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QUAND LE SPORT SE MET AU SERVICE DU MANAGEMENT : LA

FABRIQUE DU « SALARIÉ DE HAUT-NIVEAU »

Yan Dalla Pria

Presses Universitaires de France | « Ethnologie française »

2019/4 Vol. 49 | pages 671 à 686


ISSN 0046-2616
ISBN 9782130821359
DOI 10.3917/ethn.194.0671
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2019-4-page-671.htm
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Quand le sport se met au service du management :
la fabrique du « salarié de haut-niveau »
Yan Dalla Pria
Université Paris Nanterre
Institutions et Dynamiques Historiques de l’économie et de la société (IDHE.S)
ydallapria@parisnanterre.fr

RÉSUMÉ
À partir de l’étude de séminaires de formation mêlant pratiques sportives et développement personnel, cet article analyse
le processus de façonnage par l’entreprise de ses salariés en vue d’optimiser leur épanouissement au travail, source
supposée de gains de productivité. Cette approche assimile ainsi l’être humain à un capital optimisable dans lequel il
s’agirait d’investir. Elle participe ce faisant de la diffusion d’une morale bioéconomique qui possède un effet dépolitisant
et exerce sur ceux qui ne s’y conforment pas des rapports de domination symbolique potentiellement violents.
Mots-clés : Sport. Développement personnel. Entreprise. Morale bioéconomique. Optimisation.
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« Il faut imaginer Sisyphe heureux » (Camus, 1942) ouvre un champ sémantique qui requiert un examen
plus attentif. Peut-on investir dans un collaborateur
comme on investirait dans une valeur financière ? Dans
Comme le déclarait en 2014 le Président du Conseil quel type de processus de « développement » ce colla-
d’administration de France Bureau1, « dans notre borateur se trouverait-il alors engagé ?
culture d’entreprise, le ciment, c’est le sport. […] Le Chez France Bureau, ces questions trouvent leur
sport aide les collaborateurs à se développer, et l’entre- origine au milieu des années 2000, période à laquelle
prise en profite2 ». En introduction au Rapport annuel les dirigeants ont défini une nouvelle stratégie de
2016-2017, il précise en ces termes la vision portée par croissance consistant à « replacer l’humain au cœur de
l’entreprise : « [n]ous poursuivons nos investissements l’entreprise ». Entre autres projets, cette stratégie a
d’une part, dans nos outils industriels (informatique et débouché sur l’ouverture d’une université interne dis-
logistique), et d’autre part, dans le développement de pensant des formations innovantes couplant dévelop-
nos collaborateurs afin de devenir toujours plus
pement personnel et activités physiques et sportives.
agiles. » L’aspiration à plus « d’agilité », véritable leit-
motiv managérial, fait écho à l’injonction à laquelle Au travers de l’étude de deux de ces séminaires de
sont soumises les entreprises contemporaines de formation, l’objectif de cet article est de considérer le
s’adapter à un environnement économique en perpé- processus de façonnage par l’entreprise de ses salariés
tuelle recomposition. Au regard du cœur de métier en vue d’optimiser leur épanouissement au travail et
de l’entreprise – la vente à distance BtoB de matériel donc leur productivité, conformément à l’idée bien
spécialisé – on comprend aisément le caractère straté- ancrée dans les milieux patronaux selon laquelle un
gique dont est investi l’appareil informatique et logis- salarié heureux serait plus productif. Ces séminaires
tique. L’idée « d’investissements […] dans le sont en effet porteurs d’une promesse : celle de favori-
développement des collaborateurs », en revanche, ser l’acquisition par les salariés de « techniques de soi,

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qui permettent aux individus d’effectuer […] un cer- 2011 en présence des responsables de l’université
interne et du centre sportif.
tain nombre d’opérations sur leur corps et leur âme, – Le séminaire « Révéler son plein potentiel par le sport »
leurs pensées, leurs conduites, leur mode d’être » les (2016), nommé « Plein potentiel » ci-après, a quant à
amenant à exploiter pleinement leur potentiel, c’est- lui fait l’objet de 2 séances d’observation non-partici-
à-dire à « se transformer afin d’atteindre un certain état pante consacrées à la thématique « Mieux appréhen-
der le changement » et mobilisant la boxe. En outre, 6
de bonheur, de pureté, de sagesse, de perfection ou entretiens semi-directifs ont été menés auprès du res-
d’immortalité » [Foucault, 1994, IV : 785]. Cette ponsable du centre sportif, déjà interviewé en 2010, du
approche conduit ainsi à considérer l’être humain formateur et de 4 participants. Lors de ces entretiens,
l’ensemble du séminaire a été évoqué.
comme un capital perfectible, optimisable [Rosental, En marge de ces séminaires, des entretiens semi-
2016], au plan psychologique mais aussi biologique, directifs ont été réalisés entre 2011 et 2014 avec 4 cadres
dans lequel il s’agirait d’investir en vue d’accroître sa dirigeants impliqués dans la conception ou la mise en
valeur économique. Gary Becker [1964] définit le œuvre des séminaires observés (DRH, responsable com-
munication, directeur du projet immobilier, directrice de
« capital humain » comme « l’ensemble des capacités l’université interne), ainsi qu’avec 2 responsables de
productives qu’un individu acquiert par accumulation l’association sportive de l’entreprise.
de connaissances générales ou spécifiques, de savoir- Deux autres enquêtes par observations et entretiens
ont été réalisées dans la même entreprise en 2017 et
faire, etc. ». Cette notion d’inspiration néolibérale met 2018. Leurs résultats n’éclairant qu’à la marge la thèse
ainsi le focus sur l’inégale valeur économique des indi- de cet article, elles ne seront pas présentées en détail.
vidus mais aussi sur la possibilité pour l’organisation Des éléments empiriques ponctuels pourront toutefois
d’accroître cette valeur, en particulier par la formation. être mobilisés pour mettre en perspective les analyses
menées ci-après.
Dans ce contexte, jouer le jeu du « développement de
soi » signifie simultanément accepter d’être gouverné
par l’organisation, conformément à ses propres objec-
tifs économiques.
Après avoir présenté les séminaires observés (I) et
considéré leurs effets sur les individus (II), je montrerai ■ Du sport de haut-niveau à
qu’au travers de cette démarche « d’investissement » l’entreprise : extension du domaine
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dans un « capital humain » dont il s’agirait d’assurer le d’expression du « plein potentiel »
« développement », l’entreprise impose une figure du
« salarié idéal », emblématique des organisations post-
Le sport comme vecteur de « développement des
tayloriennes, à laquelle les salariés sont enjoints de se
collaborateurs » connaît depuis les années 1980 un
conformer. Parce qu’ils enrôlent les individus corps et véritable regain d’intérêt dans les milieux patronaux.
âme, ces séminaires participent ainsi de la diffusion De nouvelles pratiques ont ainsi vu le jour dans les
d’une morale bioéconomique qui d’une part possède politiques de gestion des Ressources humaines : salles
de puissants effets dépolitisants, et d’autre part soumet de sport in situ, recrutement de sportifs de haut niveau,
ceux qui ne peuvent ou ne veulent s’y conformer à ce usage du sport dans les séminaires d’incentive, de team
qui s’apparente à une forme contemporaine « d’eugé- building ou, plus récemment, de formation [Ehren-
nisme privé » [Rosental, 2016] (III). berg, 1991 ; Pierre, 2015]. À tel point que l’on
observe aujourd’hui une convergence entre certaines
Méthodologie modalités de pratiques sportives en entreprise et les
techniques de soi diffusées par la mode du développe-
Cet article repose sur un travail de recherche au long ment personnel. Les séminaires observés chez France
cours mené depuis 2010 chez France Bureau sur la thé- Bureau s’inscrivent précisément au confluent de ces
matique des pratiques sportives en entreprise. Le maté-
riau empirique présenté est d’abord relatif à deux deux registres d’activités.
séminaires de formation :
– Le séminaire de formation par le squash (2010-2011) a France Bureau : une entreprise en mutation affichant
donné lieu à 2 séances d’observation non-participante des valeurs fortes
ainsi qu’à la réalisation de 9 entretiens semi-directifs
auprès du responsable du centre sportif, de 2 coachs
sportifs/formateurs et de 6 participants au séminaire. France Bureau, entreprise familiale créée en 1966,
Ce travail d’enquête s’est conclu par une restitution en est leader dans son secteur d’activité (vente à distance

