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Les modes alternatifs de résolution des litiges

administratifs en Afrique noire francophone


Éric M. Ngango Youmbi
Dans Revue internationale de droit économique 2019/4 (t. XXXIII), pages 449 à 476
Éditions Association internationale de droit économique
ISSN 1010-8831
ISBN 9782807393219
DOI 10.3917/ride.334.0449
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LES MODES ALTERNATIFS DE RÉSOLUTION
DES LITIGES ADMINISTRATIFS EN AFRIQUE
NOIRE FRANCOPHONE

Éric M. NGANGO YOUMBI 1

Résumé : Le thème de « la justice en Afrique » a abondamment nourri la doctrine


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africaniste et africaine. La tonalité dominante des opinions exprimées est celle
d’un procès fait à sa réception, sa conception, sa structuration, ses structures, son
indépendance, son accès, ses procédures. Pour tout dire, la justice institutionnelle
serait en crise.
D’autres griefs sont formulés spécifiquement en direction de la justice administra-
tive. On lui reproche notamment le manque de spécialisation des juges, la timidité
du contrôle juridictionnel, la connivence avec les autorités publiques, le laxisme,
la faible productivité, le mimétisme avec la jurisprudence française, l’inexécution
des décisions de justice par l’Administration.
S’il est admis que la justice administrative institutionnelle, telle qu’elle est conçue
et pratiquée depuis les indépendances, échoue à fournir des solutions satisfai-
santes et apaisantes aux litiges mettant aux prises l’Administration et le citoyen
dans les États d’Afrique francophone, peut-on miser sur les modes alternatifs pour
réaliser dans ces contextes l’idée de justice, finalité suprême du droit ?
L’étude constate une faible prise en compte des modes alternatifs par les dispo-
sitions énonciatives et la jurisprudence, dans les cinq États constituant le cadre
géographique ; elle pose ensuite, suivant une approche prospective, la nécessité
d’une revalorisation des modes alternatifs de résolution des litiges administratifs,
car ils correspondent au mieux à la conception culturelle africaine et aux défis
socio-économiques.

1. Docteur en droit public de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, diplômé de l’Institut


d’études européennes de Bruxelles, maître-assistant CAMES, enseignant-chercheur à l’Université
de Maroua (Cameroun).

Revue Internationale de Droit Économique – 2019 – pp. 449-476 – DOI: 10.3917/ride.334.0449


Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 450

Introduction
1 Une insuffisante prise en compte des modes alternatifs en droit positif
1.1 Le caractère exceptionnel des modes alternatifs
1.1.1 L’interdiction de principe de la transaction aux personnes publiques
1.1.2 L’interdiction de principe de l’arbitrage aux personnes publiques
1.2 Le caractère imparfait des modes alternatifs
1.2.1 L’effet relatif de la procédure alternative sur la procédure judiciaire
1.2.2 L’autorité relative des solutions rendues sous procédure alternative
2 Une nécessaire revalorisation des modes alternatifs en droit prospectif
2.1 L’adaptation au contexte culturel africain
2.1.1 L’adaptation au rapport de l’Africain à la justice
2.1.2 L’adaptation au rapport de l’Africain à l’Administration
2.2 L’adaptation de la justice alternative au contexte socio-économique africain
2.2.1 L’adaptation à un contexte de pauvreté
2.2.2 L’adaptation à un contexte de développement économique
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INTRODUCTION
Selon les termes d’Honoré de Balzac, « un mauvais arrangement vaut mieux qu’un
bon procès » 2. Cette affirmation pose clairement le problème des alternatives à la
justice d’État, que l’on appelle encore « les solutions de rechange au règlement des
litiges » pour user du vocabulaire québécois, « alternative dispute resolution » 3
selon les termes utilisés aux États-Unis, « modes non juridictionnels » ou encore
« modes alternatifs de résolution des litiges administratifs » selon les formules les
plus utilisées en France.
Il s’agit de procédés de résolution des différends impliquant l’Administration,
sans recourir au juge 4. Ils se distinguent des modes juridictionnels par la recherche
d’un accord en droit ou en opportunité, grâce à une procédure amiable, laissée à la
diligence des parties ou conduite par un tiers, qui implique des concessions réci-
proques ou l’équité 5. L’épithète « alternatifs » suggère qu’ils constitueraient une
autre voie à côté de la justice d’État. Ils ne forment pas une catégorie aux contours
tranchés. Plusieurs critères de classification ont été avancés 6 : l’on distingue de

2. J.-L. Correa, « La médiation et la conciliation en droit sénégalais : libres propos sur un texte
réglementaire », Bulletin de droit économique, 2017/2, p. 1.
3. R. Mnookin, « Alternative Dispute Resolution », (1998), Harvard Law School, John M. Olim
Center for Law, Economics and Business Discussion Papers Series, Paper 232 ; B. Strazisar,
« Alternative Dispute Resolution », Zhurnal Vysshey shkoly ekonomiki, n° 3, pp. 214-233.
4. Cf. article 33 de la Charte des NU qui vise la médiation, la conciliation et l’arbitrage.
5. J. Cohen, « Adversaries? Partners? How about Counterparts? », Conflict Resolution Quaterly,
2003, n° 4, p. 430.
6. S. Boussard, « Conciliation, transaction et arbitrage », J-CI. Administratif, fasc. 2005, n° 6. Ces
critères sont : le caractère conventionnel ou non du procédé, l’intervention ou non d’un tiers,
l’existence commune ou non en droit public et droit privé.
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manière générale entre les modes alternatifs intégrés à la justice et les modes alter-
natifs externes, que ceux-ci soient internes à l’Administration (recours administra-
tifs gracieux, hiérarchiques ou de tutelle), conduits par les parties (transaction), ou
fassent appel à une tierce personne ou à un organe tiers (conciliation, médiation,
arbitrage).
Parmi les modes externes, on exclura de notre étude les recours administratifs 7,
qui permettent à un agent ou administré, avec ou sans condition de délai ou de
forme, de demander un réexamen en droit ou en fait de sa situation, en adressant
une réclamation à l’auteur de l’acte (recours gracieux 8), à son supérieur hiérar-
chique (recours hiérarchique) ou à l’autorité qui juridiquement assure la tutelle sur
la personne ou l’organe qui a pris l’acte litigieux (recours de tutelle). On exclura
par ailleurs la conciliation, qui exige que les parties soient réunies, confrontées 9.
Seuls les modes externes à la justice et externes à l’Administration nous intéressent,
c’est-à-dire la médiation, la transaction, l’arbitrage.
La médiation dérive du latin medius qui signifie « qui est au milieu ». Le pro-
cédé suppose donc l’intervention d’un tiers (c’est sur le rôle du tiers intervenant
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que la conciliation se distingue de la médiation) situé à équidistance entre les par-
ties, qui dégagera une solution 10. Elle ne vient donc pas des parties comme dans la
conciliation, mais du médiateur 11. L’article 1er (a) de l’Acte uniforme OHADA du
23 novembre 2017 sur la médiation l’entend largement.
L’on distingue la « médiation conventionnelle » de la « médiation judiciaire » 12.
Toutefois, la distinction la plus significative en droit public est celle qui oppose
la « médiation non institutionnelle » à la « médiation institutionnelle ». C’est ce
second type de médiation qui nous intéresse à l’exclusion de la médiation non
institutionnelle interne (civile et commerciale 13), ne s’appliquant pas en principe à

7. Le Conseil d’État a reconnu que tout administré peut former un tel recours, même si aucun texte
ne l’a prévu, CE, sect., Quéralt, 30 juin 1950, Rec. p. 413.
8. Il ne faut pas confondre le « recours gracieux » et le « recours gracieux préalable » ou ce que l’on
appelle en France « le recours administratif préalable obligatoire ». Il en existe environ 140 en
France à l’heure actuelle, cf. Conseil d’État, Les recours administratifs préalables obligatoires,
Paris, La Documentation française, 2008.
9. Le juge français peut, dans certains cas, intervenir comme conciliateur (cf. art. 21 du CPC pour
le juge judiciaire, et art. 211-4 du CJA pour le juge administratif). La conciliation existe dans le
droit privé depuis la période révolutionnaire, elle a en revanche été introduite dans l’office du juge
administratif par la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986, cf. D. Chabanol, « Une autre façon de juger :
la conciliation juridictionnelle dans les Tribunaux administratifs », Gaz. Pal., 1987, p. 472 ; du
même auteur, « La conciliation : un autre mode de règlement des litiges », Contrats publics, 2007,
n° 64, p. 30.
10. C. Moore, The Mediation Process, 4th ed., San Francisco, John Wiley and Sons, 2014 ;
J. Macfarlane, Rethinking disputes: The Mediation Alternative, London, Cavendish, 1997.
11. L. Riskin, « Mediation and Lawyers », Ohio State Law Journal, 1982, n° 1, p. 29.
12. Cf. article 1er (b) de l’Acte uniforme OHADA du 23 novembre 2017 sur la médiation.
13. Il existe en fait des textes au sein de chaque État régissant la médiation civile et commerciale.
Cf. par exemple le décret sénégalais n° 2014-1653 du 24 décembre 2014 ; J.-L. Correa, « La mé-
diation et la conciliation en droit sénégalais : libres propos sur un texte réglementaire », op. cit.,
pp. 1-16.
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l’Administration publique 14. Les différends mettant aux prises les Administrations
doivent en principe être portés devant le Médiateur de la République. Cette insti-
tution, qui tend à se généraliser jusqu’aux confins de l’Union européenne 15, est un
héritage (rentré dans le patrimoine juridique commun) d’une institution suédoise
dénommée ombudsman.
La transaction est, quant à elle, définie par les articles 2044 et 2052 du Code
civil comme « une convention par laquelle les parties, au moyen de concessions
réciproques, terminent une contestation née ou préviennent une contestation à
naître » 16.
L’arbitrage est une procédure par laquelle les parties en litige décident de
recourir à un tiers, arbitre, et acceptent à l’avance de se conformer à la sentence
qu’il rendra 17, celle-ci pouvant être homologuée par un juge. Il existe au moins
trois classifications des arbitrages : les arbitrages internationaux (Convention de
New York de 1958 et Traité de Washington de 1965) et internes, les « arbitrages
institutionnels » et « non institutionnels ou ad hoc ». Dans le cadre de l’OHADA,
il faut distinguer entre les arbitrages conduits sous l’égide de la Cour commune
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de justice et d’arbitrage (CCJA), instituée par le titre IV du Traité OHADA (Port-
Louis) de 1993 18 et soumise au Règlement de procédure de 2017 19 (arbitrages com-
munautaires), et ce que l’on pourrait appeler les arbitrages privés (ou arbitrages
nationaux), c’est-à-dire ceux réalisés dans le cadre des États OHADA20, qui restent
soumis à l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage de 2017 modifiant celui de
1999 21.

