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Ex(or)ciser le féminin traumatique.

Scarification et abus sexuel chez la jeune femme


Nathalie Dumet, Virginie Mathieu
Dans Champ psychosomatique 2005/4 (no 40), pages 101 à 113
Éditions L’Esprit du temps
ISSN 1266-5371
ISBN 2847950656
DOI 10.3917/cpsy.040.0101
© L?Esprit du temps | Téléchargé le 17/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 88.160.12.141)

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Ex(or)ciser le féminin
traumatique.
Scarification et abus sexuel chez
la jeune femme
Nathalie Dumet et Virginie Mathieu

DE LA CLINIQUE…

C
éline, jeune trentenaire, est hospitalisée sur les recom-
mandations de son médecin généraliste pour différents
troubles, déjà anciens, tels que des variations de
l’humeur, une intense claustro-agoraphobie assortie d’une
angoisse des déplacements, des accès boulimiques et surtout
des automutilations. En effet, Céline se scarifie à répétition
depuis l’adolescence, elle se pique avec des aiguilles de
couture ou bien encore se pompe du sang à l’aide de seringues.
Avec et à travers ces différentes « blessures auto-infligées »1, 1. M. Perret-Catipovic,
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«Blessures auto-
Céline a pour objectif de faire couler son sang ; elle dit infligées à l’adoles-
d’ailleurs à ce sujet : « ce n’est pas la marque qui compte, je ne cence : un survol de la
fais pas comme d’autres [personnes] que j’ai pu voir à la littérature »,
clinique, c’est-à-dire que je ne mets pas de sel pour que la Adolescence, 2005, 23,
2, pp. 447-456.
cicatrice soit plus jolie, ça ne m’intéresse pas, je veux simple-
ment qu’il y ait du sang ». Céline a pour ainsi dire une soif de
sang. Comme d’autres jeunes gens qui s’automutilent, elle
cesse en effet ses coupures dès la vue du sang qui coule. De
plus, et de ses propres dires, Céline manifeste une véritable
« fascination » pour le sang ; ce qui la conduit à en parler très
souvent, n’hésitant pas à rentrer dans les détails, à poser des
questions au personnel soignant pour connaître la vitesse de

Nathalie Dumet – Psychologue clinicienne, maître de conference en psycholo-


gie clinique, Université Lyon 2, Institut de Psychologie, CRPPC. 5 av.
P. Mendès-France, CP11, 69676 Bron cedex.
Virginie Mathieu – étudiante en Master de Psychopathologie et Psychologie cli-
nique, Université Lyon 2, Institut de psychologie.

Champ Psychosomatique, 2005, n° 40, 101-113.


