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Le lien : repères théoriques

Monique Dupré La Tour


Dans Dialogue 2002/1 (no 155), pages 27 à 40
Éditions Érès
ISSN 0242-8962
ISBN 274920013X
DOI 10.3917/dia.155.0027
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Le lien :
repères théoriques

MONIQUE DUPRÉ LA TOUR


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Une histoire
Le terme liaison est « utilisé par Freud pour connoter d’une façon très
générale et dans des registres relativement divers – aussi bien au niveau bio-
logique que dans l’appareil psychique – une opération tendant à limiter le
libre écoulement des excitations, à relier les représentations entre elles, à
constituer et à maintenir des formes relativement stables » (Vocabulaire de
psychanalyse, Laplanche et Pontalis).
Le terme lien n’appartient pas aux concepts de Freud et ne figure pas
dans le Vocabulaire de psychanalyse de Laplanche et Pontalis. C’est un mot
venu d’autres disciplines, que s’est appropriée la réflexion psychanalytique
pour rendre compte de ce qui relie un sujet à un autre, deux objets entre eux,
mais pas seulement, comme nous allons le voir. En effet, pour les psychana-
lystes qui emploient ce terme comme dans le langage courant, le terme lien
ne recouvre pas toujours les mêmes choses. Certains auteurs cherchent à rap-
procher et à confondre le terme lien et celui de liaison employé par Freud,
alors que d’autres s’appliquent, au contraire, à opérer des distinctions entre
ces deux termes.
Plusieurs voies convergentes ont amené à l’utiliser en psychanalyse.
Tout d’abord les travaux d’éthologues comme Lorenz définissant une théorie
de l’empreinte : le petit animal suit le premier vivant qui s’est occupé de lui,

DIALOGUE - Recherches cliniques et sociologiques sur le couple et la famille - 2002, 1er trimestre
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serait-ce un humain. Puis, dans l’après guerre, les difficultés des jeunes
enfants ont conduit les psychanalystes à s’interroger sur les données de l’en-
vironnement : ce sont les travaux de Spitz sur l’hospitalisme, de Bowlby sur
l’attachement et le lien d’attachement. À ces travaux s’ajoutent ceux des psy-
chanalystes travaillant avec les groupes et des thérapeutes s’intéressant au
couple et à la famille.
Des voies concomitantes de recherche psychanalytique se sont donc fait
jour pour une recherche sur le lien : l’observation directe du bébé et de l’in-
teraction mère-enfant, le travail avec les groupes, et, en même temps ou par
extension, les analyses des thérapeutes de couple et de famille.
Si Freud construisant sa métapsychologie s’est intéressé à la construc-
tion du psychisme, aux questions de la représentation et de la symbolisation
de par les « effets de l’absence » ouvrant sur la constitution de l’objet interne,
nombreux sont les travaux actuels portant sur les « effets de présence ». Mais,
déjà chez Freud, cette réflexion était amorcée sous forme d’interrogation
dans Psychologie des masses et analyse du Moi (1921). Sa constatation d’une
modification de l’individu à l’intérieur d’une masse lui fait porter son intérêt
sur l’explication psychologique de la transformation animique de l’individu
dans la masse, la restriction narcissique que s’imposent les individus ne pou-
vant provenir que par « des liaisons libidinales d’une nouvelle sorte entre les
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membres de la masse ».
Dans « Pour introduire le narcissisme » (1914), Freud parle du lien nar-
cissique qui relie les parents à l’enfant et du lien qui relie l’individu à l’es-
pèce, qui constitue l’individu comme maillon de l’espèce. Cette question du
narcissisme sera reprise par Piera Aulagnier, puis par René Kaës dans la suite
de celle-ci, dans ce qu’elle a appelé le contrat narcissique (P. Castoriadis-
Aulagnier, 1975).

Lien et liaison en psychanalyse


Ma recherche sur lien et liaison n’était pas fortuite.
À propos du lien en psychanalyse, je connaissais le texte « Attaque
contre les liens » de W. Bion paru en 1982 dans la Nouvelle Revue de psy-
chanalyse, traduction de son article de 1959, « Attacks on Linking ». C’est
dans ce texte, auquel se réfèrent de nombreux auteurs cherchant à éclaircir la
notion de lien, que W. Bion, à partir de son travail sur les petits groupes, a
introduit cette notion. Il définit le lien comme un mécanisme d’identification
projective, qu’il complétera plus tard par la métaphore de la fonction alpha
de la mère : la mère quand elle supporte les projections de son enfant – ses
éléments bêta – les lui renvoie en les détoxiquant. Dans ce mécanisme ce qui
forme lien est le double mouvement, celui de l’enfant vers la mère et celui du
retour de la mère à l’enfant, ce qui a pu être exprimé par les termes « d’iden-
tification projective de communication ». Dans la ligne de pensée de W. Bion,
le lien serait en conséquence « l’aboutissement d’un double processus : d’une
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identification désirée côté enfant, d’une identification agrée côté mère »


