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Fabrice Burlot
2005/3 no 69 | pages 73 à 92
ISSN 0247-106X
ISBN 2804149234
DOI 10.3917/sta.069.0073
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-staps-2005-3-page-73.htm
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RÉSUMÉ : Cet article traite de la question du sport associatif en entreprise. Il adopte une problématique
liée à l’identité d’entreprise. La question est alors de savoir si le sport peut contribuer à la construction
de l’identité d’entreprise. L’étude porte sur le cas d’une entreprise américaine où les pratiques sportives
associatives sont intégrées dans la politique d’entreprise. Proposées par un service de la direction des
ressources humaines, elles s’inscrivent dans le dispositif des avantages sociaux proposés aux salariés et
concernent 40 % d’entre eux. Après avoir présenté la notion d’identité d’entreprise comme définie
autour d’un ensemble de productions symboliques (la culture d’entreprise) et d’un imaginaire organi-
sationnel (l’image de l’entreprise du point de vue des salariés), la recherche s’oriente vers une étude
comparative à l’intérieur de cet imaginaire organisationnel entre les représentations des salariés parti-
cipant et ne participant pas aux pratiques sportives d’entreprise. Les résultats révèlent une différence
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1. Voir les travaux de recherche de Pichot (1997), Barbusse (1997) et Burlot (1997) où la mobilisation, la cohésion et l’idée de fédérer son
personnel sont une attente et, en même temps, une qualité que l’on accorde au sport dans l’entreprise. Les discours des décideurs sont, à ce
titre, souvent révélateurs de cette idéologie.
2. Voir à ce propos les synthèses de Poilbot-Rocabois (1995) sur les recherches portant sur la satisfaction des individus à l’égard des avan-
tages sociaux et de la rémunération.
Sport et identité d’entreprise. Vers une modification de l’imaginaire organisationnel 75
1.1. De la culture à l’identité d’entreprise Pourtant, vingt ans après leurs recommanda-
L’entreprise est particularisée par une cul- tions, ces secrets ne le sont plus vraiment et
ture (R.F.G., 1984). Elle a une culture – dans cependant peu d’entreprises peuvent se vanter
le sens de posséder – et est une culture – dans le d’avoir réalisé le tour de force de devenir com-
sens d’exprimer – (Thévenet, 1986). D’une pétitives à travers ces « empiriques conseils ».
manière générale, il est admis que cette culture Durant cette période, la problématique de la
d’entreprise se caractérise par plusieurs élé- culture d’entreprise s’est construite autour de la
ments (Ramanantsoa, 1988) : – les croyances, genèse culturelle – comment maîtriser la trans-
valeurs et normes – les mythes et histoires – les formation de ma culture ? – et des problèmes
rites collectifs – les tabous3. Le concept de cul- d’acculturation (Mandon, 1990) – comment
ture reconnaît effectivement qu’au-delà des intégrer et acquérir une culture idéale qui a fait
stratégies de l’entreprise, de sa manière de ses preuves ailleurs ? L’objectif était de changer
s’organiser et de ses processus décisionnels, il et de s’adapter à la culture « qui marche », à
existe un élément d’importance à prendre en celle qui fédère. La maîtrise de ces éléments
compte, « la vie des salariés dans l’entreprise » devenait alors un véritable enjeu (Du Gay &
(Morin, 1999). Salaman, 1991).
Avec le concept d’identité et la notion d’ima- Finalement le peu de réussite de ce type de
ginaire organisationnel, le débat donne une politique montre l’existence d’autres variables
place encore plus privilégiée aux salariés. En dans le mécanisme. Penser que le changement
intégrant les représentations que les salariés se culturel est un processus simple – le choix de la
font de leur entreprise, l’identité va au-delà bonne culture – et mécanique – l’adhésion des
d’une approche en termes de productions sym- salariés à cette culture – (voir dans cette perspec-
boliques observables (Reitter & Ramanantsoa, tive de Kerven, 1986 ou encore Aktouf &
1985 ; Anastassopoulos et al., 1985) et impulse Chrétien, 1987), c’est oublier trois éléments fon-
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3. L’idée de culture d’entreprise apparaît au début des années 1980 aux États-Unis avec l’ouvrage de Deal et Kennedy, Corporate Culture
(1982). L’objet et les méthodes sont élaborés à partir du concept anthropologique de culture (même si les premières réflexions sur la ques-
tion se réfèrent peu aux travaux anthropologiques). L’observation ethnographique et l’analyse de contenu de documents (journal d’entre-
prise, discours de direction, etc.) sont privilégiées pour aborder les productions symboliques (Thévenet, 1984).
