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Gestion des achats

Aller au-delà des tendances et paradigmes


Jean Nollet, André Tchokogué
Dans Revue française de gestion 2010/6 (n° 205) , pages 173 à 186
Éditions Lavoisier
ISSN 0338-4551
ISBN 9782746231634
© Lavoisier | Téléchargé le 13/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.11.129)

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DOSSIER
JEAN NOLLET
ANDRÉ TCHOKOGUÉ
HEC Montréal, Québec, Canada

Gestion des achats


Aller au-delà des tendances et paradigmes

En s’appuyant sur l’exemple de deux tendances majeures en


gestion des achats, la centralisation de la gestion des achats
et l’impartition, les auteurs mettent en évidence le fait que
lorsque les dirigeants d’entreprise suivent les pratiques « à la
mode », cela engendre davantage d’instabilité interne et
mène aussi à des choix qui ne sont pas nécessairement
appropriés pour l’organisation. Afin d’éviter pareille situation,
les dirigeants devraient davantage: 1) veiller à ce que leurs
décisions et actions soient fondées sur une combinaison
éclairée de principes-clés en gestion des achats ; et 2) être en
mesure de déterminer jusqu’à quel degré mettre de l’avant
chaque principe, puisqu’en allant trop loin, cela engendre des
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pressions plus fortes pouvant mener à un retour du pendule…
et possiblement avec plus de vigueur.

DOI:10.3166/RFG.205.173-186 © 2010 Lavoisier, Paris


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S
i on se fie à de nombreux articles tant sions prises antérieurement peut même être
professionnels qu’académiques, il assez fréquent dans le domaine de la ges-
semble que de nouvelles tendances tion des achats (Arminas, 2002 ; Nourtier,
se dessinent fréquemment et que les chan- 2004). Après tout, peut-être ne s’agit-il sou-
gements observés ou prévus ont lieu dans vent que du retour normal du balancier.
un « monde en ébullition » laissant peu de D’un côté, il est clair que de tels change-
choix à un décideur de suivre ces tendances ments influencent grandement la perfor-
s’il veut que son entreprise survive. L’attrait mance de la fonction achats, et donc la com-
pour une tendance – et parfois il est dit qu’il pétitivité de l’entreprise. De l’autre, il n’y a
s’agit même d’un changement de para- pas de doute que ces changements reflètent
digme – provient soit de la nouveauté appa- les réponses que les décideurs apportent à la
rente ou réelle qu’elle représente, soit des question suivante : était-il vraiment justifié
avantages que lui reconnaissent des spécia- d’aller de l’avant avec la décision prise ini-
listes et/ou des consultants, ou encore, tout tialement, ou encore d’avoir poussé le pro-
simplement, de la propension qu’ont cer- cessus aussi loin ? L’un des défis est donc de
tains dirigeants d’entreprises à imiter leurs ne pas se laisser influencer par les tendances
concurrents. Toutefois, face aux tendances et de bien comprendre le passé, afin de
qui se succèdent et/ou s’entrecroisent, il mieux cibler l’étendue et la portée des chan-
n’est pas toujours aisé d’identifier les prin- gements appropriés. En ce sens, il apparaît
cipes et les pratiques les plus prometteurs qu’une meilleure prise en compte des prin-
pour une organisation. Ainsi, peut-il être cipes-clés en gestion des achats et du mou-
souvent tentant pour certains dirigeants de vement de balancier sur le continuum de
suivre une tendance, surtout lorsqu’elle est chacun de ces principes-clés aiderait les
mise en évidence dans différentes revues et dirigeants d’entreprises à prendre des déci-
même… par leurs concurrents ! sions plus éclairées.
La littérature en gestion des achats fournit L’objectif de l’article n’est pas d’analyser
de nombreux exemples de tendances ayant les tendances présentes et futures, mais plu-
influencé les comportements et les pra- tôt de discuter du phénomène même de
tiques, entre autres : la centralisation de la « tendances », afin d’y apporter un éclai-
gestion des achats, l’impartition, la réduc- rage qui pourrait permettre de l’aborder
tion du nombre de fournisseurs et l’orienta- avec un certain recul. Par conséquent, nous
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tion vers des sources d’approvisionnement allons tout d’abord positionner brièvement
internationales. Il a également été démontré le phénomène de « tendances » en gestion
que dans plusieurs entreprises, il y avait, au des achats, en nous appuyant sur une recen-
fil du temps, un mouvement d’oscillation de sion des écrits du domaine. Par la suite,
la structure de la fonction achats entre cen- nous proposons une analyse de l’évolution
tralisation et décentralisation (Cummings, de deux tendances retenues à titre d’illus-
1995 ; Tchokogué et Nollet, 1998), et qu’un tration : la centralisation des achats et l’im-
phénomène similaire caractérise l’imparti- partition. Enfin, nous discutons de l’impor-
tion et la désimpartition (Nollet et Ponce, tance de mieux tenir compte des
2004). En fait, le renversement – ou à tout principes-clés du domaine des achats et du
le moins, la remise en question – de déci- mouvement de pendule.
Gestion des achats 175