102 CHAMP PSYCHOSOMATIQUE

sédimentation du sang, la localisation des artères, ou bien


encore à lire des ouvrages d’anatomie et de biologie. En entre-
tien avec la psychologue, elle demandera même à cette
dernière combien de litres de sang elle doit perdre pour que
celui-ci se renouvelle totalement. Cette préoccupation et fasci-
nation de Céline pour le sang contraste néanmoins avec la
pudeur dont elle fait preuve face à tout ce qui a trait à la sexua-
lité. Ainsi, et pour n’en donner qu’un exemple, à la planche II
du test de Rorschach, elle dit : « pour moi, le rouge, c’est le
sang. J’ai l’impression que c’est des éclaboussures de sang, le
sang a giclé. Et puis, la forme… (silence) j’ai honte de le dire,
ça me fait penser à un sexe féminin. C’est ce que je vois là-
dedans ». Tout de suite après elle dira : « enlevez-moi ça » en
rendant la planche. Malgré l’aptitude de Céline à organiser et
mobiliser ses représentations, cette réponse révèle simultané-
ment chez elle l’existence d’un choc traumatique au rouge et à
2. S. Scaramozzino, ses représentants. Impossible alors de ne pas penser ici à ce
« Pour une approche
psychiatrique de l’auto- qu’elle a pu vivre durant son enfance : en l’occurrence, Céline
mutilation : implications a subi précocement d’importantes carences maternelles affec-
nosographiques », tives, des carences alimentaires et des négligences au niveau
Champ psychosoma-
tique, 2004, 36, p. 34. des soins, ainsi que des violences physiques ; elle a également
subi un attouchement sexuel de la part de son père alors qu’elle
3. Cf. par exemple était âgée de seulement deux-trois ans.
l’ouvrage collectif, Les
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violences envers les
femmes en France, une
enquête nationale, La … À SON INTERROGATION THÉORIQUE
documentation
française, Paris, 2003.
D. Scaramozzino rappelait récemment que le seul
4. Définie ici comme « fantasme de l’abus sexuel dans l’enfance semble suffire à la
l’incision, la lésion
volontaire pratiquée par
mise en place de l’automutilation »2 ; toutefois nombre d’au-
le sujet sur son corps, teurs signalent la survenue de pratiques automutilatoires chez
sans pour autant que cet des jeunes gens dans l’après-coup d’un traumatisme afférant à
acte s’accompagne
d’idées suicidaires
la sphère génitale 3. Loin de vouloir discuter plus avant de la
conscientes. préséance de l’une ou l’autre de ces assertions, nous nous inté-
ressons spécifiquement ici au lien existant entre ces deux types
5. D. Le Breton, La Peau d’effraction corporelle que sont, chez un même sujet féminin,
et la Trace : Sur les
blessures de soi, Paris, l’abus sexuel et la scarification 4. Par ailleurs, D. Le Breton a
Métailié, 2003, p. 51. souligné que les femmes recourant aux incisions présentaient
un dégoût des menstruations, de la sexualité et de la mater-
6. Rosenthal et al.,
« Wrist cutting as a nité 5. L’étude plus ancienne de Rosenthal et al. 6 confirmait
syndrome : the meaning déjà de son côté l’existence d’un lien entre les incisions et les
of a gesture », 1972. menstruations. Ces auteurs ont en effet observé que 60 % des
EX(OR)CISER LE FÉMININ TRAUMATIQUE. 103
SCARIFICATION ET ABUS SEXUEL CHEZ LA JEUNE FEMME

coupures se produisaient pendant les règles, 20 % les deux


jours les précédant et enfin 20 % les deux jours suivant cette
période.
Qu’en est-il alors au juste du ou des liens existant entre
abus sexuels, scarifications, incisions et menstruations ? Pour-
quoi chez ces jeunes femmes, abusées sexuellement qui plus
est, cet attrait pour ce sang, pour leur sang ? Qu’est-ce qui est
justement en jeu dans ces automutilations sanguinolentes ?
Pourquoi leur faut-il extraire, évacuer, éradiquer cette
substance vitale ? De quoi celle-ci est-elle l’enjeu, le théâtre,
le témoin, le symptôme, peut-être aussi le symbole ? Com-
ment, également, expliquer ce lien entre scarifications et mens-
truations ? 7. Patientes rencontrées à
La rencontre avec Céline et plusieurs autres jeunes la Clinique des Vallées
(Haute-Savoie) et
filles/femmes, hospitalisées 7 ou non, présentant des troubles suivies notamment par
psychiques divers mais ayant en commun de recourir à des I. Megevand,
actes auto-mutilatoires, nous a plus précisément amenées à psychologue clinicienne.
interroger chez elles la place, le rôle, la fonction psychique 8. Via la pratique scarifi-
voire les significations du flux sanguin 8. Le sang – sa vue, son catoire notamment.
écoulement, sa maîtrise surtout, au moyen de ces gestes auto-
agressifs – n’aurait-il pas ici pour fonction d’extérioriser un
trauma, plus précisément le trauma sexuel passé venu entraver
chez elles l’intégration du pulsionnel féminin, et au-delà n’au-
rait-il pas alors pour fonction ultime d’en permettre l’élabora-
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tion ? Tel est ce que se propose d’explorer cet article.