14. La médiation non institutionnelle OHADA a été l’objet d’un Acte uniforme relatif à la médiation,
signé à Conakry le 23 novembre 2017. Il s’applique en principe aux relations civiles et commer-
ciales.
15. Décision du Parlement européen concernant le statut et les conditions générales d’exercice des
fonctions du médiateur, 94/262/CECA, CE, Euratom.
16. G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2018, p. 928.
17. R. Reuben, « First Options, Consent to Arbitration, and the Demise of Separability: Restoring
Access to Justice for Contracts with Arbitration Provisions », SMUL Rev., 2003, n° 56, p. 819.
18. Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA) de Port-Louis du 17 octobre
1993, modifié par le Traité de Québec du 17 octobre 2008. Le Conseil constitutionnel sénégalais a
clairement déclaré ce traité conforme à la constitution, v. DCC n° 3/C/93 du 16 décembre 1993, et
également DCC n° 12/93 du 16 décembre 1993.
19. Cf. Règlement d’arbitrage de la Cour commune de justice et d’arbitrage signé à Conakry (Guinée),
le 23 novembre 2017. La CCJA a, selon les auteurs, deux fonctions : celles de centre d’arbitrage
et de cour judiciaire contrôlant la régularité des sentences et délivrant l’exequatur, R. Nemedeu,
« L’arbitrage OHADA, un instrument de paix en matière d’affaires ! », Revue malienne de
sciences juridiques politiques et économiques, numéro spécial, janvier 2016, p. 128.
20. Il existe au niveau des États des instances arbitrales permanentes, par exemple, la Chambre de
commerce internationale de Côte d’Ivoire (CACI), le Centre d’arbitrage du groupement interpa-
tronal du Cameroun (GICAM), la Chambre de commerce, d’industrie et des mines (CCIM), la
Cour d’arbitrage, de médiation et de conciliation du Togo (CATO), le Tribunal arbitral du sport
sénégalais (TAS), le Centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation du Sénégal (CAMC), la
Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Dakar (CCIAD), le Centre de médiation et
d’arbitrage de Niamey (CMAN) de la Chambre de commerce, d’industrie et d’artisanat du Niger.
21. Cf. Acte uniforme sur le droit à l’arbitrage du 11 mars 1999.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 453

Les difficultés liées à la documentation et les contraintes méthodologiques


nous conduisent à sélectionner, parmi les dix-neuf États d’Afrique francophone,
un échantillon représentatif pouvant permettre de se faire une idée de la situation
des autres, et de dégager des solutions qui leur seront extensibles et profitables.
Ont ainsi été pris en compte, pour la présente étude, cinq États : le Sénégal, la Côte
d’Ivoire, le Cameroun, le Niger, le Togo.
Les modes alternatifs ou non juridictionnels de résolution des litiges admi-
nistratifs ne sont ni nouveaux 22 ni propres au continent africain 23, il faut dès lors
justifier l’intérêt porté sur un tel objet a priori dépassé et suffisamment discuté. Il
suffit de partir du constat selon lequel le thème de « la justice en Afrique » a abon-
damment nourri la doctrine africaniste et africaine 24. La tonalité dominante des
opinions exprimées est celle d’un procès sous forme de réquisitoire, fait à sa récep-
tion 25, sa conception 26, sa structuration 27, ses structures, son indépendance 28, son
accès 29, ses procédures 30. Pour tout dire, la justice institutionnelle serait en crise.
La doctrine recourt à diverses formules pour fustiger la justice d’État : « nau-
frage judiciaire », « justice en panne », « crise de la justice d’État », « chaos judi-
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ciaire » 31. Au point que certains auteurs en viennent même à se demander de manière

22. Certains auteurs situent leur origine en droit romain et même au Moyen Âge (l’entremise, l’arbi-
trage, la composition, la conciliation). C’est le Code Napoléon qui les a ressuscités.
23. Pour une étude dans les pays d’Afrique anglophone, v. E. Grande, « Alternative Dispute
Resolution, Africa and the Structure of Law and Power: The Horn in Context », Journal of African
Law, 63, March 1999 ; D. Chabanol, « Les modes non juridictionnels de règlement des litiges
administratifs en droit administratif français », ZPS, 54, 2017/1, pp. 13-22 ; M. Vrignaud, Les
modes non juridictionnels de règlement des litiges administratifs, thèse, Nantes, 2016. La théma-
tique a récemment été au cœur du séminaire de l’Association internationale des hautes juridictions
administratives, tenu à Istanbul (Turquie) en 2016.
24. E. Le Roy, « L’évolution de la justice traditionnelle dans l’Afrique francophone », Canadian
Journal of African Studies/Revue canadienne des études africaines, 1975, vol. 9, n° 1, pp. 75-87 ;
G. Conac et J. de Gaudusson, « La justice en Afrique », Afrique contemporaine, numéro spécial
156, 4e trimestre 1990 ; du même auteur, « La justice en Afrique : nouveaux défis, nouveaux ac-
teurs », Afrique contemporaine, 2014/2, n° 250, pp. 13-28 ; F. Hourquebie, Quel service public de
la justice en Afrique noire francophone, Bruxelles, Bruylant, 2013 ; A. Badara Fall, « Le juge,
le justiciable et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place du juge dans les
systèmes politiques en Afrique », Afrilex, juin 2003, n° 3.
25. J.M. Bipoun Woum « Recherche sur les aspects actuels de la réception du droit administratif dans
les États d’Afrique noire d’expression française », RJPIC, 1972, n° 3, pp. 359 et s. Cet auteur
soulignait que le « juge africain vit dans l’univers du juge administratif français ».
26. E. Le Roy, Les Africains et l’institution de la justice en Afrique. Entre mimétisme et métissages,
Paris, Dalloz, 2004.
27. Th. Holo, « Requiem pour la Chambre administrative », RBSJA, juillet 1988, n° 10, pp. 1-10.
28. S. Yonaba, Indépendance de la justice et droits de l’homme : le cas du Burkina-Faso, Leiden,
Pioom, 1997, 155 p.
29. R. Degni-Segui, « L’accès à la justice et ses obstacles », in L’effectivité des droits fondamentaux
dans les pays francophones, actes du colloque international tenu à Port-Louis du 29 septembre au
1er octobre 1993, AUPELF-UREF, 1994, pp. 241-246 ; F.M. Sawadogo, « L’accès à la justice en
Afrique francophone, problèmes et perspectives. Le cas du Burkina-Faso », RJPIC, 1995, vol. 49,
n° 2, pp. 167-212.
30. Ibid., p. 13.
31. J. de Gaudusson, « La justice en Afrique : nouveaux défis, nouveaux acteurs », op. cit., p. 15.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 454

factieuse s’il existe encore une justice en Afrique francophone 32. D’autres griefs
sont formulés spécifiquement en direction de la justice administrative 33. On lui
reproche notamment le manque de spécialisation des juges, la timidité du contrôle
juridictionnel, la connivence avec les autorités publiques, le laxisme, la faible pro-
ductivité, le mimétisme de la jurisprudence française, l’inexécution des décisions
de justice par l’Administration. Ces vérités difficiles à entendre ne résolvent fonda-
mentalement pas le problème si elles ne s’accompagnent d’une réflexion de fond à
partir des interrogations sur les antidotes à cette kyrielle des maux dont souffre la
justice administrative en Afrique.
Ne faut-il pas, comme solution, substituer à la figure du « juge atlas » 34, un nou-
veau paradigme fondé sur une forme de justice négociée et « déjudiciarisée » 35, qui
correspondrait mieux au contexte socioculturel 36 et économique négro-africain ?
La réponse à ces questions nécessite, à partir d’une lecture synoptique des
dispositions énonciatives et de la jurisprudence, de relever au préalable, la place
marginale des modes alternatifs de résolution des litiges administratifs par rap-
port au mode classique dans les États négro-africains francophones (1). Il s’agira
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ensuite, en prenant appui sur les éléments tirés de la réalité, de soutenir que ces
modes alternatifs doivent être revalorisés et hissés à une place primordiale dans le
cadre étudié (2).

1 UNE INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DES MODES


ALTERNATIFS EN DROIT POSITIF
De lege lata, c’est-à-dire en nous situant du point de vue du droit positif, du droit
en vigueur, les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs existent bel
et bien avec différentes nuances dans la plupart des États d’Afrique noire franco-
phone. Toutefois ils ont une place marginale. Cet état de choses repose sur deux
arguments : tout d’abord, il faut constater que ces modes ont un caractère excep-
tionnel, la justice d’État étant la voie ordinaire de résolution des litiges administra-
tifs (1.1) ; ils sont par ailleurs en principe imparfaits, c’est-à-dire que les solutions

32. K. Agokla et al., « La réforme des systèmes de sécurité et de justice en Afrique francophone »,
actes du colloque de l’OIF, Lomé, 28-29 mai 2010, p. 296.
33. P.C. Kobo, « Le contentieux administratif dans l’espace AA-HJF : bilan et perspectives », commu-
nication au colloque international de l’AA-HJF, 12-14 décembre 2016, Lomé, pp. 1-31 ; v. aussi
« La justice administrative en Afrique », colloque de Dakar du 20 au 22 juin 2016, CERDRADI
et LEJPO, 2016.
34. J.-M. Sauvé, « Conclusion du Séminaire de l’AIHJA sur les modes alternatifs de règlement des
différends en matière administrative », 6 mai 2016, www.conseil-etat.fr/Actualités/Discours, site
consulté le 21 décembre 2018.
35. C. Nelisse, « Le règlement déjudiciarisé : entre la flexibilité technique et la pluralité juridique »,
La Revue de droit, 1992, vol. 23, n° 1, p. 271.
36. J. Barkai, « Cultural Dimension Interests, the Dance of Negotiation, and Weather Forecasting:
A perspective on Cross-Cultural Negotiation and Dispute Resolution », Pepperdine Dispute
Resolution Law Journal, 2008, n° 3, p. 403.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 455

obtenues par ces modes n’ont pas, pour certaines, autorité de chose jugée et ne sont
pas, pour d’autres, exécutoires d’office (1.2).

1.1 Le caractère exceptionnel des modes alternatifs

En dehors de la médiation institutionnelle qui, dans quatre des cinq États considérés,
semble s’appliquer à tout type de contestation mettant aux prises l’Administration 37,
les modes alternatifs de résolution des litiges ne peuvent être employés que lorsqu’ils
ont été expressément prévus dans des matières précises et lorsqu’ils ne sont pas for-
mellement interdits.
Si l’on excepte donc la médiation institutionnelle, il reste que le principe de base
est l’interdiction de la transaction (1.1.1) et de l’arbitrage (1.1.2) pour des litiges
mettant aux prises l’Administration publique. Ils ne sont admis que de manière
exceptionnelle, c’est-à-dire dans des domaines précis, expressément prévus.
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1.1.1 L’interdiction de principe de la transaction aux personnes publiques
Il est de principe que la personne publique ne transige pas. Cette interdiction repose
sur un double fondement : le monopole étatique de la justice qui est le corollaire
de la souveraineté de l’État dans son aspect interne. Il implique, pour l’État et ses
démembrements, l’impossibilité de se soumettre à la justice privée 38. Ensuite, le
but d’intérêt général assigné à l’État, qui impose qu’il s’abstienne des relations
d’affaires.
Il s’ensuit que ce n’est que de façon exceptionnelle que la transaction avec des
personnes morales de droit public est juridiquement admise. Le Conseil constitu-
tionnel français a d’ailleurs clairement dénié au contribuable, en 2013, un droit
résultant de l’article L. 247 du LPF, à savoir le droit d’obtenir une transaction sur
les amendes et majorations fiscales 39. Toutefois, la décision de rejet d’une demande
de transaction peut être – comme l’a précisé le Conseil d’État en 2017 – contestée,
mais uniquement par la voie de l’excès de pouvoir 40.