I – LE PHÉNOMÈNE mesures de la performance et même la ges-


DE « TENDANCES » tion du talent dans la fonction achats (attirer
EN GESTION DES ACHATS et pouvoir retenir le personnel approprié).
Une analyse approfondie des écrits des trois L’autre étude, publiée par Trent (2007) à par-
dernières décennies traitant du volet straté- tir de l’analyse de données collectées auprès
gique de la fonction achats permet de d’entreprises américaines entre 1990
constater que cette fonction est essentielle et 2005, identifie une douzaine de tendances
au processus de création de la valeur (Trent, ou changements majeurs qui ont caractérisé
2007 ; Monczka et al., 2008). Il en ressort la gestion des achats durant cette période.
également que la gestion des achats évolue Parmi celles-ci, on retrouve un nombre
et qu’elle se caractérise par plusieurs ten- réduit de fournisseurs de premier niveau, les
dances (Carter et Narasimhan, 1996 ; contrats à long terme, l’impartition de la
McIvor et al., 1997 ; Monczka et al., 2008), fabrication de composantes à plus grande
qui changent évidemment au fil du temps. valeur ajoutée et l’implication des fournis-
De prime abord, on constate que depuis les seurs dans la conception des produits.
années 1970, ces dernières se traduisent La tentation peut être très forte chez les
entre autres par un regain d’intérêt pour cer- décideurs de suivre des tendances nouvelle-
tains concepts anciens au contenu renou- ment identifiées, plutôt que de bien faire
velé (le coût total d’acquisition en est un avec les concepts déjà connus, ou encore de
exemple), par l’émergence de nouveaux mieux évaluer l’impact d’une tendance
modèles ou de nouvelles approches de ges- avant de la suivre. En fait, peut-être
tion des achats (telle la gestion partagée des devrions-nous plutôt parler de « tentant-
achats), ou encore par l’extension de cer- ces » ? Un tel comportement peut être pré-
taines pratiques de management au judiciable pour l’organisation et laisse
domaine de la gestion des achats (tels la croire que certains dirigeants (incluant ceux
qualité totale et le juste-à-temps). responsables des achats) ne tiennent pas
Les tendances en gestion des achats peuvent suffisamment compte de la véritable nature
être identifiées notamment en suivant de du phénomène de « tendance ». Du reste,
près l’évolution dans les pratiques, surtout Trent (2007, p. 23) n’écrit-il pas : « A qua-
celles associées aux composantes de la stra- lity that separates effective from less effec-
tégie des achats, comme par exemple le tive supply leaders is their ability to unders-
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nombre de fournisseurs et le type de rela- tand the trends and changes that have
tions (Carter et Narasimhan, 1996 ; Trent, occurred and are occurring ».
2007). Deux des études majeures réalisées Voici d’ailleurs, sous forme plus visuelle,
sur les tendances en gestion des achats en une représentation du phénomène de « ten-
apportent la preuve. D’abord, Monczka et dance » : plusieurs petites vagues (ten-
al. (2008) identifient huit principaux dances), pouvant être suivies d’une vague
domaines de la gestion des achats dont le beaucoup plus grosse (changement de para-
développement est marqué par des ten- digme), qui laisse sa marque davantage que
dances et des changements majeurs. Au les précédentes. En fait, les tendances
nombre de ces domaines, on retrouve émergent, devenant même importantes dans
notamment la gestion des fournisseurs, les certains cas, avant d’être submergées par
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d’autres tendances. Ce n’est donc pas parce de mieux saisir la dynamique sous-jacente
