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La gouvernance des
fédérations sportives
Proposition d’un cadre d’analyse et d’action
L
es fédérations sportives nationales nance des fédérations sportives. Dans un
sont devenues des acteurs essentiels deuxième temps nous appliquons ce cadre à
de la vie politique, sociale et écono- l’étude de fédérations appartenant à deux
mique dans les pays développés. Organisa- terrains d’étude, la Belgique et la France.
trices de grands événements sportifs en Les caractéristiques et la nature hybride de
relation avec de grandes entreprises des ces organisations sont mises en évidence
secteurs économique et médiatique, ges- dans une troisième partie. Les conclusions
tionnaires principales des pratiques spor- de ce travail d’analyse rendent possible la
tives compétitives et souvent de loisirs, par- définition d’un cadre d’action et la formula-
tenaires des États dans la mobilisation à des tion de préconisations pour une meilleure
fins éducatives et socialisantes des pra- gouvernance fédérale.
tiques physiques et sportives, les fédéra-
tions sont très présentes. Pourtant le dyna- I – LA GOUVERNANCE DES
misme de ces organisations ne peut ORGANISATIONS SPORTIVES,
masquer leur fragilité telle qu’elle peut par- APPROCHE THÉORIQUE
fois apparaître dans les médias sous forme
de conflits internes entre dirigeants, de dif- « Peu de termes ont donné lieu (…) à une
ficultés voire de dérapages aux plans finan- production intellectuelle et institutionnelle
ciers ou éthiques, ou de tensions et même aussi importante. » constatait récemment
de ruptures avec certains de leurs parte- Pascal Lamy (2005, p. 153) soulignant à
naires publics ou privés. Or ces organisa- quel point la notion de gouvernance, telle-
tions, disposant d’un rôle majeur dans ment mobilisée, reste une notion méconnue
l’évolution du système des sports, sont qu’il convient donc sans cesse de resituer.
encore peu étudiées, générant ainsi mécon- Apparu dans les sciences économiques
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dent à assumer alors que ces dernières Quatre composantes (ou variables) sont au
devraient, légitimement, être assurées par centre de l’étude des configurations des
leurs collaborateurs salariés. organisations (Mintzberg, 1989 ; Nizet et
– Une gouvernance par « distribution de Pichault, 2000) et de leur changement, à
pouvoir différenciée » qui apparaît lorsque savoir la structure (1), les facteurs de
des salariés en charge du management se contingence ou de contexte (2), les buts (3)
situent fonctionnellement à l’interface des et les systèmes de distribution du pouvoir
fonctions stratégiques des élus et des fonc- entre acteurs (4). Une relation dynamique,
tions opérationnelles des autres salariés. intégrant les facteurs d’influence mention-
Ces modes de gouvernance qui leur sont nés ci-dessus et les maîtrisant par le biais
propres tendent à exercer une influence sur d’outils d’information appropriés, les lie
la structure même des fédérations sportives dans ce qu’il convient d’appeler la gouver-
qui ne doivent donc pas manquer d’être, nance institutionnelle : la structure, les buts
elles aussi, originales, ce qu’il convient et les systèmes de distribution du pouvoir
d’analyser. entre acteurs sont les outils de la gouver-
nance qui permettront de maîtriser, au
3. Un cadre d’analyse : comprendre mieux, les facteurs contingents au bénéfice
l’organisation fédérale selon le modèle de l’objet de l’organisation.
des configurations organisationnelles Allant à l’essentiel, la limitation de notre
De nombreux auteurs ont traité cette ques- étude configurationnelle à la structure cen-
tion des modes d’organisation. Les trale de la fédération, rassemblée au siège
approches retenant la notion de modèle social, peut se concevoir dans une
d’organisation proposées par Mintzberg approche divisionnalisée de l’enveloppe
(1989) pour les entreprises, et modulées par globale du système d’action qu’est la fédé-
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1. Mintzberg définit les buts comme étant « les intentions derrière des décisions ou des actions ». (…) Il nous
semble crucial de prendre en compte, dans l’analyse des buts, à la fois ceux énoncés par les dirigeants de l’organi-
sation – les buts que Perrow appelle « officiels » – et ceux qui sont à l’œuvre dans les décisions – les buts « opé-
rants. » (Nizet et Pichault, 2000).
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MÉTHODOLOGIE
plus en plus pressante pour que l’État inter- En 1956 fut créé l’Institut national de
vienne financièrement dans la gestion des l’éducation physique et des sports
fédérations sportives. Un arrêté du Régent (INEPS), chargé de subsidier les organi-
(05 mars 1948) fixa “les critères généraux sations sportives, de gérer les installa-
de subventions de l’État accordées aux tions, de former des moniteurs et de pro-
groupements d’éducation physique et de mouvoir la pratique du sport. « Ses
sport”. Cet arrêté précisait que, “pour un partisans se réjouissaient que les pou-
meilleur rendement”, les subsides publics voirs publics s’investissent davantage
étaient “réservés aux groupements organisés dans ce domaine, tandis que ses détrac-
sur le plan national” » (Thibaut, 2000). teurs craignaient de voir mise à mal l’in-
La gouvernance des fédérations sportives 23
2. Dès 1962, l’INEPS avait été divisée en une administration flamande (BLOSO) et une administration francophone
(ADEPS).
