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LA MAISON VERTE : UN DISPOSITIF À LA PORTÉE DE L'ENFANT

Frédérick Aubourg

ERES | « Figures de la psychanalyse »

2009/2 n° 18 | pages 227 à 240


ISSN 1623-3883
ISBN 9782749210773
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2009-2-page-227.htm
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La Maison Verte :
un dispositif à la portée de l’enfant
• Frédérick Aubourg •

Trente ans après sa création la Maison Verte 1 reste, dans le paysage institu-
tionnel qui se préoccupe de la petite enfance, un dispositif subversif et toujours
pertinent. Pendant trente ans, la Maison Verte s’est transformée dans un souci
de cohérence interne au dispositif d’accueil et d’écoute des enfants et des
parents, ce qui a entraîné un certain nombre de remaniements d’ordre
pratique et théorique.

Depuis l’ouverture en 1979, un mouvement s’est institué à travers la multipli-


cation et l’essaimage de ce dispositif d’accueil, d’abord en France, puis en Europe
et, enfin, dans le monde entier. En France, ce dispositif d’accueil et d’écoute des
jeunes enfants a finalement abouti à un processus d’institutionnalisation qui,
d’ailleurs, est toujours en cours. La multiplication des lieux d’accueil a eu lieu
indépendamment de la Maison Verte et ce, dans la mesure où elle n’a jamais
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souhaité faire école et encore moins mettre en place un système de transmission
ou de formation. Gageons que cette position éthique nous a peut-être permis de
maintenir vivant l’accueil au quotidien et de relancer les interrogations qui,
inexorablement, se posent dans ce genre de lieu en prise directe avec l’enfant, les
parents, le social et l’inconscient.

Souhaitons aussi que la référence princeps à la psychanalyse qui reste atta-


chée au signifiant Maison Verte puisse perdurer dans les nombreux lieux qu’elle
a inspirés.

1. C’est du désir de quelques-uns que naquit, en 1979, la Maison Verte : Pierre Benoit,
Françoise Dolto, Colette Langignon, Marie-Hélène Malandrin, Marie-Noëlle Rebois,
Bernard This. Signalons la parution récente d’un ouvrage collectif : Une psychanalyste
dans la cité, L’aventure de la Maison Verte, Gallimard, 2009 (avec la participation de
F. Dolto, A. Grosser, M.H. Malandrin, C. Roy et C. Schauder).
228 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 18 •

Le dispositif d’accueil et d’écoute de la Maison Verte s’articule principalement


autour de deux concepts : lien social et subjectivation.

Lien social supporté par des paroles, celles qui circulent en ce lieu, celles qui
parlent de l’enfant bien avant sa naissance, celles que dit le corps et qui toutes
font que l’infans est pris dans le langage avant même qu’il ne parle. Lien social,
parce que ce qui fonde l’humanité, ce sont les interdits du cannibalisme, du
meurtre et de l’inceste, lesquels sont constamment interrogés par les enfants
dans notre pratique, à propos des difficultés récurrentes autour du sevrage, du
sommeil, de l’agressivité, etc.

C’est d’ailleurs à partir de ces trois interdits que Françoise Dolto articulait les
castrations symboligènes – orale, anale et phallique –, lesquelles fondent l’hu-
manisation et la socialisation du sujet en lui permettant de s’inscrire dans une
généalogie 2 ainsi que dans le social 3. Il s’agit, pour l’enfant, de « développer
cette aptitude psychique complexe au transfert sur la société, aptitude dont nous
avons besoin, pour le maintien et le progrès de notre culture »4, alors que pour
le parent c’est la confrontation au rôle de père, de mère, où « l’éduquer » est
impossiblement réactualisé.

Quant à la subjectivation, celle de l’enfant bien sûr, parce que c’est au travers
de ce que le langage véhicule consciemment ou inconsciemment que se construit
et se structure la psyché de l’enfant. Le privilège dont nous disposons est que
l’enfant que nous accueillons, à partir de la naissance jusqu’à l’âge de 3 ans, est
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2. « On voit que l’interdit du cannibalisme repose sur une série d’équivalences