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de matériel et de fournitures pour les professionnels) un ERP Microsoft avec des onglets, une souris, des
avec un chiffre d’affaires 2016-2017 de 709 millions liens, etc. Ça a changé le quotidien de beaucoup de
d’euros. Elle est implantée dans 17 pays européens et gens ! […] Nos clients exigent du temps réel. La concur-
compte aujourd’hui 2 138 salariés. rence nous y oblige aussi. Quand vous passez votre com-
mande pour cette table à 9h, vous aimez bien, à 9h02,
Son siège social francilien, au sein duquel a été réali- recevoir un mail « Merci de votre paiement, vous serez
sée l’enquête, compte environ 550 salariés répartis sur livré tel jour ». (Directeur de la transformation digitale)
trois pôles d’activités relativement cloisonnés : les
bureaux, qui accueillent environ 300 « cols blancs » Cette refonte du système d’information est toutefois
occupant des fonctions administratives et gestion- à l’origine d’une désorganisation interne qui s’est tra-
naires ; les entrepôts, dont la population faiblement duite par un fort turn-over des managers ainsi que par
qualifiée et essentiellement masculine est composée une explosion de l’absentéisme (30 283 jours en 2016-
d’environ 200 « cols bleus » intervenant surtout sur des 2017 contre 21 534 en 2014-20153). En dépit de ce
tâches manuelles (conditionnement, chargement, contexte incertain, France Bureau est entrée en 2017
transport) ; et enfin, les centres d’appel, qui regroupent dans le palmarès très médiatisé des « entreprises où il
une trentaine de salariés, très majoritairement des fait bon travailler » (classement Great Place To Work
femmes peu qualifiées exerçant une activité sédentaire. France).
Au milieu des années 2000, France Bureau a connu
une période de mutation consécutive à la définition Le séminaire squash : un projet du Directeur Général
par ses dirigeants d’une nouvelle stratégie de crois-
sance. Cette stratégie s’est traduite par un déménage- Le séminaire de formation par le squash a été lancé
ment en 2010 sur un nouveau site flambant neuf à la fin des années 2000 à l’initiative du Directeur
intégrant un restaurant d’entreprise proposant une cui- général de l’entreprise, lui-même joueur de squash.
sine diététique et biologique et un centre sportif
multi-activités (salle omnisport, salle fitness/cardio, [DG] a été très bon pratiquant. Puis il a piqué les tech-
terrains de squash, mur d’escalade, etc.). Sur le plan niques de coaching sportif et de développement person-
managérial, ce projet s’est concrétisé par la création nel et, de manière autodidacte, il se les est appliquées à
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d’une université interne dont les formations, suppo- lui-même. Et il s’est dit pourquoi pas les utiliser pour
d’autres dans l’entreprise ? (Gestionnaire du centre
sées mobiliser les activités physiques, ont pour voca-
sportif)
tion de promouvoir le développement et
l’épanouissement des collaborateurs : « [o]n est sur
Initialement réservé aux cadres dirigeants, ce sémi-
l’idée d’une éducation assez humaniste et visionnaire naire s’est ensuite ouvert à l’ensemble des salariés sur
de l’entreprise qui propose aux salariés, au travers d’un la base du volontariat : en 2010, quatre groupes de 10
outil qu’est le sport, du développement et de l’épa- à 12 personnes (42 inscrits au total) participaient ainsi
nouissement personnel. » (Responsable du centre durant une demi-journée par mois, dans le cadre du
sportif). Droit individuel à la formation, à ces séances organi-
Enfin, l’entreprise est confrontée depuis 2015 à la sées dans un club francilien. Ce séminaire était animé
concurrence frontale d’Amazon Business. Arrivée sur par le charismatique Jim, ancien champion de France,
les marchés allemand en 2016, anglais en 2017 et fran- proche du Directeur mais novice dans le monde de la
çais en 2018, la plateforme e-commerce destinée aux formation.
professionnels du géant américain représente en 2018
un chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros dans le Au départ, c’était obligatoire pour le comité de direction
monde. Ayant anticipé l’arrivée de nouveaux acteurs ainsi que pour le premier niveau de management. Avec
sur son marché, France Bureau a initié dès 2013 sa le temps, [DG] a abandonné le côté obligatoire pour les
transformation digitale. directeurs, car l’assiduité n’était pas forcément au
rendez-vous. Depuis deux ans, c’est donc ouvert à tous
On a changé le système d’information central (ERP) qui sur la base du volontariat. (Cadre dirigeante)
permet de saisir les commandes, facturer, et livrer les
clients. Ce système, il avait 23 ans, c’est assez rare ! Tout Loin de se limiter à une simple pratique sportive, ce
était au clavier, c’était un écran noir avec des lettres séminaire répondait à l’objectif d’allier sport et déve-
blanches, vertes ou jaunes. Et on est passé en 2015 sur loppement personnel.

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La première session de vendredi dernier a été super et d’une exploration des possibilités de transfert dans
claire : « On n’est pas là pour apprendre à jouer au l’univers professionnel. En outre, ce séminaire était
Squash ! ». « On est là pour quoi alors ? ». Et bah voilà : précédé d’un entretien individuel avec le formateur
« Vous êtes là pour travailler sur vous, pour devenir lors duquel chaque participant se fixait un objectif à
meilleur et pour apprendre à vous connaître. À travers
des exercices sportifs ». (Cadre dirigeant)
atteindre, conformément à la méthodologie de la pro-
grammation neuro-linguistique4 (PNL). À son terme,
En témoigne une séance consacrée à la thématique un deuxième entretien visait à dresser un bilan du
de la confiance en soi, bien éloignée de l’apprentissage chemin parcouru en regard de cet objectif.
technique du squash. Il s’agissait en fait de permettre Ce séminaire poursuit ainsi la politique de mobilisa-
aux collaborateurs de mieux se connaître et de déve- tion du sport au service du développement des colla-
lopper par le sport, support pédagogique ludique, des borateurs. Mais il marque aussi un double mouvement
schémas cognitifs qu’ils pourraient reproduire ensuite de professionnalisation de l’offre de formation.
dans leur vie personnelle et professionnelle. Lors de Cette professionnalisation porte d’abord sur les
certaines séances, la crédibilité de Jim était en outre hommes et les méthodes. Si le séminaire squash était
renforcée par la présence de Benjamin G. (ancien n° 1 animé par un ancien sportif de haut-niveau (Jim) qui
mondial, parrainé par France Bureau) et de son s’improvisait formateur, ce nouveau séminaire est
entraîneur. désormais animé par un professionnel de l’accompa-
Le deuxième objectif était de décloisonner l’entre- gnement (Éric) intervenant au titre de salarié à temps
prise en « mélangeant » lors des séances de formation partiel, dans le cadre de l’université interne et au sein
des salariés issus de métiers et de strates hiérarchiques des locaux de l’entreprise. Ce dernier, ancien cham-
différentes. pion de France de boxe, s’est reconverti au métier de
Ce séminaire offrait enfin l’opportunité de promou- psychothérapeute à l’issue d’un parcours de formation
voir la pratique de l’activité physique ainsi qu’une ali- ponctué par l’obtention des titres de sophrologue,
mentation saine. Chaque séance débutait par exemple d’hypnothérapeute certifié et de maître praticien en
par un repas pris en commun composé d’une salade PNL. Les entretiens réalisés avec les participants du
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diététique à base de graines germées et de légumi- séminaire « Plein potentiel » attestent en outre d’une
neuses. normalisation des contenus de formation, liée à l’usage
de concepts théoriques issus des courants précités. Le
Le séminaire « Plein potentiel » : vers une professionnalisation séminaire squash avait au contraire fait l’objet de
du développement personnel par le sport quelques controverses, certains jugeant son contenu
trop ésotérique.
Le séminaire « Révéler son plein potentiel par le
sport », observé en 2016, marque une nouvelle Même pour moi qui ai l’esprit ouvert, c’est space quand
période de la politique de formation de France même. Parfois, je me disais « là, on a fumé la moquette,
Bureau. quoi ! » […] Je comprends qu’il y ait eu des gens qui se
Le but de ce programme était de permettre aux col- demandent où on les emmène, en se disant « c’est
laborateurs (12 participants volontaires par session) bizarre, c’est mystique… » (Cadre dirigeante)
« d’améliorer leur bien-être physique et mental en vue
d’accroitre leur efficacité professionnelle ». Pour ce La deuxième forme de professionnalisation, celle
faire, quatre thématiques ont été abordées : « Gérer des finalités, tient au recentrage du travail d’accompa-
efficacement ses émotions », « Mieux appréhender le gnement sur la sphère professionnelle. Si Jim s’efforçait
changement », « Développer ses capacités de concen- d’établir des parallèles entre le squash de haut-niveau
tration », et « Comprendre l’autre pour mieux com- et l’entreprise, la formalisation d’un objectif en amont
muniquer ». Les 8 séances (d’une durée de 3h, du séminaire « Plein potentiel » a naturellement
planifiées sur 4 mois) présentaient la même structure : conduit les participants à privilégier un champ de pro-
d’abord, une phase d’activité sportive en gymnase gression en lien avec leur activité professionnelle, de
(exercices pratiques) ; puis une phase de débriefing en manière directe (« Me remettre en question pour re-
salle organisée autour d’une verbalisation des ressentis performer », « Avoir plus de maîtrise de moi pour
des participants, d’un apport de contenus théoriques améliorer mes performances et me sentir bien dans