(A. Eiguer, 1984, 1998).
Je découvris en lisant le livre de C. Athanassiou-Popesco, Concept de
lien en psychanalyse (1998), que l’article de Bion avait aussi été traduit par
« Attaques contre la liaison » (1983).
C. Athanassiou-Popesco utilise d’ailleurs ces différentes traductions
pour tenter de rapprocher le lien de Bion des processus de liaison de Freud.
Après avoir dit que Freud « soude » le concept de liaison et de « fonction
sexuelle », barrant ainsi la route à toute investigation psychanalytique sur
l’existence du lien qui viserait à en désexualiser la nature et à en faire une
abstraction qui n’emprunterait pas le chemin du pulsionnel, elle interroge le
concept de pulsion dans sa dimension spatio-temporelle. En effet, l’existence
d’un écart spatio-temporel est à prendre en compte du fait qu’« entre la
source et l’objet de satisfaction, place doit être faite au but et à son trajet »
(C. Athanassiou-Popesco, 1998, p. 42-49).
C. Athanassiou cherche à définir les liens qui unissent le Moi-réalité et
le Moi-narcissique en pensant que tout lien – psychique et même physique –
se construit sur le même modèle. Elle inclut l’ensemble du Moi et du ça tel
qu’ils sont décrits par Freud dans l’entité dénommé « Moi-réalité », qu’elle
oppose, non plus à une instance constituée de pulsions dans un fonctionne-
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ment primaire, mais à un « Moi-narcissique » à l’intérieur duquel il n’est pas
encore question de pulsion, mais d’excitation à l’état brut, et ce sans qu’au-
cun processus de liaison vienne transformer cette dernière.
Plutôt que d’examiner la manière dont la pulsion « crée l’objet », elle
examine comment l’espace psychique en tant que création du Moi-réalité est
intriqué à celui de pulsion. La pulsion de mort serait alors le mouvement
opposé, un mouvement « destructeur d’objet », et aussi destructeur de l’es-
pace dans lequel les objets se constituent (p. 60).
Elle définit alors les caractéristiques de ce qu’elle appelle lien. « Un lien
a un caractère fondamental de souplesse et il doit se faire et se défaire sans
que sa nature en soit altérée » (p. 65). Aussi la fusion identitaire n’est-elle pas
un lien au sens propre : « Et pourtant elle est liaison, dans la mesure où tout,
dans le Moi-réalité, est liaison. »
Elle fait ainsi apparaître une différence entre lien et liaison et reprend
l’identification projective selon W. Bion : celle-ci n’est pas « utilisée dans
l’unique but de contrôler l’objet, mais dans le but de faire porter à l’autre des
parties de soi destinées, de ce fait, non pas à une simple évacuation de la psy-
ché, mais au contraire à un retour attendu. Le but de la projection est a
minima la réintrojection des parties projetées. […] Bion laisse dans sa pen-
sée une place au concept d’intégrité narcissique, cette dernière influençant le
désir de récupérer ce qui s’échappe de soi » (p. 68).
Elle ajoute : « Cette possibilité d’un retour vers soi de ce qui fut d’abord
abandonné dans l’autre est le modèle de toute liaison dans la mesure où com-
mence ici le double sens » (p. 68, c’est moi qui souligne).
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Or, ce n’est que dans un espace à trois dimensions que cet aller-retour est
possible. L’espace à trois dimensions étant celui qui permet la perlaboration
des deuils : « La perlaboration d’un deuil est celle d’un écart perçu entre le
Moi et l’objet. Elle engendre la création d’un lien en même temps qu’elle
entraîne la transformation de l’objet dont le Moi se vit écarté. L’objet est
“perdu” pour le narcissisme. Toute transformation psychique est créatrice de
lien dans la mesure où le lien est ce qui maintient l’existence conjointe et
séparée de deux états de la psyché ou de l’objet » (p. 72).
Si C. Athanassiou insiste sur le double sens dans le processus que Bion
a élaboré dans la fonction alpha, pour elle, la création d’un lien ne serait pos-
sible que par la perte de l’objet et la perlaboration du deuil. Ce double sens
ne peut donc prendre place que dans l’univers à trois dimensions. Elle rejoint
en cela les interrogations sur la place et le statut de l’objet dans le lien et nous
invite ainsi à penser sur lien et relation d’objet.

