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Les Etats dans les relations internationales économiques :

entre égalité et disparité


Batyah Sierpinski
Dans Civitas Europa 2013/1 (N° 30), pages 117 à 143
Éditions IRENEE / Université de Lorraine
ISSN 1290-9653
DOI 10.3917/civit.030.0117
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Les Etats dans les relations
internationales économiques :
entre égalité et disparité

Batyah SIERPINSKI
Maître de Conférences – HDR
IRENEE - Université de Lorraine

La société internationale contemporaine est conçue sur le principe de


l’égalité souveraine des Etats ou de « l’égalité en souveraineté »1. Les Etats sont
appréhendés en tant que sujet « uniforme » du droit international par l’article 2, § 1
de la Charte des Nations Unies pour qui « l’Organisation est fondée sur le principe
de l’égalité souveraine de tous ses Membres ». Ce principe, conçu dans l’après 2e
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Guerre mondiale, est affirmé comme essentiel dans le cadre des Nations Unies2.
Il concerne donc tout ce qui relève des relations internationales entre Etats, y
compris les relations économiques. Mais, si le principe de l’égalité souveraine
des Etats est bien affirmé dans les relations internationales de la société actuelle,
ne faut-il pas nuancer sa portée s’agissant des relations économiques des Etats
dans lesquelles apparaissent autant la disparité que l’égalité de ceux-ci ?
Les rapports économiques entre Etats, qui ont été conçus à une période
particulière de l’histoire contemporaine, montrent une approche quelque peu
hésitante de la société internationale. En effet, celle-ci est rapidement passée
d’une approche inégalitaire des Etats (I) à une approche tendant, soit à admettre
leur égalité, soit à envisager leurs différences (II). Pourtant, depuis qu’une crise
économique récente ébranle la société internationale, celle-ci ne cherche-t-elle
pas à dépasser ces oppositions en adoptant une nouvelle approche dans les
relations internationales économiques (III) ?

1 J. VERHOEVEN, Droit international public, Larcier, 2000, p. 125 ; M.-G. KOHEN, « Commentaire de
l’article 2 § 1», dans La Charte des Nations Unies, Commentaire article par article, Economica
3e ed, p. 407, qui rappelle qu’au cours de la Conférence de création des Nations Unies : « Le
délégué uruguayen avait proposé à San Francisco de remplacer l’expression "égalité souveraine"
par "égalité juridique", ce qui fut rejeté par 13 voix contre 20 ».
2 V. M.-G. KOHEN, déjà cité, pp. 399 à 420.
118 Batyah SIERPINSKI

I. Etats à statut juridico-économique inégalitaire


Dans les dernières années de la 2e Guerre mondiale, des Etats en guerre
ont décidé d’aborder leurs futures relations en priorité par le biais de questions
économiques. C’est en ce sens qu’a été organisée la Conférence de Bretton
Woods3, à l’origine des Accords du même nom qui ont créé les deux premières
organisations internationales économiques4. Ces organisations ont été voulues
avant même la mise en place de l’ONU qui a pris la suite de la SDN. Il est intéressant
de noter que les Etats membres de ces nouvelles organisations internationales
n’ont pas tous le même statut. En effet, dans l’une et l’autre organisation, les Etats
vont être différenciés en fonction de critères économiques (A). Cette première
approche institutionnelle des relations économiques internationales va se
développer dans la famille des Nations Unies avec la création de certaines
institutions spécialisées (B).

A. Des Etats à statuts différents dans les premières organisations


internationales “économiques”5

En dépit de l’échec apparent de la SDN en matière de maintien de la paix,


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au cours de la 2e Guerre mondiale, deux chefs d’Etat et de gouvernement6
considèrent qu’il est nécessaire de continuer à structurer la société internationale.
C’est ainsi que Roosevelt et Churchill proposent aux Etats alliés de commencer
à organiser cette société à partir de questions économiques. La Conférence de
Bretton Woods découle de cette proposition qui sera à l’origine de la création
de deux organisations internationales à portée monétaire et financière, le Fonds
monétaire international (FMI)7 et la Banque internationale de reconstruction et de
développement (BIRD)8. La manière dont le statut des futurs Etats membres de
ces organisations a été conçu est caractéristique de la vision que leurs initiateurs
avaient de l’impact des aspects économiques sur les relations internationales.

3 V. Conférence de Bretton Woods, juillet 1944, Thesaurus Encyclopædia Universalis, 2002,


p. 649.
4 Les Accords de Bretton Woods, créant le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque
internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) ont été adoptés suite à la
Conférence du même nom.
5 Le terme économique recouvre ici des notions aussi différentes que la finance, la monnaie, le
commerce, voire le développement.
6 En ce sens, v. Charte de l’Atlantique, adoptée pendant la guerre, 14 août 1941 par le Premier
ministre du Royaume-Uni, W. CHURCHILL et le président des États-Unis, F.-D. ROOSEVELT.
7 J.-M. SOREL, « Le Fonds monétaire international », dans Droit de l’économie internationale sous
la direction de P. DAILLER, G. de LA PRADELLE, H. GHERARI, Ed. A. Pedone, 2004, pp. 151 et s.
8 L. BOISSON DE CHAZOURNES, « Le groupe de la Banque internationale de reconstruction et de
développement », dans Droit de l’économie internationale, déjà cité, p. 163 et suivant.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 119

Par le traité constitutif de chacune de ces organisations, on constate que les


Etats membres ne sont pas tous considérés comme équivalents. C’est en
fonction de leur poids “économique” que chaque Etat obtient une place précise
dans l’une et l’autre organisation. De la place ainsi obtenue par les Etats un
pouvoir proportionnel de décision leur sera accordé. En faisant un tel choix,
les concepteurs de ces organisations voulaient vraisemblablement éviter que la
nouvelle société internationale ne soit un jour confrontée à une crise équivalente
à celle subie par de nombreux Etats dans les années trente et qui a entrainé
le développement d’intérêts étatiques économiques égoïstes9.

1. La place des Etats au FMI

Dans le texte initial des Statuts du FMI10, l’article II, portant sur la « Qualité de
membre » et l’article III, sur les « Quotes-parts et souscriptions », montrent qu’un
lien direct est fait entre le statut d’Etat membre et leur participation financière à
l’organisation. Comme l’intitulé de l’article III le suggère, la souscription des Etats
est liée à la quote-part qui leur est attribuée. En effet, tous les membres du FMI
souscrivent à une partie du financement de cette organisation par leur quotes-
parts11. Or, dès la création du FMI, la répartition de ces quotes-parts ne s’est
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pas faite sur une approche égalitaire de ses membres mais en fonction d’une
pondération entre Etats12. Pour Dominique Carreau, les rédacteurs des Statuts

9 Pour le FMI : v. http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/glancef.htm. Fiche technique


« Pourquoi le FMI a-t-il été créé et comment fonctionne-t-il ? » : « Le FMI, appelé parfois le "Fonds",
a été créé en juillet 1944, lors d’une conférence des Nations Unies tenue à Bretton Woods dans
le New Hampshire (États–Unis). Les quarante-cinq gouvernements représentés à la conférence
voulaient établir un cadre de coopération économique conçu pour éviter que ne se reproduise
le cercle vicieux des dévaluations compétitives qui avaient contribué à la Grande Dépression
des années 1930 ». Pour la BIRD, v. note 8 et M. DIEZ DE VELASCO VALLEJO, « Les organisations
internationales », Economica, 1999, pp. 389 et s.
10 Statuts du FMI et de la BIRD de 1944, dans la loi luxembourgeoise de décembre 1944
portant sur « La Conférence monétaire et financière des Nations Unies, Bretton Woods »,
http://observatoire.codeplafi.lu/pdf/loi/1945%2012%2024%20FMI%20et%20BIRD%20
statuts.pdf ; A - N° 74 / 27 décembre 1945.
11 Ibidem : Article III. Quotes-parts et souscriptions. Section 1. - Quotes-parts. Une quote-part
sera assignée à chaque Etat-membre. Les quotes-parts des Etats-membres représentés à la
Conférence Monétaire et Financière des Nations Unies et acceptant de faire partie du Fonds
avant la date spécifiée à l´Article XX, Section 2 (e), sont fixées dans le Supplément A. Les quotes-
parts des autres membres seront déterminées par le Fonds (…).
12 V. Note 10, pp. 981/982 qui présente la répartition initiale des quotes-parts des Etats
membres originaires. Par ailleurs, v. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/article_imprim.php3?id_
article=84146 : « L’organisation du FMI repose sur un système alliant la représentation de pays
ou de groupes de pays rassemblés au sein de circonscriptions et une pondération des voix aux
Conseils, calculée en fonction de la quote-part de chaque pays. En effet, la quote-part d’un pays
membre détermine le montant maximum de ressources financières que ce pays s’engage à
120 Batyah SIERPINSKI

du FMI ont conçu la souscription des membres de cette organisation comme la


participation à « une sorte de “mutuelle” dont le “capital social” était constitué par
des souscriptions étatiques calculées à partir de la richesse comparée des pays
membres et leur donnant un poids proportionnel »13. Ce poids proportionnel des
Etats est confirmé par l’étendue du pouvoir de décision qui leur est attribué par
l’article XII section 5 des Statuts du FMI. Selon la rédaction initiale de l’article XII,
« chaque État membre dispose de deux cent cinquante voix, plus une voix
additionnelle pour toute partie de sa quote-part équivalant à cent mille dollars
des Etats-Unis d’Amérique »14.
Cette modalité de souscription fixée en fonction du poids économique de
chaque Etat - avec un droit de vote en conséquence - bien qu’établie à une période
historique donnée est restée très longtemps inchangée, en dépit de possibilités de
révision générale ou ponctuelle prévues à l’article III des Statuts du FMI15. En dépit
des quelques révisions pratiquées entre 1948 et le début des années 200016,
le poids économique d’un certain nombre d’Etats membres, notamment les pays
développés, n’a pas fondamentalement changé par rapport à ce qui a été fixé
dans les Statuts du FMI de 1944. Comme Dominique Carreau, on peut dire que
« les Etats les plus riches, étant ici considérés comme les plus représentatifs
et à ce titre ayant droit aux quotes-parts les plus élevées, se trouveront tout
naturellement en situation de contrôler le Fonds monétaire comme le font
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normalement les plus gros actionnaires dans les sociétés commerciales »17.

