r L'Ame appartient au monde intelligible, indivisible et
étant lui aussi immobile, mais aussi dans la matière et mû par sans lieu et elle fait subsister le monde sensible, divisible et loca- accident. Tant qu'il y aura Intelligence et Ame, les raisons lisé. Elle n'admet en elle-même aucune division, elle est sans s'écouleront dans cette forme qu'est l'Ame, comme tant partie et on ne peut même en concevoir par la raison, elle n'a qu'existe le soleil, toutes les lumières viendront de lui"2s. On pas besoin de lieu. Cependant elle est peut donc distinguer dans l'Ame du Monde comme deux zones terme qui rappelle l' 0Xl1J-La de Platon 1 et la doctrine méso- et ou fonctions - on ne peut parler de parties -, l'une, supérieu- néoplatonicienne du "véhicule "de l'âme qu'on retrouve chez re, qui, dans sa contemplation de l'Intelligence, reçoit les idées Origène2 : elle est donc "véhiculée" par tous les êtres, non pour ou formes, est immobile et dans l'éternité, l'autre, inférieure, qu'elle trouve en eux un lieu, mais parce que les êtres ne peu- qui est dans la matière où elle incorpore les "traces" de ces vent ni ne veulent exister sans elle. Elle est comme le centre idées, est mue par accident et engendre le temps. d'un cercle d'où partent tous les rayons, point indivisible Ce que nous venons d'écrire est affirmé par plusieurs textes: auquel cependant tous les rayons restent attachés. Mais elle se "En plus de la nature entièrement indivisible il y a à la suite une donne tout entière à chacun de ces êtress. Indivisibilité et divisi- autre substance qui vient d'elle, tenant d'elle son indivisibilité, bilité dans le même sens s'appliquent aussi à toutes les âmes mais, en procédant d'elle, elle se hâte vers l'autre nature", la sen- issues de l'Ame du Monde4. Mais ailleurs, car la question est sible. "Elle se tient entre les deux, l'indivisible et première et celle complexe, les nombreuses âmes sont considérées comme des qui est divisible selon les corps et qui est dans les COrpS"24. Ou enco- divisions de cette Ame et, invoquant PlatonS, Plotin trouve dans re : "TI faut concevoir l'Ame qui est là-haut comme ne s'écoulant la troisième hypostase la division6 • L'Ame universelle n'a pas de pas, mais restant immobile et l'autre âme faisant être"25. S'agit-il lieu : elle ne vient de nulle part et ne va nulle part. C'est pour- comme plus haut d'un dédoublement de l'Ame du Monde ou de quoi Platon dit encore 7 qu'elle n'est pas contenue par son l'Ame du Monde et de l'âme individuelle? Nous verrons quelque corps, le monde, mais qu'elle le contient. L'Ame est toujours chose de semblable à propos du ciel astral2fi• Ailleurs on trouve une dans le monde supérieur auquel elle appartient par sa nature. distinction différente sous forme de question: "Avant (l'âme indi- Le vingt-deuxième traité (VI, 4) commence par une série viduelle)21 une autre âme universelle et avant l'universelle l'âme en de questions sur le rapport de l'Ame avec l'univers. Comment soi (aÙTütJsuxnV) ou la vie ? Ou elle est dans l'Intelligence avant de concilier le caractère inétendu de l'Ame avec le fait qu'elle est devenir âme ; afin qu'elle le devienne la dire âme en soi"28. Cette partout dans l'univers et, pourrait-on dire, qu'elle y précède "âme en soi" correspond probablement à l"'idée" d'âme. partout les èorps. L'Ame ne se divise pas : si elle est dite divi- g. L'Ame du Monde et les âmes individuelles sée, cela veut seulement dire qu'elle est partout tout entièreS. PLOTIN 1. Phédon 113 d; Phèdre 247 b; Timée 41 e, 44 e, 69 c. Avant d'envisager les problèmes posés par l'Ame du 2. Voir notre article "Le thème platonicien du 'véhicule de l'âme' chez Origène", dans Didaskalia (Lisbonne) 7, 1977, 225-237, ou dans Les fins der- Monde et les âmes individuelles nous étudions l'affirmation nières selon Origène, Aldershot (Variorum) 1990. que la première est partout tout entière sans se diviser. 3. IV, 2 (4), 1, l. 17 ss. 4. Ibid. 2, l. 77 ss. Ibid. 18, l. 9. . 27. Reconstitution de Henry-Schwyzer et du Lexi- 5. Timée , 35 a 3. N, 2 (4), l, l. 41 ss. con Plotinianum. 6. 111,9 (13), l, l. 33 ss. V, 1 (10),3, l. 10. 28. V, 9 (5), 14, L. 20. 7. Timée, 36 d. 9. II, 2 (14), 3, l. 1 ss. 8. VI, 4 (22), l, l. 1 ss. 201 Cela montre l'unité et l'indivisibilité de sa nature. Mais cette elle peut juger ces passions pour les suivre ou leur résister14 • unité ne supprime pas la multiplicité des âmes. Les âmes indi- Dans un autre texte 14biS, plutôt que d'une âme ou d'âmes Plotin viduelles sont à la fois multiples et unes. Et l'unique Ame uni- préfère parler d'une seule âme qui serait à la fois une et mul- verselle ne contredit pas le fait que les âmes multiples sont en tiple. "L'âme est donc une et multiple aussi; les formes qui elle: elle est capable de les contenir toutes en elle et c'est pour- sont dans les corps sont multiples et unes; les corps, seule- quoi sa nature est infinie9 • La grandeur de l'Ame n'a rien à ment multiples ; ce qui est le plus haut, un seulement". Déve- voir avec la masse ou la quantiteo. On ne peut dire que l'Ame loppant une parole de Platon1\ Plotin affirme que notre âme, est aussi grande que l'univers car grandeur égale quantité et dans la mesure où elle reste en communion avec l'Ame de l'Ame n'a pas de quantité, pas plus que de qualité et de lieu. l'univers qui est parfaite, reste elle-même parfaite et gouverne Si on ne peut lui attribuer de lieu, comment pourrait-on la avec l'Ame du Monde tout l'univers quand elle s'éloigne du diviser. Si beaucoup désirent l'Ame, ils la désirent tout entiè- corps. Mais cela, semble-t-il, tout en restant dans le corps, car re, et s'ils y participent, ils participent à elle tout entière dans "ce n'est pas un mal pour l'âme de fournir en quelque manière la mesure de leurs possibilitésll • Finalement il s'agit de conci- au corps le pouvoir de bien être et d'exister, parce que ce n'est lier le fait que la même Ame est en chaque endroit et que pas toute providence s'exerçant sur l'inférieur qui enlève à ce cependant il y a une âme propre à chacun. Il n'y a pas de qui y pourvoit la possibilité de rester dans le meilleur". Ce qui séparation entre les âmes qui sont seulement distinguées 12 • vient d'être dit ne s'applique donc pas seulement à l'âme libé- Cela nous amène au problème de l'Ame et des âmes 13 • rée par la mort du souci du corps, mais aussi à celle qui accom- Toutes les âmes qui sont dans le monde viennent de plit son devoir envers le corps sans se laisser absorber par luP6. l'Ame du Monde, qu'il s'agisse de celles des démons, des Le gouvernement de l'univers entier est à distinguer de celui astres, des hommes, des animaux ou des plantes. La nature de de chaque être. L"'Ame divine" gouverne ainsi le monde leurs rapports avec l'Ame du Monde est assez complexe. Elles qu'elle dépasse par ce qu'elle a de meilleur et qu'elle régit par participent à la dignité et aux fonctions de l'Ame du Monde : une puissance inférieure, et cela par ses ordres, sans agir elle- elles ne sont pas "un petit principe", mais elles contribuent à même. Les âmes des astres ont la même liberté de manoeuvre unir toutes choses. Elles ne proviennent pas de semences que l'Ame du Monde: elles n'appartiennent pas aux corps parce qu'elles existent de toute éternité. Elles font fonction de astraux, ce sont ces derniers qui leur appartiennent et ils ne causes premières. Liées à un corps elle donnent moins que remplissent pas leurs âmes de désirs et de craintes, ils conser- lorsqu'elles ne le sont pas. Elles sont souvent obligées de com- vent leur bonheur. En effet la communion de l'âme avec le poser avec le hasard: parfois cependant elles le dominent. corps - il s'agit évidemment ici des corps terrestres - pro- Mais la domination de l'âme dépend de son degré de bonté. voque pour l'âme deux difficultés : elle fait obstacle aux pen- Si elle s'abandonne au tempérament du corps elle participe à ses passions, mais si elle est bonne elle est capable de leur 14. III, 1 (3), 8,1. 4 ss. A- !l 14 bis. IV, 2 (4), 2, l. 1 ss. résister, elle modifie les choses sans être elle-même modifiée, 15. Phèdre 246 c 1-2. 16. "L'âme qui se tient hors du devenir (ye:VÉOf:WÇ) est avec l'âme de l'univers" 9. Ibid. 4, l. 1 ss. (III, 2 (47), 4, l. 10 ss.) : le devenir, ou la génération, yÉVe:OlÇ, ne connote pas 10. Ibid. 5, l. 1 ss. nécessairement une nuance sexuelle, c'est le domaine des choses qui changent, Il. Ibid. 8, 1. 1 ss. passent, naissent et meurent. Il n'est pas sûr qu'il s'agisse ici d'une âme qui 12. Ibid. 14, l. 30 ss. n'informe pas un corps, mais, de toute façon, d'une âme qui ne s'engage pas 13. Cf. IV, 3 (27), 2-4. L'unité des âmes: III, 7 (45), 13, l. 67. avec le corps, qui ne suit pas les tendances du corps. 202 203 sées et elle remplit l'âme de plaisirs, de désirs et de chagrins. Puisqu'il n'y a dans le monde supérieur ni matière ni masse Au contraire rien ne distrait l'âme des astres de la contempla- (OYKOÇ), est-ce que toutes les âmes ne viennent pas d'une âme tion des intelligibles 17 . unique ? Mais cela supposerait une sensibilité commune, une Les âmes humaines, si leur union au corps les enchaîne "sympathie" au sens primitif du mot, qui ferait éprouver à cha- dans toute sorte de maux, se trouvent cependant dans le lieu cun ce que sentent les autres. Alors comment se fait-il qu'il y des intelligibles par leur intelligence, car de l'Intelligence ait des âmes raisonnables et des âmes sans .raison, des âmes viennent de nombreuses intelligences contenues dans des bonnes et des âmes mauvaises ?21 Mais l'unité des âmes âmes multiples. Les intelligences sont de même nature que n'empêche pas les différences de perception qui peuvent tenir l'Intelligence et les âmes que l'Ame, comme de petits feux aux différences des caractères des corps, comme dans un auprès d'un grand feu. Mais l'âme n'a pas seulement à penser, même corps ce que subit un membre peut ne pas être néces- elle a une fonction : si elle regarde ce qui est avant elle, elle sairement ressenti dans un autre 22 . Des exemples montrent s'occupe aussi de ce qui est après elle pour l'ordonner, le gou- que les hommes sont en sympathie, au sens indiqué plus haut, verner, le commander 18 . Les âmes individuelles se tournent les uns avec les autres: cela semble montrer que l'âme est vers le haut mais aussi vers le bas, comme la lumière qui vient La solution donnée est qu'une seule et même âme se du soleil et se répand sur la terre. Elles sont sans trouble trouve en de nombreux corps, mais qu'avant cette âme il y en quand elles restent avec l'Ame de l'univers dans l'intelligible a une autre qui ne connaît pas cette multiplicité, probable- et qu'elles gouvernent avec elles le ciel astral. Mais c'est un ment l'Ame du Monde : c'est de cette âme que procède celle désir d'indépendance ou d'autonomie vis-à-vis de l'Ame du dont on vient de parler qui est comme une image de celle du Monde qui les fait s'attacher à ce qui n'est qu'une partie de monde: elle est comparée à un cachet dont la marque s'impri- l'univers. Alors elles cessent de regarder vers l'intelligible, me sur plusieurs morceaux de cire24 . Il faut donc comprendre elles se séparent du tout pour s'attacher à la partie et elles se que l'unique Ame du Monde se communique à tous les êtres laissent prendre dans les liens du corps. C'est alors qu'elles de l'univers en de multiples âmes: elle se donne à tous et "perdent leurs ailes", selon l'expression de Platon 19. Mais elles cependant dans un autre sens elle ne. se donne pas et reste une peuvent remonter quand elles commencent à contempler les et seule : tout en se donnant elle ne se fragmente pas en mor- biens par la réminiscence car, malgré la profondeur de la ceaux: c'est le même être subsistant en plusieurs. De même la chute, l'âme "a en effet néanmoins quelqùe chose qui dépas- science est tout entière en ses parties qui dérivent d'elle, mais se". Les âmes vivent toujours dans des proportions diverses chaque partie contient en elle en puissance toute la science et une double vie, celle d'en haut près de l'intelligible, et celle chacune des autres parties: le savant peut déduire toute la d'en bas près des corps individuels20 . science d'une de ses parties 25 . Ce paradoxe de la science, à la fois une et présente tout entière, au moins en puissance, en Un des problèmes majeurs concernant les rapports de chacun de ses théorèmes, exprime donc sous un aspect le rap- l'Ame de l'univers et des âmes est l'objet du huitième traité ,. port de l'Ame du Monde et des âmes particulières. "Est-ce que toutes les âmes font une âme unique ?". (IV, 9) : 21. IV, 9 (8), l, l. 1 ss. 17. IV, 8 (6), 2, l. 19. 