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mon poste ») ou indirecte (« Mieux gérer mes émo- un exercice destiné à mettre en évidence l’importance
tions afin d’éviter de m’emporter »). de respecter les consignes pour progresser. L’entraîneur
Mais au-delà de leur inégale professionnalisation, de Benjamin G. se tient à ses côtés.
ces séminaires participent tous deux de la même Jim : « On commencera par un échauffement. Ensuite,
on va vous filmer, non pas dans le but de critiquer, mais
volonté de favoriser le développement des collabora-
pour que vous voyiez comment vous jouez : est-ce que
teurs en privilégiant des méthodologies couplant acti- vous respectez bien les consignes ? Est-ce que c’est tout
vités sportives et développement personnel. Ils le temps ? À quel moment vous sortez ? Pourquoi ?
véhiculent ainsi une représentation de l’entreprise Dans un jeu de qualité, on respecte les consignes et les
comme espace de réalisation de soi et légitiment la objectifs. Donc ce n’est pas une question de niveau, c’est
mobilisation des pratiques sportives par leur contribu- une question d’application dans le jeu, de concentration.
tion à cette quête. Enfin, on regardera une partie de très haut niveau, que
Benjamin a disputée en Master Séries. On pourra voir
les phases de réussite où il respecte les consignes et les
phases où il sort, et pourquoi. […] Certes, la vitesse
■ Effets et limites de l’expression du change, les gestes sont plus justes et plus épurés, mais
« plein potentiel » chez France Bureau 80 % du temps, c’est exactement ce que l’on fait, nous,
à notre niveau.
Entraîneur : On est plus sur de la maîtrise personnelle
Les séminaires observés portent d’abord la promesse que sur une notion de performance. Le résultat est tou-
d’une réappropriation par les salariés de leur trajectoire jours la conséquence de ce que vous mettez en œuvre
personnelle et professionnelle. L’idée valorisée ici est du point de vue de la qualité.
celle d’un individu « entrepreneur de sa propre Participant : Et le chiffre d’affaires, qu’est-ce que tu en
psyché » [Cabanas et Illouz, 2018], s’affranchissant des fais ? (rires)
déterminismes sociaux pour donner la pleine mesure Entraîneur : On n’en est pas là. Tu sais le chiffre
de son talent. Ce parcours quasi-initiatique est jalonné d’affaires, il dépend de tes qualités. »
par trois apprentissages fondamentaux relatifs au rap-
port à soi (responsabilité individuelle), au rapport à Les participants entrent ensuite sur le cours pour un
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autrui (agilité relationnelle) et, enfin, au rapport au échauffement. Ils courent en cercle derrière Jim en
reproduisant les mouvements qu’il indique (ronds de
corps. bras, pas chassés, etc.). Après quelques minutes, Jim leur
demande de former des binômes et de se répartir sur les
Un rapport à soi repensé : la valorisation de la trois cours. Il leur donne pour consigne de systémati-
responsabilité individuelle quement « se replacer sur le T5 » après avoir frappé la
balle. Pendant le déroulement, de l’exercice, marqué par
Le premier apprentissage repose sur l’idée qu’il une rotation régulière des binômes, Jim se place derrière
serait possible de modéliser l’excellence afin de s’en la vitre des cours et commente les échanges, félicitant
approprier les déterminants. Ce principe, issu de la un participant pour son replacement, expliquant à un
PNL, reconnaît en chacun l’existence d’un potentiel autre que son non-respect de la consigne l’a mis en dif-
qu’il s’agirait simplement de révéler : ficultés. Au bout d’une demi-heure, Jim propose un
temps de jeu libre. Il approfondit pendant ce temps les
À travers le squash, l’université, c’est pour permettre à échanges avec les stagiaires qui attendent hors du cours.
chacun d’accéder à son potentiel. (Cadre dirigeant) À l’issue de cette séance de pratique, le travail se poursuit
dans un espace plus convivial, près du bar. Nous sommes
assis dans des canapés autour d’un écran de télévision.
Le formateur est alors investi du rôle de « passeur », Jim recueille les ressentis de chaque binôme sur l’exer-
ses consignes ayant pour fonction d’accompagner cice proposé, puis l’entraîneur de Benjamin G. passe
l’individu dans l’identification de ses limites (connais- quelques séquences qu’il a filmées pendant l’exercice et
sance de soi) puis dans leur dépassement (réalisation de les commente avec Jim. Le visionnage de ces séquences
soi) par l’acquisition de best practices. s’accompagne de rires. Certains stagiaires, initialement
satisfaits de leur prestation, constatent avec surprise qu’ils
Depuis le haut des gradins qui surplombent les cours, n’ont pas pleinement respecté la consigne. D’autres,
j’observe une séance du séminaire squash. Jim présente conscient de n’avoir pas toujours joué le jeu, tournent
aux douze participants, assis face à lui en bas des gradins, en dérision leur prestation. La séance se termine par

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l’analyse vidéo d’une séquence de match de Benjamin Éric : « Face à une situation problématique […], ça
G., choisie par son entraîneur pour son caractère demande aussi de sortir du rôle de la victime afin de
instructif sur la question du replacement. se remettre en cohérence avec soi-même. La semaine
dernière, j’ai fait une formation en entreprise et j’avais
Outre la parole de l’entraîneur de Benjamin G., une salle de victimes en face de moi ! Il faut sortir de
nimbée de la légitimité du haut-niveau, les propos de ça ! »
Jim sont également validés par la mise à l’épreuve des
participants lors du tournoi de fin d’année, qui objec- Des propos qui amènent certains participants à ana-
tive les progrès réalisés : lyser différemment leur situation personnelle :
Au dernier tournoi, certains n’avaient qu’un an de pra- Aujourd’hui, grâce à cette formation j’arrive à me re-
tique, mais parce qu’ils respectaient les règles du jeu, ils projeter, à me redonner des objectifs, et je me sens apaisé
ont gagné des matchs, c’était très amusant. Cela au niveau de ma pensée. (Commercial)
démontre à chacun qu’il peut repousser ses limites et
progresser, à condition d’être ouvert aux instructions de
Afin d’être exercée avec efficacité et discernement,
Jim. […] Certains, Jim leur rappelle les mêmes choses
depuis trois ans sans qu’ils les écoutent. Ils n’ont donc cette responsabilité requiert enfin d’apprendre à iden-
pas progressé d’un iota et se font rattraper par ceux qui tifier en toutes circonstances les leviers d’action perti-
respectent les instructions. (Cadre dirigeante) nents.

Ces propos trouvent enfin un écho dans les témoi- Dans les séances consacrées à la thématique « Mieux
gnages livrés par certains participants eux-mêmes : appréhender le changement » du séminaire « Plein
potentiel », l’activité sportive mobilisée est la boxe. Assis
Je puise beaucoup des gens, ils ont des choses à m’appor- sur une chaise au bord du terrain multisport, j’écoute le
ter par rapport à leur vécu. Et dans le sport c’est pareil. formateur présenter un exercice en binômes :
Avec une personne d’un certain niveau, je vais toujours Éric : « On va travailler sur l’importance de s’adapter : à
progresser parce que je vais tirer le maximum de ce que la boxe, si on est blessé, il faut changer de stratégie ! Si
l’on me donne, pour combler mes lacunes. […] Je me on prend un mauvais coup, on peut ne pas avoir la pleine
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tourne vers ceux qui sont meilleurs que moi et je vais possession de ses moyens physique. D’où la nécessité de
m’entraîner avec eux. (Gestionnaire de stocks) savoir s’adapter. »

Ainsi, le développement personnel est surtout J’observe ensuite le déroulement de cet exercice lors
investi par des individus qui ne souffrent pas mais sont duquel l’un des participants boxe avec ses deux mains,
simplement désireux d’exploiter les ressources insoup- l’autre avec une seule (la deuxième main étant placée
çonnées de leur nature profonde que les contraintes dans son dos) pendant cinq minutes avant d’échanger
de la vie en société auraient inhibées [Requilé, 2008]. les rôles. Puis l’exercice est reconduit avec la possibilité
Le corollaire de la reconnaissance d’un potentiel de d’utiliser cette fois un bras et une jambe pour le combat-
réussite chez tout individu réside dans la responsabilité tant diminué. S’ensuit un premier débriefing en gym-
dont il se trouve investi vis-à-vis de lui-même et de nase (extraits) :
son environnement. Éric : « Qu’avez-vous ressenti ?
Participant : On a bien rigolé, on est tous essoufflés !
J’insiste beaucoup sur la responsabilité absolue. C’est Éric : Si vous vous dites « merde, je suis coincé », c’est
d’abord voir qu’est-ce qui dépend de moi, qu’est-ce qui mort ! Respirez et essayez de trouver des solutions !
dépend indirectement de moi et qu’est-ce qui est incon- Avez-vous remarqué que quand on a moins de coups
trôlable. Il y a pas tant de choses qui sont incontrôlables (un seul bras), on calcule plus ses coups ? Même quand
dans la vie : la mort, la maladie, ça c’est incontrôlable. on est diminué, on peut gagner si on réfléchit bien ! »
Et même face à la maladie, j’ai une responsabilité : la Après d’autres exercices du même type et une pause
réponse que je vais apporter. […] Comment trouver son rafraîchissement, les stagiaires rejoignent un open space
rôle, son chemin à soi, ça pose la question de la respon- équipé d’un vidéoprojecteur et meublé de gros poufs
sabilité. (Éric) dans lesquels ils s’installent confortablement pour pour-
suivre le débriefing (extraits) :
En retour, cette responsabilité confère symbolique- Éric : « Comment avez-vous vécu les exercices que l’on
ment à l’individu – et à lui seul – le mérite de ses a faits ?
réussites mais également la responsabilité de ses échecs. Participant : C’était plus physique !

