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Paul Olivier
Dans Recherches de Science Religieuse 2005/3 (Tome 93), pages 453 à 482
Éditions Centre Sèvres
ISSN 0034-1258
DOI 10.3917/rsr.053.0453
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8-e 4, dont l’auteur propose une nouvelle traduction. Bien loin de montrer que
le philosophe dispose d’objets qui dépassent en valeur ses écrits et qu’il
réserve à leur défense orale, ce passage cherche plutôt, pour W. Kühn, à
formuler des critères pour l’appréciation d’auteurs qui passent pour des
écrivains célèbres, afin de déterminer, en examinant et en jugeant leurs écrits,
s’ils méritent ou non le nom de philosophes. Si ces auteurs, auxquels Platon
s’adresse dans le Phèdre, disposent d’un savoir dialectique et sont capables
de se défendre dans un débat, s’ils préfèrent à leurs écrits, où leur incompé-
tence philosophique est patente, le discours oral où ils pourraient montrer
leurs véritables aptitudes, alors ils méritent d’être considérés comme des
philosophes (p. 74). Il y a, dans les discours de Socrate, une double critique :
le critère de la préférence pour la parole renvoie à la critique de l’écriture,
tandis que le critère du savoir dialectique renvoie à la critique de la rhétorique.
La différence établie entre les discours médiocres et ceux de plus grande
valeur ne concerne donc pas la différence entre les textes écrits des philoso-
phes et la parole où ils exprimeraient leurs véritables conceptions, mais la
différence entre les écrits des rhéteurs et leur éventuelle production orale.
Le travail philologique minutieux de l’interprète, reposant sur une traduction
précise des textes et une lecture attentive, n’a pas seulement un intérêt
philologique, qui est grand, mais un réel intérêt philosophique. En rejetant
l’interprétation ésotériste, Wilfried Kühn donne une méthode de lecture des
dialogues qui est en même temps une interprétation, modeste mais convain-
cante, du platonisme. « Dans la mesure où les dialogues masquent leur auteur
et reviennent souvent sur des sujets déjà traités de façon critique, ils donnent à
entendre au lecteur ce qu’est l’usage philosophique du texte : déceler ses
prémisses et peser ses arguments pour avancer dans son propre discours
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Andreae par Marek Gensler ; The Concept of Time in Richard Kilvington par
Elzbieta Jung-Palczewska ; Éternité du monde et incorruptibilité des choses
dans l’Exigit ordo de Nicolas d’Autrécourt par Zénon Kaluza ; Duplex tempus.
Il duplice concetto di tempo in Alberto Magno par Ralf Blasberg ; Nicole
Oresme : i modi rerum come soluzione del problema del tempo par Fabio
Zanin.
Les deux études sur Dante et sur le Roman de la Rose, pour ne pas
concerner des philosophes professionnels, n’en sont pas moins significati-
ves ; de Dante, dont on retiendra que la vision de l’Intellect est réalisée,
c’est-à-dire complète et achevée dans sa capacité naturelle, quand elle
réussit à tenir ensemble le temps et l’éternité, la double expérience de
l’humain et du divin (p. 20) à Jean de Meung, qui préfère, à l’idéal contem-
platif qui se détourne de la Création pour ne contempler que la seule Divinité,
l’idéal actif, tourné vers la Création, voulant imiter Dieu dans son acte
créateur, courant ainsi le risque de tomber dans l’idolâtrie (p. 35), en passant
par Guillaume de Lorris, où l’expérience de l’éternité n’est qu’une façade,
celle d’un optimisme institutionnalisé qui cache un pessimisme foncier en
train de naître, Italo Sciuto et Miha Pintaric̆ nous proposent trois expériences
originales des rapports du temps et de l’éternité. Luciano Cova, qui insiste sur
l’originalité et la complexité des élaborations doctrinales de la scolastique du
XIIIe siècle en général et de Saint Bonaventure en particulier, s’interroge avec
perplexité sur le sens de la temporalité des corps glorieux : « L’idée même
d’une résurrection physique, et peut-être plus encore l’idée d’une subsistance
sans terme de la personnalité humaine, se présente comme l’annonce
lumineuse d’un don mais peut également retentir comme une condamnation :
prisonniers du temps, nous n’en serons même pas délivrés par la finitude
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influences, Al-Kindi, Al-Farabi, Avicenne pour lui donner son nom latin, mais
aussi Al-Ghazali ou Sohrawardi et bien d’autres, nous restitue tout un
monde ; Anthony Meredith, Plotinus and the Cappadocians, qui recherche,
malgré l’absence de citations explicites de l’œuvre de Plotin, comment son
influence a pu s’exercer, souligne la difficulté, par delà des similitudes
verbales, de déterminer une influence réelle ; Friedric Niewöhner, Polis und
Madina-Averroes’Platon-Lektüre, rappelant que l’original arabe du commen-
taire de Platon est perdu et que nous ne l’avons conservé qu’en hébreu,
s’interroge sur la compatibilité du commentaire d’Averroès avec la loi
islamique ; Rudolf Rieks, Konstanten paganer Ethik bei Augustinus s’inter-
roge sur les rapports d’Augustin avec la morale et la culture gréco-romaine ;
Christian Schröer, Boethius-der erste Scholastiker souligne l’importance
préparatoire de l’œuvre de Boèce et Bernhard Steinhauf, Der Umbruch
antiker Bildung in der ausgehenden Spätantike bei Cassiodor, tente de situer
l’œuvre de Cassiodore ; Gotthard Strohmaier, Griechische Philosophen bei
den Arabischen Autoren des Mitelalters, recherche pourquoi la philosophie
grecque en général a été reçue par l’islam et quelles transformations
spécifiques et quels développements elle a subis pour être assimilée par les
penseurs musulmans, avant de se demander comment comprendre notre
propre rapport à la Grèce et à cette histoire complexe.