4. Même si les méthodes et l’objet restent proches, le concept de culture utilisé dans le sens « corporate culture » est resté réducteur et
manipulateur au regard du sens qu’il pouvait avoir en anthropologie (Cuche, 1996). Son utilisation réduisait la culture d’entreprise à un
état idéal d’adaptation culturelle de l’individu à son environnement et source de cohérence et de cohésion. La culture était perçue comme
extérieure à l’individu et non comme la production d’un ensemble d’individus dans un processus d’interaction culturelle. Elle devenait
une variable à manipuler.
5. Minimiser, voire négliger la question du pouvoir dans le processus de changement culturel, c’est oublier que le pouvoir est un élément
fondamental des processus relationnels entre les individus, que les individus n’ont pas tous intérêt à changer et que, souvent, derrière les
comportements de résistance se trouvent des motivations visant la conservation de la culture légitime car source de pouvoir. Or le change-
ment est un véritable enjeu de pouvoir car il « re-détermine » les rapports de force et modifie les pouvoirs de chacun des acteurs.
76 Fabrice Burlot
fois lui donner un caractère universel – repro- l’approche culturelle. Bien au contraire, il s’agit
ductible – et nier sa relativité contextuelle – le de dire que, sur la base de cette réalité, dont les
caractère unique de la communauté humaine salariés sont eux-mêmes acteurs, se construi-
sur la base de laquelle elle s’est constituée –, sent leurs représentations et qu’il est tout aussi
d’où l’idée de penser qu’il n’y a pas une mais des important d’utiliser le regard extérieur de
cultures et que chaque entreprise est unique l’observateur qu’intérieur des acteurs. Dans ce
(Larçon & Reitter, 1979). sens, l’identité visible est la plupart du temps
Au regard de ces éléments, on comprend abordée à partir d’approches ethnographiques
l’importance de dépasser le caractère figé de la et l’identité révélée à partir de questionnaires
culture et, tout en recourant aux représenta- ou d’entretiens portant sur trois thèmes
tions, de donner une place privilégiée aux d’informations à recueillir : l’image du métier,
salariés : comprendre le rapport qu’ils entre- des structures de pouvoir et de l’entreprise
tiennent avec cette culture (Mintzberg, 1990 ; (Ramanantsoa, 1988).
Reitter, 1991). C’est autour de ce rapport que Pour terrain de cette étude, nous nous
va se construire la spécificité identitaire d’une appuierons sur le cas de l’entreprise Nil dans
entreprise : son identité. L’identité engage laquelle nous avons effectué un premier travail
dans une construction dynamique, elle dépasse de recherche en situation d’observation partici-
le visible et nous projette dans une dimension pante au sein du club sportif (six mois). L’étude
beaucoup plus abstraite, celle de l’imaginaire. Il engagée ici s’inscrit donc dans une continuité
s’agit d’aller au-delà d’une simple compréhen- empirique et conceptuelle : approfondir la con-
sion de l’image émise par l’entreprise (sa réalité naissance d’un cas par le recours à une nou-
et ce qu’elle paraît être au regard de l’observa- velle perspective théorique. Aussi, pour bien
teur) pour analyser l’image perçue par les expliciter notre problématique, il est nécessaire
salariés : l’imaginaire organisationnel. L’imagi-
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Elles sont gérées par l’un des cinq services de la que sociale de l’entreprise Nil, va-t-il participer
division des ressources humaines : le club Nil. À à la définition de cette identité ? Quel type
ce titre, elles constituent un élément fort de la d’identité va alors se dégager ?
politique sociale de l’entreprise. Nil fait en effet Cette question est d’autant plus pertinente
partie des rares entreprises en France où le que des recherches sur les pratiques sportives
sport associatif est géré par la direction des res- d’entreprise montrent que le sport est un vec-
sources humaines. Cas de figure qui est souvent teur de communication interne améliorant la
le fait d’entreprises implantées sur notre terri- cohésion et la réactivité de l’entreprise. D’une
toire après la Seconde Guerre mondiale et où, part, il crée des réseaux de communication
surtout, l’héritage syndical est peu important. spécifiques et informels qui multiplient les
En effet, le contexte de la France est particulier interfaces à l’intérieur de la structure organisa-
puisque, depuis 1945, c’est au comité d’entre- tionnelle (Burlot, 2000). D’autre part, il devient
prise que revient le droit de gérer le sport dans la source d’une identification commune qui va
l’entreprise. Cette situation est confirmée en participer au renforcement des liens sociaux
1984 : « Le comité d’entreprise définit la politique des constitutifs des réseaux sportifs (Burlot, 1997).