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Quand le sport se met au service du management 677

Éric : Dans l’exercice, certains ont opposé des parades de manière récurrente pour illustrer les effets produits
que l’on n’avait pas vues ensemble pour ne pas prendre par cette formation :
de coups. C’est ça l’instinct ! Donc vous vous êtes adap-
tés et avez changé très vite ! La notion de croyance est On va prendre le cariste qui s’appelle Georges… Imagi-
importante : le changement peut se faire avec bonheur nez-vous : c’est l’un des plus bas salaires de la boîte et il
et plaisir ! Certains sont tristes de vieillir, comme Ophé- n’a pas le droit à la parole. Et là, il vient, il s’inscrit au
lie Winter, d’autres non. […] Tout cela soulève la ques- squash. Il n’osait même pas manger avec nous à table. Il
tion de la responsabilité ! Mais pas dans un sens allait bouffer sa salade de crudités de son côté. « Viens,
culpabilisant. Au sens de : que fait-on en réaction au Georges, avec nous ! », on lui a dit. La 2e année, il
changement ? Il est important de garder en tête que l’on revient. Et Jim demande : « Qu’est-ce que vous avez
peut changer rapidement à condition de faire le job sur aimé de la 1e année, pourquoi vous êtes revenu ? ». Et
soi, d’aller à la rencontre de ses parties obscures pour les le mec, alors qu’il était dans un groupe pas facile, avec
éclaircir. » des grandes gueules de commerciaux, il dit : « Hé ben
déjà, pour que je puisse vous parler aujourd’hui, c’est le
Cette responsabilisation des participants, supposée résultat de la 1e année de travail. » Voilà à quoi ça sert
rétablir leur capacité d’action, s’accompagne en outre ce séminaire. (Cadre dirigeant)
d’une valorisation de l’agilité relationnelle.
On notera toutefois que certains participants
Un rapport à autrui enrichi par le développement voyaient aussi dans ce séminaire squash une opportu-
des compétences relationnelles nité stratégique d’être identifié par le Directeur géné-
ral, voire d’échanger avec lui :
L’agilité relationnelle renvoie à la capacité d’inter-
agir efficacement avec un éventail d’interlocuteurs [DG] y va souvent et c’est l’occasion de l’avoir en direct,
nombreux et diversifiés. d’autant qu’il est très accessible mais pas souvent là
d’ordinaire. Là, vous savez que pendant 3h, sur un cours
Je voulais mieux gérer mes émotions parce que j’ai ten- de squash, il sera très facile d’aller discuter avec lui. Il
dance à m’emporter assez vite dans une situation nou- existe donc également cet aspect, il ne faut pas se leurrer.
Et Jim étant très proche de [DG], on sait qu’en lui par-
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velle. Avec cette formation, j’ai beaucoup appris sur
moi, sur mon comportement, donc effectivement main- lant, on parle un peu à [DG]. (Cadre dirigeante)
tenant j’arrive mieux à me canaliser, à comprendre aussi
un peu mieux les autres personnes, à avoir plus de Outre l’apprentissage d’outils théoriques, les sémi-
patience. (Commerciale) naires contribuent également à étendre le réseau rela-
tionnel des participants par la rencontre de salariés issus
Sur le plan théorique, cet apprentissage passe par d’autres services, voire de la direction. Les participants
la découverte de techniques susceptibles de faciliter la se trouvent ainsi dotés de nouvelles ressources relation-
communication interpersonnelle (synchronisation6), nelles susceptibles de les aider dans la réalisation de
de prévenir les conflits (triangle dramatique de Karp- leurs missions quotidiennes et de renforcer leur posi-
man7), ou de renforcer son assertivité et son leader- tionnement vis-à-vis de leurs collègues.
ship. Pour ce faire, le séminaire propose un cadre
sécurisé dans lequel les statuts hiérarchiques sont tem- Je suis commercial, parfois, on s’embrouille avec des per-
porairement occultés : sonnes du marketing ou des achats. Le fait d’échanger
[au squash] permet de débloquer un certain nombre de
Cela ne sert à rien que tout le monde s’arrache si l’on situations au quotidien. Quand tu appelles le magasin,
méprise le mec qui va mettre les palettes avec son Fen- tu tombes sur la personne avec laquelle tu as joué au
wick dans le camion ; il est aussi important que le Direc- squash, tu lui exposes ton problème et il le gère. (Com-
teur de la communication. Même lui, [DG], il joue [au mercial)
squash] avec tout le monde, il tutoie tout le monde, il
connaît les prénoms. (Entraîneur de Benjamin G.) L’acquisition d’une meilleure maîtrise corporelle

Lors des entretiens menés avec des participants du Le troisième axe d’apprentissage renvoie au corps
séminaire squash, une anecdote à fort contenu symbo- dans sa dimension biologique. Il s’appuie sur la mobili-
lique, engageant un ouvrier des entrepôts, est revenue sation des activités physiques, constitutive de l’identité

Ethnologie française, XLIX, 2019, 4


678 Yan Dalla Pria

de France Bureau et revendiquée à ce titre dans la Nathalie (chargée de clientèle) : « Je prends beaucoup
communication menée en interne ou sur la « marque plus de recul, les exercices de respiration qu’on a appris,
employeur ». L’entreprise propose ainsi à ses salariés de ça aide énormément !
nombreuses activités sportives à moindre coût au sein Interviewer : Les avez-vous réutilisés au travail ?
Nathalie : Ah oui, énormément (rires). Maintenant, je
du centre sportif et encourage leur participation à des
souffle ! »
événements extérieurs (Mud Day, semi-marathon et
marathons, crossfit, etc.). Dans une perspective sani- Sur des cas précis de stress ou autre, ça m’a servi en me
taire globale, cette offre sportive est doublée d’une disant : « Pense à Éric ! Respire, prends du recul, dégon-
offre de restauration diététique et biologique ainsi que fle ta bulle émotionnelle et on en reparle plus tard. » Ça
de conférences relatives à l’hygiène de vie (alimenta- m’a permis de faire référence à ce dont avait parlé Éric,
tion, sommeil, etc.). ça c’est positif ! (Cadre informatique)
Si l’on recentre l’analyse sur les séminaires observés,
les participants interrogés attribuent tous, plus ou Ainsi, les effets sanitaires des séminaires tiennent
moins spontanément, des vertus bienfaisantes à l’acti- autant à la pratique sportive elle-même qu’à l’appren-
vité physique. Pour une minorité d’entre eux, cette tissage par corps de techniques de soi améliorant la
participation a débouché sur la reprise d’une activité résistance physique et psychologique des individus face
sportive régulière. aux vicissitudes de leur environnement. En les aidant
à « prendre du recul », à « gérer le stress », à « gérer les
J’ai fait 20 ans de hand, mais j’ai arrêté il y a 15 ans ; émotions » ou à « se détendre » dans certains contextes
depuis cinq ans, j’ai repris, grâce au squash, et là, je anxiogènes, ces techniques sont ainsi supposées amé-
travaille juste mes étirements et des choses que je n’arri- liorer leur bien-être au travail.
vais plus à faire : s’asseoir sur les talons, toucher le sol Toutefois, que signifie « apprendre par corps »
avec mes paumes, j’ai changé mon régime alimentaire, lorsque les compétences assimilées par les activités
etc. C’est tout cela que je recherche ici. (Commercial) sportives se destinent à être transférées à des contextes
d’action extra-sportifs, en l’occurrence professionnels ?
Toutefois, ces effets ne sont pas toujours probants, Ce questionnement écarte d’emblée l’approche déve-
si l’on en croit d’autres participants rattrapés par le
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loppée par Bourdieu [1980] dans sa théorie de l’habi-
poids du quotidien. tus, selon laquelle le corps est soumis à un processus
de socialisation tacite, se traduisant par la reproduction
[Mon rapport au sport est] le même qu’avant. Je suis de savoir-faire et de savoir-être qui ne font l’objet
convaincu que le sport est très important pour la santé
et pour gérer le stress, c’est juste que je n’ai pas le temps
d’aucune véritable objectivation. Ici, les savoir-être
que je voudrais pour me consacrer à ça. (Cadre informa- acquis sont explicités lors de la phase théorique en
tique) salle, et se destinent en outre à être recontextualisés
plutôt que reproduits à l’identique. L’individu est ainsi
Autre bémol, ces séminaires attireraient de manière invité à arracher son corps au déterminisme de l’habi-
préférentielle des salariés présentant déjà une appé- tus bourdieusien pour l’engager dans un processus
tence pour le sport. Ils renforceraient ainsi des disposi- volontariste et holistique d’optimisation qu’Éric, le
tions préexistantes chez certains salariés, plutôt que formateur du séminaire « Plein potentiel », détaille aux
d’ouvrir à d’autres de nouveaux horizons : participants en ces termes :

