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LA PHÉNOMÉNOLOGIE
Renaud Barbaras
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ISSN 0014-2166
ISBN 9782130593607
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Toute méthode peut être caractérisée par deux traits minimaux : elle est
une voie d’accès à ce qui constitue l’objet propre d’une discipline ; elle est un
principe de clôture, permettant de circonscrire le champ de cette discipline
par rapport à d’autres champs. Pour autant que l’objet de la phénoménologie
n’est autre que l’apparaître comme tel, sa méthode consistera à remonter de
ce qui apparaît en et par cet apparaître, à savoir l’apparaissant, à sa modalité
et sa condition d’apparaître. Or, en vertu de ce que Husserl nomme l’a priori
universel de corrélation, l’apparaître enveloppe au titre de ses moments
constitutifs cela qui apparaît en lui, que nous avons nommé l’apparaissant,
et celui à qui apparaît ce qui apparaît, que nous nommerons le destinataire,
pour autant que, par essence, toute apparition est apparition à… – à ce que
l’on pourrait également appeler, par convention, un sujet. En termes hus-
serliens, la corrélation entre l’étant transcendant et ses modes subjectifs de
donnée est un a priori universel, qui vaut donc pour toute humanité quelle
que soit la manière dont nous l’imaginions modifiée. Cependant, en choisis-
sant le terme de destinataire, on signifie que l’on ne préjuge en rien du statut
exact du sujet de l’apparaître ou, plutôt, on souligne que la référence de
l’apparaître à un sujet ne compromet pas l’autonomie de cet apparaître. Que
l’apparaître soit destiné à un sujet ne signifie pas encore que ce qui apparaît
soit constitué au sein de ce sujet et que sa teneur d’être propre soit finalement
celle de la conscience et de ses vécus. Telle est pourtant la direction dans
laquelle s’engagent la plupart des analyses de Husserl : la réalité transcen-
dante est de part en part relative à une conscience, région d’être absolue, au
sein de laquelle elle est constituée. Il sera aisé de montrer que cette analyse
constitutive demeure comme en deçà ou en porte-à-faux vis-à-vis du
projet central de la phénoménologie, en ce qu’elle subordonne l’apparaître à
un apparaissant d’un type singulier, à savoir la sphère de l’immanence et de
ses vécus, en laquelle l’apparaître se trouve déjà présupposé.
Dans la mesure où, pour Husserl, l’épochè constitue la voie d’accès
au champ phénoménal et à son apparaître propre, c’est-à-dire au fond ce
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phénoménologique. En cela, l’extraordinaire formule de Husserl issue d’un
inédit – « qui nous sauve d’une réification de la conscience est le sauveur
de la philosophie, voire son créateur » – résume ce qui constitue à nos yeux
l’unique mot d’ordre méthodologique possible. Cependant, si cette radica-
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à un certain étant ; le destinataire de l’apparaître, qui n’en est qu’un moment
n’en compromettant en rien l’autonomie, devient l’élément ou le lieu même
de cet apparaître.
En quoi cette démarche est-elle problématique du point de vue même
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teneur d’être ? La réponse réside dans ce que l’on a pu résumer par l’expres-
sion d’intuitionnisme husserlien. Celui-ci renvoie à l’exigence fondamentale
selon laquelle il n’y a d’apodicticité pensable qu’impliquant la possibilité d’un
voir et, finalement, de position d’existence qu’enveloppant, au moins à titre
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1. C’est évidemment une question de savoir si ces deux qualificatifs sont équivalents.
Il semble aller de soi qu’un rationalisme non intuitionniste est pensable, mais, quant à
l’intuitionnisme, la question est plus délicate. C’est sans doute du côté de Bergson qu’il fau-
drait rechercher un intuitionnisme pour ainsi dire purifié de l’horizon rationaliste, c’est-à-dire
du principe de l’absence de limites de la raison objective.