symboliques qui forment système : tuer, manger, regarder. Le respect des liens
totémiques apparaît comme le négatif du désir cannibalique. C’est le refoulement du
cannibalisme qui permet à un individu d’avoir à la fois une identité (c’est-à-dire une
généalogie) et des relations qui le confirment dans cette identité au sein du clan de ses
“semblables” : J. Florence, L’identification dans la théorie freudienne, Facultés
universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1984, p. 91.
3. « L’interdit de l’inceste est proprement “social”. Il règle les rapports sexuels des
membres du clan totémique, plus précisément les possibilités de mariages, prescrivant
avec rigueur le mode de perpétuation du clan dans la génération des nouveaux
membres. Pour Freud, l’exogamie, ce “fameux et énigmatique corollaire du totémisme”
est un effet de la phobie de l’inceste, analysée dans le premier chapitre de Totem et
tabou » (ibid., p. 91).
4. Lettre de René Laforgue à S. Freud, en 1928, citée dans P. Benoit, Le corps et la peine
des hommes, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 344.
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dans ce temps de structuration psychique où rien n’est encore joué. Si pour l’en-
fant cette période est synonyme de naissance subjective, pour le parent c’est le
temps de la rémanence de son infantile marqué du sceau du refoulement.

La Maison Verte reste un dispositif particulièrement original. En effet, F. Dolto


et ceux qui l’ont accompagnée ont su croiser le fil du singulier propre au jeune
enfant dans ce temps précoce de la structuration psychique au fil du social qui
n’est pas le temps de l’intégration, mais plutôt celui de la séparation, au sens de
ce que F. Dolto appelait les castrations symboligènes constitutives, pour elle, de
l’éducation. Ce point est important, car depuis quelques années, dans le domaine
de la petite enfance, la question du social et de la socialisation a fini par rejoindre
celle de l’intégration avec cette petite note de normopathie comme dirait J. Oury
qui assimile socialisation et « rentrer dans le rang ». Aussi, ce qui est et reste
subversif, c’est d’avoir conçu un dispositif qui permette, dans la même unité de
temps et de lieu, d’accueillir le sujet-enfant sur ces deux registres, lesquels sont
la plupart du temps séparés. La Maison Verte ne peut pas être référée à ce qui se
passe dans une consultation psychanalytique, et on ne peut pas non plus la
comparer à ce qui se passe dans les divers lieux institutionnels, créés d’ailleurs
plus pour répondre aux soucis des adultes (crèche pour garder leurs enfants,
école pour les éduquer, PMI pour les maintenir en bonne santé, etc.) qu’à ceux des
sujets-enfants.

Prénom et anonymat
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Le fait que l’on accueille l’enfant d’abord est ressenti par certains parents
comme violent, puisque d’une certaine manière nous ne le recevons qu’au titre
de « son papa », « sa maman » ou « sa garde », faisant fi de tout ce qui imagi-
nairement permet de situer quelqu’un dans la société. Mais la violence est plus
forte quand le père ou la mère se rendent compte qu’eux-mêmes n’ont jamais
été considérés comme sujets dans leur enfance. Enfants, on parlait d’eux devant
ou derrière eux, mais pas à leur personne. « On parle des enfants, disait F. Dolto,
mais on ne leur parle pas.5 »

Lorsque l’enfant arrive et que nous écrivons son prénom au tableau, nous lui
signifions, comme à ceux qui l’accompagnent, que c’est lui qui est accueilli en
priorité. En revanche, nous tenons à préserver l’anonymat des adultes que nous

5. F. Dolto, « La Maison Verte », dans Esquisses psychanalytiques, printemps 1986, n° 5,


p. 10.
230 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 18 •

recevons, autorisant ainsi une grande liberté de parole et garantissant aussi que
rien de ce qui se dit ou se montre ne sera retransmis à quiconque, personne ou
institution. Cette règle de l’anonymat du patronyme, assortie du fait que l’on
peut venir sans rendez-vous et qu’il n’est pas nécessaire de formuler une quel-
conque demande, crée les conditions d’un lieu convivial et accueillant qui laisse
chacun libre de l’usage qu’il souhaite en faire (certains parents viennent se repo-
ser, d’autres font des rencontres et rompent la solitude dans laquelle ils s’enfer-
maient petit à petit avec leur enfant, d’autres encore viennent avec des
questions, leurs inquiétudes ou leurs peurs…). Conçue en totale rupture avec les
différents lieux qui accueillent des enfants, la Maison Verte se distingue des struc-
tures médico-pédagogiques classiques.

