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QUELQUES PROPOSITIONS
Emmanuel Schwab
2014/2 - Vol. 57
pages 465 à 490
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ISSN 0079-726X
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64 / 718 21 novembre 2014 02:33 - La psychiatrie de l’enfant 2/2014 - Collectif - La psychiatrie de l’enfant - 135 x 215 - page 465 / 718
Angoisse d’envahissement
sensoriel
Fonction miroir dans
l’autisme
Dialogue psychanalyse-
comportementalisme
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L’autisme entre psychanalyse
et comportementalisme :
quelques propositions
Emmanuel Schwab1
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with behaviorist conceptions of treatment for children with autism. So
doing, we defend the idea of a necessary therapeutical firmness in order
to create a protective and stimulating framework. We also develop the
idea that pragmatic adjustment to autistic functioning can be seriously
improved with the possibility of making hypotheses about the personal
experience of these children. In this way, we will show how one of Freud’s
very early texts proposes interpretive keys to understanding the develop-
ment and mirror functioning of persons with autism.
Key words: Invasive sensorial anxiety – Mirror function in autism –
Psychoanalytic-behaviorist dialogue.
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nement, le défi est d’en dégager malgré tout les modes de sub-
jectivation propres : qui est l’enfant avec autisme, comment
habite-t-il son monde ? L’enjeu est de pouvoir repérer à la
fois ce qui fait des autistes des co-humains – de manière à
rendre l’échange possible – et d’identifier leur différence
spécifique – pour permettre voire encourager leurs modes
d’expression propres.
La deuxième difficulté tient à la volonté de défendre une
possibilité de soin. Cette position s’est historiquement cons-
truite dans l’opposition à l’idée d’une dégénérescence ner-
veuse : on se souvient de Josef Breuer et Sigmund Freud se
moquant de la stupidité de cette hypothèse, et de son ina-
déquation à expliquer les troubles de leurs patientes intel-
ligentes (1895a). Les défenseurs du soin en sont venus à
développer une hypothèse étiologique concurrente : si c’est
l’échange inter-humain qui soigne, c’est que cet échange a
manqué, ou qu’il a été abusif. C’est ainsi qu’on a vu pro-
gressivement apparaître la figure de la mère négligente et/ou
abusive – la mère schizophrènogène voire « autismogène ».
Il faut comprendre qu’une telle évolution est le fruit d’un
long travail : si la psychanalyse a d’abord permis de rendre
pensable l’ambivalence du rapport au père, c’est de haute
lutte qu’elle est ensuite parvenue à dégager une possible ambi-
valence à l’égard de la mère, figure sacrée s’il en est – Freud a
commencé ce travail après le décès de sa propre mère (1931).
Mais cette avancée dans la compréhension de la conflictua-
lité du monde interne a été à mon sens dévoyée quand on l’a
utilisée comme explication objective des maladies psychiques.
Cela a abouti à une conception simpliste, dépourvue précisé-
ment d’ambivalence, qui me paraît avoir une fonction défen-
sive. En incriminant les mères de ces enfants là, on préserve
pour le reste de la communauté humaine le fantasme d’une
mère qui est capable de protéger de tout. Cela permet de faire
l’économie d’une expérience spécifique à l’espèce humaine :
l’état de détresse du petit humain, petit humain insuffisam-
ment outillé au niveau moteur et psychique pour organiser
par lui-même son rapport au monde. Cette thématique mérite
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21 novembre 2014 02:33 - La psychiatrie de l’enfant 2/2014 - Collectif - La psychiatrie de l’enfant - 135 x 215 - page 468 / 718 21 no
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les enfants avec autisme.
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cette compréhension. On court aussi le risque de leur pro-
poser des médiateurs d’échanges qui n’ont pas de sens pour eux
et qui ne peuvent donc que les confronter à leur impuissance.
Pour dépasser ces difficultés, on peut attribuer un carac-
tère structurant à la dimension affective et à la capacité de
partage de l’affect. Or, certains autistes adultes ont pu mon-
trer comment l’exigence de partage affectif les soumettait à
une contrainte difficilement compréhensible (Schott, commu-
nication personnelle ; Peeters, 2008, p. 148 et ss.). On sup-
pose aujourd’hui que l’affect se construit comme le résultat
de la mise en rapport de différentes modalités sensorielles,
et de nombreux indices tendent à montrer que le fonction-
nement autistique inhibe cette « comodalisation » sensorielle
et le partage émotionnel qui pourrait s’en suivre.
Cette difficulté est probablement à l’origine d’une réti-
cence souvent rencontrée à l’égard des interprétations trop
« dramatisantes » des angoisses autistiques, interprétations
qui voient l’autiste habité par des tensions encore plus terri-
bles que celles du psychotique. S’il ne fait pas de doute que le
monde psychotique peut être rempli d’affects structurés par
un imaginaire luxuriant, s’il est également indéniable que le
monde autistique peut être habité par des tensions internes
importantes – ainsi qu’en témoigne l’intensité de certains
troubles du comportement –, il paraît incorrect de donner à
ces tensions une connotation affective dramatisée (voir à ce
sujet les distinctions entre registres psychotique et autistique
proposées par Frances Tustin, 1989).