Lien et relation d’objet


Le lien est-il synonyme de relation d’objet ? Le titre du livre de Bernard
Brusset Psychanalyse du lien, la relation d’objet, pourrait le faire penser.
Alors que, pour Janine Puget et Isidoro Berenstein, lien et relation d’objet
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doivent être distingués, sous peine de prendre pour un lien ce qui ne serait
qu’un pseudo lien.
Deux théories ici s’affrontent.
1. Soit on se place dans la position du sujet, dans la compréhension de l’in-
tra-psychique et de la représentation du lien dans l’intra-psychique. Le sujet
crée l’objet, l’objet n’est pas créé mais retrouvé, l’autre étant perçu avant
d’être trouvé. Nous sommes dans la problématique de la constitution de l’ob-
jet interne et de l’espace intra-psychique. Ici, lien et relation d’objet se
confondent. Cependant, déjà, dans cette manière de présenter les choses
s’inscrit toute une discussion sur la place de l’objet dans la relation d’objet et
son statut par rapport à la pulsion.
2. Soit on se place dans la compréhension du lien. Sujet et objet créent le lien,
on parle alors de sujet-objet-sujet. C’est la question de l’intersubjectivité et
de la constitution possible de l’espace intersubjectif. Quand J. Puget et
I. Berenstein parlent du lien, ils disent s’éloigner de la théorie de la pulsion
et du fantasme.
La place de l’objet externe est pensée différemment dans ces deux pro-
positions, même si certains auteurs estiment que théorie de l’intériorisation et
théorie intersubjective ne s’excluent pas, mais sont deux manières radicale-
ment différentes d’analyser le développement (J. Benjamin, 1988, p. 50)).
R. Kaës (1998, p. 49) pense quant à lui que « la question de l’intersubjec-
tivité pose le problème de la reconnaissance et de l’articulable de deux espaces
psychiques partiellement hétérogènes dotés chacun de logique propre ».
Espaces psychiques hétérogènes entre l’individu et le groupe dans lequel il
naît, entre l’individu et le groupe auquel il appartient ou auquel il adhère.
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Bernard Brusset (1988) parcourt les diverses théories qui rendent compte
de la relation d’objet, décrit leurs différences, leurs apports ou leurs
déviances par rapport à la pensée de Freud, dont il souligne aussi les
méandres, les restes et les interrogations. Sans épuiser la richesse de ce tra-
vail de reprise des différentes théorisations, je tirerai quelques idées de la pré-
face qu’en fait André Green et donnerai la conclusion de B. Brusset.
Cette préface est la reprise en quelques pages par André Green de sa
propre pensée sur les théories de la relation d’objet et les théories de la pulsion.
Il rappelle qu’il n’y a de « sujet que le sujet de la pulsion » et que l’approfon-
dissement du rôle, de la fonction et du devenir de l’objet n’est qu’un détour. La
polarité de l’objet ne fait que renvoyer à la polarité pulsionnelle. Cependant, le
rôle de l’objet n’est en aucune façon négligeable, et c’est ce que dit l’expres-
sion « relation d’objet ». On parlera donc de la relation d’objet du Moi inhé-
rente à sa structure. C’est-à-dire qu’il s’agit moins de la façon dont le Moi noue
un rapport avec un objet qui lui est extérieur que de ce que sa texture doit aux
objets qui sont partie intégrante de sa composition et de ce qui rend compte de
sa manière de composer avec eux en son sein (A. Green, 1988, p. VI).
Pour Green, il est impossible de porter la moindre appréciation sur la
part qui revient à l’objet dans la relation où il est engagé sans prendre en
considération le traitement qu’il fait subir à ses propres pulsions. À ses yeux,
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l’objet est le révélateur de la pulsion, car, si l’objet ne venait pas à manquer,
nous ne saurions rien de la pulsion. Il en arrive à dire que « peu importe que
les oscillations théoriques portent vers la pulsion ou vers l’objet s’il est en
tout cas admis que ce qui les relie l’un à l’autre est une tension dynamique,
un mouvement de quête, dont les allées et venues constituent la matière
propre du temps humain » (p. xv).
Pour clarifier cette question, il distingue « un objet fondamentalement lié
au narcissisme ou encore à l’investissement narcissique de l’objet, dont la
perte serait irréparable, ou, tout au moins, hautement dommageable et entraî-
nant un risque dépressif majeur, et un objet moins soudé au Moi, plus indé-
pendant et plus extérieur à lui et qui serait plus remplaçable, plus
substituable » (p. XIX).
« L’évolution exige que la pulsion se trouve – non pas domestiquée par
le Moi, comme disait Freud –, mais liée par lui. C’est alors, et alors seule-
ment, que l’objet pourra être reconnu dans sa réalité, ce qui implique un cer-
tain renoncement à tous les buts pulsionnels. Non seulement parce que tous
ceux qui lui viennent du sujet ne lui agréent pas, mais aussi parce que le sujet
se trouve aussi amené à prendre en considération les pulsions de l’objet et se
donne pour but de les satisfaire, même si certaines d’entre elles ne rencon-
trent pas sa faveur à lui. Ici la perversité originelle de l’être humain trouve la
limite de ses exigences avec la rencontre de celles qui sont nées du dévelop-
pement culturel » (p. xx).
C’est ainsi qu’A. Green introduit les données culturelles dans la relation
d’objet et l’organisation du lien pour que ce dernier soit durable.
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Bernard Brusset lui, s’appuie sur Freud, pour qui l’objet non seulement
ne se constitue que dans l’expérience du manque, mais est fondamentalement
un objet perdu qu’il s’agit de retrouver. Il fait le tour des contemporains de
Freud ou des post-freudiens qui ont enrichi ou dévié la relation d’objet telle
que l’entrevoyait Freud. Il conclut ainsi son livre : « L’objet externe situé
dans la réalité, c’est-à-dire comme autre, peut ou non être intériorisé psychi-
quement, donc introjecté et constitué en objet interne qui peut ou non être
extériorisé intersubjectivement. Sous l’angle de cette sorte de métabolisme,
la relation d’objet est produite par une activité psychique de transformation
mettant en œuvre une fonction très importante du moi. Celle-ci a certaines
conditions de possibilité et est elle même condition de possibilité d’autres
fonctions, notamment de mise en rapport des représentations de choses et des
représentations de mots dans l’avènement du sens et donc du je » (B. Brus-
set, 1998, p. 213).