LA SCARIFICATION : UNE TECHNIQUE


D’APAISEMENT

Comme Céline l’exprime clairement (cf. plus haut), c’est


bien une solution voire une technique d’apaisement que repré-
sente pour son auteur la pratique scarificatoire : apaisement
d’un état de tension interne, d’un malaise diffus, d’une
angoisse, d’une souffrance psychique autrement ingérable.
Cette fonction d’apaisement via l’écoulement sanguin n’est
pas nouvelle ; on peut en effet trouver des similitudes entre la
pratique scarificatoire individuelle et la saignée utilisée comme
thérapeutique en France jusqu’au XIXe siècle. A cette époque,
la maladie était considérée comme provenant d’une instabilité
des humeurs, l’organisme devait alors réguler l’humeur en
excès et l’évacuer, et si le corps ne parvenait à faire seul cette
104 CHAMP PSYCHOSOMATIQUE

9. M. Erlich, La opération, la médecine intervenait en saignant le sujet 9. Pour


mutilation, Paris, P.U.F.,
1990.
revenir au plan individuel, les travaux psychanalytiques
contemporains soulignent la fonction d’« action décharge »
qu’aurait la scarification, par laquelle « il s’agit d’agir plutôt
10. J. Godfrind, Les deux
que de penser » 10. Il convient d’ajouter aussitôt que la scarifi-
courants du transfert,
Paris, P.U.F., 1993, cation permet au sujet de faire « sortir » corporellement de lui
p. 130. cette douleur. Se couper et voir le sang couler au-dehors appa-
raît alors comme le moyen non pas tant de se couper, au sens
de se déprendre, de son vécu interne en l’extériorisant que de
le reconnaître ce faisant. Si Céline dit en effet qu’elle « évacue
une partie de la douleur comme ça, la douleur que j’ai en
dedans », ce faisant la douleur parvient justement à être dite,
nommée, reconnue.
Toutefois l’apaisement procuré par la pratique scarificatoire
n’est que temporaire ; en témoigne en effet le retour itératif
11. D. Le Breton, La de cet acte, lequel « ne résout rien des circonstances qui ont
peau et la trace : sur les provoqué la tension »11 et ce, tant que demeure insuffisamment
blessures de soi, Paris,
Métailié, p. 36.
intégré, métabolisé dans l’histoire subjective ce qui est au
fondement de cette pratique et engendre sa répétition. Chez
Céline comme chez ses semblables, quel leitmotiv inconscient
gouverne donc cette saignée récurrente ? Que tentent de
circonscrire et maîtriser ainsi ces jeunes femmes ? De quel acte
ou vécu celles-ci veulent-elles se « couper » ? De quel sang,
impur ou toxique, doivent-elles se déprendre, se libérer ?
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Sachant qu’une certaine quantité de sang doit, par exemple
pour Céline, impérativement couler afin d’être soulagée…

LA SCARIFICATION : RÉPÉTITION AGIE DU


TRAUMATISME SEXUEL

En entretien, Céline établit assez nettement un lien entre


l’abus sexuel vécu précocement et ses coupures : « cela a peut
être un rapport avec la couleur rouge du sang. Je me suis fait
agressée sexuellement par un mec et le moment marquant de
cet événement, c’est que je portais un collant rouge ». La loca-
lisation de certaines de ses coupures sur les cuisses n’est sans
doute pas insignifiante à cet égard.
Souvenir ou reconstruction, la couleur du sang et celle du
collant sont associées dans l’esprit de Céline, et ces représen-
tations sont également reliées à son père, même si celui-ci
n’apparaît pas expressément désigné comme tel dans son
EX(OR)CISER LE FÉMININ TRAUMATIQUE. 105
SCARIFICATION ET ABUS SEXUEL CHEZ LA JEUNE FEMME