Les règles de la Maison Verte

Plusieurs règles organisent le cadre dans lequel se déroule l’accueil. Ainsi, les
personnes accompagnant l’enfant ne peuvent en aucun cas s’absenter et laisser
l’enfant. La présence de l’adulte tutélaire permet à l’enfant de faire l’expérience
de la séparation : il peut s’agir parfois de quelques mètres, tout en étant une
garantie de la présence sécurisante d’une personne familière. Au moment du
départ, il est demandé une participation financière qui est laissée à l’appréciation
de chacun ; aussi symbolique soit-elle, elle signe la participation de l’adulte à
l’existence de ce lieu. Pour les enfants, deux règles impératives introduisent à la
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question de la loi et de la socialisation, elles sont matérialisées par la « ligne
rouge » et le « tablier pour jouer au bac à eau ».

La ligne rouge

La ligne rouge délimite l’espace où les enfants peuvent circuler à tricycle. Elle
délimite des espaces qui permettent à chacun selon son âge de circuler ou de se
poser sans gêne pour les autres. Les modalités d’intégration de cette règle seront
l’occasion d’interroger la signification des limites et leur nécessité dans l’huma-
nisation. Les plus âgés des enfants se confrontent, avec cette interdiction de
passage de la ligne, à l’existence et au respect de l’altérité : pour vivre ensemble,
des règles sont nécessaires, qui assurent la protection des uns et des autres, qui
font limites à la toute-puissance.

Pour les plus jeunes, cette interdiction de passer la ligne avec l’engin à roues
introduit à la distinction du sujet et de l’objet : l’enfant découvre qu’il peut avoir
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la maîtrise sur l’objet, il peut s’en désolidariser. L’engin ne marche pas tout seul :
les pieds qui le font avancer et les mains qui le dirigent sont à lui, il peut les
commander. Une fois acquise la différenciation entre soi et l’objet, la règle peut
se comprendre et permettre à l’enfant d’expérimenter la « joie […] de la trans-
gression possible ». Par ce jeu, de la transgression, écrivait F. Dolto, « le bébé
sonde aussi la vigilance que l’adulte porte à son désir, l’intérêt que l’adulte
accorde à sa personne distincte de ses actes. Son choix d’obéissance devient alors
une manifestation d’amour, dont il se sent heureux qu’elle soit prise pour telle ».
Avec ce jeu du « Passera, passera pas la ligne défendue, c’est toute l’humanisa-
tion de l’enfant qui s’élabore »6.

Le bac à eau

Une deuxième règle introduit dans la banalité du quotidien ce que F. Dolto


nomme « la castration libératrice », c’est-à-dire que pour jouir du privilège de
jouer à l’eau, l’enfant doit mettre un tablier en plastique. Cette règle introduit
un processus de vie en société en stipulant qu’ici, dans ce lieu, c’est ainsi que l’on
procède ; ailleurs, ce peut être autrement, ici non. Les espaces et les modalités du
faire sont distingués selon les endroits : s’y soumettre, c’est de l’ordre d’une
castration libératrice, puisqu’elle permet la socialisation, puisqu’elle autorise à
trouver sa place parmi les autres. Les modalités d’intégration de ces règles sont
l’occasion de mettre en paroles les questions qu’elles ne manquent pas de faire
surgir et qui touchent à ce qui structure les liens entre l’enfant et ses parents, au
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rapport à la parole, à ce qui fait son autorité, à la dimension de la frustration…

C’est au travers de ces quelques règles qui structurent le dispositif que l’on
peut appréhender la référence à la psychanalyse. L’équipe des accueillants est
composée de psychanalystes ou de « citoyens analysés », comme F. Dolto préfé-
rait dire, à l’écoute de ce qui cherche à se dire dans le renoncement à s’attribuer
un savoir pour faire place à ce qui survient dans le hic et nunc de l’accueil, en lais-
sant place à la surprise, au surgissement d’une association inédite, d’un mot qui
fait ouverture à l’inconscient. Notre rôle, disait-elle, « se borne modestement à
éveiller l’intuition maternelle et l’intuition paternelle, […] à poser concrètement
les faits tels qu’ils sont au lieu de laisser l’imaginaire produire de la mousse ; une
mousse vide mais qui, peu à peu, fait monter l’angoisse »7.