La transitionnalité
Les travaux de Winnicott et de R. Roussillon sur la transitionnalité et le
détruit-créé-trouvé peuvent être considérés comme la recherche d’une voie
intermédiaire entre les tenants purs et durs de la théorie de la pulsion et les
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tenants du lien. Car, bien que restant centrés sur la pulsion et la constitution
de l’objet, ils tiennent compte de la réalité et des caractéristiques de l’objet
externe, et ils permettent de mieux saisir ce qui se passe entre un sujet et un
objet réel, d’approcher les liaisons entre l’objet interne et l’objet réel tout en
restant dans la perspective intra-psychique.
Winnicott analyse un stade de développement qu’il appelle « l’utilisation
de l’objet », qu’il considère comme l’issue d’un processus par lequel le sujet
place l’objet en dehors de l’aire de son contrôle omnipotent. L’utilisation de
l’objet comporte la prise en considération de la nature de l’objet, et implique
que l’objet fasse partie de la réalité extérieure alors que la relation d’objet
peut porter sur un objet subjectif. Winnicott décrit combien est difficile et
ingrat ce stade du développement, c’est-à-dire celui du passage pour le sujet
à la perception de l’objet en tant que phénomène extérieur, et non comme une
entité projective (D.W. Winnicott, 1975, p. 125).
Ce qui fait dire à René Roussillon que, si l’un des sujet du lien mal éta-
bli dans son identité ne peut faire face à la destructivité de l’autre, cette scène
réalise le fantasme de destructivité et, du même coup, lui fait perdre sa loca-
lisation intra-psychique, son espace potentiel.
Avec La Capacité d’être seul (1958), Winnicott nous introduit aux effets
de présence. Pour acquérir la capacité d’être seul, il faut qu’une expérience
fondamentale ait eu lieu, celle d’être seul en tant que nourrisson et petit
enfant en présence de la mère. Le fondement de la capacité d’être seul est
donc paradoxal, puisque c’est l’expérience d’être en présence de quelqu’un
d’autre. Il utilise le terme de « relation au moi » pour désigner cette relation
de base, qu’il différencie de la relation pulsionnelle.
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« La relation au moi décrit cette relation entre deux personnes, dont l’une
en tout cas est seule ; peut-être les deux sont-elles seules, pourtant la présence
de chacune importe à l’autre. » Winnicott situe cette expérience entre le stade
de la relation à deux et celui de l’un du narcissisme primaire. Il ajoute que
pour l’adulte « la maturité et la capacité d’être seul implique que l’individu a
eu la chance, grâce à des soins maternels suffisamment bons, d’édifier sa
confiance en un environnement suffisamment favorable » (D.W. Winnicott,
1969, p. 205-213).
Cette relation au moi peut faire penser à la pulsion d’inter-liaison
d’Ophélia Avron, sur laquelle je reviendrai plus loin.
R. Roussillon, reprenant les paradoxes de Winnicott, parle de la « capa-
cité à s’absenter en présence l’autre » et ajoute que, pour que cela soit pos-
sible, il faut « que l’objet interne ne soit pas trop persécuteur et l’objet
externe trop intrusif » (R. Roussillon, 1991, p. 7).
Nous pourrions suivre dans les travaux de R. Roussillon, tel ceux de
1995, ce qu’il dit des caractéristiques de l’objet externe dans la constitution
de l’objet interne.
Joyce Mac Dougall, dans « Le théâtre transitionnel et la relation d’ad-
diction », souligne avec Winnicott « la précarité de l’équilibre ainsi établi
entre la réalité psychique personnelle et l’expérience de contrôle de l’objet
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réel, phase qui précède la capacité d’être seul sans perdre les repères identi-
ficatoires, sans être débordé d’angoisse, et qui précède aussi la capacité d’ef-
fectuer de véritables échanges avec autrui sans crainte d’invasion
dommageable de l’un et de l’autre » (J. McDougall, 1982, p. 61). Elle décrit
ainsi ceux qui utilisent les autres « comme des substances apaisantes ou
comme des contenants pour tout ce qui, en eux mêmes, leur semble trop dur
à assumer, comme partie de leur théâtre psychique personnel » : « Dans la
mesure où les objets d’addiction rejoignent le rôle de l’objet transitionnel de
la petite enfance, on peut dire qu’il s’agit là d’une pathologie de la matura-
tion normale des phénomènes transitionnels […] les objets d’addiction sont
transitoires toujours à recréer car toujours dehors » (J. McDougall, 1982,
p. 55).
Ainsi, le Je du théâtre transitionnel « ne cherche ni à résoudre son conflit
dans le compromis névrotique ni à inventer une réalité autre que celle propre
au socius qui est le sien. En un sens, il se lance dans une réalisation plus
hasardeuse que l’aménagement psychotique, puisqu’il dépend toujours du
bon vouloir des autres à lui fournir les certitudes dont il est en quête. […]
Puisque ces scénarios impliquent une certaine manipulation du monde réel,
et cela dans le but de faire jouer par un autre une partie de la réalité psychique
propre à un Je – c’est-à-dire qu’ils sous-entendent un déni du postulat de l’al-
térité –, ils appartiennent bel et bien au théâtre de l’impossible, mais puis-
qu’ils dépendent également, pour leur réalisation, du concours et de la
croyance des autres, non imaginaires, ils sont soumis à la réalité externe, et
donc limités par les exigences du Possible » (J. McDougall, 1982, p. 57).
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J’ai repris ces travaux de J. McDougall, car nombre des consultants en