2. Jan Patočka, op. cit., p. 243.
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de monde. Dans ce cas, l’être de la conscience serait assurément modifié, mais
il ne serait pas atteint dans sa propre existence. Un sens nouveau et définitif
de l’absoluité se fait jour ici : « L’être immanent est donc indubitablement un
être absolu, en ce sens que par principe nulla “re” indiget ad existendum. »1
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Dès lors en effet que l’être immanent est un absolu, l’être transcendant
lui sera nécessairement relatif et pourra donc être constitué en lui. Or, si
nous avons vu l’intuitionnisme à l’œuvre dans l’interprétation de l’apodic-
ticité de mon existence en termes d’autodonation, cet intuitionnisme com-
mande à nouveau, cette fois sous la forme d’un objectivisme, l’hypothèse de
l’anéantissement du monde dont procède la démarche constitutive. En effet,
l’inférence qui conduit d’une discordance irréductible du cours des esquisses
à la non-existence du monde n’est possible que depuis un présupposé aussi
massif qu’inaperçu : celui de l’identification du monde à un cours cohérent
d’esquisses, c’est-à-dire finalement à un objet. C’est parce que le monde est
identifié à un cosmos que la conflictualité des esquisses équivant à une absence
de monde. Mais, en vérité, le chaos n’est pas la négation du monde mais
encore un certain monde, monde qui n’est pas nié mais, au contraire révélé par
l’hypothèse de la discordance des esquisses. Afin en effet qu’une anticipation
soit déçue, encore faut-il qu’elle soit possible, et elle ne peut l’être que si celui
qui l’effectue dispose par avance de la garantie de la continuabilité de l’expé-
rience sous la forme d’un cadre ou d’une « scène » préalables. Cette donation
de la continuabilité de l’expérience, qui ne préjuge en rien de sa cohérence
et donc de son aptitude à se cristalliser en objets, n’est autre que le monde
lui-même, en tant que radicalement distinct de l’objet et plus profond que
lui pour autant qu’il en est la condition. C’est précisément cette distinction
que Husserl omet dans son hypothèse de l’anéantissement du monde, ce qui
lui permet de dégager la sphère du vécu en son absoluité. À l’inverse, recon-
naître la thèse originaire du monde comme donation de la continuabilité de
l’expérience et donc condition de la perception, c’est rétablir l’équilibre entre
les deux pôles de la corrélation : l’existence du monde n’est ni plus ni moins
certaine que la mienne, et il devient alors impossible de référer le monde à
la conscience comme un relatif à un absolu. Soulignons que cette thèse du
monde, cette « croyance originaire » échappe nécessairement à l’intuition ;
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dire que le subjectivisme husserlien est commandé par un objectivisme : le
monde est comme par avance soumis aux conditions de l’analyse constitu-
tive, son mode d’être est coulé d’emblée dans le moule de la noèse. Bref, il
faut identifier le monde à l’objet pour être en mesure de le reconduire à une
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existence qui est, quant à elle, réductible à une sphère d’immanence. Mais
on voit mieux en quoi la démarche husserlienne est caractérisée par une cir-
cularité, qui atteste de sa dépendance vis-à-vis de l’attitude naturelle en son
sens le plus profond. L’apparaître est reconduit à cet apparaissant singulier
qu’est le vécu parce qu’il est en même temps rabattu d’emblée sur l’apparais-
sant objectif, et les deux mouvements sont, on l’a vu, absolument solidaires.
Autant dire que l’apparaître comme tel est dépassé, d’abord comme apparaî-
tre originaire d’un monde au profit des objets qui apparaissent en lui, puis
comme apparaître destiné à un sujet au profit d’une sphère positive de vécus
au sein de laquelle il est constitué. On assiste bien à une réification des deux
pôles constitutifs de la corrélation, réification à la faveur de laquelle l’autono-
mie de l’apparaître se trouve compromise : dépassé en aval vers l’objet et en
amont vers le vécu, l’apparaître comme tel est oublié au profit de cela dont il
demeure pourtant la condition. Le mouvement d’ostension des apparaissants
en son dynamisme propre se trouve alors figé et par là même méconnu au
profit d’une relation entre un étant subjectif présent à lui-même et un étant
objectif susceptible d’une donation adéquate. La corrélation vivante devient
objectivation, c’est-à-dire à la fois opposition et identité d’une conscience
qui est noèse et d’un transcendant qui est objet. Loin que les deux pôles de
la corrélation soient ressaisis, en leur sens d’être propre, à partir de celle-ci, la
corrélation se réduit à un face-à-face entre deux étants qui ont en commun
le mode d’être de la res.
Cette analyse critique a une conséquence méthodologique : l’accès à
l’apparaître comme tel exige de sortir de cette circularité, d’endiguer ce mou-
vement de dépassement interne de l’apparaître vers ses deux pôles – mouve-
ment qui est en vérité son œuvre propre – pour le ressaisir tel qu’en lui-même,
comme cela qui conditionne aussi bien mon existence que celle de l’objet.
