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Jean-Christophe Duhamel, Bjorn Fasterling, Catherine Refait-Alexandre
Dans Revue française de gestion 2009/8 (n° 198-199), pages 59 à 75
Éditions Lavoisier
ISSN 0338-4551
ISBN 9782746226265
© Lavoisier | Téléchargé le 25/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.255.154.42)
La transparence:
outil de conciliation
de la finance
et du management
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* La présente étude intègre un projet de recherche financé par l’ANR (ANR-07-ENTR-012 : « Transparency and
Information Disclosure in Corporate Governance »), mettant en partenariat le LERADP (Lille 2), le centre de
recherche Legal Edhec (Edhec Business School) et l’EQUIPPE (Lille 1). Les auteurs remercient Céline Gainet,
Dhafer Saïdane et Étienne Farvaque. Ils restent seuls responsables des éventuelles erreurs.
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T
out un chacun plaide pour la trans- dont la dimension persuasive se prête mal à
parence. Cette invocation est parta- la transparence. La seule subjectivité du
gée par les politiques, les juristes, destinataire doit compter dans une
les économistes, les financiers, l’opinion démarche de transparence ; la transparence
publique. La transparence, souhaitée par lève le voile de la subjectivité de l’auteur de
tous, et à laquelle personne ne pourrait se l’information, et laisse percevoir la totalité
soustraire, est devenue synonyme de morale de l’objet de l’information qui sera appré-
des affaires, spécifiquement à l’adresse des ciée par son seul destinataire. La transpa-
dirigeants des grandes sociétés cotées. Elle rence n’est pas la translucidité : elle laisse
serait alors un outil de rédemption contem- passer la lumière, et laisse percevoir l’en-
porain de l’économie de marché. Si l’impé- tière réalité de l’objet.
rieuse transparence a si bien pris dans les Toute la lumière devrait se faire sur l’entre-
consciences collectives, au point de devenir prise, la rétention d’informations par le
un de ces « impératifs catégoriques » kan- manager étant source de risques de destruc-
tiens éligibles à l’universalité, c’est que les tion de valeur pour l’investisseur. Sous un
carences en la matière se sont faites parti- angle utilitariste, un double effet informatif
culièrement criantes à partir du vaste mou- et prophylactique s’attache à la transpa-
vement de dérégulation financière des rence. Elle doit permettre de réduire les
années 1980. Placé au cœur du processus asymétries informationnelles, d’améliorer
décisionnel dans l’entreprise, le manager le contrôle des managers par les investis-
est également placé au cœur de la transpa- seurs et de fonder leur confiance légitime.
rence d’une entreprise cotée aujourd’hui Les dirigeants sont quant à eux incités à
scrutée par une foule d’observateurs. adopter un comportement en conformité
Mais, qu’est-ce que la transparence ? Thé- avec les bonnes pratiques de gouvernance,
matique académique devenue classique, il cette capacité de la transparence à changer
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trine majoritaire attache des effets positifs à espoirs ont été fondés sur la transparence,
la transparence. Le droit des sociétés com- mécanisme complémentaire censé réduire
mande quant à lui au dirigeant de conduire les coûts d’agence au sein des sociétés où le
les affaires dans l’intérêt de la société. Le pouvoir est largement séparé de la propriété
développement des obligations d’informa- du capital. Cette solution présente un trait
tion à la charge de la société cotée et de ses caractéristique : elle évite l’ingérence
dirigeants fait se rencontrer ces deux directe dans la conduite des affaires. La
sphères méthodologiques, non sans heurt. transparence vis-à-vis du marché financier
Des tensions émergent qui font parfois sor- protège les investisseurs sans réduire la
tir le dirigeant de son rôle traditionnel de liberté d’action du manager, ce qui est
gestionnaire, pour le faire rentrer dans un perçu comme un compromis avantageux
rôle d’animation des marchés financiers par (Page et Ferguson, 1992). La transparence
la transparence. L’information est en effet apparaît donc comme un outil de concilia-
une sorte de matière première de ce marché, tion entre les propriétaires du capital, inves-
qui ne peut vivre sans elle. Certains para- tisseurs intervenants sur les marchés finan-
doxes se doivent d’être soulevés, qui amè- ciers, et le management.
nent à relativiser la transparence en tant De ce fait, elle a connu un regain d’intérêt
qu’outil de conciliation de la sphère mana- depuis une dizaine d’années. Plus exacte-
gériale et financière. Parfois même, il faut ment, la manière d’appréhender la transpa-
se demander si la transparence requise de la rence s’est modifiée, donnant lieu à de nou-
part des dirigeants ne porte pas en germe un velles méthodologies de recherche, et à de
autre enjeu, celui de faire basculer une éco- nouveaux résultats théoriques et empi-
nomie de la connaissance vers une écono- riques. La question principale qui se pose à
mie de confiance, fragile et éloignée de la la finance est celle de la création de valeur
gestion de l’entreprise. rendue possible par la transparence. La
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1. Voir par exemple, s’agissant d’une pratique d’anti-datation des options à une très large échelle aux États-Unis,
Lie (2005).