couple utilisent l’autre comme un objet d’addiction. Peut-on dire qu’ils sont
en lien avec l’autre ? Et alors, de quel type de lien s’agit-il ?
Les travaux sur la transitionnalité introduisent aux effets de présence. Si
l’objet interne se constitue sur le manque et sur l’effet de l’absence, déjà le
travail de Winnicott sur la capacité d’être seul en présence de l’autre nous
introduit à une réflexion sur les effets de la présence.

Lien et effets de présence


Si l’effet de présence semble essentiel, c’est parce que le lien est ce qui
se constitue de par la présence de l’autre : ce sont les effets psychiques de la
présence (et non de l’absence) et des restrictions que cette présence impose
ou permet. C’est ainsi que J. Puget et I. Berenstein font une distinction claire
entre la relation intra-psychique et le lien : « Nous parlerons de relation intra-
psychique quand nous aurons affaire à une relation avec ce qu’on appelle un
objet interne, internalisé sans que soit nécessaire l’apport d’un autre Moi,
d’un référent extérieur. Nous parlerons de lien comme l’espace où le Moi et
l’Autre établissent une forme de relation dans laquelle il est absolument
nécessaire de tenir compte de leurs deux présences » (I. Berenstein, J. Puget,
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1990, p. 106). .
Je vais suivre cette question avec Piera Aulagnier (la constitution de l’es-
pace parlant) et Ophelia Avron (la pulsion d’interliaison).
Piera Aulagnier analyse les conditions nécessaires pour que « l’espace
parlant » dans lequel tout sujet vient à naître offre au Je un habitat conforme
à ses exigences. Elle dit sa difficulté à penser les articulations entre les
espaces psychiques et elle introduit le concept de violence primaire pour
nommer « l’effet d’anticipation qu’impose à la psyché de l’enfant le discours
du porte-parole (la mère), violence aussi radicale que nécessaire ». Car, « dès
le premier instant de son existence, le sujet se trouve confronté à une suite de
rencontres dont une des caractéristiques sera d’anticiper toujours sur ses pos-
sibilités de réponse ou de prévision. D’où l’impossibilité d’analyser la fonc-
tion du Je sans tenir compte du champ socioculturel dans lequel il baigne.
[…] La violence primaire qu’exerce l’effet d’anticipation du discours mater-
nel se manifeste essentiellement par cette offre de signification qui a pour
résultat de faire émettre une réponse qu’elle formule en lieu et place de l’en-
fant. »
Elle décrit la dynamique particulière de la rencontre mère-infans :
– la mère offre un matériau psychique qui n’est structurant que parce que déjà
modelé par sa propre psyché, ce qui implique qu’elle offre un matériau qui
respecte les exigences du refoulement ;
– l’infans reçoit cet « aliment » psychique et le reconstruit tel qu’il était dans
sa forme archaïque pour celle qui l’avait, en son temps, reçu d’un Autre
(P. Aulagnier, 1975, p. 40-41).
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P. Aulagnier définit par le terme de « contrat narcissique » ce qui est au


