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Gérard Farjat
Dans Revue internationale de droit économique 2005/4 (t. XIX, 4), pages 431 à 455
Éditions Association internationale de droit économique
ISSN 1010-8831
ISBN 2-8041-4757-6
DOI 10.3917/ride.194.0431
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Gérard FARJAT*
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Résumé : Compte rendu des ouvrages suivants
MAITRE Grégory, préf. MUIR WATT Horatia, La Responsabilité civile à l’épreuve
de l’analyse économique du droit, Paris, L.G.D.J., coll. Droit & Économie, 2005,
315 p.
LE TOURNEAU Philippe, L’Éthique des affaires et du management au XXIe siècle,
Paris, Dalloz, Dunod, 2000, 269 p.
DELMAS-MARTY Mireille, Le Relatif et l’universel : les forces imaginantes du droit,
Paris, Seuil, coll. La Couleur des idées, 2004, 440 p.
FRISON-ROCHE Marie-Anne, BONFILS Sébastien, Les Grandes questions du droit
économique : introduction et documents, Paris, PUF, coll. Quadrige Manuels, 2005,
440 p.
SUPIOT Alain, Homo juridicus : essai sur la fonction anthropologique du droit,
Paris, Seuil, coll. La Couleur des idées, 2005, 333 p.
1 Introduction
2 Bibliographie
2.1 La France s’ouvre au couplage droit-économie
2.2 À propos de quelques ouvrages
3 L’évolution du monde, le fondamental et le système juridique
3.1 Le système juridique et les autres
3.2 Des bouleversements mondiaux sans précédent
3.3 Quelle place pour le système juridique ?
* Professeur émérite à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, membre du Credeco, Gredeg FRE 2767
(CNRS)
1 INTRODUCTION
Nous avons trois raisons de présenter cette chronique. D’abord, parce que nous
bénéficions, grâce à Dieu (peut-être par l’entremise de l’Université catholique de
Louvain ; si tel est le cas, qu’elle en soit remerciée), d’une retraite qui perdure. Et les
retraités, s’ils se sont retirés des combats, peuvent au moins rendre compte des luttes
menées par ceux qui sont toujours sur le terrain ! D’autant plus que ces derniers ne
se précipitent pas pour rendre compte des ouvrages produits par la concurrence… La
deuxième raison est l’existence de textes français de qualité. Ce qui n’a pas toujours
été évident. Nous pensons à l’observation faite, il y a quelques années, par un collègue
belge qui n’est pas membre de notre association (nul n’est parfait !) : « Vous autres,
Français, n’avez rien à dire sur l’évolution du système juridique à l’échelle mondiale,
et d’ailleurs, vous ne dites rien. Comment ne nous tournerions-nous pas vers la
doctrine américaine ? » Or des textes de qualité existent et des initiatives importantes
sont prises dans notre pays. Leur origine est le plus souvent féminine. Ce qui n’est
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pas une surprise, mais nous remplit d’aise. « La femme est l’avenir de l’homme »,
disait Aragon. Enfin, la troisième raison est que nous pensons qu’un des principaux
rôles de notre revue, notamment en raison de son caractère international, doit être
d’informer sur les productions doctrinales qui concernent le droit économique. Et ce
d’autant plus que cette discipline ne bénéficie pas, au moins en France, d’une
véritable reconnaissance, quand elle ne fait pas l’objet d’une véritable hostilité (dont
il convient aussi de rendre compte)… Mais il appartient aussi à notre revue de parler
de ce que l’on peut appeler le droit fondamental, c’est-à-dire, selon nous, aussi bien
les concepts fondateurs (les obligations, la propriété) que les concepts récupérés ou
fondés par le droit au fil du temps (tels les droits de l’homme). Pourquoi les juristes
de droit économique sont-ils concernés par le droit fondamental ? Parce que la
discipline de droit économique sent le soufre sur ces deux points, les concepts
fondateurs et le droit fondamental… Et qu’en tout état de cause, vu l’importance, si
ce n’est l’hégémonie, du système économique, notre discipline mène à des interro-
gations fondamentales, qu’il convient de ne pas éluder. Après la bibliographie qui
nous a inspiré (2), nous tiendrons quelques propos sur l’évolution du monde, le
fondamental et le système juridique (3).
2 BIBLIOGRAPHIE
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droit, 315 p. ; Irina Parachkevova, Le Pouvoir de l’investisseur professionnel dans
la société cotée, 264 p.
Avant de rendre compte de l’ouvrage de Grégory Maitre sur la responsabilité
civile, signalons l’ouvrage Aspects économiques du droit international privé (ré-
flexions sur l’impact de la globalisation économique sur les fondements des conflits
de lois et de juridictions)1. L’auteur, Horatia Muir-Watt, a la double nationalité et la
double culture, anglaise et française, ce qui est une excellente illustration d’un autre
doublet : le droit et l’économie.
1. Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, Leiden, Nijhoff, 2004, 383 p.
434 Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental
économique. C’est pour nous, venant d’un jeune auteur, une confirmation de l’utilité
de l’approche systémiste. Grégory Maitre se réfère, à juste titre, à Luhmann et
Teubner et aux caractères des systèmes : autoréférentiels, autorégulés et
autopoïétiques. Ce dernier trait, qui implique qu’« un système est en perpétuelle
évolution », explique, nous semble-t-il, une des raisons de l’hostilité au systémisme
des intégrismes de tout poil.
L’analyse économique du droit est une méthodologie et non une théorie du droit,
insiste-t-il. Et ses propositions à cet égard ne devraient entraîner aucune protestation
de la part des juristes « ouverts ». Cette analyse peut se placer dans une perspective
comparatiste : « L’étude des interactions entre droit et économie correspond en
réalité à leur comparaison. » Et comme toute étude comparative, elle est
enrichissante. Elle relève presque d’une hygiène spirituelle pour le juriste : « La
qualité principale de l’analyse économique du droit est de permettre au juriste,
comme à l’économiste, de “sortir” de son cadre habituel de réflexion » (p. 13). Elle
permet d’enrichir le système juridique lui-même, qui, comme tout système, en a
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besoin. « Dans la mesure où le système est une représentation schématique d’une
réalité infiniment complexe, qu’il contribue ainsi à réduire, il n’est pas capable de
traduire exactement cette réalité » (p. 9). L’analyse économique du droit apparaît à
l’auteur comme « particulièrement pertinente dans l’optique subversive dans la-
quelle elle s’inscrit ». C’est en cela d’ailleurs qu’elle peut rencontrer l’hostilité de
juristes qui rattachent le droit à la religion, comme Alain Supiot, dans l’ouvrage que
nous commentons ci-dessous.
Enfin, « aucun ouvrage d’analyse économique du droit n’a formellement défini
le protocole à respecter afin de mettre en œuvre cette discipline ». Le « mouvement »
connaîtrait « de nombreuses tendances, souvent complémentaires, parfois oppo-
sées ». Et, à moins qu’elle ne dépérisse, la « science » économique évoluera. Sans
parler des discours, intéressés ou non, qui en tiennent lieu. Bien que Marx soit passé
de mode, il faisait cependant de l’analyse économique du droit.