D’autres enfin ont voulu faire de l’attachement une
dimension organisatrice, commune d’ailleurs aux humains
et à certains animaux « supérieurs ». L’intérêt des travaux
de John Bowlby et de ses successeurs a été de montrer que
l’attachement sous sa forme spécifiquement humaine ne se
développait qu’après un long processus : même si, pour
Bowlby, l’attachement est préprogrammé, le repérage iden-
tificatoire des caregivers ne se fait au mieux qu’au cours
du deuxième semestre de la vie. Cela suppose que de nom-
breux processus doivent se mettre en place pour permettre
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2-3ème mois (Maurer et Zalapetek, 1976). Or, on sait que de
nombreux autistes ne parviennent jamais à développer cette
identification2. La reconnaissance de la voix humaine leur
pose souvent également des problèmes importants. On peut
donc comprendre que le fonctionnement autistique empêche
le développement de l’attachement sous sa forme typique.
Il ne faut pas reculer ici devant l’idée qui s’impose alors,
à savoir que, pour des raisons à préciser, les autistes ne dis-
posent pas de certaines capacités que l’on considèrent souvent
comme caractérisant le cœur du fonctionnement humain. La
volonté bienveillante de les intégrer dans une telle co-humanité
conduit donc à produire l’inverse de ce qu’elle veut : une
cruelle disqualification de leurs tentatives d’entrer en contact.
Le défi de formuler une spécificité du fonctionnement humain
qui inclut le fonctionnement autistique n’en est que redoublé.
2. Cf. Laurent Mottron (2004). Un autiste de haut niveau demandait ainsi à
sa compagne de porter un foulard rouge pour pouvoir la reconnaître dans la foule
(Hilde de Clercq, communication personnelle).
3. Capacité qu’Aristote avait joliment décrite de la façon suivante : « Dès
l’enfance, les hommes ont, inscrites dans leur nature, à la fois une tendance à repré-
senter et une tendance à trouver du plaisir aux représentations. Si l’on aime à voir
des images, c’est qu’en les regardant, on apprend à connaître et on conclut ce qu’est
chaque chose comme lorsqu’on dit : “celui-là, c’est lui !” » (Aristote, tr. fr. 1980, p. 43).
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(1895b, p. 336).
On doit supposer que les capacités autorégulatrices ne sont
pas spécifiques à l’être humain, mais qu’en dernier recours
elles relèvent d’une caractéristique du vivant dans son en
semble. C’est ce que Francisco Varela a défendu en montrant
comment l’organisme vivant le plus élémentaire est organisé
par un mouvement qu’il qualifie d’auto-poïétique : c’est ce qui
permet à cet organisme d’« engendrer et spécifier continuelle-
ment sa propre organisation » (Varela, 1989). Face à une per-
turbation (externe ou interne), l’organisme est ainsi conduit à
se réorganiser pour préserver sa cohérence d’ensemble4.
Lorsque l’exigence d’adaptation est trop forte, on doit
supposer que des mécanismes de défense se mettent en place
pour tenter de juguler cette menace. Au niveau de l’expé-
rience humaine, ces mécanismes de défense s’expriment par
exemple sous la forme de l’évitement instinctif de la douleur :
la mémoire inconsciente du corps conduit à éviter les mou-
vements qui pourraient réactiver cette douleur. Et comme
l’indique Bleuler (1911) auquel j’emprunte cette métaphore,
« le résultat peut dépasser le but, puisque dans de nombreux
cas, des mouvements qui ne provoquent pas de douleur ne
sont pas exécutés non plus ». Si le mécanisme de défense est à
l’origine un processus adaptatif, il peut donc devenir patho-
gène et finir par alimenter le processus contre lequel il lutte.
Ces mécanismes inconscients peuvent s’exprimer selon
différentes modalités représentatives suivant le type d’orga-
nisation psychique de l’individu. Mais, pour Freud, ils
restent toujours « instruits par l’expérience biologique »
(1895b, p. 340). C’est donc pour préserver son auto-orga-
nisation que le moi inclut ou exclut des expériences et des
représentations dans son univers propre : « L’acceptation
d’une nouvelle représentation (le mot acceptation étant pris
dans le sens de croyance, de reconnaissance d’une réalité)
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autistique échapperait à ces différentes caractéristiques.
Ce fonctionnement est manifestement doué d’une mémoire
inconsciente qui conduit à préférer les situations bien iden-
tifiées et éviter les situations associées à un facteur de stress.
Des processus représentationnels spécifiques – d’association
sensorielle concrète – organisent cette mémoire inconsciente.