6. Ibid., p. 14-15.
7. Ibid., p. 19-20.
232 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 18 •

L’équipe

Chaque demi-journée, une équipe mixte de trois accueillants se retrouve,


différente chaque jour. Trois personnes, parce que ainsi un espace est délimité où
la parole peut circuler avec les différents accueillants (comme avec les autres
adultes et enfants présents). Le temps et l’espace accordés à chacun autorisent les
déplacements, les suspensions ou les relais. L’équipe est mixte parce qu’à l’âge où
se jouent les identifications sexuelles, il est important que l’enfant puisse avoir
rapport aux deux sexes dans leur incarnation, pas seulement dans le discours. La
rotation des accueillants s’effectue chaque jour, parce que leur présence en ce
lieu ne constitue pas leur activité principale, ils n’y sont pas installés, mais de
passage, ce qui contribue à atténuer l’effet institution ou consultation. Personne
n’inféode personne, et cette rotation permet de se confronter au fait qu’il y a
plusieurs manières de voir et de penser. Cet état d’esprit est en cohérence avec le
mode de gestion collégiale de la Maison Verte (absence de hiérarchie, d’où péré-
quation des salaires) qui offre une grande légèreté sur le plan institutionnel et
assoit la légitimité de chaque membre de l’équipe dans son travail d’accueil et
d’écoute. Enfin, il est important de préciser qu’aucune transmission ne s’effectue
d’un jour à l’autre entre les accueillants ni dans aucune des réunions de travail,
seule façon de préserver une vraie rencontre avec l’enfant ou l’adulte.

Actualité de la Maison Verte


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Avec Freud, la psychanalyse avait affaire aux effets d’une société par trop
répressive à l’égard des enfants, maintenant nous serions dans un excès de
prévention.

C’est une triste évidence, écrivait F. Dolto, de constater que nombreux sont ces
adultes incapables de donner une castration symboligène des stades archaïques,
parce que eux-mêmes regrettent ne plus être enfants ou regrettent que leur
enfant grandisse et éprouve des désirs d’autonomie à leur égard 8.

Les questions que posent les parents sont révélatrices de leur désarroi et de
leur difficulté à trouver une position qui leur semble légitime. Ce qui leur
importe de plus en plus, du fait d’un isolement social de plus en plus grand, c’est
de trouver un énoncé, quelque chose qui soit opératoire. Aussi se réfugient-ils

8. F. Dolto, L’image inconsciente du corps, Paris, Le Seuil, 1984, p. 89.


L A MAISON VERTE : UN DISPOSITIF À LA PORTÉE DE L’ENFANT 233

auprès du pédopsychiatre, seul homme de science apte à résoudre bien des


maux, ou bien encore à embrasser des mots d’ordre : « L’enfant doit être
éveillé ! » et les parents se mettent en quête de lieux ou de personnels stimu-
lants ; « Votre enfant est peut-être un surdoué ! », et il faut veiller à faire des
tests pour vérifier s’il est génial pour qu’il ne s’ennuie pas à l’école. Bref, la
psychanalyse, dans ses efforts de prosélytisme, a parfois produit des énoncés
auxquels les parents adhèrent souvent sans discernement, car ce qui les guide est
un idéal qu’ils sont contraints d’atteindre ; étant bardés maintenant de
méthodes et de techniques éprouvées, ils n’ont plus d’excuse face à leur progé-
niture. Comme si la science et le social avaient construit un modèle idéal d’en-
fant, auquel il est urgent de se conformer sous peine d’exclusion du champ social.

La vulgarisation des recherches sur la petite enfance produit des discours qui
s’imposent sous forme d’énoncés quasi scientifiques, qui ont la force de mots
d’ordre sans nuance et qui, bien souvent, virent au sectarisme. Les propos de
F. Dolto insistant sur la valeur de la parole de l’enfant, et sur sa capacité à
entendre, ont été déformés à outrance au point de penser que l’on pouvait
« tout dire aux enfants », alors qu’il n’était question pour elle de dire à l’enfant
que ce qui le concerne. De la même manière « la parole de l’enfant est parole
d’Évangile », sur ce point, l’affaire du procès d’Outreau a été révélatrice et
destructrice…

Aussi, à la Maison Verte, sommes-nous confrontés à ces mots d’ordre et aux


angoisses qui les sous-tendent et, de ce point de vue, nous avons un rôle essen-
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tiel pour remettre en cause ces énoncés prêt-à-porter. Actuellement, je pense que
cela passe par le fait de restaurer la parole énonciatrice 9 des parents et la légiti-
mité de celle-ci face aux énoncés surmoïques et normatifs que ne cessent de
distiller les sociétés modernes. Un exemple me servira à illustrer le malaise actuel
de certains parents.