37. Cf. article 1er de la loi sénégalaise n° 99-04 ; article 7 de la loi togolaise n° 2003-21 du 9 décembre
2003 ; article 1er de la loi nigérienne n° 2011-18 du 8 août 2011 telle que modifiée et complétée
par la loi n° 2013-30 du 17 juin 2013 ; article 4 de la loi ivoirienne n° 200-513 du 1er août 2000.
En Côte d’Ivoire, les compétences du médiateur sont encore plus étendues. Au Cameroun, le
nouveau Code général de la décentralisation (loi 2019/024 du 24 décembre 209) au chapitre 3,
articles 367 à 371, prévoie spécialement pour les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest, la mise sur
pied d’un Médiateur (Public Independant Conciliator) pour résoudre certains problèmes ou régler
certaines questions. Elle laisse toutefois à un décret présidentiel le soin de fixer les modalités
d’exercice de ses fonctions.
38. Ce principe tire son origine du droit administratif français de l’Ancien Régime (Édit de Saint-
Germain-en-Laye, 1641, Édit de Fontainebleau, 1661), et du droit révolutionnaire (lois des 16 et
24 août 1790 sur l’organisation judiciaire ; décret du 16 fructidor an III).
39. DCC français, n° 2013-679 DC, 4 décembre 2013.
40. CE, Sté MRB, 18 janvier 2017, Requête n° 386434, mentionné dans les tables du Recueil Lebon.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 456

Les exceptions relevées dans les États considérés pourraient être rattachées
aux transformations contemporaines de l’État qui apportent des infléchissements
à des principes classiques. En effet se développe, avec le libéralisme et le mouve-
ment de privatisation, le phénomène qu’un auteur a appelé « l’État actionnaire » 41,
remettant en cause l’idée selon laquelle l’État ne poursuivrait pas un but de lucre.
L’analyse des dispositifs juridiques des États constituant le cadre géographique
de cette recherche nous conduit à souligner que la transaction, outre le fait qu’elle
doit expressément être prévue, est essentiellement limitée à des domaines que nous
pouvons qualifier d’économiques 42 : le domaine fiscal, le domaine douanier, le
domaine financier.
 La transaction dans le domaine fiscal
Il faut bien saisir la portée de la transaction fiscale pour souligner qu’elle est
limitée. Elle constitue un contrat destiné à mettre fin à un litige à l’issue d’un
contrôle fiscal. Le contribuable s’engage à s’acquitter des impôts en principal, et
l’Administration renonce, en contrepartie, totalement ou partiellement aux pénali-
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tés, majorations et intérêts de retard.
À l’image du législateur français (article L. 247 du LPF), les législateurs
d’Afrique noire francophone ont institué la transaction fiscale. Au Cameroun, le
juge administratif a depuis longtemps fixé le principe de la possibilité pour l’Ad-
ministration publique de transiger dans certains domaines 43. L’article L. 125 du
LPF du CGI prévoit la transaction des pénalités fiscales 44. En Côte d’Ivoire, le
Directeur général des impôts peut proposer au ministre des Finances une tran-
saction en vue d’obtenir, au bénéfice du contribuable, une modération totale ou
partielle des pénalités 45. Au Togo, la transaction prévue aux articles 1115 à 1135 se
présente sous forme de recours ou garantie accordés au contribuable, permettant
une remise, modération ou réduction des rappels d’impôts, aussi bien en ce qui
concerne les droits simples que les majorations ou pénalités. Au Sénégal, l’ar-
ticle 671 du CGI de 2012 46 dispose que les amendes, les pénalités, les majorations

41. G. Delion, « De l’État tuteur à l’État actionnaire », RFAP, 2007/4, n° 124, pp. 537-572 ; M. Durupty,
« Les ouvertures de capital des entreprises publiques », RFAP, 2007/2, n° 2, pp. 108-115.
42. Elle est admise de façon marginale dans le domaine des litiges fonciers, de l’environnement ou
des relations de travail. Au Cameroun par exemple, une partie des agents de l’État relevant du
Code du travail de 1992 peuvent, en ce qui concerne la résolution de leurs litiges, être soumis à la
transaction. Pour les contrats à durée déterminée, le fondement juridique est l’article 38 du Code
du travail ; pour les contrats à durée indéterminée, on se fonde sur l’article 1134 du Code civil.
43. Cour suprême, Augustin Lucien Cantan c. État du Cameroun oriental, arrêt du 30 septembre
1969.
44. CGI camerounais, mise à jour du 1er janvier 2017.
45. Cf. ordonnance n° 2013-662 du 20 septembre 2013 relative à la concurrence prévoyant la transac-
tion. Cette ordonnance ivoirienne prévoit (article 36) également que l’administration peut, dans le
cadre de certaines infractions, transiger, selon certaines modalités. Le décret de 1992 relatif à la
réglementation des prix et de la concurrence, autorise le ministre chargé du Commerce à transiger
avec les personnes poursuivies pour un certain type d’infractions.
46. Loi n° 2012-31 du 31 décembre 2012, JO, n° 6706, 31 décembre 2012.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 457

et intérêts de retard, lorsqu’ils sont définitivement fixés, ne peuvent faire l’objet


d’aucune transaction. Cela implique a contrario que la transaction est possible
avant la fixation définitive de ces créances, matérialisée par l’émission d’un avis
de mise en recouvrement.
En matière douanière, la transaction est conçue de façon plus généreuse qu’en
droit fiscal, en ce sens qu’elle peut intervenir après le jugement définitif, même si
elle ne peut affecter les peines corporelles.
 La transaction dans le domaine douanier
Pour ce qui est du domaine des douanes, un droit commun est en vigueur pour
les ensembles sous-régionaux d’Afrique centrale (Code des douanes CEMAC) et
pour ceux d’Afrique de l’Ouest (Code des douanes CEDEAO).
L’article 327 du Code CEMAC autorise la transaction comme moyen de règle-
ment des litiges relatifs aux personnes poursuivies pour infraction douanière avec
un régime différent selon que l’infraction porte préjudice à un ou plusieurs États.
Elle peut intervenir avant ou après le jugement définitif (dans le second cas, elle
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laisse subsister les peines corporelles).
Le Code des douanes UEMOA (Règlement n° 09/2001/CM/UEMOA), de
même que le projet de Code communautaire des douanes CEDEAO d’avril 2017
(en son article 177 relatif à l’extinction de la dette douanière) ne prévoient mal-
heureusement pas la transaction. Il s’agit d’un vide à combler. La transaction est
également prévue dans le domaine financier.
 La transaction dans le domaine financier
Le Règlement n° 09/2010/CM/UEMOA, adopté par le Conseil des ministres de
l’Union le 1er octobre 2010 dans le cadre de la réforme institutionnelle de l’UMOA
et de la BCEAO (article 16), et la Décision n° CM/UMOA/020/12/2012 portant
adoption du projet de loi uniforme sur le contentieux des infractions à la réglemen-
tation des relations financières extérieures des États membres de l’UMOA, et ses
décrets d’application ouvrent la voie aux États membres pour l’adoption d’une loi
uniforme en ces matières.
Pour ce qui est des États, objet de cette étude, nous pouvons citer à titre
d’exemple le Sénégal qui a adopté la loi uniforme n° 2014-12 du 28 février 2014
sur le contentieux des infractions à la réglementation des relations financières exté-
rieures des États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine.
Ce texte prévoit, au chapitre III (articles 16 à 19), la transaction au bénéfice des
auteurs ou complices d’une infraction à la réglementation des relations financières
extérieures. En Côte d’Ivoire a été adoptée la loi n° 2014-134 du 24 mars 2014 sur
le même objet, prévoyant la transaction aux articles 17 à 20 du chapitre III. Il faut
en effet rappeler que les sanctions contre les établissements de crédit sont prises par
la BCEAO et la Commission bancaire de l’UMOA.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 458

Un constat s’impose dès lors : c’est la nécessité de renflouer les caisses de


l’État et de rendre disponibles les ressources publiques, plutôt que le désir d’une
solution amiable avec ses partenaires, qui autorise l’Administration publique, dans
les différents domaines ci-dessus évoqués, à effectuer la transaction 47. Il en va de
même de l’arbitrage.

1.1.2 L’interdiction de principe de l’arbitrage aux personnes publiques


L’interdiction de principe de l’arbitrage aux personnes publiques 48 se justifie par
les deux fondements qui ont été avancés pour le cas de la transaction et par un
fondement supplémentaire, à savoir le principe de l’immunité d’exécution des per-
sonnes publiques, incompatible avec la force attachée aux sentences arbitrales.
Les États considérés n’admettent l’arbitrage que de façon très exceptionnelle.
Il faut qu’il existe une volonté des parties de se soumettre à l’arbitrage 49. La portée
de l’arbitrage est en outre limitée. Deux domaines essentiellement sont à relever :
le domaine contractuel (civil et commercial) et le domaine des investissements.
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–– Le domaine contractuel (civil et commercial) : le droit arbitral OHADA50
Il convient de remarquer qu’avant l’avènement du texte de 2017, l’arbitrabilité
(définie comme l’aptitude d’un litige à être tranché par voie arbitrale 51) des litiges
administratifs était contestée dans les États africains 52. L’arbitrage était prohibé
à l’égard des personnes publiques, en vertu du principe de « l’inarbitrabilité » 53,

47. À l’évidence, ces domaines essentiellement économiques ne sont pas satisfaisants. La transaction
doit, à notre avis, être généralisée, tout au moins valorisée, particulièrement dans trois domaines :
le contentieux de la fonction publique, le contentieux foncier et domanial, le contentieux de la
responsabilité administrative.
48. R. Nemedeu, « À la recherche d’un critère d’arbitrabilité des personnes morales de droit public »,
Revue droit prospectif, 2010-1, pp. 428 et s. ; P.G. Pougoue et al., Droit de l’arbitrage dans l’es-
pace OHADA, Yaoundé, PUA, 2000, pp. 35-162. Il faut se souvenir qu’il y a deux ans, l’arbitrage
était interdit aux personnes publiques.
49. Ce qui implique que sera nulle la sentence arbitrale rendue sur le fondement d’une convention
arbitrale qui ne découlerait pas d’un accord entre les deux parties. Cf. CA de Bafoussam, n° 2,
12 mars 2008, Sté British American Tabacco c. Ritz Palace Night, Jurisprudences nationales
OHADA, 2 décembre 2010, n° 07CM251, p. 323.
50. Par l’arbitrage OHADA, il faut comprendre, comme il a été souligné dans notre propos introduc-
tif, l’arbitrage réalisé sous les auspices de la CCJA et « l’arbitrage privé » réalisé dans le cadre des
États, qu’il soit institutionnel ou non institutionnel, il n’en est pas moins soumis au droit arbitral
OHADA tel qu’il résulte de l’Acte uniforme de 1999 remplacé par celui de 2017 sur le droit de
l’arbitrage.
51. S. Ousmanou, in P.G. Pougoue (dir.), Encyclopédie du droit OHADA, p. 226.
52. Cf. article 370 de l’ordonnance du 28 juillet 1967 portant Code de procédure civile ; article 973 du
Code de procédure civile gabonais ; article 36 du Code camerounais de procédure civile ; décret
du 15 mars 1982 portant Code de procédure civile au Togo ; décret du 28 juin 1994 portant Code
de procédure civile, commerciale et sociale au Mali ; décret du 28 juin 1989 portant réorganisa-
tion du Sénégal rendant applicable certaines dispositions du Code de procédure civile français de
1806.
53. M. Kamto, « La participation des personnes morales de droit public à l’arbitrage OHADA », in
Ph. Fouchard (dir.), L’OHADA et les perspectives de l’arbitrage en Afrique, Travaux du Centre
René-Jean Dupuy pour le droit et le développement, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 89.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 459