fondement de tout possible rapport sujet-société, individu-ensemble, discours
singulier-référent culturel. Une des fonctions de ce contrat est de rendre pos-
sible la conjugaison du futur et du passé. Il s’agit de la fonction du champ
social sur le lien entre deux personnes, du lien entre l’enfant et le groupe.
« Le contrat narcissique, dit-elle, a comme signataires l’enfant et le groupe.
L’investissement de l’enfant par le groupe anticipe sur celui du groupe par
l’enfant. En effet, […] dès sa venue au monde, le groupe investit l’infans en
tant que voix future à laquelle il demandera de répéter les énoncés d’une voix
morte et de garantir ainsi la permanence qualitative et quantitative d’un corps
qui s’autogénérerait de manière continue » (P. Aulagnier, 1975, p. 22).
La notion de contrat narcissique sera repris par R. Kaës pour désigner ce
qui lie l’individu au groupe dans la chaîne des générations.
O. Avron (1996), pour rendre compte des effets de présence à partir de
ses travaux sur le psychodrame, fait l’hypothèse d’une pulsion d’interliaison.
Cette pulsion d’interliaison répond « à une nécessité structurelle d’ouverture
et de transformation des psychés les unes par rapport aux autres ». Sa fonc-
tion serait d’assurer une première forme de liaison énergétique entre les indi-
vidus, liaison énergétique qui serait le soubassement du développement
psychique par soutènement réciproque. Le rapport entre cette pulsion d’in-
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terliaison et les pulsions sexuelles serait un rapport conflictuel dans la mesure
où leurs finalités sont contraires : la pulsion sexuelle soumise au principe de
plaisir reste fondamentalement narcissique, la pulsion d’interliaison soumise
à la contrainte d’une auto-organisation processuelle est fondamentalement
communautaire.
Que peut-on conclure de ce débat sur effet de l’absence et effet de pré-
sence, sur lien et relation d’objet ? Il est évident qu’ils peuvent se superposer
et interférer dans certaines relations, comme dans le lien conjugal où le choix
amoureux – choix d’affiliation – vient faire rejouer la filiation et la problé-
matique œdipienne. En est-il de même pour les relations imposées avant
d’être choisies, comme celles d’une fratrie ? Comportent-elles une violence
interprétative comme la relation au porte-parole ? Quel est le lien de base qui
unit ceux qui vivent ensemble ? S’agit-il d’une pulsion d’inter-liaison telle
que le conceptualise O. Avron ? Est-ce, comme dans la foule, une identifica-
tion due à une importante communauté affective ? Comment conceptualiser
ce niveau d’interaction basale qui oblige à tenir compte de l’autre ? Si, pour
parler de structure de lien, il faut penser un écart, la constitution du lien est-
elle subordonnée à celle de l’objet interne ? C’est un peu ce que pense Win-
nicott quand il dit que le sujet se relie à l’objet avant de pouvoir l’utiliser et
que pour pouvoir l’utiliser il faut que le sujet sorte de la confusion de l’objet
réel et de l’entité projective.
Si « le lien est ce qui maintient l’existence conjointe et séparée de deux
états de la psyché, ou de l’objet » (C. Athanassiou, 1998), le lien n’existerait
que dans un espace à trois dimensions, c’est-à-dire à partir du moment où
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36 Dialogue 155

l’objet est « perdu » pour le narcissisme. On ne parlerait alors de lien que


dans le cadre d’une relation triangulée.
Des individus peuvent donc être liés sans qu’un lien au sens analytique
se soit constitué entre eux.

Les théories du lien


C’est à partir de son expérience des petits groupes que Bion en 1959
introduit le terme lien. Il l’utilise pour parler de la relation d’objet partiel à la
phase schizo-paranoïde et précise qu’il s’agit de la relation du patient à une
fonction plutôt qu’à l’objet qui la favorise. En prenant le terme lien, il ne s’in-
téresse pas au sein, au pénis ou à la pensée verbale, mais à leur fonction, qui
est de former lien entre deux objets.
R. Kaës a développé dans ses travaux une théorie du lien à partir de l’ex-
périence du groupe, théorie qui n’est pas celle des fondements sociaux du lien
ni de la psychologie de l’interaction, mais celle des mouvements du désir
inconscient : désir de l’autre et de l’objet du désir de l’autre (R. Kaës, 1996,
p. 5). Il prend en considération les rapports mutuels du sujet et de l’objet « en
tant que celui-ci est animé de la présence de l’autre » et précise la différence
entre l’état de lien et la structure de lien (R. Kaës, 1984) : l’état de lien serait
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sans fonction séparatrice, lien sans liens, alors que la structure de lien sup-
pose une coupure, un intervalle, une discontinuité. Il ajoute que les états de
lien seraient constitués par la transmission directe des mouvements émotion-
nels inconscients.
Pour lui, l’intersubjectivité est un fondement de la vie psychique et
« cette question ne se réduit pas à prendre en considération la place et la fonc-
tion d’un Autre et des autres (plus d’un autre) dans l’espace intra-psychique.
L’intersubjectivité n’est pas seulement la partie du sujet tenue dans la sub-
jectivité de l’autre ou de plus d’un autre. La question de l’intersubjectivité
pose le problème de la reconnaissance et de l’articulable de deux espaces
psychiques partiellement hétérogènes dotés chacun de logiques propres »
(R. Kaës, 1998, p. 49).
Espaces psychiques hétérogènes entre l’individu et le groupe dans lequel
il naît, auquel il appartient ou auquel il adhère. Espaces psychiques hétéro-
gènes dans le lien entre deux sujets.
Reprenant le double statut narcissique de l’individu, sa propre fin et la
chaîne à laquelle il est assujetti, il note qu’il ne s’agit pas d’une relation entre
l’intra-psychique et le groupal, mais d’« une bipolarité interne qui dessine la
possible division du sujet de ce qui, en chacun de nous, est singularité et pola-
rité ».
Il reprend à son compte le contrat narcissique tel que le définit P. Aula-
gnier pour dire que, dans ce contrat des rapports corrélatifs de l’individu et
de l’ensemble social, « chaque nouveau venu doit investir l’ensemble comme
porteur de la continuité et, à cette condition, l’ensemble soutient une place
pour l’élément nouveau. Tels sont schématiquement les termes du contrat
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Le lien : repères théoriques 37