Cet ensemble d’études, sur la réception de la pensée grecque chez les
Pères grecs, dans le monde latin et chez les penseurs arabes, qui souligne
l’importance des traductions, des transmissions et des assimilations dans
l’histoire de la pensée, revient parfois au présent soit pour souligner
l’influence aujourd’hui encore des traductions syriaques en Occident, soit
pour s’interroger sur la signification complexe, pour notre conscience histo-
rique d’Européens, de cette assimilation par l’Islam de la pensée grecque.
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14. Newman and the Word, edited by Terrence MERRIGAN and Ian T. KER,
Peeters Press, Louvain, 2000, 260 p.
15. Bertrand SAINT-SERNIN, Whitehead. Un univers en essai, Collection « Ana-
lyse et Philosophie », J. Vrin, Paris, 2000, 208 p.
16. Guido BONINO, T.H. Green e il mito dell’empirismo britannico, Leo S. Olschki,
Firenze, 2003, 224 p.
14. Les éditeurs de ce volume, qui reprend les interventions au Second
Oxford International Newman Conference, tenu à Oxford à Oriel College en
Août 1998, justifient le thème Newman and the Word, en observant que le
« Verbe » était au cœur des préoccupations de Newman comme prédicateur
et comme écrivain, tandis que le « Verbe fait chair » était l’objet premier de sa
Foi de chrétien (p. 1). L’intention affichée des différentes contributions est de
souligner la fécondité et l’actualité de la pensée de Newman.
Terrence Merrigan (The Image of the Word : Faith and Imagination in John
Henry Newman and John Hick) confronte assez longuement Newman à un
philosophe contemporain de la religion, pour souligner la différence qui
sépare une pensée, où l’idée d’un Dieu incarné exprime une vérité qui ne
peut être exprimée autrement, parce que l’image (de l’homme-Dieu) coïncide
avec l’idée, d’une épistémologie pluraliste, celle de J. Hick, où l’image est une
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17. Michel LE GUERN, Pascal et Arnauld, Honoré Champion, Paris, 2003, 240 p.
18. Francesco CAPPA, La Fede e l’Amore di Sé. F. Fénelon e la coscienza
religiosa nell’età cartesiana, Edizione Glossa, Milano, 2003, 365 p.
19. Maurice BLONDEL, Une alliance contre nature : catholicisme et intégrisme. La
semaine sociale de Bordeaux 1910, Éditions Lessius, Bruxelles, 2000, 252 p.
20. René VIRGOULAY, Philosophie et Théologie chez Maurice Blondel, Éditions
du Cerf, « Philosophie et Théologie », Paris, 2002, 213 p.
21. Louis LAVELLE, L’erreur de Narcisse, La Table Ronde, Paris, 2003, 266 p.
22. Louis LAVELLE, Règles de la vie quotidienne, Arfuyen, Orbey, 2004, 133 p.
23. Jean ÉCOLE, Les grandes notions de la Métaphysique lavellienne et son
vocabulaire, Biblioteca di Filosofia Oggi, Genova, 2002, 127 p.
24. Jean ÉCOLE, Louis Lavelle et l’histoire des idées. Index des auteurs auxquels
il se réfère, Georg Olms Verlag, Hidelsheim, Zürich, New York, 2004, 343 p.
25. Robert CHENAVIER, Simone Weil. Une philosophie du travail, La nuit sur-
veillée, Éditions du Cerf, Paris, 2001, 723 p.
26. Emmanuel GABELLIERI, Être et Don. Simone Weil et la Philosophie, Éditions
Peeters, Louvain-Paris, 2003, 581 p.
27. « Amor Mundi, Amor Dei ». S. Weil et H. Arendt, Théophilyon, Tome IX,
vol. 2, 2004.
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aphorismes doit chercher à les relier, non pour achever l’œuvre mais pour
manifester l’exigence de cohérence qui la constitue (p. 22). D’une part, la
pensée de S. Weil, comme platonisme chrétien, semble s’accomplir dans la
sortie de la caverne par une forme de sainteté, où conduit la contemplation du
Bien et, d’autre part, elle est une invitation à redescendre dans la caverne
pour réaliser une sainteté qui soit d’actualité, conforme aux conditions
d’existence de l’époque technicienne (p. 28). C’est la notion de travail, qui
permet à la fois une analyste matérialiste de la réalité et une formulation de
la spiritualité la plus élevée, qui est le meilleur guide pour entrer dans la
pensée de notre auteur (p. 30).