fournir au FMI et le nombre de voix qui lui est attribué, déterminant également le montant de
l’aide financière qu’il peut obtenir. Contrairement à d’autres institutions comme l’ONU ou l’OMC,
le FMI a pour particularité de ne pas offrir une voix égale aux 186 États qui en sont membres.
Une quote-part est attribuée à chaque pays sur la base de son importance relative au sein de
l’économie mondiale ».
13 D. CARREAU, Le Fonds monétaire international, Ed. A. Pedone, 2009, p. 24
14 Ce texte initial (v. note 10) a été modifié avec la réforme de 1969 qui a remplacé l’utilisation au
FMI du dollar américain par les droits de tirages spéciaux (DTS).
15 « ARTICLE III : Quotes-parts et souscriptions. Section 1. Quotes-parts et paiement des
souscriptions ; Une quote-part, exprimée en droits de tirage spéciaux, est assignée à
chaque État membre. Les quotes-parts des États membres représentés à la Conférence
monétaire et financière des Nations Unies et ayant adhéré avant le 31 décembre 1945,
sont celles qui figurent à l’annexe A. Les quotes-parts des autres États membres sont fixées
par le Conseil des gouverneurs. La souscription de chaque État membre est égale à sa
quote-part et elle est versée intégralement au Fonds auprès du dépositaire approprié.
Section 2. Révision des quotes-parts ; Tous les cinq ans au moins, le Conseil des gouverneurs
procède à un examen général des quotes-parts des États membres et, s’il le juge approprié, en
propose la révision. Il peut également, s’il le juge opportun, envisager à tout autre moment, à la
demande d’un État membre, l’ajustement de sa quote-part (...) ».
16 V. http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/quotasf.htm.
17 Pour D. CARREAU, déjà cité, p. 61, les italiques sont de l’auteur.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 121

2. La place des Etats membres de la BIRD

La Banque internationale pour la reconstruction et le développement a été


conçue en lien direct avec le FMI et sur un modèle comparable. Elle possède donc
un mode de fonctionnement quasi identique.
Le lien entre ces deux organisations est établi à l’article II des Statuts de
la BIRD, selon lequel tout membre de celle-ci doit aussi être membre du FMI18,
vraisemblablement parce que « les Etats fondateurs voulaient obliger les Etats
membres à se conformer aux directives monétaires du Fonds pour pouvoir
bénéficier des prestations de la Banque »19. Ce même article II précise le statut de
membre de cette institution ainsi que les modalités de souscription à son capital,
très proches de ceux du FMI. On y retrouve ainsi la manière dont les Etats membres
originaires participent à cette souscription, comme prévue au “Supplément A”
– devenu ultérieurement “Annexe A”. Cette annexe est conçue à l’image de la
répartition des quotes-parts du FMI avec les mêmes Etats désignés comme les
souscripteurs originaux les plus importants20. Pour les futurs Etats membres
de la BIRD, c’est la Banque qui décidera de l’importance de leur souscription
et qui « édictera des règles déterminant les conditions dans lesquelles les Etats
membres pourront, en sus de leurs souscriptions minima, souscrire d’autres
parts du capital autorisé de la Banque »21. Cette annexe, citée dans la section 3
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de l’article II, confirme la similitude du fonctionnement de la BIRD et du FMI pour
la répartition des quotes-parts. En effet, comme pour le FMI, les Etats membres
de la Banque participent à son capital avec des souscriptions proportionnelles à
leur poids économique. On retrouve le même système de pondération.
Les modalités de vote des membres de la BIRD sont, elles aussi, proches du
système de vote au FMI. Selon l’article V section 3 des Statuts de la BIRD, « chaque
membre disposera de deux cent cinquante voix, avec une voix additionnelle pour
chaque action détenue par lui »22.

18 Article II - Section 1. Affiliation : (a) Les membres originaires de la Banque seront les membres du
Fonds Monétaire International qui accepteront de s’affilier à la Banque avant la date spécifiée à
l’article XI, section 2 (e). (b) L’accès à la Banque sera ouvert aux autres membres du Fonds aux
moments et aux conditions prescrits par la Banque.
19 L. BOISSON DE CHAZOURNES, déjà cité, p. 168.
20 V. Note 9 pour comparer les souscriptions d’Etats dans le Supplément A du FMI (pp. 981/982)
et celles du Supplément de la BIRD (p. 1004).
21 V. Statuts de la BIRD, Article II Participation de la banque et capital de la banque (…). Section
3. - Souscription des actions : (a) Chaque membre devra souscrire aux actions de la Banque.
Le nombre minimum d'actions devant être souscrites par les membres originaires est indiqué au
Supplément A. Le nombre minimum d´actions devant être souscrites par les autres membres
sera fixé par la Banque, qui mettra en réserve une part suffisante de son capital en portefeuille
pour être souscrite par les dits membres (…).
22 V. note 11 pour le texte initial de la BIRD.
122 Batyah SIERPINSKI

Cette ressemblance statutaire entre les deux organisations a été confirmée,


en 2010, dans l’analyse du Comité du Développement, organe commun au FMI et
à la Banque mondiale, pour qui « le principe de base qui sous-tend la répartition
du capital entre les différents États membres de la BIRD est que la participation
de chaque actionnaire doit refléter son poids relatif dans l’économie mondiale.
Jusqu’à présent, la Banque se conformait à ce principe en respectant le
parallélisme avec les quotes-parts du FMI, utilisées comme variable indicative du
poids économique »23.

Le FMI et la BIRD, premières organisations de la société internationale actuelle,


ont été conçus avec des Etats membres qui, à la différence de l’ONU, ne relèvent
pas du principe de l’égalité souveraine des Etats. Ce principe va pourtant avoir une
place prépondérante pour les Etats membres de l’ONU, organisation elle-même
créée peu de temps après ces deux devancières. Si, à l’ONU, les Etats membres
sont considérés comme souverains et égaux, il n’en va pas de même dans ces
deux organisations économiques où la disparité entre Etats l’emporte sur l’égalité.
Cette approche particulière d’Etat membre d’organisations internationales
économiques va être maintenue et reprise pour de nouvelles “institutions” qui
seront spécialisées dans ce même domaine.
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B. Approche comparable du statut d’Etat membre dans des
institutions spécialisées en matière économique

L’article 57 de la Charte des Nations Unies prévoit un lien entre l’ONU et de


futures institutions spécialisées « dans les domaines économique, social, de la
culture intellectuelle et de l’éducation, de la santé publique et autres domaines
connexes »24. Les Etats créateurs de chaque institution spécialisée choisissent
librement la place attribuée à leurs Etats membres25. Il faut noter que des
institutions spécialisées en matière économique se sont inspirées du modèle
adoptées par le FMI et la BIRD pour établir le statut de leurs Etats membres.
C’est notamment le cas des institutions qui ont un lien direct avec la Banque
mondiale26.

23 V. Comité du développement (Comité ministériel conjoint des Conseils des Gouverneurs de la


Banque mondiale et du Fonds monétaire international sur le transfert de ressources réelles aux
pays en développement) DC2010-0006/1, 25 avril 2010, § 6 : http://siteresources.worldbank.
org/INTFREDEVCOMM/Documentation/22581658/DC2010-0006-1%28F%29Voice.pdf
24 V. Charte des Nations unies, Article 57 § 1.
25 V. A.-H. ZARB, Les institutions spécialisées du système des Nations unies et leurs membres,
Pedone, 1980, G. DEVIN, M.-C. SMOUTS, Les organisations internationales, Armand Colin, 2011.
26 La BIRD a été rapidement qualifiée de «Banque mondiale» bien qu’aujourd’hui cette appellation
corresponde à la BIRD et à l’Association internationale de développement, v. Guide de la Banque
mondiale, ed. La Banque mondiale, De Boeck, p. 10.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 123

Depuis sa création en 1944, la Banque mondiale s’est peu à peu transformée


en un ensemble de cinq institutions, appelé aujourd’hui le Groupe de la Banque
mondiale. S’ajoutent à la BIRD, quatre autres institutions qui ont été créées,
entre 1956 et 1985. Il s’agit de la Société financière internationale (SFI 1956),
de l’Association internationale du développement (AID 1960), du Centre
international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI
1965) et de l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI 1985)27.
Différents articles du statut de chacune de ces institutions spécialisées montrent
leur lien direct avec la Banque mondiale28.
Dans ce groupe d’institutions spécialisées, le statut d’Etat membre est
comparable à celui utilisé au FMI et à la BIRD, lorsque l’on sait que « les cinq
institutions du Groupe de la Banque appartiennent à leur pays membres »29.
En effet, dans le cadre de la SFI, l’AID et l’AMGI, les Etats membres « achètent des
parts de l’institution et participent ainsi à la formation de son capital et de son
pouvoir d’emprunt »30.
On retrouve également, dans chaque institution, le lien établi par les
concepteurs du FMI et de la BIRD entre la participation des Etats membres au
capital et le droit de vote. Ainsi pour la SFI, c’est l’article IV section 3 qui prévoit
que « chaque membre disposera de 250 voix, avec une voix additionnelle pour
chaque action qu’il détient ». Dans le même esprit, les Statuts de l’AID organise
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le droit de vote à l’article VI section 3, en précisant à l’alinéa a/ que « chaque
membre originaire disposera, en ce qui concerne sa souscription initiale, de 500
voix et d’une voix additionnelle par tranche de 5 000 dollars de sa souscription
initiale ». Selon ce même article, les souscriptions et les droits de vote de futurs
membres seront établis par le Conseil des Gouverneurs. Pour l’AMGI, l’article 39
de son texte constitutif, intitulé « Vote et ajustements des souscriptions », précise
qu’au vu « de l’importance de la participation financière de chaque Etat membre,
chacun d’eux dispose de 177 voix d’adhésion, plus une voix de souscription pour
chaque action du capital détenu ».
Ainsi, ces institutions spécialisées ont en commun, non seulement un lien
avec le FMI et la Banque mondiale31, mais aussi une participation des Etats
membres à leur financement sur une base inégalitaire ainsi qu’une participation

27 D’autres institutions spécialisées des Nations Unies peuvent aussi figurer dans la catégorie
d’institutions économiques mais de manière plus indirecte ; ce qui explique qu’elles ne seront
pas abordées. C’est le cas de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel
(ONUDI) créée en 1965, devenue une institution spécialisée en 1979 et du Fonds international
pour le développement agricole créé en 1976.
28 A titre d’exemple : pour la SFI et l’AID, v. article II, section 1 de chaque statut ; Pour l’AMGI,
v. article 39 et 61 ; Pour le CIRDI, v. article 2 et 5.
29 Guide de la Banque mondiale, déjà cité, p. 72.
30 Ibidem, v. également les articles organisant les souscriptions au capital de ces IS : AID, article II
section 2 ; SFI, article II section 2 ; AMGI, article 6.
31 Rappelons qu’un lien est obligatoire entre le FMI et la BM, comme prévu à l’article II section 1
des Statuts de la BIRD.
124 Batyah SIERPINSKI

proportionnelle à toute prise de décision.