activités physiques et sportives dans l’entreprise. Il les Aussi peut-il paraître intéressant de s’interro-
organise et les développe dans le cadre des activités ger également sur le rapport qu’il peut entre-
sociales et culturelles prévues par l’article L. 4327 du tenir avec l’imaginaire organisationnel. Car
code du travail » (article 20 de la loi du 16 juillet au-delà de la force des liens sociaux interindivi-
1984 relative à l’organisation et la promotion duels constitués sur la base des pratiques spor-
des activités physiques et sportives). Les entre- tives, c’est véritablement de la force du lien
prises peuvent donc rarement utiliser le sport social unissant salariés et entreprise dont il est
dans le cadre de leur politique générale, sauf à question ici : un tel lien social peut-il être pro-
trouver des compromis avec le CE, comme c’est ducteur de différence identitaire ?
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une image de l’entreprise prédisposant les sala- Pour répondre à cette problématique, nous
riés à faire une pratique sportive sur leur lieu réaliserons donc une étude comparative
de travail. d’entretiens semi-directifs portant sur l’identité
Enfin, si la motivation à l’origine de l’acte révélée de Nil sur la base de trois groupes de
d’engagement se réfère souvent à une passion salariés : les salariés n’adhérant pas au club
sportive, la fidélisation se réalise sous une autre sportif (groupe A), les salariés adhérant au club
logique. La participation aux activités sportives sportif (groupe B) et les salariés adhérant et, de
d’entreprise satisfait davantage, chez les sala- surcroît, s’engageant dans l’encadrement du
riés, un besoin d’appartenance communautaire club sportif (groupe C).
(Burlot, 1997). On peut alors émettre l’hypo-
thèse qu’une telle satisfaction renforce l’adhé- 2. APPROCHE QUALITATIVE
sion à la culture du club sportif, voire à la DE L’IDENTITÉ D’ENTREPRISE
culture d’entreprise. Depuis les travaux PAR LA MÉTHODE DES ENTRETIENS
d’Herzberg (1966) sur les motifs de satisfaction
jusqu’aux travaux portant plus spécifiquement La partie méthodologique se propose de
sur les différentes formes de rémunérations présenter les éléments de construction du
(Donnadieu, 1993 ; Fonchon & Melese, 1995 ; guide d’entretien, les logiques de détermination
Sire, 1993, 1995 ; Poilbot-Rocaboy, 1996), salai- de l’échantillon d’interviewés et la méthode
res et avantages sociaux, on connaît les consé- d’analyse d’entretiens élaborée pour répondre
quences imaginaires entraînées par ce type à notre questionnement.
de satisfaction quant à la motivation et à la
2.1. La construction du guide d’entretien
fidélisation des salariés. Dans une démarche de
marketing social (Igalens, 1992) ou interne Deux éléments ont été déterminants dans la
(Seignour & Dubois, 1999), les activités sporti- construction du guide d’entretien :
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lors de la phase de passation une meilleure salariés des trois groupes à comparer. Ensuite
maîtrise des questions posées et surtout des pour avoir, dans chaque groupe, un ensemble
relances recontextualisées. Par ailleurs, elle d’individus représentatif des types de salariés
place le travail dans une logique d’interactivité existant dans l’entreprise, quatre variables ont
terrain/théorie à laquelle nous adhérons parti- guidé le choix des personnes à interviewer.