narcissique : il exige que chaque sujet singulier prenne une certaine place
offerte par le groupe et signifiée par l’ensemble des voix qui, avant chaque
sujet, a tenu un certain discours conforme au mythe fondateur ».
Il nomme pacte dénégatif « la formation intermédiaire générique qui,
dans tout lien – qu’il s’agisse d’un couple, d’un groupe, d’une famille ou
d’une institution –, voue au destin du refoulement, du déni ou du désaveu ou
encore maintient dans l’irreprésenté et dans l’imperceptible ce qui viendrait
mettre en cause la formation et le maintien de ce lien et des investissements
dont il est l’objet ».
Ce pacte est lui même refoulé. « Le prix du lien est ce dont il ne saurait
être question entre ceux qu’il lie, dans leur intérêt mutuel, pour satisfaire à la
double logique croisée du sujet singulier et de la chaîne. » (1988, p. 27-34).
Il distingue plusieurs types de négativité : la négativité radicale, la négativité
d’obligation et la négativité relative. La première étant l’impartageable, la
seconde ce qu’il ne faut pas partagé pour maintenir le lien, la troisième ce qui
pourrait être partagé, mais ne l’est pas.
Ces questions de la négativité dans le lien de couple sont reprises par
S. Matus et M. Ravenna de Selvatici (1998) et par E. Cleyet-Marel (1999).

Janine Puget et Isidoro Berenstein :