On peut penser par exemple à une jeune fille terrorisée par
tous les objets verts : une analyse attentive permet d’associer
cette crainte à la porte de la voiture verte dans laquelle elle
s’était un jour coincée la main (Hilde de Clercq, communi-
cation personnelle).
De plus, de nombreuses expériences montrent qu’un
facteur de soin essentiel est constitué par le fait d’accroître
l’intelligibilité des situations. Les troubles du comportement
régressent souvent lorsque des indices sensoriels et repré-
sentatifs permettent aux personnes avec autisme de mieux
se repérer et d’interpréter les situations. Le fait de pouvoir
attribuer une signification à des signaux visuels ou auditifs
va en général accroître la capacité d’attention à leur égard
et enclencher une curiosité interprétative « symbolisante »
(Schopler, 2002, p. 74). Il parait ainsi indéniable que l’auto-
organisation du comportement peut être décisivement amé-
liorée par la construction de repères représentatifs.
On peut signaler ici que certains ont mis en doute l’idée
que l’autisme doive être considéré comme un trouble psy-
chiatrique. Laurent Mottron (2004), par exemple, propose
de penser qu’il est l’expression d’une condition neuro-
développementale dont la société doit reconnaître la spéci-
ficité, de manière à permettre aux autistes de trouver leur
expression et leur place propre en fonction de cette diffé-
rence. On doit en effet se demander si un autiste souffre
de sa condition, ou si cela n’est pas un effet de notre pro-
jection de soignant sur son vécu supposé.
En fonction des paramètres proposés ci-dessus, on pour-
rait considérer que l’autisme ne devient source de pathologie
– ne devient pathogène– que lorsque les capacités auto-
organisatrices de l’individu sont mises à mal. En revanche,
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trice, les troubles du comportement et les troubles anxieux
finissent en général par s’éteindre.
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du monde entier. Ces téléphones n’arrêtent pas de sonner ;
ça « mélange tout », et tout le monde est obligé de se boucher
les oreilles.
Vu ses difficultés à être en contact, ses parents avaient
naguère demandé un test d’audition qui avait permis
d’exclure toute anomalie fonctionnelle. Quelques années
plus tard, c’est donc Orel lui-même qui parvient à don-
ner l’explication de sa surdité : l’enjeu est de lutter contre
un envahissement sensoriel, envahissement sensoriel qui a
un effet désorganisateur (ça « mélange tout »), et face auquel
la seule défense possible est de se boucher les oreilles.
En suivant Orel, on peut donc affirmer que la nature de
l’angoisse autistique est une angoisse d’envahissement senso-
riel, et le mécanisme de défense typique est le blocage de cette
modalité sensorielle. On comprend la nature adaptative de
ces mécanismes qui permettent de lutter avec succès contre
un risque d’envahissement sensoriel et de « mélange ».
La capacité de cet enfant à mettre en forme son propre
fonctionnement entre en écho avec les témoignages d’adultes
avec autisme qui parviennent à partager leur expérience de
vie avec une qualité expressive tout à fait saisissante. Cela
doit conduire à abandonner une ancienne mais persistante
idée selon laquelle les personnes avec autisme ne seraient pas
« sujet » de leur existence et que, derrière la forteresse de
leurs défenses, il n’y aurait que du vide. En suivant encore
une fois Orell, on comprend que, s’il s’est replié jusqu’à
l’isolement – l’aloness de Leo Kanner (1943) –, c’est que la
volonté de communication exprimée par les coups de télé-
phone a été rendue persécutante par l’envahissement sen-
soriel. Même si ces mécanismes de défenses font penser à des
réflexes quasi neuro-végétatifs, ils sont clairement l’expres-
sion d’une personne qui cherche à garder sa cohérence, et ils
peuvent être alimentés par des processus attentionnels vécus
comme l’expression d’une lutte subjective singulière.
N’est-ce pas ce sujet-là que la psychanalyse cherche à ren-
contrer : celui qui, au creux d’une expérience parfois dérou-
tante, s’attache à créer des repères, des représentations
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Une nÉcessaire fermetÉ thÉrapeutique
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ses propres productions vocales ? C’est qu’ils savent qu’ils
sont eux-mêmes soumis au même arbitraire, transcendés par
un ordre qui neutralise le caractère potentiellement pervers
de leur pouvoir. Et c’est aussi parce qu’ils perçoivent bien
le gain énorme que procure l’accès à ce code partagé : ils
savent pour l’enfant que sa soumission initiale lui accordera
plus tard une maîtrise dont il pourra être reconnaissant.