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3. Au États-Unis, l’équivalent de cette non-immixtion du droit dans la sphère managériale est acquise au travers du
concept de Business Judgment Rule (Bainbridge, 2004).
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longements dans l’information qu’il donne fique de modérer les comportements mana-
au marché, et que le secret des affaires est gériaux déviants et de détecter les fraudes.
un de ses attributs indispensables (Saint- C’est de la question de la nature du contrôle
Alary, 1974). La liberté doit prévaloir en ce des dirigeants qu’il convient alors de traiter.
domaine. Précisons qu’il ne s’agit pas d’in-
terdire au dirigeant de divulguer des infor- 2. Transparence et contrôle du dirigeant
mations (encore moins de sanctionner des La transparence est le corollaire de l’obli-
informations fallacieuses), mais de rendre gation qui pèse sur le dirigeant de rendre
plus adéquate notre régulation juridique compte de sa gestion de l’entreprise. La
avec la vie de l’entreprise, son rythme, ses juste proportion entre la reddition des
choix de croissance et son droit au secret, comptes et le pouvoir du dirigeant est une
bref, de faire prédominer le principe de des préoccupations centrales du droit des
liberté dans une économie de marché au sociétés. Puisque la détention d’informa-
détriment d’une transparence trop autori- tion est une condition nécessaire du pouvoir
taire. L’obligation de fournir en permanence managérial, la question de savoir envers qui
une information accrédite une logique et dans quelle mesure un dirigeant doit déli-
d’animation du système d’arbitrage de mar- vrer de l’information croise la question de
ché qui n’est pas celui de la gestion de l’en- savoir qui est dans la meilleure position
treprise. De même, s’agissant de l’informa- pour contrôler et responsabiliser le diri-
tion périodique, elle ne doit pas être geant. Au terme d’une approche institution-
déstabilisatrice pour l’entreprise, voire pour nelle de l’entreprise, le contrôle du manager
le marché lui-même. À ce titre, l’obligation est la prérogative du conseil d’administra-
de publier des informations trimestrielles tion ou de surveillance, et dans une moindre
fut polémique, pour cette raison essentielle mesure celle de l’assemblée générale. Cette
qu’une information comptable et financière vocation des structures d’administration et
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4. Une étude de l’Observatoire de la communication financière corrobore cette perception : au sein d’un panel fran-
çais, 64 % des sociétés cotées et 78 % des analystes financiers estiment que la publication de résultats trimestriels
par les émetteurs « favorise le court-termisme et la volatilité des titres », cf. Observatoire de la communication
financière (2006), Enjeux de la directive transparence en matière de publication et de traitement des informations
trimestrielles, www.euronext.com/fic/000/010/920/109201.pdf
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5. Sur le concept de proxy monitoring, permettant de substituer partiellement le secret à la transparence, cf. Epps
(2008, p. 1567 et suiv.).
6. De nombreuses recherches se sont focalisées sur le rôle de contrôle des analystes. Healey et Palepu (2001) ont
montré comment les analystes peuvent révéler des comportements opportunistes des dirigeants. De même, les ana-
lystes peuvent générer des pressions sur les dirigeants pour corroborer leurs prévisions (Fuller et Jensen, 2002).
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cieuses, relayées par les médias. Sur le fon- tions publiques crédibles, être en perma-
dement de l’obligation d’information per- nence vigilant, désigner dans l’entreprise
manente du marché, la cour d’appel de un chargé de contrôle des rumeurs, déve-
Paris a décidé qu’« il ne pèse sur les émet- lopper des plans de management de crise en
teurs aucune obligation de contrôler les cas de rumeurs.