qu’il y a une tendance identifiée par des aux tendances en gestion des achats. Par
consultants, ou quiconque, que les gestion- exemple, selon Sheshi et Sherma (1997),
naires des achats devraient la suivre immé- les changements majeurs observés au
diatement. En fait, il est possible que la niveau de la gestion des relations avec les
stratégie d’une organisation ne s’en porte fournisseurs depuis les années 1970 tou-
que mieux de ne pas la suivre du tout, entre chent deux principales dimensions : la
autres parce que la tendance n’est pas cohé- nature des relations avec les fournisseurs et
rente avec les objectifs poursuivis. la diversification des sources d’approvision-
Pour poursuivre l’image, nous pourrions dire nement. Ces auteurs affirment qu’il s’agit
que même si l’eau d’une vague prend un cer- là d’un changement de « paradigme », puis-
tain temps avant de se rendre à son point qu’il y a une rupture dans les pratiques de
ultime sur la plage, la majeure partie de cette gestion dans ce domaine, celles-ci se carac-
eau a déjà commencé à se retirer lorsque la térisant par des achats à l’international
vague atteint ce point. Il en est de même basés sur des relations de partenariat, plutôt
d’une tendance : quand elle semble atteindre que sur des achats locaux s’appuyant sur
son apogée, elle est déjà une « ancienne ten- une logique transactionnelle.
dance », car la tendance contraire (« nouvelle Mais ce qui peut sembler être un change-
tendance ») a déjà commencé à se manifes- ment de paradigme peut être vu autrement :
ter. Et ce n’est qu’une question de temps avant d’établir des collaborations interna-
avant que cette nouvelle tendance ne soit tionales, les dirigeants d’entreprise peuvent
qualifiée d’ancienne tendance à son tour. En d’abord soit réaliser des achats internatio-
fait, cette illustration montre qu’il est néces- naux sans partenariat, soit procéder à la
saire que les dirigeants tiennent compte mise en œuvre de partenariats locaux, avant
davantage des principes-clés des achats et du de réaliser des collaborations internatio-
caractère prévisible du mouvement pendu- nales. Il s’agit alors de deux trajectoires
laire (ce qui est « nouveau » deviendra progressives de transformation de la gestion
« ancien » et vice versa), afin de prendre des des fournisseurs (Nollet et Beaulieu, 2006).
décisions plus éclairées qui tiennent compte De plus, deux tendances simultanées n’im-
du contexte de leur organisation. Les deux pliquent pas qu’il y ait pour autant un chan-
exemples de la prochaine section confortent gement de paradigme.
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nos positions. À l’aide de chacun des deux thèmes que
Les études qui rapportent l’évolution de nous avons retenus pour illustrer davan-
tendances sont généralement basées sur des tage le phénomène de « tendance » en ges-
statistiques collectées à partir des pratiques tion des achats, on peut par ailleurs consta-
des entreprises (Kakabadse et Kakabadse, ter qu’avec du recul, il est possible de
2002 ; Lacity et al., 2008). Cependant, prévoir certaines tendances bien avant
d’autres auteurs proposent plutôt une ana- qu’elles ne soient identifiées comme telles
lyse des trajectoires du comportement des dans les écrits. Ces deux thèmes que nous
dirigeants d’entreprise (Sheshi et Sherma, analysons successivement ci-après sont : la
1997 ; Nollet et Beaulieu, 2006). À notre centralisation de la structure de la fonction
avis, il s’agit là d’une approche permettant achats et l’impartition.
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II – ÉVOLUTION DE DEUX grée de la chaîne d’approvisionnement