Bien avant d’être soumis au langage, l’enfant est soumis
à ses propres cris et à la voix de la mère, aux formes que
cette voix lui propose de son monde. Situation profondément
asymétrique dans laquelle la vulnérabilité personnelle ren-
contre une réponse préformée : « Si le dire et le faire mater-
nel anticipent toujours sur ce que l’infans peut en connaître,
si l’offre précède la demande, si le sein est donné avant que
la bouche sache que c’est de lui qu’elle est en attente, ce
décalage est encore plus évident et plus total dans le regis-
tre du sens, qui anticipe de loin sur la capacité de l’infans
d’en reconnaître la signification et de la reprendre pour
son compte » (Aulagnier, 1975, p. 36). La mise en forme du
monde par la mère précède donc les capacités de l’enfant
d’accueillir celle-ci et lui impose une forme dont il n’a aucun
moyen de vérifier le bien-fondé : cette situation de « violence
primaire », Aulagnier la voit aussi comme l’expression du
désir de vie de la mère envers son enfant.
On comprend que la réflexion d’Aulagnier conduit à
étayer la position thérapeutique sur la position parentale.
Mais cette dernière est elle-même représentante d’un « désir
de vie » qui la transcende, et qui vient à la fois du potentiel
vital de l’enfant et des désirs par lesquels les parents ont eux-
mêmes été animés (les grands-parents, la culture…).
Pour banale qu’elle paraisse, cette conception de la « vio-
lence primaire » remet en question l’idée – l’illusion ! – selon
laquelle l’individu reposerait d’emblée sur lui-même, et pos-
sèderait donc d’emblée l’outillage nécessaire pour maîtriser
son rapport au monde. Cette illusion me paraît conduire
aujourd’hui à des positions pratiques passives qui relèvent
de la négligence : l’absence de réponse cadrante peut devenir
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praticiens expérimentés ont souvent relevé la nécessité d’un
positionnement ferme face à leurs comportements (auto)
destructeurs. Une collègue de Donald Meltzer a ainsi remar-
qué que des jeux avec de l’eau avaient fini par produire un
débordement interne angoissant pour son petit patient : « Je
sentis que la mise en place de limites était importante pour
lui. Je devinais que pour John cela signifiait que je ne me
laisserais pas transformer en une sorte de maman-toilette
qui déborde » (Meltzer, 1975, tr. fr. 2002, p. 108)5.
L’emballement anxieux dont il s’agit ici est en rapport
avec un mouvement de liquéfaction interne qui détruit les
repères représentatifs. L’agressivité doit, me semble-t-il,
être comprise comme un appel à un objet éprouvé comme
manquant : ce n’est pas la « méchanceté » de l’objet qui est
dénoncée, mais le fait qu’il ne donne pas suffisamment prise.
La mise en place d’une limite vaut donc comme une interpré-
tation par l’acte qui montre à l’enfant que sa rage destruc-
trice s’attaque à ce qui pourrait le rassurer.
Si elle peut « interpréter l’angoisse », la mise en place
d’une limite a également pour bénéfice de réintroduire la
possibilité d’un travail représentatif. Le vacarme des mou-
vements (auto)destructeurs attaque en effet les étayages
représentatifs autour desquels l’enfant pourrait se struc-
turer. Marie-Dominique Amy donne plusieurs exemples de
l’étonnement qu’elle a provoqué dans des équipes thérapeu-
tiques et éducatives lorsqu’elle a suggéré de ne pas laisser un
enfant détruire son environnement ou lui-même. Elle montre
comment une position ferme a souvent comme bénéfice de
permettre à l’enfant de se concentrer à nouveau sur des élé-
ments significatifs : en retrouvant parfois assez rapidement
un sentiment de maîtrise structurant, l’enfant n’éprouve
alors plus besoin de se montrer (auto)destructeur (Amy,
2009, p. 27 et 70).
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cette fermeté thérapeutique peut devenir source d’un élar-
gissement des capacités de symbolisation : « Si nous devons
aider ces enfants à changer, il nous faut avoir une vision
thérapeutique pénétrante de l’usage qu’ils font de leur
comportement autistique. Nous n’allons pas les dépouiller
des moyens de réconfort et de protection sans avoir quelque
chose de mieux à leur offrir » (Tustin, 1989, p. 85).
Si les moyens thérapeutiques habituels – la mise en mots,
le partage d’affect – ne se rendent pas saisissables par la
personne avec autisme, on peut se demander quels sont les
registres qui peuvent acquérir une fonction communication-
nelle et organisatrice. Parmi ceux-ci, j’aimerais relever les
dimensions auditives et visuelles.
Le problème initial de l’audition est que l’oreille n’est
pas appareillée pour se protéger des stimulations. Impossible
de la fermer, comme on peut le faire avec l’œil ou la bou-
che. Impossible de se protéger de ses propres cris, souvent
tonitruants. On peut aussi relever que, quand les systèmes
d’interprétation auditive sont bien construits, la musique
possède une grande capacité de mobilisation affective6. On
comprend les fréquentes défenses primaires qui peuvent
s’installer pour tenter de stopper cette pénétration vécue
comme persécutante.
