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À partir du lien fraternel : obligation ou solidarité

Janine Puget
Dans Le Divan familial 2003/1 (N° 10), pages 181 à 192
Éditions In Press
ISSN 1292-668X
ISBN 9782848350066
DOI 10.3917/difa.010.0181
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uvertures
et débats
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O
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À partir du lien fraternel :


obligation ou solidarité
JANINE PUGET

P RENANT COMME POINT DE DÉPART l’étude du lien fraternel, je propose


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une réflexion sur le fonctionnement des liens aux autres, les liens
sociaux, qui diffère du regard posé habituellement sur ces relations.
Parlons d’abord d’une situation clinique.
Madame X. a 97 ans et continue à mener tambour battant sa vie et
par le bout du nez sa famille. Toutefois, d’après ce qu’en disent les enfants
au cours des séances, il devient évident qu’aujourd’hui elle n’a plus les
moyens ni physiques ni économiques dont elle et son mari déjà décédé
disposaient autrefois. Dans l’illusion familiale, personne ne peut arrêter
la mère… Elle prend l’autobus toute seule, vient à l’improviste rendre
visite aux enfants qui, pour une raison ou une autre, ne voudraient pas
la recevoir « mais… ». Pour la plupart des enfants, fils et filles, frères et
sœurs, il n’est pas facile de joindre les deux bouts, pourtant, ils doivent
s’occuper de leur mère. C’est une des questions qui font partie de leur
discussion au cours des séances. Ce « ils doivent » provient de la dette
d’origine parento-filiale. Le problème est que, pour quelques-uns, ce
n’est absolument plus possible compte tenu de leurs possibilités actuelles.
Par ailleurs, ils considèrent qu’ils n’ont pas tous les mêmes obligations
envers elle parce que, disent-ils, leur mère « s’est plus occupée d’un
tel… », « Y. a été le préféré, et l’autre est en mauvaise santé… », « De
plus, une sœur est très malade… enfin… ». D’autre part, il y en a deux
qui sont fâchés entre eux, ils se disent le strict nécessaire, car leur mère
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a dit à l’un quelque méchanceté au sujet de l’autre… C’est son habitude.