22. Ibid. 2, l. 1 ss. 18. Ibid. 3, l. 1 ss. 23. Ibid. 3, l. 1 ss. 19. Phèdre 248 cd. 24. Ibid. 4, l. 1 ss. 20. IV, 8 (6), 4, l. 1 ss. 25. Ibid. 5, l. 1 ss. 204 205 La création du monde qui incombe à la grande Ame par des limites, pas plus que les multiples sciences dans une revient aussi à toutes les âmes puisqu'elle est d'une certaine âme unique et cette âme unique peut les avoir toutes en elle- façon chaque âme. C'est elle entière, non fragmentée, qui fait même"32. De ce que toutes les âmes sont une seule âme il faut vivre l'univers et elle est présente tout entière partout. C'est conclure qu'elles sont infinies33 . pourquoi les âmes individuelles sont précieuses comme l'est Selon Plotin, Platon 34 dit que comme notre corps est celle du monde, plus précieuses que tout ce qui est corporel 26 . une partie de l'univers, notre âme est une partie de l'Ame Ailleurs il est dit que l'Ame se divise en de nombreuses universelle. "Et ce que chez nous chaque partie de nous reçoit âmes 27 , que les âmes viennent de l'Ame universelle 28 . Mais de notre âme, de même, selon le même rapport, puisque nous l'âme individuelle est-elle seulement partie de l'âme universel- sommes des parties par rapport au tout, nous participons le, sans avoir une réalité propre ? Cependant Plotin déclare comme des parties à l'âme universelle"35. Les âmes sont de bien au sujet des hommes que "par rapport au tout ils sont même nature, mais il ne faut pas laisser de côté le fait qu'elles une partie; en tant qu'eux-mêmes ils sont un tout qui leur est sont aussi parties. L'Ame du Monde dont elles dépendent propre"29. Cela s'applique a fortiori à l'âme, au moins humaine: n'est pas l'âme de tel ou tel être, l'âme de quelque chose, alors elle est à la fois un tout et une partie dans un tout. L'âme uni- que les âmes individuelles le sont, ou plutôt le deviennent, verselle, selon Platon 30, parcourt le monde, tantôt sous une par accident. Cette dernière expression doit se comprendre forme (etôoç) tantôt sous une autre: selon Plotin ces formes en fonction, d'une part de l'éternité des âmes et de la mortali- sont soit sensitive (l'âme animale), soit raisonnable (l'âme té des êtres qu'elles animent, d'autre part de la croyance de humaine), soit végétative (l'âme végétale fI : c'est dire que les Plotin en la transmigration. Plotin donne quelques explica- caractéristiques des différentes âmes se trouvent dans l'Ame tions à ce mot de parties qu'il emploie pour caractériser le du Monde ou que ces âmes différentes sont contenues en elle. rapport des âmes individuelles à l'Ame universelle. Il ne faut Il y a donc pour l'Ame, comme pour l'Intelligence et l'être, le pas le comprendre dans un contexte de grandeur ou de quan- paradoxe de la coexistence de l'unité et de la multiplicité. tité, car aucune de ces âmes n'est corporelle. L'Ame univer- Mais cela est vrai pour l'âme individuelle elle-même. Comme selle ne peut être divisée en parties à proprement parler. On elle se trouve dans un corps divisible en parties on a imaginé pourrait le comparer à une science dont chaque théorème est qu'elle se divisait elle aussi en parties: en fait elle est tout une partie, la science demeurant entière et chaque théorème entière partout. Le paradoxe précédent est ainsi exprimé: ayant en puissance en lui toute la science. Mais on risque de "Dans le tout les âmes multiples sont chacune non en puissan- réduire alors l'Ame universelle au rang d'une âme individuel- ce mais en acte: l'unique universelle n'empêche pas les mul- le sans en faire l'Ame du Monde, puisque toutes les parties tiples d'être en elle ni les multiples l'unique. Elles sont sépa- d'une seule âme sont homogènes entre elles 36. La discussion rées et ne sont pas séparées et sont présentes les unes aux sur le sens du mot "partie" dans ce cas continue et souligne le autres sans être étrangères : car elles ne sont pas distinguées fait que l'âme raisonnable de l'homme n'a pas de partie et est 26. V, 1 (10), 2,1. 1 ss. 32. IV, 4 (28), 4, 1. 26 ss. 27. III, 9(13), 1, 1. 32 ss. 33. VI, 5 (23), 9, 1. 12 ss. 28. Ibid. 3, 1. 4 34. Philèbe 30 a 5-6. 29. II, 2 (14), 2, 1. 4. 35. IV, 3 (27), 1, 1. 22 ss. 30. Phèdre 246 b 6-7. 36. Ibid. 2,1. 1 ss. : Nous avouons avoir quelque peine à entrer dans ce raison- 31. 111,4 (15), 2, 1. 2 ss. nement. 206 207 tout entière dans chaque membre ou organe. On peut en cette âme dont procèdent toutes les âmes y compris l'univer- conclure aussi que Plotin ne connaît en chaque homme qu'une selle de l'âme-en-soi dont il est question ailleurs seule âme qui remplit à la fois les fonctions raisonnables par et voir dans cette dernière comme une préexistence de l'Ame l'intelligence qui est en elle et celles d'animation du COrpS37. Ces du Monde parmi les intelligibles, idées, formes, "en soi" âmes subsistent individuellement, conservant chacune identité (aùTo-) contenus dans l'Intelligence. Mais plus importante et altérité par rapport aux autres, chacune une et multiple et encore est la mention de la "sympathie" (crUj-lnaOEla), c'est-à- subsistant éternellement dans le monde supérieur. "Le résumé dire au sens étymologique, la possibilité de "pâtir" (nacrXElv) de la thèse est le suivant : les âmes viennent d'une seule, celles ensemble, d'éprouver les mêmes sentiments (naOn). Les diffé- qui viennent d'une seule sont multiples pareillement à l'Intel- rences qui se manifestent entre les âmes sont dues, d'après ligence, pareillement divisées et non divisées, et celle qui Plotin, aux vies vécues auparavant - nous sommes dans un demeure est l'unique raison de l'Intelligence38 et d'elle procè- contexte de métempsycose - et des choix que ces différentes dent des raisons partielles et immatérielles, comme là-haut"39. vies ont représentés pour elles en ce qui concerne leur union Bien que toutes ces âmes soient homogènes, seule l'Ame du proche ou lointaine aux réalités intelligibles. De toute façon Monde a fait le monde, mais non une âme individuelle, alors elles forment un ensemble, varié certes, mais stable, car il n'y que cette dernière a aussi tout en elle, notamment de pouvoir a pas de dispersion totale ni de hasard dans les êtres. L'âme être en même temps en plusieurs. Diverses questions sont po- reste dans le corps tant que le corps est vivant, tout entière sées à ce sujet et diverses réponses présentées. C'est l'âme uni- dans chaque partie du corps: si le corps meurt et pourrit verselle qui dépend le plus des réalités d'en haut et c'est elle l'âme n'est plus en lui. pour cela qui a créé le monde. D'autre part elle n'a subi aucune Notre âme doit imiter l'Ame de l'univers 42 . D'ailleurs influence de la part de son oeuvre. Elle est restée en elle-même notre âme reste toujours plus ou moins en contact avec elle, sans s'approcher des corps, comme l'ont fait les autres âmes, et car "de notre âme une partie est toujours avec les intelligibles, elle a agi sur ce qui s'approchait d'elle. Les autres ont été tirées une autre avec les êtres d'en bas, une autre au milieu"43. Cette vers le bas, plus ou moins, car le comportement ici-bas des partie de l'âme qui est avec les intelligibles explique cette âmes vers les réalités d'en haut n'est pas le même40. "Toutes les affirmation optimiste: "Toute âme désire le bien, même celle âmes sont issues de la même âme, de laquelle est aussi celle du qui est mêlée (au corps ou à la matière ?) et celle qui est deve- tout, pour cela elles sont en sympathie". Cette phrase nous nue l'âme de quelqu'un (l'âme individuelle) ; puisque celle-ci semble introduire une variante dans les rapports des âmes indi- est à la suite de celle-là (l'Ame du Monde) et vient d'elle"44. Ou viduelles et de l'Ame du Monde. Il n'est pas dit ici en effet que encore l'âme qui est illuminée des traces de l'Ame de l'uni- toutes les âmes dérivent de l'Ame du monde, mais qu'elles vien- vers qui n'est pas dans un corps45. L'âme qui a perdu ses ailes nent toutes de la même âme, d'où procède aussi celle du tout n'est pas celle de l'univers46 . Mais nous ne devons pas juger de qui n'est pas leur mère mais, comme c'est déjà dit dans le l'Ame de l'univers à partir de notre propre âme car, à la diffé- même chapitre4\ leur soeur. Il faudrait peut-être rapprocher 41 bis. V, 9 (5), 14,1. 20. 37. Ibid. 3-4. 42. II,9 (33), 18,1. 31. 38. C'est l'Ame du Monde. 43. Ibid. 2, 1. 4 ss. 39. Ibid. 5, 1. 1 ss., citation 1. 14 ss. 44. 111,5 (50), 3, 1. 36. 40. Ibid. 6, 1. 1 ss. 45. II, 3 (52), 9, 1. 32 ss. 41. Ibid. 6, 1. 13. De même II, 9 (33), 18, l. 16. 46. II, 9 (33), 4, 1. 1 ss. 208 209 rence de la nôtre, elle n'est pas liée à son corps, le monde, ORIGÈNE alors que nous le sommes au nôtre: elle n'est pas liée à ce qui Pour une certaine équivalence du rapport de l'Ame du est lié à elle, mais elle le commande. C'est pourquoi elle est Monde et des âmes individuelles, voir ce que nous disons plus impassible à son égard, tandis que nous ne le sommes pas. bas de l'âme humaine du Christ et des âmes humaines. Rien n'empêche ses rapports avec le divin. Elle a une action sur le monde, mais elle ne lui donne rien d'elle-même et ne A la différence de Plotin, Origène ne professe pas un subit pas de lui une action en retour. Même si le monde dis- pareil panpsychisme. Certes, "personne n'hésitera à dire qu'il y paraissait elle n'en subirait aucun dommage47 . a des âmes dans tous les êtres animés, même dans ceux qui vivent dans les eaux" et il se fait l'écho de passages de l'Ecriture La réflexion plotinienne est toujours en mouvement et, situant l'âme dans le Mais il n'y a aucune comparaison tout en restant dans le même cadre d'ensemble, contient plu- possible entre l'âme de l'homme, pareille par son origine à sieurs variantes : nous en avons déjà rencontré. Par exemple celle des anges, et les âmes des Origène suppose de l'"âme céleste" - s'agit-il de l'Ame du Monde, ou d'une aussi, avec parfois des hésitations, que les astres sont animés et âme dérivant d'elle et gouvernant le ciel astral - vient une même raisonnables. image (iv8aÀj.la) émanant des êtres d'en haut: elle fait les vivants terrestres. Elle imite l'âme de là-haut mais elle est sans puissance parce qu'elle use de corps terrestres inférieurs à 2. Correspondances origéniennes de ['Ame du Monde ceux du ciel, les astres. C'est cette âme qui nous façonne, ou ces âmes, s'il y en a une pour chacun, ce que le texte ne dit Quelques personnes ou entités divines assument chez pas clairement. "Nous sommes façonnés (nÀaoSévn:c;) par Origène plusieurs des fonctions de l'Ame du Monde: avec le l'âme donnée par les dieux qui sont dans le ciel", les astres, Saint Esprit il n'y a de rapport que dans le mode de procession; "et par le ciel lui-même selon elle et nous sommes unis à des la tâche proprement dite de l'Ame du Monde est assumée chez corps; l'autre âme selon laquelle nous sommes nous, est la Origène par le Père et le Fils; enfin entre l'âme humaine du cause de notre bien-être, non de notre être"48. Mais ailleurs Christ et les autres âmes humaines il y a quelque chose de la dans un traité intitulé Du destin (nepl EÏj.lapj.lêvnc;t9 on lit, à relation entre l'Ame du Monde et les âmes particulières. partir de l'unité de toutes choses: "De sorte que nous ne som- mes plus nous, et que rien n'est notre oeuvre; ce n'est pas a. Le Saint Esprit nous qui raisonnons, de même que ce ne sont pas nos pieds qui frappent le sol, mais nous à travers les parties de notre Le texte du Traité des Principes dont nous avons donné corps". Cette phrase semble exprimer le déterminisme le plus la traduction à la fin de l'introduction de ce livre n'encourage strict comme conséquence de l'unité de toutes les âmes. Mais guère à chercher quelque correspondance entre la troisième il ne manque pas de textes en sens inverse : par exemple celui personne de la Trinité chrétienne et la troisième hypostase de qui vient d'être cité juste avant: "l'autre âme selon laquelle nous sommes nous"5O. 51. Lv 17, 14 : PArch II, 8, l, 19. 