« TENDANCES » semble avoir provoqué des changements
Bien qu’il s’agisse d’une composante majeurs à la structure de la fonction achats,
majeure de la stratégie des achats, la déci- afin d’en faire une source d’avantage
sion relative à la centralisation (ou décentra- concurrentiel pour l’organisation (Johnson
lisation) de la gestion des achats n’a pas été et Leenders, 2004).
aussi souvent identifiée comme une tendance Dans les faits, la tendance tantôt à centrali-
qu’elle aurait dû l’être. À l’inverse, l’impar- ser, tantôt à décentraliser que l’on observe
tition l’a été beaucoup plus fréquemment. selon les années, traduit la propension
qu’ont les décideurs à modifier la structure
1. Illustration 1 : de gestion des achats. Cependant, l’évolu-
la centralisation-décentralisation tion de cette dernière est parfois déterminée
de la structure de la fonction achats par celle de la structure de l’entreprise
La dynamique structurelle de la fonction (Johnson et Leenders, 2004 ; Wood, 2005).
achats en fait un thème important, abordé Par exemple, à partir de l’analyse de
par plusieurs auteurs, dont Leenders et quinze cas de transformations de la structure
Johnson (2000). Le choix du niveau de cen- de la fonction achats, Johnson et Leenders
tralisation de la fonction achats n’est pas (2004) constatent que celles-ci sont toutes
figé, puisque la dynamique de l’environne- reliées directement aux transformations de
ment et les préférences des dirigeants font la structure de l’entreprise. Il pourrait donc
évoluer la perception du positionnement le être inapproprié de vouloir suivre une ten-
plus adéquat sur le continuum centralisa- dance en gestion des achats, alors qu’elle va
tion-décentralisation (Tchokogué et Nollet, à l’encontre de la direction prise par l’orga-
1998 ; Johnson et Leenders, 2006). On dis- nisation… ou de celle qui pourrait venir.
tingue ainsi habituellement une tendance Par ailleurs, il existe un effet de balancier
soit vers la centralisation, soit vers la décen- au niveau de la structure de la fonction
tralisation. Par exemple, Kathawala et achats (Tchokogué et Nollet, 1998). Il
Lingaraj (1990) notent que la décentralisa- semble que lorsque les responsables des
tion était l’orientation retenue par la plupart achats s’aperçoivent qu’ils sont allés trop
des entreprises qui avaient procédé à la loin dans la centralisation (ou la décentrali-
restructuration de leurs opérations dans les sation) ou qu’ils évaluent que le positionne-
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années 1970. Le phénomène de décentrali- ment n’est plus « idéal » sur le continuum
sation était alors présenté comme un centralisation-décentralisation, ils sont por-
« megatrend » (Naisbitt, 1982), et le mot tés à renverser certaines décisions prises
« décentralisation » était même considéré antérieurement, parfois même sur la base
comme un « buzzword » (Toffler, 1981). des mêmes motifs, par exemple la
Le mouvement inverse s’est produit au recherche d’économies.
cours des années 1980 (Kathawala et Bien que l’effet de balancier puisse sembler
Lingaraj, 1990 ; Cummings, 1995), tant au a priori spécifique à chaque entreprise,
niveau de la structure de l’entreprise que de dans les faits, ce n’est pas le cas ; sinon, on
celle de la fonction achats. Ainsi, l’intérêt ne pourrait pas parler de « tendance ». En
de plus en plus marqué pour la gestion inté- somme, quand un nombre suffisant d’orga-
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nisations vont dans la même direction – ou tion de la pression concurrentielle, stimu-