Que nous apporte l’analyse économique de la responsabilité civile ?
C’est à une analyse totale que se livre l’auteur. Dans une première partie,
consacrée au « noyau de la responsabilité civile », il envisage l’ensemble des
fondements possibles de cette responsabilité. Parmi ceux-ci, il en retient un, dont il
présente le fonctionnement. La seconde partie est consacrée à « la périphérie de la
responsabilité civile ».
Dans la première partie, l’auteur passe donc au crible de l’analyse économique
(les coûts de transactions, le théorème de Coase notamment) tous les fondements de
la responsabilité civile qui ont été proposés. Il lui semble nécessaire, pour la
cohérence du système, de concevoir une justification unique de la responsabilité
civile (délictuelle et contractuelle), sauf à retenir l’hypothèse qu’il existe plusieurs
régimes de responsabilité. Et comme, pour les économistes, la responsabilité civile
est construite autour d’une structure incitative, il lui « semble possible de considérer
que le fondement de la responsabilité civile réside dans l’incitation des responsables
Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental 435
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économique préconise l’emploi de la responsabilité pour faute pour les hypothèses
dans lesquelles l’auteur du dommage (comme la victime elle-même, à qui la même
analyse s’applique) était en mesure d’influer significativement sur la réalisation ou
l’étendue du dommage (…) une personne est responsable dès lors que le fait
dommageable lui est imputable, c’est-à-dire qu’elle était en mesure d’en prévenir la
survenance ou l’ampleur. » Citons encore Horatia Muir-Watt : « Le changement
consiste à introduire une dimension collective dans un rapport perçu traditionnelle-
ment comme purement intersubjectif », et, observation particulièrement intéressante
pour le droit économique, « la responsabilité tend progressivement à devenir un
instrument de gestion des dommages massifs », ce qui « oblige à s’interroger sur les
frontières qui séparent la sphère privée du droit public ».
C’est la seconde partie sur « la périphérie de la responsabilité » qui paraît la plus
à même d’être soumise à une analyse économique, singulièrement lorsqu’il s’agit de
« l’impact budgétaire de la responsabilité civile » (titre I, p. 153-226). L’auteur
s’interroge d’abord sur les rapports entre « incitation et réparation » (chapitre 1). Il
constate que « l’analyse économique se révèle globalement compatible avec les
grandes orientations du droit français de la réparation ». Ce qui montre que,
contrairement aux craintes des traditionalistes, l’analyse économique ne bouleverse
pas nécessairement les solutions du droit positif. Mais c’est évidemment l’assurance
(chapitre 2) qui est devenue le lieu décisif des solutions rationnelles de la responsa-
bilité, et le champ le plus opportun d’une analyse économique du droit. Grégory
Maitre est amené à s’interroger sérieusement sur la question de la
« déresponsabilisation », généralement rattachée à l’assurance de responsabilité,
puisqu’il attribue à celle-ci un fondement incitatif. Rejoignant les observations d’une
recherche précédente 2, il considère que cet effet pervers de l’assurance de respon-
sabilité est limité par des procédés qui « compensent la négligence accrue de l’assuré
en l’incitant à une prévention plus active du dommage » : les franchises et la clause
de réduction-majoration. C’est en « tiers impartial et désintéressé » qu’il mène son
analyse « économique ». C’est pourquoi, même si son souci est celui de l’indemni-
sation des victimes, et plus encore celui de la prévention des dommages, il s’intéresse
aux difficultés des compagnies. Il s’interroge sur les causes de la crise de l’assurance
responsabilité, notamment « l’altération du caractère probabilitaire du risque de
responsabilité civile » et « l’accroissement de la variance du risque de responsabi-
lité », ainsi que les moyens d’y faire face (la clause réclamation) (p. 219).
Surtout, le déplacement de l’assurance directe de la victime éventuelle vers
l’assurance de responsabilité aurait déstabilisé celle-ci. Cette dernière, « lourde à
gérer pour l’assureur », présente un coût pour l’assuré « supérieur à celui que
représenterait l’assurance directe de la victime ». La hausse des coûts de l’assurance
pourrait avoir une conséquence sur les coûts de certains produits et services et en
priver certaines personnes à revenu faible. Enfin, « l’assurance de responsabilité
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bénéficie plus aux victimes riches, alors qu’elle est principalement financée par les
personnes à revenus plus modestes, qui payent indirectement une prime trop élevée,
compte tenu du risque auquel elles correspondent » (p. 225).
Le titre consacré à « la résolution du litige en responsabilité » n’est-il pas hors
sujet lorsque l’auteur traite des protagonistes du litige (chap. 1, p. 229 et suiv.) ? On
peut considérer qu’il nous livre deux thèses en une. Mais lorsqu’il envisage les
influences de l’avocat et du juge sur la solution du litige, il ne peut aller au fond des
choses. Il nous donne simplement une illustration du type de questions que l’analyse
économique du droit peut amener à considérer. Par exemple, le principe de désinté-
ressement et le basculement de la profession d’avocat dans l’économie de marché.
Quelle est la rémunération qui assurera la meilleure défense ? Ne faut-il pas remédier
à l’opacité de ce marché ? En ce qui concerne le juge, que l’économie du droit
considère comme « un être humain parmi d’autres » pour ses éventuelles faiblesses
(p. 254 et suiv.), l’auteur demeure prudent et convient que l’économie du droit
n’apporte parfois pas de réponse satisfaisante. Les développements les plus convain-
cants concernent les lacunes sur l’information des parties pour leur stratégie (avec
l’évocation de la procédure de discovery). Les observations sur « les différents
modes de règlement du litige » sont brèves (p. 261-282). Elles sont justifiées,
notamment par la perspective adoptée par l’auteur : la fonction préventive de la
responsabilité ne sera pleinement assurée que si sa mise en œuvre est aisée. L’auteur
a raison de relever l’intérêt des modes alternatifs de règlement des conflits, y compris
la conciliation et la médiation (p. 279). Si certains présentent de réels dangers, ils
n’en présentent pas moins la seule solution pour les « pauvres » et les petits litiges
(et on est vite pauvre devant les charges et la lenteur du contentieux !) 3. L’auteur
3. Jean-Baptiste Racine (coord.), Pluralisme des modes alternatifs de résolution des conflits, plura-
lisme du droit, Lyon, L’Hermès, 2002, 317 p.
Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental 437
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dommages massifs dans une société du risque qui est aussi une société inégalitaire
dans la protection des droits ? G. Maitre offre une thèse constructiviste, une thèse
courageuse à l’époque où l’ultralibéralisme rejoint souvent les solutions traditionnel-
les des académies du droit.
4. Les actes de ce colloque doivent paraître dans la collection des travaux du centre René-Jean Dupuy
pour le droit et le développement de l’Université Senghor d’Alexandrie, aux éditions Bruylant
(Bruxelles).
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réel ». Il relève justement que « si “le droit vient au monde par la discorde”
(Héraclite), l’éthique rétablit harmonie et concorde ». Le défi du XXIe siècle « sera
de parvenir à créer une harmonie mondiale, grâce à la solidarité, permettant à tous les
pays de participer au développement ».