discours ; la figure paternelle, figure de l’abuseur au demeu-


rant, est en effet mise à distance à travers l’expression vague
et impersonnelle « un mec ». A n’en pas douter, Céline tente
par là de se dégager de l’étreinte sexuelle et incestueuse, de
mettre à distance ce père qui n’a pas su respecter son corps de
fille. Mais les liens familiaux n’en sont pas moins aussi les
liens… du sang… Aussi, le geste d’inciser sa chair et d’en faire
couler le sang ne paraît nullement dénué de significations chez
Céline. Le sang en effet ne peut manquer de référer déjà à la
filiation, à la filiation paternelle notamment. Se scarifier peut
constituer pour Céline une tentative de se dégager de ce père
abuseur et de la scène traumatique en enlevant tout le « rouge »
(sang) présent dans son corps – voire plus largement pour
être moins attractive sexuellement (couleur rouge des collants)
aux yeux de l’homme.
En tous les cas, la situation de Céline permet de conforter
l’assertion de D. Drieu selon lequel « les stratégies auto-
mutilatoires, même répétées, ne sont jamais le fruit du hasard
mais influencées par la spécificité du vécu traumatique du
jeune, emporté par une fantasmatique incestueuse et inces- 12. D. Drieu,
« Automutilations, trau-
tuelle (…) »12. L’auteur précise cependant qu’il s’agit d’une matophilie et enjeux
fantasmatique non élaborable, est-ce si sûr ? transgénérationnels à
l’adolescence »,
Adolescence, 22, 2,
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p. 313.
AGIR POUR SYMBOLISER, INCISER POUR
EXORCISER 13. D. Lauru, « Perçons
corps », Champ psycho-
somatique, 2004, 36,
Si certains auteurs persistent à penser que « tout marquage, p. 125. L’auteur
toute inscription auto-infligée à la peau est une tentative forcé- s’intéresse exclusive-
ment ratée de symbolisation »13, d’autres en revanche adoptent ment ici aux formes
spécifiques, culturelles
une position plus nuancée, tel O. Douville écrivant à propos qui plus est, d’automuti-
des mêmes manifestations qu’« il n’y a pas à tenir là le conven- lation que sont les
tionnel discours portant sur le défaut de symbolique, mais bien tatouages et piercing.
davantage à repérer un geste symbolique qui se répète compul- 14. O. Douville,
sivement »14. Dans la même veine, R. Roussillon écrit de son « L’automutilation, mise
côté que « (…) le processus d’évacuation, ou de désymbolisa- en perspectives de
quelques questions »,
tion, ne peut pas être total ; (…) on peut toujours, même si cela Champ psychosoma-
prend du temps, trouver une tentative du sujet, même dans les tique, 2004, 36, p. 16.
pires cas, pour tenter de signifier quelque chose de son expé-
15. R. Roussillon,
rience subjective historique ou actuelle et ainsi tenter de se « Parcours de mémoire :
l’approprier même si c’est de la manière la moins évidente qui la représentance », 2002,
soit »15. Ne pourrait-il justement en être ainsi des pratiques p. 8.
106 CHAMP PSYCHOSOMATIQUE

scarificatoires chez les jeunes femmes recourant de manière


impérieuse et répétitive à ces scarifications, dénuées de toute
dimension rituelle ?
S’il ne fait pas de doute pour nous que la pratique scarifi-
catoire de la jeune femme obéit et répond à des logiques
plurielles, renvoie à des modalités conflictuelles autant géni-
tales que prégénitales et archaïques, il est un de ses aspects qui
nous semble capital, à savoir sa fonction d’extériorisation (et
non d’évacuation donc), au double sens d’expression et
d’exorcisation, d’un trauma sexuel passé jusqu’alors maintenu
au secret et donc toujours en attente de symbolisation. En effet,
tout semble se passer pour ces jeunes femmes abusées sexuel-
lement dans leur enfance ou adolescence comme s’il leur
fallait sans cesse (re)mettre en acte sur leur corps propre l’ef-
fraction corporelle dont elles ont été victimes afin de la
dévoiler, pour ensuite envisager pouvoir l’élaborer et la
dépasser. Inciser pour exorciser en somme. Si l’incision s’or-
ganise autour du sang qui s’écoule, c’est sans doute que celui-
ci occupe une fonction centrale dans l’économie psychique de
ces adolescentes et/ou jeunes adultes abusées sexuellement et
revêt en conséquence chez elles maintes significations qu’il
convient de dégager.
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DU SANG AUX SENS

