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la communication
Regards croisés sur la communication organisationnelle
Laurent Morillon, Sylvie Grosjean, François Lambotte
Dans Les Cahiers du numérique 2018/2 (Vol. 14), pages 155 à 178
Éditions Lavoisier
ISSN 1622-1494
ISBN 9782746248441
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LAURENT MORILLON
SYLVIE GROSJEAN
FRANÇOIS LAMBOTTE
1. Introduction
Après avoir présenté les SIC françaises et l’un de ses champs, nous relevons
une caractéristique constitutive susceptible d’induire une mise en tension
épistémologique paradoxale.
Parmi les sciences humaines et sociales (SHS), les SIC sont institutionnalisées
en France par un arrêté de 1975. L’interdiscipline apparaît « dans un contexte
marqué par l’émergence de la communication comme proposition techno-
socio-sémiotique accompagnant les évolutions économiques, sociales,
technologiques et culturelles des années 1970 » (Bernard, 2006, 1). Sa naissance
prend appui sur des enseignements dans des formations professionnalisantes
puis des départements consacrés à la formation aux métiers de l’information et
de la communication. Ces cursus universitaires et diplômes spécialisés sont à
l’origine soit relativement professionnalisés, soit très professionnalisés. Dès sa
création, la discipline est donc liée à des professions, des secteurs d’activité, des
champs de pratiques : elle forme des praticiens et produit de la théorie à
destination de leurs secteurs d’activité afin d’être reconnue légitime par ces
professions (Jeanneret, Ollivier, 2004). Dans ce contexte, la recherche –
initialement organisée « à partir des champs et des pratiques “littéraires”, mais
aussi des domaines “professionnels”, principalement dans un premier temps,
les médias et les entreprises » (Bernard, 2006, 1) – sera reconnue plus tard
(Jeanneret, Ollivier, 2004).
Que ce soit pour l’enseignement ou pour la recherche, les interactions entre
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Après avoir défini les caractéristiques des approches CCO, nous évoquons
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Deux recherches actions sont présentées ici : l’une initiée en 2016 dans un
hôpital canadien et l’autre en 2013-14 dans une administration régionale belge.
5. Notre traduction : McPhee and Zaug’s four flow model locates organizing among the microlevel
talk of instructions and commands (i.e., activity coordination), the macrolevel talk about how the
organization should function and what image it should attempt to create (i.e., self-structuring and
institutional positioning, respectively), and the mesolevel talk of culture and socialization (i.e.,
membership negotiation).
Tension épistémologique en SIC 165
7. Les propos en italique sont repris d’un discours du directeur général présentant le
projet.
Tension épistémologique en SIC 167
à fixer des objectifs, des échéances et des indicateurs de succès, les participants
s’avèrent extrêmement dissipés. La réunion se termine de façon brutale et une
note est rédigée par le consultant pour décrire la situation et identifier différentes
natures de risques. L’un des responsables de département est alors mandaté pour
conduire le changement et annonce un nouvel organigramme. Dans celui-ci, deux
responsables ont la charge de réaliser une négociation pour répartir les membres
du personnel. Or, le consultant constate qu’ils ne travaillent pas de concert et ne
se mettent pas d’accord. Le directeur général décide alors d’intervenir dans le
processus et d’introduire un niveau hiérarchique intermédiaire.
D’un point de vue pratique, les résultats invitent à la prudence tant le
processus se révèle contingent dans les conversations qu’il génère hors du cycle
construit et dans le contenu de ce qu’il produit. Ainsi, la création du dispositif de
recherche-appliquée, ici le cycle textes-conversations, ne permet pas, comme le
défendent les post-positivistes, une maîtrise des effets induits à l’usage. De même,
si les individus en interactions sont les producteurs du changement, il est illusoire
de croire que le dispositif construit permet de contrôler cette production de sens.
La dimension cathartique et le rôle de catalyseur du cycle provoquent des
conversations en-dehors et en retour amènent des constructions de sens
« produites » à l’extérieur. Celles-ci pourraient très bien ne pas émerger dans un
autre contexte organisationnel. Ce constat ne remet pas en cause la nécessité de
mettre en œuvre des dispositifs d’accompagnement du changement pour autant
qu’ils soient considérés non pas comme des outils de contrôle, mais bien comme
des dispositifs d’ouverture du sens, voire des révélateurs de conflits. D’ailleurs, les
tensions organisationnelles, loin de devoir être absolument évitées, sont à
considérer comme constitutives des organisations.
Finalement, l’analyse a posteriori montre combien l’adoption d’un cycle texte-
conversation peut s’avérer un exercice périlleux. En effet, lorsque les « lunettes
conceptuelles » sont appliquées comme des outils de gestion de la
communication, le consultant peut glisser par souci de répondre aux attentes du
praticien vers une posture post-positiviste pour laquelle le concept n’est pas
pensé. Celui-ci échappe à son initiateur : s’il se révèle être à la fois un dispositif
qui, comme catalyseur des tensions, potentiellement sert l’organisation, il se révèle
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lors, s’il y a eu une intervention sur le cycle, il n’est pas possible de dire qu’il y a eu
un contrôle de celui-ci.
Dans un second temps, les sept situations d’interaction révélées ont été
discutées avec les professionnels du laboratoire de simulation afin de pouvoir
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4. Pour conclure
Alors que les liens avec les milieux socio-professionnels sont constitutifs des
SIC et du champ de la communication des organisations, le choix de
distanciation des chercheurs avec la pratique professionnelle peut créer une
situation à bien des égards ambiguë (Morillon, 2016a). Elle peut poser
différents problèmes en matière d’accès au terrain mais également de
reconnaissance de la part des organisations voire de la société. Le retour réflexif
sur deux études de cas a démontré que l’adoption d’approches CCO peut
réduire une tension épistémologique entre le fonctionnalisme des uns et le
constructivisme des autres. Même si en Belgique le chercheur, alors consultant,
a finalement adopté une posture post-positiviste afin de répondre aux attentes
du commanditaire, les approches CCO ont préservé dans les deux cas à la fois
les intérêts des praticiens – qui accèdent à une compréhension fine des
phénomènes à l’œuvre – et des scientifiques qui peuvent mettre à l’épreuve
leurs apports conceptuels et leur rigueur. S’ils ne souhaitent évidemment pas
apporter aux praticiens des « recettes » pour résoudre des problèmes, la plupart
des chercheurs qui développent ces approches ne revendiquent pas une posture
idéologique de transformation de la pratique. Pour autant, l’adoption des
approches CCO dans les recherches appliquées pourrait contribuer à la
diffusion d’une vision processuelle de l’action collective et une conception
dialogique de la communication, soit le passage d’une communication axée sur
la manipulation, la propagande et l’institutionnel à une communication plus
intégratrice, non idéalisée et centrée sur le contenu du travail et l’intelligence de
l’initiative. La communication pourrait alors être appréhendée comme un
nouveau cadre de référence, une grille d’intelligibilité pour penser la complexité.
Par ailleurs, dans le cadre des deux recherches actions présentées, force est
de constater que les approches constructivistes ont invité à co-produire des
savoirs avec les praticiens. À la condition qu’ils s’en saisissent en les
« traduisant » en outils de gestion, de formation ou d’actions collectives, ces
savoirs peuvent leur permettre de répondre aux enjeux communicationnels
auxquels ils font face. Tout le défi pour le chercheur est alors d’ouvrir un
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