52. C'est l'argument majeur utilisé par Gilles DORIVAL, "Origène a-t-il ensei- gné la transmigration des âmes dans des corps d'animaux ?", Origeniana 47. Ibid. 7, l. 4 ss. Secu.nda (H. Crouzet, A Quacquarelli), Rome 1980, p. 11-32, pour refuser de 48. II, 1 (40),5, l. 5 ss. voir selon Jérôme cette doctrine dans le Peri Archon: elle' est ,ontredite 49. III, 1 (3). d'ailleurs par bien des textes d'Origène, conservés en grec et d'une authenticité 50. Ibid. 4, l. 20. indiscutable. 210 211 la Triade platonicienne : il y a peu de rapport entre les activités pas au début Saint Esprit il aurait progressé sous l'influence du de l'Esprit Saint selon Origène et celles de l'Ame du Monde Fils jusqu'à devenir Saint Esprit. Il a donc toujours été Saint d'après Plotin. Le rôle essentiel du premier est de donner la Esprit et il faut en conclure, pour éviter une contradiction entre sainteté I • Il est la "matière des charismes"2 ou la "nature des ces deux affirmations, que sa procession par l'intermédiaire du ces charismes et ces dons représentant ce que la théolo- Fils s'est produite de toute éternité. On pourrait donc dire de gie postérieure appellera "grâces actuelles", c'est-à-dire des lui aussi ce qu'Origène dit de la génération du Fils: "il n'y a grâces attachées à un acte ou à une fonction. Par ailleurs pas eu de moment où il n'était pas9 • Contrairement à ce que l'''esprit qui est en l'homme", élément supérieur de diront un siècle plus tard les Pneumatomaques, le Traité des l'anthropologie trichotomique d'Origène, participation à Principes donne à l'Esprit Saint toutes les caractéristiques de la l'Esprit Saint, est une des multiples expressions origéniennes divinité. La procession de l'Ame du Monde à partir de l'Intel- de la grâce sanctifiante4 • L'Esprit Saint est non seulement l'ins- ligence est pareillement éternelle puisque, selon Plotin, le pirateur de l'Ecriture, mais celui qui la fait comprendre à son monde qui vient d'elle est créé de toute éternité, malgré ce et il anime intérieurement l'Eglise. Son rôle tout surna- que semble dire Platon dans le Timée lO• turel a peu de commun avec l'Ame du Monde plotinienne 6 • On peut s'interroger cependant sur la manière qu'ont Un rapprochement cependant peut se tenter sur un respectivement Origène et Plotin de concevoir l'infériorité de point, celui de sa procession. L'Ame du Monde procède direc- chacune de ces personnes ou entités par rapport à la précéden- tement de la seconde hypostase, vers laquelle elle se tourne et à te dont elle procède. Chez Plotin l'infériorité de l'Intelligence travers elle c'est de l'Un-Bien qu'elle vient. Dans le Commentaire vis-à-vis de l'Un et de l'Ame vis à vis de l'Intelligence est claire. sur jean 7 , commentant]n 1,3 : "Tout a été fait par lui (= le En est-il de même chez Origène? Son "subordinatianisme" est- Verbe), Origène discute à propos du Saint Esprit trois solu- il de même nature que celui de Plotin. On ne trouve guère tions. Celle à laquelle il se rallie est la suivante : dans ce "tout" d'indication en ce qui concerne les rapports du Fils et de l'Esprit est compris. Le Père, le Fils et l'Esprit sont trois réalités l'Esprit, si ce n'est un rapport d'origine, puisque l'Esprit vient subsistantes (ûnOOT(lOEIÇ, oùoial i6ial). L'Esprit est le plus haut du Père par le Fils. Mais cette dépendance d'origine entraîne-t-elle des êtres qui viennent du Père par le Fils : il a besoin de l'inter- nécessairement, comme chez Plotin, une infériorité ? Nous médiaire du Fils pour subsister, pour être sage, intelligent, juste avons défini le rapport du Fils au Père par les mots : égal et et participer à toutes les dénominations (Ènivolal) du Fils. Mais subordonné. Pouvons-nous étendre à la relation de l'Esprit au selon le Traité des PrincipesB il ne faudrait pas penser que l'Esprit Fils ce qui est dit de celle du Fils au Père? Ce n'est pas exclu, Saint ne connaîtrait que sur révélation du Fils, en ce sens qu'il mais Origène ne le précise guère. Il dit seulement que "le Saint passerait alors de l'ignorance à la connaissance, ou que n'étant Esprit est associé au Père et au Fils en honneur et 'en dignité"ll. 1. PArch l, 3, 7, 156-161. b. Le Père et le Fils, Ame du Monde 2. Corrùn II, 10 (6), 77. 3. PArch II, 7, 3, 66. Une allusion à l'Âme du monde platonicienne se trouve 4. Voir plus loin chap. IV. dans le Traité des Principes I2 : "Comme notre corps formé de 5. Dans notre Origène et la "connaissance mystique", p. 124-126, 142,285-289, etc. 6. H. J. VOGT, Das Kirchenverstandnis des Origenes, Kôln 1974 : voir dans le 9. PArch IV, 4, l, 25. Texte grec selon Athanase: SC 269 p. 245. Register au mot Geist. 10. PLOTIN, Ennéades II, 1 (40), l, l. 1 ss. 7. ComJn II, 10 (6), 73-88. Il. PArch, préf. 4, 84. 8. PArch l, 3, 4, 116. 12. PArch II, 1,3,60. 212 213 membres nombreux est un et maintenu par une âme unique, en est probablement l'action du libre arbitre que Dieu respec- de même à mon avis il faut concevoir l'univers comme un animal te et dans un certain sens assume, mais qui déconcerte celui immense et énorme, gouverné par la Providence de Dieu qui veut raisonner sur le déroulement du monde. Le Fils de comme par une âme unique". Puissance et Raison, c'est-à-dire Dieu est tout entier présent dans son corps humain et en même Logos, sont des dénominations du Fils, mais les citations qui temps tout entier partoue s• L'âme de Dieu dont parle l'Ecriture, illustrent cette affirmation désignent le Père : à cela rien d'éton- c'est son Fils : "De même que l'âme, insérée par tout le corps, nant puisque selon Origène la création du monde est l'oeuvre de fait tout mouvoir, opère et accomplit toutes choses, de même le la Trinité entière, ce que montre le chapitre du Traité des Fils Unique de Dieu, sa Parole et sa Sagesse, atteint et parvient à Principes sur le De même la Providence, que Plotin attri- toute la puissance de Dieu, car il y est inséré"19. Le monde, c'est bue surtout à l'Ame du Monde, incombe pour Origène aux trois "tout ce qui est soit au-dessus des cieux, soit dans les cieux, soit personnes. Un passage d'homélie 1\ isolé certes dans l'oeuvre sur la terre, soit tous les lieux qui existent et ce qu'on dit habiter d'Origène, est assez remarquable : "Le Christ dont tout le genre les cieux: on appelle donc monde l'univers"2o. Les cieux dési- humain, bien plus peut-être l'universalité de toute la création, est gnent ici le ciel astral: ce qui est au-dessus des cieux est la le corps et dont chacun de nous est membre en partie ... ". Ce demeure des bienheureux qui contemplent les "mystères", texte est intéressant, car Origène ne se contente pas de voir dans comme chez Plotin le "lieu", si on peut ainsi parler, de l'Intel- le Corps du Christ tout le genre humain appelé à constituer ligence et de l'Ame, au-dessus du ciel astral. l'Eglise, mais aussi tous les êtres inférieurs à l'homme, créés, Jean Baptiste disait de Jésus à la foule: "Au milieu de vous :lense-t-il, pour l'utilité de l'homme, auxquels il ne s'intéresse se tient quelqu'un que vous ne connaissez pas" 21 . Cela signifie habituellement. S'ils forment tous le Corps du Christ, c'est que "bien qu'invisible selon sa divinité, il est présent à tout lue le Christ est leur âme. Et le mot Christ ne désigne pas seule- homme et coextensif au monde entier"22 et qu"'il pénètre la nent le Verbe, mais aussi l'âme humaine qu'il a assumée. création, de sorte que toujours les êtres en devenir deviennent On trouve de multiples allusions à l'ordre du monde gou- par Mais cela peut se dire aussi du Père qui est dans le Fils rerné par le Père par l'intermédiaire de son Fils: ce dernier est et agit à travers luj24. effet, nous venons de le dire, cette Puissance de Dieu par Un texte du Contre Celse25 approfondit ce rôle de Dieu, aquelle Dieu gouverne le visible et l'invisible et exerce sa créateur et âme du monde, avec une intention polémique 15 )rovidence . La variété du monde découle des mouvements contre les Gnostiques: "Combien plus efficace et supérieure à livers du libre arbitre des créatures raisonnables, c'est-à-dire de toutes ces fantaisies (de la mythologie) est la persuasion, par ce a plus ou moins grande profondeur du péché primitif, mais qui est visible, du bon ordre du monde et l'adoration de l'arti- lieu harmonise cette variété, toujours dans le respect des liber- san unique d'un monde qui est un, en harmonie avec la réalité és, car c'est lui qui gouverne tout le corps de l'univers 16. L'ac- ion de la Providence dans le monde est plus claire quand il 18. Ibid. IV, 4, 3, 109. 'agit des astres ou des animaux que des hommes 17. La raison 19, Ibid. II, 8, 5, 215. 20. Ibid. II, 9, 3, 59. 3. Ibid. II, l, 1-3. 21.Jn 1,26. t HomPs 36, II, l, 1330 A 12,. 22. ComJn VI, 30 (15), 154. J. PArch 1, 2, 9, 275. 23. Ibid. VI, 38 (22) 188. i. Ibid. II, l, 1-3. 24. Ibid. VI, 39 (23), 202-203. 7. Ibid. IV, l, 7, 188. 25. CCeis l, 23, 16. 14 215 1 totale; qui ne peut en conséquence avoir été l'oeuvre de plu- c. L'âme humaine du Christ, sieurs démiurges, ni être maintenu par plusieurs âmes mou- époux de l'Eglise et des âmes vant l'ensemble du ciel. Une seule en effet suffit portant tout L'Ame du Monde plotinienne contient en elle toutes les le firmament du levant au couchant, contenant en elle-même âmes, à la fois unies et distinctes. Il y a chez Origène une tout ce qui est nécessaire au monde mais n'a pas sa fin en soi. représentation analogue sous une forme plus respectueuse de Toutes choses sont parties du monde, mais Dieu n'est point la personne, celle de l'union conjugale, conformément au partie du tout; car Dieu ne doit pas être imparfait comme la sens de la personnalité, à la fois divine et humaine, qui traver- partie est imparfaite. Mais sans doute un raisonnement plus se toute la révélation judéo-chrétienne et aboutira à une profond montrerait-il que, en rigueur de termes, Dieu n'est notion précise avec les controverses trinitaires et christolo- pas plus un tout qu'il n'est une partie, puisque le tout est fait giques des IVe et ve siècles : en effet l'époux et l'épouse sont de parties. Et la raison ne permet pas d'admettre que le Dieu "deux dans une chair une"I. L'unité et la dualité ou multiplici- suprême soit fait de parties dont chacune ne peut faire ce té coexistent constamment chez Origène2 comme chez Plotin. que peuvent les autres". Car le rôle de l'âme est de vivifier et On les trouve à la fois avec l'image du Christ et de son Corps de mouvoir le corps qui sans lui ne pourrait le faire 26 . Nous comprenant de nombreux membres et avec celle de l'union avons déjà vu chez Plotin l'insistance sur Dieu qui n'est ni le conjugale qui unit le Christ à la fois à l'Eglise et à chacune des tout ni partie. âmes fidèles. Dans une diatribe contre les idolâtres on lit encore : "Ils Que représente alors le mot Christ? Le Verbe seul ou ont beau voir dans la création tant d'ordre, tant d'harmonie et toute la réalité du Christ, Dieu et homme? C'est le plus souvent de discipline, tant de beauté dans le monde, ils refusent de ce second sens qui est le vrai : l'humanité du Christ est visée en reconnaître le Créateur à partir des créatures ; ils ne veulent premier, le Verbe étant compris indirectement par la "commu- pas voir qu'une organisation si parfaite est l'oeuvre d'une nication des idiomes", c'est-à-dire en appliquant au Dieu tout ce Providence qui la dirige, ils sont aveugles et ne voient le qui est dit de l'homme et réciproquement : Origène en a par- monde qu'avec des yeux d'animaux sans raison, avec des yeux faitement la notion comme le montre dans le Traité des Prin- de bêtes. Ils ne remarquent pas la présence d'une raison dans cipes le chapitre consacré à l'Incarnation du Sauveur. Le mari Lln monde manifestement régi par la Raison"27. La Raison c'est est donc d'abord le Christ dans son humanité préexistante, e Logos divin, Parole et Raison. Il y a une ànalogie entre la unie au Verbe de Dieu par une union qui la met "sous la forme )erfection de l'Ecriture, oeuvre du Verbe, et celle du monde, de Dieu" par l'intensité de sa charité, puis s'incarnant après la >euvre du même Verbe, qu'il s'agisse des êtres les plus nobles, faute de son épouse pour la rejoindre et la racheter4 : dans la .oleil, lune et astres, ou des plus infimes, animaux sans raison moitié des cas, la kénose est attribuée par Origène à l'âme du 28 Christ5 comme elle est aussi par sa Passion l'instrument de la végétaux . Dans son école de Césarée, Origène enseignait es sciences de la nature29 en montrant dans le monde l'action Rédemption. le la Providence. 