culièrement. Quatre thèmes ont finalement (2) Le site administratif ou de production pour
constitué ce guide : l’histoire de l’entreprise et ne pas évacuer la population ouvrière. Il existe
de l’interviewé, le métier de l’interviewé, l’orga- une différence de culture très importante entre
nisation et la vie de son service, les caractéristi- les deux sites distants de 10 km : « on est des
ques de l’entreprise. usines » ou, « on est de la tour ! » (extraits de
2.2. La construction de notre échantillon discussions).
Cinq critères ont guidé notre choix : (3) Jeunes embauchés de moins de deux ans
(1) Responsables (groupe A) / Adhérents (avec des stagiaires en contrat de qualification)
(groupe B) / Non-adhérents (groupe C). et des anciens répartis en moins de 10 ans et
L’objectif était, au-delà de la comparaison plus de 10 ans. Nous voulions des moins de
membres/non-membres, d’analyser si le niveau deux ans car ils n’ont pas connu le plan social
d’investissement dans le club pouvait jouer sur réalisé deux ans et demi avant le début des
les représentations. Notre période d’observa- interviews. Ensuite nous voulions une réparti-
tion participante laissait supposer une possible tion équilibrée entre les plus de 10 ans et les
relation. Cette distinction a permis de définir les moins de 10 ans.
Tableau 1. Caractéristiques des interviewés
(4) Les catégories ouvriers, maîtrises, employés, 2.3. Construction d’une méthode d’analyse des
commerciaux, ingénieurs, cadres, cadres entretiens
supérieurs et directeurs pour constituer un L’analyse de contenu a été réalisée en trois
échantillon représentatif de l’ensemble des étapes sur la base des trois thèmes définis pré-
statuts. cédemment (l’image du métier, de la structure
(5) Des syndicalistes participant et ne partici- de pouvoir et de l’entreprise).
pant pas aux activités. L’observation partici- – Première étape : synthèse de chaque entre-
pante avait décelé l’existence possible d’une tien en fonction des thèmes et items retenus
différence de représentation entre ces deux dans la grille d’analyse (tableau 2 : thèmes et
populations. items).
Finalement 40 salariés ont été interviewés – Deuxième étape : synthèse de chaque groupe
dont les caractéristiques au regard de ces (A, B et C) en fonction des thèmes et items.
cinq critères sont consignées dans le tableau 1. – Troisième étape : étude comparative des
La colonne A représente notre objectif initial. groupes.
Tableau 2. Grille d’analyse des thèmes et items
Thème n° 2 :
Thème n° 1 : Thème n° 3 :
Numéro du salarié Image de la structure
Image du métier Image de l’entreprise*
de pouvoir.
Puissance - Innovation -
Le travail en lui-même Autonomie
Diversifié
Carrière Coopération Image - Produit
Salaire Pouvoir L’ambiance - Sécurité
Caractéristiques importantes du salarié Évaluation Le pouvoir décisionnel Charge de travail
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Une fois la synthèse par groupe réalisée, sur de positivité. Le tableau 3 en explique le principe.
la base des thèmes et items choisis, une étude Finalement, sur la base de ce premier travail, une
comparative a été engagée afin de vérifier dans synthèse des niveaux de représentation a été réa-
quelles mesures il existait des différences de lisée. Elle se présente sous deux formes :
représentation entre les trois groupes d’indivi- – Un tableau de synthèse des différents signes
dus déterminés (A, B et C) et ainsi répondre à attribués aux images (cf. tableau 4). La somme
la question centrale de ce travail : l’engagement des signes obtenus sur chaque thème a été réa-
dans des activités sportives associatives d’entre- lisée pour chaque groupe. Un récapitulatif du
prise peut-il être producteur de différences nombre de (+), de (+-) et de (-) est donc dispo-
identitaires ? nible sur chaque image.
Par ailleurs, un outil d’analyse de contenu a – Une « note synthèse » pour chaque inter-
été construit afin de faciliter le traitement des view. Elle a été déterminée sur la base des
entretiens tout en commençant à analyser les signes obtenus et en fonction du calcul suivant.
niveaux de représentation en termes de degrés Aux signes (+) (+-) (-) ont été respectivement
Sport et identité d’entreprise. Vers une modification de l’imaginaire organisationnel 81
atttribués 2 points, 1 point et 0 point. Une note structure de pouvoir (-) – Image de l’entreprise
allant de 0 à 6 par cumul des trois images est (+-) –, obtient une note synthèse de 3 (2 + 0
donc obtenue pour chaque synthèse d’inter- + 1). Finalement, nous avons consigné dans le
view. Par exemple, un salarié dont les images tableau 5 l’ensemble des notes synthèses obte-
sont : – Image du métier (+) – Image de la nues pour chaque groupe.
Tableau 3. Note technique
3.1. Analyse comparative des synthèses ses positives pour les groupes A et B et une
répartition assez équilibrée pour le groupe C.