Dans ces différentes structures économiques, l’approche disparate ou
inégalitaire des Etats membres semble se justifier par la nécessité de tenir compte
de leur capacité effective d’action. Le statut spécifique des Etats membres de
l’ensemble de ces organisations à portée économique a perduré de manière
quasi inchangée pendant de longues années. Si des réformes ponctuelles, plus
ou moins importantes, ont été adoptées, elles n’ont pas pour autant modifié
fondamentalement le statut d’Etat membre32.

Ces approches institutionnelles, en matière économique, qui différencient


les Etats membres ont été rapidement bousculées par des visions opposées
sur la place des Etats dans deux autres structures internationales du domaine
économique. Ces structures concernent le commerce international et la question
du développement.

II. Etats égaux ou Etats appréhendés en fonction


de leurs différences économiques dans certaines
structures économiques internationales
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En dehors des premières organisations internationales à compétence
économique ou générale, une « structure » économique internationale a vu le
jour dans l’après 2e Guerre mondiale en matière commerciale. Cette structure
correspond à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General
Agreement on Tarifs and Trade, GATT) dans lequel les parties contractantes étaient
considérées à égalité (A). Parallèlement, dans le cadre de l’ONU, organisation
dans laquelle les membres sont en principe égaux, une de ses structures va tenir
compte de la situation économique particulière de certains Etats (B).

A. L’égalité des Parties Contractantes de l’Accord général sur les


tarifs douaniers et le commerce

L’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce a été adopté à la fin
des années 40 du siècle dernier, presque parallèlement à la mise en place du FMI
et de la BIRD. Cet accord devait permettre d’améliorer les échanges commerciaux
internationaux. Il a occupé une place originale dans le cadre international à la fois

32 A titre d’exemple, pour l’évolution du FMI, jusqu’en 2004, v. J.-M. SOREL, déjà cité, pp. 159
à 162 ; D. CARREAU, déjà cité, pp. 24 à 28 et pp. 56 et s, § 85 ; pour la BIRD, v. C.-A. COLLIARD
et L. DUBOUIS, Institutions internationales, 10e édition, Dalloz, pp. 457 et s, J.-F. GUILHAUDIS,
Relations internationales contemporaines, 3e édition, Litec, pp. 272 et s.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 125

par la durée qu’il a connue dans son domaine de compétence et par son mode
de fonctionnement différent de celui des premières organisations économiques.
Après la création des premières organisations internationales économiques,
en 1947, une « Conférence sur le commerce et l’emploi » a été convoquée
à La Havane pour permettre également d’organiser ce domaine. Lors de cette
conférence, une cinquantaine d’Etats ont adopté la « Charte de la Havane
instituant une organisation internationale du commerce » (OIC)33. Mais, suite au
refus des Etats-Unis de la ratifier, c’est l’Accord général, lui aussi adopté en 1947,
qui va prendre sa place alors qu’il n’aurait dû fonctionner que temporairement,
le temps de la mise en place définitive de l’OIC. Il faut noter qu’une telle possibilité
de blocage dans l’adoption de l’OIC avait été envisagée par les concepteurs du
GATT, comme le prévoyait effectivement l’article XXIX, intitulé « Rapports du
présent Accord avec la Charte de La Havane ». Selon le paragraphe 3 de cet article
« si, à la date du 30 septembre 1949, la Charte de La Havane n’est pas entrée en
vigueur, les parties contractantes se réuniront avant le 31 décembre 1949 pour
convenir si le présent Accord doit être amendé, complété ou maintenu ».
En réalité, dès décembre 1945, la question de futurs échanges commerciaux
avait déjà été abordée par une quinzaine d’Etats. Ainsi, « une première série
de négociations a abouti à un ensemble de règles commerciales et à 45 000
concessions tarifaires portant sur environ un cinquième du commerce mondial,
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soit 10 milliards de dollars » 34. En 1947, ces négociations ont été complétées
par l’adoption de l’Accord qui s’appliquera jusqu’en 1994. De la mise en œuvre
initiale du GATT à sa prolongation dans le temps, une forme d’institutionnalisation
de ce qui avait été prévu entre les gouvernements de Parties Contractantes35,
notamment le fait d’organiser « leurs rapports dans le domaine commercial et
économique »36.
Les rapports entre les parties à cet Accord sont différents de ceux qui venaient
juste d’être retenus pour les premières organisations, monétaire et financière,
internationales.
Précisons que le préambule de l’Accord fait référence à des “parties
contractantes” (PC) qui ne sont définies qu’à l’article XXXII, § 1er. Ainsi, « seront
considérés comme parties contractantes au présent Accord les gouvernements
qui en appliquent les dispositions conformément à l’article XXVI, à l’article XXXIII ou
en vertu du Protocole d’application provisoire ». En s’appuyant parallèlement sur

33 V. Conférence des Nations unies sur le commerce et l’emploi, E/CONF. 2/78.


34 V. Comprendre l’OMC, p. 15, dans http://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/utw_
chap1_f.pdf.
35 Même si l’expression « Etats membres » n’apparait pas dans le texte du GATT, il s’agit bien d’Etats
présentés selon une formulation particulière, v., GATT 1947, « article XXVI (…) 5. a) Chaque
gouvernement qui accepte le présent Accord l’accepte pour son territoire métropolitain et pour les
autres territoires qu’il représente sur le plan international, à l’exception des territoires douaniers
distincts qu’il indiquera au Secrétaire exécutif des PARTIES CONTRACTANTES au moment de sa
propre acceptation ».
36 Préambule du GATT.
126 Batyah SIERPINSKI

le préambule, le paragraphe 1e de l’article XXXII et la liste initiale des signataires


de l’Accord, on constate que les membres de cet Accord sont les gouvernements
d’Etats ou territoires douaniers.
L’article XXV de l’Accord général précise les modalités d’« action collective des
parties contractantes » en montrant qu’elles fonctionnent sur la base du principe
d’égalité. En effet, selon le paragraphe 3 de cet article « chaque partie contractante
dispose d’une voix à toutes les réunions des PARTIES CONTRACTANTES »37.
En d’autres termes, le GATT traite effectivement à égalité tous ses membres,
indépendamment de toute spécificité notamment économique. Cette différence
d’approche des membres du GATT par rapport à ceux du FMI et de la BIRD
s’explique-t-elle par la différence de domaines de compétence de chacune de ces
structures ? Le domaine des échanges est-il plus propice à un statut égalitaire que
ne le sont les domaines monétaire et financier ? La réponse à cette interrogation
provient en réalité de la nature particulière du GATT qui, ne cherchant pas à créer
une organisation au sens strict, pouvait sans difficulté mettre à égalité toutes les
PC.
Pourtant, la prolongation de la mise en œuvre du GATT a fini par le faire
fonctionner comme une organisation internationale, fondée, en l’occurrence, sur
le principe d’égalité entre ses membres. Ainsi, son organe principal, composé
de l’ensemble des parties contractantes, est la “Conférence des PC”. Mais, en
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1960, les PC ont décidé de mettre en place un nouvel organe, le Conseil des
représentants ou Conseil du GATT, destiné à assurer la continuité du GATT dans
l’intervalle des sessions de la Conférence des PC et à devenir une structure de
coordination de tous les comités d’experts et des groupes de travail qui avaient
été peu à peu créés. Si, initialement, seules les PC intéressées participaient à
cet organe, il a fallu attendre les années soixante-dix pour que toutes les parties
contractantes y soient représentées.
La technique de prise de décision de cette structure respecte aussi le principe
de l’égalité des membres. Mais, la pratique des prises de décision a fait évoluer
la technique initialement prévue dans l’Accord38. Le texte du GATT organise des
prises de décision par vote à majorité différente, selon les questions traitées,
sur la base d’une voix par PC. Mais, rapidement les PC ont préféré utiliser la
technique du « consensus » plutôt que celle du vote.

