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De la conduite du changement instrumentalisée au

changement agile
David Autissier, Jean-Michel Moutot
Dans Question(s) de management 2015/2 (n° 10),
10) pages 37 à 44
Éditions EMS Editions
ISSN 2262-7030
DOI 10.3917/qdm.152.0037
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De la conduite du changement instrumentalisée
au changement agile
Instrumental change to agile change

David AUTISSIER, Kevin JOHNSON et Jean-Michel MOUTOT

Résumé n n Summary

En 40 ans, la conduite du changement est devenue une In 30 years, change management has become a common
pratique gestionnaire courante dans la plupart des organi- practice in most organizations due to the increasing role
sations du fait du rôle croissant des changements et des of changes and the employees’ expectations in terms of
attentes du corps social en termes d’accompagnement. Un support. A historical analysis on the subject shows five
travail d’analyse historique sur les pratiques de conduite du distinct paradigms shifts. The most recent one, called “Ex-
changement montre cinq paradigmes installés. Le dernier periential Paradigm”, shows the limits of the classic and
paradigme intitulé « Paradigme Expérientiel » montre les instrumental approaches of organizational change as based
limites du modèle classique de la conduite du changement on Kanter (1992). Considered too much bureaucratic while
instrumentalisé développé à partir des travaux de Kanter not collaborative enough, this model is now much neglect-
(1992). Jugé trop bureaucratique et pas assez collaboratif, ed in favor of an agile change management approach. In
ce modèle évolue vers le changement agile. En privilégiant favoring iterative experiential loops based on participatory
les boucles d’expériences à partir d’ateliers participatifs et workshops and a leadership anchored in change capacity
un pilotage de la transformation dans une logique de déve- development, agile change now appears as a solution to
loppement de la capacité à changer, le changement agile the most recent issues in change management.
apparaît comme une solution aux questions actuelles de la
conduite du changement. n Keywords: agile, change, experiential, agile change.

n Mots-clefs : agile, conduite du changement, expérien-


tiel, changement agile.
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DE LA CONDUITE DU CHANGEMENT INSTRUMENTALISÉE AU CHANGEMENT AGILE