L’enfant qui devait dire « zizi »

Il s’agit d’Édouard qui a 2 ans et fréquente régulièrement la Maison Verte


avec sa maman. Soignée, très élégante, celle-ci est réservée. Au fil des mois, une

9. « Jusqu’à la naissance de la science moderne, seule l’autorité de l’énonciateur était


légitime, mais c’est désormais la cohérence des énoncés aptes à rendre compte d’un
réel qui s’avère tenir lieu de légitimité » : J.-P. Lebrun, Un monde sans limite, Toulouse,
érès, 2003, p. 180.
234 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 18 •

dépression se marquait de plus en plus, affichant une présence de plus en plus


distanciée avec son fils et avec la vie à la Maison Verte. Elle est avec Édouard
depuis sa naissance, ils ne se quittent jamais. Je lui demande ce qui se passe pour
elle en ce moment et elle m’explique avec retenue qu’elle s’ennuie, qu’elle
voudrait reprendre son travail.

– Qu’est-ce qui vous en empêche ?

– Je dois garder Édouard, me dit-elle.

– Peut-être qu’il peut commencer à fréquenter une crèche ou une halte-


garderie ?

– Oui, j’y ai pensé mais c’est difficile…

– Pour qui est-ce difficile ?

La maman hésite longuement et me répond :

– En fait c’est difficile pour son père, il souhaite que son fils parle pour aller
en crèche.

Je lui suggère que c’est peut-être l’inverse qui peut se produire, mais elle reste
réticente à ma proposition. Après un temps, elle finit par me dire que son mari
acceptera le jour où son fils pourra prononcer le mot « zizi ».

– Ah bon ?

– Parce que vous comprenez avec tout ce qui se passe en ce moment, mon mari
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pense qu’il faut se donner les moyens de savoir s’il lui arrive quelque chose…

Au-delà des implications personnelles que recouvre cette situation pour ces
parents, nous nous trouvons devant une attente qui est tout à fait déplacée et
disproportionnée par rapport à l’enfant. Là encore, il est question de violence
qu’il s’agirait d’éviter à l’enfant par le simple fait de pouvoir en assurer la traça-
bilité. Un fois de plus, ce qui est en cause, c’est un enfant idéal, non pas celui des
parents qui n’a rien à voir avec ça, mais l’enfant idéal d’une société qui requiert
des enfants bien formatés aux exigences du moment, livrés avec toutes les options
que le catalogue offre actuellement. Savoir dire « zizi » pour entrer à la crèche par
exemple ! Qui fait écho à l’étrange « être propre » pour entrer à l’école.

Le rôle du psychanalyste à la Maison Verte n’est pas de se taire pour écouter,


comme c’est le cas en cabinet, mais plutôt d’écouter pour dire à l’enfant. Ce qui
fait la légèreté du dispositif Maison Verte, c’est qu’à la différence de ce qui se
passe en consultation, où ce sont les parents qui demandent, là ce sont les
enfants qui bien souvent questionnent.
L A MAISON VERTE : UN DISPOSITIF À LA PORTÉE DE L’ENFANT 235

Voici un autre exemple qui illustre cet aspect des choses ainsi que l’intérêt du
travail à trois, dans un tel dispositif.

François, un petit garçon de 3 ans et demi, était venu avec ses deux parents.
La maman enceinte affichait une grande inquiétude pour son fils, qui s’endor-
mait très tard le soir et qui ne voulait pas aller à l’école le matin. Il arrivait à
l’école vers 11 heures (il s’agissait d’une école privée) et s’en trouvait évidemment
marginalisé et s’ennuyait. Baissant la voix, elle dit qu’elle est mal à l’aise avec
quelque chose qui concerne ses origines à elle, quelque chose qu’elle ne sait pas
quand ni comment lui dire, car il s’agit de quelque chose de honteux et qu’elle
considère comme un « cadeau empoisonné ». François jouait à quelques mètres
de nous, dans mon dos. Au début, il avait tendu l’oreille, puis il s’était investi
dans les jeux. Mathilde, une autre accueillante, se joint à nous, la maman reprend
la parole pour exprimer cette difficulté à dire son origine honteuse. Mathilde la
rassure : « Vous n’êtes pas obligée d’en parler, vous le ferez quand vous vous
sentirez capable de lui dire. De toute façon, votre petit garçon n’est pas concerné
par cette histoire, la preuve en est qu’il n’est même pas venu vous voir, ni s’as-
seoir à côté de vous. » La mère est d’ailleurs très surprise de l’attitude de son fils,
car pendant toute la durée du voyage pour venir à la Maison Verte, elle ne cessait
de répéter « J’espère qu’il va parler ! », « j’espère qu’il va dire quelque chose ! »
De plus en plus convaincue que ce « secret » ne concernait pas son fils, cette
maman nous dit que, petite, elle a été adoptée et qu’après six années de
recherche, elle a découvert que son fils est pour un quart iranien, un quart alle-
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mand… Là, nous l’interrompons pour dire qu’il n’y a pas de quart, mais des
demis, elle et son mari, tous deux français d’ailleurs. Elle poursuit en disant que
sa mère adoptive lui avait toujours fait reproche de ses origines allemandes, insi-
nuant qu’elle était une fille de nazi et que cela constituait un « secret honteux ».
C’était d’ailleurs la raison pour laquelle elle disait à tout le monde que sa fille
était d’origine suisse. Toute cette histoire, longuement portée par cette femme,
lui avait été tellement pénible qu’elle avait décidé de se convertir au judaïsme,
pensant par là racheter la faute du père. Le hasard voulut qu’à ce moment, on
entendit dans la pièce une maman dire « François mord ! » Il y avait ce jour-là un
autre petit François qui était en train de s’attaquer à une petite fille. L’effet ne
se fit pas attendre, et la mère de François qui croyait qu’on parlait de son fils
manifesta un malaise, comme si cette parole entendue à la volée venait confir-
mer ses craintes, tel grand-père nazi, tel petit-fils mordeur. En fait, son petit
garçon jouait tranquillement comme s’il avait compris que toutes les inquiétudes
de sa maman ne le concernaient pas, au point même qu’à deux reprises il est
236 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 18 •