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d’organisation des pratiques et des compéti- Les particularités de chacun des deux pays
tions sportives. tiennent, en ce qui concerne la Belgique, à
Aujourd’hui, le système des sports super- la plus forte contribution des communautés
pose donc deux espaces différents aux et régions que compense, particularité fran-
logiques et aux dynamiques parfois conver- çaise, le poids d’un ministère national des
gentes mais souvent contraires voire anta- sports. Nous pourrions donc qualifier,
gonistes : un espace social, plutôt orienté comme nous y incite Jean Camy, les deux
vers les services au public et garant de l’in- systèmes sportifs nationaux belges et fran-
térêt général, sans but lucratif ; un espace çais, de systèmes jumeaux.
dominé par l’économique, plutôt orienté Mais comparaison n’est pas raison, ces
vers la recherche de bénéfices monétaires et conclusions doivent nécessairement être
soumis à une logique de marché. Et il se nuancées. Le point essentiel, dans l’objet
trouve que les fédérations sportives fran- qui est le nôtre, est la proximité des deux
çaises doivent aujourd’hui évoluer dans ces pays dans la relation qu’entretiennent les
espaces superposés au risque parfois d’y fédérations avec la puissance publique et les
perdre leur efficacité, leur identité voire partenaires économiques. Ceci nous auto-
leur légitimité. Ainsi les principaux acteurs, rise, débordant un cadre strictement natio-
publics et privés, du sport français, réunis nal, à donner un poids plus grand aux
au cours « d’États généraux du sport » en conclusions qui pourront être tirées de
décembre 2002, se sont accordés à estimer l’analyse d’un modèle sportif fédéral quasi
que « si le modèle n’est pas dépassé son commun à deux pays européens.
fonctionnement doit être remis en cause ».
insiste sur ce point, c’est de comprendre la Selon les variables retenues, les caracté-
réalité qui, par nature et du fait des indé- ristiques de la Fédération française
passables limites de l’analyse, résiste à d’athlétisme relèvent de quatre types de
toute tentative définitive de formalisation. configuration dont deux paraissent domi-
Renonçant donc à toute classification, nous ner, la configuration missionnaire (trois
tenterons de proposer un outil de compré- occurrences) et la configuration profes-
hension de la réalité fédérale. Une question sionnelle (trois occurrences). L’hybrida-
reste en suspend : l’hétérogénéité de ce sec- tion se fait par superposition (Nizet et
teur a-t-elle des implications sur la gouver- Pichault, 2000) car c’est un ensemble,
nance de ces entités fédérales ? Le présent c’est-à-dire toute la fédération (et non
travail ne permet pas de répondre directe- différentes parties de la fédération), qui
ment à cette question même si, de manière présente les traits caractéristiques de plu-
incidente, mettant en évidence le caractère sieurs configurations.
hybride des fédérations, il en dévoile Le constat concernant cette fédération fran-
quelques éléments. çaise dotée d’une configuration hybride
Les fédérations sportives nationales, rappelle le constat établi quant aux fédéra-
comme toute organisation évoluant dans un tions sportives belges. Deux observations
contexte changeant et sous les logiques principales doivent être faites à ce stade.
d’action d’acteurs engagés dans des jeux D’abord, il n’existerait donc pas de « confi-
de pouvoir, s’apparentent à des configura- guration pure » dans le monde fédéral cen-
tions hybrides dont il convient, pour mieux tral qui comporterait principalement des
les comprendre et anticiper leur évolution, organisations à configuration hybride. Cette
de mettre en évidence les dominantes. hypothèse conclusive mériterait d’être vali-
Nizet et Pichault (2000) ont proposé une dée par une analyse plus large des fédéra-
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Caractéristiques
Configurations
de la Fédération
Sources type dominantes
Variables française
(selon variables)
d’athlétisme
Sommet stratégique
Statuts fédéraux
et opérateurs Configuration
2) Pouvoir Localisation modifiés le
qualifiés (directeur adhocratique
3 décembre 2004
technique national)
Configuration
Configuration(s) hybride
type missionnaire (x3)
dominante(s) et professionnelle
(x3)
prise de décision. Moins « bureaucra- tie, introduit des motifs d’opposition voire
tiques », ces fédérations se sont ouvertes à de conflits entre élus et salariés, les uns et
de nouveaux acteurs qui ont indiscutable- les autres devant nécessairement participer
ment renforcé le professionnalisme de ces conjointement à leur gouvernance. Le pou-
organisations mais qui ont, en contrepar- voir se partage difficilement.
La gouvernance des fédérations sportives 29
3. « La filière économique doit être comprise dans son sens large : ce peut être la richesse économique créée, dans
un secteur sportif particulier (le football), par les fabricants de matériel, par les structures professionnelles ou les
éducateurs professionnels diffusant la discipline, les événements sportifs organisés. Les acteurs à l’origine de la
création de richesse économique peuvent être à la fois des acteurs publics (État, collectivités locales), commerciaux
(TV, fabricants d’articles de sport et d’équipement sportif, entreprise de service de loisirs sportifs) et associatifs (le
système fédéral : fédé, clubs, etc.) », Bayle (1999, p. 600).
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