même dans l’hypothèse où celles-ci seraient parties à des rapports de droit privé 54,
en raison des prérogatives de puissance publique et du privilège de juridiction qui
voudraient que l’État (et ses démembrements) ne soit justiciable, du moins pour
des questions internes, que de ses propres tribunaux.
L’on comprend dès lors toute la portée de l’alinéa 1er de l’article 2 de l’Acte
uniforme de 2017 55, qui vient en quelque sorte lever l’interdiction de l’applica-
tion de l’arbitrage aux personnes morales de droit public : « Toute personne phy-
sique ou morale peut recourir à l’arbitrage […]. Les États et les autres collectivités
publiques territoriales ainsi que les établissements publics peuvent également être
parties à l’arbitrage ». Cette évolution a été largement saluée par la doctrine 56.
L’arbitrage peut trouver son fondement dans une convention d’arbitrage (qui prend
la forme d’une clause compromissoire ou d’un compromis), un traité bilatéral ou
multilatéral ou un instrument d’investissement, tel le Code des investissements.
La portée de l’arbitrage reste toutefois limitée au domaine contractuel, qu’il
s’agisse de l’arbitrage conclu sous l’égide de la CCJA ou des arbitrages privés,
c’est-à-dire ceux conclus dans le cadre des États de l’espace OHADA conformé-
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ment à l’Acte uniforme de 2017 (remplaçant celui de 1999) sur le droit d’arbitrage.
Pour ce qui est du premier type d’arbitrage, cette restriction au domaine
contractuel trouve son fondement à l’article 21 du Titre IV du Traité OHADA de
1993, tel que modifié en 2008 qui dispose que : « En application d’une clause com-
promissoire ou d’un compromis d’arbitrage, toute partie à un contrat […] peut
soumettre un différend d’ordre contractuel à la procédure d’arbitrage 57 […] ».
Pour ce qui est des arbitrages privés, en disposant que les États, les autres col-
lectivités publiques territoriales, les établissements publics ou toute autre personne
morale de droit public, peuvent également recourir à l’arbitrage, quelle que soit la
nature juridique du contrat, l’article 2 de l’Acte uniforme du 23 novembre 2017
sur l’arbitrage montre bien qu’il est réservé au domaine contractuel.

54. Au Cameroun, le principe de l’interdiction de l’arbitrage en droit administratif a été posé par les
articles 36 et 577 du Code de procédure civile et commerciale par exemple. Le juge administratif
s’est toujours montré circonspect en affirmant qu’il n’est pas compétent pour un arbitrage, CS/CA,
n° 22/2010, 25 août 2010, NJEUKWA c. État du Cameroun. Toutefois, il a toujours existé des ex-
ceptions : l’article 30 du Code des investissements prévoit une procédure d’arbitrage pour certains
conflits nés de l’interprétation des conventions d’établissement ; l’article 10 de l’ordonnance 74/1
du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier prévoit une procédure d’arbitrage en matière d’expropria-
tion pour cause d’utilité publique entre les bénéficiaires de l’expropriation et les propriétaires de
l’immeuble exproprié. Cf. J. Owona, Le contentieux administratif de la République du Cameroun,
Paris, L’Harmattan, 2011, pp. 8-13.
55. Avant l’Acte uniforme de 2017, l’arbitrage était prévu par le titre IV du Traité OHADA (1993),
puis par l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage. Ces textes n’avaient pas permis clairement
l’application de l’arbitrage aux personnes publiques.
56. J.-M. Jacquet, « L’aptitude des personnes morales de droit public dans l’arbitrage internationale »,
Revue camerounaise d’arbitrage, numéro spécial, février 2010, pp. 121 et s. ; O. Cuperlier,
« Arbitrage OHADA et personnes publiques », www.ohada.com, Ohada D-13-65, consulté le
5 janvier 2019, p. 4 ; M. Kamto, « La participation des personnes morales de droit public à l’arbi-
trage », op. cit., p. 89.
57. Cf. aussi l’article 2.1 du Règlement de procédure de la CCJA de 2017.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 460

–– Le domaine des investissements : le droit arbitral de Washington


La soumission des litiges administratifs en rapport avec les investissements au
domaine de l’arbitrage est à la fois une initiative des États africains, qui à travers
les codes des investissements ont adopté une série de mesures incitatives à l’inves-
tissement, et des partenaires étrangers qui visent essentiellement à assurer une cer-
taine sécurité dans les affaires. On reproche en fait à la justice d’État : les délais
trop longs, de nature à décourager l’investisseur étranger, les aléas (corruption,
erreur, désordre procédural, partialité…) favorisant l’État d’accueil.
L’intervention du Centre international pour le règlement des différends relatifs
aux investissements (CIRDI) n’est pas automatique. Tout dépend des dispositions
contenues dans les différents codes des investissements, de l’existence et du conte-
nu des accords bilatéraux entre l’État d’accueil et l’État dont l’investisseur a la
nationalité, du contenu des agréments donnés par l’État d’accueil à l’investisseur…
Il résulte de l’exploitation des données textuelles concernant les cinq pays
étudiés que les différends dans le domaine des investissements entre l’État et un
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investisseur étranger font l’objet d’une tentative de résolution amiable préalable
qui peut prendre diverses formes (recours préalable 58, médiation, conciliation 59,
transaction 60).
Ce n’est qu’en cas de résolution amiable infructueuse qu’ils sont soumis à
l’arbitrage qui peut être, selon les États, un arbitrage ad hoc 61, un arbitrage de
la CCJA62, du CIRDI 63 ou indéterminé 64. Le Togo a prévu dans son Code des
investissements une palette de solutions arbitrales laissées au choix de l’État et de
l’investisseur 65.

58. L’article 26 de la loi n° 2013/004 du 18 avril 2013 fixant les incitations à l’investissement privé
au Cameroun prévoit que les investisseurs doivent en cas de différend saisir le Comité de contrôle
(recours préalable obligatoire) en vue du règlement à l’amiable.
59. Le Code des investissements nigérien prévoit, en cas de différend ou litige opposant l’État nigé-
rien à un investisseur étranger relatif à la validité, l’interprétation, l’application ou la révision
d’une ou de plusieurs clauses de l’agrément, l’intervention préalable d’un règlement amiable
(articles 45 et 46).
60. En Côte d’Ivoire, les parties doivent tout d’abord s’efforcer de résoudre le litige par des négocia-
tions amiables qui peuvent déboucher sur un « accord de transaction » ayant force de loi pour les
parties (article 50 du Code des investissements) ; à défaut de cet accord dans un délai qui ne peut
excéder 12 mois, le Règlement de la Commission des NU sur le droit commercial international
relatif à la conciliation s’applique.
61. Au Niger, si le désaccord persiste après la procédure amiable, le recours à un arbitrage ad hoc est
possible, (article 47, alinéa 1er, du Code).
62. Cf. ordonnance n° 2018-646 du 1er août 2018 portant Code des investissements en Côte d’Ivoire.
63. Dans le cas où le différend oppose un non-national au CIRDI, sauf s’il existe un accord bilatéral
avec l’État dont l’investisseur est ressortissant ayant prévu une tout autre procédure.
64. Au Cameroun, ce n’est que si le règlement amiable n’a pas pu être obtenu que les parties peuvent
porter le différend devant une instance d’arbitrage reconnue par l’État. Cf. article 26 du Code des
investissements camerounais de 2013, et article 12 du Code des investissements sénégalais (loi
n° 2004-06 du 6 février 2004).
65. V. article 8 de la loi n° 2012-001 portant Code des investissements togolais.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 461

La Convention de Washington du 18 mars 1965 a institué le CIRDI 66. La pro-


cédure est séquencée comme suit : dépôt d’une requête d’arbitrage par la partie
requérante, examen et enregistrement de la requête, détermination du nombre d’ar-
bitres et de leur mode de désignation, désignation des membres du tribunal, consti-
tution du tribunal et engagement de l’instance, première session du tribunal avec
les parties, délibérations, sentence (clôture de l’instance), recours post-sentence
(décisions supplémentaires de correction, annulation, révision ou d’interprétation).
Il découle de ce qui précède qu’échappent à l’arbitrage :
–– le domaine de la décision unilatérale (le principe de l’interdiction subsiste dès
lors pour ce domaine), or les litiges qui peuvent en résulter représentent une
part importante du contentieux administratif ;
–– le domaine des droits dont on ne peut disposer : il s’agit des droits familiaux
(par exemple les droits liés au statut personnel 67) et des droits sociaux (par
exemple les droits liés au licenciement 68) ;
–– le domaine relevant de la souveraineté de l’État : c’est le cas du domaine
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pénal (exception faite des amendes), pour lequel on ne saurait en fait admettre
qu’une justice pénale privée puisse se développer.
Le caractère exceptionnel de la justice alternative découle également de la por-
tée imparfaite des décisions rendues par cette justice.

1.2 Le caractère imparfait des modes alternatifs

En droit français, la doctrine distingue entre « les modes alternatifs parfaits »


(la transaction et l’arbitrage), dont l’acte juridique les matérialisant aurait autorité
de chose jugée respectivement sur la base des articles 2052 du Code civil et 1476
du Nouveau Code de procédure civile, et les « modes alternatifs imparfaits » 69
(conciliation, médiation) qui seraient des outils de négociation et de dialogue, per-
mettant aux parties de se rapprocher et débouchant en cas de succès sur d’autres
modes de résolution, telle la transaction, formalisant l’accord des parties.
Cette distinction n’est pas reprise dans le contexte négro-africain. En droit, un
acte est dit parfait non seulement parce qu’il est obligatoire, mais plus encore parce

66. Elle est régie conformément à son article 44 par un règlement arbitral en vigueur. Le tout premier
a été adopté le 25 septembre 1967 (entré en vigueur le 1er janvier 1968) et modifié en 1984, 2002
et 2003. Le règlement actuel a été adopté en 2006 et est entré en vigueur le 10 avril de la même
année. Le règlement définit une procédure rigoureuse.
67. Il y a toutefois une exception pour des pays comme les États-Unis, qui envisagent ces droits sous
l’angle contractuel (divorce conventionnel par exemple).
68. Dans ce domaine, une clause compromissoire n’est pas valide, mais un compromis d’arbitrage
l’est, par exemple pour régler les conséquences en cas de licenciement.
69. F. Munoz, La conciliation : du droit privé au droit public, thèse, Paris I, 1997, n° 8.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 462

qu’il est exécutoire, ce qui signifie que son processus de fabrication est achevé, qu’il
se suffit à lui-même et n’a plus besoin d’une intervention ou d’un autre acte juri-
dique pour être exécuté. En droit africain, aucun mode alternatif ne peut prétendre
à cette perfection. D’une part, les modes alternatifs n’ont qu’un effet relatif sur la
procédure juridictionnelle classique (1.2.1), d’autre part, le caractère exécutoire des
décisions rendues à l’issue d’une procédure alternative n’est pas certain (1.2.2).