venu voir ses parents en leur parlant à voix basse, en écho au secret à respecter
et peut-être aussi pour ne pas déranger.

Pendant le temps que nous conversions avec les parents de François, Annie,
une autre accueillante, est venue le voir. Il essayait de mettre une petite voiture
entre les deux chiens-assis d’une maison, en disant « Elle peut pas parce que c’est
trop serré ! » Annie qui avait entendu que ce petit garçon n’arrivait pas à partir
à l’école lui dit qu’elle savait cela, et François de répondre « Je veux voir si le bébé
sort » et il enchaîne en disant à propos de sa sœur : « Nina, elle fait pipi par le
derrière », et Annie lui répond : « Tu crois que le pipi et les bébés, ça sort par le
derrière ? Je crois que tu te trompes, tu devrais demander à ta maman et à ton
papa ! »

Nous voyons ce qu’autorise un dispositif comme celui de la Maison Verte, il


est clair dans cet exemple que le petit garçon avait compris que sa maman trou-
verait là des personnes pour écouter ce qu’elle avait à dire, la concernant elle et
elle seule. Pendant ce temps-là, lui, il jouait et s’absentait de cette histoire qui
concernait sa mère. Mais dans le même temps, ce petit garçon avait une question
bien à lui qui concernait le présent et l’arrivée d’un prochain bébé. Ce qui est
impressionnant, c’est que l’on voit bien comment cet enfant ne porte que sa
question, et qu’il est exclu pour lui de porter celle de sa mère.

En consultation, la demande vient toujours du ou des parents, recouvrant


ainsi ce caractère de plainte ou d’échec qui instille de la culpabilité et qui sous-
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tend de la part des parents une demande de restauration narcissique que ne leur
donne plus leur enfant. À la Maison Verte, la situation est tout autre, même s’il
arrive parfois que des parents viennent « consulter », car d’emblée c’est l’enfant
qui est premier et qui, du fait du dispositif, utilise la scène offerte pour poser sa
question ou, plus précisément, pour circonscrire en actes et en paroles, aux yeux
et aux oreilles de ceux qui voudront bien l’entendre, le lieu et le moment où il
faudra lui donner le mot, pour reprendre une expression de J. Lacan. Il est clair
qu’à partir de cette distinction, nous ne sommes pas mis à la même place ni
engagé au même travail. Entre ces deux espaces de parole, il nous semble que ce
qui est de l’ordre du pulsionnel ne se déroule pas de la même manière, car si la
formulation de la demande du côté du parent manifeste l’expression d’un souci,
elle devient dès lors un souci partagé où le parent se trouve en partie dessaisi
dans sa capacité d’être père ou mère. C’est-à-dire que la demande se trouve être
conjointe à un besoin, besoin de réparer, de remettre sur les rails la jouissance
narcissique attendue des parents, estompant ou effaçant ainsi la place première
L A MAISON VERTE : UN DISPOSITIF À LA PORTÉE DE L’ENFANT 237

de l’enfant dans « l’allant devenant du génie de son sexe », comme le disait


F. Dolto.

La très grande différence, disait-elle, entre un être humain à l’état adulte et


l’être humain à l’état enfant, c’est que, dans l’organisme de l’enfant, l’adulte est
potentiel et il en intuitionne les pouvoirs par le jeu du désir. Tandis que l’adulte
a la cicatrisation de son état d’enfance à jamais perdu pour lui 10.