1. Gn 2, 24. 2. Par exemple le développement de EntrHer 2-4. 6. Ibid. VI, 48, 17. 3. PArch II, 6, 3, 124-132. 7. HomLc XXII, 9-10. 4. Ibid. II, 6 ; ComMt XIV, 17, 325, 17 ss .. B. Philoc II, 4, 9, du ComPs 1 5. J. L. PAPAGNO, "Flp 2, 6-11 en la cristologia y soteriologia de Origenes, 9. GREGOIRE le Thaumaturge, RemOrig. VIII, 109-114. Burgense 17, 1976,395-429. 16 217 Que désigne ensuite le Corps avec ses membres, et l'épou- Unique et du Premier-Né de toute créature. A elle plus qu'à se? Nous avons vu plus haut le Corps représenter l'ensemble de toute autre s'applique la phrase paulinienne l2 : "Celui qui se la Création. Un fragment sur Jean6 restreint cette signification à joint au Seigneur est avec lui un seul esprit (nve:ùj.lu)"l5. l"'essence raisonnable", c'est-à-dire à l'ensemble des âmes Mais pour Origène, suivant en cela une tradition judéo- humaines et angéliques : d'une manière qui exclut radicalement chrétienne attestée déjà par l'homélie dite Seconde Lettre de toute interprétation pélagienne ou semi-pélagienne, il souligne Clément aux Corinthiens14 , écrit du Ir siècle, l'Eglise est antérieu- que cette dernière ne peut engendrer d'elle seule les "biens", les re à l'Incarnation. Dans l'hypothèse favorite de la préexistence "vertus pratiques et contemplatives", à moins de les recevoir des âmes elle a dès le début coïncidé avec l'ensemble des "intel- d'un autre, comme une femme qui enfante7. Cette "essence rai- ligences" préexistantes, celles qui deviendront après la chute, sonnable" c'est l'Eglise dont la vocation est de rassembler en elle située elle aussi dans cette préexistence, anges, hommes ou tous les hommes. Mais puisque l'Epouse-Eglise n'a "ni tache ni démons. L'âme humaine du Christ a été créée avec elles, mais a ride"8, certains textes semblent la restreindre aux parfaits, aux été unie dès sa création au Verbe de Dieu. Elle "n'a jamais été "âmes parvenues à la perfection qui toutes ensemble composent séparée du Fils Unique"l5 : elle était "en Dieu et dans la plénitu- le corps de l'Eglise"9. Mais cette interprétation est loin d'être la de"l6 divine; elle avait la "forme de Dieu"l7. Le passage d'où est seule. Non seulement l'Eglise est épouse, mais le même mot est extrait cette dernière affirmation montre clairement en elle appliqué à chaque âme "qui par la simplicité de la foi et la pure- l'Epoux de l'Eglise de la préexistence : "Celui qui a produit au té de ses actes est trouvée incorrompue et vierge", expression début celui qui est selon l'image - comme se trouvant sous la qui ne se réfère pas seulement à l'intégrité de la chair, mais aussi forme de Dieu - l'a fait mâle et l'Eglise femelle leur accordant à "l'intégrité de l'âme" qui suit la conversion lo : elle ne signifie à tous deux un unique 'selon l'image"'l8. La distinction du Ver- pas que le chrétien n'ait jamais eu de tache, mais que désormais be, Image de Dieu, et de l'homme, y compris celui qui est uni il est sans tache, ni qu'il n'ait pas eu les rides du "vieil homme", au Verbe, seulement fait "selon l'image", c'est-à-dire selon le mais que maintenant il ne les a plus ll • Verbe, est un des rares points de vocabulaire auxquels Origène Pour en revenir à l'image du Corps, le Contre Celse repré- reste toujours fidèle. Le mari de l'Eglise préexistante n'est donc sente toute l'Eglise de Dieu avec les membres de ce corps, les pas directement le Verbe - il l'est indirectement par "commu- croyants, "animée" par le Fils de Dieu, de même nication des idiomes" -, mais l'homme qu'il s'est uni, car ce que l'âme vivifie (Cwonou;ï) et meut le corps qui ne pourrait sans dernier est comme les autres créatures raisonnables "selon elle être mû de façon vitale. Ainsi le Logos - il n'est pas ques- l'image" ou "image de l'image". tion ici de l'âme humaine du Christ - meut l'Eglise et chacun de Mais la plupart des intelligences préexistantes pèchent et ses membres. Mais cela s'applique aussi d'une manière extrême l'unité de l'Eglise se brise: riombre d'entre elles quittent alors et insurpassable à l'âme de Jésus qui n'est pas séparée du Fils 12.1 Co 6,17. 6. FragrnJn XLV, 519, 18. 13. CCels VI, 47, 23 et 48, 14. 7. Selon l'opinion la plus commune dans l'antiquité la semence de l'enfant 14. II Clément XIV: éd. H. HEMMER, Les Pères Apostoliques, II, Paris 1909, p. 156- vient de l'homme seul, la mère est le terrain où elle germe. 159. 8. Eph 5, 27. 15. PArch II, 6, 4: fragment de Justinien en SC 253, note 25, p. 178. 9. ComCant III (IV), 232, 18-22. 16. ComJn XX, 19 (17) 162. 10. HomLv XII, 5, 184-189. 17. ComMt XIV, 17,325,29. Il. HomLc II, 2, 110. 18. Ibid. 325, 27. 218 219 le lieu des âmes, cette "Jérusalem céleste" qui se confond avec mais cependant distinctes. L'Eglise est l'ensemble de ces âmes le "sein du Père" : "Et le Seigneur qui est le mari a laissé à unies par leur union à l'Epoux, le Christ-homme, et à travers lui cause de l'Eglise le Père, près duquel il se trouvait quand il au Christ-Dieu. était sous la forme de Dieu, il a laissé aussi sa mère, car il était Un autre rapprochement pourrait être fait concernant lui aussi fils de laJérusalem d'en haut, il s'est attaché à son l'origine de l'âme humaine du Christ. Selon Plotin c'est l'Intel- épouse tombée ici-bas et ils sont devenus alors deux dans une ligence qui engendre l'Ame du Monde et 'en elle toutes les même chair. Car à cause d'elle il est devenu chair"19. autres âmes, dans une procession qui se confond avec leur Mais avant l'Incarnation se situe le temps de préparation, conversion vers l'Intelligence. La création de l'âme humaine du l'Ancien Testament, où la petite fiancée Eglise, l'ancien Israël, Christ est concomitante à celle des "intelligences" préexistantes est éduquée par les visites des "amis de l'Epoux", anges, et est comme elle l'oeuvre du Père et du Fils, ce dernier étant à patriarches et prophètes, qui éveillent et entretiennent en elle la fois l'agent comme collaborateur du Père et le modèle puis- le désir de l'Epoux20 ; quelquefois aussi dans les théophanies, qu'il est l'Image selon laquelle anges et hommes ont été créés25 . par les visites de l'Epoux lui-même, sous forme angélique ou Mais cette âme est dès le début plongée dans le Verbe et de- humaine, c'est-à-dire dans son âme qui, n'ayant pas péché, a vient en quelque sorte Verbe, comme le fer plongé dans le feu gardé sa forme primitive humano-angélique21 . Mais la venue de devient feu 26 . Cette comparaison, souvent répétée dans la suite, l'Incarnation elle-même reste "à travers un miroir, en énig- exprime entre le Verbe et l'âme à la fois unité et dualité: le fer me"22, car l'Epouse ne possède pas complètement l'Epoux. Elle plongé dans le feu reste fer, mais si on le touche on ressent les le possèdera parfaitement dans la résurrection quand, selon la effets du feu. Il y a donc là une analogie avec la conversion de parabole des invités aux noces, le Père unira définitivement l'Ame du Monde vers l'Intelligence. Mais pour Origène l'âme son Fils à l'humanité divinisée, comme Origène l'exprime dans humaine du Christ possède complètement le Verbe, non sous un texte magnifique2s . une forme diminuée: "dans cette âme il faut croire que le feu Si l'Eglise est épouse, il en est de même de tous les divin lui-même repose substantiellement, ce feu dont les autres membres fidèles de l'Eglise, nous l'avons déjà dit. Ainsi le tirent un peu de chaleur"27. Elle est "en Dieu et dans la plénitu- Commentaire sur le Cantique des Cantiques, souvent avec ordre, de"28. Mais elle ne nous en présente qu'une version atténuée, quelquefois dans un certain désordre, explique l'Epouse dans une "ombre", parce que nous ne sommes pas capables de rece- chaque verset, d'abord selon une de ces significations, ensuite voir autrement le Verbe. selon l'autre 24 . De même que l'Ame plotinienne du Monde contient en elle toutes les âmes, à la fois unes et distinctes, de Appendice: Anges et démons même l'Epouse du Christ est à la fois l'Eglise et les âmes fidèles, PLOTIN unies en tant que membres de l'Eglise et partageant sa qualité, Les êtres qui ont une âme sont pour Plotin, outre l'Ame ,\ 19. Ibid. 326, 1-12. du Monde, les démons, les astres - supérieurs aux hommes -, 20. ComCant 1, 88-92 et ailleurs 21. HomGn VIII, 8, 17-21 ; ComJn 1, 31 (34),217-218. 25. HomGn 1, 13,49-63. Le Fils fait tout comme le Père selonJn 5, 19: PArch 22. 1 Co, 13, 12. 1, 2, 6, 161 et 1,2, 12,423 ss ; Conùn X, 27 (21), 247 ; XIII, 36, 233. 23. Mt 22,2: ComMt XVII, 33, 691, 28. 26. PArch II, 6, 6, 177-201. 24. Voir notre article: "Mariage mystique selon Origène", Studia Missionalia, 27. Ibid. 299. 26, 1977,45-46. 28. ComJn XX, 19 (17), 162. 220 221 les hommes, les animaux et les végétaux : les âmes ont, sui- L'Eros qui conduit l'âme vers la nature du Bien, s'il s'agit de vant les cas, les fonctions raisonnable, sensitive ou végétative 1. l'''âme d'en haut", la partie supérieure de l'âme, serait un dieu, s'il Le mot Baij.1wv est dans la tradition grecque païenne un équi- s'agit de l'âme "mêlée" (au corps), un démon 10. Mais il faut expli- valent de dieu, 9Éoç, ou de demi-dieu : il s'applique ainsi dans quer la nature de ce démon et plus généralement des démons ll • le Moyen Platonisme aux dieux de la mythologie, gouvernant Ce qui est dit d'Eros doit pouvoir être dit des autres démons, à les différents domaines de la nature - c'est le cas du Discours moins qu'ils n'aient en commun que le nom. Les dieux sont Véridique de Celse -, distingués ainsi du Dieu suprême auquel impassibles, les démons affectés de passions. Les uns et les ils sont assujettis. Ils peuvent être bienveillants ou malveillants autres sont éternels. Ils sont intermédiaires entre les dieux et le envers les hommes. Dans sa réponse à Celse, Origène donne genre humain. Mais des questions se posent. Pourquoi ne sont- au mot le sens juif et chrétien qui est péjoratif: il voit dans les ils pas restés impassibles ? Y a-t-il des démons dans l'intelligible "démons" ou dieux de la mythologie des êtres réels qui es- ou seulement dans le sensible? Les dieux sont-ils limités à saient de ravir à Dieu l'adoration des hommes. l'intelligible ? Le monde est-il un dieu ainsi que les astres ? Il Plotin parle à plusieurs reprises des démons, les distin- semble préférable à Plotin de dire qu'il n'y a pas de démon guant des dieux2. Il Y a parmi eux des vivants de feus. Il Y a de dans l'intelligible, sauf peut-être le "démon en soi" (aùToôalj.1Wv), bons démons 4 • Les gnostiques voient dans les maladies des en d'autres termes l'idée de démon, qui est un dieu. Les dé- démons5. Le monde contient de nombreux dieux et des peuples mons ne sont pas purs de la matière: il ne s'agit pas là de la matière qui fait des corps comme les nôtres, car ils ont des corps de démons6. Ils contribuent à la diversité du monde et sont dits d'air ou de feu, les deux éléments les plus légers, ou de ce que une deuxième nature, après les dieux et avant les hommes7• Plotin appelle une matière intelligible12. Le quinzième traité (111,4) est intitulé: "A propos du Comme Eros, les démons sont des indigents, des insatis- démon qui nous a reçus en partage". Mais le démon dont il faits, dont le désir se porte sur des biens partiels comme si s'agit est difficile à distinguer des puissances de l'âme et ce c'était le Bien 1s . Ils ont la possibilité de parler 14 • Ils ne sont pas passage ne fournit guère d'information sur les êtres que impassibles, ils ont en eux de l'irrationnel : on peut leur attri- Plotin entend par ce mot. Dans le cinquantième traité (III, 5) buer des souvenirs et des sensations et ils peuvent être char- "sur l'amour" il se demande dès l'abord si Eros est dieu ou més par des procédés magiques 15 . Les démons font expier aux démon ou seulement une passion de Platon l'a présen- hommes leurs fautes 16 . té comme un démon dans le Banquet 8. L'Aphrodite céleste peut être dite "un dieu, non un démon, étant sans mélange et ORIGÈNE restant pure d'elle-même (è<p 'ÉauTiiç) : c'est là l'Ame du Monde9 • Le Contre Celse contient une discussion d'Origène à pro- pos d'une attaque de Celse contre les chrétiens parce qu'ils 1. 