1. Les grands paradigmes du changement l’action ordinaire. Pour Alter (2010), certaines
innovations ont pour origine une idée proposée
Le changement est peut être un des phéno-
par un travailleur manuel, au contact des diffi-
mènes les plus étudié mais aussi le plus diffi-
cultés quotidiennes de la production. Pour de-
cile à étudier comme l’ont souligné Van de Ven
venir innovation, les inventions de départ sont
et Poole (1995) dans leur première typologie
alors mises en pratique, expérimentées par les
des recherches sur le changement. Durant une
individus. Pour Cyert et March (1970), les pro-
longue période, la littérature sur le changement
cessus routiniers des organisations sont quand
prônait une approche dramatique du change-
à eux susceptibles de produire des change-
ment. Ainsi, des courants aussi diverses que
ments continus. Dans cette lignée, Orlikowski
l’écologie des populations (Hannan et Freeman,
(1996), montre comment, au cours de la mise
1989), l’approche configurationnelle (Miller et
en place d’un nouvel outil, les acteurs modi-
Friesen, 1982), l’approche stratégique (Stopford
fient, altèrent, adaptent leurs pratiques quo-
et Baden Fuller, 1990) et la théorie de l’équilibre tidiennes. Chaque modification de pratiques
ponctué (Tushman et Romanelli, 1985) s’inter- crée les conditions de changement à venir, qui
rogent d’une part sur la nécessité de changer1 en retour entraînent de nouvelles modifications
et ensuite sur la nature du changement2. Pour des pratiques. C’est dans cette lignée de tra-
ces auteurs la transformation radicale et rapide vaux que s’inscrit l’idée de capacité à changer.
devient une condition de survie de toute orga- Le changement n’est plus abordé comme un
nisation. Le changement, aussi radical soit-il, évènement à part de la vie de l’organisation,
vise le plus souvent à repositionner l’organi- mais comme un processus continu sans début
sation dans un environnement ayant lui-même ni fin. Comme Alter (2010), nous pensons qu’il
changé. Pour ces différents courants, le chan- n’est plus possible de parler du changement en
gement ne peut donc être conduit que par le di- évoquant le passage d’un état A à un état B.
rigeant de l’entreprise, à la suite d’un diagnos- La situation ordinaire de l’organisation devient
tic environnemental et organisationnel poussé. celle du mouvement et le changement est alors
Cette littérature sur le changement est remise permanent. Cette évolution peut être repré-
en cause par un courant alternatif qui introduit sentée par une évolution historique des para-
la notion d’émergence, dans un monde où il est digmes comme le montre la figure N° 1.
difficilement envisageable de prévoir et d’anti- Le paradigme sociologique : La conduite du
ciper l’avenir. Ainsi, Mintzberg (1982), remet en changement trouve son point 0 avec les travaux
cause cette idée de planification en montrant de Lewin (1951) dans les années 1950. Pour
que la stratégie ne se réalise que très rare- ce dernier, les bénéficiaires du changement
ment comme prévu notamment parce que des développent des résistances au changement
phénomènes émergents viennent perturber la levées en grande partie par l’évolution des
mise en œuvre des plans initiaux. Burgelman groupes. Un individu accepte le changement
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(1991) montre que les phénomènes émergents par un dialogue au sein de ses groupes d’ap-
peuvent trouver leur origine au sein même de partenance dans une logique d’évolution des
l’entreprise, et conduire à une réévaluation des normes.
orientations stratégiques des dirigeants. Quinn Le paradigme instrumental : Dans les années
(1980), s’inscrivant en faux des modèles de 1980/1990, les travaux de Kanter (1992) ont
l’équilibre dynamique et configurationnel, met avancé le modèle de la roue du changement
en évidence les bénéfices d’un changement en définissant des leviers d’accompagnement
progressif qui se construit pas à pas dans l’en- du changement tels que la communication ou
treprise. Ces auteurs redonnent du poids aux la formation. La roue du changement a inspiré
acteurs organisationnels, doués de capacité la plupart des méthodes de conduite du chan-
créatrice. Sur ce point ils rejoignent d’autres gement déployées par les grands cabinets de
courants de la sociologie ou de la théorie des conseil pour le déploiement des projets infor-
organisations, s’intéressant à l’innovation et à matiques du type ERP (Enterprise Resources
Planning).
1 Cette interrogation est surtout du courant de l’éco-
logie des populations.
Le paradigme managérial : Les travaux de
2 On retrouve ici les autres courants : approche
Pettigrew (1990) et les écrits de Kotter (1996)
configurationnelle, approche stratégique et équilibre ponc- ont montré les limites de la démarche instru-
tué. mentale de la roue du changement. Pour ces

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David AUTISSIER, Kevin JOHNSON et Jean-Michel MOUTOT

derniers, le changement ne se fait pas unique- Une des voies proposées réside dans la mise
ment en mode projet mais dans une alternance en place de dispositifs expérientiels pour faire
de changements continus et de rupture permis vivre aux intéressés une expérience de chan-
par le travail de traduction et de leadership des gement. Après avoir vécu une expérience de
managers. changement, les intéressés le comprendront et
Le paradigme stratégico-organisationnel : sauront mieux le traduire. C’est en 1969 que
La conduite du changement n’est plus unique- Rogers parle d’experiential learning. Il oppose
ment pensée comme un outil mais comme à l’apprentissage par l’esprit, un apprentissage
une compétence et un métier. Les travaux de par la pratique. Selon Rogers (1969 P5), « c’est
Pettigrew (1990), Rondeau (2008), Bareil (2004) un apprentissage en profondeur qui modifie
ou encore la réflexion sur les différentes straté- et affecte les comportements et les attitudes.
gies de Autissier et al (2012) avancent des va- Cet apprentissage est évalué par l’apprenant
riables de contextualisation des changements lui-même car il et le seul à savoir s’il répond
et des dispositifs qui les accompagnent. La à ses besoins ». En s’appuyant sur les travaux
conduite du changement est de plus en plus de Lewin (1951) sur le processus de rétroac-
internalisée dans les entreprises et fait l’objet tion, Kolb (1984) définit l’expérience comme un
d’un pilotage différencié. tête à tête entre réflexion et expérimentation.
Le paradigme expérientiel : Les articles L’expérience permet aux individus un proces-
d’Armenakis (1999) et de Autissier et Giraud sus d’observation qui provoque une réflexion
(2013), dans une visée de recensement des qui conduit à la conceptualisation. Dans ce
travaux sur le thème du changement, montrent modèle, l’expérience concrète est le moyen
une évolution pour les approches RH du chan- de valider, d’éprouver et de revoir les concepts
gement. Le changement est traité non plus abstraits.
comme un obstacle à franchir mais par le
développement de la capacité à changer des 2. Les méthodes agiles en informatique
acteurs par des dispositifs expérientiels. Cela Depuis quelques années et notamment avec les
constitue une rupture paradigmatique car on applications web on voit émerger une nouvelle
n’accompagne plus un changement mais on méthode de gestion de projet en informatique
développe la capacité à changer des personnes que l’on appelle agile. Développées à partir de
et des groupes considérant ainsi le change- la fin des années 1970 pour la conception des
ment comme une donnée à intégrer et à gérer. logiciels, ces méthodes promeuvent l’améliora-