[Par les activités sportives], je vais d’abord vous confron-


Il faut noter qu’il y a surtout une population
ter, vous faire vivre une expérience et à partir de cette
sportive qui se rend au squash, c’est important de expérience, c’est juste « qu’est-ce que tu as ressenti phy-
le dire. (Cadre dirigeante). siquement ? », « tu avais mal ici, tu étais tendu là ? » Puis
« qu’est-ce que tu as ressenti émotionnellement ? » Et
À défaut d’un effet avéré sur la reprise d’une activité enfin, « comment tu penses que la prochaine fois tu
physique, les participants interrogés évoquent en peux améliorer cet exercice ? ».
revanche tous les bienfaits de techniques de soi enga-
geant le corps, communément associées à la pratique Les activités sportives auraient ainsi pour fonction
sportive (respiration, relaxation, étirements, écoute des d’engager le corps dans une palette de situations sus-
ressentis corporels, etc.). ceptibles de générer des émotions que les techniques de

Ethnologie française, XLIX, 2019, 4


Quand le sport se met au service du management 679

soi enseignées permettraient ensuite de conscientiser d’une figure idéale du salarié et précipitent en retour
puis de domestiquer dans une démarche réflexive de une reconfiguration des relations internes de pouvoir.
connaissance émotionnelle de soi [Illouz, 2006].
Une entreprise de « normalisation des comportements »
Quand on fait les exercices, on se dit : « où est-ce
[qu’Éric] veut nous amener, c’est quoi l’objectif ? ». Chez France Bureau, les séminaires de formation
Mais après, quand on a le débriefing, ça vient expliquer sont ouverts à l’ensemble des collaborateurs intéressés,
clairement les notions vues en exercices : « OK, quel que soit leur niveau hiérarchique. Par la promesse
d’accord : là, par exemple, j’ai ressenti une émotion, émancipatoire de la révélation de leur plein potentiel,
j’étais hors de ma zone de confort, etc. » Par exemple,
lors de la séance de boxe, durant l’exercice du « 2 contre
les techniques enseignées dégagent pour eux des pers-
1 », j’ai compris que j’étais capable d’analyser la situation pectives valorisantes d’accession au bien-être profes-
et de m’en sortir. (Cadre informatique) sionnel et personnel.

À noter toutefois que si les liens entre pratiques À travers le sport, à travers des formations plus clas-
siques, à travers le squash… l’université, c’est pour per-
physiques, théorie et situations professionnelles sont mettre à chacun de découvrir son potentiel. C’est pour
fluides pour certains participants, d’autres peinent à les donner du sens, pour accompagner les gens à s’accom-
percevoir. plir. (Cadre dirigeant)
Cette formation était un vrai plaisir. Le seul point néga- Ce projet est en outre supposé trouver une conti-
tif est lié à ma façon de fonctionner : j’aime la théorie
nuité dans la politique de gestion des Ressources
et la pratique, et parfois je trouve que les liens n’étaient
pas évidents. Certains exercices étaient très clairs. […] humaines de l’entreprise.
Par contre, lorsqu’il s’agissait de lancer des balles ou de
courir autour des plots, je ne voyais pas trop l’intérêt. [L’évolution] peut être hiérarchique, mais aussi fonc-
(Cadre informatique) tionnelle, c’est-à-dire changer de métier dans l’entre-
prise… J’ai un bel exemple puisque la personne qui va
remplacer [Mme X] vient de la finance et n’a pas de
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La phase de traduction peut donc s’avérer plus ou compétences RH particulières. Mais par contre elle a…
moins longue et fructueuse selon l’affinité qu’entre- une approche des choses qui dans le savoir-être me
tiennent les participants avec la « gymnastique intellec- semble tout à fait en adéquation avec le fait de prendre
tuelle » imposée par ce format de séminaire. un poste de DRH. Donc oui, moi je serais ravie qu’il y
ait des gens qui viennent frapper à ma porte en me
disant « j’ai envie d’évoluer dans l’entrepôt » ! (DRH
Groupe)
■ L’optimisation de soi comme morale
bioéconomique La réalité de ces évolutions internes mériterait d’être
confirmée par une étude longitudinale des trajectoires
La mise en sens des dispositifs de formation observés professionnelles des participants. Dans une perspective
requiert à présent de considérer les conditions sociales plus modeste, certains participants explicitent toutefois
de leur déploiement. Dans l’univers professionnel, ces la manière dont ces formations ont impacté concrète-
techniques de soi ont pour finalité logique l’accroisse- ment leur carrière – avec des enjeux allant d’une évo-
ment de la productivité des salariés, leur épanouisse- lution de l’appréciation de la hiérarchie à la recherche
ment apparaissant comme un levier de motivation et d’un nouveau souffle professionnel.
de contrôle socialement plus acceptable que ceux héri-
tés du modèle taylorien. Ce constat ne minimise en Interviewer : « Après la formation [“Plein potentiel”],
vous avez eu des retours de vos proches ?
rien les bénéfices que peuvent en retirer certains sala- Nathalie (chargée de clientèle) : Oui, oui ! Parce qu’on
riés, c’est même précisément ce qui en fait la force. Il a eu nos entretiens annuels dernièrement, et le change-
ouvre toutefois la voie à un deuxième degré de lec- ment de comportement s’est déjà fait ressentir au niveau
ture. Déployées à l’initiative de l’entreprise, ces tech- de l’extérieur.
niques de soi concourent en effet à l’établissement de Interviewer : Vos supérieurs sont contents des bienfaits
normes comportementales qui esquissent les traits de cette formation ?

Ethnologie française, XLIX, 2019, 4


680 Yan Dalla Pria

Nathalie : Extrêmement contents (rires), donc ça fait d’une figure idéalisée du salarié. Outre la maîtrise des
plaisir ! » compétences techniques afférentes à son métier, il est
d’abord attendu de ce « salarié idéal » qu’il intègre un
J’ai toujours été quelqu’un de motivé, dynamique, donc mode de rapport à soi fondé sur un impératif de res-
assez performant et là, je stagnais depuis 2 ans, dû à un ponsabilisation Sur le plan managérial, cet empowerment
échec en fait. J’avais postulé à un poste de manager, en reflète une tendance contemporaine du management
interne, et j’ai fini 2e sur 10 personnes. Donc ça m’a mis
un coup au moral et j’avais besoin de quelque chose qui qui sonne comme une réponse à la « critique artiste »
me remette en question, un besoin de re-performer. opposée au capitalisme dès les années 1960 [Boltanski
[…] J’essaye de me remettre en position de winner et et Chiapello, 1999] : celle d’aliéner les travailleurs en
de plus être triste par rapport à certains changements tuant le sens et la dimension créative du travail par sa
dans mon travail. (Commercial, séminaire « Plein parcellisation extrême. En réponse à cette critique, les
potentiel ») dispositifs de contrôle sont désormais moins lisibles et
la contrainte plus « douce » [Coutrot, 1998 ; Courpas-
Parce qu’elle témoigne d’une volonté de se déve- son, 2000], les salariés étant invités à intérioriser le
lopper, la participation aux programmes de formation modèle de comportement et les objectifs proposés par
observés devient ainsi un « indicateur prégnant » l’entreprise. Devenus autonomes et responsables, ils
[Boussard, 2001] sur lequel les salariés peuvent pourraient alors se réaliser dans leur travail, porteur de
s’appuyer pour espérer faire carrière. La compréhen- sens et source de plaisir.
sion de cet enjeu a d’ailleurs conduit les plus opportu-
nistes d’entre eux à adopter une posture stratégique Ils disent je vais préparer des colis, je vais au travail. Et
en s’engageant dans le séminaire squash, par exemple, tout mon taf, c’est de faire qu’un jour ils disent je vais
« parce que [DG], évidemment, a la liste de tous les jouer. C’est une quête du bonheur au travail. Qu’est-ce
squasheurs » (Cadre dirigeante). qu’il dit Noah quand il va s’entraîner ? Il dit je vais
La mobilisation des techniques de soi dans une jouer, alors qu’il va au travail. Tout le but de ce putain
de projet, c’est que les gens aillent jouer. (Cadre diri-
optique d’ascension sociale n’est certes pas un phéno- geant, au sujet du séminaire squash)
mène nouveau. Le Sonn [2017 : 67] montre ainsi que
dès les années 1920 l’insécurité liée à un chômage
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Cette figure idéalisée repose ensuite sur une norma-
élevé a contribué au succès, auprès du salariat de la
lisation du rapport à autrui. Dans un monde écono-
classe moyenne, de l’institut Pelman de gymnastique
mique « liquide » [Bauman, (1993) 2005], soumis à
mentale qui proposait « une méthode d’entraînement
une injonction sans cesse renouvelée à la flexibilité
des facultés psychiques et des performances physiques,
[Sennett, 2000], les savoir-être attendus supposent
conçue pour apporter à ses membres tonus, confiance
pour l’individu d’être connecté à son environnement
en soi, leadership et réussite ».
et adaptable à ses évolutions. Grâce aux compétences
Chez France Bureau, toutefois, cette quête d’opti-
relationnelles acquises par le développement person-
misation de soi est à l’initiative de l’entreprise elle-
nel, il s’agit pour lui de faire la preuve de sa capacité
même. L’outillage gestionnaire qu’elle déploie tient
à naviguer avec aisance et fluidité dans un réseau rela-
alors lieu de « dispositif d’ajustement et de « ré-
tionnel étendu et mouvant, capacité désignée dans la
enchantement subjectif » de l’investissement des sala-
« novlangue » managériale du président du conseil
riés, par le biais de l’intériorisation des logiques et exi-
d’administration de France Bureau par le terme
gences de l’organisation […] » [Requilé, 2008 : 75].
« d’agilité ». Les pratiques sportives contribuent à cet
Pour cette raison, Brunel [2004] analyse le recours
égard à créer de nouvelles solidarités professionnelles.
massif des entreprises, dès les années 1990, aux tech-
niques du développement personnel comme une Chez les managers, ça a créé une communauté squash.
entreprise de « normalisation des comportements », Dans une réunion, si c’était prévu que tu te prennes la
réponse managériale à l’individualisation grandissante tête avec un mec et que tu sais que lui aussi il fait partie
des parcours professionnels. de la communauté squash, ça crée un truc. Parce que tu
l’as vu à poil sous la douche. Parce que t’as bu une bière
« L’anthropofacture » du « salarié idéal » avec lui. (Cadre dirigeant)