111,4 (15), 2, l. 4. 2. l, 2 (19), 6, l. 4 ; l, 6 (1), 7, l. 20 (les démons sont beaux) ; et autres textes. 10. Ibid. 4, l. 23. 3. II, 1 (40), 6, l. 54. 11. Ibid. 5, l. 1. 4. II, 9 (33), 9, l. 30. 12. 111,5 (50), 6. l. 1 ss. 5. Ibid. 14, l. 14. 13. III, 5 (50), 7, L. 26. 6. III, 2 (47), 3, l. 24. 14. IV, 3 (27), 18, l. 22. 7. Ibid. 11;i. 7. 15. IV, 4 (28), 43, l. 12 ss. 8; 202 d 13 : 111,5 (50), l, l. 1 ss. 16. IV, 8 (6), 5, l. 23. Voir aussi sur les démons VI, 7 (38),6,26-33: commentai- 9. Ibid. 2, l. 25. re dans Pierre HADOT, Plotin: Traité 38, Paris 1988, p. 227. 222 223 refusent d'honorer les "démons" au sens païen l7 • Origène prend démons, et à l'intérieur de ces trois catégories il y a toute une seulement ce mot au sens chrétien pour désigner les mauvais diversité de niveaux selon les degrés de la chute. Origène va démons parmi lesquels, selon lui, prennent place les dieux de la même jusqu'à dire qu'un jugement divin, analogue à ce que sera mythologie classique qu'il semble bien considérer comme des le jugement dernier, a précédé la venue des hommes en ce êtres réels, mais des démons, qui volent à Dieu sa place en se fai- monde. En ce qui concerne les anges, si, comme il semble résul- sant adorer par les hommes. En fait comme les démons, selon le ter de quelques passages du Peri Archon, un petit nombre n'a pas païen Celse, sont préposés au gouvernement des différents péché2\ le plus grand nombre l'a fait, mais plus légèrement. règnes de la nature, ils correspondent dans la pensée d'Origène à Leurs fonctions dans le monde, anges gardiens des hommes, la fois aux anges et aux démons selon qu'ils sont bons ou mauvais. des différents domaines de la nature, des nations, des Eglises, L'origine des anges et des démons est pour Origène la etc. sont, semble-t-il, le châtiment miséricordieux de la faute ini- même que celle des hommes : toutes les créatures raisonnables tiale. Nous passons rapidement sur ces différents points sur les- ont été créées ensemble dans une égalité parfaite l8 , réaction quels Origène s'étend souvent, par exemple sur les anges des contre les différences de nature que professaient les Valenti- nations 25 • Le jugement dernier à la fin des temps sera à la fois niens. Elles ont été créées dans la préexistence, mais non de celui de l'homme et celui de son ange gardien26 • toute éternité, car elles ont commencé, ce qui a eu comme Mais les démons, au sens chrétien du terme, se font aussi conséquence leur mutabilité et leur caractère accidentel au sens comme les gardiens à l'envers des hommes, s'attachant aux indi- d'Aristote 9 • La création coéternelle à Dieu ne les concerne pas, vidus pour les faire pécher : de même pour les nations27 • Il Ya, mais elle regarde le monde intelligible des idées et raisons. Ils semble-t-il, pour Origène des fonctions symétriques et inversées vont être diversifiés par la faute primitive, à laquelle n'échap- sur tous les points pour les anges et les démons28 • Les différents pent, en dehors de l'âme unie au Verbe, que certaines de ces ordres des anges, exprimés par plusieurs textes pauliniens, dési- créatures2o • La plupart tombent, par suite d'un refroidissement gnent des mêmes noms les bons et les mauvais29 • Mais ces anges de leur ferveur qui fait de ces "intelligences" des "âmes" n'ont aucun caractère divin, à la différence des "démons" ploti- âme-froidY 1 ou bien par "satiété" (satietas = KOpOç)22, c'est- niens : ils sont des créatures comme nous. Mais ils ont reçu de à-dire, suivant le sens de l'expression KOpOV quelque Dieu autorité sur tous les domaines de la nature, comme les chose de semblable à l"'acédie" des moines grecs, le dégoût de "démons" de Celse: de même les démons du Christianisme se tout et du spirituel en particulier3 • sont donné une autorité semblable. En ce qui concerne ces der- niers, la faute précosmique a été un véritable reniement de leurs C'est à la suite de cette chute primordiale que se produit liens avec Dieu. Etant donné le sens principalement surnaturel la division des créatures raisonnables en anges, hommes et qu'Origène confère souvent à la notion d'être et à celle d'être 17. CCels VII, 67-70. raisonnable (ÀOYIKOV), en rapport avec le Père qui s'est déclaré 18. PArch II, 9, 6, 188. 19. Ibid. 1, 8, 2, 31. 25. Voir entre autres PArch 1, 5, 2, 68 qui cite Dt 32, 8-9, le texte majeur à pro- 20. Ibid. 1,5,5,288; 1, 6, 2, 73 ; 1, 8, 4, 127; II, 9, 6, 192; IV, 2, 7, 234. pos des anges des nations; II, 10, 7,251 sur les anges gardiens des personnes; 21. Ibid. II, 8, 3, 119 ss. ComMt XIII, 28, 256, 30 ss. Et encore dans SC 269 p. 12 note 34. 22. Ibid. 1, 3, 8, 317. 26. HomNb XI, 4. 23. M. HARL, "Recherches sur l'origénisme d'Origène" dans Studia Patristica 27. Références dans SC 269, p. 64 note 34. VIII (TU 93), 1966, p. 373-405. 28. Ibid. 24. PArch II, 9, 8. 29. PArch 1, 5, 1-2. 224 225 devant Moïse "Celui qui est"30 et avec le Fils qui est le Logos, origi- ne de toute "raison", dans un sens plus surnaturel que naturel, Satan et les démons, ayant renié leur relation avec eux, sont devenus des OÙK ovn:ç, des "non étants"31 et des IfAoya, des "sans raison", comme des bêtes spirituelles32 . Cela est confirmé par le lien étroit que met Origène entre l'image du Diable et les images de bêtes qui recouvrent chez le pécheur sa participation à l'image de Dieu33 . Ou encore "il semble qu'il y ait affinité CHAPITRE IV entre chaque espèce de démons et chaque espèce d'animaux", écrit le Contre Celse 34 à propos des prédictions faites à partir de / l'observation des animaux35. L'HUMANITE Nous rejetons dans le chapitre V : "Le Monde", la ques- tion des astres et de leurs âmes, bien qu'ils soient supérieurs à l'homme d'après nos deux auteurs. La matière concernant l'homme est très abondante. 1. L'âme acquiert un corps matériel PLOTIN "La descente de l'âme dans les corps", tel est le titre que Porphyre a mis au traité sixième (IV, 8). Plotin parle de son expé- rience spirituelle, de l'extase et de la sortie de l'extase. Après avoir évoqué des expressions employées par Héraclite, Empédocle et Pythagore, qu'il juge peu claires, il en vient au 30. Ex 3,14. "divin" Platon chez qui il compte trouver un peu plus de clarté. 31. ComJn II, 13 (7),98. 32. Ibid. II, 3, 23. Il en rapporte un jugement antithétique. D'une part Platon 33. Voir notre Théologie de l'Image de Dieu chez Origène p. 189-206. dévalue le monde sensible et l'union de l'âme au corps, en repré- 34. CCels IV, 93, 14. sentant l'âme comme emprisonnée, ensevelie, comme dans une 35. L'angélologie et la démonologie d'Origène sont très développées: nous n'en avons donné ici qu'une esquisse. Voir J. DANIELOU, Origène, Paris 1948, p. 219- geôle, une caverne, qui est cet univers sensiblel • La descente de 242. Autres textes: PArch l, 8,1 ; sur l'ange gardien II, 10,7,251 ; sur le juge- l'âme jusqu'à lui est la perte des aHes2, et des cycles renvoient ment de l'ange avec son pupille, encore ComMt XIII, 28 ; sur les combats des constamment ici-bas l'âme qui essaie de monter3. Mais le Timée démons contre les hommes PArch III, 2-4. Continuellement dans les homélies: HomGn VIII, 8 ; IX, 3 ; XVI, 2. Hom Ex VI, 1 ; VII, 4 ; VIII, 2-3,6. HomLv XVI, 6- rend un autre son de cloche : le monde y est objet de louanges 7. HomNb XIII, 3 ; XX, 3-4- ; XXIV, 3. HomJr V, 2, 26. HomLe III, 1 ; XII, 3 ; XXXI; XXXV, 3-8. Et dans les Commentaires: ComMt X, 13; XIII, 4-6; XIV, 9; 1. Phédon 67 dl; 62 b 2-5 ; République 514 a 5. XVII, 2 et 30. FragmMt 380; 400 ; 435 1. ComCant II, p.138 ; III , p. 213. Fragm 2. Phèdre 246 c 2 ; 247 d 4-5. Le 12; 96. 3. Phèdre 249 a 6; République 619 d. 7. 226 227 et il est dit un dieu bienheureux: l'âme lui est envoyée par le bon là dessus en traitant de la liberteo. Mais si l'âme fuit rapidement démiurge pour rendre cet univers intelligent, ce qu'il ne peut l'emprise du corps et remonte, elle ne subit pas de dommage : être sans âme4 • C'est ainsi que pour le rendre parfait il reçoit elle a reçu la connaissance du mal et celle de ses propres puis- l'Ame du Monde et les âmes individuelles pour créer dans le sances par les actes qu'elle a alors posés: elle ne les aurait pas sensible les espèces d'animaux qui existent sous forme d'idée connus sans celall • dans l'intelligible5 • Le danger pour nos âmes est de trop plon- La descente des âmes s'insère dans tout le mouvement du ger à l'intérieur du corps et d'être trop impressionnées par ses monde comme un événement qui y a sa place, dans la produc- difficultés nombreuses. Mais l'Ame du Monde n'a rien à crain- tion de la multiplicité du monde à partir de l'Un immobile. Il fal- dre. L'âme individuelle, qui reste avec l'Ame du Monde sans lait que soient engendrées des âmes nombreuses et qu'elles pro- pénétrer dans un corps, gouverne avec elle librement l'univers6 • duisent comme des semences, dans un but appartenant à l'ordre Mais celle qui s'unit à un corps subit en lui toutes sortes de mal- sensible. Car tout doit pouvoir participer à la bonté de la nature. heurs : il lui est une chaîne et une tombe, et le monde une ca- La matière doit pouvoir y participer elle aussi dans la mesure de verne ou un antre7 • Les âmes individuelles veulent se faire, dans ses possibilités, puisqu'elle vient de celui qui fournit le bien à la partie du monde qui leur est confiée, quelque chose qui leur tous. Ou alors, autre hypothèse, "la production de la matière soit propre. Ainsi elles fuient le tout, elles s'éloignent et se sépa- suit nécessairement des causes antérieures" : dans ce cas elle rent, elles ne contemplent plus l'intelligible : elles deviennent devait subir aussi l'action des âmes car "celui qui donne l'être partielles, isolées, faibles et affairées, elles se laissent absorber comme une grâce" ne saurait s'arrêter par impuissance avant de par l'unique objet dont elles sont chargées et ses vicissitudes, parvenir jusqu'à elle. La beauté du sensible manifeste celle des elles le soignent et pénètrent profondément en lui. C'est alors intelligences et tout se tient, le sensible et l'intelligible, l'intelli- que l'âme "perd ses ailes", emprisonnée dans les liens du corps gible existant par lui-même, le sensible par sa participation à la et ayant abandonné la vie innocente qu'elle menait auparavant. nature intelligible et parce qu'ill'imite12 • Il faut en conclure que Elle est alors dirigée par la sensation et non plus par l'intelli- la descente des âmes dans les corps n'est pas seulement une gence. La remontée lui est cependant possible, car elle possède dégradation : elle peut l'être, mais aussi ne pas l'être. Elle a un toujours l'élément supérieur qui la rattache à l'intelligible: elle aspect hautement positif, celui d'animer le monde matériel et est capable de vivre en haut comme de vivre en bas et les âmes de le faire participer à la beauté des intelligibles. le font à des degrés divers8 • Certes, il serait meilleur pour l'âme de rester dans l'intelli- Cette descente de l'âme dans le corps est-elle libre ou gible, mais sa participation au sensible est une nécessité, même nécessitée ? Les deux à la fois, répond Plotin. Le corps est dit si le résultat n'est pas toujours parfait. L'âme est faite pour cela ici explicitement mauvais (KaK4»9. La descente est aussi un châ- car elle occupe un rang médian, se trouvant dans l'intelligible à timent et cela est en contraste avec l'affirmation qu'elle s'opère la lisière du sensible. Plotin répète ce qu'il a déjà dit plus haut: par un mouvement de nature, involontaire. Nous reviendrons l'âme doit, quand elle organise le corps, rester en sûreté, "tout 4. Timée 34 b 8 ; 29 a 3 ; 30 b 8; 30 b 3. 5. IV, 8 (6), 1,1. 1 ss. 10. Ibid. 5, l. 26, le mot pom, est aussi employé par Origène pour indiquer la 6. Ibid. 2, 1. 