Figure N° 1 : Les 5 paradigmes de la conduite du changement (Autissier, 2013, p102).


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Salariés 2013 Paradigme Expérientiel - Construire des expériences © EMS Editions | Téléchargé le 27/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.172.214.153)
de changement pour développer la capacité à changer

Dirigeants
et spécialistes
internes 2005 Paradigme Stratégico-organisationnel -
Internalisation, pilotage de la transformation

Managers

Consultants 1995 Paradigme managérial - Les relais managériaux


externes et les mécanismes du changement

Sociologues 1985 Paradigme Instrumental - Leviers


du changement

1950
Paradigme sociologique - Résistances
au changement et Focus groupes

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DE LA CONDUITE DU CHANGEMENT INSTRUMENTALISÉE AU CHANGEMENT AGILE

tion continue et la rapidité d’exécution. Les plus Les projets alternent les phases de « build »
connues sont Scrum, XP ou encore RAD.3Les et « run » pour proposer des solutions tech-
principes des approches agiles sont le scrum nologiques rapides avec des temps d’analyse,
(fonctionnement mêlé) pour signifier qu’il faut de conception, de test et de généralisation qui
créer des équipes mêlant développeurs et utili- sont de plus en plus « encapsulés ». Les bé-
sateurs selon différentes itérations en fonction néficiaires des changements n’attendent plus
des objectifs, le Build & Run4 qui associe les une rhétorique du changement, c’est-à-dire un
moments de programmation aux temps de dé- discours du type « voilà ce qui va se passer ».
ploiement ou encore la décomposition en com- A l’inverse, ils souhaitent être acteurs et vivre
posants élémentaires pouvant être conçus et une expérience du changement pour mieux le
testés unitairement. comprendre et l’intégrer de manière durable.
Les méthodes agiles cherchent à éviter les ef- Ces évolutions militent pour une réflexion
fets silo et tunnel des méthodes classiques de sur les méthodes classiques de conduite du
développement. Les méthodes classiques dif- changement et la mise en place de démarches
férencient et isolent trois silos : la conception alliant flexibilité et expérimentation pour ac-
(Think), la programmation (Build) et le déploie- croitre la capacité à changer des individus et
ment (Run). Cela a pour conséquence d’avoir des organisations. L’évolution des technolo-
un fonctionnement en silos avec peu de liens gies digitales et notamment les réseaux so-
entre les parties prenantes alors que la qualité ciaux d’entreprise constituent un média favori-
d’un projet de développement tient justement sant ces démarches.
dans la capacité de ces mêmes parties à échan- Les projets, qu’ils soient informatiques ou orga-
ger et à s’ajuster. Les méthodes agiles pro- nisationnels, se font de plus en plus selon des
posent une organisation et une gouvernance séquencements courts au cours desquels on
des projets en équipe mêlée (Scrum) avec des analyse le besoin, on conçoit, on prototype et
utilisateurs, des personnes de la maitrise d’ou- on teste en même temps. On appelle cela le
vrage, des personnes de la maîtrise d’œuvre et « scrum », (un fonctionnement mêlé) au cours
le tout piloté par un chef de produit (Product duquel les bénéficiaires, les gestionnaires de
Owner) qui s’assure de la réalisation des déve- projet et les concepteurs travaillent ensemble.
loppements informatiques. Les scrums sont Pour se mettre en dynamique de changement,
quotidiens avec une première équipe pour trai- le seul discours sur l’obligation ou l’intérêt de
ter les points de développements et avec des changer ne suffit pas. Il est important de vivre
périodicités de 3 à 4 semaines pour s’assurer une expérience de changement. La commu-
de la livraison des composants. nication descendante et unilatérale a laissé la
La conduite du changement et le mode agile en place aux échanges horizontaux. Les réseaux
informatique sociaux constituent un média de cette expres-
sion à la fois libre et en rebond. Les personnes
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Les démarches instrumentales de la conduite
du changement (cadrage, communication, for- progressent en compréhension et en action par
mation, accompagnement, pilotage) initiées à l’échange de pratiques avec d’autres.
l’origine pour les projets informatiques, notam- Le changement agile c’est mettre les bénéfi-
ment les ERP, sont de plus en plus perçues ciaires du changement en situation d’expé-
comme une surcouche séquentielle inadaptée. rience et de communication de cette expé-
Elles apparaissent décalées à la fois au regard rience via des réseaux sociaux ou autres diposi-
du besoin expérientiel des personnes et de la tifs dans des laps de temps courts.
nécessaire agilité attendue désormais dans
l’avancement des projets. 3. Vers un modèle de changement agile
En réponse aux exigences d’agilité, de collabora-
3 Rapid Application Development, James Martin,
Macmillan, 1991 tif, d’expérientiel dans un contexte digital, nous
Extreme Programming Explained: Embrace Change, Kent proposons un nouveau modèle de gestion du
Beck, (Addison-Wesley, October 5, 1999 changement appelé « Changement Agile » pour
Agile Software Development With Scrum, Ken Schwaber,
Mike Beedle, (Prentice Hall, October 21, 2001)
signifier la conduite du changement en mode
agile. Ce modèle, sans s’opposer au modèle
4 En relation avec la formule D’Amazon : you build it,
you run it (tu le développes, tu le déploies) pour signifier que dit instrumental, constitue une alternative à ce
celui qui programme est aussi responsable de l’utilisation. dernier en fonction des types de projet.