1.2.1 L’effet relatif de la procédure alternative sur la procédure judiciaire


Sur les cinq pays considérés, en dehors du Cameroun, tous les autres (Côte d’Ivoire,
Sénégal, Togo, Niger) ont institué la médiation institutionnelle 70. Aussi bien dans
le domaine de la médiation institutionnelle, de la transaction, que de l’arbitrage,
l’effet de la procédure alternative est relatif par rapport à la procédure judiciaire
classique.
–– Pour ce qui est de la médiation institutionnelle
Au Togo 71, au Niger 72, en Côte d’Ivoire 73, le Médiateur de la République ne
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peut intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction ni remettre en
cause le bien-fondé d’une décision juridictionnelle. Au Sénégal 74 et au Niger 75, la
saisine de cette autorité n’interrompt pas les délais de recours devant les juridic-
tions compétentes. Inversement, la saisine des juridictions ne fait pas obstacle à
l’intervention d’un règlement amiable.
En Côte d’Ivoire, il existe une petite exception qui résulte de l’extension des
compétences du médiateur aux litiges opposant les personnes physiques ou morales
à des communautés urbaines ou rurales (personnes privées). Lorsque la médiation
implique l’Administration, elle donne lieu à une recommandation, mais lorsqu’elle
oppose deux personnes privées 76 (hypothèse qui sort du champ de notre étude), elle
donne lieu à la rédaction d’un procès-verbal dûment signé par les parties en cause,
qui vaut renonciation à toute action judiciaire entre les mêmes parties et portant sur
le même objet 77.

70. Cf. loi organique togolaise n° 2003-21 du 9 décembre 2003 prise sur le fondement de l’article 154
de la Constitution togolaise ; loi sénégalaise n° 99-04 du 29 janvier 1999 instituant un Médiateur
de la République, abrogeant la loi n° 91-14 du 11 février 1991 chargée d’améliorer les relations
entre les citoyens et l’administration ; loi nigérienne n° 2011-18 du 8 août 2011 telle que modi-
fiée et complétée par la loi n° 2013-30 du 17 juin 2013 instaurant le poste de Médiateur de la
République, conformément à la Constitution du 25 novembre 2010 (7e République).
71. Cf. article 8 de la loi organique togolaise n° 2003-21 du 9 décembre 2003.
72. Cf. article 13 de la loi nigérienne n° 2011-18. En cas d’inexécution d’une décision de justice, il
dresse un rapport au Président de la République et au Premier ministre. Ce qui, dans les faits, peut
rendre son action plus efficace que celle de son homologue sénégalais.
73. Cf. article 15 de la loi organique nigérienne n° 2007-540.
74. Cf. article 10 de la loi sénégalaise n° 99-04.
75. Cf. article 7, alinéa 2, de la loi nigérienne n°2011-18.
76. En ce qui concerne la médiation dans le cadre OHADA, l’Acte uniforme du 23 novembre 2017
(article 16) prévoit que l’accord de médiation est obligatoire, lie les parties et est susceptible
d’exécution forcée. Le caractère exécutoire ne s’impose dès lors pas automatiquement.
77. Cf. article 18 de la loi organique ivoirienne n° 2007-540.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 463

–– Pour ce qui est de la transaction


En droit français, la transaction fiscale a pour effet d’entraîner l’extinction du
litige, le contribuable ne pouvant plus contester ni le montant des pénalités (majo-
rations et amendes) ni celui de l’impôt (article L. 257 du LPF). Elle n’est admise
qu’à la condition que les pénalités et impositions ne soient pas définitives. Cela
signifie que les voies de recours juridictionnelles ne doivent pas être épuisées et
que le juge ne doit pas avoir tranché le litige.
Les législateurs d’Afrique francophone reprennent cette condition en y appor-
tant une certaine aggravation. Alors qu’en France l’émission d’un avis de mise en
recouvrement n’interdit pas la conclusion d’une transaction, au Cameroun, elle
ne peut intervenir après l’émission d’un tel avis ou l’intervention de la décision
du juge. Par ailleurs, aussi bien le recours à la transaction que le recours conten-
tieux en matière fiscale n’ont pas d’effet suspensif. Le contribuable peut toute-
fois expressément demander un sursis de recouvrement, accompagné d’un acte de
cautionnement 78.
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Les autres États reprennent fidèlement le dispositif français. Ainsi, en Côte
d’Ivoire, la transaction qui porte sur certaines infractions fiscales doit intervenir
avant qu’un jugement définitif soit prononcé. Elle est prévue durant toute la procé-
dure contentieuse et avant la procédure de contrainte. Il en va de même au Sénégal
où la transaction qui porte sur les amendes, les pénalités, les majorations et intérêts
de retard ne peut intervenir s’ils sont définitivement fixés (article 671 du CGI).
–– Pour ce qui est de l’arbitrage OHADA et Washington
S’agissant de l’arbitrage OHADA (domaine civil et commercial), l’insertion
d’une clause compromissoire ou la conclusion d’un compromis exclut en principe
la justice classique et contraint les parties à recourir à l’arbitrage 79, de telle sorte
que l’arbitrage aura lieu même si la partie qui a contracté s’abstient d’y partici-
per. Il en va différemment pour le cocontractant qui n’aurait pas souscrit à une
telle clause ou compromis. L’article 9 du Règlement de procédure de la CCJA de
2017 intitulé « Absence de convention d’arbitrage » prévoit qu’une telle partie
peut décliner l’arbitrage de la Cour (exception d’incompétence), celle-ci décide
alors que l’arbitrage ne peut avoir lieu. Inversement, l’article 4 de l’Acte uniforme
OHADA du 23 novembre 2017 sur l’arbitrage dispose que les parties ont toujours
la faculté de recourir, d’un commun accord, à l’arbitrage, même lorsqu’une ins-
tance a déjà été engagée devant une juridiction étatique.

78. L’État camerounais, par la circulaire du ministère des Finances de 2018 visant à améliorer l’envi-
ronnement des affaires, a pris plusieurs mesures fiscales dont la possibilité d’obtenir un sursis de
paiement dans le cadre de la transaction pour des entreprises dites « citoyennes ».
79. La jurisprudence considère l’incompétence des juridictions étatiques dans ce cas (les parties ayant
eu l’intention de ne les saisir qu’en dernier ressort), CA Ouagadougou, n° 116, 19 mai 2006,
Henriette Kaboré c. sté Sahel Cie., Jurisprudences nationales OHADA, n° 2, décembre 2010,
p. 331, TGI Yaoundé, jugement n° 407, 24 mai 1999, Juridis périodique n° 37, p. 21, note Ipanda.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 464

S’agissant de l’arbitrage Washington (domaine des investissements), l’article 7


du Règlement de procédure du CIRDI comporte des dispositions similaires. Le
Règlement prévoit en outre (article 39) la possibilité pour les parties de conclure,
avant que la sentence ne soit rendue, un accord sous forme de transaction réglant le
litige. Dans ce cas, le tribunal arbitral rend une décision de clôture de la procédure.
Cette clôture peut également intervenir si, pour une raison quelconque non spéci-
fiée, il devient inutile ou impossible de poursuivre la procédure arbitrale.
Il résulte de ce qui précède que les ponts entre la procédure alternative et la
procédure classique n’ont pas été savamment articulés dans le contexte négro-
africain. Il nous semble pourtant que, pour donner force et promouvoir les modes
alternatifs, ils doivent entraîner la renonciation à l’action en justice, ou, si celle-ci
est déjà enclenchée, la tenue d’un procès judiciaire en l’état jusqu’à ce qu’une solu-
tion soit trouvée ou qu’elle ne puisse pas être trouvée. De la même façon, l’autorité
de la « chose conclue » et le caractère exécutoire doivent leur être reconnus.

1.2.2 L’autorité relative des solutions rendues sous procédure alternative


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La faiblesse des modes alternatifs dans les États, objets de l’étude, tient à ce que les
solutions obtenues au démarrage de ces mécanismes ont une autorité et une force
juridique relatives.
Celle-ci se manifeste par le caractère non obligatoire des décisions du
Médiateur de la République, le caractère en principe non exécutoire des solutions
résultant d’une médiation institutionnelle, et le caractère exécutoire sous condition
d’exequatur des sentences arbitrales et des accords de médiation obtenus dans le
cadre OHADA et du droit de Washington.
–– Le caractère non obligatoire des décisions en matière de médiation
institutionnelle
Au Togo, le médiateur fait des « recommandations » à l’organisme mis en
cause. Il peut en outre, en cas d’inexécution d’une décision de justice ayant acquis
autorité de chose jugée, enjoindre à l’organisme mis en cause de s’y conformer
dans un délai qu’il fixe 80.
Si le médiateur sénégalais a une batterie de fonctions lui permettant entre autres
de s’autosaisir 81, il faut dire que la force de ses décisions est relative, car il recom-
mande 82, propose une modification des textes 83, suggère des sanctions 84, mène des
enquêtes. Dans tous ces cas, les autorités ne sont pas tenues de suivre ses décisions.
L’article 16 se contente d’instruire aux ministres et autres autorités, de faciliter la

80. Cf. article 8 de la loi organique togolaise n° 2003-21, op. cit.


81. Ce pouvoir d’autosaisine existe également au bénéfice du médiateur ivoirien (article 16 de la loi
organique ivoirienne n° 2007-540), et du médiateur nigérien.
82. Cf. article 4 de la loi sénégalaise n° 99-04 du 29 janvier 1999, op. cit.
83. Ibid., article 11.
84. Ibid., article 14.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 465

tâche du Médiateur de la République. Il en va de même du médiateur nigérien qui


fait des recommandations, des suggestions 85 ou des propositions 86, dresse un bilan
annuel d’activité 87 ; et du médiateur ivoirien qui formule des recommandations
pour les litiges nés du mauvais fonctionnement de l’Administration 88.
La décision du Médiateur de la République dans le contexte africain n’a donc
pas force obligatoire, contrairement à celle du Défenseur des droits en France qui a
été investi de pouvoirs plus étendus (proposition de transaction, recommandation,
injonction, rédaction d’un rapport spécial rendu public sur un cas individuel, sai-
sine de l’autorité disciplinaire en vue d’une sanction, etc.).
–– Le caractère non exécutoire des accords de transaction
Au Niger, de manière générale, l’accord conclu au terme d’une procédure
alternative n’a pas force de chose jugée. Le juge administratif peut toutefois être
saisi d’une demande d’homologation ou d’exequatur 89 pour conférer une telle por-
tée à l’accord.
En Côte d’Ivoire, l’accord conclu aux termes d’une procédure alternative
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(transaction, conciliation, médiation non institutionnelle) est obligatoire entre les
parties dès sa signature. Le législateur n’a pas donné compétence au juge adminis-
tratif pour homologuer un tel accord, celui-ci peut toutefois en constater l’existence
en cas de saisine. Les parties peuvent par ailleurs dénoncer l’accord par le biais
d’une action en nullité ou en responsabilité devant le juge des contrats en vertu du
principe de la relativité des conventions.
Il en résulte que la transaction ne peut compter que sur la force attachée aux
conventions (article 1103 du Code civil) et au principe de la légalité. Elle a besoin,
en cas de nécessité d’interprétation ou de refus d’exécution, de l’intervention du
juge.
La transaction devrait normalement conduire à une perte du droit d’action pour
les parties ou à une extinction de l’action publique, si elle concerne les infractions
pénales.
–– Le caractère exécutoire des sentences après intervention du juge dans le cadre
de l’arbitrage privé (OHADA)
Dans le cadre de l’arbitrage privé OHADA, la sentence arbitrale a, dès son
prononcé, autorité de chose jugée relativement à la contestation qu’elle tranche
(article 23 de la loi du 23 novembre 2017). Cela signifie qu’elle a, entre les parties,