Il offre enfin une référence heureuse à l’esthétique, dont nous partageons la
pertinence : « L’éthique est aussi une esthétique. » L’auteur cite Saint-Exupéry :
« Créer le navire, c’est donner aux hommes le goût de la mer. » Il poursuit : « Qui sait
si à force de parler d’éthique, même dans une vue désintéressée, les intervenants du
marché ne finiront pas par épouser une authentique morale, créatrice de “sens” ? »
Ce discours est assez éloigné des discours dominants en droit des affaires.
Philippe Le Tourneau « éprouve parfois l’étrange sentiment d’être comme un
étranger dans le monde de ce temps, et de vivre dans une sorte d’isolement ». Il est
loin d’être seul à se sentir seul, intellectuellement seul. Mais il échappe à la
« fraternité des pessimistes », concept qui, nous semble-t-il, a été créé par le grand
Arthur Koestler 5. Nous l’envions ! Il rend hommage aux jeunes : « Par certains côtés,
les jeunes sont nos maîtres. Ils nous sortent de nous-mêmes, de nos habitudes,
routines et opinions. Une vaste tâche attend l’ardente jeunesse : celle d’édifier de
nouvelles valeurs ainsi qu’une civilisation inédite, solidaire et respectueuse de
l’homme » (p. 258). Il est heureux que des enseignants du « supérieur » tiennent un
tel discours à des étudiants qui sont, la plupart du temps, placés par leurs « maîtres »
sous la « loi naturelle » de la compétition, et qui, à la première difficulté, se
réfugieront dans les fois frivoles ou sectaires.
Toute notre sympathie est acquise à Philippe Le Tourneau, que nous ne
connaissons que sur pièces. Je crois que lui et moi relevons de cette alliance que
5. Dont vient de paraître une nouvelle biographie, qui est aussi un bon rappel historique : Michel Laval,
L’Homme sans concessions : Arthur Koestler et son siècle, Paris, Calmann-Lévy, 2005, 706 p.
Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental 439
célébra jadis ce coquin d’Aragon – mais nul n’est coquin « absolument » – : l’alliance
de ceux qui croient au ciel et de ceux qui n’y croient pas.
L’éthique est une belle question méprisée par beaucoup. Mais que n’ont-ils pas
méprisé à l’époque, infiniment plus rude que celle que nous connaissons, des lois
raciales et des génocides ?
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reconnaissance la plus convaincante, celle d’autorités extérieures au droit, celle du
Collège de France et celle de l’étranger, comme bien peu de juristes français.
Mais c’est dans la recherche de la construction d’un ordre juridique international
qu’elle a développé ses travaux les plus marquants. Son Pour un droit commun (Paris,
Seuil, 1989, 305 p.) a été traduit en anglais en 1994. Surtout, Trois défis pour un droit
mondial (Paris, Seuil, 1998, 200 p.) a connu une version chinoise (en 2000), une
version brésilienne (en 2002) et une version anglaise (en 2003). Quel auteur
« académique » français peut revendiquer un tel succès ?
Notre auteur a foi dans « les forces imaginantes du droit ». Et elle voit juste quand
elle écrit : « Tout se passe comme si le droit était devenu, ou supposé devenir, le
substitut des religions, des idéologies et, comme tel, seul fondateur du sujet (en
d’autres termes) le droit pour instituer l’homme. »6 À un moment donné de son
itinéraire, elle écrit que, vu la diversité et la faiblesse des religions, c’est le droit qui
peut jouer le rôle d’un élément unificateur dans la société internationale. Mais quel
en est le contenu ?
Le présent ouvrage est consacré à la tension entre le relatif et l’universel. Face
au relativisme des droits nationaux se manifeste un universalisme juridique : les
droits de l’homme, les droits du marché, le droit des crimes contre l’humanité, les
biens communs. Et c’est une question fondamentale qu’elle évoque dans un chapitre
consacré aux valeurs conflictuelles (p. 121) : « Peut-on construire une communauté
de droit sans communauté de valeurs ? » Alors qu’on assiste à un accroissement des
inégalités et à un conflit entre valeurs marchandes et non marchandes, Mireille
Delmas-Marty rappelle la distinction faite par Kant entre la dignité et le prix. En cas
de conflit, c’est la dignité qui devrait l’emporter. Mais elle constate que, dans le
contexte actuel, la mondialisation semble privilégier « valeurs marchandes et procé-
dures au détriment de l’éthique et de la justice substantielle ».
Et qu’en est-il de l’ineffectivité des normes ? Quid du fait que certains respon-
sables aux États-Unis préféreraient l’untilatéralisme à l’ONU en raison de cette
ineffectivité ? En réalité, pensons-nous, la situation est plus grave. Les États-Unis en
sont venus à une politique unilatérale (Irak) et au bilatéralisme aux dépens même de
l’OMC, qui est efficace, mais qui, fidèle à son rôle de « tiers impartial et désinté-
ressé », leur a parfois donné tort.
Mireille Delmas-Marty considère le statut de la femme en pays d’islam (p. 137).
Elle mentionne un des aspects du conflit : « À l’humanisme laïc des textes de l’ONU,
ainsi que des conventions européenne, américaine et africaine des droits de l’homme
s’opposent la Déclaration islamique et la Charte arabe qui ne séparent pas la religion
du droit » (p. 139). Mais elle ne tranche pas. Elle évoque la réponse classique de
toutes les religions qui ont légitimé l’inégalité des deux sexes : « L’homme et la
femme sont placés sur un pied d’égalité face au Seigneur, mais à des places
différentes. La discrimination qui relève de la volonté divine n’est pas attentatoire à
la liberté. » Le débat ne semble pas possible, note Mireille Delmas-Marty. Certaine-
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ment. Nous aurions aimé qu’elle le dise avec plus de force. Le statut de la femme dans
certaines interprétations de l’islam n’est pas admissible à l’âge contemporain du
monde. Nous exprimons une pensée qui est celle des minorités éduquées du monde
musulman. Notamment celle de la société civile tunisienne que l’auteur et nous-
même connaissons bien. En ce qui concerne l’Afrique noire, l’excision, elle, relève
du statut du cannibalisme. La polygamie – fort différente de la liberté des mœurs en
Occident (les Occidentaux prennent des maîtresses, mais utilisent des préservatifs)
– est, entre autres, un obstacle au développement.
Enfin, il nous paraît hors de doute que les sociétés humaines ne sont pas toutes
arrivées au même degré de maturité. Et n’est-ce pas, Mireille, un bel obstacle sur la
voie de la construction d’un ordre juridique transnational ? C’est sans doute un
obstacle surmontable. Les pays développés connaissent eux-mêmes des franges de
populations de toutes les religions qui ne sont pas à l’heure. Et surtout, il y a la
tendance hégémonique du système économique. Mireille Delmas-Marty la connaît.