La fonction de l’épochè radicalisée est de libérer l’apparaître de toute réifica-
tion, de le « déréifier » pour le rendre à sa fluidité et son dynamisme premiers.
Au vu de ce qui a été établi plus haut, il s’ensuit que la méthode phénomé-
nologique doit abandonner la norme intuitive pour autant que c’est bien
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cendance vis-à-vis de l’objectivité afin de libérer l’existence vis-à-vis de
l’immanence. C’est ici que la doctrine des esquisses s’avère précieuse, dès
lors que, contrairement à Husserl, nous ne la subordonnons plus au telos du
remplissement, à l’horizon d’une donation adéquate. L’apparaissant apparaît
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rien (d’étant) que chaque apparition présente comme cela dont elle procède.
Dès lors, si chaque apparition est bien négation du monde, qui les contient
toutes, il s’agit d’une négation-position puisqu’il ne paraît qu’en elles comme
cela qui les excède : ici la négation fait pour ainsi dire naître cela dont elle
est la négation. Autant dire que monde et apparition dérivent d’une négati-
vité plus originaire qui n’est autre que le mouvement même de l’ostension
phénoménale. Ici se trouvent brouillées les alternatives de la métaphysique
classique. En effet, on peut dire indifféremment que le fini est négation de
l’infini, puisque toute apparition renvoie à un monde qu’elle limite, et que
l’infini est négation du fini pour autant que le monde ne se révèle que dans
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ses apparitions comme cela qui les excède. En une sorte d’inversion inten-
tionnelle fondamentale, l’apparition fait paraître le monde comme cela dont
elle fait partie, elle éclaire devant elle le monde dont elle provient pourtant.
Le monde ne précède pas plus l’apparition que celle-ci ne le précède : l’un et
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d’être du sujet est celui d’une négativité concrète, négativité répondant à ce
rien d’étant, à cette négation déterminée (autre qu’un pur néant) qu’est le
monde. Le mode d’être du sujet est celui d’une négativité au sein du monde,
négativité concrète ou effective, car si le sujet n’est pas chose il n’est néan-
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moins pas rien. Seul le mouvement peut correspondre à ces exigences, et c’est
donc par un mode d’être dynamique qu’il faut caractériser le sujet. Le sujet
est non-chose, non pas au sens où il ne serait rien mais dans la mesure où il
existe sur le mode de la négation de toute choséité. Autant dire qu’il ne peut
reposer en lui-même, qu’il est ce qu’il est sur le mode du ne pas être, qu’il
est non-coïncidence avec soi ou négation active de soi, bref mouvement.
Le mouvement est exactement cette négativité effective et active qui a besoin
du monde en tant qu’il est négation en lui de toute position finie.
Mais encore faut-il s’entendre sur le sens de ce mouvement et ne pas le
réduire naïvement à un simple déplacement, conformément à l’acception
moderne du terme, car ce serait subrepticement reconduire une forme de
positivité au sein même de la négativité. Il faut en effet se souvenir que c’est
l’être du sujet que nous tentons de caractériser par ce mouvement et que,
à ce titre, il ne saurait se confondre avec un mouvement local qui renvoie
toujours à une chose, au titre de son état. Dire donc que le sujet n’est en aucun
cas une res, c’est reconnaître que son mouvement ne peut être un simple
déplacement. Il s’agit précisément de son mouvement, c’est-à-dire d’un mou-
vement qui est le sien à la fois au sens où le sujet en est la source et où il
s’accomplit comme sujet en ce mouvement : autrement dit d’un mouvement
vivant. Ce mouvement est un procès d’accomplissement du sujet qui passe
par l’ostension ou l’actualisation d’un monde. Il suit en effet de toutes nos
analyses que le sujet ne peut être pensé comme une réalité reposant en elle-
même qui se rapporterait d’autre part au monde : un tel sujet ne serait relié
au monde que sur le mode d’un voir qui maintient la distance, n’affecte et
n’engage en rien celui qui voit. Déréifier la conscience signifie donc recon-
naître qu’elle ne peut exister comme une substance qui demeurerait étrangère
au monde pour n’en recueillir que le sens ou la détermination mais qu’il y va
au contraire du monde en son être, de telle sorte que son accomplissement
est solidaire de la parution du monde. Puisque la substance est cela qui n’a
besoin que de soi-même pour exister, affirmer que la conscience n’est pas
substance revient à reconnaître que son existence dépend d’un autre qu’elle,
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Si le sujet de l’apparaître existe sur le mode de l’accomplissement, il faut
ajouter qu’une dimension d’inaccomplissement perdure au sein de cet accom
plissement, dimension qui garantit le caractère essentiellement dynamique
de son être. Si le mouvement renvoie, comme chez Aristote, à un défaut
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il est désormais impossible d’en rester au niveau de l’apparaître, de s’en tenir
à la corrélation entre le destinataire et l’apparaissant. En dépassant le positi-
visme phénoménologique au profit d’une corrélation entre des négativités,
nous assistons à la transformation de ce que l’on pourrait appeler une stati-
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propre mouvement qui, en vertu de l’hyperappartenance, nous a initiés au
caractère processuel du monde, en vérité, la prise en considération des coor-
données mêmes de l’apparaître aboutit au même résultat. Comment com-
prendre en effet un apparaître qui est tel que l’apparaissant ne se présente
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de l’apparaître comme tel, et ce qui n’est pas elle.