Les dépenses de leur mère continuant à s’accumuler, une réunion fami-
liale s’impose, ce qu’ils pensent pouvoir faire en dehors des séances, il
faut savoir à quoi s’en tenir, il faut prendre une décision. Au bout d’un
certain temps, ils arrivent à « se réunir », mais ne réussissent pas à se
mettre d’accord car il est difficile pour eux de savoir à quel titre ils pour-
raient se mettre d’accord et en quoi consisterait ce possible accord. En
fait, en ce qui concernait la dynamique inconsciente de cette famille, il
était question de deux réunions superposées qui correspondaient à deux
espaces de subjectivation : dans l’une il fallait régler une fois de plus des
questions relatives à leur identité de fils/filles et de frères/sœurs et, dans
l’autre, il s’agissait de résoudre un problème qui était d’ordre de la subjec-
tivité sociale de chacun et de ce groupe en particulier. Tout ceci fut
travaillé durant une longue période de séances psychanalytiques
auxquelles participaient ceux que j’appelle « les enfants de Mme X. »,
c’est-à-dire qu’il s’agissait d’une analyse de frères et sœurs.
La réunion en question, celle dont ils avaient cru qu’elle leur donne-
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rait la possibilité de se mettre d’accord, eut lieu mais, bien sûr, elle a été
basée sur un malentendu : ils croyaient devoir régler un problème qui
avait trait à l’œdipe, donc à la famille filiale, alors qu’il s’agissait de
résoudre un problème d’ordre social, c’est-à-dire trouver une solution à
une question économique. Au cours des séances nous avons pu
comprendre que bien qu’ils puissent penser que ce fut une réunion ratée,
d’un autre point de vue ce fut une réunion réussie : pour ce qui était de
travailler des questions œdipiennes, elle fut utile ; pour résoudre un
problème pratique d’ordre social, elle fut ratée. À l’égard de l’analyse
de cette famille, ce fut utile. Malgré tout, après la fameuse réunion, l’un
d’eux a fait un ulcère d’estomac. Il ne peut pas comprendre ni trouver
d’arguments. Il faut qu’il fasse mais ce faire fut une « plaie saignante »…
qui ne guérit pas. Le malaise entre eux suit son cours. Pour un autre, ses
problèmes de couple, qui avaient occupé une place importante, commen-
cent à prendre une autre forme.
Nous avons travaillé ce que comporte le malentendu, tenant compte
de ce qu’implique aborder un problème de ce genre inséré dans la struc-
ture parento-filiale œdipienne alors qu’il avait trait à la structure sociale.
Ils se trouvaient devant des conflits d’une grande complexité due à la
superposition de deux structures hétérogènes. C’est alors qu’a été remise
en question la signification inconsciente de l’imposition d’un devoir.
Plusieurs sens ont pu être dévoilés. Que signifiait « qu’ils devaient » ?
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Petit à petit les malentendus ont pris sens. Ces malentendus s’étaient
jusqu’alors transformés en symptômes divers (problèmes de couple,
ulcère d’estomac, dispute entre deux frères).
Le travail analytique continue à être difficile et douloureux car les
« enfants » ont eu du mal à accepter que leur relation à la mère se réduise
à un problème d’ordre commercial à résoudre, alors qu’il s’imposait
selon des paramètres de structure œdipienne. En tant que frères et sœurs,
les conflits sont dictés par l’œdipe : la préférence, la jalousie, la rivalité,
la méfiance et la différence générationnelle. Ils seraient, selon l’idéolo-
gie familiale, tous pareils mais tous différents. Mais une différence de
cette sorte ne permet que rarement d’arriver à résoudre un problème.
D’ailleurs, ils n’en ont pas très envie.
Sous le sceau de la complexité œdipienne, la différenciation conduit
à occuper une place toujours changeante dans la structure familiale et
dans la lignée, c’est-à-dire à devenir époux et épouse, père et mère, etc.
Les hommes et les femmes sont à leur tour impliqués dans leur identité
sexuelle. Étant donné qu’en permanence des conflits émergent en fonc-
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tion de la rivalité œdipienne et de la revendication phallique, il est facile
de comprendre pourquoi la scène se joue sur des données telles que « Et
pourquoi l’un plus que l’autre… ? », « C’est toujours sur moi que tout
retombe!» Dans ces conditions il sera impossible de résoudre un problème
pratique. Comme je viens de l’expliquer, l’œdipe n’est pas fait pour
penser ce genre de problèmes, qui sont tributaires de la subjectivation
sociale. Néanmoins, les membres de cette famille croient que, par ce
chemin, ils pourraient trouver une solution. Toutefois, pour cela, énon-
cent-ils dans des propos contradictoires, « Il faudrait avoir recours aux
petits-enfants… ceux qui peuvent… ou doivent… mais étant donné qu’ils
ne sont que des petits-enfants, ce n’est pas évident. » Dans la lignée, est-
ce que les petits-enfants ont les mêmes obligations que les enfants ? Mais
on oublie qu’ils sont aussi des enfants… et, à leur décharge, ils ne doivent
pas, ils ne sont pas directement en dette à l’égard de la grand-mère. Mais
là, de nouveau : « Pourquoi les uns plus que les autres ? » auraient dit les
petits-enfants, et le conflit rebondit sur cette génération.
Ils continuent à discuter et croient savoir que l’un des petits-fils, qui
éventuellement pourrait aider, n’est pas d’accord. Il veut bien, aurait-il
dit « mais il faut que son apport soit comptabilisé comme une avance sur
l’héritage… », voilà que la mort prend une place. « Autrement ce ne serait
pas juste ».
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Par ailleurs, les beaux-frères et les belles-sœurs n’étaient pas tous