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lien et relation d’objet
J’avais tout d’abord rencontré ces deux auteurs à partir de leurs écrits sur
le couple. Puis j’ai écouté J. Puget dans son élaboration entre lien et relation
d’objet et dans ce qu’elle a pu dire de ce que l’écoute du lien de couple, de
ce que la pratique de la thérapie de couple lui a apporté dans sa pratique psy-
chanalytique. Aussi, si je me réfère principalement à Janine Puget, l’en-
semble de ses théorisations peut aussi être recherché dans ses écrits communs
avec Isidoro Berenstein.
Si B. Brusset part de la pulsion et de la relation d’objet pour aborder le
lien, Janine Puget part de l’idée que le sujet doit se réaliser dans trois
espaces : l’espace individuel intra-psychique, celui du lien et celui de l’en-
semble (entretien particulier). Elle insiste sur une définition du lien qui
l’éloigne de la théorie de la pulsion et du fantasme et établit donc une diffé-
rence entre une relation intra-psychique et un lien.
Elle part d’une définition du lien proche de la pensée de René Kaës et
« suivant laquelle celui-ci (le lien) est créateur d’un espace dans lequel il y
aura des places que deux ou plusieurs personnages devront occuper, car elles
leur sont destinées, ce qui, en conséquence, les obligera à être ensemble selon
certaines règles. Pour cela, leur présence réelle ou virtuelle créera des signi-
fications spécifiques à ce lien et pas à un autre. Chaque lien impose une
manière spécifique d’appartenir, qui n’a d’universel que le fait que le lien
crée ses personnages et ses modes de relations. »
Ce qui donne deux manières de penser le lien :
1. Le lien est une entité créée par des personnages qui deviendront sujets.
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2. Le lien crée l’espace qui sera occupé par les différents sujets. Les person-
nages se constituent alors comme sujets dans une dépendance mutuelle où ce
qui leur arrive dépend d’un lien et pas d’un autre.
Le lien est ce qui se constitue de par la présence de l’autre : le lien naît
des effets psychiques de la présence (et non de l’absence), des restrictions
que cette présence impose. Ce qui reste en dehors de cette restriction forme
l’inconscient du lien. Le pouvoir ou du moins « l’imposition mutuelle » sont
inhérents au lien, ils appartiennent à la structure du lien.
Janine Puget se différencie ainsi, quand elle parle du lien, de la psycha-
nalyse qui s’intéresse à la constitution du seul appareil psychique. Dans le
modèle psychanalytique, l’inconscient est vu comme un implacable tyran et
le pouvoir est vu comme un excès. Le pouvoir est alors pensé comme rela-
tion d’emprise, mais, si le pouvoir est inhérent au lien, s’il appartient à la
structure du lien, les deux appareils psychiques se construisent ensemble et
simultanément.
Cependant, l’imposition de lien peut excéder le sujet dans certaines
conditions et, dans le couple, le lien de deux sujets peut se voir remplacer par
l’illusion de faire un : ce qui correspond à un fonctionnement narcissique qui
opère la disparition de l’écart entre les deux sujets.
Pour J. Puget, le couple n’est pas le produit des identifications croisées
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des familles, il n’est pas du registre de la relation d’objet, c’est un lien, inédit,
créatif mais aussi destructeur. Le couple est une nouvelle entité que l’on ne
peut pas prévoir, ce n’est donc pas seulement l’histoire du passé qui s’y joue
(J. Puget, 1998b).
J. Puget (1999) a repris ces questions lors d’un exposé portant sur l’in-
fluence et l’enrichissement dus à sa pratique de la thérapie de couple sur celle
de la psychanalyse individuelle. Elle précise que dans la relation analytique
existent toujours deux niveaux : celui du transfert, de la projection de l’objet
interne sur l’analyste ; et celui de la rencontre inédite. Elle ajoute que c’est la
seconde expérience qui permet d’analyser le transfert et de trouver une issue.
Elle maintient ainsi sous tension deux espaces psychiques, l’intra-psy-
chique et l’intersubjectif.
Ces deux niveaux décrits par Janine Puget fonctionnent simultanément
dans toute relation. Ils permettent à un couple d’être un organisme vivant :
c’est à partir de la rencontre inédite qu’à l’intérieur du couple peuvent être
traitées les projections d’objet de chacun des conjoints sur l’autre et les
risques d’immobilisation que ces projections comportent.
Aussi nous faut-il tenir ensemble toutes ces conceptualisations pour pou-
voir penser le couple et les processus qui y sont à l’œuvre.

En conclusion : les différents espaces psychiques


Penser le lien de couple dans ses connexions avec l’intra-psychique de
chaque conjoints et dans ses conflits avec le groupal (famille et société) pose
la question de l’articulation des différents espaces psychiques.
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Le lien : repères théoriques 39

Cette question apparaît chez les auteurs qui travaillent sur l’intersubjec-
tivité. Tout en se référant à Freud pour penser l’intra-psychique et la consti-
tution de l’objet interne, ils cherchent comment articuler cet espace
psychique à d’autres espaces psychiques, ceux de l’intersubjectivité et du
groupal.
Si Piera Aulagnier dit sa difficulté à le faire tout en s’y essayant, R. Kaës
pose la question de l’articulable de deux espaces psychiques et Janine Puget
parle de trois espaces psychiques – l’intra-psychique, l’intersubjectif et le
groupal ou le social. Pour elle, l’espace social a une grande importance. En
effet, les représentations du lien dans le social influencent les places à
prendre et la manière de les prendre.
Prise moi-même dans mes propres interrogations sur la manière dont
s’opère la transformation des psychés individuelles de chacun des conjoints
par le fonctionnement de leur couple, je lui avais oralement posé la question
de l’articulation de ces trois espaces psychiques. Elle m’avait alors répondu :
« Il n’y a pas articulation, mais connexion. »
Dans la même ligne de mes préoccupations se situe cette réflexion
d’Ophélia Avron : « Il me semble sans bien connaître les alliages et les lois
de cette combinatoire que le travail en groupe trouve sa spécificité d’assurer
des remaniements à l’articulation de l’intra-psychique et de l’intersubjectif en
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agissant sur le double niveau de l’activité libidinale et de l’interliaison éner-
gétique » (O. Avron, 1996, p. 58).
Pour moi, ce qui se joue dans la thérapie de couple rejoint cette question :
des individus viennent parler de leur lien dans le groupe qu’ils vont consti-
tuer avec le thérapeute.

Monique Dupré la Tour,


psychologue clinicienne,
thérapeute de couple,
64, rue de la Sauvegarde, 69130 Écully

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RÉSUMÉ
Le lien, terme qui n’est pas employé par Freud, est d’introduction récente en psychanalyse. Cet
article fait un tour non exhaustif des auteurs qui cherchent à rapprocher, si ce n’est à
confondre, les deux concepts de lien et de liaison et ceux qui cherchent à les différencier.

MOTS CLÉS
Lien. Liaison. Relation d’objet. L’intra-psychique et l’intersubjectif.

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