Si on veut inciter l’enfant à renoncer à ces mécanismes de
défenses, il faut donc lui permettre de construire une meil-
leure organisation de ses repères auditifs. C’est la douceur
du son qui peut rendre sa puissance de pénétration suppor-
table. C’est ce que comprennent intuitivement les parents
qui modulent leur voix, en cherchant la tonalité qui apaise
le mieux leur enfant. Outre la qualité du son lui-même, on
peut penser que son « audibilité » va dépendre de sa qualité
d’accordage. En reprenant la description de Daniel Stern, on
peut considérer que l’accordage auditif du parent consiste à
6. On sait que Freud lui-même se disait « insensible à la musique autant qu’à
la mystique ». Le caractère défensif de cette insensibilité se voit dans l’intense émo-
tion qu’il a pu exprimer au sortir d’un opéra – dans un contexte particulier que
j’analyse ailleurs (Schwab, 2011).
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le transformant un peu – soit dans le sens de l’apaisement,
soit éventuellement dans le sens de l’éveil (Stern, 1989,
p. 185). Si le son est supportable, et surtout s’il est éprouvé
comme proposant une forme à l’état interne, il va pouvoir
être investi activement comme une source de repérage.
L’intérêt du monde sonore est qu’il peut se déployer
en un langage d’une richesse grammaticale quasi infinie.
Outre son intensité, la durée, le rythme et la phrase dans
laquelle il est inséré le rendent identifiable. De nombreuses
personnes travaillant avec les enfants avec autisme ont
remarqué l’intérêt des structures mélodiques, puis des
petites comptines qui ont la vertu d’éveiller l’attention de
l’enfant et de lui proposer ainsi des structures formelles
organisatrices très efficaces (voir Winnicott, 1966). C’est
ce que j’ai observé avec un garçon de 5 ans, autiste non
verbal, pour lequel une scolarisation à l’école enfantine a
été tentée. Ce dernier s’est beaucoup appuyé sur les comp-
tines rituelles du début de la matinée. En structurant son
univers, ces dernières l’ont aidé à renoncer complètement
aux troubles du comportement importants qu’il manifes-
tait en situation de stress – il mordait alors fortement ses
camarades.
Cet outil peut être utilisé de multiples façons, comme
forme organisatrice sur laquelle peuvent se connecter des
éléments moins directement identifiables par l’enfant : un
chant peut être associé à la mobilisation des différentes par-
ties du corps, et à chacun des éléments qui structure le monde
de l’enfant. Eric Schopler suggère de transformer les paroles
de chants bien connus pour y intégrer des mots corres-
pondants aux intérêts de l’enfant, de manière à l’intéresser
progressivement au sens qui peut être attribué à la signature
auditive (Lansing et Schopler, 1991).
Si l’oreille est « transperçable » par les sons, les yeux
peuvent être fermés. Mais surtout, quand ils sont ouverts, ils
peuvent être dirigés et focalisés à la distance désirée. Ce gain
de maîtrise en fait une modalité perceptive privilégiée dans la
construction des repérages représentationnels. Il n’en reste
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autistique va utiliser la modalité visuelle d’une façon spéci-
fique, centrée sur les éléments ayant une bonne repérabilité.
Laurent Mottron a montré qu’il induit un surfonctionnement
des modalités perceptives de bas niveau, tout l’intérêt se por-
tant sur les aspects bien identifiables – la saillance perceptive
et le niveau de récurrence (2004). Il explique la puissance
d’attraction de certaines stimulations visuelles par le fait
qu’elles créent une « coïncidence entre ce qui est rencontré
et ce qui a été mémorisé de plus semblable » (p. 186). En
suivant cette idée, on est conduit à penser que c’est bien un
pouvoir représentationnel qui serait ici agissant.
Frances Tustin a montré la potentialité organisatrice de
la figure du rond : c’est une figure simple et complète, sans
ruptures, close sur elle-même et parfaitement symétrique.
La forme la plus simple constituée avec des lignes droites est
le triangle, au départ bien plus angoissant que le rond au vu
de sa structure plus complexe, par trois fois « cassée ». La
capacité à dessiner un rond peut être, selon Tustin, l’occa-
sion d’un saut maturatif important, à l’aide duquel l’indi-
vidu peut se représenter lui-même comme clos et complet
– elle fait même de son apparition un indice possible de la
sortie de l’autisme (1989)7. Tustin considère que le monde
des formes repérées par l’enfant est extrêmement intime
– comparable en quelque sorte au monde du rêve – et qu’il
implique donc un maniement délicat. On connaît la difficulté
de cette délicatesse, puisque le monde que construit l’enfant
avec autisme est à la fois celui qui le structure et celui der-
rière lequel il se replie.
Ayant repéré la puissance organisatrice des formes élé-
mentaires, on peut penser qu’il est utile d’attirer l’attention
de l’enfant sur ces dernières, et de l’aider à élargir progres-
sivement son « vocabulaire » de formes par une série de
jeux sensori-moteurs – par exemple de mise en correspon-
dance. On peut également utiliser ce vocabulaire comme un
7. On peut signaler ici que cette puissante subjectivante a bien été repérée par
les traditions qui ont développé le mandala dans sa dimension sacrée.