Marie-Hélène Malandrin reprenait cette image pour définir la Maison Verte


en disant : « Le dispositif Maison Verte ne peut pas soutenir pour l’adulte l’ou-
verture de “ces cicatrices”, il faut le dispositif de la cure analytique. Par contre il
peut soutenir l’enfant au moment où il intuitionne les pouvoirs que lui donnent
ces jeux du désir, et il peut l’aider à faire les déplacements psychiques nécessaires.
Les accueillants sont alors présents aux secousses que cela produit chez les
parents.11 »

C’est d’ailleurs un fait que nous constatons quotidiennement dans notre


pratique ; à savoir l’incroyable efficacité de la parole adressée à l’enfant ou aux
parents en sa présence. Comment comprendre cette efficacité, c’est-à-dire cette
réversibilité 12 des processus psychiques ? Nous pouvons nous appuyer sur ce que
J. Lacan formulait d’une manière décisive, en 1953, dans Fonction et champ de la
parole et du langage : « Que l’inconscient du sujet soit le discours de l’autre, c’est
ce qui apparaît le plus clairement […] 13. » Formulation qui renvoie à cette autre
définition qu’il donne de la communication intersubjective, où l’émetteur reçoit
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du récepteur son propre message sous une forme inversée. Lorsque nous nous
adressons à un enfant, ou que nous nous adressons à ses parents en sa présence
et que cette parole est suivie d’effet, c’est-à-dire de la disparition durable de la
manifestation morbide ou pathologique, nous contrecarrons les effets du refou-
lement et rétablissons d’une certaine manière la continuité du discours conscient,
pour reprendre cet autre énoncé lacanien : « L’inconscient est cette partie du

10. F. Dolto, La cause des enfants, Paris, Laffont, 1985, p. 233, cité par G. Guillerault, Le
corps psychique, p. 57.
11. Document de travail inédit.
12. S. Ferenczi écrivait, le 30 juillet 1932 : « Je suis convaincu de la réversibilité de tous
les processus psychiques, c’est-à-dire de tout ce qui n’est pas purement héréditaire »,
Journal clinique, Paris, Payot, 1985, p. 249.
13. J. Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Le Seuil,
1966, p. 265.
238 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 18 •

discours concret en tant que transindividuel, qui fait défaut à la disposition du


sujet pour rétablir la continuité de son discours conscient.14 »

Prenons la situation suivante, une mère allaite son enfant et éprouve des
difficultés pour le sevrer. Jusqu’à ce que la mère adresse à un tiers quelque chose
sur cette question, tout se passe comme si elle formulait en présentant le sein à
son enfant : « Tu tètes mon sein parce que tu en as besoin », ce que l’enfant peut
se formuler à lui-même comme « Tu désires que je tète ton sein parce que cela te
fait plaisir ». Autrement dit, l’émetteur (la mère) reçoit du récepteur (l’enfant)
son propre message sous une forme inversée.

Ce qui serait escamoté dans ce cas et qui ferait défaut au discours conscient
serait le plaisir sexuel ou érotique que la mère retire du fait de donner le sein à
son enfant, collant ainsi son désir au besoin de l’enfant. Voilà ce que disait
F. Dolto sur le rôle des mères dans un entretien : « On impose une névrose expé-
rimentale à l’enfant en voulant qu’il soit maître de ses besoins comme si c’étaient
des désirs, alors que ce sont des besoins, mais ce besoin est dans le désir de la
mère. Et c’est ça quand tu parles de la mère qui n’a pas reçu la castration, c’est
que pour elle les besoins font partie de son désir, alors que les besoins d’un autre
ce n’est pas son affaire, ce n’est pas celle de l’éducation par la mère.15 »

C’est très souvent autour de ces repérages et distinctions entre besoin et désir,
entre les parents et l’enfant, que nous sommes sollicités en tant qu’accueillants à
la Maison Verte, en essayant de faire valoir que « le désir de communication
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émotionnelle subtile précède […] le besoin d’une assistance substantielle 16 ».