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David AUTISSIER, Kevin JOHNSON et Jean-Michel MOUTOT

3.1. Les limites du modèle instrumental La communication définit un positionnement


pour le projet avec les arguments clés et un
Calquée sur les méthodes de gestion de projet,
slogan déclinés dans différents supports qui
la méthode instrumentale classique de conduite
seront adressés aux bénéficiaires tout au long
du changement propose trois phases chronolo-
giques même si le pilotage se fait tout au long du projet.
du projet. Ces trois phases sont le diagnostic, les La formation prévoit tous les modules de
leviers d’actions et le pilotage comme l’illustre formation à dérouler auprès des bénéficiaires
la figure suivante. Les productions et outils de ainsi que toute la logistique (invitation, réser-
cette démarche ont été formalisés de manière vation de salles, supports, gestion documen-
exhaustive dans divers ouvrages (Autissier, taire, etc.).
Moutot, 2013a, 2013b, 2015) L’accompagnement est un ensemble d’ac-
Le cadrage permet de définir le niveau de chan- tions qui seront réalisées auprès des bénéfi-
gement du projet, les populations concernées ciaires pour réaliser le changement de manière
avec leur aptitude au changement, les risques opérationnelle dans leur environnement de tra-
et une ébauche de stratégie de changement. vail. Pour cela il est parfois conseillé de consti-
Ce travail que l’on nomme parfois de qualifi- tuer un réseau du changement, des personnes
cation permet d’évaluer le changement et son clés qui seront les relais du changement auprès
contexte. des bénéficiaires.
Le diagnostic psycho-social qualifie le niveau Les mesures des risques et du changement en
de résistance, les acteurs clés et le système cours de réalisation se font au moyen d’indica-
de valeurs ou plus généralement la culture des teurs métier, projet et de changement réunis
parties prenantes pour apprécier les principaux dans des tableaux de bord pour les instances
freins et leviers. de pilotage.
Les études d’impacts formalisent les principaux L’ancrage pose la question du post déploie-
impacts du projet entre une situation connue (le ment. Il est conseillé d’envisager un plan de pé-
point A) et la destination du changement (le point rennisation du changement avec les mesures
B). Cela prend la forme de radars pour voir quels d’adoption et les processus de correction. Dans
sont les thèmes de changement. Les études une logique qualitative et d’amélioration conti-
d’impacts se matérialisent aussi par des docu- nue, un plan de capitalisation permet de forma-
ments qui décrivent des processus « avant » et liser ce qui a été fait et des voies de progrès
« après » de manière graphique et/ou littéraire. pour la suite.

Figure N° 2 : La conduite du changement instrumental.