Centrons-nous pour commencer sur ce lien évoqué dès le


début entre scarifications et menstruations. Comment en
rendre compte autrement qu’en termes de corrélations et de
statistiques ?
Le sang menstruel, qui advient en principe à la puberté,
signe l’intronisation de la jeune fille dans le monde des
femmes, soit aussi son accession à la maturité et à l’activité
génitales. Ce processus pubertaire rappelle donc immanqua-
blement à la jeune femme la présence de son organe sexuel.
Les menstrues sont de plus un processus naturel incontrô-
lable qui place la jeune femme en situation de passivité, d’im-
puissance et de non contrôle de ce qui se passe dans son corps
(voire s’en échappe). Aussi n’est-il pas erroné de penser que
chez la jeune femme abusée sexuellement dans l’enfance, l’ad-
venue des menstrues ou plutôt l’impuissance du sujet à
contrôler cette ouverture du corps féminin au sang menstruel
EX(OR)CISER LE FÉMININ TRAUMATIQUE. 107
SCARIFICATION ET ABUS SEXUEL CHEZ LA JEUNE FEMME

n’est pas sans rappeler l’impuissance infantile ressentie lors de 16. Et n’est pas sans
susciter non plus certains
l’abus sexuel16. Le contrôle est justement omniprésent chez vécus de perte et de
Céline aujourd’hui : outre celui exercé sur ses coupures, elle castration.
présente un contrôle de son alimentation17, de ses déplace-
17. Rappelons ici les
ments ainsi que sur sa vessie. Ce dernier nous ramène de
carences alimentaires
nouveau au trauma sexuel infantile. A l’âge où il survint chez connues jadis par
Céline, entre deux et trois ans, zone urétrale et zone génitale Céline…
qui sont anatomiquement proches ne sont pas franchement
différenciées, voire peuvent même être vues comme iden-
tiques. Ce qui explique sans doute ce télescopage chez Céline
entre la zone sexuelle touchée par l’agresseur et le périnée. Son
obsession et son angoisse de ne pas trouver de WC lors de ses
déplacements, qui n’est au fond que la peur de perdre le
contrôle de son corps lors de l’écoulement d’un liquide
(l’urine), peut être vu comme un déplacement de son angoisse
d’impuissance et de perte de contrôle de son corps lors de l’ou-
verture de celui-ci au processus physiologique des menstrua-
tions. Sans oublier que celles-ci, mobilisant la zone génitale
(ici associée avec la zone urétrale), ne sont elles-mêmes pas
sans convoquer le vécu de l’effraction vécue jadis en ce même
lieu du corps. En d’autres termes, la passivité, l’impuissance
et le manque de contrôle du sujet devant l’ouverture du corps
féminin au sang des menstrues (comme au liquide urétral) ne
sont pas sans rappeler la passivité, l’impuissance et le manque
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de contrôle du sujet devant l’effraction corporelle subie, devant
l’ouverture originelle de son corps aux manœuvres paternelles
– et maternelles aussi – abusives – on y reviendra plus loin.
Cet abus sexuel n’en a pas moins aussi entaché la pureté de
la jeune fille ou du moins le monde d’innocence dans lequel
elle se mouvait jusqu’alors. Lors de son hospitalisation, Céline
énonce qu’elle s’est rendue compte depuis peu qu’il faut que
ses scarifications aient lieu sur du blanc : « il faut que mon sang
coule sur du blanc, que le rouge soit sur le blanc, que ça
tranche ». Si l’on peut percevoir ici certains signes d’une
problématique de castration, il y est plus encore question d’une
problématique de rupture brutale (tranchante et tranchée) entre
le monde de l’enfance empreint d’innocence et le monde de
l’adultité marqué par la sexualité, et plus encore ici par l’in-
cestualité. Au blanc (et non vert…) paradis des innocentes
amours enfantines a brutalement succédé le rouge du sexe
féminin, soit encore ici la violence de l’effraction sexuelle trau-
matique.
108 CHAMP PSYCHOSOMATIQUE