85. Cf. article 9, alinéa 1er, de loi nigérienne n° 2011-18.


86. Ibid., article 9 alinéa 2.
87. Ibid., article 16.
88. Cf. article 19 de la loi organique nigérienne n° 2007-540.
89. La procédure d’exequatur est l’examen qui permet de délivrer la formule exécutoire à la sentence
arbitrale, J.M. Tchakoua, « La pratique de l’exequatur des sentences arbitrale au Cameroun »,
Juridis périodique, n° 96, octobre-décembre 2013, p. 139.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 466

un caractère obligatoire. Pour avoir le même caractère erga omnes, il faut qu’elle
soit rendue exécutoire.
Une fois la sentence rendue, elle a besoin d’être revêtue de l’exequatur donné
par la juridiction compétente de l’État partie (article 30 de la loi du 23 novembre
2017), ou de la formule exécutoire pour bénéficier d’une exécution forcée 90.
L’exécution provisoire peut toutefois être accordée ou refusée par décision motivée
du tribunal arbitral (juge(s) arbitre(s)).
–– Le caractère en principe exécutoire des sentences rendues dans le cadre de
l’arbitrage effectué sous l’égide de la CCJA ou du CIRDI
Les sentences résultant des arbitrages réalisés sous les auspices de la CCJA ont,
aux termes de l’article 25 du titre IV du Traité de Port-Louis de 1993 tel que modifié
en 2008, une autorité définitive de chose jugée sur le territoire de chaque État partie
au même titre que les décisions rendues par les juridictions de l’État (ce principe
est rappelé avec plus de force par l’article 27, alinéa 1er, du Règlement de la CCJA).
Toutefois, elles ne peuvent être l’objet d’une exécution forcée qu’en vertu
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d’une décision d’exequatur qui ne peut être donnée que par la CCJA par une ordon-
nance du président de la cour ou d’un juge délégué dans les 15 jours du dépôt de la
requête 91 (il faut rappeler en effet que ce n’est pas la CCJA qui rend la sentence, mais
les arbitres qu’elle a désignés ou confirmés 92). L’exequatur communautaire peut être
refusé dans quatre hypothèses : l’arbitre a statué sans convention d’arbitrage 93 ; il ne
s’est pas conformé à la mission qui lui a été confiée ; le principe du contradictoire
n’a pas été respecté ; la sentence porte atteinte à l’ordre public international 94.
Pour ce qui est de la sentence rendue sous les auspices du CIRDI, l’article 53
de la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre
États et ressortissants d’autres États dispose (alinéa 1er) que la sentence rendue par
le Centre est obligatoire à l’égard des parties et ne peut être l’objet d’aucun appel
ou recours à l’exception de ceux prévus par la Convention. Chaque partie est tenue
de donner effet à la sentence, sauf si l’exécution en est suspendue. Chaque État

90. En France, le CE a, dans son arrêt Fosmax, Ass., 9 novembre 2016, opéré un contrôle des sen-
tences arbitrales impliquant les personnes publiques. Cf. les commentaires de C. Broyelle et
M. Audit, « L’arbitrage des personnes publiques », Rev. arb., 2017, n° 1.
91. Cf. articles 30 et 31 du Règlement de procédure de la CCJA ; CCJA, ordonnance n° 003/2015,
Gillet Jean-Paul c. Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) et Dépositaire central/
Banque de Règlement (DC/BR) ; CCJA, ordonnance n° 01/2015, Société interafricaine de distri-
bution (IAD) c. Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT) et Groupement
des syndicats de producteurs de coton et vivriers du Mali (GSCVM).
92. Cf. article 21, alinéa 2, du Traité OHADA de 1993.
93. CCJA, République de Guinée équatoriale et CEMAC c. Commercial Bank Guinea Ecuatorial
(CBGE), arrêt n° 012/2011 du 29 novembre 2011. Le juge déclara irrecevable un recours en annu-
lation contre une sentence arbitrale, au motif que les parties avaient expressément renoncé aux
voies de recours dans la convention d’arbitrage.
94. CCJA, Société nationale pour la promotion agricole (SONAPRA) c. Société nationale des hui-
leries du Benin (SHB), arrêt n° 45/2008 du 17 juillet 2008. Dans cette affaire, la Cour rejeta la
demande d’annulation de la sentence arbitrale, car le requérant n’a pas montré en quoi elle portait
atteinte à l’ordre public international.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 467

reconnaît le caractère obligatoire de la sentence et assure sur son territoire l’exé-


cution des obligations pécuniaires que la sentence impose s’il s’agit d’un tribunal
fonctionnant sur le territoire dudit État 95.
Demeure le problème de l’exécution forcée. Il ne faut pas perdre de vue que
c’est l’Administration (personne morale de droit public) qui est en cause. La
Convention CIRDI prévoit que les dispositions sur la force obligatoire et exécu-
toire des sentences arbitrales doivent respecter l’immunité d’exécution aménagée
par l’État d’accueil au profit de certaines personnes 96 et l’article 30 de l’Acte uni-
forme OHADA sur les voies d’exécution, exclut les personnes morales de droit
public du champ d’application de l’Acte. Ainsi, elles bénéficieraient aux termes
de ces dispositions d’une immunité d’exécution. La CCJA était d’ailleurs restée
constante sur cette position et admettait que l’entreprise publique, quelle que soit
sa forme (société commerciale par exemple), devait bénéficier de cette immuni-
té 97 ; elle était d’ailleurs allée très loin, estimant qu’il devait en être ainsi même
si la législation nationale soumettait ladite société au droit privé 98. Filiga Michel
Sawadogo critiqua une telle solution, en estimant qu’il fallait distinguer entre les
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entreprises publiques qui doivent bénéficier de l’immunité et les sociétés publiques
qui peuvent, en fonction de leur forme, être soumises à l’exécution forcée 99.
Le droit OHADA a récemment admis une évolution (revirement), en ce qui
concerne les établissements publics, dans l’arrêt X c. Sté des Grands Hôtels du
Congo SA rendu en 2018, par lequel la CCJA opère un revirement par rapport à
l’arrêt Togo Télécom de 2005 100.
De quelque façon que ce soit, les procédures alternatives en Afrique sont lar-
gement dépendantes du juge officiel. Elles sont à la fois exceptionnelles et impar-
faites, ce qui leur confère une place marginale en droit positif. Il s’agit d’un curieux
paradoxe lorsque l’on met en perspective leurs propriétés intrinsèques avec le
contexte socioculturel africain, et l’on ne peut que soutenir l’idée selon laquelle
elles doivent être revalorisées de façon à leur donner une place primordiale.

95. Cf. article 54 de la Convention du CIRDI.


96. Ibid., article 55.
97. Cf. CCJA, 2e ch., n° 09/2014, 27 février 2014 ; CCJA, 1re ch., Sté Fer Côte d’Ivoire, n° 44/2016,
18 mars 2016 ; CCJA, Ass. plén., AES Sonel Cameroun, n° 105/2014, 4 novembre 2014.
98. CCJA, 3e ch., Port autonome de Lomé, n° 24/2014, 13 mars 2014.
99. F.M. Sawadogo, « L’immunité d’exécution des personnes morales de droit public dans l’espace
OHADA », Revue camerounaise de l’arbitrage, numéro spécial, février 2010, pp. 141 et s.
100. Le point de départ de l’évolution jurisprudentielle autour de l’article 30 de l’AUPSRVE est l’af-
faire dite Togo Télécom qui élargissait le spectre des entités pouvant bénéficier de l’immunité de
juridiction : CCJA, A.Y et autres c. Sté Togo Télécom, n° 043/2005, 7 juillet 2005, Recueil de
jurisprudence de la CCJA, n° 6, juin-décembre 2005, p. 25. Cette solution a été vivement critiquée
par la doctrine. L’arrêt du 26 avril 2018 (CCJA, 3e ch., X c. Sté des grands hôtels du Congo SA et
10 autres, n° 103/2018) souligne que le critère de l’immunité d’exécution, reconnue à l’article 30
aux personnes morales de droit public, est la nature de son activité en fonction de la forme sociétale
adoptée, la simple présence de l’État ou d’une entité de droit public dans l’actionnariat d’une per-
sonne morale ne suffit pas à lui conférer l’immunité, dès lors que par son activité elle exerce sous
une forme sociétale (en l’espèce, une société d’économie mixte) qui fait d’elle une entité de droit
privé comme telle soumise aux voies d’exécution sur ses biens propres.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 468

2 UNE NÉCESSAIRE REVALORISATION DES MODES


ALTERNATIFS EN DROIT PROSPECTIF
De lege feranda, c’est-à-dire dans la perspective d’une réforme, les modes alter-
natifs de résolution des litiges administratifs doivent être hissés à une place pri-
mordiale dans le contexte, objet de l’étude. La justice d’État présente, plusieurs
décennies après l’accès à l’indépendance, des signes d’essoufflement qui traduisent
nolens volens, une certaine inadaptation aux particularités négro-africaines.
Les modes alternatifs semblent en revanche, au regard de leurs caractéristiques
intrinsèques, épouser au mieux les contours culturels subsahariens (2.1), de même
qu’ils répondent aux défis socio-économiques actuels (2.2).

2.1 L’adaptation au contexte culturel africain

Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs correspondent parfaite-


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ment aux représentations culturelles négro-africaines. Même après l’avènement des
États modernes et l’accès à l’indépendance, l’Africain continue de développer un
rapport particulier à l’idée de justice (2.1.1), mais également à l’État et à l’Admi-
nistration qui est son bras séculier (2.2.2).

2.1.1 L’adaptation au rapport de l’Africain à la justice


La justice en Afrique pendant la période précoloniale, symbolisée par l’Arbre
à Palabre, se caractérise essentiellement par deux traits : le collectivisme et
l’informalisme.
La justice alternative épouse parfaitement ces deux caractères forts.
–– Une adaptation à la conception collectiviste africaine
La conception collectiviste africaine, matérialisée par le primat de la collecti-
vité sur l’individu, a pour corollaire une approche consensualiste dans la recherche
d’une solution aux litiges, mais également une préférence pour une solution garan-
tissant l’équilibre de la collectivité à une solution assurant le triomphe de l’individu.
Par leurs aspects consensuels, les modes alternatifs de règlement des litiges
semblent adaptés à ce contexte. Qu’il s’agisse de la transaction, de la médiation
ou de l’arbitrage, l’aspect négocié s’impose fortement, en début, au cours ou à la
fin du processus. Il y a, d’une manière ou d’une autre, rencontre de volontés entre
l’Administration publique et son agent, son cocontractant, son partenaire, ou alors
l’administré. Ce consensualisme correspond parfaitement aux ressorts culturels de
la société africaine, qui est par essence collectiviste.
Cette approche garantit par ailleurs au mieux l’équilibre social. La signifi-
cation du procès est particulière dans la cosmogonie africaine : il ne s’agit pas
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 469