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DE LA CONDUITE DU CHANGEMENT INSTRUMENTALISÉE AU CHANGEMENT AGILE

Ce modèle instrumental a trois principales li- tion du changement (Autissier et al 2014) et les
mites : thèmes émergents en gestion du changement
- La première tient dans sa structuration linéaire au niveau international (Autissier, Giraud, 2013),
qui crée des effets tunnels entre la mobilisation nous ont amené à proposer un modèle agile en
des bénéficiaires et le moment où le change- gestion du changement. Ce modèle reprend cer-
ment sera réel pour eux. taines productions du modèle instrumental avec
- La deuxième pourrait se résumer par la for- le souci de développer l’appropriation du chan-
mule suivante « la dictature du Powerpoint ». gement par l’expérimentation.
Beaucoup de productions décrivent l’existant Le modèle est en trois phases avec des modali-
de manière analytique sans toujours donner tés mais aussi des unités d’analyse différentes.
des clés d’action qui mettront les bénéficiaires Les phases « Définir » et « Expérimenter »
dans une dynamique de transformation. Du concernent un projet ou une grappe de pro-
temps et de l’argent sont consacrés à des jets dans le cadre d’un programme. La phase
productions dont les retombées opérantes « Ancrer » ne se situe pas au niveau d’un pro-
sont faibles. Il n’est pas rare de voir des bud- jet mais de l’organisation dans son ensemble.
gets consacrés à la conduite du changement Il s’agit de s’intéresser, dans cette troisième et
consommés à hauteur des deux tiers pour la dernière phase, à la manière dont les différents
phase de diagnostic. projets de changement s’insèrent dans une
- La troisième limite est dans la faible participa- dynamique de transformation collective tant au
tion des bénéficiaires. La conduite du change- niveau du projet global de l’entreprise que de la
ment proposée est un ensemble d’actions leur capacité à changer des individus et de l’entre-
mentionnant de réaliser un changement pour prise.
lequel ils ne sont pas ou peu associés dans une La phase « Définir » est réalisée en amont du
logique de co-construction. projet ou tout au début. Il s’agit de créer une in-
telligibilité du changement pour l’ensemble des
3.2. Un nouveau modèle : le changement parties prenantes afin que ces dernières prennent
agile conscience du rôle qu’elles auront à jouer. Cette
Les récents travaux en gestion du change- phase diagnostique l’existant et transforme ce
ment sur l’évolution des paradigmes (Autissier, diagnostic en feuille de route opérationnelle.
Moutot 2013a, 2013b) mais aussi sur la satura- Le diagnostic du changement consiste à identi-

Figure N° 3 : Modèle Changement Agile (Autissier, Moutot, 2015).