37 V. Article XXV « Action collective des parties contractantes » dont le § 1 apporte la précision
suivante : « 1. Les représentants des parties contractantes se réuniront périodiquement afin
d’assurer l’exécution des dispositions du présent Accord qui comportent une action collective,
et, d’une manière générale, de faciliter le fonctionnement du présent Accord et de permettre
d’atteindre ses objectifs. Toutes les fois qu’il est fait mention dans le présent Accord des
parties contractantes agissant collectivement, elles sont désignées sous le nom de Parties
contractantes ».
38 GATT, Article XXV - Action collective des parties contractantes, (…) 3. Chaque partie contractante
dispose d’une voix à toutes les réunions des PARTIES CONTRACTANTES. 4. Sauf dispositions
contraires du présent Accord, les décisions des PARTIES CONTRACTANTES seront prises à la
majorité des votes émis.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 127

Par ailleurs, le texte du GATT prévoit, dans son article I, le principe de non-
discrimination « qui s’analyse essentiellement en une égalité de traitement »39
pour toutes les PC. Le respect de ce principe ne pose pas de problème lorsqu’il
s’applique à des PC en situation économique, voire politique, a priori comparable.
Mais, ce principe sera difficilement respecté entre des PC en situation économique
divergente comme l’évolution du GATT le confirmera. Ainsi le cas de PC en situation
politico-économique différente va devoir être pris en compte dans le cadre du
GATT, avec la multiplication d’accession de nouvelles parties contractantes, au fur
et à mesure de la décolonisation40.
Si dans les années qui ont suivi la 2e Guerre mondiale, la société internationale
a abordé de manière contrastée la participation des Etats dans différents
types de rapports économiques, ce constat va s’amplifier pendant ou après la
décolonisation, période au cours de laquelle de nouvelles différenciations d’Etats
vont apparaitre.

B. Prise en compte de différences économiques entre Etats à l’ONU

Peu de temps après la création des premières structures économiques de la


société internationale, l’Assemblée générale (AG) va rapidement s’intéresser aux
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situations économiques différentes de certains Etats membres de l’ONU. Dès le
4 décembre 1948, lors de sa deuxième session, elle a adopté la résolution 198
qui demande au Conseil économique et social et aux institutions spécialisées de
mettre tout en œuvre pour « favoriser le développement économique et relever
le niveau de vie des pays insuffisamment développés ». Avec cette résolution
apparait, dès les premières années des Nations Unies, le constat que des Etats se
trouvent en situation économique différente. Suivant cette résolution, il apparait
que des Etats sont développés alors que d’autres ne le sont pas suffisamment.
C’est donc en évoquant l’hypothèse de difficulté de développement que l’AG
a abordé la question de disparité de fait entre Etats, qui est fondée sur des
situations économiques différentes. Cette vision de l’AG est l’amorce de la prise
en compte d’un droit du développement qui deviendra ultérieurement le droit au
développement41. Or, selon E. Jouannet, « la notion de droit du développement de
l’époque d’après-guerre présuppose précisément certains postulats économiques
qui vont s’imposer avec lui, notamment la loi sacro-sainte de la croissance, de
l’augmentation nécessaire de la production fondée sur des investissements
et l’aide extérieure, le principe du libre échange et l’existence d’un système
commercial et monétaire multilatéral »42.

39 T. FLORY, Le G.A.T.T., Droit international et commerce international, LGDJ, 1968, p. 11.


40 V. le développement suivant.
41 A/RES/41/128 du 4 décembre 1986.
42 E. JOUANNET, Le droit international libéral-providence - Une histoire du droit international,
128 Batyah SIERPINSKI

Ces deux approches du développement vont marquer l’ONU, s’agissant


notamment de la prise en compte de nouvelles catégories d’Etats et des
conséquences qui en découleront.
Dans l’esprit de sa résolution 198, l’Assemblée générale va approfondir la
question de différences économiques entre Etats en s’appuyant sur l’analyse
de leur développement. En 1962, dans une résolution portant convocation de la
Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED),
elle opère une différenciation entre Etats, selon leur niveau de développement.
Ainsi, elle note que « (...) les termes de l’échange continuent à opérer au détriment
des pays en voie de développement, ce qui accentue la situation défavorable de
leur balance des paiements, et partant, réduit leur pouvoir d’importation (...) »43.
Un an plus tard, dans la résolution 1897 (XVIII), l’AG présente la « Déclaration
commune des pays en voie de développement »44, portant sur la réalité du
commerce entre d’une part, les pays en voie de développement et d’autre part,
les pays industrialisés. À cette date, le commerce international relevait quasi-
essentiellement du GATT qui, initialement, ne tenait pas compte de la différence
de développement entre ses Parties Contractantes. Or, les Etats du Groupe des
7745 ont insisté sur l’importance de cette nouvelle Conférence pour permettre aux
PVD – selon le vocabulaire de l’époque – d’« atteindre le stade de la croissance
économique autonome ». Ils estiment que « les principes et la structure des
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échanges mondiaux continuent à jouer en faveur des régions avancées du
monde »46 et qu’« au lieu d’aider les PVD à accélérer l’expansion et la diversification
de leurs économies, les tendances actuelles du commerce mondial les privent du
résultat des efforts qu’ils font pour obtenir une croissance plus rapide »47.
Toujours avec cette même vision, l’Assemblée générale adopte en décembre
1964, la résolution 1995 (XIX) qui institutionnalise la « Constitution de la Conférence
des Nations Unies sur le commerce et le développement en tant qu’organe de
l’Assemblée générale »48. Comme précisé dans cette résolution, c’est suite aux
études faites par les premières CNUCED sur le fonctionnement des institutions

Bruylant, 2011. V. notamment le chapitre VII « L’évolution particulière de la finalité providentialiste :


tiers monde(s) et développement », pp. 317 et s. A cet égard, selon l’auteur, le Pacte de la SDN
différenciait déjà des éléments de la société internationale, comme à l’article 22 qui oppose les
peuples colonisés aux nations développées. Elle constate, p. 323, que « C’était la première fois
qu’un texte juridique international utilisait le critère du développement pour classer les Etats du
monde sur une échelle allant du moins développé au plus développé ».
43 A/RES/1785 (XVII), 8 décembre 1962, « Conférence des Nations Unies sur le Commerce et
le développement ».
44 A/RES/1897 (XVIII), 11 novembre 1963 ; V. notamment l’annexe : Déclaration commune des pays
en voie de développement par les représentants des Etats suivants (75 noms sont énumérés).
45 Le groupe des 75 Etats signataires de la Déclaration commune (de la note ci-dessus) vont
rapidement devenir le Groupe des 77 ou G77.
46 A/RES/1897 (XVIII), 11 novembre 1963, Annexe, II, 3.
47 Ibidem Annexe, II, 3.
48 A/RES/1995 (XIX) 30 décembre 1964 ; la CNUCED est donc un organe subsidiaire de l’AGNU.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 129

internationales existantes qu’il a été constaté « à la fois leur contribution et leurs


limites en tant que moyens de résoudre tous les problèmes du commerce et les
problèmes connexes du développement »49. L’Assemblée générale a ainsi justifié
l’institutionnalisation de cet organe, qui perdure toujours actuellement.
Sans développer outre mesure la structuration et le mode de fonctionnement
de la CNUCED, il faut rappeler qu’ils ont été conçus avec une approche différente
de ce qui prévalait dans les structures économiques existantes au moment sa
création. Rappelons que « les membres de la Conférence des Nations Unies sur
le commerce et le développement sont les Etats membres de l’ONU ou membres
d’institutions spécialisés ou de l’Agence internationale de l’énergie atomique »50.
En outre, un organe permanent, le « Conseil du commerce et du développement »51
a été prévu dès l’origine. Il s’agit d’un organe restreint mais qui se compose
pourtant d’un nombre conséquent de membres. Ce Conseil deviendra de plus
en plus important, au fil des adhésions à l’ONU, donc à la CNUCED, en passant
de 55 membres à l’origine, à plus de 150 aujourd’hui. Les membres du Conseil
du commerce et du développement sont désignés par la Conférence elle-même,
qui « tient pleinement compte tant de la nécessité d’assurer une répartition
géographique équitable que du souci de maintenir la représentation des
principaux Etats commerçants »52. Par ailleurs, l’annexe de la résolution 1995
(XIX) répartit les Etats membres de la CNUCED, et donc potentiellement membres
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du Conseil du commerce et du développement, en quatre groupes d’Etats. Cette
répartition correspond à « quatre groupes géopolitiques d’Etats »53. On y trouve
le groupe A, composé de 66 Etats d’Afrique et d’Asie, qui seront représentés au
conseil du commerce et du développement par 22 membres, le groupe B avec 30
Etats occidentaux, qui auront 18 représentants au conseil, le groupe C, avec 22
Etats latino-américains, représentés par 9 membres au conseil et enfin, le groupe
D, qui, selon la formulation de l’époque, se compose de 9 Etats « à économie
centralement planifiée »54, représenté par 6 Etats au conseil du commerce et
du développement. Cette répartition d’Etats en quatre catégories correspond
vraisemblablement à la réalité « des principaux Etats commerçants » des années
60. Les différentes listes de pays composant l’annexe de cette résolution
existent toujours, tout en ayant évolué dans leur composition parallèlement aux
modifications de la composition de l’ONU.