de fonder sa réclamation sur une règle écrite et de se réjouir de voir succomber


son adversaire. Le procès en Afrique précoloniale est moins un affrontement entre
deux parties qu’une occasion de réconciliation. C’est ce que souligne fort oppor-
tunément J. de Gaudusson : « Depuis l’époque précoloniale, la justice en Afrique
est conçue comme une fonction de médiation, son rôle ne consistant pas tant à
régler le litige en fonction de la règle de droit applicable au cas d’espèce, mais
à préserver l’équilibre de ceux des groupes sociaux impliqués dans le litige » 101.
L’homme africain n’est jamais isolé, il appartient « à un lignage, à une famille, il
est membre d’un village, d’une corporation, d’une caste, d’une clientèle. Au sein
de son lignage, il se sent dans un espace de liberté : la solidarité de tous garantit
la sécurité de chacun » 102. Exister en Afrique, « c’est renoncer à l’être individuel,
compétitif, égoïste, agressif, conquérant, pour être avec les autres dans la paix et
l’harmonie avec les vivants et les morts, avec l’environnement naturel et les esprits
qui le peuplent ou l’animent » 103. En plus d’être consensuelle, l’idée africaine de
justice se caractérise par un certain informalisme.
–– Une adaptation à la conception informelle africaine
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La justice africaine se caractérise également par son caractère informel. Celui-ci
peut être souligné à deux niveaux : la simplicité de la procédure et l’absence d’un
juge institué.
Dans l’Afrique précoloniale, les questions familiales, pénales, foncières étaient
réglées selon une procédure informelle. La procédure était essentiellement orale,
les questions liées à la forme de la requête, aux délais n’étaient pas de mise. S’il
était fait application de la coutume, le raisonnement n’était pas du type juridique,
avec une opposition des moyens.
Il n’existait pas par ailleurs un professionnel qui aurait été le pendant africain
de la figure du « juge » romano-germanique. Les sages se retrouvaient autour d’un
grand arbre, appelé l’Arbre à palabre, pour réconcilier les parties en conflit ou en
différend. Le principe était de discuter longuement jusqu’à ce que l’on parvienne à
une solution satisfaisant le plus grand nombre. C’est également le cas du système
de a guyara, qui signifie règlement amiable en langue Haoussa.
Ce socle culturel explique partiellement les tendances des citoyens africains,
plusieurs années après l’accès à l’indépendance et l’instauration du système judi-
ciaire moderne, à déserter la justice d’État. La fierté du paysan africain est, comme
le souligne Keba MBaye, de pouvoir dire « je n’ai jamais mis les pieds dans un
tribunal ou dans un commissariat » 104.

101. J. de Gaudusson, « Le statut de la justice dans les États d’Afrique francophone », in G. Conac et
J. de Gaudusson (dir.), La justice en Afrique, op. cit., p. 11.
102. M. Alliot, Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Karthala, 2003, p. 224.
103. Cf. K. Mbaye, « Les droits de l’homme en Afrique », in K. Vassak (dir.), Les dimensions interna-
tionales des droits de l’homme, UNESCO, Gand, Snoeck-Ducaju et fils, p. 651.
104. K. Mbaye, Le droit en déroute. Liberté et ordre social, Neufchâtel, Éditions de la Banomière,
1969, p. 38.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 470

En revanche, les modes alternatifs donnent, pour certains, la possibilité de


résoudre le litige en ne se fondant pas exclusivement sur des arguments de droit.
Depuis l’époque coloniale, l’Africain a également cultivé un certain rapport à l’Admi-
nistration fait de révérence.

2.1.2 L’adaptation au rapport de l’Africain à l’Administration


L’Africain entretient un rapport ambivalent et ambigu à l’Administration, marqué
dans tous les cas par une attitude révérencielle. L’Administration est tout d’abord
perçue comme l’héritière du colon, jouissant du monopole de la violence physique
légitime. Cette tendance a été confortée par les régimes autoritaires qui ont sévi
sur le continent africain à la suite de l’accès à l’indépendance. Elle est ensuite
conçue comme un pourvoyeur de sécurité, la garante de l’amélioration des condi-
tions matérielles de la vie quotidienne du citoyen.
Ces deux ressorts culturels disqualifient la justice d’État et apportent des suf-
frages à l’idée d’une justice administrative, négociée, amiable.
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–– Un respect craintif vis-à-vis de l’Administration : la doctrine de la puissance
publique
Il ne faut pas perdre de vue que les structures psychosociales propres au conti-
nent africain font que le citoyen nourrit une peur révérencielle de l’Administration.
L’Administration est, dans ce cadre, considérée comme un mastodonte, une
créature dantesque, capable de manier la foudre et le tonnerre. Diverses formules
ont été énoncées pour caractériser l’État et son Administration en Afrique, celui-ci
est perçu comme un État prédateur 105, patrimonial 106, néo-patrimonial 107 ou patri-
monialisé 108. Le constat de René Degni-Segui garde encore aujourd’hui toute sa
pertinence : « L’Africain croit en effet qu’attaquer une décision présidentielle, c’est
attaquer le Président de la République et, au-delà de cette autorité politique et admi-
nistrative, sa personne. C’est sans doute cette peur qui explique la rareté des recours
(…) » 109. Très peu de personnes osent introduire une action en justice contre l’État
ou l’Administration.
Si, par extraordinaire, le citoyen réussit à intenter un procès contre l’Adminis-
tration et à avoir gain de cause, en obtenant, par exemple, l’annulation d’un acte ou
la condamnation de l’Administration à des dommages et intérêts, il est par le fait
même parfois condamné à vivre désormais dans la hantise du courroux de l’auto-
rité publique et des représailles. C’est ici que se concrétise le mérite des modes

105. D. Dabon, « L’État prédateur », Politique africaine, 1990, n° 39, pp. 37-45.
106. A.S. Mescheriakoff, « L’ordre patrimonial : essai d’interprétation du fonctionnement de l’admi-
nistration d’Afrique francophone sub-saharienne », RFAP, 1987, pp. 323-351.
107. J.-F. Médard, « L’État néo-patrimonial en Afrique », in J.-F. Médard, États d’Afrique : forma-
tions, mécanismes et crises, Paris, Karthala, 1991.
108. J.-F. Médard, « L’État patrimonialisé », Politique africaine, n° 39, 1990, pp. 25 et s.
109. R. Degni-segui, « L’accès à la justice et ses obstacles », op. cit., p. 248.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 471

alternatifs qui permettent de rassurer le citoyen vis-à-vis de lui-même et l’Admi-


nistration 110. Cette conception d’une Administration publique se faisant l’écho des
idées défendues par le doyen Maurice Hauriou 111, fondateur de l’École de la puis-
sance publique 112, a eu pour conséquence d’imprimer dans l’esprit des Africains
des forces inconscientes de résignation.
–– Une attitude respectueuse de l’Administration : la doctrine de la construction
nationale
L’avènement des indépendances a substitué l’Administration dans le rôle joué
par le lignage ou la famille, particulièrement avec les conceptions intervention-
nistes de l’État qui ont prévalu avant le mouvement de privatisation. Dans ces
États post-indépendantistes, l’Administration publique a été très tôt confrontée à
la double nécessité de gérer la question du développement et d’offrir des services
publics de base aux populations, suivant la doctrine interventionniste du welfare
state opposée à celle du self-made-man.
L’on comprend dès lors que l’Administration soit l’objet d’une attitude respec-
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tueuse. La philosophie politique dominante, mise en avant par les dirigeants aux
lendemains des indépendances, dans presque tous les États africains francophones,
était à cette époque « la construction nationale » à travers ses deux piliers que sont
l’unité nationale et le développement. Dans ce contexte, initier un procès contre
l’Administration, c’est s’ériger seul contre tous, ramer à contre-courant des intérêts
de la Nation. L’intérêt de la Nation n’est pas conçu, dans ce contexte, comme la
somme des intérêts individuels, mais comme un antagonisme qui doit être consi-
déré comme étant prioritaire par rapport à ceux-ci 113.
Quoique la construction nationale ait été supplantée par la troisième vague
de démocratisation, cette culture résistante explique de façon partielle l’ineffica-
cité de la justice d’État, la rareté des recours administratifs contentieux et le choix
des solutions consensuelles. Outre le fait qu’elle s’insère harmonieusement dans
la conception ancestrale et la culture révérencielle de l’Administration héritée de
la colonisation, la justice alternative présente l’avantage de correspondre aux défis
actuels du continent africain.

110. R. Nemedeu, « L’arbitrage OHADA : un instrument de paix en matière d’affaires », op. cit.
111. La doctrine de la puissance publique a été développée par Maurice Hauriou, Doyen de la Faculté
de droit de Toulouse du 1er novembre 1906 au 31 août 1926. Dans son Précis de droit adminis-
tratif et de droit public général (Paris, Larose, 1900), il définit « la puissance publique » au sens
juridique comme une « une volonté qui exerce les droits administratifs au nom de la personnalité
publique des administrations ».
112. Pour cette école (dont les disciples comptent parmi eux G. Vedel, J. Rivero, L. Sfez,
R.G. Schwartzenberg), l’administration dispose de prérogatives de puissance publique néces-
saires pour faire prévaloir l’intérêt général.
113. K. Mbaye, « Le développement et les droits de l’homme », Revue sénégalaise, décembre 1977,
n° 22, pp. 31 et s.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 472

2.2 L’adaptation de la justice alternative au contexte


socio-économique africain

Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs s’inscrivent dans


l’air du temps. L’Afrique est confrontée au plan socio-économique à deux défis
majeurs : la lutte contre la pauvreté et le développement économique.
Il a été dit précédemment que la justice d’État, au regard des nombreuses cri-
tiques qui lui ont été adressées (insuffisance des structures juridictionnelles, délais
trop longs, procédures complexes, difficulté d’exécution des décisions ou inexécu-
tion, etc.) semblait clairement inadaptée au contexte négro-africain.
La justice alternative en revanche s’intègre harmonieusement par rapport aux
objectifs à atteindre, aussi bien en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté (2.2.1),
que le développement économique (2.2.2).