Et de fait, au regard de leurs effets, les dispositifs Enfin, l’entreprise ancre cette figure idéalisée dans un
étudiés contribuent à la diffusion chez France Bureau rapport spécifique au corps puisque le salarié est ici

Ethnologie française, XLIX, 2019, 4


Quand le sport se met au service du management 681

enjoint de maximiser son bien-être par le soin porté à sa ou intérêts de la direction et d’un nombre significatif
santé (alimentation diététique, activité physique) et par de salariés qui explique sa prégnance au sein de l’entre-
l’appropriation de techniques corporelles plus élémen- prise.
taires (respiration, étirements, relaxation…) destinées à
améliorer sa résistance physique et émotionnelle. La Pour moi, il y a une notion de performance affichée
conception du corps mise en avant dépasse donc sa que ce soit en baisse des TMS [Troubles musculo-sque-
simple fonction immédiatement productive pour intégrer lettiques], des arrêts de travail, de l’absentéisme… Si on
une dimension de ressource régénérable. fait baisser un peu le poids des collaborateurs, ils vont
gagner en efficacité. Je crois que c’est aussi du bon sens.
Ce processus « d’anthropofacture » [Redeker, 2008]
Mais ce n’est pas antinomique avec… enfin, se sentir
du « salarié idéal » s’apparente ainsi au façonnage métho- bien, c’est bien pour l’entreprise, mais c’est bien aussi
dique de « l’agent idéal du néolibéralisme » [Mirowski, pour soi. Tout le monde est gagnant dans l’histoire. C’est
2013]. Bien que formellement non contraignante, cette un cercle vertueux : je suis bien, je travaille dans une
invitation au développement de soi diffuse des normes entreprise qui me donne les moyens d’être mieux. Évi-
comportementales (savoir-être) supposées permettre aux demment, le fait que je sois mieux, elle va l’utiliser. Je
salariés d’accéder à l’épanouissement professionnel. Elle ne vois pas où est le marché de dupes là-dedans… (Res-
agit donc comme une morale bioéconomique, déclinai- ponsable du centre sportif)
son dans le champ productif de la « biomorale » définie
par Zupancic [2008] comme l’exigence morale d’être Derrière cet apparent « bon sens », un examen plus
heureux et de se sentir bien. Le Directeur général de approfondi révèle toutefois comment cette morale bioé-
France Bureau reconnaît à cet égard : « [n]otre but, c’est conomique produit des effets plus contrastés que l’idée
bien sûr que nos collaborateurs soient épanouis au travail. de « développement du potentiel des collaborateurs »,
Mais surtout qu’ils puissent y révéler tout leur potentiel auréolée de positivité, pourrait le laisser supposer, d’une
et se dépasser8. » On voit ainsi que l’offre de développe- part en désarmant la contestation sociale, et d’autre part
ment personnel vise à promouvoir un idéal de réalisation en exerçant sur certaines catégories de salariés des rap-
au travail synonyme pour l’entreprise d’implication et ports de domination symboliquement violents.
d’efficacité des salariés, atouts précieux dans un climat
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social anxiogène marqué par un fort absentéisme. Une dépolitisation des rapports sociaux
En se référant au cadre d’analyse des théories du
capital humain, cette stratégie peut dès lors être quali- Une contrepartie existe tout d’abord à la promesse
fiée « d’investissement » – pour reprendre les propos émancipatoire portée par la valorisation de la responsabi-
du Président du Conseil d’administration cités en lité individuelle. Le collaborateur doit désormais assumer
introduction – destiné à améliorer la performance éco- seul la responsabilité de ses difficultés à s’ajuster aux exi-
nomique de l’entreprise. En d’autres termes, gences du système de production, voire de son mal-être.
Une responsabilité d’autant plus lourde qu’elle est endos-
[DG] capitalise quand il fait cela, ce n’est pas du temps sée dans un environnement professionnel ressassant les
perdu ; pour lui, il y a une vraie valeur ajoutée. Il sait très bienfaits de l’épanouissement au travail.
bien que le temps qu’ils passent ici va leur permettre d’être En valorisant ce statut nouveau de l’individu, la
plus performants après. » (Entraîneur de Benjamin G.) morale bioéconomique sous-jacente catégorise en
premier lieu toute forme de pensée critique comme
En retour, la diffusion de cette morale bioécono- une grille de lecture inadaptée, relevant au mieux
mique tient au fait qu’elle rencontre les prédispositions d’une méconnaissance des ressources profondes de
ou les intérêts de nombre de salariés. Certains aspirent l’individu, au pire d’une inaptitude pathologique au
à s’épanouir dans leur travail, sont soucieux de leur bonheur. Lorsqu’il est confronté à des difficultés pro-
santé ou acculturés à l’idée d’une optimisation de soi fessionnelles – concurrence d’Amazon Business,
dans les différentes composantes de leur vie. D’autres, refonte du système d’information, ou changement de
qui ne se reconnaitraient pas spontanément dans le supérieur hiérarchique – l’individu est ainsi invité à
modèle comportemental suggéré par l’entreprise, s’y modifier non pas l’environnement extérieur mais sa
conforment pour les perspectives d’évolution profes- perception de celui-ci. Des sentiments tels que la
sionnelle dont il est porteur. C’est ainsi la capacité de colère ou l’envie, jugés négatifs, sont en outre délégiti-
cette morale à concilier simultanément les valeurs et/ més alors mêmes qu’ils relèvent parfois d’un projet