Par ailleurs, ce sang rouge (et collant…) entre les jambes


pendant les menstruations n’est sans doute pas sans rappeler
encore à Céline le collant rouge porté sur les cuisses (lieu de
ses scarifications, rappelons le) au moment de l’attouchement
génital. Les règles seraient donc pour Céline non seulement,
et comme pour toute femme, le symbole de la sexualité et du
corps pulsionnel féminin mais aussi, et plus spécifiquement
pour elle, le rappel incessant de l’impureté, voire de la honte
liée à son sexe féminin et au traumatisme sexuel incestueux.
Sous le « enlevez-moi ça » de Céline à propos de la planche du
Rorschach, il est en effet bien plus question d’une atteinte à
l’intégrité narcissique du fait de l’abus sexuel que d’une simple
angoisse de castration génitale.
Tout laisse donc à penser que Céline considère son sang
comme impur et qu’elle souhaite, en s’automutilant, le mettre
au dehors d’elle, le laisser derrière elle (et peut-être ainsi
laisser enfin derrière elle ce père abuseur et par là même ce pan
de son histoire infantile, pour enfin aller de l’avant dans sa vie
de femme). On pourrait alors penser qu’il s’agit pour Céline
de faire peau neuve, processus qui, chez elle, passe en somme
par (faire) du « sang neuf ».
Si l’incision corporelle semble donc équivaloir à l’éradica-
tion de ce sang impur, témoin des aléas et souffrances de l’his-
toire psychosexuelle infantile, et en particulier de l’abus dont
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il incomberait au sujet de se laver ou purifier en somme, l’in-
cision peut aussi et simultanément représenter une ouverture
sur l’avenir. Avoir ses règles ouvre sur la potentialité de donner
la vie. Bien que le sang menstruel constitue un sang dont le
corps n’a plus besoin, il est aussi un symbole de renouveau.
Cette dimension de renouveau sanguin occupe également
intensément Céline et s’avère, comme nous l’avons vu, sous-
jacente à ses nombreuses mortifications physiques. Toutefois,
et outre leur aspect mortifère, les incisions corporelles pour-
raient simultanément constituer un symbole, ou mouvement
(masochique), de vie. Quelqu’un qui vit, n’est-ce pas en effet
celui qui a encore « du sang qui coule dans ses veines » ? Voir
son sang via les incisions pourrait ainsi constituer pour le sujet,
ici Céline, l’assurance de son existence, laquelle a particuliè-
rement été mise à mal dans l’histoire précoce, du fait de sa
dépendance à un environnement insuffisamment bon (sinon
même mortifère), autrement dit du fait de son manque d’action
et de son manque de contrôle tant sur les objets sadiques de
EX(OR)CISER LE FÉMININ TRAUMATIQUE. 109
SCARIFICATION ET ABUS SEXUEL CHEZ LA JEUNE FEMME

son enfance que sur son propre corps. A cet égard on peut sans
doute appliquer à Céline les propos de P.P. Teddo pour lequel
« la plaie et l’hémorragie secondaire [à l’automutilation]
permettent d’évacuer au dehors, de projeter, sur le plan méta-
18. P.P. Tedo,
phorique, les objets les plus malsains et les plus sadiques »18.
« Telluriques »,
Si cela concerne au premier plan la figure paternelle, cela peut Adolescence, 2004, 22,
tout autant s’adresser à la figure maternelle, qui n’a pas su 2, p. 298.
protéger sa fille de l’agression paternelle et qui, même avant
cela, l’avait déjà exposée à des carences et négligences
multiples, premières expériences traumatiques en somme.
Par ses automutilations, et la répétition surtout de celles-ci, le
sujet retrouverait et (re)prendrait donc un contrôle sur son 19. P. Gutton,
corps, comme le soutient P. Gutton19. On sait de plus, ainsi que « Souffrir… pour se
le rappelle C. Janin, que « la répétition pour tenter de lier l’ex- croire », Adolescence,
2004, 22, 2, p. 211.
citation du premier traumatisme est […] un destin classique
des situations traumatiques »20. La question se pose alors de 20. C. Janin, Figures et
savoir quelle est la nature, génitale et/ou pré-génitale, du trau- destins du traumatisme,
Paris, P.U.F., 1996, p. 26.
matique en jeu ici dans ces conduites automutilatrices ?
Au moment de l’adolescence, temps électif de surgissement
des pratiques automutilatoires, et temps en principe introduit
par l’apparition du processus pubertaire, nous émettons l’hy-
pothèse que ce serait le sexuel féminin, plus précisément l’in-
tégration du féminin pulsionnel et l’accession à la génitalité
qui viendraient faire trauma pour la jeune fille, mais qui vien-
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draient faire trauma parce que venant réactiver à cette occasion
le traumatisme sexuel infantile initial (l’abus sexuel). Plus
encore, si la féminité est problématique pour l’adolescente à
cette époque, c’est aussi, et pour reprendre la théorie de 21. J. André, Aux
J. André, parce que la féminité primaire21, cet état originel de origines féminines de la
réceptivité et de dépendance totale du nourrisson d’avec l’objet sexualité, Paris, P.U.F.,
1995.
maternel, s’est trouvé faire l’objet de vicissitudes marquées,
peut-être même marquantes (tranchantes ?) dans la chair de ces
patientes. En d’autres termes, si l’accession à la génitalité
s’avère difficile sinon traumatique pour Céline, comme pour
d’autres, c’est surtout parce qu’elle vient réveiller un vécu
originel ou primaire d’effraction traumatique rencontrée dans
les échanges maternels précoces. Non seulement Céline a
connu des manques divers et nombreux, affectifs et matériels,
mais elle a aussi expérimenté des violences physiques, dans sa
chair justement. Dans le contexte adolescent la scarification
serait alors ce qui permet au sujet, d’une part, de revivre
symboliquement et, d’autre part, de maîtriser activement l’évé-
110 CHAMP PSYCHOSOMATIQUE