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se repérer dans l’espace et dans le temps. À partir de ce qui
vient d’être développé, on comprend que l’intérêt des tech-
niques de repérage développées à ce propos par les tenants
de la méthode TEACCH8 est qu’elles utilisent le pouvoir
organisateur de la représentation – visuelle en particulier –,
en l’adaptant au niveau où l’enfant peut en saisir la fonction
(Peeters, 2008).
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« base neuro-biologique aux signes primaires de l’autisme »
(Ramachandran, 20079).
Cette hypothèse a été partiellement contestée, en parti-
culier parce que les capacités d’imitation ne sont pas tou-
chées de manière uniforme chez les individus avec autisme.
Certaines tâches d’imitation motrice simple – en particulier
l’imitation de l’utilisation d’un objet – sont par exemple bien
réussies par ces derniers, ce qui invalide partiellement l’idée
que leur système de neurones miroirs serait totalement défi-
cient. On a ainsi repéré que ce sont les chaînes d’actions qui
ne peuvent être réalisées ; cela met en évidence une difficulté
à coordonner différentes actions, coordination qui ne peut
pas relever uniquement du système des neurones miroirs
(Zalla et Labruyère, 2009).
Après avoir analysé en détail les capacités imitatives des
enfants autistes, Jacqueline Nadel conclut que l’imitation est
paradoxalement à la fois un des points de fragilité du fonc-
tionnement autistique … et le levier essentiel d’une possible
progression : « L’imitation se développe lorsque l’on s’en
sert, et avec elle se développent des répertoires d’action, de
représentations motrices, de relations d’affordance entre
objets et actions, et avec elle s’exerce l’agentivité dans la
distinction entre ce que je fais et ce que je vois l’autre faire
similairement, la référence à l’autre comme semblable et
partenaire » (Nadel et Potier, 2002).
On sait que les programmes comportementalistes de trai-
tement de l’autisme font un recours intense à l’imitation
pour inciter les enfants autistes à entrer en contact et à déve-
lopper leurs compétences cognitives : « L’imitation est une
tâche simple qui peut être utilisée pour établir la coopération
et l’attention […]. Elle va devenir la base de l’apprentissage
d’autres compétences importantes (verbalisation, jeu, socia-
lisation, autonomie) » (Leaf et McEachin, 2006, p. 151).
Construits sur une base pragmatique, ces programmes sont
9. Ramachandran estime ainsi expliquer pourquoi les enfants avec autisme ne
parviennent pas à développer une « théorie de l’esprit » (Baron-Cohen, 1985).
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On a cependant pu reprocher – même parmi les repré-
sentants de cette approche – la rigidité de ces programmes.
Pour pallier cette difficulté, il est aujourd’hui généralement
admis qu’il s’agit de bien repérer la spécificité du fonction-
nement de chaque enfant pour ajuster l’accompagnement
qui lui est proposé (cf. Leaf et al, 2008, p. 63). Il me semble
difficile de contester que la meilleure procédure dans ce sens
consiste à analyser son comportement de manière à tenter
d’en comprendre les raisons.
Théo Peeters a d’ailleurs pu montrer que la mise en
place structurée d’un cadre d’analyse des comportements de
l’enfant suffit parfois à produire un apaisement : « Quelques
semaines plus tard, les parents nous racontent que, depuis
lors, les problèmes se sont atténués considérablement. Le
fait qu’ils notent, qu’ils se tiennent à distance et qu’ils ne
réagissent pas immédiatement a eu comme conséquence que
l’enfant n’a plus pris plaisir à attirer l’attention sur lui de
cette manière » (Peeters, 2008, p. 196).
De plus, si ces programmes peuvent être bien adaptés
au niveau de développement de l’enfant, l’intervention elle-
même n’est pas pensée comme s’ajustant dans l’interaction
avec les signaux de l’enfant. On se prive ici d’une qualité
interactive qui enrichirait considérablement la relation et
augmenterait d’autant sa vertu thérapeutique. Piaget avait
remarqué que l’imitation peut se développer dès le 2ème stade
sensori-moteur « à condition que le modèle reprenne des
conduites que le bébé était en train d’effectuer lui-même »
(Droz, 1997). On saisit ici le rôle central des capacités
d’accordage imitatif de l’adulte. Ici aussi, l’observation
et l’analyse attentive du fonctionnement de l’enfant sont
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capacité à se représenter l’expérience de l’enfant lui-même.
À la manière d’une mère qui tente de décoder les gestes et
signaux de son enfant, une telle analyse ne peut être qu’hypo-
thétique. Elle peut cependant s’étayer sur la compréhension
que les recherches scientifiques ont permis de dégager pro-
gressivement, et sur une théorie générale du développement
qui tente d’intégrer ces différentes données dans une vue
d’ensemble.