3.1.1. Des différences marquées Pour le tableau 5, les notes synthèses obtenues
par la pratique sportive montrent une différence de moyenne impor-
Une lecture comparative des tableaux 4 et 5 tante entre les deux premiers groupes et les
montre l’existence d’une importante différence non-participants. Les groupes A et B ont res-
entre les trois groupes. Les salariés participant pectivement des moyennes de 4,4 et 4,65 con-
au club (groupe A et B) ont une perception tre 3,15 pour le groupe C. Cependant,
plus positive de leur entreprise que les salariés l’hypothèse selon laquelle une différence de
n’y participant pas (groupe C). Le tableau 4 représentation pouvait exister entre les adhé-
met en évidence une concentration de synthè- rents investis de responsabilités et les simples
Sport et identité d’entreprise. Vers une modification de l’imaginaire organisationnel 83
participants, ne se vérifie pas sur une telle lec- l’image du club pour rouler sa caisse à l’extérieur »
ture. Elle se trouve même légèrement inversée. (Groupe A1, ouvrier, syndicaliste).
Cette inversion peut cependant s’expliquer. Si l’on exclut donc ces deux sujets de notre
Tout d’abord elle n’est pas véritablement échantillon, la moyenne passe à 5,25/6, chiffre
significative : 4 % entre A et B (obtenu par le très significatif de cette positivité, d’autant plus
rapport (4,65-4,4)/6) alors qu’elle est de 21 % que dans l’échantillon des huit personnes res-
entre A et C et de 25 % entre B et C. Il apparaît tantes se trouvent trois syndicalistes dont on
ensuite à la lecture des notes-synthèses que aurait pu attendre dans un contexte de restruc-
deux salariés dénotent avec la tendance géné- turation une position plus critique à l’égard de
rale de l’échantillon. Leur image très négative l’entreprise. Certains syndicalistes expliquent
réduit considérablement la moyenne. L’ana- cette situation comme le résultat de l’instru-
lyse de leur trajectoire professionnelle semble mentalisation du club et tiennent à s’en
alors intéressante pour expliquer ce position- démarquer : « Moi, je refuse d’aller en voyage avec
nement. le club… J’ai toujours refusé qu’on m’achète pour
La présence du premier à un poste à res- quoi que ce soit. Jamais tant que je serais élu du per-
ponsabilité s’explique par un investissement sonnel, je ne participerai » (Groupe A1, ouvrier,
très ancien dans le club sportif et parallèlement syndicaliste).
une situation récente d’« amour déçu » avec Dans la même perspective, la cohérence de
l’entreprise. Il ne possède pas un niveau l’ensemble des autres interviewés a été analysée
scolaire élevé (baccalauréat), mais grâce à un afin de tenir compte de toutes les trajectoires
investissement professionnel élevé occupe particulières qu’elles donnent lieu à des images
aujourd’hui un niveau de responsabilités positives ou négatives. Ainsi, il existe deux indi-
important dans l’entreprise. Cependant, à vidus dans le groupe A (interviews 2 et 5) qui
terme, le service dont il est responsable risque occupent des responsabilités importantes dans
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de l’échantillon A en fonction des trajectoires Pour conclure sur cette première partie,
particulières. quels que soient les remaniements et les croise-
ments, la tendance différentielle entre les grou-
3.1.2. Des différences marquées
à l’intérieur des groupes sociaux pes sportifs et non sportifs reste toujours
importante. La même réalité est interprétée et
Le choix méthodologique d’une analyse
jugée différemment suivant l’engagement spor-
comparative entre les sportifs et les non-sportifs
tif sans que cela ne remette en cause les diffé-
(engagés et non engagés dans l’encadrement)
rences liées aux cultures de métiers ou aux
ne signifie pas l’exclusion des autres variables.
situations professionnelles. Bien au contraire,
Loin de nous l’idée de penser que l’entreprise
il semblerait que l’appartenance sportive dif-
forme « une unité » culturelle. L’analyse n’est
férencie les groupes sociaux. Sur la base de
pas centrée sur cette question mais la culture
cette analyse, nous allons désormais essayer
des cadres n’est pas celle des ouvriers, ni celle
de comprendre les éléments de convergence
des syndicalistes. L’observation participante et
et de divergence sur lesquels reposent ces dif-
les entretiens montrent des groupes sociaux
férences de représentations, cette identité
différents et à l’intérieur de certains d’entre
plurielle.
eux des variations d’images parfois dépendan-
tes de l’appartenance au club. 3.2. Analyse comparative des trois types d’image
Une synthèse de notes a été réalisée pour 3.2.1. Le métier
préciser cette question (tableau 6). Elle montre En dehors d’une convergence commune
tout d’abord un certain équilibre dans la com- aux interviewés des trois groupes autour de
position des groupes. Nous qualifions cet l’intérêt pour le métier et d’une conscience pro-
équilibre de « certain » car l’objectif étant la fessionnelle élevée, il existe plusieurs éléments
comparaison des groupes A, B et C, ce sont sur- de différence.