49 Ibidem, préambule § 5 qui continue à mettre en perspective des situations de développement


différent selon les Etats.
50 Ibidem, II, 1 ; composition qui se veut la plus large possible.
51 Ibidem, II, 4.
52 Ibidem, II, 5.
53 V. J. DUTHEIL de LA ROCHERE, « Etude de la composition de certains organes subsidiaires
récemment créés par l’AGNU dans le domaine économique », AFDI 1967, volume 13, pp. 311 et s.
54 Ibidem, p. 312.
130 Batyah SIERPINSKI

Actuellement, la CNUCED comprend tous les Etats membres de l’ONU,


soit 193 Etats, alors que son organe “restreint” se compose de 155 Etats55,
toujours répartis entre ces quatre listes. Toutefois, depuis la fin de la guerre
froide, la composition du Conseil du Commerce et du développement n’est plus
géopolitique, elle est essentiellement géographique tout en maintenant la notion
de “réalité” du commerce international.
S’agissant de la prise de décision à la CNUCED, elle est caractéristique du
système des Nations Unies selon lequel un Etat égale une voix. Les décisions y
sont donc prises à la majorité des votants, à la différence de ce qui se pratiquait
à la même époque dans les institutions spécialisées en matière économique.
Il semble bien pourtant qu’à l’origine de la création de la CNUCED, les pays
occidentaux étaient inquiets car ils « savaient qu’ils seraient inévitablement
minoritaires »56, surtout en comparaison avec le système de prise de décision en
place au FMI et à la Banque Mondiale, où, « les droits de vote sont proportionnés
aux apports en capital, ce qui, pour les pays riches, limite les risques d’être
dépossédés du pouvoir »57.
Hormis ces premières différenciations d’Etats, la CNUCED va impulser l’usage
de nouvelles catégories ou sous-catégories d’Etats. Ainsi, va apparaitre la catégorie
des « pays les moins avancés » (PMA) qui sera suivie d’autres catégories.
« C’est à la première session de la CNUCED, en 1964, que l’on a commencé
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à porter un intérêt particulier à ce que l’on appelait alors les “moins avancés”
des pays en voie de développement »58. À la deuxième session, la « question de
la catégorie des pays les moins avancés a été examinée dans le détail. Les Etats
membres ont alors collectivement consenti à l’établissement d’une catégorie
spécifique, regroupant les pays les moins avancés et qui donnerait lieu à des
mesures spéciales en faveur des économies les plus défavorisées »59. Différentes
études, menées tant dans le cadre de la CNUCED que du Conseil économique
et social de l’ONU, ont permis d’identifier des pays pouvant appartenir à cette
catégorie. Par la suite, deux organes des Nations Unies – le « comité de la
planification et du développement »60 et le « groupe spécial d’experts des mesures
spéciales en faveur des PMA »61 – ont établi des critères permettant de faire une

55 http://www.unctad.org/fr/docs/tdbinf215_fr.pdf
56 D. CLERC, La CNUCED, http://sung7.univ-lyon2.fr/spip.php? article123, IEP Lyon, 10 avril 2003.
57 Ibidem.
58 V. http://www.unctad.org/conference/french/bkgfr.htm.
59 Manuel relatif à la catégorie des pays les moins avancés : inscription, retrait et mesures spéciales
d’appui, Comité des politiques de développement et Département des Affaires économiques et
sociales, Nations Unies, janvier, 2011, p. 2.
60 Devenu par la suite Comité des politiques de développement, cf. Manuel relatif à la catégorie des
pays les moins avancés …, déjà cité, p. 3.
61 V. A/RES/2768 (XXVI), 18 novembre 1971 « Identification des pays en voie de développement
les moins avancés » ; dans cette résolution, l’AG accepte le rapport des deux organes et la
Résolution 1628 (LI) du Conseil économique et social permettant la détermination de pays les
moins avancés.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 131

liste d’Etats entrant dans la catégorie de PMA. Les premiers critères retenus
pour qualifier des Etats de « pays les moins avancés » sont « un faible produit
intérieur brut par habitant (PIB) et la présence d’empêchements structurels à
la croissance »62. Le Conseil économique et social et l’Assemblée générale ont
successivement approuvé, en 1971, une liste provisoire de vingt-cinq Etats entrant
dans cette catégorie particulière au sein des pays en voie de développement.
Les critères permettant de faire entrer un Etat dans la catégorie des PMA
se sont affinés dans le temps. Cette catégorie qui existe toujours comprend
aujourd’hui 48 Etats63, à propos desquels on peut dire qu’ « actuellement,
l’identification des PMA repose sur des valeurs de seuil prédéterminées afférentes
à trois critères principaux retenus pour identifier les handicaps structurels :
a) le revenu national brut (RNB) par habitant, b) l’indice du capital humain (ICH),
c) l’indice de vulnérabilité économique (IVE) auxquels s’ajoute depuis 1991 une
évaluation limitative de la population à 75 millions d’habitants »64.
Par ailleurs, en 1972, la CNUCED met en perspective des problèmes propres
aux “pays insulaires” en voie de développement en demandant à un Groupe
d’experts d’étudier ces questions pour en tirer des enseignements appropriés65.
Vingt ans plus tard, lors de la Conférence de la Barbade, la situation de « petits
Etats insulaires en développement » va être à nouveau abordée66. A la fin de cette
conférence, la Déclaration de la Barbade sera adoptée qui aborde la question
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générale du développement durable de ces Etats. Le IVe point de la Déclaration
constate que « les petits Etats insulaires en développement sont de faibles
dimensions, ont une économie vulnérable dépendant d’une base de ressource
limitée et sont tributaires du commerce international, mais n’ont pas les moyens
d’influer sur les conditions de celui-ci ». Il est conseillé à ces Etats de mettre en
place eux-mêmes différentes solutions nationales avec « l’assistance et le soutien
de la communauté internationale »67.
Tout comme la CNUCED, l’Assemblée générale de l’ONU différencie les
Etats selon leur niveau de développement. Par exemple, en 1957, elle amorce
une catégorisation d’Etats en « reconnaissant qu’il est nécessaire que les pays
sans littoral jouissent de facilités de transit adéquates si l’on veut favoriser le

62 V. Manuel relatif à la catégorie des pays les moins avancé …, déjà cité, p. 4.
63 V. Quatrième conférences des Nations Unies sur les PMA, FAQ dans : http://www.un.org/wcm/
content/site/ldc/lang/fr/home/Background/quick_facts.
64 Pour l’ensemble de ces critères, v. Manuel relatif à la catégorie des pays les moins avancés …,
déjà cité, pp. 47 et s.
65 V. le rapport du Groupe d’experts, dans « Pays insulaire en voie de développement », TD/B/443/
Rev.1, New York, 1974.
66 A/COF.167/9 Rapport de la Conférence mondiale sur le développement durable des petits Etats
insulaires en développement, PEID, (Barbade), 25 avril-6 mai 1994.
67 V. http://www.un.org/french/events/sidsprog.htm#two Première partie, notamment, point IV
et V ; Cette déclaration est suivi d’un programme d’action pour le développement durable des
PIED.
132 Batyah SIERPINSKI

commerce international »68. De même, dans la résolution 3201 (S-VI) de mai


1974, elle insiste sur la nécessité « d’assurer le développement rapide de tous
les pays en voie de développement tout en portant une attention particulière à
l’adoption de mesures spéciales en faveur des pays en développement les moins
avancés, sans littoral et insulaires (...)69. Ce type de classification a perduré à
l’AG entre les années 50 et la Déclaration du Millénaire de 2000. Dans cette
Déclaration, l’AG se réfère à nouveau à des catégories d’Etats connaissant des
difficultés économiques spécifiques. Pour elle, il faut « prendre en compte les
besoins particuliers des pays les moins avancés, (…) appréhender de façon
globale et effective le problème de la dette des pays à faible revenu et à revenu
intermédiaire, (…) répondre aux besoins particuliers des petits États insulaires
en développement en appliquant, rapidement et intégralement, le Programme
d’action de la Barbade, (…) être conscients des besoins et problèmes particuliers
des pays en développement sans littoral »70. De ce large constat découlera
l’adoption des “Objectifs du Millénaire pour le Développement” dont l’un d’entre
eux est de « mettre en place un partenariat pour le développement » 71.
Cette répétition dans le temps de la prise en compte de situations
économiques problématiques de différentes catégories d’Etats peut laisser
dubitatif, en particulier les Etats directement concernés. Si des améliorations ont
été ponctuellement apportées aux difficultés économiques de certains Etats, la
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continuité de ces catégorisations d’Etat en matière économique montre que leurs
problèmes ne sont toujours pas résolus. À l’Assemblée générale de 2010, les chefs
d’Etat et de gouvernement se sont prononcés explicitement sur les problèmes de
concrétisation d’Objectifs du Millénaire pour le Développement. Ils affirment : «
nous constatons avec une vive inquiétude que le nombre de personnes vivant
dans l’extrême pauvreté ou souffrant de la faim dépasse le milliard et que les
inégalités internes et entre pays restent un problème majeur »72.
Au-delà de ces difficultés, rappelons tout de même que le fait de tenir compte
de différences économiques entre Etats suppose d’en tirer les conséquences
pour ceux qui sont en situation économique problématique. En ce sens, des
droits particuliers devaient ainsi être accordés à certains Etats. Par exemple,
lors de la deuxième session de la CNUCED en 1968, un système généralisé de
préférence, sans réciprocité, ni discrimination, a été préconisé pour le commerce
international, à l’inverse du mode de fonctionnement de l’époque initial du GATT.
Par ce système, les PED, notamment les PMA, « devraient bénéficier de tarifs
douaniers réduits, voire nuls, en lieu et place des taxes douanières imposées au

68 A/RES/1028 (XI), 20 février 1957, Pays sans littoral et expansion du commerce international.
69 V. A/RES/3201 (S.VI), 1er mai 1974.
70 Dans la Déclaration du Millénaire A/RES/55/2 III, v. Développement et élimination de la pauvreté.
71 Les huit objectifs du millénaire pour le développement, v. http://www.un.org/fr/millenniumgoals/
72 A/RES/65/1 du 22 septembre 2010, « Tenir les promesses : unis pour atteindre les objectifs du
Millénaire pour le développement », § 5.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 133

titre de la clause de la nation la plus favorisée »73 prévue dans l’Accord. Dans le
même esprit, en mai 1974, la Déclaration concernant l’instauration d’un nouvel
ordre économique international se prononce de manière très explicite à la fois sur
l’égalité des Etats et le besoin d’un traitement spécial pour certains d’entre eux.
Selon cette résolution, il faut « la participation pleine et réelle de tous les pays, sur
une base d’égalité, au règlement des problèmes économiques mondiaux (…) tout
en portant une attention particulière à l’adoption de mesures spéciales en faveur
des pays les moins avancés »74. En décembre de la même année, a été adoptée
la Charte des droits et devoirs économiques des Etats qui, tout en s’appuyant
sur le principe de l’égalité souveraine des Etats75, estime, dans son article 6 que
« tous les Etats ont en commun la responsabilité de favoriser le courant régulier
et l’obtention de tous les produits commerciaux, échangés à des prix stables,
rémunérateurs et équitables, contribuant ainsi au développement équitable de
l’économie mondiale, tout en tenant compte, en particulier, des intérêts des pays
en voie de développement ».
Rappelons que dix ans avant l’adoption de cette Charte, les PC du GATT
ont déjà été influencées par des prises de position de la CNUCED en faveur
des pays en développement. En effet, dès 1964, le texte du GATT a été révisé
par l’ajout d’une Partie IV « Commerce et développement » qui permet de tenir
compte des « parties contractantes peu développées » en cherchant ainsi à
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promouvoir leur commerce et élargir les débouchés de leurs produits76. Pour ce
faire, les parties contractantes développées acceptent de porter atteinte à l’un
des principes essentiels du GATT, la non-discrimination, puisqu’elles « n’attendent
pas de réciprocité pour les engagements pris par elles dans des négociations
commerciales de réduire ou d’éliminer les droits de douane et autres obstacles
au commerce des parties contractantes peu développées ». Par ailleurs, dès la fin
de la guerre froide, une autre approche spécifique bénéficiant à certains Etats va
être renouvelée, lors de la mise en place de l’Organisation mondiale du commerce
(OMC). En 1994, après sept années de négociations dans le dernier cycle du
GATT et parallèlement à la fin de l’opposition Est/Ouest, l’Organisation mondiale
du commerce a été créée77, laquelle maintien des dispositions spécifiques aux
bénéfices de PED et ajoute, pour une période donnée, le cas d’Etats sortant
d’une économie planifiée78.Comme son nom l’indique, l’OMC est une véritable