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682 Yan Dalla Pria

politique de transformation des rapports sociaux modèle néolibéral centré sur le contrôle technoscienti-
[Cabanas et Illouz, 2018]. fique de soi. Elle permet d’inscrire encore plus pro-
fondément dans les corps et les subjectivités le modèle
Être responsable de ses actes, de son destin… c’est un de l’homo œconomicus ». Sommé de ne pas questionner
mot très fort. […] Si on se dit : « bah voilà, j’ai un chef le système économique et de s’engager corps et âme
vraiment trop con, un métier qui me plaît pas et j’y dans l’amélioration de ses performances et de son épa-
peux rien car j’ai fait ces études-là, et j’en suis pas res- nouissement au travail, l’individu optimisé préfigure
ponsable », il n’y a rien qui se passe ! Alors que si on se ainsi « l’individu augmenté » [Le Dévédec, 2018] en
dit : « voilà, je suis là et puis il y a plein d’opportunités gestation dans les laboratoires de la Silicon Valley. Ainsi
chez France Bureau, plein de portes ouvertes »… C’est vouée à être perpétuellement reconduite, la promesse
la différence entre une entreprise qui va assister et une d’émancipation ne risque-t-elle pas à terme de se
entreprise qui va permettre. France Bureau n’a pas voca- muer en promesse de frustration ?
tion à assister ses collaborateurs. Elle les aide juste dans
leur développement personnel. (Cadre dirigeante)
Des « bio-Autres » au « biocapital »
Cette vision du monde trouve ses origines dans une Deux derniers enjeux tiennent enfin à l’enrôlement
psychologie cognitivo-comportementale centrée sur la du corps par les pratiques physiques.
neutralisation des symptômes, plutôt que sur la Les séminaires observés interrogent d’abord la place
recherche de leurs origines. En résulte ainsi une occul- dans le projet d’entreprise de ceux que Geneviève Rail
tation délibérée du contexte social et de son influence [2016] nomme les « bio-Autres », en l’occurrence les
sur le problème identifié. Comme le note Requilé salariés qui ne s’inscrivent pas dans le modèle de rap-
[2008 : 69], « ces techniques proposent donc autant port au corps valorisé par l’entreprise. La question de
d’outils visant à l’optimisation de la gestion de soi et l’obésité illustre entre toutes ce qui se joue ici. Chez
une meilleure définition de ses aspirations, mais France Bureau, les centres d’appels sont à ce titre des
tendent à délaisser dans leur approche l’influence des cibles prioritaires des actions de promotion de l’acti-
conditions d’existence dans la genèse des “troubles” vité physique.
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identifiés ».
Dans ce contexte, la puissance symbolique de Je vois des plateaux entiers de femmes obèses et ça me
l’anecdote de « Georges le cariste » tient au fait qu’elle fait souffrir de voir ça… […] Elles ont des espèces de
caissons là… remplis de trucs ! Elles restent 6 à 8 heures
atteste précisément, aux yeux des participants, de la
par jour à grignoter des saletés au téléphone. Quand
validité de cette vision du monde : en s’inscrivant au elles se lèvent, elles marchent 3 mètres, elles sont essouf-
séminaire squash, Georges s’arrache symboliquement flées. Et elles ont 35 ans, quoi ! On ne peut pas laisser
à sa condition de cariste. Il témoigne ainsi de l’étendue faire ça ! C’est… les tuer, quoi ! Moi, j’appelle ça du
des ressources dont dispose tout individu, indépen- meurtre organisé. Il faut leur expliquer, aux gens, qu’ils
damment des déterminismes de classe, mais aussi des doivent prendre soin d’eux. Et puis à titre très égoïste,
possibilités d’émancipation offertes par l’ordre domi- ça a un coût sociétal très élevé cette histoire de gens
nant pour qui se donne la peine de les saisir. qui ont des maladies cardio-vasculaires, cholestérol, etc. !
(Responsable du centre sportif)
En second lieu, cette morale laisse deviner l’écueil
d’une quête sans fin. Les techniques de soi évoquées Si ces actions se fondent sur des justifications mul-
trouvent un prolongement logique dans un registre tiples, on voit poindre l’idée d’une « mission de sauve-
d’optimisation plus « technologisé » par l’entremise par tage » [Rail, 2016], consistant à « expliquer, aux gens,
exemple du dopage au travail [Crespin, Lhuilier et qu’ils doivent prendre soin d’eux », dans leur intérêt
Lutz, 2017] ou le recours aux technologies de data – en termes de bien-être physique et psychologique –
tracking, qui ouvrent le champ à une quantification et mais aussi dans celui de la société entière, contrainte
à une analyse différentielle des comportements et per- de supporter le coût de leur déviance. Or, comme le
formances individuels au travail [Dalgalarondo, 2018 : rappellent Cederström et Spicer [2016], la probléma-
111 ; Lupton, 2016]. À l’extrême, Le Dévédec [2018 : tique de l’obésité touche préférentiellement les
123] note que « l’idéologie transhumaniste d’un milieux populaires. Insister sur la responsabilité indivi-
humain augmenté […] s’inscrit pleinement dans ce duelle conduit en conséquence à occulter son origine

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Quand le sport se met au service du management 683

sociale, dont les termes de « meurtre organisé » émotionnelle et psychique avec la dimension biolo-
forment l’intuition dans les propos ci-dessus. Cette gique. Il entre en outre en résonance avec l’élargisse-
imputation hâtive est explicitée par Moreno Pestaña ment par l’Organisation mondiale de la santé, en 1946,
[2015 : 5] : « à l’heure où le néolibéralisme promeut de sa définition de la santé, depuis lors considérée
rationalité et anticipation des risques, […] on culpabi- comme « un état de complet bien-être physique,
lise la personne qui souffre [d’embonpoint] et on la mental et social » et non plus comme une simple
désigne comme moralement déficiente, sans se « absence de maladie ou d’infirmité ». Cette interpré-
demander quelles sont ses conditions (économiques, tation extensive des problématiques de santé a conduit
sociales, culturelles) d’accès à une alimentation dite à considérer nombre de phénomènes sociaux sous
“équilibrée” ». l’angle médical, marquant une étape de plus dans
Mais la catégorie des « bio-Autres » ne se limite pas « l’essor d’une pensée articulant biologie et ingénierie
là. Le recours aux activités physiques exclut d’emblée sociale » [Lemerle, 2006]. Loin d’être anecdotique,
les salariés présentant des contre-indications médicales cette mobilisation d’arguments biologiques dans l’ana-
et rend l’accès moins aisé aux plus âgés d’entre eux. Il lyse des problématiques sociales alimente la production
conduit en outre certains salariés à s’auto-exclure, tout de subjectivités nouvelles, emblématiques du néolibé-
à la fois des séminaires et des perspectives d’épanouis- ralisme, caractérisées par une dépolitisation des débats
sement dont ils sont porteurs. Les séminaires présentés et un transfert de responsabilité sur l’individu.
ici étant ouverts sur la base du volontariat, la question Ces formations convoquent en outre l’imaginaire,
de l’auto-exclusion n’a pas pu être étudiée. Toutefois, forgé par le champ sportif [Queval, 2001], d’une amé-
les observations menées lors d’un séminaire d’équipe lioration et d’une régénération sans limite du corps.
auquel la participation était « fortement recomman- Elles relèvent en ce sens d’un « modèle de développe-
dée » ont révélé comment le recours aux activités phy- ment général qui repose sur le principe simple voulant
siques pouvait s’avérer destructeur pour l’image sociale que les organismes vivants représentent une source
de certains salariés qui auraient probablement préféré d’énergie renouvelable dont on peut tirer économi-
s’y soustraire : un salarié obèse, essoufflé, écarlate et quement profit » [Lafontaine, 2014 : 32]. Ainsi,
visiblement épuisé, offrait par exemple son ventre « investir dans les collaborateurs », c’est investir dans
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opulent à la vue de ses collègues à chaque fois qu’il leur éducation – au sens du développement person-
levait les bras ; l’évidente maladresse corporelle d’un nel – mais aussi dans leur corps. Cette dimension bio-
autre fut sanctionnée par la survenue d’une entorse de logique du capitalisme, fondée sur l’idée que le corps
la cheville. représenterait pour l’entreprise un capital à faire fructi-
Enfin, les « bio-Autres » sont aussi ceux qui privilé- fier – un « biocapital » – réactive de manière évidente
gient un rapport plus hédoniste à leur corps, refusant le corpus théorique du capital humain [Lafontaine,
de modifier leur régime alimentaire ou de s’engager 2014 : 232-233]. Cette notion renvoie à la question
dans le travail de « domestication » que représente la de l’éducation, dont le développement personnel est
pratique sportive non-récréative. Qu’il soit spontané un volet. Elle englobe en outre celle de la santé mais
ou – plus rarement – argumenté, ce choix contrevient essentiellement au travers des choix individuels – ou à
à l’idée d’une optimisation de soi. Pourquoi sauver la rigueur des politiques publiques. L’idée que l’entre-
alors celui qui ne veut pas l’être ? L’impétrant prise puisse investir méthodiquement (dans) le corps
« rebelle » devra assumer la signification symbolique de de ses salariés en vue d’optimiser leur performance
ses choix. Au final, Cederström et Spicer [2016] économique marque ainsi une nouvelle étape dans le
décrivent bien comment l’injonction au bien-être et processus de « fabrique du sujet néolibéral » [Dardot et
les rituels qu’elle impose se muent en impératif moral Laval, 2009]. Agir sur le corps, c’est ici le formater
auquel il devient impossible pour l’individu de se sous- selon les besoins du système productif, en améliorant
traire. son agilité, sa résistance, voire sa résilience. C’est aussi
Ensuite, l’enrôlement du corps suggère la possibilité ouvrir de nouvelles voies d’accès au psychisme et par
d’une optimisation de ce corps lui-même. Ce projet conséquent de nouvelles formes d’enrôlement de la
s’ancre dans la filiation de la psychologie humaniste, subjectivité.
autre source théorique du développement personnel, À la question de l’existence de chemins de dévelop-
qui justifie l’intérêt porté au corps par les sensations pement alternatifs pour les collaborateurs que le sport
qu’il procure, susceptibles de connecter les dimensions exclurait ou rebuterait, la Direction de France Bureau

