1988, Jean Choussat, alors directeur du budget, disait avec humour : « Dans la Fonction publique, une
innovation c’est une désobéissance qui a réussi : il ne faut pas se faire prendre par la patrouille ! ».
Alors, réforme ou révolution culturelle ?

Le rôle et la fonction avant le statut !


Patrick STORHAYE, président de Flexity, co-fondateur de Story RH et RH info
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Dans les organisations publiques comme ailleurs, les marqueurs des véritables innovations managé-
riales sont à chercher du côté des résultats produits bien plus que dans le recours à une quelconque
nouvelle méthode ou autre tendance à la mode. La profusion des pseudo – nouveautés managériales
qu’on trouve ici ou là constitue plus un marqueur de la course à l’image de celles et ceux qui s’en
targuent que celui d’une évolution réelle de la culture et des pratiques managériales. Ces évolutions
sont souvent longues et silencieuses ou étouffées lorsqu’elles dérangent les positions établies. Com-
ment alors identifier des marqueurs de ce qui œuvre en silence ou de ce qui est volontairement oc-
culté si ce n’est en s’intéressant à des signaux faibles quant aux effets produits ? Peut-être faudrait-il
alors chercher du côté des représentations, des attitudes et des façons de faire des agents, comme
par exemple : Des agents qui s’identifieraient et se présenteraient par leur fonction ou leur rôle mais
pas par leur statut ; Des agents qui seraient reconnus pour leurs compétences, leur engagement et
leur performance mais pas pour leur ancienneté ; Des agents à qui une véritable délégation managé-
riale aurait été faite pour qu’ils puissent faire preuve d’initiatives et d’autonomie ; Des équipes où la
fluidité des échanges et la coopération l’emporteraient manifestement sur les cloisonnements ; Etc.
Parions que les symboles et les signaux, même infimes, sont des témoins parfois bien plus fiables
des évolutions culturelles que les indicateurs formels des grands plans de transformation ou les lan-
cements de nouveautés en grandes pompes.

202 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Le management public à l’épreuve du chiffre
Charles STRABONI, Directeur General des Services, Collectivité locale
Depuis 200 ans et plus particulièrement avec les 30 glorieuses, le progrès économique et social ainsi
que la baisse de la pauvreté caractérisent le monde capitaliste et ce, même si au niveau du commerce
international les machines ont déplacé notre utilité et la technologie transformé nos emplois. Grâce
à ou à cause de cela, l’économique prime sur le politique et les relations internationales s’organisent
autour du paradigme libéral Wilsonien alors que, logiquement, l’organisation mondiale des entre-
prises se base sur la maximation du profit sous couvert d’une production de volume et d’utilité-coût
marginal. Au seuil de ce constat, l’État mais aussi les collectivités locales copient à la fois les règles
de fonctionnement (seuil d’endettement) mais surtout les outils des entreprises (rentabilités des
investissements). L’évolution managériale publique se traduit donc par la sanctuarisation de la notion
de performance et sa logique de résultat comptable que sous-tend un discours de privatisation de
services publics qui a supplanté la culture budgétaire de moyens. En corolaire, l’évaluation régulière
et transparente des nouvelles méthodes de gestion permet certes un contrôle mais alloue aussi une
autonomie des décideurs. Enfin, la stratégie de faire-faire, plus prégnante au niveau national, si elle
met en exergue le problème de la préservation de l’intérêt national, semble rendre le service à la fois
plus flexible et moins coûteux. Aujourd’hui donc, les décideurs publics sont confrontés à une situation
paradoxale car, alors que les écoles de commerce proposent des cours sur le bonheur, la puissance
publique recrute des contractuels « manageurs décideurs 2.0 » bien décidé à franchir le Rubicon et à
« chiffrer » l’esprit du service public de sa vielle administration rationalisée.
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L’engagement des élus, condition sine qua non de l’innovation
Jean-Guy TALAMONI, MCF HDR, Université de Corse, ancien Président de l’Assemblée de
Corse

À mon sens, la condition la plus déterminante de l’innovation est que les politiques assurent pleine-
ment leurs responsabilités en matière d’orientation et d’impulsion de l’action publique, et ne se dé-
chargent pas à cet égard sur l’administration. En effet, quelle que soit la qualité des fonctionnaires en
activité dans un domaine, ils ne peuvent se substituer à ceux qui détiennent la légitimité pour changer
de paradigme, ce qui constitue un préalable à l’innovation. De fait, lorsque les élus se reposent sur
les techniciens et le système administratif, ce qui arrive souvent, ce dernier a tendance à reproduire
les modèles et « dispositifs » ayant eu cours jusqu’alors et à demeurer dans une certaine routine. Par
exemple, en ce qui concerne la Corse, des démarches essentielles et innovantes comme l’expéri-
mentation du revenu universel ou « Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée », votés par l’Assem-
blée de Corse, ont cependant pâti du manque d’engagement de l’exécutif territorial. Aujourd’hui,
s’agissant de ce dernier dossier, l’espoir vient de l’échelon intercommunal où des élus s’engagent
fortement, avec le soutien et l’investissement de leurs agents. L’innovation est à ce prix.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 203