1 ss. chute du libre arbitre, comme ici : PArch III, l, 4, 58, grec de Philoc. Il est 7. Ibid 3, 1. 1 ss. d'origine stoïcienne. 8. Ibid. 4, 1. 10 ss. Il. Ibid. 5, l. 1 ss. 9. Ibid. 1. 4. 12. Ibid. 6, l. 1 ss. 228 229 entière avec elle tout entière" (OÀ11 'OÀ11Ç) et il lui est possible de J 1 sibilité ils passent dans l'intelligence. Même si la sensation se remonter, enrichie de la science qu'elle a apprise. L'expérience l fait accaparante pour l'âme par suite du plaisir, du désir ou du du mal donne une connaissance plus claire du bien à ceux dont chagrin, il y a toujours en elle quelque chose qui ne s'attache les capacités sont encore faibles pour connaître de science cer- pas à eux15. taine le mal avant l'expérience. Ce qui provoque la descente des Les traités postérieurs à IV, 8 (6) ne semblent pas ajouter âmes est une nécessité et une loi de nature. L'âme individuelle grand chose à propos de la descente de l'âme dans le corps. La revient donc à la contemplation des êtres par une conversion fin du premier des deux traités "Ce qui est un et identique est vers le meilleur qui se produit quand elle est dans l'inférieur, le en même temps partout"16 revient sur cette question. La descen- partiel et le temporel, alors que l'Ame du Monde qui ne va te dans les corps se produit par périodes : le contexte est celui jamais en bas, qui ne souffre jamais le mal, contemple à la fois ce de la métempsycose que nous exposerons plus loin. Cette doc- qui est au-dessous d'elle et ce qui est au-dessus: elle reste en trine vient des anciens philosophes, comme ceux qui ont été contact avec le bas en lui fournissant ce qu'elle a pris là-haue 3 • cités au début du traité étudié précédemmenrt 7 • Dans un certain Cependant Plotin semble bien aussi rendre les âmes res- sens, ce n'est pas l'âme qui descend, mais c'est le corps qui vient ponsables dé leur descente. Pourquoi ont-elles oublié Dieu leur participer à elle : affirmation qui n'est pas à comprendre locale- père dont elles sont des parties et se sont-elles éloignées ment. L'âme donne quelque chose au corps, mais n'est pas de de lui? "Le principe pour elles de ce mal c'est l'audace, la géné- lui. Tout cela est exigé par la loi qui constitue la nature de l'âme ration, l'altérité première et la volonté de s'appartenir à soi- à la limite de l'intelligible et du sensible : mais cette union n'en même. Puisqu'elles ont paru jouir de leur libre arbitre, ayant usé est pas moins un mal, et la séparation quand elle survient est un de leurs possibilités nombreuses de mouvement, couru à l'oppo- bien. La raison essentielle en est que l'âme perd son universalité sé et s'étant beaucoup éloignées, elles ont ignoré qu'elles ve- en devenant celle de tel corps : en se limitant à une partie, elle naient d'en haut: comme des enfants tôt arrachés à leurs pères devient une âme particulière, "bien que d'une autre façon elle et élevés loin d'eux un long temps ignorent et eux et leurs pères. soit comme universelle". Mais quand elle ne préside pas à un Ne voyant plus ni lui ni elles-mêmes, s'étant méprisées elles- corps elle est tout à fait universelle. Si la philosophie nous déliait mêmes dans l'ignorance de leur race, ayant honoré les autres complètement du corps, elle rétablirait parfaitement l'âme dans réalités et ayant admiré tout plutôt qu'elles-mêmes, elles en sont l'intelligible. frappées de stupeur, pleines d'admiration et suspendues à elles, Quand les âmes descendent, leurs têtes (Kapa) restent elles rompent dans la mesure du possible avec ce dont elles se cependant fixées au-dessus du ciel (astral), c'est-à-dire dans l'intel- ;ont détournées en les méprisant; de sorte qu'il arrive que la ligible : c'est leur partie moyenne qui est forcée de descendre :ause de leur complète ignorance de Dieu soit l'honneur qu'elles pour s'occuper du corps qui a besoin de ses soins. Mais leur père "endent aux choses d'ici-bas et le mépris d'elles-mêmes"14. Zeus, l'Ame du Monde, par pitié pour elles, a rendu mortels leurs L'âme individuelle, nous l'avons vu, garde toujours là-haut liens pour leur donner des temps de relâche où elles sont sans Ine part d'elle-même: elle ne le perçoit plus guère si l'inférieur corps et peuvent demeurer là-haut avec l'Ame du Monde. Le a domine trop. Les deux aspects demeurent en elle, et même corps où l'âme descend est prêt à la recevoir à cause de la res- es désirs sensibles ne sont connus par l'âme que lorsque de la sen- 15. IV, 8 (6), 8, l. 1 SS. 3. Ibid. 7, l. 1 SS. 16. VI, 4 (22), 16, l. 1 SS. 4. V, 1 (10), 1, l. 1 SS. 17. IV, 8 (6), 1. 30 231 l :;fI/- semblance de ses dispositions, un corps d'homme ou un corps suscités24 • D'autre part, en antithèse avec les "démons" plotiniens, d'animal, toujours dans un contexte de métempsycosé B• C'est une nous avons parlé de la préexistence des êtres raisonnables et de la nécessité inévitable et un jugement porté par la nature qui com- chute primordiale qui les a diversifiés en anges, hommes et mande à chaque âme d'aller dans le corps qui est à l'image de démons. Mais nous n'avons pas encore parlé de la seconde caté- l'archétype, l'âme: personne ne l'envoie ni ne l'introduit dans gorie de ces êtres, les hommes. Il n'est pas tout à fait exact de ce corps, mais le moment venu elle descend spontanément et parler à leur sujet de "descente de l'âme dans le corps", car les entre dans le corps qui lui est adapté, comme le montre la magie; intellects préexistants ont déjà un corps, comme nous venons de tout cela se passe sans réflexion ni choix conscient, par l'effet le dire. Pour parler avec plus d'exactitude, le corps éthéré ou d'une loi universelle inscrite en chaque âme 9 • Le mythe de la étincelant revêt alors une qualité terrestre. formation de Pandore par Prométhée symbolise la fonction du Tout cela est figuré allégoriquement par les premiers cha- corps, et le refus de son mari Epiméthée représente la peine qu'a pitres de la Genèse, les deux récits de la création de l'homme, en l'âme de quitter l'intelligible 20 • Les âmes passent d'abord de Gn l, 26-29 et en Gn 2, 6-7. ; en outre le récit de la faute au cha- l'intelligible dans le ciel astral où elles prennent un corps, puis de pitre 3 avec l'épisode des "tuniques de peau" au verset 21. Le pre- là sur terre, "dans la mesure où elles s'étendent en longueur", mier texte figure la création des intelligences faites selon l'image puisque nous avons vu que leur tête reste parmi les intelligibles. de Dieu25, le mâle et la femelle signifiant l'esprit spiritus) Il y en a qui vont de corps terrestres en corps terrestres - tou- et l'âme - notions que nous allons expliquer plus loin -, car le jours la métempsycose - parce qu'elles deviennent de plus en sexe n'existe pas encore26 • Il faut remarquer que dans le premier plus pesantes et oublieuses des réalités intelligibles. Alors que récit, l'action de créer est désignée par le verbe Tloleiv, et dans le les unes tombent complètement sous le destin, les autres con- second par TlÀaaaelv, façonner 27 , qui s'applique à une création servent une certaine marge de pouvoir personnel sur elles- matérielle, donc à celle du corps. Mais les textes d'Origène qui mêmes, tout ce qu'elles peuvent conserver de l'état des êtres mentionnent la seconde création posent des problèmes que l'on d'en haue l • Après avoir abordé rapidement le problème du mal ne peut résoudre à partir seulement de ce qui nous reste de ses qui arrive aux bons22 , Plotin ajoute: si les âmes passent d'abord oeuvres. D'abord si, comme nous l'avons vu, l'incorporéité est le dans le ciel, c'est qu'il est le plus proche du lieu des intelligibles, privilège de la Trinité seule, comment concevoir qu'entre la pre- alors que le terrestre est le plus loin23 • mière et la seconde création, selon Gn 1-2, l'intelligence préexis- tante subsisterait sans corps ? Ensuite, si la condition corporelle ORIGÈNE était la consequence de la chute, comment serait-elle figurée en A propos de la "matière spirituelle" de Plotin, nous avons Gn 2 alors que la faute l'est en Gn 3. D'autre part, les textes que exposé ce qui concerne les corps "éthérés" ou "étincelants" des nous possédons d'Origène sur ce sujet sont presque tous des pas- intelligences préexistantes, des anges et des ressuscités, ainsi que sages d'homélies prêchées devant le tout-venant des chrétiens de les corps ténus, mais sombres, des démons et des damnés res- Césarée : Origène ne pouvait entrer dans des considérations trop subtiles. Nous n'avons malheureusement plus l'important Com- 18. IV, 3 (27), 12, 1. 1 sS., 37 ss. 19. Ibid. 13, 1. 1 ss. W. Ibid. 14, 1. 1 ss. 24. Chap. II, § 2. n. Ibid. 15,1. 1 ss. 25. HomGn 1,13, 12. ?2. Ibid. 16, 1. 1 ss. 26. Voir encore ComJn XX, 22 (20), 182-183 ; ComMt XIV, 17-18, 321, 23. ?3. Ibid. 17, 1. 1 ss. 27. Gn 1, 1 ; 2, 7. 233 mentaire sur la Genèse où ces questions devaient être traitées, Procope est ici très précise. Ce n'est pas l'âme qui revêt les tuniques mais c'est très vraisemblablement de lui que vient le témoigna- de peau comme un autre corps, mais c'est le corps étincelant qui le ge de Procope de Caza28 que nous avons déjà mentionné rapi- fait. TI n'y a donc pas changement de corps, mais le corps étincelant dement au chap. II, § 2, mais il nous faut maintenant reprendre est recouvert par une "qualité" terrestre. Il y a là un parallélisme la question plus à loisir. Ce témoignage résout nos deux pro- étroit avec la doctrine origénienne de la résurrection, quand on la blèmes : le corps créé en Cn 2, 7 figure le corps "étincelant" de juge d'après les propres textes d'Origène et non dans la com- la préexistence et il n'y a donc pas entre Cn l, 26-29 et Cn 2, 7 préhension insuffisante qu'en a eue Méthode d'Olympe dans son un décalage de temps, mais ces deux créations sont concomi- Aglaophon ou De la Résurrection32 : en effet, le corps terrestre et le tantes; de la sorte, l'intelligence préexistante n'a jamais été pri- ressuscité sont un même corps par l'oùola, le ÀOyoç ou l'dôoç qui vée de corps. L'authentique seconde création correspond alors expriment ici l'essence du corps qui est toujours la même ici-bas, au don par Dieu des "tuniques de peau" en Cn 3, 21 après la bien que les éléments matériels soient continuellement chan- chute : elles figurent, non un changement de corps, mais un geants, et ils diffèrent seulement par la qualité qui la revêt, ter- changement de "qualité" du corps préexistant, cette "qualité" restre, puis céleste33 . qui, selon les conceptions habituelles de la physique grecque, Pour résumer ce que nous venons de dire, parler pour s'ajoute à une matière qui est par elle-même sans forme. Origène d'une "descente" de l'âme dans le corps manque de préci- Le texte de Procope est le suivant29 : "Ceux qui allégorisent sion : il faudrait dire que le corps étincelant de l'intellect préexis- (désignés un peu plus loin par TWV Tà 'Opl'yÉvouç <pPOVOUVT<,)v, tant revêt à la suite de la faute primitive une qualité terrestre. Si on "ceux qui partagent les pensées d'Origène"), après les plaisante- veut y trouver deux créations, la première se rapporte à la fois à Cn ries indiquées plus haut, disent que ce qui a été créé selon 1,26-27 et 2,7 et la seconde aux "tuniques de peau" de Cn 3, 2l. l'image signifie l'âme; ce qui a été façonné à partir de la poussiè- Mais pourquoi ces tuniques de peau sont remises par re le corps subtil, digne d'accéder au Paradis, que certains ont Dieu à l'homme seul, et non à ses autres compagnons de la pré- nommé étincelant; mais les tuniques de peau figurent ce dont il est dit: 'tu m'as revêtu de peau et de chair, tu m'as inséré dans 32. Voir notre article "La doctrine origénienne du corps ressuscité", Bulletin de des os et des nerfs'30. Ils disent que l'âme était véhiculée par le Littérature Ecclésiastique, 81, 1980, 175-200, 241-266. Réédité dans Les fins der- premier (corps) étincelant qui revêtit plus tard les tuniques de nières selon Origène, Aldershot (Variorum), 1990. peau" (T <t> ôÈ; aùyoElôEi Tn V ÈnoXEia8al ÀÉyoualv, onEp 33. A propos des "tuniques de peau" Origène s'exprime plusieurs fois dans les textes qui nous restent. Dans CCels IV, 40, 20 il dit qu'elles contiennent "un \)aTEpOV ÈVEôooaTo TOùç