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comme un élément positif car déterminant de faire valoir auprès de leur hiérarchie et basta »
la carrière et des salaires, alors que les adhé- (Groupe C31, employé).
rents sont partagés entre la vision idéalisée pré- Conclusion. Finalement, une certaine perte
cédente et à nouveau le problème des de confiance dans la capacité de l’entreprise à
diplômes. Sans diplôme, même dans les condi- récompenser le travail réalisé (le travail des
tions d’une évaluation positive, aucune évolu- anciens et l’investissement présent) ressort de
tion de carrière ou de salaire n’est possible. cette analyse. Une forte opposition semble éga-
Chez certains, on voit même une remise en lement se dégager entre le diplômé et le non
question de l’objectivité de cette évaluation trop (ou moins) diplômé. Cette double tendance
souvent soumise à la relation hiérarchique. trouve, sans doute, ses explications dans le
« L’évaluation d’accord, mais pour réussir chez Nil, il récent plan social réalisé deux ans auparavant
faut déjà avoir des diplômes… Ensuite, les relations (les départs en préretraite, même s’ils sont
ça compte dans une carrière. Il y en a qui montent financièrement très intéressants, symbolisent
très rapidement, donc soit ils ont des influences pour une forme de travail non récompensé) et dans
les aider, soit ils sont hyperdoués » (Groupe B19, l’embauche de jeunes salariés de plus en plus
agent de maîtrise) diplômés (baccalauréat pour les opérateurs et
Groupe Non-adhérents (C) : de nombreu- assistantes…). Mais ce qui est le plus étonnant,
ses divergences avec les groupes A et B. En ce et nous intéresse davantage, c’est que cette
qui concerne les carrières, les remarques mino- perte de confiance est fonction de la participa-
ritaires (groupe B) concernant les diplômes tion au club sportif. Ainsi, au-delà de la conver-
s’accentuent. Les avis sont partagés. Pour la gence d’image mise en évidence sur le métier,
moitié de l’échantillon, sans diplômes, quel que les trois groupes se différencient fortement et
soit l’investissement professionnel, aucune pro- un mouvement général d’amélioration de
gression n’est possible. En ce qui concerne les l’image du métier est constaté en fonction du
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des éléments. Il y a une bonne connaissance de martyrs – alors qu’il reste un problème au
la structure de pouvoir. Tous constatent avoir même titre que la pression hiérarchique
une réelle autonomie de travail et la coopéra- (groupe C) – la pression américaine n’est pas
tion avec les responsables est une constante une raison suffisante pour agir ainsi. Le sys-
managériale. tème de justification construit autour de la
Une divergence d’interprétation. Les ima- pression professionnelle est très intéressant, il
ges des deux premiers groupes divergent avec renvoie encore à l’idée de justice mais cette fois-
le groupe non-adhérent sur l’interprétation de ci interroge le caractère humain de l’entreprise.