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fier les changements, les acteurs concernés, la de celui-ci. Si le périmètre est le projet, ce sont
culture et les irritants. L’histoire du changement les personnes en charge de la conduite du chan-
définit les éléments de langages explicatifs et gement du projet qui les réalisent. Si le péri-
créateurs de sens. mètre est tous les projets de l’entreprise, cela
La phase « Expérimenter » est au cœur du nécessite la prise en charge de ces productions
modèle. Elle est composée de deux cycles qui par une entité dédiée telle qu’une cellule interne
se combinent : un cycle d’ateliers et un cycle de de pilotage de la transformation.
pilotage. Le cycle d’ateliers consiste à proposer Nous parlons le changement agile et non de
aux bénéficiaires du changement et/ou à leurs conduite du changement agile. En langue fran-
managers des ateliers participatifs, des expé- çaise la notion de « change management » a
riences et des moments pédagogiques. Le cycle été traduite par « conduite du changement »
de pilotage réalise, à des périodicités différentes, et « accompagnement du changement ». La
des mesures du changement en cours de réa- notion de « conduite » évoque la possibilité de
lisation par des enquêtes (Baromètre ICAP qui réaliser un changement de manière autonome
évalue un taux d’information, de compréhension, quasiment sans les métiers pour lesquels le
d’adhésion et de participation) auprès des princi- changement est initié. Même si le terme est
paux intéressés et des forums sur les réseaux couramment utilisé pour décrire les actions
sociaux d’entreprise. Le cycle de pilotage donne de gestion du changement, il présuppose un
des indications quant à la réalisation du change- processus auto-réalisant en termes de chan-
ment par des mesures de terrain qui amènent gement. A l’inverse, la notion d’accompagne-
les responsables du changement et les mana- ment décrit une action de gestion des parties
gers à proposer différents ateliers pour s’assurer prenantes quasiment de manière post-change-
d’une dynamique du changement. Les outils de ment. Il s’agit d’accompagner des métiers qui
pilotage peuvent, par l’outil informatique, être ne se soucient pas ou peu de la manière dont
réalisés sur une population importante sans le changement est vécu par les parties pre-
contrainte de temps et d’espace. Les résultats nantes. Afin d’éviter ce positionnement pous-
obtenus sont ainsi stockés et permettent de voir sé/tiré (push/pull) et au regard des situations de
les progressions et ainsi d’apprécier l’apport des changement, il nous paraît important de parler
actions d’accompagnement du changement. En de changement agile pour signifier toutes les
associant le cycle de pilotage avec celui des ate- actions de gestion des parties prenantes afin
liers participatifs, le changement agile propose
que ces dernières réalisent le changement de
un accompagnement « micro ». Chaque service
manière rapide et durable en co-construisant.
ou entité analysée a la possibilité de choisir des
ateliers et/ou dispositifs d’accompagnement dif-
férenciés en fonction des mesures obtenues. CONCLUSION :
La phase « Ancrer » est mise à jour régulière- Se mettre en mode delivery pour être agile
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ment par les différents projets de transforma-
tion dans l’entreprise. Les productions de cette Le changement agile est une réponse métho-
phase ne traitent pas d’un projet en particulier dologique aux enjeux de transformation dans
mais de l’ensemble des projets au service de la les entreprises mais c’est aussi une invitation
transformation globale de l’entreprise. La pre- à revoir les modalités gestionnaires des organi-
mière production consiste à avoir une vision sations pour ne pas qu’elles sombrent dans ce
globale sur 5 ans glissants des projets réalisés, que François Dupuy nomme « La faillite mana-
en cours de réalisation et à venir. Cette carte de gériale », titre de son dernier ouvrage publié en
transformation vise à s’assurer que les différents 2015 aux éditions du Seuil.
projets s’inscrivent dans la stratégie. C’est aussi L’agilité est au cœur des organisations qui
un moyen d’avoir à l’instant t la liste des projets doivent opérer de plus en plus de changements
en cours et leur situation d’avancement ainsi que rapidement. Au travers de l’agilité, nous traitons
leur ordre de priorité. L’autre production de cette de la capacité d’une organisation à réaliser ses
phase est une analyse de la capacité à changer transformations et réformes. Or que constatons-
de l’organisation permettant ainsi d’évaluer les nous ? Les organisations ont beaucoup de mal à
progrès en la matière. Ces deux productions se réformer et à opérer leurs transformations ?
sont envisagées en inter-projets mais peuvent Dans leur ouvrage « Agir en mode délivery », de
être réalisées pour un projet dans le périmètre nature macro, Autissier, Li et Moutot (2015 aux

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DE LA CONDUITE DU CHANGEMENT INSTRUMENTALISÉE AU CHANGEMENT AGILE

éditions Eyrolles) mettent en avant la capacité Hannan, M.T., et J. Freeman, (1989), Organiza-
à agir avec le concept de delivery. Selon ces tional Ecology, Harvard University Press, Cambridge,
auteurs, « Delivery, c’est la capacité à privilégier London.
l’action pour obtenir les meilleurs résultats. Kanter R .M., Stein B.A., Jick T.D., (1992) The
C’est d’abord et avant tout agir, expérimenter challenge of organizational Change :How companies
et d’apprendre de l’expérimentation, que ce soit experience it and guide it, Free Press New York.
à l’échelle de l’individu, de l’entreprise ou de la Kolb DA., (1984), Experiential learning, Expe-
société tout entière. » rience as the source of learning and development,
Englewood Cliffs (NJ) : Prentice Hall
Kotter J., (1996), Leading Change, Harvard Busi-
BIBLIOGRAPHIE ness School Press.
Lewin K., (1951), Field theory in social science,
Alter N., (2010), L’innovation ordianaire, PUF New York, Harper & Row.
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nizational change: A review of theory and research in Change and Performance : Quantum versus Piece-
meal - Incremental Approaches », Academy of Man-
the 1990s. Journal of Management, 25(3), 293–315.
agement Journal, Vol. 25, N° 4 ; 867-892.
Autissier D., Moutot JM., (2015), Le changement
Mintzberg H, (1982), Structure et dynamique des
agile, Éditions Dunod, Paris.
organisations, Paris, Editions d’Organisation
Autissier D., Li P., Moutot JM., (2015), Agir en
Orlikowski, W.J., (1996), « Improvising Organiza-
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44 / Question(s) de Management ? / N°10 / Septembre 2015 © Éditions EMS

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