d’accord non plus. Leur belle-mère leur avait posé beaucoup de problèmes
à eux aussi… Elle avait eu son mot à dire pour chacun des couples et
bien qu’aujourd’hui une des belles-sœurs sache mettre un frein aux débor-
dements de sa belle-mère, elle décide de ne pas se mêler de cette nouvelle
histoire. Elle appartient justement au couple sur lequel les problèmes
avaient rebondi. Nous sommes dans un passé toujours présent qui entrave
la résolution des problèmes.
Les séances de famille sont difficiles : disputes, malentendus, violence,
impatience dans certains cas. Tout d’un coup, quelques souvenirs redes-
sinent le passé sous des couleurs plus agréables mais sous le sceau de
l’idéalisation lorsqu’ils arrivent à s’associer : c’était « une famille
merveilleuse, riche… ». Là, ils ont l’air de s’y plaire… En revanche, dès
que le problème actuel revient, tout se gâche. Il n’y a pas moyen de se
penser membre d’un collectif et encore moins installé dans un présent
qu’ils doivent construire à tout moment.
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Fantasme du fils unique
Selon un fantasme courant dans l’imaginaire, il est plus facile de s’oc-
cuper des parents âgés ou handicapés si on n’est pas fils unique. « Si
j’avais des frères et des sœurs… ce que ce serait plus facile ! », se lamen-
tait un patient dont le père était mourant. Mais, après le décès du père,
il croit que sa situation de fils unique est nettement plus facile et lui
évite les conflits de la structure familiale. Il n’aura pas à discuter l’hé-
ritage avec personne. Pourtant, en tant qu’enfant, et en ce qui concerne
sa place dans la structure œdipienne, sans le savoir consciemment, il
s’était inventé une relation fraternelle avec des cousins germains (en
espagnol, cousin germain se dit primo hermano/hermana, « cousin
frère/sœur »). Et voilà que le conflit apparut soudain au moment où il
fallait se défaire de l’énorme garde-robe du père. Pour cela, sous l’em-
prise d’une pseudo identification au père, il a fait appel aux cousins
germains pauvres, que le père avait aidés toute sa vie, « comme s’ils
étaient un peu ses enfants… » Et là, la scène fut épouvantable, insup-
portable pour lui : les cousins germains se sont livrés à une « orgie,
grande excitation, etc. » devant « tellement de belles choses ». « Ils ont
même invité leurs conjoints pour la distribution ! » « Mais, dit mon
patient, comment est-il possible qu’ils agissent de la sorte en ma
présence ? » Mon patient croyait qu’il réalisait une opération utile, disons,
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commerciale ou à la rigueur un peu de bienfaisance envers ses quasi-


frères et quasi-sœurs. Étant donné que la garde-robe était si sophisti-
quée, on ne pouvait pas la donner à n’importe qui. Donc les parents
pauvres étaient les bienvenus. Mais il aurait fallu qu’ils se comportent
comme l’entendait mon patient, c’est-à-dire selon ses normes, comme
des parents pauvres sans droits et non pas comme si leur oncle leur
appartenait encore. Le conflit œdipien a pris son plein essor.

Deux modèles de constitution de la fratrie


Ces quelques réflexions ont commencé à poser le problème de la rela-
tion fraternelle sur la base de deux modèles superposés de constitution
de subjectivité.
L’un, connu de tous, est celui qui dépend du lien de sang, qui oblige
et qui contient l’idée de dette d´origine… Celui-ci crée un contexte dans
lequel se jouent des conflits sans fin, sans solution, car le but n’est pas
la solution mais précisément le renouvellement des conflits tributaires
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de l’œdipe dont j’ai parlé plus haut. De cette complexité et du travail
analytique dépendront l’acquisition de nouvelles perspectives, la remise
en question d’identifications et l’éternel remaniement des positions qui
correspondent à ce qu’on appelle en général l’élaboration de l’œdipe,
qui comme nous le savons est sans fin. En ce sens, le but principal de
notre travail consiste à retrouver ce qui du passé fait obstacle dans le
présent ainsi que de construire de nouvelles places en fonction de la struc-
ture actuelle des nouvelles familles de chacun. De là, aussi, nous aurons
quelquefois en tête ce qu’on appelle l’histoire familiale qui se renouvelle.
L’autre espace dépendra de ce que j’entends par espace social de
constitution de la subjectivité sociale. Afin de rendre cette notion plus
claire, j’en présenterai brièvement quelques données.
Je considère que la subjectivité qui s’institue dans l’espace que j’ap-
pelle social a sa propre manière de se constituer à partir d’un jeu de diffé-
rence pure entre les membres d’un ensemble. Il ne s’agira plus de la
différence de sexe ou de la différence générationnelle, mais tout simple-
ment de la potentialité due à l’altérité et à ce qui est aliéné de chacun et
de l’autre pour toujours (l’étranger en soi).
Au surplus, cet espace social contient deux espaces hétérogènes : l’un
est issu d’une transformation de la structure familiale et est conçu comme
la masse, telle que nous la connaissons depuis Freud (1921). L’autre a
son origine propre et constitue ce que pour l’instant j’appelle le collectif,
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c’est-à-dire, un espace qui, pour exister, pour advenir, a besoin d’action