nement traumatique qu’a été l’abus corporel (la violence, la


maltraitance) ou l’abus sexuel prégénital (et génital seulement
dans un temps ultérieur) de la prime enfance. A la différence
toutefois du vécu passif de l’état traumatique initial, le sujet
est maintenant lui-même l’auteur de l’effraction corporelle.
22. C. Ternynck, En regard du processus de subjectivation féminine, marqué
L’épreuve du féminin à bien souvent comme le signale C. Ternynck22, par des aléas
l’adolescence, Paris, sinon des souffrances et des troubles, peut-être convient-il de
Dunod, 2000.
concevoir cette dimension active et agissante à l’œuvre dans
ces pratiques automutilatoires de la jeune femme, comme une
étape, une étape rendue nécessaire et préalable donc à l’abou-
23. J. Schaeffer, Le refus
du féminin, Paris, P.U.F., tissement génital féminin, que J. Schaeffer23 décrit quant à elle
1997. comme état de « soumission-abandon à l’amant de jouissance »
et qui suppose justement de la femme l’acceptation d’une perte
de contrôle de son corps dans la relation érotique… Telle est
l’interrogation ultime que nous nous posons aujourd’hui.

CONCLUSION

Dans l’abus sexuel, le corps est touché, attaqué, effracté.


Il n’est point étonnant alors que les patientes tentent de
maîtriser cet événement traumatique en le reproduisant à leur
tour sur ce même lieu, leur corps, lieu de l’outrage. Cette tenta-
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tive de maîtrise, qui n’en est pas moins aussi une tentative de
liaison du vécu traumatique, se réaliserait donc singulièrement
ici par le biais des scarifications.
Celles-ci ne sont, par ailleurs, pas sans lien avec le phéno-
mène des menstruations, lequel peut rappeler à bien des égards
l’absence de maîtrise du corps propre, et par voie de consé-
quence chez les femmes abusées sexuellement l’effraction
corporelle ; ce qui est probablement générateur d’angoisses
chez elles. Les scarifications constitueraient peut être alors
pour elles l’un des moyens d’apaiser cette angoisse de manque
(ou perte) de contrôle, et d’impuissance aussi, en maîtrisant
le sang des coupures. En se scarifiant, la femme abusée prend
l’initiative du moment, du lieu, de la manière, de l’étendue de
l’agression, etc. C’est alors elle qui choisit quand le sang doit
couler et en quelle quantité.
Cependant, on sait bien que maîtriser un événement ne
signifie pas pour autant s’en défaire. De plus, la maîtrise et la
fonction d’apaisement résultant des scarifications ne sont que
EX(OR)CISER LE FÉMININ TRAUMATIQUE. 111
SCARIFICATION ET ABUS SEXUEL CHEZ LA JEUNE FEMME

temporaires, puisque la pratique est toujours à renouveler.