À plusieurs reprises dans son œuvre, elle mentionne la dualité des processus qui
viennent du système juridique pour bouleverser le monde : les droits de l’homme et
le droit économique : « Il faut apprendre à conjuguer économie et droits de l’homme
pour inventer un droit commun réellement pluraliste. »7
L’économique à lui seul joue un rôle unificateur. La femme voilée ? Il y a
quelques mois, en Égypte, nous contemplions ces jeunes filles aux voiles harmonieux
qui embrassaient leurs amoureux comme en Europe. Nous n’en doutons pas : le
marché balaiera ces frivolités, traditionnelles d’un système religieux. Le problème
est au contraire celui de la survie des cultures devant le rouleau compresseur des
médias.
7. Trois défis pour un droit mondial, p. 10. « Reconnaître l’interdépendance entre l’économie et les
droits de l’homme », p. 44-74.
Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental 441
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FRISON-ROCHE Marie-Anne, BONFILS Sébastien, Les Grandes Questions du
droit économique : introduction et documents, Paris, PUF, coll. Quadrige Manuels,
2005, 440 p.
L’ouvrage est d’une toute autre nature que ceux que nous envisageons dans la
présente chronique. Il ne s’agit pas de réflexions sur le monde où nous vivons ou
d’exploration d’un avenir incertain. Il s’agit de la transmission du peu que nous
savons. Ce qui n’est pas rien. Si nous insistons, c’est que cet autre ouvrage est, à notre
avis, d’une réussite rare.
Le projet de ce manuel reposait sur un pari. Non pas parce qu’il concerne les
rapports entre le droit et l’économie. L’exercice est familier à nombre d’entre nous.
Mais parce qu’il s’agit d’un manuel. La qualification a même retardé notre prise de
connaissance jusqu’aux heures creuses des vacances. D’autant plus que nous avions
des doutes sur les chances de réussite d’un ouvrage qui prétendait exposer tant à des
économistes qu’à des juristes le couplage droit-économie.
Le projet est réussi. Il s’agit bien d’un « manuel », mais c’est surtout un ouvrage
d’ouverture qui peut effectivement permettre à des économistes soucieux d’éclairer
de multiples aspects des situations où l’économique est largement construit par le
droit, et à des juristes de s’initier à la discipline, hérétique par rapport à leur formation
disciplinaire traditionnelle, du droit économique. Mais à quel public se destine cet
ouvrage ? Les auteurs enseignent à Sciences-Po. Ils ont le meilleur auditoire de
l’enseignement supérieur français.
Les facteurs de la réussite de l’ouvrage résident moins dans les grandes questions
retenues que dans les méthodes utilisées.
Il n’y a pas de surprise quant aux questions retenues. Les chapitres sont
classiques : 1) Généralités sur le droit économique ; 2) L’entreprise ; 3) Les difficul-
tés des entreprises ; 4) Les règles communes aux différentes sociétés ; 5) La société
anonyme ; 6) Les autres formes sociétaires ; 7) Le droit du marché financier ; 8) Le
droit civil de la concurrence ; 9) Le droit du marché concurrentiel.
442 Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental
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d’en savoir plus. C’est un manuel d’appel. Nous posions la question du public
possible. Dans les masses d’étudiants en économie ou en droit soumis à un
enseignement de plus en plus « primaire », positiviste et conformiste, il existe des
esprits curieux et critiques qui n’ont pas eu les moyens d’accéder aux quelques lieux
privilégiés d’enseignement supérieur. Et puis, l’ouvrage est utile à ceux qui ont en
charge une tâche de communication qui implique une information interdisciplinaire
droit/économie. Sans parler du public cultivé pour qui le livre est accessible.
Quant au « fond » du discours, nous relevons que le droit est très justement
présenté comme un système : sans dépendance de principe quant aux règles non
juridiques, et apte à engendrer des solutions pour des situations nouvelles. Mais il est
« poreux » vis-à-vis de faits et de normes d’autre nature. C’est évoqué brièvement et
simplement, mais on mentionne des travaux de Luhmann et Teubner. Indépendam-
ment des structures qu’il a fournies à l’économie (la propriété, les obligations), le
droit détermine des limites. Le système économique ne peut être abandonné à lui-
même : il doit être régulé.
Disons pour finir que l’une des qualités de l’ouvrage qui entraîne notre sympa-
thie est sa distanciation vis-à-vis du droit positif. Les auteurs ne font pas silence sur
les phénomènes de pouvoir (p. 168 notamment), décisifs et pourtant ignorés par la
doctrine dominante. « La concurrence tue la concurrence » (p. 11). « Certaines
multinationales, plus puissantes et ayant pouvoir sur davantage d’individus que bien
des États » : on le sait, mais est-il fréquent d’attirer l’attention des lecteurs sur ce fait
fondamental dans les ouvrages de droit ? La société commerciale est une « cité
politique », « le pouvoir politique est concentré pour une durée illimitée entre les
mains des dirigeants sociaux » (p. 169). Mais sur quelle légitimité s’appuie-t-elle ?
Il ne s’agit certes pas de la démocratie (mais l’ouvrage donne la parole à la doctrine
qui s’attache encore à ce vieux mythe) : le vote dépend de la quotité du capital détenu.
Le risque qui grandit avec les parts détenues ? « Peut-être ne faut-il pas penser en
termes politiques, mais en termes d’efficacité et d’organisation, ce qui entraîne vers
Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental 443
une réflexion sur les contre-pouvoirs techniques, tel le commissaire aux comptes, et
sur l’organisation de l’information » (p. 170). Ce qui nous paraît parfaitement
raisonnable en l’état universel du système économique contemporain. De même, est-
il raisonnable de noter qu’« il est des arbitrages de nature quasi politique, que les
autorités de la concurrence ne peuvent pas opérer » (p. 427) : saine reconnaissance
du domaine propre du système politique. Sans doute sommes-nous personnellement
plus critique. Nos auteurs apprécient avec humour la « notion d’entreprise reçue par
le droit : (des) efforts mais peut mieux faire » (p. 83). Nous ferions quant à nous une
part au « mythe » de l’entreprise, mais il est vrai qu’il joue surtout un rôle idéologi-
que.
Pour conclure, on est en présence d’un nouveau type de manuel, aux antipodes
de ceux sur lesquels nous étudiions dans notre période de formation. Nous voudrions
en persuader nos lecteurs : si nous lui avons consacré un peu de temps, c’est vraiment
parce que nous avons là, nous semble-t-il, un remarquable outil pédagogique.
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SUPIOT Alain, Homo juridicus : essai sur la fonction anthropologique du droit,
Paris, Seuil, coll. La Couleur des idées, 2005, 333 p.
Cet ouvrage remarquable, que devraient lire tous ceux qui s’intéressent à la
philosophie du droit, nous pose quelques problèmes.