informations que la presse choisit de Cette position du droit positif semble équi-
publier, en dehors de tout communiquer de librée. Il pourrait en effet sembler assez
l’émetteur » (Cour d’appel de Paris, 11 jan- inéquitable de demander à un tiers, c’est-à-
vier 2000, RTD com. 2000, p. 413, note dire l’émetteur cible et son dirigeant, de se
N. Rontchevsky ; dans le même sens, justifier d’un bruit de marché auquel il est
cf. AMF, commission de sanction, totalement étranger. De même, il pourrait
19 décembre 2006, RTDF 2007, n° 3, devenir rapidement totalement ingérable
p. 155-160). Cela signifie que si la rumeur d’être obligé de réagir systématiquement à
en cause est constitutive d’une « informa- des rumeurs sur des marchés dont la vie en
tion erronée ou déformée diffusée par la est intrinsèquement rythmée. Dans cette
presse », l’émetteur est dans l’obligation de mesure, il faut plaider pour que le droit se
la démentir dès lors qu’il en est à l’origine préserve d’imposer une obligation générale
(communiqué de presse initial, déclarations de répondre aux rumeurs de marché dont la
publiques des dirigeants, entrevues avec des société, et spécifiquement son dirigeant,
journalistes ou encore réponse à un action- n’est pas à l’origine. On regrettera dès lors
naire lors de l’assemblée générale, etc.). A que la ligne rouge soit parfois franchie.
contrario, si l’émetteur est étranger à la L’AMF a pu ainsi estimer, sous l’empire de
rumeur, la réponse devrait être facultative7. son ancienne réglementation, que « la cir-
Comme l’a développé Kapferer (1990), constance que c’est à la suite d’un [article
cette liberté de réaction, relevant d’une de presse] que la confidentialité d’une
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7. Mais si elle devait exister, elle devrait répondre aux canons de l’information à destination du marché : exactitude,
précision et sincérité.
8. Au « fait important », c’est substitué un fait susceptible d’avoir une influence sur le cours, cf. art. 621-1 RGAMF,
par renvoi de l’art. 223-2 RGAMF.
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pour mission, en France ou ailleurs, d’opé- alors : à quoi sert-elle ? Si l’on prend la
rer un contrôle de ce type d’information, le peine d’observer que la plupart des adresses
code de commerce leur imposant seulement législatives en matière de transparence
d’attester la présence de l’information en coïncident avec des périodes de scandales,
matière de gouvernance, aussi pauvre on est en mesure de penser que l’objectif de
puisse-t-elle être9. Il ne s’agit pas de consi- ce type d’information consiste davantage à
dérer que les sociétés manipulent sur une rétablir une confiance collective du marché
large échelle ce genre d’information, mais envers le marché lui-même, et non à fournir
de prendre acte de la difficulté d’en appré- de la connaissance exploitable pour des
cier l’effectivité. Ce type d’information sur arbitrages financiers singuliers.
la façon dont la société intègre des prin- Une situation proche existe en matière d’in-
cipes de bonne conduite incarne particuliè- formations relatives au contrôle interne. Le
rement ces « histoires racontées aux action- droit français commande aux auditeurs de
naires » (Albouy, 2005), propre à configurer « présent[er] leurs observations », sans
l’environnement subjectif de l’entreprise. qu’un processus de certification ne soit
L’essentiel est bien de raffermir une écono- requis10. L’expérience du Sarbanes-Oxley
mie de confiance, et non véritablement une Act force à se demander si une telle certifi-
économie de connaissance. Par économie cation serait même souhaitable vu l’aug-
de connaissance, nous entendons une éco- mentation des coûts induits de l’audit11.
nomie où les acteurs agissent en fonction de Sauf déficit flagrant, très rare en pratique,
la connaissance qu’ils ont les uns envers les ces « observations » aboutiront à un constat
autres. Or précisément, aucune étude en la plupart du temps pauvre en enseigne-
finance n’a pu, jusqu’à présent, démontrer ments. Dans l’objectif de réduction des
de manière ferme un lien entre les pratiques risques, la lumière doit être faite sur les pro-
de gouvernance et les résultats de l’entre- cédures internes de préservations des actifs
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9. Art. L. 225-235 c. com. Même constat pour l’Allemagne, cf. paragraphe 285, n° 16 et paragraphe 314 al. 1, n° 8
du code de commerce allemand (HGB). Au Royaume-Uni, la Listing Rule 9.8.10 (2) dispose par renvoi au Combi-
ned Code que les auditeurs doivent examiner (« review ») la déclaration de conformité, s’agissant uniquement de
l’élaboration des comptes, du contrôle interne et du comité d’audit.
10. Art. L. 225-235 c. com.
11. Le SOA s’était montré bien plus audacieux, en prévoyant un processus de certification des contrôles internes
(section 404) ; sur les coûts, cf. supra.
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