devraient y aller, selon certains consultants lée par la mondialisation, a conduit les
ou auteurs – cela apparaît comme une ten- entreprises à se recentrer davantage sur les
dance. Les entreprises allant déjà dans cette activités de leur chaîne de valeur corres-
direction semblent suivre la tendance, alors pondant à leur cœur de métier. En consé-
que celles qui sont avancées sur le conti- quence, de nombreuses activités sont
nuum semblent l’avoir précédée, au point sujettes à impartition, soit parce qu’elles
d’être parfois reconnues comme des lea- sont considérées comme non stratégiques,
ders. Celles n’ayant pas encore initié des soit parce que l’entreprise estime ne plus
actions devant mener à l’adoption d’une avoir de compétences distinctives néces-
tendance importante sont parfois qualifiées saires pour leur réalisation (Kakabadse et
de retardataires, comme si ces pratiques Kakabadse, 2000 ; Barthélémy, 2004 ;
s’imposaient à toutes les entreprises. Il est Atkinson, 2006 ; Lacity et al., 2008 ;
d’ailleurs possible que certains dirigeants Hätönen et Eriksson, 2009).
aient pris la bonne décision, ayant évalué D’ailleurs, les spécialistes en gestion des
qu’il était préférable que leur organisation achats ont souvent abordé l’impartition
ne bouge pas. En fait, vu que le mouvement sous l’angle de l’implication de la fonction
inverse se produira tôt ou tard, leur organi- achats dans le processus d’impartition des
sation pourrait même être parmi celles activités, ou encore sous celui de la gestion
ayant un meilleur positionnement straté- de nouvelles relations avec les entreprises
gique à ce moment-là. Ainsi, une tendance auprès desquelles les activités étaient
laisse place à ce qui semble être une forme imparties (Barthélémy, 2004). Certains
de stabilité (parfois même appelée auteurs font même remarquer que l’imparti-
« meilleure pratique »), avant que le retour tion contribue à l’affirmation du rôle straté-
du balancier n’ait lieu. C’est une question gique de la fonction achats dans la
de temps et d’équilibre. Il en est de même recherche de la compétitivité des entre-
pour l’impartition. prises, puisque le périmètre des achats
s’étend avec le développement des relations
2. Illustration 2 : découlant des activités imparties (Barreyre,
l’impartition et la désimpartition 1997 ; Gottfredson et al., 2005). L’imparti-
Définie comme la décision consistant à tion est d’ailleurs considérée comme l’une
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confier à une autre entreprise la réalisation des composantes du phénomène de réorga-
d’une activité ou d’une fonction réalisée nisation de l’entreprise et de la fonction
antérieurement à l’interne, l’impartition achats, et ce, tant au niveau de la configura-
constitue une tendance lourde depuis les tion de sa structure organisationnelle que de
années 1980 (Desreumaux, 1996 ; Doig et ses relations avec les fournisseurs (Parry et
al., 2002 ; Hätönen et Eriksson, 2009), au al., 2006 ; Hätönen et Eriksson, 2009).
point où certains auteurs ont même consi- Jusqu’au début des années 1980, les activi-
déré qu’il y avait là un changement de tés imparties concernaient surtout la presta-
paradigme (Monczka et Morgan, 2000 ; tion de services considérés comme ne fai-
Kakabadse et Kakabadse, 2000). Depuis au sant pas partie des « compétences
moins une vingtaine d’années, l’augmenta- distinctives », ainsi que l’acquisition de
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composants simples, achetés en grand à impartir davantage une ou plusieurs acti-