et d’un faire ensemble, un espace nécessaire mais contingent. Cet espace
n’est pas donné et provient d’un travail de liaison qui se réalise non par
obligation mais parce que le problème l’impose. Même les règles s’éta-
blissent en fonction du problème à résoudre, tandis que pour l’œdipe et
pour la masse il s’agira de la Loi déjà établie. Un sujet en tant que tel,
étant membre de la société, accepte les devoirs inhérents à cette appar-
tenance, tout comme la société et ceux qui la composent ont des obli-
gations à son égard. Cependant, pour le collectif, il n’est plus question
de dette d’origine mais tout simplement de condition nécessaire pour
qu’il puisse y avoir une potentialité structurante, capable d’engendrer de
nouvelles qualités à la subjectivité. Ce qui se passe a à voir avec le senti-
ment de responsabilité introduit par la présence de l’autre, tel que le
conçoit Levinas (1971). Être ensemble exige que l’on réalise un certain
échange, autre que celui qui provient de la filiation, il implique une action,
un « faire » pour appartenir, c’est-à-dire, des actions qui doivent être réali-
sées à plusieurs afin que l’appartenance, qui se constitue sur la base de
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croyances inconscientes, puisse se transformer en lien. Le problème est
que les bords qui délimitent un contexte de constitution par rapport à
l’autre ne sont jamais établis une fois pour toutes. Ils ont tendance non
seulement à se superposer mais aussi à se confondre. Nous pourrions
même dire que l’un constitue l’autre et que c’est dans cette zone d’in-
terface que le lien se constitue.
Pour en revenir à la vignette des enfants de Mme X., ces enfants,
fils/filles/frères/sœurs, ont imaginé qu’ils pourraient résoudre un problème
ayant à voir avec ces places-là. Mais en fait, ce n’est qu’en tant que sujets
d’un groupe, d’un collectif qu’ils auraient pu se poser la question de
comment faire et que faire. Pour cela il aurait fallu connaître le problème
à résoudre et, par la suite, que ce soit le problème lui-même qui impose
les règles. Il faut le penser. Les règles imposées par le problème ne pour-
ront pas coïncider avec celles de la fratrie car ces dernières ne sont pas
des règles mais des Lois. Ceci est de l’ordre d’un travail psychique que
les membres de la famille n’ont pas l’habitude de faire parce qu’ils ont
du mal à croire qu’ils ont aussi entre eux des liens que j’appellerais
solidaires.
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Devoir solidaire
et devoir-obligation parento-filial
Pensons maintenant au double sens du mot devoir. Devoir renvoie à dette,
donc au passé, mais devoir renvoie aussi à ce qui doit se faire… penser…
au présent-futur. Le devoir-dette est d’ordre parento-filial tandis que le
devoir faire, comme condition contingente du lien social, est à la base
des liens solidaires. En ce qui les concerne, il y aurait la possibilité de
choisir et de décider de faire. Mais il intervient une nouvelle variable
ayant trait tout spécialement à la dynamique de ce que j’appelle le collec-
tif : il s’agit d’un vécu d’exploitation. Comment mesurer ce que chacun
apporte dans un faire ensemble ?
Reprenant la vignette de la famille de Mme X., est-ce que cette mère
peut devenir sujet d’un ensemble qui aura à se charger de faire quelque
chose ? Lorsque le petit-fils a demandé que l’on prenne en compte son
apport dans l’héritage, il est probable que ce commentaire provienne de
la mise en activité du sentiment d’exploitation que l’on retrouve en perma-
nence dans des questions de subjectivité sociale. Les bons comptes font
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les bons amis et l’amitié est de l’ordre du collectif. Mais comme ce
commentaire a introduit l’idée d’héritage, la confusion s’est installée.

Lien fraternel en terme d’un double contexte


Tout ce que je viens d’expliquer joue dans le lien fraternel et je m’oc-
cupe ici spécialement de ce qui déborde l’œdipe ou plutôt de ce qui est
d’un ordre autre que l’œdipe. Ces deux contextes de constitution de
subjectivité font que, d’une certaine manière, il est impossible de ne pas
ressentir que quelque chose manque toujours. Si les frères/sœurs se
pensent en tant que semblables, ce n’est pas tout à fait adéquat, mais s’ils
se considèrent en tant qu’enfants ce n’est pas suffisant, et s’ils se consi-
dèrent en tant que sujets sociaux, il y a dysfonctionnement. Ce manque
ne renvoie pas au désir mais à la superposition de structures.
Lorsque des parents manifestent que les conflits entre leurs enfants
surgissent uniquement quand ils arrivent, ils formulent avec certain éton-
nement des phrases comme «Ils jouaient si bien quand ils étaient seuls…»
ou « Quand nous n’étions pas là ». Je me demande si ces propositions-ci
ne relèvent pas de ce double contexte. Dans un contexte, il faut les parents.
Dans l’autre, tout simplement, un faire ensemble en tant que sujet social.
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190 LE DIVAN FAMILIAL

Représentation et présentation
Pour finir, il est nécessaire de souligner que je propose une différence
concernant la constitution de la subjectivité lorsqu’il s’agit de retrouver
illusoirement un objet perdu, ce qui correspond à la problématique de la
représentativité dans toute sa richesse et à la problématique de la présen-
tation (J. Puget, 1996, 1999, 2000, 2001, 2003). Pour cette dernière, je
conçois que la présentation est directement de l’ordre des effets de
présence dus à l’altérité en chacun et à ce qui de l’autre est aliéné. Cela
ouvre une grande discussion concernant le statut théorique du type de
trace que laissent les effets de présence. Là, j’aurais tendance à penser
en termes de fluidité à laquelle on doit certains effets qui dépendent de
la situation présente. Beaucoup de problèmes métapsychologiques se
posent à partir de ce qui vient d’être énoncé, mais ils débordent large-
ment le but de cette présentation.