REGARDS CROISÉS

Le paradoxe de l’innovation managériale


dans les organisations publiques »
Nino TANDILASHVILI, Enseignant-chercheur, ISC Paris
L’innovation est devenue une rhétorique centrale en sciences des organisations. Elle est également
un concept clé dans le secteur public, prenant souvent la forme de l’innovation managériale. Consi-
déré comme un levier d’amélioration de la performance et de l’efficacité des organisations publiques,
l’innovation managériale régit la quasi-totalité des réformes touchant ces organismes. Pour les réfor-
mateurs, elle constitue un enjeu majeur dans un monde marqué par de nouveaux rapports de forces
et paradigmes sociétaux. Ainsi, différentes innovations managériales sont introduites principalement
par le biais de réformes (à part quelques exceptions ou l’innovation est initiée par les organismes
publics) avec le but d’aider les organisations publiques à bien réussir leurs nouvelles missions (ou
adaptées) à la suite des évolutions socio-économiques et technologiques. De manière concrète, en
France ceci se traduit par la décentralisation de certaines tâches managériales de l’administration
centrale vers les opérateurs et les services déconcentrés. Des nouveaux outils de gestion sont mis
en place pour bien exercer ces tâches – des outils traditionnellement utilisés dans le secteur privé.
Sans se soucier de la nature d’appropriation de ces outils de gestion, alors fortement préconisée dans
la littérature scientifique, beaucoup critiquent l’adaptation de ces outils à la particularité de la gestion
publique. En parallèle, pour assurer « la bonne gestion » de ces organisations publiques devenues
davantage autonomes en matière de gestion, de nombreux outils de redevabilité sont également
introduits, qui remet en question la nature de « l’autonomie ». Ainsi, l’innovation managériale des
organisations publiques prend souvent une forme paradoxale : le concept de l’innovation managériale
se limite à empilement des outils dans un contexte de dépendance toujours aussi forte envers l’État.

Management public et performance de


l’administration publique africaine
Lassana TIOTE, Enseignant-chercheur au CESAG, Dakar, Sénégal
En évoquant le concept de Management, les chercheurs font généralement référence à la gestion
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dans le contexte privé dominé par l’entreprise. Il n’en demeure pas moins un intérêt porté au Mana-
gement Public qui a trait à la gestion des administrations publiques avec toutes les exigences que
cela implique, telle que l’utilisation de biens et fonds provenant des citoyens. Dès lors, l’on s’attend
en principe à ce que ces citoyens soient en droit d’attendre un service public de qualité en retour de
leur contribution. Le management public devrait donc avoir pour objectif principal la mise en œuvre
d’outils et de méthodes en vue d’augmenter la « productivité » du secteur public considéré comme
composé de structures classiques obéissant à un mode de fonctionnement bureaucratique et lourd
avec un coût élevé et non efficace. Cela nécessite qu’on interroge le management public en Afrique
qui devra se matérialiser par une logique d’actions consistant en une dynamique visant la transfor-
mation de la sphère publique chargée de mettre en œuvre les politiques publiques. C’est dans un tel
contexte, qu’en réponse à la longue liste de difficultés de gestion et de fonctionnement des services
publics africains, que bon nombre d’initiatives entreprises pour redorer le blason de l’administration
publique ont vu le jour au cours de ces dernières années. Ainsi la nouvelle orientation du management
public africain doit transformer en actes concrets la reconsidération de l’« usager » en « client » à
travers une gestion responsable de la chose publique à l’heure de l’intelligence artificielle, soit direc-
tement ou soit, par la dévolution de fonctions administratives à des agences non gouvernementales
ou semi-publiques.