ôEpl-laTlvoUç XlTwvaç)31. La formulation de enseignement secret et mystérieux bien supérieur à la doctrine de Platon sur la descente de l'âme qui perd ses ailes". Un fragment sur la Genèse, conservé par 28. PG 87/1, 221 A 9. Théodoret de Cyr, Question 39 sur la Genèse, n'est satisfait ni par la réponse 29. Ibid. qu'il s'agit des corps, car c'est auparavant qu'Adam dit d'Eve: "C'est l'os de 30.Job 10, Il. mes os et la chair de ma chair"(Gn 2,23), ni par celle qu'elles signifient, la mor- 31. Sur ce texte de Procope nous avons cité à la note 37 du chap. II, § 2 les articles talité, car cette dernière ne vient pas de Dieu, mais du péché (PG 12, 101 A 3). de M. SIMONETTI et de P. F. BEATRICE. Moins heureux a été A. VITO RES, Dans HomLv VI, 2, 106 Origène voit dans ces tuniques la mortalité issue du IdJmtidad entre el cllerpo muerto y resucitado en Origenes segun el "De R.esurrectione" de péché. Il n'y a pas à attribuer à Origène, comme le fait A. Vitores, l'opinion que Metodio de Olimpo, Jérusalem 1981. Il fait un contresens dans la traduction de la développe dans Aglaophon ou De la Résurrection de Méthode le premier orateur, dernière phrase que nous avons citée en grec: "Ellos dicen que el alma era trans- le médecin Aglaophon, car rien dans le texte de Méthode ne fait penser qu'il portada (vehiculada) primeramente por el (cuerpo) luminoso y que despues revis- s'agit d'une opinion d'Origène: c'est le découpage inintelligent du texte de tio las tunicas de piel" p. 207. Il traduit en effet comme s'il y avait nm:p et non om:p, Méthode par Epiphane, Panarion 64, qui en est responsable. Mais il faut pour et rapporte ce relatif à au lieu de le rapporter à aùyœloEi (sous-enten- en juger avoir le texte complet de cet écrit conservé tout entier dans une tra"" du CJwjillTl) et par conséquent soutient qu'il y a changement de corps. duction paléoslave et édité en traduction allemande par N. Bonwetsch (GCS). 234 235 existence qui ont eux aussi péché? Ceux qui sont devenus anges Nous verrons dans la suite qu'est affirmée par Origène la ont péché moins gravement que ceux qui sont devenus hommes, valeur du monde sensible venant, comme chez Plotin, de sa par- et les démons sont devenus inguérissables: l'opinion du salut final ticipation à l'intelligible et aux idées et raisons qu'il contient. des démons est aussi attribuée à Origène, mais avec des raisons Pour Plotin, l'âme individuelle garde toujours plus ou moins là- insuffisantes, car il a des textes dans les deux sensM • Le corps de haut une partie d'elle-même; à cela correspond, chez Origène, le l'homme est devenu matériel et sensible pour vivre dans le monde fait que l'homme, comme l'ange, a été créé· selon l'image de matériel et sensible, créé à la suite de la faute, et qui lui est donné Dieu et garde donc avec lui une "parenté" que le péché peut comme un lieu d'épreuves: nous verrons plus loin pourquoi. obscurcir, mais non supprimer7 • Que la faute des intelligences préexistantes soit un acte de liberté, cela est évident, car le libre arbitre est une des données origéniennes les moins discutables. On écrit parfois que, pour lui, 2. L'âme et le corps cette chute ne pouvait pas ne pas se produire : nous ne voyons PLOTIN pas ce qui autorise une interprétation semblablé'l5. Il y a dans Première question: l'homme, est-ce l'âme seule ou le cette doctrine une double intention visant les deux principales couple âme-corps? A priori on répondrait que selon Plotin hérésies du temps. Les Valentiniens selon Origène tiennent que l'homme est avant tout son âme, le corps étant surtout un em- les hommes sont créés selon trois catégories : les Pneumatiques, barras qui empêche l'âme de vivre dans la béatitude. Mais la sauvés par nature, les Hyliques, damnés par nature, et entre les réponse qu'il fait est plus nuancée et plus antithétique. Au deux les Psychiques chez qui le libre arbitre a encore un certain début du traité sur l'immortalité de l'âme38 il se demande si le rôle. Contre eux, Origène affirme l'égalité originelle de tous les corps est une partie de nous-mêmes - dans ce cas nous ne êtres raisonnables qui ont en quelque sorte leur destin entre sommes immortels qu'en partie - ou un instrument, donné leurs mains. Quant aux Marcionites, opposant le Dieu créateur, pour un certain temps, et conclut: "Le principal c'est l'homme juste mais cruel, au Père de Jésus-Christ, ils rendaient le premier lui-même: s'il en est ainsi il est, pour ainsi dire, comme la responsable de l'inégalité des conditions humaine à la naissance. forme par rapport à la matière, le corps, ou comme ce qui uti- Pour Origène qui veut laver le Créateur de tout soupçon d'injus- tice, l'inégalité des conditions humaines vient de la profondeur lise par rapport à l'instrument: des deux manières il est plus ou moins grande de la chute originelle : c'est pourquoi il va l'âme". Ailleurs Plotin essaie de définir "l'homme d'en haut", jusqu'à parler d'un premier jugement, analogue au Jugement ) l'idée d'homme qui est dans l'intelligible, et, pour y arriver, dernier et précédant la naissance en ce mondegt). d'abord "l'homme d'en bas". Est-il autre chose que l'âme qui le crée, le fait vivre et raisonner? Cette âme est-elle l'homme? 34. Si Satan est dit en ComJn XX, 22 (20), 182 "le premier terrestre parce qu'étant tombé Ou est-ce l'âme utilisant un corps de telle nature qui est l'hom- le premier des réalités supérieures et ayant désiré une autre vie que la vie la meilleu- me ? Mais si l'homme est un animal raisonnable et si un animal re, il n' a été digne d'être le principe ni de la production (XTIOf.Ul), ni de la création (nolfllO), mais du modelage (nÀaof.Ul) du Seigneur, fait pour être la dérision des anges est formé d'âme et de corps, cette définition par l'âme ne con- "(citation deJob 40, 14 LXX), ce n'est pas qu'il ait eu un corps terrestre, mais qu'il a vient pas. S'il faut le définir par une âme raisonnable et un donné le signal de la chute qui a entraîné la création du monde terrestre. 35. Voir PArch II, 9, 6, 177 qui affirme un libre choix des êtres raisonnables antérieur à ce monde. 37. PArch III, 1, 13,374 et note correspondante dans SC 269, p. 34 note 71-71 a 36. PArch II,9,8,270. Sur tout cela voir l'ensemble du chapitre II, 9, sur la muta- où sont indiqués de nombreux textes. Voir aussi notre Théologie de l'Image de Dieu bilité des êtres raisonnables, leur diversité et la sauvegarde de la justice divine dans chez Origène. cette diversité qui vient d'un libre choix de leur volonté antérieur à ce monde-ci. 38. IV, 7 (2), 1, l. 20 ss. 236 237 corps, comment est-il une réalité éternelle alors que cette défini- quelque chose de ce qui est à lui. C'est pour le corps qui dépend tion ne s'applique que lorsque l'âme est unie à un corps? Elle ne de lui qu'il le cherche : quoiqu'il soit dans un corps vivant ses convient donc pas à l'homme en soi (aùToaVepwnoç), à l'idée biens sont à ce vivant et ne sont pas ceux de tel homme". Il faut d'homme, et ne montre pas ce qui est. Si on dit'9 qu'il faut que en conclure que dans ce passage l'homme c'est l'âme et non le la définition soit un couple, un concept dans un autre, on ne COrpS44. Cependant dans le chapitre qui suit nous lisons à pro- croit pas juste de dire selon quoi est quelque chose. Mais une pos des souffrances que peut endurer l'homme : "le sage n'est définition porte sur des formes insérées dans la matière et il faut pas une âme telle que la nature du corps ne soit pas comptée affirmer avec la matière les raisons et surtout la raison qui l'a dans sa substance"45. Si la substance de l'homme c'est l'âme sa fait. Qu'est-ce qui fait qu'il est un homme, non divisé en deux ? définition doit donc nécessairement inclure le corps, non Qu'est-ce qui en fait un animal raisonnable? Si on remplace ani- comme substance ou composé substantiel, mais comme déter- mal (C4>ov) par vie (Cwn) l'homme est une vie raisonnable. Mais la miné par l'âme et en retour déterminant l'âme46 . vie suppose une âme qui fournit la vie. C'est donc l'âme qui Plotin est fort pessimiste sur le corps. La mort est préfé- fournit la vie raisonnable : alors ou bien l'homme sera un acte rable à la vie dans le corps47. On peut voir ailleurs encore une de l'âme et il ne sera pas alors substance, ou bien l'homme sera position semblable48 : 'J'exprime par 'nous' le reste de l'âme l'âme. Mais, objection venant de la métempsycose, si l'âme rai- puisque un tel corps n'est pas d'un étranger mais de nous; c'est sonnable constitue l'homme, quand l'âme ira dans un autre ani- pourquoi nous nous en occupons comme étant de nous. Nous mal, comment ne sera-t-elle plus homme ?40 Il faut donc une ne sommes pas ce corps, ni nous n'en sommes affranchis, mais autre définition. La solution adoptée est celle de Platon41 : "Une il dépend de nous et est suspendu à nous, nous entendu selon âme se servant d'un corps". Plotin revient donc au couple âme- la partie dominante, mais il est cependant d'une autre façon de corps, mais d'une autre manière. C'est encore l'âme qui est nous. C'est pourquoi il nous importe qu'il jouisse ou qu'il l'homme, mais elle l'est avec son acte, en tant qu'agissante, en souffre et cela davantage dans la mesure où nous sommes plus tant que formant le corps à son image (elüwÀov) d'homme dans faibles et où nous ne nous séparons pas nous-mêmes de lui, la mesure où le corps la reçoit42 . mais il devient ce qu'il y a de plus précieux, nous en faisons Dans le même sens que cette définition va ce qui est dit l'homme et pour ainsi dire nous plongeons en lui". dans un autre traité: "Il faut dire à cela que comme chacun Seconde question : où loger l'origine des passions, dans de nous selon le corps est loin de la substànce (oùola), selon l'âme ou dans le corps? L'âme est-elle en elle-même impassible l'âme et selon ce que nous sommes principalement nous par- ou passible? Si l'âme était corps il serait impossible de la mon- ticipons à la substance et nous sommes une substance, c'est-à- trer immuable ; si elle est sans grandeur et incorruptible on ne dire comme un composé de différence et de substance,,43. peut lui attribuer des passions. "Mais il faut plutôt croire qu'il Ailleurs, à propos du bonheur,. il écrit que l'homme "ce qu'il se produit en elle des raisons sans raison (Àoyouç àÀoyouç) et des cherche, il le cherche comme nécessaire, non à lui, mais à passions sans passion (ànaefi naen), et ces expressions venant des 39. ARISTOTE, Métaphysique Z 5,1030 b 18. 44. 1,4 (46) 4,1. 25-28. 40. VI, 7 (38), 4, L. 1 ss. 45. Ibid. 5, 1. 9-11. 41. Alcibiade 129 e Il. 46. Voir encore III, 5 (50), 5, 1. 14: "l'âme de l'homme, c'est l'homme". 42. VI, 7 (38), 5, 1. 1 ss. 47. 1, 4 (46), 71. 25. 43. VI, 8 (39), 12, 1. 3-7. 48. IV, 4 (28), 18,1. 