Enfin, en se scarifiant, les patientes s’identifient partielle-
ment à l’objet sexuel agresseur puisque à leur tour elles atta-
quent leur corps. S’il semble donc présomptueux d’envisager
que la symbolisation de l’effraction traumatique qu’a constitué
l’abus sexuel se réalise par la pratique scarificatoire elle-
même, pratique effractante à son tour du psychosoma du sujet,
en revanche cette voie là, la voie auto- de l’agir, sous la forme
clinique de l’incision ou de la scarification, nous apparaît bel
et bien malgré tout constituer une étape – longue et récur-
rente parfois, comme c’est le cas chez Céline – du travail de
distanciation et de métabolisation pouvant mener à terme à
l’exorcisation du trauma.
Enfin, si l’absence de parole entoure les automutilations de
24. Au contraire de
manière générale24 ainsi que le rappelle O. Douville25, ces Céline chez qui existent
pratiques agies ou ces formes de passages à l’acte auto-agressif de franches représenta-
dans lesquels le sang, sa vue, son extraction, sa maîtrise occu- tions et associations
autour de ses pratiques
pent une place centrale, ne semblent donc pas pour autant scarificatoires.
dénuées de significations. Se tenir à la compréhension de ces
conduites symptomatiques sur un seul registre économique – 25. O. Douville, 2004,
op. cit., p. 7.
celui d’une décharge dans le soma, via le comportement auto-
mutilatoire en l’occurrence, d’excitations par trop disruptrices
pour le sujet, mettant qui plus est en déroute ses (déjà
précaires…?) cadres de pensées, ses fonctions psychiques de
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contenance et d’élaboration – revient, selon nous, à passer à
côté de l’essentiel de la dynamique qui œuvre, en sourdine
mais de visu, chez ses patientes, à côté de ce qui les agite et les
conduit ainsi à ces agissements. Des agissements mortifères à
bien des égards mais qui n’en sont pas moins aussi, simulta-
nément, doublés et porteurs d’un élan vital, salvateur, voire à
visée symboligène. En ce sens, et dans la continuité des
travaux de C. Ternynck sur L’épreuve du féminin à l’adoles- 26. C. Ternynck, 2000,
cence26, sommes-nous amenées à penser ces actes scarifica- Paris, Dunod.
toires qui mobilisent et le masochisme (de vie et pas seulement
de mort) du sujet, et les enjeux pulsionnels féminins (du plus
archaïque au plus génital), comme des modalités possibles
d’une étape, nécessaire et obligée chez ces jeunes femmes
abusées sexuellement, dans leur trajectoire de subjectivation
féminine.
112 CHAMP PSYCHOSOMATIQUE

BIBLIOGRAPHIE

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TERNYNCK C., (2000), L’épreuve du féminin à l’adolescence, Paris,
Dunod.

RÉSUMÉ

S’intéressant au lien entre abus sexuel dans l’enfance et survenue des


scarifications chez la jeune femme, les auteurs tentent de montrer à partir d’un
cas clinique comment les incisions et l’extraction du sang contribuent à
l’exorcisation du trauma sexuel vécu. Dans le cas présent, le sujet tente, par
les scarifications, de se couper de ses liens du sang, témoins et symboles de
l’effraction incestueuse. Les scarifications pourraient ainsi constituer une
étape dans le processus d’intégration du féminin entravé par le trauma sexuel
infantile.

Mots-clés : Abus sexuel – Féminin - Scarification – Symbolisation –


Traumatisme.
EX(OR)CISER LE FÉMININ TRAUMATIQUE. 113
SCARIFICATION ET ABUS SEXUEL CHEZ LA JEUNE FEMME

SUMMARY

The autors are interested by relations between sexual abuse in childhod


and young women’ scarifications. They’re trying to show with a clinic case
how incisions and blood’s extraction are utilised by the subject to exorcize
the sexual trauma. In the present case, scarifications are a subjective try to
cut herself of blood links which are symbols of incestuous agression. May be
scarifications are also a step in the feminity integration process which has
been impeded by infantil sexual trauma.

Key-words : Feminity – Scarification – Sexual abuse – Symbolization –


Traumatism.
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