Nous avons caractérisé l’être même du destinataire par un mouvement
que résumait le concept de désir, et c’est ce mouvement même qui nous a
d’abord initiés au caractère processuel du monde sur la base de son hyperap-
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c’est-à-dire n’engendre plus l’étant mais son apparition. Tout se passe donc
comme si l’archimouvement du monde se détachait de lui-même et, coupé
ainsi du monde et privé de sa puissance propre, ne pouvait plus que tenter de
renouer avec son origine et de rejoindre l’étant, le faisant ainsi paraître faute
de pouvoir le faire être.
Il faut ici se souvenir que nous avons défini le sujet de l’apparaître comme
désir. Or, en son fond, le désir est toujours désir de soi : il renvoie à un défaut
d’être, exprime une lacune ontologique et c’est précisément la raison pour
laquelle il ne peut être comblé. Le désir est le propre d’un être qui possède
son être hors de lui-même, qui est exilé de son site ontologique. Dès lors,
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il faut admettre que si le sujet aspire au monde, c’est parce qu’en lui réside
son être véritable, parce qu’il y va du monde en son être : le mouvement vers
le monde n’a de sens que sous-tendu par une visée de réconciliation, qui
concentre le sens le plus profond de l’intentionnalité. Cependant, il n’y a pas
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scission où s’origine son exil.
Pour autant qu’elle prend la mesure de l’insuffisance du niveau cosmo-
logique, c’est-à-dire de la nécessité d’une séparation dont l’archimouvement
n’est pas capable, la phénoménologie se dépasse, une seconde fois, vers ce
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qui pourrait être compris cette fois comme son autre absolu, à savoir vers
une métaphysique, métaphysique qui doit certes être comprise en un sens
précis, précisément phénoménologique. De la même façon qu’avec la cos-
mologie, la phénoménologie implique son propre empiétement vers une
métaphysique qui, par là même, passe de son côté. La question est alors
de savoir dans quelle mesure on peut réduire la métaphysique à son sens
phénoménologique esquissé ici, comme on avait cru pouvoir réduire la cos-
mologie à sa version phénoménologique. Quoi qu’il en soit, en nous en
tenant à la visée d’une description de l’apparaître comme tel, visée profon-
dément phénoménologique, nous avons été conduits à renoncer radicale-
ment à l’intuition et à ce qui la sous-tend. En mettant au jour, au cœur de
la phénoménologie, au titre de ce qu’elle intègre en se dépassant elle-même,
une dimension à la fois cosmologique et métaphysique, nous nous retrou-
vons aux antipodes d’un certain Husserl, et ce au nom même des exigences
qu’il a fait valoir. Le sujet n’est plus le lieu ou la source de la raison mais ce
qui, par excellence, est sans raison puisque son être procède d’une impensa-
ble scission métaphysique. Loin d’être habité par la positivité des vécus, le
sujet est le lieu même d’une négativité qui est double : négativité de l’archi-
mouvement ; négativité, au sein même de cette première négativité, de
l’archiévénement qui vient le briser. Ainsi, l’existence du sujet n’atteste pas
du triomphe de l’intuition mais plutôt de son impossibilité, pour autant
que l’archiévénement, sans lequel il n’y a ni corrélation ni apparaître, est
cela que nous ne pouvons voir d’aucune façon.
Renaud Barbaras
Professeur de philosophie contemporaine à
l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne
Membre de l’Institut universitaire de France