11. L’enjeu pratique majeur est ici celui de la formation des intervenants,
ainsi que celui de la cohérence de leur cadre de supervision.
12. J’ai défendu l’idée que c’est pour des raisons personnelles que Freud n’a
pas terminé ce traité (Esquisse d’une psychologie scientifique) – pour lequel on peut
défendre l’hypothèse qu’il tentait de mettre en forme l’épreuve personnelle qu’il
était en train de traverser. On peut aussi penser que sa prise de distance ultérieure
avec Fliess a pu le pousser à renoncer à certaines des hypothèses biologiques asso-
ciées à cet ami (Schwab, 2011). Voir l’analyse détaillée qu’en propose Ariane Bazan
(2007), mise en comparaison fructueuse avec les recherches neuro-psychologiques
contemporaines.
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Il peut donc s’entendre babiller grâce au miroir auditif que
lui tend sa mère. La mise en connexion des babils maternels
avec sa propre capacité à émettre de tels sons permet de
former une image auditivo-motrice. Le nourrisson parvient
ainsi paradoxalement à construire un système mental réflexif
d’identification de ses propres mouvements auditivo-moteurs
et à reconnaître qu’il est lui-même capable de babiller.
Le deuxième aspect consiste à associer le registre per-
ceptivo-moteur à la mémoire. Ces repérages vont en effet
constituer un premier stock d’images mentales ré-évocables.
En entendant sa mère, le bébé va tenter de l’imiter et ainsi
pouvoir se souvenir qu’il a lui-même produit de tels sons :
« Les souvenirs qui surgissent au moment où le sujet observe
les indications sonores de décharge deviennent conscients
comme des perceptions et peuvent être investis à partir de Y
(la mémoire). » Si l’imitation du son constitue et réveille la
mémoire, les images stockées permettent de leur côté d’iden-
tifier le mécanisme de production sonore : « La série de sou-
venirs dont nous parlons ici peut, par là, devenir consciente.
Il faut ensuite associer les sons volontairement émis aux per-
ceptions » (ibid.).
Ariane Bazan propose de penser que cette conception
implique un « renversement épistémologique : la représen-
tation ne doit pas se concevoir en amont du mouvement, mais
comme un résultat en aval de l’activation motrice » (2007,
p. 126). On comprend comment l’imitation va permettre
de constituer progressivement un stock d’images motrices :
« D’autres perceptions visuelles (par exemple des mou-
vements de la main) rappelleront au sujet les impressions
visuelles que lui ont causées les mouvements de sa propre
main, impressions auxquelles seront associés les souvenirs
d’autres mouvements encore » (p. 348). La possibilité de
constituer une puis plusieurs images motrices va donc per-
mettre de faire un travail mental d’association entre ces
différentes images. Dans ce même sens, Freud propose
un autre exemple dans lequel le nourrisson perçoit le sein
maternel, mais sous un angle inédit : il repère une certaine
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gardé dans sa mémoire le souvenir d’une expérience vécue
fortuitement au cours de sa tétée, celui d’un mouvement de
tête particulier qui a transformé l’aspect de face en aspect
de côté. L’image de côté qu’il regarde maintenant l’incite
à remuer la tête puisqu’il a appris, par l’expérience, qu’il
doit faire le mouvement inverse pour obtenir une vue de
face » (p. 347).
Ces différentes indications suffisent à montrer que l’imi-
tation peut jouer un rôle important dans la mise en place des
capacités auto-régulatrices du jeune sujet. Le déploiement
d’un outillage sensori-moteur est dans ce sens un instrument
central d’une possible subjectivation. Il suffit pour s’en
convaincre de penser à la façon dont les sujets avec autisme
tendent à s’agripper à une modalité sensori-motrice bien
identifiée – ce sont leur « stéréotypies » : elles paraissent
répondre à l’appétence identificatoire du sujet, qui cherche
à tout prix un point de repère pour, selon le mot de Jacques
Lacan, « établir une relation de l’organisme à sa réalité, de
l’Innenwelt à l’Umwelt » (Lacan, 1949). L’élargissement
de la panoplie des repères sensori-moteurs est donc aussi
un possible élargissement de l’espace subjectif.
Ceci dit, certaines conditions doivent être remplies pour
permettre au sujet d’emprunter les nouveaux chemins qui
sont proposés à son appétence identificatoire. Un élément du
parcours de l’enfant explorant son image dans le miroir peut
illustrer cette difficulté. Si ce n’est qu’après 18 mois qu’il
saura identifier avec assurance cette image comme le repré-
sentant, différentes étapes jalonnent cette identification
progressive. On a en particulier observé que vers 10 mois,
l’enfant peut manifester une inquiétude lorsqu’il comprend
que sa main qu’il voit « en direct » – et dont ses signaux pro-
prioceptifs lui envoient des signaux internes – est la même que
la main qui apparaît dans le miroir : « Jocelyne enlève vite
sa main comme si elle avait peur en voyant son image dans la
glace. L’image de la main une fois remarquée, comparée avec
son modèle, inquiète l’enfant à cause de ce dédoublement
d’un objet bien connu » (Boulanger-Balleyguier, 1967).