nombre grâce à un processus favorisant la vités et à développer une équipe d’experts –
concurrence entre les fournisseurs. Par la incluant le personnel du service des
suite, la nature des activités imparties s’est achats –, apte à gérer ces changements.
beaucoup diversifiée : la tendance est Cependant, avec le temps, les dirigeants
aujourd’hui à l’impartition de la fabrication peuvent s’apercevoir qu’il serait justifié de
de composants de plus en plus complexes renverser certaines de leurs décisions d’im-
auprès des fournisseurs stables, et ce, assez partition (voir l’encadré ci-après). Bien sûr,
souvent, dans le cadre de relations de parte- on peut toujours prétendre que c’est le
nariat (Barthélémy, 2004 ; Nollet et Ponce, contexte qui a changé (!).
2004). Pourtant, de nombreux cas d’insatis- – Le type même de processus décisionnel
faction suite à l’impartition des activités qui régit parfois les décisions d’impartition.
sont rapportés. Une étude souligne par Certains dirigeants peuvent céder la réalisa-
exemple que le nombre de cas d’impartition tion d’activités sans avoir déterminé si
qui se sont terminés prématurément a dou- celles-ci correspondent (ou pourraient cor-
blé, tandis que le nombre d’entreprises respondre) à une compétence distinctive ou
satisfaites des résultats obtenus après l’im- présentent des risques élevés. D’ailleurs, il
partition est passé de 79 % à 62 % (Li et arrive que des décisions d’impartition
Choi, 2009). Cette insatisfaction amène soient prises uniquement sur la base d’élé-
souvent les dirigeants à réévaluer la déci- ments quantifiables (souvent financiers)
sion d’impartition. Deux options s’offrent dont dispose le décideur, ou encore sur le
alors : changer de fournisseur ou ramener à fait que les concurrents l’aient fait (Doig
l’interne des activités imparties. Dans le et al., 2002 ; Nollet et Ponce, 2004).
second cas, il s’agit du renversement d’une – La tendance à calquer les décisions d’im-
décision d’impartition, d’où le terme de partition sur ce que font d’autres organisa-
« désimpartition ». tions « renommées ». Par exemple, depuis
Le fait qu’un nombre croissant de décisions les années 1990, des entreprises comme
soit pris en ce sens ne représente-t-il pas Microsystems et Dell sont apparues comme
simplement un retour normal du balancier à des modèles d’excellence, entre autres sur
la suite de l’engouement trop grand pour la base de leurs pratiques d’impartition lar-
l’impartition durant les années 1990 ? Plu- gement diffusées, ce qui a inspiré de nom-
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sieurs éléments militent en faveur d’une breux cas d’impartition – parfois
réponse positive à cette question. Avec du injustifiés –, même dans d’autres industries
recul, on peut affirmer que la désimparti- (Leavy, 2001).
tion est un phénomène qui était prévisible, Évidemment, des éléments déclencheurs,
entre autres compte tenu des trois facteurs comme l’accroissement des coûts que l’on
suivants : enregistre en Chine ces dernières années (à
– La propension à pousser trop loin une cause de l’effet combiné de l’augmentation
décision d’impartition spécifique ou même des salaires et d’une forte appréciation du
le processus global d’impartition. En effet, yuan), ont entraîné le rapatriement de cer-
l’apprentissage découlant des premières taines des opérations qui y étaient impar-
expériences d’impartition peut encourager ties. De tels renversements comportent
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UN EXEMPLE DE CAS D’IMPARTITION-DÉSIMPATITION

Accenture est l’une des entreprises les plus en vue à l’échelle internationale dans le domaine
de la consultation. Employant plus de 75 000 personnes à travers le monde, ses achats
annuels se chiffrent en centaines de millions de dollars. Accenture a décidé à la fin de l’an-
née 2003 de désimpartir sa fonction achats, laquelle avait été impartie trois ans auparavant.
En effet, c’est au début de l’année 2001 que Accenture avait imparti auprès de ICG Com-
merce la gestion de ses achats de fournitures de bureau, de voyages et des achats indirects
pour l’ensemble de ses entités dans sept pays : États-Unis, Royaume-Uni, Canada, France,
Allemagne, Espagne et Irlande. À cet effet, Accenture et ICG Commerce avaient conclu une
entente de cinq ans et le contrat qu’elles avaient signé comportait une clause de résiliation
dont l’une ou l’autre des parties pouvait se prévaloir au terme de trois ans. À la faveur de ce
contrat, les soixante personnes qui constituaient le service des achats d’Accenture avaient été
transférées dès le début de l’année 2001 chez ICG Commerce.
Quand elle avait décidé d’impartir sa fonction achats, Accenture ne considérait pas les achats
comme une compétence distinctive. Mais, deux ans après avoir conclu l’entente avec ICG
Commerce, elle avait réalisé que l’impartition des processus d’affaires était devenue l’une des
principales activités des entreprises de son secteur d’activité, et qu’elle-même était impliquée
dans de nombreuses ententes par lesquelles plusieurs de ses clients lui avaient donné la charge
de la gestion de certaines de leurs processus d’affaires. Une bonne proportion de son chiffre
d’affaires provenait dorénavant des contrats de gestion des processus d’affaires de ses clients
et dans certaines régions du monde, cette part du chiffre d’affaires dépassait désormais celle
de la consultation. Par ailleurs, il devenait de plus en plus difficile pour les dirigeants d’Ac-
centure de convaincre certains de leurs clients de leur confier la gestion de leurs processus
d’affaires quand eux-mêmes ne semblaient pas être en mesure de bien gérer leur processus
d’achat, puisqu’ils l’avaient imparti. C’est dans ce contexte que les dirigeants d’Accenture
avaient décidé en 2003 de désimpartir leur fonction achats, la gestion du processus d’achats
étant devenue une de leurs compétences distinctives. La désimpartition de la fonction achats
apparaissait donc comme « une étape logique compte tenu de leur stratégie ».
Source : adapté de Supply Management (vol. 8, n° 9, 2003, p. 7).
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aussi des coûts, dont celui moins quanti- d’impartition aura aidé les dirigeants à
fiable d’avoir perdu de l’expertise durant ce mieux faire lors de la désimpartition, entre
temps. Mais, sur la base d’une étude de autres en évitant avant tout de simplement
MacKinnon (2002) auprès d’une vingtaine suivre une tendance. Donc, sur la base de
de gestionnaires des achats, il apparaît que ces deux exemples, on réalise qu’il faut à la
le processus décisionnel de désimpartition fois : 1) prendre la bonne décision, 2) pour
est davantage de nature stratégique qu’opé- les bonnes raisons et 3) au moment appro-
rationnelle, alors que c’est l’inverse pour prié. Lorsque les dirigeants négligent l’un
l’impartition. Sans doute que l’expérience de ces trois éléments – souvent parce qu’ils
Gestion des achats 181