73 Manuel relatif à la catégorie des pays les moins avancés …, déjà cité, p. 20.
74 A/RES/3201 (S-VI), 1e mai 1974.
75 A/RES/3281 (XXIX), 12 décembre 1974, Préambule, « (...) Déclarant que la présente Charte a
essentiellement pour but de promouvoir l’instauration du nouvel ordre économique international
fondé sur l’équité et l’égalité souveraine, l’interdépendance, l’intérêt commun et la coopération
de tous les Etats, quel que soit leur système économique et social ».
76 V. article XXXVI du GATT 1947.
77 A. KRIEGER-KRYNICKI, déjà cité, pp. 6 et s.
78 V. Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, dont la Partie VIII (article 27)
concerne les Pays en développement membre et l’article 29, intitulé « Transformation en une
134 Batyah SIERPINSKI

organisation internationale, destinée à servir de « cadre institutionnel commun


pour la conduite des relations commerciales entre ses Membres »79. Son ordre
juridique intègre et dépasse celui du GATT en ajoutant au droit des échanges de
marchandises, celui des services et celui sur des aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce80. L’ensemble de ces échanges concerne
tous les membres de cette organisation qui sont des Etats ou des territoires
douaniers autonomes81. Pour mener à bien ses fonctions et éviter les difficultés
institutionnelles du GATT, l’OMC est structurée comme toute organisation
internationale. Ainsi, selon l’article IV § 1 de l’Accord instituant l’Organisation
mondiale du commerce, « il sera établi une Conférence ministérielle composée
de représentants de tous les Membres, qui se réunira au moins une fois tous les
deux ans », ce qui correspond à l’organe plénier de l’OMC. Le § 2 de cet article
prévoit un autre organe plénier, mais permanent, le Conseil général, lequel
possède une triple compétence 82. Ce Conseil peut se réunir en tant que tel ou
en tant qu’organe de règlement des différends ou encore, en tant qu’organe
d’examen des politiques commerciales. A l’instar du préambule du GATT, celui
du texte constitutif de l’OMC réaffirme que les « rapports dans le domaine
commercial et économique devraient être orientés vers le relèvement des niveaux
de vie, la réalisation du plein emploi et d’un niveau élevé et toujours croissant du
revenu réel et de la demande effective, et l’accroissement de la production et du
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commerce de marchandises et de services », tout en tenant compte de l’évolution
de la société internationale. En effet, il y est précisé que la mise en œuvre de ces
rapports doit se faire « conformément à l’objectif du développement durable » et,
il y est reconnu la nécessité de « faire des efforts positifs pour que les pays en
développement, et en particulier les moins avancés d’entre eux, s’assurent une
part de la croissance du commerce international qui corresponde aux nécessités
de leur développement économique ».
Par ailleurs, à la différence du FMI et de la Banque mondiale, à l’instar du GATT,
l’OMC « est gouvernée par le principe d’égalité des Etats »83. A ce sujet, si certains
Etats membres84 semblent avoir vu leur situation économique progresser grâce au
commerce international85, d’autres Etats n’ont pas pu en bénéficier autant, ce qui

économie de marché », concerne les PECO.


79 Accord de Marrakech, 15 avril 1994, Accord instituant l’organisation mondiale du commerce,
article II.
80 V. ibidem, article IV, § 5.
81 Ibidem, article XII.
82 Ibidem, § 2, 3 et 4.
83 V. J.-F. GUILHAUDIS, déjà cité, p. 280 ; Accord instituant l’organisation mondiale du commerce,
article IX [Prise de décisions - 1. (...). Aux réunions de la Conférence ministérielle et du Conseil
général, chaque Membre de l’OMC disposera d’une voix (...)].
84 Que ce soit par leur appartenance préalable au GATT puis à l’OMC.
85 V. certains pays émergents, le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud (ensemble connus sous
l’acronyme BRICS) ; v. J.-C. GRAZ, Les pouvoirs émergents dans la mondialisation, AFRI 2008,
vol. X, p. 750.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 135

est notamment le cas des PMA. Or, les membres de l’OMC n’ont pas cherché à
le modifier, en dépit de problèmes renouvelés dans ses cycles de négociations
commerciales86. Actuellement, l’OMC semble être confrontée à un blocage
important concernant les négociations du Cycle de Doha. En effet, ce cycle a
commencé en novembre 2001 dans la capitale du Qatar afin d’aborder de très
nombreuses questions en matière de commerce international dont, notamment,
celle du développement87. Au fur et à mesure de Conférences ministérielles
consacrées à ce cycle, son programme a été peu à peu allégé du fait de
l’impossibilité de trouver des accords entre les participants88. Pourtant, ce « cycle
est aussi appelé semi officiellement Programme de Doha pour le développement
car l’un de ses principaux objectifs est d’améliorer les perspectives commerciales
des pays en développement »89. Malgré les nombreux espoirs placés dans les
négociations de cycle, son échec semble quasi inévitable90. Pour éviter une telle
situation, Pascal Lamy a proposé, le 21 octobre 201191 de s’en tenir aux seules
questions sur lesquelles « un accord précoce serait envisageable »92.
Dans les échanges commerciaux, le principe de l’égalité souveraine des Etats
n’est ni envisagée, ni mise en cause. C’est un principe “mis de côté”, soit parce
qu’il n’est pas approprié à ce domaine, soit parce qu’il pose trop de problèmes
face aux inégalités économiques manifestes que connaissent de nombreux Etats.
Peut-on imaginer de dépasser ces deux approches contradictoires de la
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place des Etats - différente ou égale – propres aux relations économiques
internationales ?

86 Par exemple, v. les difficultés de la Conférence de Seattle dans Le Monde du 7 décembre 1999
et son échec dans : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/omc/seattle.shtml ;
v. le blocage du Cycle de Doha, note ci-dessous.
87 V. la présentation du Cycle de Doha sur le site de l’OMC dans : http://www.wto.org/french/
tratop_f/dda_f/dda_f.htm#development
88 J.-F. GUILHAUDIS, déjà cité, pp. 515 et s.
89 V. http://www.wto.org/french/tratop_f/dda_f/dda_f.htm.
90 Dès 2008 - peut être du fait de la crise économique et financière - ce constat apparait.
V. M. ABBAS, Le cycle de Doha n’aura pas lieu, Observatoire des Amériques, Septembre 2008, n° 14
http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/chro_ABBAS_08_14_.pdf ; J. MOUANGUE KOBILA, L’OMC et
les tribulations du cycle de Doha, AFRI 2008, vol. IX, pp. 197 à 221.
91 V. http://www.wto.org/french/news_f/news11_f/tnc_infstat_21oct11_f.htm.
92 A la date de fin de rédaction de cet article, février 2013, le résultat du Cycle de Doha n’est
toujours pas officialisé.
136 Batyah SIERPINSKI

III. Vers un dépassement des contradictions


en matière d’approches différentes des Etats
en matière économique
La société internationale, dont les Etats sont les sujets majeurs, a connu et
connait encore des crises importantes, notamment en matière économique. Après
chaque crise, elle cherche à améliorer son mode de fonctionnement. Par exemple,
après la première crise pétrolière de 1973, les Etats membres des Nations Unies
ont préconisé « la mise en place d’un nouveau système international de relations
économiques fondé sur l’équité, l’égalité souveraine et l’interdépendance des
intérêts des pays développés et des pays en développement »93. Près de quarante
ans plus tard en 2005, dans l’esprit du nouveau millénaire, le Secrétaire général
des Nations Unies, Kofi Annan, dans son rapport, « Dans une liberté plus grande
(…) » aborde le moyen de «vivre à l’abri du besoin »94 en s’intéressant à la fois aux
progrès et aux difficultés qui touchent autant des Etats que des individus. Ainsi,
il estime qu’il y a un appauvrissement de dizaines de pays et que « des crises
économiques dévastatrices ont réduit des millions de familles à la pauvreté et
les inégalités croissantes dans de nombreuses régions du monde font que les
bienfaits de la croissance économique ne sont pas équitablement répartis »95.
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Partant de ce constat, notons que de 1945 à 2007, avec ou sans crise économique,
les Etats membres des institutions économiques internationales, notamment
celles structurées sur un modèle inégalitaire, n’ont pas tenu à les réformer en
profondeur. C’est le poids économique donc la place attribuée en ce sens à
chaque Etat dans ces institutions qui parait devoir être maintenue inchangée. Ce
constat peut s’expliquer par le maintien effectif de l’importance économique des
Etats, telle qu’elle a été reconnue, voire fixée, après la 2e Guerre mondiale. Mais,
depuis la fin du siècle dernier, l’apparition de nouveaux « poids lourds » en matière
économique, comme les BRICS96, semble nécessiter une remise à plat de cette
vision. En pratique, c’est surtout suite à la crise économique internationale la plus
récente – celle qui a débuté en 2008 – que des Etats ont ressenti la nécessité de
modifier le mode de fonctionnement de certaines organisations internationales
économiques (A). Peut-on pour autant considérer que cette crise a aussi provoqué
un bouleversement de l’ensemble des relations internationales (B) ?