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684 Yan Dalla Pria

a répondu par l’ouverture d’ateliers mobilisant théâtre, pour ceux à qui il s’applique d’une promesse émanci-
cuisine ou jardinage. On comprend toutefois combien patoire, en l’occurrence celle d’une transformation
ces propositions alternatives, qui n’engagent pas le personnelle liée à la révélation d’une richesse inté-
corps dans sa dimension de « biocapital », renvoient à rieure insoupçonnée. En réponse à la critique artiste
des logiques et des filiations idéologiques différentes. qui lui a été opposée dès les années 1960, le capita-
À la figure précédemment décrite du « salarié idéal » lisme version néolibérale a réinventé ses modes de
– entrepreneur de sa psyché et de son corps –, gouvernance de manière à responsabiliser les salariés.
s’opposent ainsi celles de la « victime », du « négatif » Il accède ici à un stade supérieur en les accompagnant
ou encore des « bio-Autres », qu’il s’agirait de sauver dans l’exploration de leur « plein potentiel », qui aurait
sans les assister, en favorisant chez eux la prise de été jusqu’alors inhibé par le cadre contraignant des
conscience des possibilités de rédemption dont est institutions sociales. Désormais, ceux-ci se trouvent
porteur l’ordre dominant. Parce qu’elle ancre, à l’instar gouvernés, à grand renfort de psychologie positive et
des théories du capital humain, l’idée d’un différentiel d’activités physiques, par la poursuite d’un épanouisse-
de valeur entre les individus, la morale bioéconomique ment professionnel, source présumée d’accroissement
à l’œuvre chez France Bureau peut faire naître une de leur productivité au travail. On trouve ici une nou-
suspicion : celle d’une forme moderne d’eugénisme. velle manifestation patente de la plasticité de l’idéolo-
Ce danger, pressenti par Foucault [2004], est analysé gie néolibérale : en digérant une à une les critiques
plus méthodiquement par Rosental [2016] qui établit qui lui ont été opposées, celle-ci tend aujourd’hui à
l’existence d’une filiation idéologique entre la notion devenir une « Théorie du Tout » offrant d’elle-même
de capital humain et une forme contemporaine un récit aussi révolutionnaire qu’infalsifiable par la réa-
« d’eugénisme privé » [ibid. : 525]. Le projet n’est lité des faits économiques [Mirowski, 2013].
certes pas celui d’une sélection délibérée et métho- L’ambition de « replacer l’humain au cœur de
dique des individus selon leur potentiel productif. Son l’entreprise » affichée par les dirigeants de France
propos établit plutôt que l’eugénisme, « entendu
Bureau présente enfin une ambivalence coupable.
comme une théorie morale, a joué un rôle dans le
Dans sa lecture humaniste, celle des détracteurs du
façonnement des normes proposées aux individus dans
néolibéralisme mais aussi des partisans plus modérés de
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le monde contemporain pour étalonner leur valeur »
sa moralisation, cette assertion pourrait relever de la
[ibid. : 541], individus « dont on attend [qu’ils tirent] le
meilleur [d’eux-mêmes] ou, du moins, [intériorisent] volonté de restaurer la subordination des activités de
cette attente et [l’anticipent] » [ibid. : 542]. C’est là production à des finalités plus respectueuses de l’être
précisément le sens des séminaires de formation humain. La lecture inspirée des théories du capital
observés. humain est en revanche tout autre. Dans cette
approche, la même ambition pourrait en effet être
interprétée comme découlant de la prise de
conscience que l’être humain, ressource malléable et
■ Conclusion régénérable, est un formidable relais de croissance, sus-
ceptible de compenser l’essoufflement du modèle des
À la société de consommation, fondée sur l’idée Trente Glorieuses. « Replacer l’humain au cœur de
d’une réalisation de soi par l’optimisation d’un poten- l’entreprise » aurait certes pour vertu d’élargir pour
tiel de consommation, fait ainsi écho une « société de l’individu le champ des possibles en l’arrachant à la
production » dans laquelle l’individu est enjoint pesanteur des déterminismes sociaux. Mais cela équi-
d’exploiter son plein potentiel de production en vaudrait simultanément à l’objectiver pour mieux le
repensant son rapport à lui-même, à autrui ou encore soumettre à un processus méthodique d’optimisation,
à son propre corps. comparable à celui appliqué au facteur capital depuis
Cette quête, dont on pressent qu’elle pourrait être la libéralisation des marchés financiers dans les années
sans fin, dessine à l’horizon le Graal patronal du « sala- 1980. Si certains individus sont susceptibles de sortir
rié idéal », docile et performant, enclin à changer son grandis de ce processus d’optimisation, c’est au prix
regard sur le monde plutôt que le monde lui-même. d’un alignement de toutes les composantes de la vie
La force de ce « néolibéralisme du quotidien » humaine sur les logiques de marché. L’enrôlement des
[Mirowski, 2013] réside dans le fait qu’il est porteur corps dans leur dimension biologique (le « biocapital »)

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Quand le sport se met au service du management 685

marque à cet égard une extension du champ d’influ- les faits, comme une machine à fragmenter les collec-
ence du néolibéralisme consécutive aux progrès tifs, hiérarchiser les individus à l’aune de leur potentiel
récents des neurosciences. Pour les autres, l’injonction économique, et accompagner enfin la marginalisation
à l’épanouissement au travail opère bien souvent, dans des moins productifs d’entre eux.

3. Source : Document de référence 2016- 6. La synchronisation est une technique de


▍Notes 2017, p. 20. PNL qui consiste à synchroniser sa gestuelle sur
4. La PNL est une méthodologie fondée sur celle de son interlocuteur afin de créer un
la modélisation des comportements d’excel- climat de confiance propice aux échanges.
1. Pour des raisons de confidentialité, le lence en matière de communication interper- 7. Le triangle de Karpman est une figure
nom de l’entreprise a été rendu anonyme, de sonnelle, d’apprentissage et de changement. d’analyse transactionnelle qui met en évidence
même que celui des personnes interviewées, Issue du champ thérapeutique, elle est l’existence de jeux psychologiques inconscients
désignées par leur poste ou statut dans l’entre- aujourd’hui largement diffusée en entreprise.
dans les relations humaines susceptibles de
prise. Les prénoms cités ont également été 5. Le « T » désigne la zone située au centre déboucher sur des comportements manipula-
modifiés. du cours de squash. Un replacement sur cette teurs, voire conflictuels.
zone stratégique optimise la probabilité de rat-
2. « Le sport au service du management », traper la balle et de mettre ensuite l’adversaire 8. « [France Bureau] veut rendre ses salariés
Le Monde, 17/09/2014. en difficulté. heureux », Le Parisien, 04/04/2013.

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▍ABSTRACT
When sports run for management: the shaping of “high-level employees”
Drawing on the empirical study of training seminars involving sporting activities and personal development, this article analyses
the process whereby employees are shaped by their firms in order to improve their career development, which is expected to have a
positive effect on their productivity. This evolutionist approach considers the human being as an asset to be optimized through
investment. It therefore contributes to the dissemination of a bioeconomic morality which proves to have a depoliticising effect and
which exerts a relationship of symbolic domination on those who fail to comply with it.
Keywords: Sport. Personal development. Firm. Bioeconomic morality. Optimisation.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.66.2.6)

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▍ZUSAMMENFASSUNG
Wenn der Sport im Dienst des Managements steht: die Schaffung des „Hochleistungs-Angestellten“
Auf Grundlage von Trainingsseminaren, in denen Sportpraktiken mit persönlicher Entwicklung kombiniert werden, analysiert
dieser Artikel, wie Mitarbeiter durch Unternehmen geformt werden. Angestrebt wird die persönliche Selbstentfaltung, was als Quelle
für Produktivitätssteigerungen angesehen wird. Dieser Ansatz setzt den Menschen also mit einem Kapital gleich, in das inverstiert
werden kann, um es zu optimieren. Er trägt dementsprechend zur Verbreitung einer bioökonomischen Moral bei, die nachweislich
entpolitisierend wirkt und auf diejenigen, die sich nicht daran halten, symbolische Herrschaftsverhältnisse, die potententiell gewaltsam
sind, ausübt.
Schlagwörter: Sport. Persönliche Entwicklung. Unternehmen. Bioökonomische Moral. Optimierung.

▍RESUMEN
Cuando el deporte se pone al servicio del managment : la fábrica del “asalariado de alto nivel”
A partir del estudio de seminarios de formación asociando practica deportiva y desarrollo personal, este articulo analiza el proceso
de “formación” de los empleados por parte de la empresa con el objetivo de optimizar el bienestar en el trabajo, elemento que
supuestamente aumenta la productividad. Este enfoque asimila, pues, al ser humano a un capital “optimizable” en el que es cuestión
de invertir. De este modo participa en la difusión de una moral bio-económica que posee un efecto despolitizador, y ejerce sobre
los que no se conforman relaciones de dominación simbólica potencialmente violentas.
Palabras clave: Deporte. Desarrollo personal. Empresa. Moral bio-económica. Optimización.

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