2.2.1 L’adaptation à un contexte de pauvreté


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Les États d’Afrique noire francophone sont, plusieurs décennies après leur indépen-
dance, encore confrontés au problème de la pauvreté. Ce contexte social défavorable
semble incompatible avec la justice d’État, et milite en revanche pour la justice
alternative. Il s’agit d’une indigence intellectuelle, matérialisée par ce que l’on
pourrait appeler l’analphabétisme juridique, mais aussi d’une indigence matérielle.
–– Un contexte d’indigence intellectuelle favorable à la justice alternative : l’anal-
phabétisme juridique
La procédure administrative contentieuse, définie comme l’ensemble des
règles applicables « aux litiges dont la solution doit être trouvée dans une règle
de droit administratif » 114, apparaît bien souvent comme d’inspiration moderne et
occidentale (un legs de la colonisation 115), éloignée des aspirations quotidiennes du
citoyen africain. Elle est décrite dans les États d’Afrique francophone comme un
droit ésotérique, un droit de la complexité.
La grande technicité des règles est de nature à dérouter même les praticiens les
plus rompus, et à désarmer a fortiori le justiciable ordinaire, en le laissant dans une
semi-hébétude et une certaine hargne à l’idée de savoir qu’il a, par exemple, perdu
un procès pour lequel il a visiblement raison sur le fond, parce qu’il s’est trompé de
juge, n’a pas respecté les délais ou les règles de forme.
Le citoyen africain ressemble furieusement au Huron des réflexions naïves
sur le recours pour excès de pouvoir de J. Rivero 116. Il recherche la simplicité,

114. A. Bockel, Droit administratif, Dakar, NEA, 1978, p. 494.


115. P.C. Kobo, « Le contentieux administratif dans l’espace AA-HJF : bilan et perspectives », op. cit.,
p. 1.
116. J. Rivero, « Le Huron au Palais-Royal ou réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir »,
D., 1962, chron. VI, pp. 37 et s.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 473

l’intelligibilité, la souplesse, l’accessibilité, or la justice institutionnelle se carac-


térise trop souvent par des tracasseries procédurales, un coût prohibitif, des lour-
deurs. Ce qui contraste parfois avec la modicité de ses moyens.
–– Un contexte d’indigence matérielle favorable à la justice alternative : la modi-
cité des économies
Beaucoup d’Africains vivent encore sous le seuil de pauvreté, avec moins d’un
dollar par jour. Dans ce contexte, le citoyen ordinaire est plus porté vers la satisfac-
tion du premier étage de la courbe des besoins d’Abraham Maslow 117, c’est-à-dire
ses besoins physiologiques (manger, boire, se vêtir, etc.), que vers un besoin de jus-
tice qui correspond au stade suivant (celui de la sécurité). Cet état de fait contraste
avec une justice classique qui non seulement ne lui assurerait pas le gain espéré,
mais pis encore serait cause d’appauvrissement.
Ce sentiment ne cesse de s’accentuer et de devenir crédible dans l’esprit
public 118. Il est aggravé par le fait que l’assistance judiciaire n’est pas développée
et que des garanties à l’exécution de la décision du juge administratif ne sont pas
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assurées. L’exécution des décisions de justice constitue le point névralgique du
contentieux administratif 119 dans les États négro-africains. L’on ne peut en principe
exercer des voies d’exécution forcée contre les personnes publiques, qui jouissent
d’une certaine immunité de fait. Le droit OHADA, comme il a été précédemment
mentionné, a permis une certaine évolution pour ce qui est des établissements
publics 120.
Dans ce contexte, les modes alternatifs de résolution des litiges s’imposent
comme la voie royale. Ils sont moins coûteux, le ministère d’avocat est facultatif,
ce qui permet de faire des économies en termes d’honoraires, de frais de justice
(sauf pour l’arbitrage), et de dépens. Ils représentent par ailleurs un gain, dans
la mesure où le temps économisé peut être converti en argent. Le citoyen a par
ailleurs plus de chance d’obtenir rapidement l’exécution de la solution adoptée au
départ d’un mode alternatif.

117. A. Maslow, « A Theory of Human Motivation », Psychological Review, n° 50, 1943, pp. 370-396.
Les acteurs politiques sont dans ce contexte tout aussi préoccupés par le besoin de sécurité maté-
rielle, J.-F. Bayart, L’État en Afrique : la politique du ventre, Paris, Fayard, coll. « L’espace poli-
tique », 2006.
118. G. Pluyette, « La médiation judiciaire », Gaz. Pal., 1998, doctrine pp. 702 et s.
119. Plusieurs solutions ont été imaginées dans le monde pour briser la réticence administrative :
- L’injonction ou la quasi-injonction donnée à l’organe auteur de l’acte ou sa condamnation à une
astreinte (Australie, Finlande) ;
- La désignation d’un organe mieux placé pour réaliser l’exécution (Suisse) ;
- Le recours à un organe administratif supérieur, ordonnant l’exécution par les autorités administra-
tives (cas du Congo, où l’aide est demandée au Président de la République d’ordonner l’exécution) ;
- Le comité de surveillance de l’exécution au sein de la juridiction administrative (Grèce) ;
- La contrainte publicitaire, qui consiste à publier, généralement en fin d’année, la liste des déci-
sions que l’administration n’a pas exécutées.
120. Cf. A. Ibono, « L’immunité d’exécution des personnes morales de droit public à l’épreuve de la
pratique OHADA », Revue ERSUMA, n° 6, janvier 2016, pp. 80 et s.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 474

L’on ne s’étonnera donc pas que la réforme de la justice en Afrique et la pro-


motion de la justice alternative occupent une place de choix dans les Documents
de stratégie de la réduction de la pauvreté (DSRP) établis par le FMI et la Banque
mondiale 121. En plus de répondre aux impératifs de lutte contre la pauvreté, les
modes alternatifs sont adaptés aux défis économiques du continent africain.

2.2.2 L’adaptation à un contexte de développement économique


Les modes alternatifs garantissent, au regard de leurs principes (célérité, simplicité,
secret...), un environnement juridique et judiciaire efficace, ce qui développe le
partenariat avec l’Administration d’État et crée un climat des affaires favorable aux
investisseurs étrangers.
–– Une justice favorable au partenariat interne privé/public
Aucun prestataire n’accepterait de contracter avec l’Administration s’il était
conscient de ce qu’en cas de conflit, la question serait portée devant le juge adminis-
tratif, souvent considéré comme « juge administratif de la légalité », au lieu de « juge
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de la légalité administrative » 122, qui mettrait un temps trop long pour établir les droits
des uns et des autres, qui présenterait une inclination naturelle du côté de l’Adminis-
tration et dont le principe d’immunité d’exécution pourrait être opposé aux décisions.
De la même façon, aucune relation contractuelle ne pourrait perdurer si les
parties s’étaient opposées, de manière parfois virulente, en justice dans le cadre
d’un litige. Il ne faut pas perdre de vue que le procès administratif met souvent en
confrontation des parties qui sont appelées à travailler et vivre ensemble quotidien-
nement : un agent et son supérieur hiérarchique, un usager du service public et le
service en question, une personne publique et son cocontractant. Il est donc néces-
saire d’arriver à un certain apaisement entre les parties pour ne pas compromettre la
coopération et la coexistence pacifique. Comme le fait remarquer Jean-Marc Sauvé,
« Tout différend n’a pas vocation à être porté devant un juge […] il faut conjurer le
risque d’un juge omniprésent, destiné à porter, sur ses seules épaules, les équilibres
multiples et parfois infinitésimaux qui concourent à la qualité des relations entre les
citoyens et leurs [A]dministrations » 123. Cette affirmation se vérifie dans le domaine
des investissements étrangers.
–– Une justice favorable aux investissements étrangers
Les investisseurs et les industriels ne peuvent s’engager que dans un contexte
qui garantit à la fois une certaine sécurité des capitaux et des bénéfices. Les modes
alternatifs de résolution des litiges administratifs garantissent un climat des affaires

121. J. de Gaudusson, « La justice en Afrique : nouveaux défis, nouveaux acteurs », op. cit., p. 22.
122. J. Rivero, « Le juge administratif : gardien de la légalité administrative ou gardien administratif
de la légalité », in Mélanges offerts à Marcel Waline, Le juge et le droit public, Paris, LGDJ, 1974,
pp. 701 et s.
123. J.-M. Sauvé, « Conclusion du Séminaire de l’AIHJA sur les modes alternatifs de règlement des
différends en matière administrative », op. cit.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 475

favorable. Ils apparaissent ainsi comme des catalyseurs des investissements, qui
eux-mêmes, s’ils sont bien encadrés, constituent le moteur du développement éco-
nomique d’un pays.
Les principaux promoteurs de l’OHADA l’ont très bien compris, et c’est la rai-
son pour laquelle ils ont fait une place particulière à la médiation et l’arbitrage 124.
Il en va de même des cinq États qui constituent le cadre géographique de notre
étude. Cela apparaît à la lecture de deux instruments juridiques : le Code des inves-
tissements et le Code des marchés publics. Dans tous ces États, le législateur met
en avant la justice administrative. C’est le cas de l’arbitrage prévu par le code des
investissements 125 (15 % des affaires portées devant le CIRDI l’ont été en 2018 par
les États africains 126).
***
La justice alternative offre de nombreux avantages. Elle doit impérativement être
revalorisée dans le contexte négro-africain, d’autant plus qu’elle correspond dans
son principe à la conception africaine de la justice, au rapport de l’Africain à l’Admi-
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nistration d’État et aux défis socio-économiques. Pour autant, faut-il supprimer les
cours et tribunaux ? Il ne peut en être question ! Il faut se garder de considérer la
justice alternative comme de la « poudre de perlimpinpin » ou « le saint Graal »,
qui viendrait conjurer tous les maux dont souffre la justice en Afrique. Les modes
alternatifs de résolution des litiges ont eux aussi des faiblesses, particulièrement l’ar-
bitrage qui reste une justice rendue par des juges privés (frais exorbitants 127, condam-
nation de l’État au paiement de lourdes sommes d’argent ne tenant pas compte des
impératifs budgétaires, partialité au profit des investisseurs étrangers ou des per-
sonnes privées 128). Les États et les entreprises doivent dès lors réfléchir sérieusement
avant d’introduire des clauses compromissoires ou des compromis, ainsi que dans le
choix des arbitres. Il existe par ailleurs, comme cela a été précédemment signalé, des
domaines qui doivent rester du ressort de la justice d’État. Il faut donc revaloriser ces
modes alternatifs, et de plus les encadrer et les accompagner d’une modernisation de
la justice d’État en matière administrative à l’image de ce qui a pu être observé en
France au cours de ces dernières années 129 (juge unique, réforme des procédures de
référé, décentralisation, simplification, procès équitable, etc.).

124. F. Onana Etoundi, « L’OHADA et la sécurité juridique et judiciaire, vecteur de développement »,


22e Congrès international des huissiers de justice, Madrid, 2-5 juin 2015.
125. Cf. article 26 du Code des investissements camerounais de 2013 ; article 47, alinéa 1er, du Code
des investissements nigérien qui parle d’arbitrage ad hoc ; article 8 du Code des investissements
togolais ; article 50 du Code des investissements ivoirien, op. cit.
126. Cf. Affaires du CIRDI – Statistique (numéro 2019-1), https://icsid.worldbank.org/fr, consulté le
1er janvier 2019, p. 11.
127. D. Williams et J. Walton, « Costs and Access to International Arbitration », Journal of the
Chartered Institute of Arbitrator, 2014, n° 4, p. 432.
128. Cf. affaire Tapie-Crédit lyonnais en France.
129. M. Paillet (dir.), La modernisation de la justice administrative en France, Bruxelles, Larcier, 2010.
Les modes alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique noire francophone 476

SUMMARY: ALTERNATIVE MODES OF RESOLVING


ADMINISTRATIVE DISPUTES IN SUB-SAHARAN
FRENCH-SPEAKING AFRICA
The topic of “justice in Africa” has widely inspired Africanist and African doctrine.
The dominant position is one of a critique with regard to its reception, conception,
structuring, independence, access, and procedures. In short, institutional justice is
believed to be in crisis.
Other issues are raised with respect to administrative justice specifically.
Commentators have lamented in particular the lack of specialization of judges, the
timidity of judicial review, complicity with public officials, laxity, poor productivity,
mimicry of French case law, and the non-compliance of the public administration
with regard to judgments.
If it is agreed that institutional administrative justice, as conceived and practiced
since independence, has failed to provide effective solutions to disputes between the
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public administration and citizens in sub-Saharan French-speaking Africa, could
we use alternative modes to realize the idea of justice—the ultimate aim of law?
This study reveals a weak inclusion of alternative modes in statutory provisions
and case law in the five states that make up the local framework focused on here.
It then sets out, adopting a prospective approach, the need to increase the use of
alternative modes of resolving administrative disputes, as these modes best match
the African cultural conception and socioeconomic challenges.

Mots clés : modes alternatifs, justice, Administration

Keywords: alternative modes, justice, Administration

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