Le commentaire d’un tel ouvrage a-t-il sa place dans notre revue ? À l’évidence,
l’auteur n’aime pas le droit économique, qu’il ne mentionne pas parmi les disciplines
juridiques (p. 323). Mais on ne s’arrêtera pas, on s’en doute, à cette objection. Ce qui
nous gêne, c’est que ce qui est en cause dans l’ouvrage d’Alain Supiot est,
implicitement, le lien social et le jeu des différents systèmes qui le composent. Ne
sommes-nous donc pas « hors sujet » à l’égard de la revue ? Non, car nous sommes
intimement convaincu qu’un juriste qui s’intéresse au droit économique a bel et bien
quelques questions de philosophie du droit à se poser s’il n’est pas enfermé dans le
droit du marché et le marché du droit. Le problème est ailleurs. Nous venons de
« sortir » un ouvrage sur le couplage droit-économie et nous projetons d’en écrire un
autre sur le lien social à l’heure où les Lumières vacillent. Or nos propres conceptions
et convictions sont, généralement, à l’opposé de celles d’Alain Supiot. Ce qui va nous
amener à critiquer vivement certaines de ses affirmations. Une première lecture de
l’ouvrage, extrêmement rapide, nous avait enthousiasmé. La seconde a mis en
évidence des oppositions fondamentales. Mais avant d’en venir à celles-ci, exposons
les raisons de la séduction de cet essai.
On est emporté par un ouvrage au style vif et clair, à l’exposé rigoureux, soutenu
par des convictions fortes, animé par un esprit critique, étayé par de nombreuses
références bibliographiques éclectiques et de haute qualité, sans temps mort. À
l’évidence, le fruit d’années de travail et de réflexion. Au plan de la conception
d’ensemble, des méthodes d’exposé, de la construction de l’ouvrage, c’est un
modèle. Si bien qu’après la première lecture, nous avons été soulagé en estimant
qu’au moins, nous avions encore des choses à dire quant au fond dans notre ouvrage
en construction !
444 Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental
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la façon de penser chinoise grâce aux grandes analyses (J. Needham, le maître Granet,
Vandermeersch), qui nous ont fait changer d’opinion sur la « nature » du droit. Mais
même la « loi de l’islam » trouve grâce à ses yeux. Nous sommes moins indulgent et
nous pensons, comme nos nombreux amis du Maghreb, que religions et peuples du
monde ne sont pas tous parvenus au même âge historique.
En ce qui concerne le système juridique, Alain Supiot condamne avec raison,
comme nous-même, le « positivisme » et l’assimilation de la discipline juridique à
une science8.
Enfin, parmi les éléments positifs de fond, nous apprécions de nombreux
développements, notamment le chapitre consacré à la force obligatoire de la parole,
ainsi que le dernier chapitre de l’ouvrage intitulé : « Lier l’humanité : du bon usage
des droits de l’homme ».
Alors, où sont les divergences entre la pensée de l’auteur et la nôtre ?
D’abord, et essentiellement, quant au statut de la science. Nous sommes
littéralement sidéré par certaines affirmations d’un auteur de cette qualité. D’où sont
venus les totalitarismes du XXe siècle, le nazisme et le socialisme ? Du scientisme,
ou tout au moins des « dérives scientistes », « qui avaient conduit à discriminer les
hommes selon une prétendue identité de race, de classe ou de gènes » (p. 185). « Les
systèmes totalitaires qui ont marqué le XXe siècle permettent de voir où se situe le
point délirant du projet de régulation scientifique de la société. Il ne se situe pas dans
leurs ressemblances, au demeurant nombreuses, avec des religions » (p. 104) ! C’est
une prise de position polémique et sans aucun fondement que d’attribuer aux
totalitarismes de cette époque un projet de régulation scientifique. On le sait, le
totalitarisme communiste – qui, des deux, est celui qui se rapproche le plus d’une
approche scientifique de la société – prétendait contrôler la science (pour n’admettre
8. Dans notre Pour un droit économique, dont il a été rendu compte dans cette revue (2005, n° 1,
p. 91-96).
Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental 445
que la seule « science prolétarienne »). En réalité, les « dérives » de la science ne sont
que des discours à coloration scientifique, destinés à renforcer la légitimité des
systèmes totalitaires. Les autorités totalitaires ont obtenu quelque apparence de
légitimité comme elles ont pu en obtenir des autres systèmes, particulièrement du
juridique. Le système religieux a sans doute été le plus réticent (à noter cependant,
la « repentance » de la religion catholique, tout à fait honorable).
Alain Supiot veut bien convenir qu’« entre ceux qui se croient les instruments de
la loi divine et ceux qui se croient les instruments de l’Histoire (selon laquelle survit
la classe la plus progressive) ou de la Nature (selon laquelle seuls survivent les plus
aptes), il y a plus qu’une homologie » : selon lui, les comparaisons chiffrées des
massacres ne font pas la différence. La différence résiderait dans le fait que la loi
divine et la loi de la République s’adresseraient à l’homme comme sujet et que les lois
de la science l’envisageraient comme objet (p. 104). Les victimes des immenses
massacres de toutes les époques et de tous les lieux de la planète n’apprécieraient
guère cette différence.
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Alain Supiot n’hésite pas à affirmer que « nous vivons aujourd’hui dans une ère
“post-hitlérienne” » (p. 74). « Ayant refusé de voir ce qui en elles-mêmes avait pu
constituer les germes du totalitarisme, les démocraties ont continué de croire que
l’économie détermine en dernière instance les rapports sociaux » (p. 75). D’où vient
en définitive tout ce mal ? L’auteur reprend à son compte l’analyse de P. Legendre
selon laquelle « la science occupe désormais la place structurale d’instance du Vrai
jadis occupée par l’Église » (p. 75) 9 et considère que « la légitimation scientifique
prend ainsi la place de la Référence dogmatique » (p. 126). Aussi bien, l’évolution
et Darwin, sans parler de la « raison », reçoivent leur lot de critiques.
Nous avons mieux compris à la lecture de cet ouvrage pourquoi l’enseignement
de Darwin était interdit dans certains États des États-Unis, et qu’il doit, dans d’autres,
être nécessairement accompagné d’un enseignement biblique de la création.
Revenez, Père Teilhard de Chardin, ils sont devenus fous !
La grande faiblesse de l’ouvrage est d’ignorer la diversité et le jeu des systèmes
qui composent le lien social et de négliger la force du système économique.
Comment peut-on affirmer que la science a succédé à la religion et faire
abstraction du système politique et du système économique ? Pourtant, Alain Supiot,
dont la culture est considérable, connaît le systémisme (Luhmann et Teubner sont
cités), mais n’en retient pas le minimum, à notre avis nécessaire. On fait souvent
abstraction du systémisme, avons-nous écrit, « en raison d’une représentation quasi
totalitaire du lien social. Une représentation religieuse de la société peut amener à
considérer que le droit est, pour l’essentiel, ce qu’une société imparfaite retient de la
parole de Dieu.10 » Cette affirmation ne coïncide pas tout à fait avec le discours
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giée une causalité idéaliste : « Dès lors qu’elle s’affranchit des lois positives des États
et qu’elle croit incarner les forces impersonnelles du marché ou de la biologie,
l’action économique porte en elle tous les germes de la conception totalitaire du
droit. » La formulation est idéaliste. L’action économique ne s’affranchit pas des
lois, elle contribue (le mot est sans doute faible) à leur formation. Elle ne croit pas
incarner les forces impersonnelles, elle s’en moque. Si les forces économiques et
leurs courtisans invoquent le marché, c’est pour légitimer leur action, surtout
lorsqu’elles le violent ! La religion ? Et le marché de la foi tel qu’il fonctionne aux
États-Unis ? Vraiment, peut-on imputer à la science l’oppression et le stress qui
pèsent sur le producteur, ainsi que la conquête du consommateur ? L’extension du
marché à tous les aspects de la vie et les tentatives hégémoniques du système
économique actuel sur les autres systèmes – le politique, le religieux, le scientifique,
la culture, etc. –, méritaient infiniment plus d’attention.