Bibliographie
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Freud S. (1921). Psychologie des foules et analyse du moi, in Essais de psychana-
lyse, Paris, Payot (1981).
Levinas E. (1971). Totalité et infini, essai sur l’extériorité. Livre de poche, biblio
essais.
Puget J. (1996). « La réalité psychique : son impact sur l’analyste et le patient aujour-
d’hui. Réalité psychique : concepts théoriques. Réalité psychique ou réalités ».
Rev. Franc. Psychanalyse, 1/1995.
Puget J. (1996). Que faire de la culture ? Revue de psychothérapie psychanalytique
de groupe, 26.
Puget J. (1999). « La psychanalyse : un entre-deux qui se voile et se dévoile ». PTAH,
Psychanalyse-Traversées-Anthropologie-Histoire.
Puget J. (2000). « D’une scène à l’autre ». Connexions 74, 2.
Puget J. (2001a). « Mémoire sociale et sentiment d´appartenance. Mémoire sociale-
mémoire singulière. » Violence, trauma et mémoire, ouvrage collectif sous la
coordination de Fadhila Choutri. Casbah Éditions, 129.
Puget J. (2001b). « Nuevas dificultades : lo idéntico y lo múltiple ». Revista de la
Socieda Argentina de Psicoanálisis, 4.
Puget J. (2002). Dictionnaire International de la Psychanalyse, sous la direction
d´Alain de Mijolla.
Puget J. (2003). « Lien et relation d’objet », Adolescence.
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OUVERTURES ET DÉBATS 191



RÉSUMÉ

« À partir du lien fraternel : obligation ou solidarité. » À partir d´une vignette l’auteur


essaie de repérer deux modèles de constitution de subjectivité dans la relation frater-
nelle. L’un dépend du lien de sang qui oblige et contient l´idée de dette d´origine. Les
conflits sont sans fin, dus à la toujours présente complexité de la subjectivation œdipienne.
L’autre dépend de l´espace social, dans lequel se constitue la subjectivité sociale. C’est
le produit d’un travail de liaison à partir d’un jeu de différence pure entre les membres
d’un ensemble. L’altérité et l’aliénation de l’autre et de chacun y jouent un rôle.

MOTS-CLÉS

Lien — Œdipe — Foule — Subjectivité sociale.

SUMMARY
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« From brotherhood’s link : obligation and solidarity. » A clinical material will let the
author stress that the brotherhood’s link includes two models of the constitution of the
subjectivity. One of them depends on the blood link which obliges and includes the idea
of the origin debt. There the conflict is endless… since what is relevant is never ending
complexity of the Oedipus subjectivity. For the other model, what is important is the
social subjectivity which originates the link work- through based on the pure difference
among the members of the whole and that means taken into account the alterity and the
forever alieness of the other and of each other.

KEY WORDS

Link — Œdip — Mass — Social subjectivity.

RESUMEN

« A partir del vínculo fraterno : obligación y solidaridad. » Una viñeta clínica me permi-
tió destacar que la relación fraterna se compone de dos modelos de constitución de subje-
tividad. Uno de ellos depende del vínculo de sangre, que obliga y contiene la idea de
deuda de origen. Los conflictos no tienen fin… debido a la siempre presente compleji-
dad de la subjetivación edípica. El otro depende del espacio social en el cual se consti-
tuye la subjetividad social la que da origen a un trabajo vincular que se basa en el juego
de diferencia pura entre los miembros de un conjunto lo que implica tener en cuenta la
alteridad y la para siempre ajenidad del otro y de cada uno.
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PALABRAS CLAVE

Vínculo — Edipo — Masa — Subjetividad social.



DOCTEUR JANINE PUGET


psychanalyste
membre titulaire et directeur scientifique des départements
de psychanalyse de couple et de famille de APDEBA
(Association Psychanalytique de Buenos Aires)
et de AAPPDEG (Association argentine de psychothérapie de groupe)
membre de APDH (Association para los de Derechos Humanos)
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