93 A/RES/3281 Préambule de la Charte des droits et devoirs économique des Etats. V. également
A/3201 et 3202 (S-VI), 1er mai 1974.
94 A/59/2005, Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de
l’homme pour tous, dont un développement intitulé Vivre à l’abri du besoin § 25 à 73.
95 Ibidem, notamment § 25 et 26 pour la partie entre guillemet.
96 V. « La montée en puissance du groupe des BRICS » dans http://www.ladocumentationfrancaise.
fr/dossiers/d000534-l-emergence-des-brics-focus-sur-l-afrique-du-sud-et-le-bresil/la-montee-
en-puissance-du-groupe-des-brics-bresil-russie-inde-chine-afrique-du-sud.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 137

A. Crise économique de 2008 et réformes d’organisations


internationales économiques

C’est au sein des premières organisations internationales économiques créées


après la 2e Guerre mondiale que la crise monétaire et financière de 2008 va
impulser la nécessité de procéder à des réformes. Ainsi, dans le cadre du Groupe
de la Banque mondiale, la question des réformes liées à la crise a été abordée
dans un rapport du Comité du développement de 2010, intitulé « Un monde
nouveau, un nouveau groupe de la Banque mondiale »97. Selon ce rapport, « la
crise a mis en évidence les possibilités de coopération internationale, mais elle a
souligné aussi la nécessité de moderniser le multilatéralisme – et les institutions
multilatérales – dans un monde en mutation » 98. Ce rapport aborde la question
du développement, en estimant qu’il faut « disposer maintenant d’institutions qui
non seulement soient proches des populations des pays en développement, mais
qui puissent mobiliser tous les principaux acteurs – gouvernements, secteur privé,
société civile – pour faire face aux risques qui menacent la planète et appuyer
l’intégration régionale au sein du système mondial »99. Le FMI et le groupe de la
Banque mondiale vont ainsi connaitre les réformes les plus conséquentes depuis
leur création.
Pour le FMI, les Etats membres ont accepté une nouvelle délimitation des
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quotes-parts et une nouvelle représentation des Etats. En réalité, avant 2008, un
débat en matière de réforme de l’organisation avait déjà débuté, mais la crise en
a accéléré la mise en œuvre. Le 5 novembre 2010, le Conseil d’administration du
FMI a approuvé une réforme essentielle à son fonctionnement. Selon son directeur
général, en place à cette date, Dominique Strauss-Kahn, les réformes proposées
au Conseil prennent la suite de ce qui a été préconisé en 2008. Il estime que « cet
accord historique constitue la réforme la plus fondamentale de la gouvernance
du FMI depuis sa création il y a 65 ans et du plus grand transfert d’influence
jamais opéré en faveur des pays émergents et des pays en développement en
reconnaissance de leur rôle croissant dans l’économie mondiale ». Pour lui , cette
réforme correspond à « un transfert de plus de 6 % des quotes-parts au profit des
pays émergents et des pays en développement dynamiques et de plus de 6 %
des pays surreprésentés vers les pays sous-représentés, tout en protégeant les
quotes-parts relatives des pays membres les plus pauvres et le nombre de voix
qui leur est attribué »100. Le conseil des gouverneurs de décembre de la même

97 Comité du développement FMI-Banque mondiale - Note de synthèse DC2010-0002/1- 25 avril


2010, Note de synthèse, Un monde nouveau, un nouveau groupe de la Banque mondiale.
98 Ibidem, p. 1.
99 Ibidem, p. 1.
100 Pour la prise de position de D. STRAUSS-KAHN et les réformes pratiques, cf. Communiqué de
presse du 5 novembre 2010 : http://www.imf.org/external/french/np/sec/pr/2012/pr10418f.
html.
138 Batyah SIERPINSKI

année a entériné, à une forte majorité, cette modification des quotes-parts et une
modification de la désignation et de la composition du Conseil d’administration.
Cette dernière réforme permettra, lorsqu’elle sera effectivement mise en œuvre,
d’avoir une représentation plus appropriée des membres du FMI à la réalité
économique actuelle.
Mais, en dépit d’avancées dans la réalisation des réformes du FMI de 2008
et de 2010, la date initialement prévue en fin 2012 pour arriver à une adoption
effective, n’est pas respectée. En s'exprimant à ce sujet, en octobre 2012 à Tokyo,
lors de l’assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale, Christine Lagarde
– qui a succédé à D. Strauss-Kahn – estime que de grands progrès ont été accomplis
dans l’application des réformes. Selon elle, la plupart des grands objectifs ont été
atteints avec « plus de 75 % d’approbations de l’augmentation des quotes-parts,
plus de 120 pays en faveur de la réforme du Conseil d’administration », mais il
faut « maintenant redoubler d’efforts pour obtenir les 85 % de voix nécessaires
pour mener ces deux réformes à terme ». Pour cela, elle « invite à nouveau les pays
membres à l’atteindre »101.
Comme le FMI, la Banque mondiale du fait de la crise de 2008, a procédé,
elle aussi, à des réformes. Le Président de la Banque mondiale, Robert B. Zoellick
a présenté les modifications apportées à l’ensemble du Groupe dans le rapport
annuel 2010102. Il rappelle ainsi qu’en avril de cette année, « les actionnaires
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du Groupe de la Banque mondiale ont approuvé la première augmentation
substantielle du capital depuis plus de 20 ans ». Tout comme il explique que ces
actionnaires – c’est-à-dire les Etats membres – ont tenu l’engagement pris en
octobre 2009 « d’accroître d’au moins 3 points de pourcentage, les droits de vote
des pays en développement et en transition à la Banque internationale pour la
reconstruction et le développement (BIRD) pour les porter à 47,19 % du total
des voix – soit une augmentation cumulée de 4,59 % depuis 2008 ». Il énumère
également des réformes, assez comparables, adoptées pour l’Association
internationale de développement et la Société financière internationale103.
Le président Zoellick, estime que ces réformes « aident à mieux tenir compte
des réalités de la nouvelle économie mondiale multipolaire dont les pays en
développement et en transition sont maintenant des acteurs clés »104. Pourtant,
selon une réflexion menée par différents économistes « la réforme de 2010 a peu
changé la répartition des droits de vote et les PED restent minoritaires, même
si la Chine (devenue le troisième actionnaire derrière les États-Unis et le Japon)

101 V. Discours prononcé lors de l’Assemblée annuelle par C. LAGARDE, Tokyo, 12 octobre 2012
http://www.imf.org/external/french/np/speeches/2012/101212af.htm.
102 Banque mondiale – Rapport annuel 2010, pp. 1 et 2. Dans le Rapport 2009, le Président
notait déjà : « La crise financière est devenue une crise économique et du chômage et pourrait,
au fil des événements, se transformer en une crise sociale et humaine lourde de conséquences
politiques ».
103 Ibidem, Rapport annuel 2010.
104 Ibidem.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 139

et quelques pays émergents ont acquis davantage de poids. Le changement


décidé à la Banque mondiale est ainsi moins ambitieux que celui décidé au FMI
à l’automne 2010 »105.

Depuis 2008, les réformes des statuts du FMI ou des institutions de la


Banque mondiale, voire dans d’autres institutions économiques, montrent une
évolution limitée de la prise en compte du domaine économique par la société
internationale. Cette évolution maintient ce qui a été conçu à la fin des années
40 du siècle dernier, même si certains changements permettent à de nouveaux
Etats de participer plus pleinement aux prises de décisions. Majoritairement, ce
seront toujours les Etats en situation économique favorable qui pourront avoir un
rôle économique effectif et, à la marge, des pays peu développés obtiennent tout
de même une place particulière106. Mais, cette évolution limitée est-elle à l’image
réelle de la société internationale actuelle ?

B. Crise économique et évolution de la société internationale

Pour aborder cette problématique, il faut s’intéresser à d’autres crises


économiques que celle de 2008 et voir leurs éventuelles conséquences pour
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les Etats, sujets premiers de la société internationale. Si l’on reprend le cas
de la création du FMI et de la BIRD, on constate que, comme le voulaient des
Etats dominants de la société internationale de l’époque, des organisations
économiques internationales ont été créées pour éviter que ne se renouvellent
les problèmes qui avaient entrainé la 2e Guerre mondiale. Par ailleurs, en dehors
de toute institutionnalisation effective des relations économiques internationales,
des Etats ont aussi organisé des rapports particuliers dans ce domaine. En ce
sens, dans les années 70, on peut citer l’apparition sur la scène internationale du
« G5/G6 ». En 1975, sur l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing et du Chancelier
de la RFA, Helmut Schmidt, une première réunion de cinq Etats, dont certains
étaient déjà réunis dans un « G5 » au FMI107, s’est tenue à Paris. Ainsi, l’Allemagne
fédérale, les Etats-Unis, la France, le Japon, le Royaume-Uni et l’Italie - rapidement
invitée à participer à ces réunions - se réunissaient, de manière informelle - ,
« pour examiner entre Etats occidentaux importants du point de vue économique,
comment il pourrait être possible de mieux gérer la crise du système monétaire