Alain Supiot dirige essentiellement ses critiques contre les tentatives
d’instrumentalisation du droit par l’économie et l’analyse économique du droit ; tout
au moins celle de l’école américaine. Et ses critiques de celle-ci nous paraissent
parfaitement justifiées. Mais une analyse économique du droit peut avoir de nom-
breuses dimensions. Le marxisme constitue une telle analyse.
Et puis, s’agissant du système économique, n’a-t-il pas eu un rôle libérateur
fondamental de l’homme, et un rôle dans la construction de l’homo juridicus ? Marx,
qui n’aimait pas la bourgeoisie, l’a salué à ce titre : il a entraîné « dans le courant de
la civilisation jusqu’aux nations les plus barbares ». Portalis a vanté « l’extraordi-
naire pouvoir émancipateur du commerce à l’égard des femmes et des enfants ». Les
rédacteurs du Code civil français vantèrent l’esprit de société et l’esprit d’industrie
« qui disposent mieux chaque individu à supporter le poids de sa propre destinée »12.
Il est possible que les marchands, qui ne sont plus des marchands, mais des
organisateurs privés de l’économie, se soient emparés du Temple et que la société ne
corresponde plus au modèle du marché. C’est une hypothèse que nous formulons –
et pas notre collègue Supiot. D’où l’urgence d’un droit économique qui soumette le
système économique à un État de droit comme l’est le système politique.
Supiot est l’un des rares juristes français à s’interroger sur l’essentiel. Notre avis
est qu’il se trompe gravement de cible en visant la science. Il sous-estime la place du
système économique actuel dans la structure de l’homme et des sociétés dévelop-
pées. Et nous ne partageons pas son analyse du système juridique. Il n’empêche, au-
delà des pages éclairantes qu’il a écrites et dont nous n’avons pas rendu compte, et
des critiques que nous avons formulées, qu’il est l’un de ceux qui combattent
l’écrasement des faibles dans la société économique. Alain Supiot ne réalise pas
combien une analyse économique du droit peut permettre de remettre celui-ci sur ses
pieds et de réaliser une certaine transparence des rapports sociaux trop souvent
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recouverts par les habits et les masques formels du droit.
12. Portalis, « Discours préliminaire sur le projet de Code civil », in Écrits et discours juridiques et
politiques, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1988, p. 52, et l’article remarquable de Jean-
François Niort, « Droit, économie et libéralisme dans l’esprit du Code Napoléon », Archives de
philosophie du droit, t. 37, 1992, p. 101.
13. Esquisse d’une phénoménologie du droit, Paris, Gallimard, NRF, Bibliothèque des idées, 1981.
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savants n’ont exécuté personne, mais combien de savants ont été exécutés par les
religions et les régimes politiques ! Jusqu’aux artistes qui ont souvent dû subir
l’oppression des religieux et des politiques. Quant aux juristes, généralement, ils ont
« servi ». Ils ont servi le droit positif, de quelque pouvoir qu’il vienne.
Aussi bien, les différents systèmes sociaux vivent en harmonie et se « parlent
entre eux », suivant la formule heureuse de Teubner. Leurs divergences finissent
néanmoins par se régler, sauf lors de crises profondes, notamment lors des change-
ments dans les rapports de force entre systèmes. L’harmonie est si évidente parfois
que certains refusent la notion de système et préfèrent l’unité : la parole de Dieu, la
raison. Il n’y aurait qu’une parole fondatrice.
Revenons sur le conflit religion/science, très opportunément évoqué par notre
collègue Alain Supiot, puisqu’il agite l’opinion américaine, et gagne la France.
« Dieu contre Darwin, la nouvelle guerre civile américaine », titrait Le Monde 2 du
8 octobre 200514. Le président Bush, conformément à l’opinion de 65 % des
Américains, s’est prononcé en faveur de l’enseignement des théories de l’Intelligent
Design au même titre que celles de l’évolution. Cela dit, personne ne condamne
aujourd’hui Galilée et ne soutient que l’on devrait enseigner aussi, à côté de l’opinion
commune, que la Terre est plate. D’ailleurs, la conception de l’Intelligent Design
marque une évolution considérable dans la conception de Dieu : ce n’est plus
l’homme barbu que l’on nous a présenté dans notre enfance. Aussi bien, l’Église
catholique a admis le darwinisme avec le concile Vatican II (1962-1965), un siècle
après son apparition. Mais elle a mis plus longtemps encore à admettre le régime
démocratique. Les dialogues intersystémiques ne sont pas faciles.
Dans cet ensemble relativement harmonieux (sauf en cas de crise) qui structure
le lien social, le système juridique paraît avoir constamment un rôle auxiliaire,
14. Le Nouvel Observateur avait préalablement longuement présenté le débat dans son numéro du 23
décembre 2004, intitulé « Dieu et la science, le nouveau choc ».
Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental 449
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conscience de leur position d’arbitre dont ils peuvent espérer tirer une reconnaissance
sociale non partisane. Et puis, dans un système démocratique, il n’est pas anormal que
le « peuple » se fasse entendre dans tous les systèmes.
Il le fait essentiellement au sein du système politique, par la loi, devenue avec le
système démocratique l’une des principales sources de droit.
Alors, le système politique demeure-t-il le système dominant ? Pas nécessaire-
ment. Ce sont souvent les juges qui proposent des solutions concrètes. Et puis, le
système économique a pris le relais du système politique dans la formation du droit
contemporain. Si une bonne partie du droit contemporain des échanges vient des
« marchands », si les hommes politiques sont plus ou moins élus avec le soutien du
pouvoir économique, si l’opinion publique est « formée » par des moyens de
communication qui sont la propriété du pouvoir économique, si l’économique a une
influence dominante dans le système scientifique (l’économie « politique » prétend
être devenue la science économique, elle définit largement les orientations de la
recherche scientifique), si des principes économiques bénéficient de la reconnais-
sance des systèmes moraux et religieux (le caractère sacré de la propriété et de la
liberté du commerce, dont on peut déduire pas mal de conséquences concrètes), c’est,
en fait, que le système économique a de fortes tendances hégémoniques. D’autant
plus que le pouvoir politique peut renoncer à exercer ses prérogatives sur des
questions électoralement délicates. Et, remarque peut-être polémique, alors que les
« hommes politiques » n’ont plus la stature de la belle époque du politique.