Admettre, dans la pensée de S. Weil, une pluralité de niveaux et tenter de
les unir, reconnaître, dans son itinéraire, l’apparition du surnaturel et de la
décréation, sans supprimer le cheminement et la nécessité du parcours,
apercevoir que Platon n’a dit que la moitié de la vérité et que Marx n’a pas été
un matérialiste cohérent, telle est, diversement formulée, l’intention de cet
essai. « Le platonisme, aujourd’hui, ne peut être complet sans faire sa place
à une spiritualité du travail ; mais aucun matérialisme ne saurait être cohérent
sans admettre la réalité du surnaturel » (p. 48). La première partie (Genèse
de la réflexion sur le travail) cherche moins à présenter de manière
exhaustive les sources de la pensée weilienne qu’à marquer les interlocu-
teurs qui éclairent la genèse de l’œuvre. L’influence d’Alain, du moins au
point de départ, est déterminante, puisque c’est à travers la lecture d’Alain
que S. Weil rencontre Lagneau, Platon, Descartes, Kant, Maine de Biran.
Proudhon est un autre auteur auquel elle emprunte beaucoup dans ses écrits
militants. « L’aventure de Protée » souligne la genèse simultanée du travail et
du temps, où la réinterprétation du schématisme kantien conduit à une
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l’être comme don ; de plus, l’ontologie du don qui nous invite à penser la
vérité du don comme aban-don radical de soi, est commandée en définitive
par les exigences de la charité (p. 19). C’est la métaphysique de la charité
qui, éclairant la question de l’être, répond aux objections et aux apories
signalées.
L’ouvrage considérable se développe en trois parties : L’Être et l’Esprit,
divisée en deux chapitres, L’Esprit et le Monde et L’Esprit et le Social,
soulignant l’articulation opérée entre inspiration philosophique initiale et
engagement social, réunit l’examen des premiers écrits universitaires et la
réflexion sur l’engagement et la critique « révolutionnaires », jusqu’aux
Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale de 1934, qui,
aux yeux d’E. Gabellieri, témoigneraient d’une impasse théorique et existen-
tielle (p. 22). L’Être et la Grâce, divisée en trois chapitres, Les limites de
l’Humanisme, La Force et la Grâce, Révélation et Création, considère le vrai
seuil existentiel dans l’œuvre de S. Weil, qui lie de manière indissoluble la
double expérience du malheur et de la barbarie et l’expérience de la grâce.
L’Être et le Don, divisée en trois chapitres, La double « Catharsis » de la
Religion et de la Philosophie, Enracinement et « Action non-agissante »,
Décréation et Donation, justifie, parmi les différentes perspectives possibles,
le choix de la problématique de l’être et du don, en achevant la présentation
de la pensée de S. Weil par la question de la décréation, puisque, chez elle,
l’achèvement mystique de la personne dépasse tout achèvement terrestre de
la création (p. 23).
Dans un premier temps, centrant son étude sur les travaux universitaires
de S. Weil, E. Gabellieri souligne que S. Weil reprend, avec ses accentua-
tions propres, l’enseignement d’Alain, et insiste sur la relecture personnelle
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intérNous
n’avons donné qu’un simple survol d’une thèse monumentale, qui ne
laisse rien échapper de la richesse de la pensée weilienne, avec un souci
constant non seulement de justifier rigoureusement ses interprétations, mais
de mettre S. Weil en dialogue avec l’ensemble de la tradition philosophique.
E. Gabellieri, qui a tout lu et tout discuté, donne en outre une excellente leçon
de philosophie, dont on peut espérer qu’il la développera un jour pour
elle-même. Comparant cette thèse à celle de R. Chenavier, on pourrait dire
qu’elle montre que, de même que l’oppression enveloppe le travail, la
spiritualité et la mystique enveloppent la technique. On attend avec impa-
tience l’étude annoncée sur W. Weil et le christianisme.
27. Le numéro 2 de l’année 2004 de Théophilyon rassemble les Actes du
Colloque international « Amor mundi, Amor Dei ». Éthique, politique et
religion chez Simone Weil et Hannah Arendt, organisé par la Faculté de
Philosophie de l’Université catholique de Lyon, les 29 et 30 novembre 2002.
Les enjeux du colloque sont dégagés par le coordonnateur et le maître
d’œuvre, Emmanuel GABELLIERI. Il s’agit de dépasser les oppositions sim-
ples, trop simples, entre pensée religieuse (S. Weil) et pensée laïque
(H. Arendt), négativité (S. Weil) ou positivité (H. Arendt) du politique. « En
soulignant le fait que la pensée weilienne n’affirme Dieu que pour mieux
penser la vérité du monde, là où, d’autre part, l’amor mundi arendtien
s’inspire pour une part de motifs évangéliques que la Grèce ne suffit pas à
thématiser, ce colloque, qui a voulu croiser explicitement les différentes
dimensions des deux œuvres, suggère les limites d’une lecture qui oppose-
rait purement et simplement S. Weil et H. Arendt selon l’antinomie Amor
mundi-Amor Dei » (p. 332).
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