105 J.-P. CLING et al., La Banque mondiale, entre transformation et résilience, Critique internationale
2011/4 - n° 53, Presses de Sciences Po, p. 63.
106 V. Ibidem ainsi que, ci-dessus, l’analyse des réformes du FMI par D. STRAUSS-KAHN.
107 V. http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/groupsf.htm#G5 « Le Groupe des Cinq (G-5)
grands pays industrialisés a été mis en place au milieu des années 70 pour coordonner les
politiques économiques de l’Allemagne, des États-Unis, de la France, du Japon et du Royaume-
Uni ».
140 Batyah SIERPINSKI

internationale, celle de l’énergie et de l’économie internationale »108. Au cours


de la première réunion, les chefs d’Etat et de gouvernement présents ont
en effet « procédé à un échange de vues approfondi et positif sur la situation
économique mondiale, les problèmes économiques communs à leurs pays, leurs
conséquences humaines, sociales et politiques et les programmes d’actions
destinés à les résoudre ». De même, ils se sont déclarés « décidés à intensifier
leur coopération sur tous ces problèmes au sein des institutions existantes aussi
bien que de toutes les organisations internationales appropriées »109. Le Canada y
a ensuite été admis avant que ce groupe d’Etats ne se ferme pendant longtemps.
En effet, ce n’est qu’en 1991 que l’URSS a été invitée à participer aux réunions
du G7 avant que ne lui succède la « Russie » qui transformera le G7 en G8110, en
2002.
Outre ce groupe d’Etats, d’autres structures économiques composées de
différents Etats, ont été créées après des crises financières qui se sont succédées,
que ce soit au Mexique en 1994, en Asie en 1997 ou en Russie en 1998111.
Récemment, un groupe plus spécifique est apparu sur la scène internationale
pour aborder à nouveau des problèmes économiques. Il s’agit du G20, qui se
compose de représentants des grands Etats développés et de représentants
de pays en développement, considérés comme les plus actifs d’un point de vue
notamment économique112. Le G20 comprend en réalité 19 Etats – Afrique du Sud,
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Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du
Sud, Etats-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni,
Russie, Turquie – auxquels s’ajoute l’Union européenne.
Dans l’esprit du G8, le G20 s’intéresse aux questions économiques et donc,
tout naturellement, à de telles questions, en cas de crise. Ainsi, lors de sa première
réunion, en décembre 1999, les ministres de l’économie et des finances et les
gouverneurs des banques centrales des pays participant à ce nouveau groupe se
sont réunis pour “discussed the role and objectives of the G20, and ways to address
the main vulnerabilities currently facing their respective economies and the global
financial system. They recognized that sound national economic and financial
policies are central to building an international financial system that is less prone
to crises”113. La crise économique, commencée en 2008, va amplifier la place

108 J.-F. GUILHAUDIS, déjà cité, p. 155 ; B. BADIE, La diplomatie de connivence – Les dérives
oligarchiques du système international, La Découverte, 2011, pp. 112 et s
109 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/enjeux-internationaux_830/affaires-economiques-
internationales_901/g8_20466/precedents-sommets-du-g8_719/france-sommet-rambouillet-
15-17-novembre-1975_20411/index.html.
110 J.-F. GUILHAUDIS, déjà cité, p. 155.
111 V. http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/groupsf.htm : FMI « Fiche Technique, Guide des
comités, groupes et clubs », Archives : « Groupe des 22 », « Groupe des 33 ».
112 V. le site du G20 : http://www.g20.org/about_index.aspx.
113 V. Communiqué du G20 1999, § 4 dans : http://www.g20.utoronto.ca/1999/1999communique.
html.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 141

du G20 dans les relations internationales. Ce groupe va se réunir en novembre


puis en décembre de la même année mais avec des représentants d’Etats, à des
niveaux différents. En effet, pour la première fois, le 15 et 16 novembre 2008, le
G20 qui s’est réuni comprenait des chefs d’Etats et de gouvernement et non plus
des ministres. Au cours de cette réunion, ceux-ci ont affirmé : « nous, dirigeants du
Groupe des Vingt, avons tenu une réunion initiale à Washington le 15 novembre
2008 concernant les graves difficultés que connaissent les marchés financiers et
l’économie mondiale. Nous sommes déterminés à renforcer notre coopération et à
travailler ensemble pour restaurer la croissance mondiale et réaliser les réformes
nécessaires dans les systèmes financiers du monde »114. Dans le même esprit,
le G20 ministériel s’est réuni le 9 décembre 2008 en considérant que « nous, les
ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G20, avons
tenu notre dixième réunion annuelle à São Paulo (Brésil). Nous nous sommes
rencontrés à un moment où l’économie mondiale connaît la crise financière et
le ralentissement économique les plus sérieux depuis des décennies. (…) Nous
avons applaudi à la tenue d’un sommet des chefs des pays du G20 portant sur les
marchés financiers et l’économie mondiale, le 15 novembre 2008, à Washington.
Nous tenons à signaler que la crise mondiale exige des solutions mondiales et
une série commune de principes et que ce sommet contribuera grandement
à l’amélioration de la coopération internationale »115. Depuis cette date, c’est
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sous l’impulsion du G20 que sont envisagées les réformes des institutions
internationales économiques et qu’est abordée toute évolution possible du
domaine économique.
La mise en place du G20 au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement
n’empêche pas le G8 de même niveau de perdurer. Que ce soit sous l’un ou
l’autre de ces « groupes » que des Etats se réunissent, il faut reconnaitre que le
“monde économique” est impulsé essentiellement par des Etats économiquement
riches ou puissants. En d’autres termes, il s’agit d’Etats qui ont gardé ou acquis
un poids économique et/ou politique sur la scène internationale et qui veulent le
voir maintenir.
Pourtant, une autre vision des relations internationales économiques a été
mise en perspective par la Déclaration du Millénaire. Selon Kofi Annan, qui
aborde cette vision dans son rapport de 2005116, les Objectifs du Millénaire pour
le Développement117 ont élargi les acteurs et les sujets des relations économiques
internationales. Les objectifs du Millénaire se subdivisent en huit catégories dont
la problématique générale est d’envisager toutes sortes de différences, au-delà

114 G20 15 novembre 2008, Déclaration du Sommet sur les marchés financiers et l’économie globale
(en anglais ou en français) dans http://www.g20.utoronto.ca/2008/2008declaration1115.html.
115 V. http://www.g20.utoronto.ca/2008/2008communique1109-fr.html.
116 V. A/59/2005, note 94.
117 Les Objectifs du Millénaire pour le Développement ont suivi l’adoption de la Déclaration du
Millénaire.
142 Batyah SIERPINSKI

d’une approche strictement étatique. Il s’agit d’aborder des difficultés propres à


des personnes, des habitants du monde en développement, des femmes ou filles,
des enfants à la naissance, etc. En effet, les huit objectifs du Millénaire consistent
à : 1) réduire l’extrême pauvreté et la faim, 2) assurer l’éducation primaire pour
tous, 3) promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, 4) réduire
la mortalité infantile, 5) améliorer la santé maternelle, 6) combattre le VIH/sida,
le paludisme et d’autres maladies, 7) préserver l’environnement et 8) mettre en
place un partenariat mondial pour le développement118. S’agissant de ce dernier
objectif du Millénaire, il revient sur la question du développement en mettant
en place des actions réalisées par des acteurs divers. En effet, « le partenariat
mondial pour le développement repose notamment sur des engagements
négociés conjointement au sein de divers forums mondiaux et autres forums
officiels. Il repose par ailleurs sur les engagements pris par des gouvernements,
des institutions internationales, des entreprises privées individuelles, des
fondations et d’autres acteurs non étatiques. La mise en œuvre incombe dans
une large mesure aux autorités de mise en œuvre au sein d’un système mondial
fortement décentralisé d’acteurs publics et non étatiques »119.
En dépit d’un certain nombre d’engagements déjà réalisés, le partenariat
mondial pour le développement a pris un retard conséquent pour aboutir, comme
il est prévu, en 2015. Ce retard est amplifié par la crise économique et financière
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internationale de 2008 qui « a été un important revers dans le cadre des progrès
en vue de la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement »120.
De ce constat, découle la nécessité d’envisager, au niveau international, les
difficultés rencontrées à la fois par des Etats et par des populations, que ce soit
en matière de développement ou pour des raisons conjoncturelles. Comme l’a
constaté Ban Ki-Moon, en s’adressant indirectement aux membres du G20,
avant la réunion de Cannes, des 3 et 4 novembre 2011, « alors que la population
mondiale a passé la barre des 7 milliards de personnes, tous les clignotants sont
au rouge. La montée en puissance des manifestations publiques témoigne du
mécontentement général face à un constat sans appel : l’incertitude économique
croissante, l’instabilité des marchés et les inégalités grandissantes ont atteint un
seuil critique »121.

Dans le monde actuel où les questions économiques prennent une place

118 http://www.un.org/fr/millenniumgoals/index.shtml.
119 V. Le partenariat mondial pour le développement : l’heure est aux résultats – Groupe de réflexion
sur le retard pris dans la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement Rapport
2011, pp. 7 et s ; dans http://www.un.org/fr/millenniumgoals/pdf/MDG_GAP_Report2011.pdf
120 Le partenariat mondial pour le développement : l’heure est aux résultats, déjà cité, p. 9.
121 Ban KI-MOON, A Cannes, le groupe des 20 devra s’attaquer aux inégalités dans le monde,
Le Monde, 3 novembre 2011, p. 25.
Les Etats dans les relations internationales économiques : entre égalité et disparité 143

si conséquente, faut-il maintenir inchangée la place prépondérante des Etats,


telle qu’établie et affirmée sans discontinuer depuis 1945 dans les relations
internationales, en général, et dans les relations économiques, en particulier ?
En ce sens, le principe de l’égalité souveraine des Etats garde-t-il cette place
centrale dans une société où les différences économiques entre Etats sont
particulièrement criantes. A ce sujet, lorsque l’on sait que « plus d’un milliard de
personnes vivent encore sous le seuil de misère, c’est-à-dire qu’elles disposent
de moins d’un dollar par jour pour subsister, et 20 000 meurent chaque jour de
la pauvreté »122, on peut se demander quel est l’apport de ce principe pour ces
personnes ? Ce constat ne montre-t-il pas la limite d’une société internationale
fondée sur l’égalité souveraine des Etats mais qui n’impose ni à eux, ni aux autres
acteurs économiques, de tenir compte du besoin des individus, autres sujets
essentiels bien que non centraux, de la société internationale ?
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122 V. A/59/2005, « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de
l’homme pour tous », § 9.

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