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tence identificatoire de l’individu, cette image exerce un
puissant pouvoir de séduction sur lui et menace de le faire
sortir de ses ancrages – ce que Meltzer a proposé de nommer
comme un « conflit esthétique » fondateur. On doit supposer
que si les enfants avec autisme ne peuvent initier le dialogue
oculaire – qui se développe habituellement dès le 2ème mois de
vie –, c’est que ce dialogue a un effet surstimulant (Peeters,
2008, p. 155). On comprend donc que dans les jeux instru-
mentaux et mimétiques avec l’enfant, l’intention de lui offrir
un cadre subjectivant implique de garantir une sécurité suf-
fisante – à la fois dans la stabilité de ce cadre et le tact rela-
tionnel – pour lui permettre de se risquer à ces expériences
d’élargissement de son monde.
On peut s’appuyer pour cela sur une autre force en jeu.
On doit supposer que le plaisir d’élargir son registre identifi-
catoire est inscrit dans le potentiel auto-poïétique de l’orga-
nisme. C’est ce que Freud propose de penser en énonçant
la « loi biologique de l’attention : quand surgit un indice
de réalité, l’investissement perceptif alors présent doit être
surinvesti » (1895b, p. 382). Le constat qu’une image est
capable de reproduire adéquatement la réalité a, selon lui,
un effet d’éveil de l’attention de l’organisme à son monde.
Cela enclenche un cercle vertueux dans lequel l’attention et
la mise en représentation s’alimentent réciproquement, au
service de l’auto-organisation de l’organisme.
Le temps viendra-t-il ?
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poraine de John B. Watson : « Quand nos méthodes seront
mieux développées, il deviendra possible de se lancer dans
des investigations de formes de comportement plus complexes
– telles que l’imagination, le jugement, le raisonnement et
l’invention. Les problèmes que nous mettons de côté revien-
dront au premier plan, mais ils seront vus sous un angle nou-
veau et dans le cadre de dispositifs plus concrets » (Watson,
1913). On comprend que, pour l’un et pour l’autre, le carac-
tère initialement tranché de leur théorie et du positionne-
ment technique qu’elle implique était associé à la nécessité
de fonder solidement les disciplines et procédés qu’ils étaient
en train de mettre en place, dans une société dans laquelle la
nécessité du soin psychothérapeutique n’était que très peu
reconnue.
Même s’il paraît à de nombreux égards inimaginable, le
dialogue entre ces différentes conceptions répond à un impé-
ratif pratique, celui de proposer un cadre suffisamment sta-
bilisé aux enfants autistes – qui n’ont rien fait pour mériter
d’être la cause de conflits auxquels ils n’entendent rien.
Le vacarme des disputes actuelles a cependant un mérite :
celui de renverser le poids de la honte. René Diatkine avait
remarqué que les familles dont les enfants étaient menacés
d’une évolution psychopathologique grave étaient souvent
en difficulté pour demander de l’aide. Dépositaires d’une
préoccupation difficilement nommable et partageable, ces
parents manquaient alors des occasions de rencontres thé-
rapeutiques pour leur enfant : « Toute l’organisation fami-
liale paraît concourir à ce que personne n’intervienne »
(Diatkine, 1997). Aujourd’hui, si ce sont les professionnels
qui sont accusés de négligence, c’est aussi l’occasion pour
les parents de se mettre en position de réclamer vigoureu-
sement … et légitimement les aides éducatives et thérapeuti-
ques nécessaires au bon développement de leur enfant13. Cela
13. Comme Derek Ricks l’a montré, les parents sont aussi la meilleure source
d’information pour interpréter les comportements (vocalises, etc.) de leur enfant
(1976).
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un cadre dynamique qui l’aide à développer au mieux ses
potentialités. Et il a aussi le droit à une interaction bien ajus-
tée dans laquelle il peut se sentir à sa place, parce qu’on ne
fait pas l’économie de lui demander : « Où es-tu ? »14
RÉFÉRENCES
14. Cet article est le fruit de plusieurs rencontres que je ne peux toutes nommer
ici. J’adresse néanmoins mes remerciements spécifiques à Kristian Schott dont la
qualité du témoignage m’a convaincu si besoin était que la « forteresse autistique »
ne cache pas du vide, mais bien un combat subjectif spécifique (Schott, 2013). Je
remercie également Théo Peeters et Hilde de Klerk – auxquels m’a introduit mon
ami Ivan Rougemont – pour l’intelligence et la qualité de nos échanges.
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Été 2013
Emmanuel Schwab
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