la pression exercée sur les salariés en termes Pour tous, la pression exercée par le pouvoir
d’attentes professionnelles. Les groupes res- n’est pas juste mais, pour les uns, ceux qui ren-
ponsables (A) et adhérents (B) conservent une dent la justice sont responsables de la situation
bonne image du pouvoir, même s’ils décrivent alors que, pour les autres, ils sont comme eux
cette pression comme s’accentuant considéra- des victimes. Apparaît alors une entreprise à la
blement. Sur ce point, ils déresponsabilisent la fois humaine car victime et inhumaine car
direction française et rejettent la faute sur les dotée de comportements purement économi-
instances décisionnelles américaines : « Tout le ques. Cette situation traduit sans doute ce lien
monde ressent que l’économie redémarre. On aimerait privilégié semblant se mettre ici en place entre
avoir un retour des efforts fait durant deux ans. Je l’entreprise, plus particulièrement ses déci-
suis persuadé que notre patron s’en rend compte mais deurs, et le groupe social des sportifs. Une des
n’a pas forcément les moyens de lâcher quelque chose. pistes explicatives pourrait résider dans le fait
La direction française ne détient pas le pouvoir, il est qu’un certain nombre de ces décideurs sont
américain… » (Groupe A2, cadre, délégué syn- partie prenante du club sportif et y sont enga-
dical). Le groupe des non-adhérents insiste gés dans des responsabilités diverses. Ils sont
davantage sur cette pression. Elle devient un donc directement associés en termes d’images
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Au-delà de ce constat de convergence, il existe une première chez Nil. Finalement on se rend compte
pourtant une réelle divergence à l’intérieur que, du jour au lendemain, ça peut basculer pour
de ces images. D’une part, leur interprétation quelqu’un. Tout le monde en discute, tout le monde
est différente et d’autre part le développement spécule, tout le monde invente des trucs… on devient
des items est différemment accentué selon les un peu parano. Il y a forcément un impact au niveau
groupes. relationnel. L’ambiance n’est plus la même
Des différences d’accentuation. Le groupe aujourd’hui. » (Groupe B27, cadre).
des responsables (A) développe davantage dans – Le plan a provoqué également une sur-
ses discours les qualités de l’entreprise (puis- charge de travail différemment envisagée selon
sance, innovation, etc.). Pour les non-adhérents l’appartenance. Le groupe A la constate, mais
(C), on assiste à un développement plus consé- beaucoup l’acceptent comme une réalité écono-
quent du plan social, de la dégradation de mique à laquelle il faut s’adapter. « On a une sur-
l’ambiance, de la surcharge de travail, etc. Les charge de travail et le travail a changé. Donc il a
deux discours s’équilibrent quelque peu chez fallu s’adapter » (Groupe A4, agent de maîtrise).
les adhérents. Pour le groupe B, elle est développée par la
Des divergences d’interprétation. Les repré- moitié des interviewés, alors que pour le
sentations se différencient autour du plan social. groupe C la plupart développent ce thème. Le
Elles sont partagées entre majoritairement une ton est par ailleurs beaucoup plus virulent :
entreprise qui respecte ses salariés et minoritai- « Surtout pas dire qu’on en a trop. Par contre, c’est
rement une entreprise qui, pour assurer sa marrant tu parles avec tout le monde. Tout le monde
pérennité, n’hésite pas à sacrifier ses salariés. au niveau du boulot en a ras la casquette, tout le
Sur la base de ce constat, les images de l’entre- monde est survolté » (Groupes C31, employé).
prise divergent alors sur trois éléments : – Enfin, la sécurité de l’emploi apparaît
– Pour les responsables, même si l’ambiance comme un point de divergence essentiel. Les
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touchés par cette situation d’insécurité, idée lien d’une forme très particulière entre l’entre-
souvent absente des discours des adhérents. prise et les salariés sportifs, lien qui semble
Conclusion. S’il est communément admis déterminer une identité sociale très forte
que Nil est une entreprise puissante, les repré- et réenchantée (Sociologie du travail, 1986).
sentations sur sa situation actuelle divergent Au-delà, il faut cependant voir dans cette diffé-
fortement entre les trois groupes. Cette situa- rence de représentation, le résultat d’une
tion semble acceptée par les responsables, alors convergence de causes dans un contexte entre-
qu’elle est jugée comme se dégradant par les preneurial spécifique. Contexte entrepreneu-
adhérents et qu’elle génère, pour les non-adhé- rial spécifique car toutes les conditions sont
rents, des critiques virulentes. On ressent un réunies pour présenter le sport chez Nil
climat social extrêmement dégradé. Ambiance comme un élément réel de la politique sociale
déprimée, tension très importante sur la de l’entreprise : des rapprochements structu-
charge de travail et perte de confiance face à rels, décisionnels et symboliques sont effective-
l’avenir laissaient présager dès cette époque un ment engagés entre l’entreprise et le club
climat de fortes insatisfactions. Nil connaîtra la sportif. Convergence de causes car, même s’il
première grève de son histoire deux ans après est assez logique de penser dans la perspective
l’étude. Là encore, il est intéressant de consta- du sport défini comme un avantage social que
ter une certaine forme d’atténuation des criti- cette différence peut être le produit des satis-
ques et surtout une tendance à décrire d’un factions apportées par les pratiques sportives, il
côté une entreprise qui se déshumanise ne faut pas exclure l’existence d’une différence
(méfiance, ambiance détériorée), se dérespon- antérieure de représentation : on adhère au
sabilise socialement (sécurité de l’emploi) et club sportif car on a une image plutôt positive
d’un autre, une entreprise encore humaine et de son entreprise.