204 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS


Le temps des remises en question
Oumar TRAORÉ, Managing Partner, Optimum International, Côte d’Ivoire
La question des innovations managériales dans les organisations publiques se présente comme une
sorte d’énigme à résoudre lorsque le management public et le management privé se confondent à
une science de l’administration. Avec la confusion qui s’établit entre secteur public et privé en raison
très souvent de l’importation des règles du privé, le management dans les organisations publiques
perd souvent de sa spécificité. Les nouvelles politiques de gouvernance dans les organisations
publiques laissent apparaître des pratiques managériales reflétant des changements majeurs. Pour
l’heure, nous n’avons aucune réponse sur les options à utiliser dans ce débat croissant sur l’inno-
vation managériale dans les organisations publiques. La seule certitude que nous relevons dans ce
débat, c’est qu’il est temps de procéder aux remises en question. Cependant, il va falloir s’appesantir
sur l’orientation managériale à privilégier. Transformer les organisations publiques avec des outils de
pilotage stratégique inspirés du balanced scorecard pour une innovation managériale plus adaptée à
la logique de performance demeure une alternative. Quant à l’idée des marqueurs dans l’innovation
managériale des organisations publiques, elle repose essentiellement sur les modalités de pilotage
de l’action publique.
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Vous avez dit Innovation managériale et Fonction publique ? © EMS Editions | Téléchargé le 25/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.255.154.42)
Stéphanie TRILLE, Directrice-adjointe des Ressources humaines, département des Yvelines
Lorsqu’il m’a été demandé quels sont les marqueurs de l’innovation managériale dans les organisa-
tions publiques, un seul mot m’est venu à l’esprit, l’AUDACE. L’audace de mener une politique RH
inspirante insufflant à chaque manager l’idée d’innover ; l’audace de former le corps managérial dans
son ensemble à des pratiques nouvelles (design thinking, hackathon, ateliers de codéveloppement,
shadow comex…) ; l’audace de s’entourer de profils divers tant en termes de parcours de carrière
(privées, publiques, parapubliques), que d’origine sociale et territoriale ; l’audace de s’inspirer de ce
qui se fait ailleurs – dans le privé, à l’étranger, dans l’ensemble de la fonction publique – voire d’avoir
des expériences dans d’autres secteurs ; l’audace enfin de déconstruire l’image peu attractive de la
fonction publique et cela via deux canaux : 1. une organisation moins pyramidale, moins millefeuillée
et moins bureaucratique ; 2. une communication employeur dédiée faisant de chaque collaborateur
un ambassadeur. La fonction publique est amenée à devenir un laboratoire de l’innovation managé-
riale au service de ses usagers ; il revient à chaque manager de se saisir de cette opportunité et de
réfléchir comment à son niveau et avec son équipe, il peut faire autrement et mieux.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 / 205


REGARDS CROISÉS

Innovation managériale dans la fonction publique : il faut (ré)


concilier qualité du travail et qualité du service public
Christian VAUDAUX, Plein Sens
Chaque jour qui passe, chacun d’entre nous bénéficie directement ou indirectement des services
délivrés par les organisations publiques, au nom de l’intérêt général et selon des principes communs
d’égalité, de continuité, de mutuabilité et d’accessibilité, et encore de transparence, de neutralité et
de fiabilité. Ces mêmes services dont on entend, chaque jour aussi, se voir reprocher la dégradation,
le coût, les modes de fonctionnement, ou encore, le manque d’efficacité et d’accessibilité. Et ce
malgré les réformes successives, passées, en cours ou envisagées, que connaît la fonction publique,
souvent dans une logique de rationalisation, de réduction des coûts et de recherche de performance.
Peut alors se poser la question légitime de la place laissée à la prise en compte du travail réel de
ses agents qui pourtant œuvrent chaque jour au nom du service public. Et in fine, celle de leur orga-
nisation du travail, moteur de la qualité de son déploiement. Dans ce cadre, parler d’innovations
managériales : – C’est se poser la question des marges de manœuvre qu’on laisse aux managers de
la fonction publique pour parler de leur travail avec leurs équipes. – C’est réconcilier la question du tra-
vail des agents avec celle des exigences attendues de la collectivité, dans le respect de notre modèle
social à la française. – C’est doter les managers des outils qui permettent de penser les trajectoires
de chaque agent dans un secteur en permanente mutation pour répondre aux besoins de la société
d’aujourd’hui et de demain. – C’est mettre en œuvre les conditions d’un dialogue social qui dépasse
les seuls intérêts catégoriels. Conclusion : intéressons-nous à la combinaison travail / service public
pour engager une vraie transformation de notre administration !
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L’animation du sens, moteur potentiel des organisations publiques © EMS Editions | Téléchargé le 25/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.255.154.42)
Gilles VERRIER, Directeur général, Identité RH
Mission, raison d’être, projet partagé, engagement sociétal, valeurs… Nombreuses sont les entre-
prises privées qui œuvrent à construire les sources de l’engagement affectif de leurs collaborateurs.
Parfois avec difficulté, tant la nature de l’activité de certaines d’entre elles s’y prête. Le besoin des
individus de trouver du sens dans leur activité professionnelle n’a jamais été aussi fort que dans la
période que nous traversons. Différentes études montraient son importance croissante il y a deux
ans. La crise sanitaire l’a encore renforcé. Du fait de leur finalité, de leur utilité et de la nature même
de leur activité, les organisations publiques sont nativement porteuses de sens. Mais ce n’est pas
suffisant pour générer l’engagement recherché. Manque un acte managérial : ces éléments de sens
doivent être animés et se traduire effectivement dans le quotidien de ceux qui composent ces orga-
nisations. Certaines collectivités locales l’ont compris, qui animent leurs agents sur l’impact de leur
activité sur le quotidien des citoyens. Portée par l’encadrement de proximité, cette approche a pour
conséquence de redynamiser les équipes et de renforcer leur efficacité, mais aussi de leur permettre
de contourner en situation les contraintes organisationnelles.

206 / Question(s) de Management ? / N°39 / Juin 2022 © Éditions EMS

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