suivent une tendance –, la décision peut nement), puisqu’en allant trop loin, cela
alors s’avérer coûteuse pour leur organisa- engendre des pressions plus fortes pouvant
tion, même si le pendule revient toujours… mener à un retour du pendule… possible-
ce qui ne signifie pas qu’il revienne à ment avec plus de vigueur. Nous discutons
temps. ci-après de chacune de ces deux idées maî-
tresses.
III – LES PRINCIPES-CLÉS ET 1. De la nécessité d’une bonne
LE MOUVEMENT PENDULAIRE combinaison des principes-clés
EN GESTION DES ACHATS en gestion des achats
Les deux exemples présentés précedem- Lorsque les gestionnaires des achats optent
ment supportent l’idée que la nature et/ou pour une approche consistant à suivre les
l’importance de l’effet du balancier dans tendances ou à imiter leurs concurrents, ils
l’un ou l’autre des volets de la gestion des privilégient plutôt une attitude réactive.
achats dépend principalement des facteurs Dans ce cas, il peut être tentant de supposer
contextuels, de la vision et des préférences que des entreprises qui mettent en œuvre
des décideurs, et des principes-clés en une pratique avec un certain succès ont déjà
achats qui sous-tendent leurs décisions et procédé à des analyses approfondies des
actions. Évidemment, les tendances corres- avantages et inconvénients associés à la
pondent soit aux pratiques les plus en vue pratique considérée. Même si tel était le
dans le monde des affaires en général, ou cas, on ne pourrait en déduire que cette der-
plus spécifiquement dans l’industrie à nière présente le même potentiel d’avan-
laquelle appartient l’entreprise, soit aux tages pour toutes les organisations, vu les
principes-clés mis en avant par les entre- différences au niveau de leurs caractéris-
prises les plus performantes, par les consul- tiques opérationnelles et stratégiques.
tants ou par les spécialistes en gestion des Que ce soit par rapport à l’impartition, à la
achats. Il va de soi que lorsque les diri- centralisation, ou à tout autre volet straté-
geants suivent ces tendances sans suffisam- gique en gestion des achats (par exemple :
ment de discernement, leurs décisions sont la diversification des sources d’approvision-
susceptibles d’engendrer davantage d’insta- nement, la rationalisation du nombre de
bilité dans l’organisation. De plus, les choix fournisseurs, etc.), les décisions prises
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effectués ne sont pas nécessairement appro- engagent l’entreprise à moyen et long
priés pour l’organisation. terme. En conséquence, elles devraient
Afin d’éviter pareille situation, il serait pré- découler d’un processus qui tienne compte
férable de considérer davantage deux idées de principes tels l’analyse des avantages et
fondamentales : 1) veiller à ce que les déci- des inconvénients, l’arbitrage entre le court
sions et actions soient fondées sur une com- et le long terme, le contrôle des risques, le
binaison éclairée de principes-clés en ges- coût total, les compétences distinctives, la
tion des achats ; et 2) savoir déterminer flexibilité et la qualité.
jusqu’où aller dans chaque pratique (par Certes, les gestionnaires des achats savent
exemple la centralisation, l’impartition, ou en général jongler avec ces principes-clés.
la diversification des sources d’approvision- Toutefois, certains peuvent être tentés d’ap-
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puyer leurs principales décisions surtout sur effet, au fil du temps, plus le nombre d’en-
l’un des principes-clés, notamment celui « à treprises faisant affaires avec les mêmes
la mode ». On le voit par exemple au niveau fournisseurs (et dans une certaine mesure
du choix du nombre de fournisseurs. Aupa- dans le même pays) augmente, moins cela
ravant, les entreprises se protégeaient représente un avantage concurrentiel, entre
contre les hausses de prix en ayant des rela- autres parce qu’à la longue, les coûts ne
tions avec plusieurs fournisseurs ; mais au constituent plus en pareil cas un élément de
fil du temps, l’importance accordée à la différenciation. Par ailleurs, dès les pre-
qualité, aux coûts et aux relations de parte- mières années où l’impartition est devenue
nariat a fait mettre l’accent sur les sources une « mode », des études avaient déjà mon-
uniques. Cependant, plus récemment, suite tré que plusieurs entreprises ayant imparti
à une préoccupation accrue envers l’assu- certaines de leurs activités uniquement parce
rance des livraisons à temps, plusieurs orga- qu’elles ne constituaient pas une de leurs
nisations ont entrepris des démarches en compétences distinctives s’étaient aperçues
vue de pouvoir disposer à l’avenir de plus que cela leur avait causé du tort (Ford et al.,
d’une source d’approvisionnement, notam- 1993 ; Kakabadse et Kakabadse, 2000).
ment pour les matières les plus importantes. Ce sont là autant d’exemples qui montrent
De plus, comment ne pas souligner le para- qu’il est véritablement nécessaire d’ap-
doxe suivant : d’un côté, il est recommandé puyer la prise de décisions sur des prin-
aux entreprises de ne pas avoir seulement un cipes-clés en achats, et ce, tout en tenant
nombre restreint de clients, car cela entraîne compte de l’évolution de plusieurs facteurs,
une trop forte dépendance envers ceux-ci ; de incluant le volet social. Par rapport à ce der-
l’autre côté, des efforts de rationalisation du nier point, il est d’ailleurs plus que probable
nombre de fournisseurs sont de nature à ren- que les entreprises qui continueront à faire
forcer la dépendance de l’entreprise vis-à-vis des affaires surtout à l’international simple-
ces derniers. Pourquoi ce qui est recom- ment parce que le prix de revient y est plus
mandé pour les ventes ne s’appliquerait-il faible, seront davantage pointées du doigt
pas aux achats ? Bien sûr, on pourrait pré- comme n’étant pas de « bons citoyens ». Il
tendre que le risque de dépendance n’est que semble en effet que l’aspect social est en
l’un des facteurs pris en compte; mais com- passe d’avoir une influence se rapprochant
ment justifier qu’il ne soit pas aussi impor- de celle qu’a l’aspect économique. Il est
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tant pour les achats que pour les ventes ? donc à parier que cela donnera entre autres
Cependant, il peut être tentant de suivre cer- lieux à de nombreuses décisions de désim-
taines tendances ou d’imiter les concurrents partition. D’ailleurs, cette tendance pointe
plutôt que d’analyser une décision en fonc- déjà à l’horizon. À la lumière de ces
tion de plusieurs principes-clés du domaine quelques exemples, on peut en déduire
des achats, et ce, simultanément. qu’une combinaison cohérente des prin-
D’ailleurs, n’est-il pas vrai que lorsqu’une cipes-clés en achats facilite une meilleure
décision d’impartition ou d’approvision- compréhension de l’évolution du contexte
nement international est prise surtout sur d’activités propre à une entreprise et facilite
la base du coût, souvent, ce choix n’a de le contrôle du mouvement pendulaire asso-
retombées positives qu’à court terme ? En cié à chacun de ces principes.
Gestion des achats 183