responsable. Aussi, sans exclure que l’engagement dans
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de la pression professionnelle et du plan social. D’un point de vue managérial, les résultats
Ce qui ne manque pas de souscrire au débat de cette recherche souscrivent au débat de la
des limites de l’intervention sociale des entre- multiculturalité de l’entreprise : l’entreprise ne
prises. Jusqu’où les entreprises peuvent-elles se définit pas autour d’une culture stable et uni-
s’immiscer dans le jeu social ? Dans quelle que mais autour d’une diversité culturelle cons-
mesure peuvent-elles se promouvoir au rang truite sur la base de métiers, de professions, de
d’acteur social ? Ne risque-t-on pas de tomber services… L’analyse décrit une entreprise à
dans une nouvelle forme de paternalisme ? À multiples facettes identitaires, une entreprise
l’inverse, pourquoi leur soustraire le droit de perçue différemment selon les communautés :
s’engager dans le jeu social ? Ces questions, une entreprise plurielle. Certes, il existe un cer-
fondamentales pour notre société, se trouvent tain nombre de convergences identitaires
depuis les années 1990 à la convergence à la (comme la puissance) autour desquelles les
fois des sciences de gestion où l’on parle salariés donnent un sens commun à leur com-
d’entreprise citoyenne (d’Alméïda, 1995) et de portement et s’inscrivent dans une synergie
la sociologie de l’entreprise où l’on s’interroge commune, mais il existe également un certain
sur les rapports qu’entretient l’entreprise avec nombre de divergences (comme le caractère
la société (Bernoux, 1995; Thuderoz, 1996). Le humain ou inhumain) sur la base desquelles se
cas de l’entreprise Nil illustre bien cette ques- construisent les différences identitaires et peu-
tion. Cette reprise de l’initiative sportive par vent s’expliquer les crises d’identité. Il serait à
l’entreprise participe à un mouvement plus ce titre intéressant de prolonger le concept
vaste de reprise de l’initiative sociale par les d’identité par la notion d’imaginaire institu-
entreprises (Chevalier, 1991) et d’innovation tionnel, c’est-à-dire l’image perçue par l’envi-
sociale (Alter, 1996). ronnement. À notre sens, c’est au croisement
Le cas de l’entreprise Nil illustre également de ces différentes réalités et de ces différents
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ZUSAMMENFASSUNG : Sport und Corporate Identity. In Richtung einer Veränderung der Vorstellung von
Organisationen
Dieser Artikel handelt vom Betriebssport. Es geht dabei um eine Problematik, welche die Corporate
Identity betrifft. Es stellt sich die Frage, ob der Sport zur Konstruktion dieser Corporate Identity beitra-
gen kann. Die Studie betrifft ein amerikanisches Unternehmen, in dem die vereinssportlichen Praktiken
in die Unternehmenspolitik integriert sind. Sie werden von einer Abteilung der Leitung des Personal-
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RESUMEN : Deporte e identidad de empresa. Hacia una modificación del imaginario organizacional
Este artículo trata la cuestión del deporte asociativo en empresa. Adopta una problemática ligada a la
identidad de empresa. La cuestión es entonces saber si el deporte puede contribuir a la construcción de
la identidad de empresa. El estudio se refiere al caso de una empresa americana donde las prácticas
deportivas asociativas son integradas en la política de la empresa. Propuestas por un servicio de la direc-
ción de recursos humanos, se inscriben en el dispositivo de las ventajas sociales propuestas a los salaria-
dos y conciernen 40 % de ellos. Después de haber presentado la noción de empresa como definida
alrededor de un conjunto de producciones simbólicas (la cultura de empresa) y de un imaginario orga-
nizacional (la imagen de la empresa del punto de vista de los salariados), la investigación se orienta hacia
un estudio comparativo al interior de este imaginario organizacional entre las representaciones de los
salariados que participan y los que participan a las practicas deportivas de la empresa. Los resultados
revelan una diferencia significativa de la representación entre los salariados deportivos y no deportivos.
PALABRAS CLAVES : deporte, identidad, empresa, representación, gestión de recursos humanos.
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