Nous avons, en tant que lieux d’accueil et d’écoute de la petite enfance, une
grande responsabilité, car si notre rôle est important dans la prévention des
troubles chez les jeunes enfants, c’est au prix d’une certaine éthique dont les
jalons ont été posés en référence à la psychanalyse et donc à l’inconscient, c’est-
à-dire au singulier de la rencontre. Cette éthique devrait nous servir pour soute-
nir les parents à résister contre cette normalisation lancinante qui s’appuie sur le
refus, voire l’éradication de la petite enfance, comme si l’on pouvait en faire
l’économie, comme si prévention infantile rimait avec liquidation de l’enfance. Il
est très difficile de lutter sur ce plan, car dans notre pratique au quotidien, c’est

14. Ibid., p. 258.


15. F. Dolto, J.-P. Winter, Les images, les mots, le corps, Paris, Gallimard, 2002, p. 74.
16. F. Dolto, Au jeu du désir, Paris, Le Seuil, 1985, p. 273.
L A MAISON VERTE : UN DISPOSITIF À LA PORTÉE DE L’ENFANT 239

sur ce terrain que nous sommes sollicités par rapport aux enfants : comment faire
pour minimiser les séparations, les rendre indolores, comment accélérer les acqui-
sitions, la capacité d’autonomie, éviter les conflits ? Bref, comment avoir l’enfant
parfait et être en retour le parent modèle ? C’est pour cela que la référence à la
psychanalyse et à l’inconscient est si fondamentale, car pour le dire simplement,
c’est plus de questions que se nourrissent enfants et parents que de réponses
orthopédiques dont le monde est déjà saturé. Nous le constatons par exemple
dans cette mode actuelle qui consiste à parler de « nouvelle parentalité »,
laquelle serait la résultante de certaines avancées technologiques médicales
d’une part, d’un élargissement en matière de droit de la famille d’autre part, et
enfin d’une évolution des mœurs, au point que dans certains discours sociologi-
sants, ce phénomène témoignerait en quelque sorte d’une évolution de l’espèce
humaine en matière d’institution familiale, voire de sexualité.

Mais ce que nous constatons, maintenant comme il y a trente ans déjà, c’est
que la parentalité relève plus du champ de la sociologie que de celui de la
psychanalyse, et que la meilleure preuve que nous puissions en avoir est que les
enfants continuent, eux, à poser leurs questions en référence à la Loi (de l’inter-
dit de l’inceste) et non aux règles « qui légalisent les rapports et les échanges
entre les sujets d’une même communauté »17.

Enfin, concernant la question du cadre, je pense qu’il y a une véritable mine


de recherches à mener dans ce que l’on pourrait appeler des dispositifs, tel celui
de la Maison Verte et d’autres sûrement. Ces dispositifs, sans correspondre à ce
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que Freud appelait dans son introduction au livre de August Aichhorn18 une
« situation analytique », n’en constituent pas moins une pratique dont il ne
désespérait pas qu’elle converge avec l’intention de l’analyse.

RÉSUMÉ
Créée en 1979, la Maison Verte est un dispositif original d’accueil des jeunes enfants et des
parents, dont la pertinence n’a jamais été démentie. Lien social et subjectivation du jeune
enfant sont les deux fils qui sous-tendent la rencontre lors des après-midi d’accueil. Psycha-
nalyse et socialisation sont les deux axes que nous tenons pour maintenir ouverte la ques-

17. J. Dor, Le Père et sa fonction en psychanalyse, Point Hors ligne, 1989, p. 20.
18. A. Aichhorn, « Préambule à la première édition (1925) par S. Freud, dans Jeunes en
souffrance, psychanalyse et éducation spécialisée, Paris, Éditions du Champ social, 2000,
p. 7-9.
240 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 18 •

tion de l’inconscient et donc du sexuel infantile, tant du côté de l’enfant que de l’adulte.
En trente ans, la société et les modes de vie ont changé, mais force est de constater que les
enfants, eux, posent toujours les mêmes questions à partir de la sexualité infantile et en
référence à la loi de l’interdit de l’inceste.
MOTS-CLÉS
Maison Verte, prévention, lien social, subjectivation, sexuel infantile, psychanalyse.
SUMMARY
Founded in 1979, the “Maison Verte” (Green House) is an original welcome facility for
young children and parents whose relevance remains unchallenged. Social bond and
subjectification of the young child are the two vital leads behind the encounter that
happens every afternoon. Psychoanalysis and socialization are the two axes that we hold
on to in order to keep the question of the unconscious open and thus of infantile sexuality
for both sides, the child and the adult. In thirty years, society and lifestyles have changed,
but it is clear that children themselves pose the same questions from infantile sexuality with
reference to the incest prohibition law.
KEY-WORDS
« Maison Verte », prevention, social bond, subjectification, infantile sexuality, psychoanalysis.
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