Que devient, dans ces conditions, le système juridique ? Il sert le système
aujourd’hui dominant comme il a servi ceux qui dominaient autrefois. Il se trans-
forme avec les procédés de la régulation et fait une place au système dominant. Tous
les systèmes ont un besoin de normalisation. Et il continue à jouer un rôle de
médiation intersystémique. Mais il le fait sans doute avec beaucoup plus de
difficultés qu’autrefois.
450 Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental
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échange et d’une concurrence mondiale. Et également en raison du fait que même les
États-Unis, maîtres du jeu actuel de la mondialisation, sont exposés au jeu interna-
tional de l’économie : trois États asiatiques sont en mesure de mettre le dollar en péril.
Et, confirmation supplémentaire de la mondialisation, la mise en péril du dollar –
nous dit-on – causerait un trouble planétaire.
On sous-estime la mondialisation en ignorant, ou en feignant d’ignorer parfois,
son aspect le plus fondamental : la victoire du système capitaliste sur le système
socialiste. On ne se souvient plus – notre époque n’a pratiquement plus de mémoire
historique – du fait que la mondialisation a été, pendant quelques années, la
perspective d’un troisième conflit mondial à l’échelle planétaire et que la planète a
hésité entre deux modèles économiques. Certains affirment aujourd’hui que la lutte
des classes était une invention de Marx. Ils ont tort. Nous pouvons l’affirmer en raison
du fait que nous sommes de ceux à qui l’Histoire fournit une expérimentation
gracieuse (un des rares bénéfices de l’âge…). La lutte a bel et bien existé, mais elle
s’est terminée par la victoire de la classe des « possédants ». La chute du modèle
socialiste, et surtout les conditions dans lesquelles elle s’est produite, rendent plus
qu’improbable une relance dans un avenir proche. C’est une belle victoire.
Elle est porteuse de paix. Les vainqueurs, guerre « froide » gagnée – déjà, cette
guerre était sans précédent –, ne songent pas à en mener d’autres. Du moins, ce n’est
plus leur préoccupation. Les guerres d’aujourd’hui sont des soucis pour les gouver-
nants, même lorsqu’elles correspondent à quelque considération du passé. On
observera que les deux « blocs » étaient « internationalistes » et que cela conforte
singulièrement la mondialisation actuelle. Les non-possédants étaient aussi pour
l’« internationale ». Mais ce sont les possédants qui la réalisent.
La mondialisation a un coût et implique la prise en charge d’obligations pour les
vainqueurs. Elle demeure fragile. Pourquoi ?
Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental 451
Les pays occidentaux, menés par les États-Unis, se sont alliés avec tous les
régimes antisocialistes, qu’il s’agisse de régimes dictatoriaux ou de régimes reli-
gieux. Ils ont favorisé ceux-ci. Ils ont donné la priorité à l’économique, même s’ils
invoquaient d’abord, en vertu de la place du politique en période de transition, les
droits de l’homme, les fondements de la démocratie. D’où une seconde observation,
en passant, sur la nature première de la mondialisation : les deux blocs privilégiaient
l’économie. Alors, quelles sont les faiblesses de la mondialisation qui a réussi ?
La plus apparente n’est pas nécessairement la plus difficile à vaincre. C’est
évidemment le terrorisme. Les pays occidentaux, dans leur lutte contre le socialisme,
ont soutenu, parfois imposé les régimes religieux les plus archaïques15. Ils en payent
aujourd’hui le prix. Les pauvres du tiers-monde pensent maintenant ne pas avoir
d’avenir sur Terre avec la disparition du « paradis socialiste », et ils ont reporté leurs
espoirs sur le paradis traditionnel. Cela dit, les fanatiques peuvent causer de gros
dommages, mais ils n’ont pas d’avenir politique.
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Les problèmes les plus graves pour les sociétés contemporaines sont ailleurs.
Lorsque les soldats américains pénètrent dans des villes inondées, armés
jusqu’aux dents, le doigt sur la détente, alors que, depuis trois jours, de jeunes enfants
sont privés de nourriture, que des personnes âgées sont mortes noyées dans leur
maison de retraite, que de nombreux cadavres sont portés par les flots et que ces villes
ne sont pas en Irak, mais aux États-Unis mêmes, on doit s’interroger. Le « tiers-
monde », dont on ne parle plus, n’a-t-il pas pénétré à l’intérieur des États riches ?
Le fait que « la fortune des trois foyers les plus riches du monde (Bill Gates,
Warren Buffet et la famille Walton, propriétaire des magasins Wal-Mart) dépasse le
revenu total des 940 millions de personnes les plus pauvres »16, le fait qu’« un enfant
américain sur quatre vit actuellement en dessous du seuil de pauvreté », que le taux
de délinquance soit plus élevé aux États-Unis que dans tous les autres pays riches,
alors qu’il s’agit de « l’un des derniers pays sans sécurité sociale pour tous » et qui
est donné couramment comme modèle, tous ces faits et quelques autres sont
significatifs d’un grand désordre. Mais le plus significatif de tous est l’existence, aux
États-Unis, des « gated communities » : les riches se sont mis à fonder des villes
nouvelles, à la fois fermées aux pauvres et peuplées en fonction des groupes
ethniques. La protection, la « distinction » par quartiers n’est plus suffisante. Ils sont
trente millions à avoir choisi la formule. Et le marché est en plein développement. Le
droit n’a-t-il pas son mot à dire ?
15. Et pas seulement. Nous pensons notamment à l’Iran, où la Grande-Bretagne et les États-Unis ont
renversé le docteur Mossadegh à la suite de la nationalisation des intérêts pétroliers de ces pays, alors
que Mossadegh aurait pu être le Bourguiba de ce pays. On connaît la suite…
16. Chiffres fournis par Jeremy Rifkin, dans Le Nouvel Observateur, 16-22 juin 2005, p. 114. J. Rifkin
est président de la Foundation on Economic Trends à Washington, professeur à la Warton School,
auteur de La Fin du travail (Paris, La Découverte, 1997, 476 p.) et du Rêve européen, ou comment
l’Europe se substitue peu à peu à l’Amérique dans notre imaginaire (Paris, Fayard, 2005, 564 p.).
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Comme s’il suivait l’économique, le système juridique voit son importance
grandir dans le lien social et tendre à l’universalisme, en ce qui concerne tout au
moins le droit des affaires. C’est pourquoi ce point de vue sur la croissance du
système juridique n’est nullement utopique. D’autant plus qu’il est partagé par le
meneur de jeu actuel à l’échelle mondiale, les États-Unis.
Il est vrai que le président Bush invoque aussi l’autorité de Dieu, notamment pour
légitimer les interventions militaires. Plus on a de légitimité systémique, plus on a de
chances de s’imposer. Pourtant, le système religieux n’est aujourd’hui pas plus
qu’hier en mesure d’assurer une fonction unificatrice à l’échelle planétaire. C’était
évident hier. Aujourd’hui, il est extraordinaire d’imputer à la science le racisme nazi,
comme nous semble l’avoir fait notre collègue Supiot. C’est Luther qui préconisait
de brûler tous les juifs. C’est un village polonais qui brûla ses juifs effectivement à
l’ombre de l’occupation nazie. Les États-Unis mêmes nous montrent que l’unifica-
tion ne joue pas le rôle du système religieux. Règne aux États-Unis le marché de la
foi, ce qui montre bien que le système religieux lui-même peut être « ordonné » par
le système économique.