2. Les préférences des dirigeants Évidemment, l’immobilisme ne semble pas


d’entreprise et le mouvement pendulaire être l’attitude à suggérer. Pas plus qu’on ne
Le mouvement pendulaire résultant des saurait recommander une approche consis-
décisions successives des dirigeants d’en- tant à suivre la plupart des tendances.
D’ailleurs, cette dernière approche n’est pas
treprises n’est évidemment pas uniforme ou
sans rappeler une situation de « moutons de
simultané d’une entreprise à l’autre. En
Panurge », car il est tentant d’imiter les
effet, les dirigeants ne suivent pas immédia-
autres. Bien sûr, la plupart des dirigeants
tement chaque nouvelle tendance aussitôt
nieront qu’ils fonctionnent ainsi. Cepen-
qu’elle est identifiée, pas plus qu’ils n’ont
dant, comme ce fut le cas pour l’impartition
une vision identique de tout contexte ou
et le concept de compétence distinctive,
tendance.
plusieurs dirigeants se sont engagés dans
À tout le moins deux catégories de diri-
des pratiques à la « mode » dans leur sec-
geants se distinguent à ce niveau : d’une
teur d’activité, sans en mesurer suffisam-
part, ceux qui préfèrent le statu quo, sou-
ment les impacts sur leur organisation. Ceci
vent par conservatisme ; et ceux qui recher-
vaut tout autant pour les responsables des
chent constamment des gains d’efficacité et
achats que pour ceux d’autres domaines de
d’efficience. Alors que les premiers peu-
la gestion des entreprises qui, très souvent,
vent développer une attitude de trop grande
sont étroitement associés aux décisions tou-
prudence face aux tendances et même être chant notamment les thèmes comme l’im-
carrément réfractaires à celles-ci, les partition et les compétences distinctives.
seconds peuvent être trop prompts à suivre De ce point de vue, on peut d’ailleurs se
les tendances « à la mode ». Dans un cas demander si les dirigeants qui poussent assez
comme dans l’autre, ceci n’est pas sans loin certaines pratiques (par exemple l’im-
conséquence sur l’entreprise. En effet, partition), suivant en cela les tendances, sont
lorsque les dirigeants optent longtemps véritablement conscients que cela engendre
pour le statu quo, il peut s’avérer plus diffi- des pressions plus fortes pour qu’il y ait un
cile de faire des changements par la suite, retour du pendule. C’est pourtant un phéno-
notamment à cause des inerties organisa- mène qui a été observé spécifiquement en
tionnelles qui se développent au fil du gestion des achats (Tchokogué et Nollet,
temps. L’entreprise peut même à la longue 1998), mais aussi de manière générale, en
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être « en retard » par rapport à ses concur- gestion. On pourrait à titre d’exemple rappe-
rents. De l’autre côté, lorsque les dirigeants ler que, suite à la parution du livre de Peters
suivent souvent les tendances, cela peut les et Waterman (1983) intitulé Le prix de l’ex-
amener à être moins sélectifs et parfois, à cellence : les secrets des meilleures entre-
pousser trop loin certaines pratiques dans prises, de nombreux dirigeants d’entreprise
leur entreprise. Dans ce cas, il est même s’étaient empressés de mettre en œuvre les
fort probable que certains changements mêmes pratiques que celles des huit entre-
soient effectués trop souvent et peut-être prises considérées par ces auteurs, souvent
trop rapidement, ce qui est de mature à même sans avoir préalablement examiné la
accroître la turbulence à l’interne, alors nature et l’importance des changements que
qu’il y a beaucoup d’autres défis à relever. ceci impliquait dans leur contexte d’activi-
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tés. Dix ans après la publication de ce livre, mances de la fonction achats. Comme les
plusieurs des huit entreprises citées en futures tendances en gestion des achats
exemple éprouvaient déjà des difficultés, seront sans doute d’une ampleur au moins
probablement parce qu’elles étaient trop égale à celle du passé, les gestionnaires des
axées sur le modèle qui les avait fait réussir, achats devraient rechercher le moyen d’en
et donc elles étaient allées trop loin sur le avoir une compréhension plus éclairée et de
balancier et ce qu’impliquait un tel position- développer une approche davantage proac-
nement. En conséquence, les changements tive à propos de celles-ci. C’est ce que Trent
ultérieurs étaient rendus plus difficiles ou (2007, p. 23) souligne, lorsqu’il écrit :
requéraient plus de temps. « While it is one thing to say a trend is
Tout compte fait, il est possible de très bien occurring, it is something entirely different
faire les arbitrages face aux tendances, de to understand why it’s occurring, its effect
façon rationnelle… ou non ! Par exemple, on the supply organization, and how to take
lorsqu’un dirigeant attend passablement advantage of that trend. »
longtemps sans agir après qu’une tendance En raison de la nature même des tendances
ait été identifiée, cela pourrait a priori être (notamment en termes de la variabilité dans
qualifié d’immobilisme. Toutefois, puisque leur fréquence d’apparition et de leur cycle
la tendance inverse viendra un jour ou de vie), les dirigeants devraient mettre en
l’autre, ce qui semblait être de l’immobi- place une approche plus systématique face
lisme pourrait alors apparaître comme de au phénomène de « tendance ». Celle-ci
l’avant-gardisme. Mais peut-être s’agissait- s’appuierait sur une vision stratégique de
il réellement d’une décision bien réfléchie l’organisation, mais également sur la prise
de ne pas suivre la tendance ? Quoi qu’il en en compte des principes-clés en gestion des
soit, il est fort probable que les dirigeants achats. N’est-ce pas là une façon d’aborder
qui ont su tirer parti les premiers d’une ten- le phénomène de « tendances » plus rigou-
dance comme l’impartition pourraient éga- reusement, même si on a souvent l’impres-
lement être ceux là même qui sauront quand sion de ne pas avoir de choix autre que de
il sera temps de désimpartir. En fait, être suivre une tendance ? Le pendule nous
parmi les premiers peut être risqué, mais indique d’ailleurs qu’il y aura toujours un
c’est aussi souvent à ce moment que se pré- renversement pour chaque tendance. Deux
sentent les meilleures opportunités. Quant à des tendances lourdes en gestion des achats,
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ceux qui se contentent de suivre la tendance la centralisation des achats et l’impartition,
amorcée, ils pourront toujours se consoler en font foi. En conséquence, certaines
en se disant qu’ils auront fait comme beau- entreprises assureront leur pérennité, entre
coup d’autres. autres parce que leurs dirigeants auront eu
une vision stratégique pour suivre une ten-
dance… ou de pas la suivre. D’autres entre-
CONCLUSION
prises succomberont, peut-être parce que
Les « tendances » constituent une réalité du leurs dirigeants auront suivi sans suffisam-
contexte concurrentiel des entreprises. ment de discernement certaines tendances.
Celles en achats ont par le passé grande- Des organisations rayées de la carte en
ment influencé les pratiques et les perfor- témoignent d’ailleurs… à mots couverts.
Gestion des achats 185

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