Le système juridique peut également privilégier le système économique. Le droit
économique – il faut bien en parler, en définitive – peut être réduit à un droit du
marché et soumis par l’analyse économique aux priorités définies par l’économique.
On peut invoquer, ce que certains ne manquent pas de faire, la sélection naturelle pour
fonder le droit de la concurrence17, voire l’inégalité. La sélection naturelle, un
nouveau (?) droit naturel ! L’insécurité des villes ? Les riches que la délinquance
gêne n’ont qu’à s’armer, recourir aux organismes de sécurité, sécuriser leurs
quartiers, fonder des villes sûres. C’est ce qu’il font. Il existe un marché de la sécurité.
Bien entendu, d’autres réponses existent, également fournies par le droit
économique.
17. Claude Lucas de Leyssac et Gilbert Parleani, Droit du marché, Paris, PUF, coll. Thémis, 2002, p. 10.
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juridique de la société, et singulièrement du système économique, en raison de son
rôle directif, et en conséquence un apport important du système juridique à la
construction de ces sociétés contemporaines. Et, malheureusement, en un demi-
siècle de fréquentation intense dudit système, nous avons constaté une certaine
incapacité à pourvoir aux « besoins » des sociétés contemporaines. Sans doute le
système juridique joue-t-il un rôle important aux États-Unis, et certains de ses aspects
sont dignes d’intérêt pour l’Europe. Mais on ne saurait dire qu’il est vraiment ouvert
à la population. Le marché du droit est fermé à l’immense majorité des sujets de droit
en raison de son coût. Le correctif, heureux en son principe, compte tenu de
l’importance des dommages massifs et des faibles moyens de l’immense majorité de
la population, de la class action a eu un effet pervers considérable : elle génère des
coûts considérables pour les entreprises à la suite de procès en responsabilité. Elles
peuvent être mises en difficulté, ou bien elles doivent augmenter leurs prix. Et les
pauvres, les particuliers à petit budget, n’auront plus accès à certains produits ou
services en raison de leur coût. D’où l’hostilité du patronat français à l’introduction
de la class action en France. En réalité, ses prétendus effets pervers viennent
d’ailleurs : de l’institution du jury (les jurys populaires sont généreux et incompé-
tents) ou encore du « marché » de la législation18. Ce qui amène à une autre
constatation qui touche au fondamental : l’institution du jury n’a pas aujourd’hui sa
place dans le système juridique. Ou c’est un souvenir formel du passé, ou bien c’est
une promotion idéologique de la démocratie. Le « peuple » est associé à la justice.
Il ne l’est toutefois pas à peu de frais. Il l’est à grands frais. Néanmoins, nul doute que
18. Lorsqu’une question dépend de la législation des États, les plaideurs tentent de soumettre leur litige,
quand un élément le permet, à la législation de l’État qui leur est le plus favorable. Grégory Maitre
le signale dans sa thèse : « La responsabilité civile relève de la législation des États aux États-Unis
et il en résulte une compétition législative » (note 76, p. 216). Horatia Muir-Watt, dans Aspects
économiques du droit international privé (voir note 1, ci-dessus), traite à plusieurs reprises du
phénomène de la concurrence législative.
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principe à l’analyse économique du droit soient de chauds partisans de la sociologie
juridique. Pourtant, l’analyse des faits est sans doute la condition fondamentale de
l’élaboration d’un droit apte à répondre aux besoins sociaux contemporains. Qu’il
s’agisse d’une analyse économique du droit, d’une sociologie du droit ou d’une
analyse juridique de l’économie, des faits économiques et des « lois » économiques,
nous sommes en présence de manifestations de l’analyse intersystémique rendue
nécessaire par les bouleversements contemporains.
Sans doute l’absence de participation directe du « peuple économique » à la
régulation fait problème, mais elle doit faire problème au peuple lui-même. C’est à
lui de s’organiser pour la défense de ses droits, comme le font les décideurs. Pour ce
qui est des juristes, il leur appartient de « juger » ou de suggérer des solutions
doctrinales en fonction des références qui sont les leurs, mais aussi des analyses de
toute nature des faits qui leur sont soumis. Les juristes sont-ils préparés à ce rôle ? Pas
vraiment, ils s’y préparent eux-mêmes. Combien de fois avons-nous entendu des
juristes d’affaires navrés de ne pouvoir, faute de temps, redresser le savoir juridique
par la communication des réalités du droit tel qu’il est vécu ! Or la régulation, même
si l’on en compose les organes avec le souci de mettre des « tiers impartiaux et
désintéressés », ne privilégie pas nécessairement les juristes. D’où l’importance de
véritables travaux de recherche en droit, alors qu’ils ne sont pas « payants » dans
l’université. D’où l’importance d’organismes comme l’AIDE, de revues comme la
RIDE. Que l’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit pas d’un militantisme politique
« larvé ». Les écrits de Ripert nous ont montré l’intérêt du droit alors que nous étions
étudiant et tenté par l’économie. Pourtant, nous n’avions aucune sympathie pour
l’homme qui avait appartenu au gouvernement de Vichy. Nous avons admiré l’œuvre
du Balte Pachoukanis, fondateur et responsable du droit économique en URSS,
jusqu’à ce qu’il soit exécuté sur ordre de Staline (et d’ailleurs le droit économique
condamné). Et Pachoukanis avait une haute opinion du juriste Hedemann, inventeur
du droit économique, qui devait régner pendant tout le nazisme sur le droit allemand.
Point de vue. Le droit, l’économie et le fondamental 455
SUMMARY
LAW, ECONOMICS AND UNIVERSAL VALUES
REVUE OF LITERATURE
MAITRE Grégory, préf. MUIR WATT Horatia, La Responsabilité civile à l’épreuve de
l’analyse économique du droit, Paris, L.G.D.J., coll. Droit & Économie, 2005, 315 p.
LE TOURNEAU Philippe, L’Éthique des affaires et du management au XXIe siècle,
Paris, Dalloz, Paris, Dunod, 2000, 269 p.
DELMAS-MARTY Mireille, Le Relatif et l’universel : les forces imaginantes du droit,
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 13/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 154.66.162.142)
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Paris, Seuil, coll. La Couleur des idées, 2004, 440 p.
FRISON-ROCHE Marie-Anne, BONFILS Sébastien, Les Grandes Questions du droit
économique : introduction et documents, Paris, PUF, coll. Quadrige Manuels, 2005,
440 p.
SUPIOT Alain, Homo juridicus : essai sur la fonction anthropologique du droit, Paris,
Seuil, coll. La Couleur des idées, 2005, 333 p.
Mots clés : analyse économique du droit, droit de la responsabilité, droit des affaires,
éthique, universalisme juridique et droits nationaux, droit économique général,
philosophie du droit, droit et anthropologie
Key-words : law and economics, tort law, liability, business law, ethics, universal
legal values towards domestic laws, regulation and business law, legal philosophy,
law and anthropology