10 ss. 238 239 corps, il faut en prendre chacune dans des sens opposés et les sations ou n'existent-elles pas sans sensation ?"54. Faisant écho à transférer par analogie ; elle a des passions sans en avoir et les Aristote55 Plotin distingue l'âme et son essence ou quiddité subit sans les subir"49. Ces expressions contraires et qui peu- dval)56. Dans le cas où ces deux expressions désignent pour vent paraître contradictoires s'expliquent en effet parce qu'on l'âme la même réalité - c'est l'avis d'Aristote et de Plotin -l'âme attribue à l'âme des manières de parler qui conviennent au immortelle est impassible, capable seulement de produire des corps. En fait l'équilibre de l'âme dépend de celui de ses par':' actes intérieurs à elle-même. Il faut alors en conclure que les pas- ties selon la distinction platonicienne, raisonnable, irascible, sions qui paraissent survenir à l'âme viennent du corps57. Si le concupiscible, c'est-à-dire de la soumission des deux dernières corps est un instrument dont elle se sert, elle n'éprouve pas les à la première50 . Les passions prennent leur départ de senti- affections qui surviennent au corps, mais pour s'en servir elle ments de l'âme, mais c'est dans le corps qu'elles sont consti- doit cependant les percevoir. Mais comment ces passions par- tuées vraiment passions et que se produit le changement qui viennent à l'âme si l'âme et le corps sont deux réalités séparées? n'atteint pas directement l'âme 5]. Il y a dans l'âme une opi- Cette séparation peut se produire par la pratique de la philoso- nion ou une représentation qui entraîne dans le corps un phie, mais en attendant elles sont mêlées. Diverses sortes de trouble manifesté par certains symptômes corporels. La par- mélanges sont évoquées. Faut-il supposer qu'une partie de l'âme tie passive de l'âme est une forme et en tant que telle ne chan- est séparée du corps et se sert de lui alors qu'une autre partie est ge pas ni ne se trouble: "Cette faculté passive sera cause de la mélangée au corps et devient instrument comme lui ?58 Si on les passion ou du mouvement venu d'elle à partir de la représen- suppose mêlées, le corps est amélioré en recevant la vie, l'âme se tation sensible ou même sans représentation: il faut examiner dégrade en recevant la mort et l'irrationalité. D'autre part on ne si l'opinion a commencé plus haut, mais elle reste sous la voit pas comment pourraient se mélanger deux réalités aussi dif- forme d'une harmonie"52. Purifier l'âme des passions c'est lui férentes. Même si l'âme est entrelacée dans le corps elle n'en ôter ces "images absurdes" qui les provoquent53 . Le reste du éprouvera pas pour cela les passions. Est-elle dans le corps traité montre que ce n'est pas la matière seule qui subit des comme la forme dans la matière? Mais elle est substance en elle- passions, mais la matière informée par une forme comme l'est même, donc une forme séparée du corps, plutôt comme se ser- le corps. vant du corps. Les passions seraient donc à attribuer au corps L'origine des passions dans l'âme est un des sujets ma- "physique, organique, ayant la vie en puissance"59. C'est le vivant, jeurs du cinquante-troisième traité (l, 1) : "Qu'est-ce que le l'animal, TO C4>ov, qui désire et est peiné60 • Mais qu'est-ce que le vivant et qu'est-ce que l'homme ?". Il commence par une série vivant? Une série d'hypothèses suit. Quand le chagrin commen- de questions: "Plaisirs et chagrins, craintes et audaces, con- ce par une opinion ou un jugement sur un malheur qui arrive, à voitises et aversions, de qui sont-ils? De l'âme ou de l'âme usant d'un corps ou d'une troisième réalité composée des deux ? 54. l, 1 (53), 1,1. 1 ss., 12 ss. Ce composé peut s'entendre de deux façons: le mélange ou 55. Métaphysique H 3, 1043 b 2. 56. Cette expression employée par Aristote est expliquée ainsi dans le com- autre chose née du mélange ... Les passions sont-elles des sen- mentaire du (Pseudo) Alexandre d'Aphrodise : TO TI nvdVal Kal TO dBoç, "le qu'est-ce et la forme" : ARISTOTE, La Métaphysique, tome II, par J. Tricot, 49. III, 6 (26), Il. 17 ss., citation 1. 32-37. Paris 1964, p. 463 1. 5. 50. Ibid. 2, 1. 1 ss. 57. l, 1 (53), 2, 1. 1 ss. 51. Ibid. 3,1. 1 ss. 58. Ibid. 3, 1. 1 ss. 52. Ibid. 4, 1. l, citation 1. 43. 59. ARISTOTE, De Anima, B l, 412 a 27-28. 53. Ibid. 5, 1. 1 ss. 60. l, 1 (53), 4, 1. 1 ss. 240 241 qui faut-il attribuer cette opinion, à l'âme ou à l'ensemble? Et l'opi- Le mot "nous" a une double signification, celle qui englo- nion n'est pas en elle-même le chagrin, car celui<i peut ne pas sur- be la bête (s."piov) avec l'âme, ou celle qui ne voit que l'âme: le venir, non plus que les autres passions semblables. Si les passions corps est une bête vivifiée (C<pwSÉv), mais l'homme véritable viennent des facultés de l'âme, elles dépendent de l'âme seule. (0 àA."Snç avSpwnoç) est pur de tout cela. Les vertus qui ne tien- Mais des dispositions du corps leur sont liées. D'autre part le nent pas à la pensée, acquises par l'habitude et l'exercice (l'ascè- désir du bien dépend de l'âme seule, tout n'est pas commun se)65 appartiennent à l'ensemble corps et âme ; en viennent aussi aux deux. Est-ce que le désir commence dans l'homme et soulè- les vices66• La démarcation n'est donc pas entre l'âme et le corps, ve la faculté du désir? Mais si la faculté du désir ne commence mais entre une âme qui ne subit pas l'influence du corps et le pas, l'homme ne peut pas commencer. Et cela suppose déjà telle "commun" (TO KOIVOV) âme-corps qui forme la "bête". Mais si disposition du corps61. Mais peut-être que ce ne sont pas ces l'âme est en elle-même impeccable pourquoi les châtiments ? facultés qui agissent, elles font agir tout en restant immobiles. C'est le composé qui pèche et est châtié. Il faut donc par la phi- Ce ne serait pas la faculté sensitive qui sentirait, mais celui qui losophie se séparer non seulement du corps mais de tout ce qui la possède. Mais à cela sont faites des objections62 . lui a été ajouté, ajouté à la naissance chamelle qui a été la nais- L'âme ne se donne pas elle-même, mais par l'illumina- sance de la seconde sorte d'âme, mêlée au corps, l'inclinaison de tion qu'elle apporte au corps elle produit quelque chose d'au- l'âme qui entre trop profondément dans le corps. Le rôle de tre, la nature de l'animal à laquelle appartiennent les sensa- l'âme est d'illuminer le corps, elle ne doit pas s'engager en lui, tions et les passions. D'ailleurs nous ne percevons pas les objets mais continuer à regarder vers le haut67. sensibles, mais les empreintes (Ttmol) qui viennent d'eux, qui Mais dans un autre sens la responsabilité du mal ne retom- sont d'ordre intelligible. La sensation externe est l'image de la be pas tout entière sur le corps ou sur le "commun", corps et sensation plus vraie, vraie en tant qu'appartenant à l'ordre partie inférieure de l'âme. Elle dépend aussi du choix primor- intelligible, contemplation impassible des formes seules. C'est dial qu'a fait l'âme. Le caractère de l'âme précède le corps et elle de ces formes que viennent les réflexions, opinions et pensées a ce que elle a choisi. D'une certaine façon ce n'est pas ici-bas et par là l'essentiel de nous-mêmes. Cela peut constituer la par- qu'on devient bon ou mauvais. Et l'âme se choisit plus ou moins tie supérieure de notre être, le vrai homme, mélangé à une le corps correspondant à ce propos fondamental68 • partie inférieure qui est la bête. Le vrai homme coïncide avec Le rôle du corps et de l'âme dans le plaisir ou la souffran- l'âme raisonnable: c'est nous qui raisonnons, par des raison- ce est ainsi décrit: Le rôle de l'âme est de connaître. La sout: nements qui sont des actes de l'âme 63 . L'âme est donc par france est la "connaissance d'un recul du corps privé de l'image nature séparée des maux que l'homme fait et subit. Le mal de l'âme" et le plaisir la "connaissance qu'a le vivant de l'image c'est la défaite que nous fait subir la partie inférieure de nous- de l'âme rétablie de nouveau dans le corps". C'est l'âme sensiti- mêmes, convoitise, colère, etc, l'emportant sur la partie supé- ve qui perçoit la souffrance et qui l'annonce "là où aboutissent rieure. Il y a quelque chose de commun à l'âme et au corps et les sensations". Le corps souffre, mais l'âme perçoit la douleur quelque chose qui n'appartient qu'à l'âme: les changements et le trouble viennent de ce qui est commun64 • . 65. PLATON République 518 e 1-2. 66. 1, 1 (53), 10,1. 1 ss. 61. Ibid. 5, l. 1 ss. 67. Ibid. 12,1. 1 ss. De même IV, 4 (28), 18,1. 19: "Il faut dire que de telles pas- 62. Ibid. 6, l. 1 ss. sions (ou souffrances) ne sont pas du tout de l'âme, mais d'un tel corps et d'un 63. Ibid. 7, l. 1 ss. certain 'commun' et des deux". 64. Ibid. 9, l. 1 ss. 68. 111,4 (15), 5, 1. 1 ss. 242 243 tout entière, sans cependant en pâtir elle-même et elle la situe. informé par elle. Cet instrument sera donc un organe corporel, Si c'était elle qui l'éprouvait elle ne la situerait pas car elle est soit tout le corps, soit une partie du COrpS74. La sensation est donc partout dans le corps. La douleur qui affecte le corps est attri- le fait de l'âme, mais il se produit par l'intermédiaire du corps: buée à l'homme comme tout ce qui est du corps, ou bien elle cela a un but d'utilité, nous protéger des dangers, et de connais- est rapportée à la sensation de douleur. La sensation cepen- sance75. dant n'est pas douleur, mais connaissance de la douleur, car en tant que connaissance l'âme est impassible69 . Pareillement ORIGÈNE c'est le corps qui désire, mais la sensation transmet la connais- A deux reprises Origène définit, dans la dépendance de sance de ce désir à l'âme qui soit y répond soit lui résiste 70 . Platon 76 , l'homme par l'âme: dans le Peri Archon suivant la Une preuve que le corps est le principe des désirs est qu'ils Philocalie77 : "Je dis maintenant hommes les âmes qui usent de changent suivant les âges et les santés, car le corps passe par COrpS"78 et dans le Contre Celse79 : "L'homme donc, c'est-à-dire des états variables 71 • l'âme usant d'un corps". Il faut tirer de ces passages plusieurs Pareillement l'irascible a sa racine dans le corps, le concu- conclusions: d'abord, bien qu'Origène parle parfois des "âmes" piscible se confond avec la puissance végétative. Ils constituent des animaux, il n'entend vraiment à proprement parler que les tous deux la partie irrationnelle de l'âme, mais c'est le corps qui âmes des hommes qui sont, selon lui, sans commune mesure les provoque. Plotin examine longuement les objections qu'on avec celle des animauxso ; d'autre part, malgré la polyvalence du peut opposer à cette solution en s'appuyant sur le rôle de l'âme mot "corps" chez lui, il n'envisage ici que le corps terrestre, dans la colère et il leur répond72 . D'ailleurs l'âme végétative suit comme c'est souvent le cas, autrement cette définition pourrait l'âme raisonnable et quand celle-ci quitte le corps l'autre le lais- aussi s'appliquer aux anges qui ont des corps éthérés. Dans le 81 se aussi malgré certains phénomènes qui sembleraient montrer Christ en tant qu'homme Origène voit avant tout l'âme . Le que la vie se prolonge un peu dans le corps morel • corps est au service de l'homme comme une bête de somme (iumentum) et il aide l'âme82 . Sa fonction est Il La sensation et la perception appartiennent à l'âme. Pour est donc d'une certaine façon accessoire. A la différence percevoir quelque chose il faut, soit qu'elle lui devienne sem- d'Irénée qui voit l'Image de Dieu dans le Verbe Incarné, présent blable, soit qu'elle soit unie à quelque chose qui lui est sem- de toute éternité dans les desseins de Dieu, et attribue en consé- blable. Il faut donc entre l'objet sensible et l'âme intelligible un quence au composé humain sa participation à cette image, intermédiaire qui reçoive la forme qui est dans l'objet sensible. Cet intermédiaire doit être un organe corporel en "sympathie" et en "homéopathie" avec l'objet et par ailleurs pour être l'orga- 74. Ibid. 23 l. 1 ss. 75. Ibid. 24, l. 1-12. ne d'une "certaine" connaissance il doit être différent du con- 76. Alcibiade 129 e 11. naissant et du connu mais propre à s'assimiler à l'un et à l'autre, 77. PArch IV, 2, 7,223 78. Rufin traduit ibid. 275 : "Je dis maintenant hommes les âmes placées dans à l'objet subissant l'impression, et au connaissant pour qu'il soit des corps". 79. CCels VII, 38, 15. 69. IV, 4 (28), 19, 1. 1. 80. Voir ce que nous dirons plus loin sur la métempsycose chez Plotin et chez 70. Ibid. 20, 1. 1 ss. Origène. 71. Ibid. 21, l. 1 ss. 81. Dans tout le chap. PArch II, 6, spécialement §§ 4 et 7. 72. Ibid. 28 l. 1 ss. 82. HomJg VI, 5, 502, 23. 73. Ibid. 29, 1. 1 ss. 83. Fragm 1 Co XXX, 371. 244 245 Origène fait du Verbe dans son être divin seull'"image invisible r .. .. 71 f sonnable au-dessus de tous les êtres sans raison, disant que la du Dieu invisible"B4 et ne met sa participation dans l'homme que Providence a fait toutes choses principalement pour le bien de dans l'âme ou mieux dans sa partie ou tendance supérieure, la nature raisonnable. Les êtres raisonnables qui sont les créa- l'intelligence, cœur ou faculté hégémonique. Le "selon l'image" tures principales jouent le rôle des enfants mis au monde, les de l'homme ne s'applique pas au corps, car Dieu n'est pas cor- êtres sans raison et inanimés, celui du placenta créé avec porel, malgré les anthropomorphismes bibliques attribuant à l' embryon93-94. L'image est de Chrysippe. Dieu et à l'âme humaine des membres corporels 85 . Le mettre On ne trouve guère chez Origène de discussion sur les comme Irénée dans l'ensemble du composé humain serait sup- rôles respectifs de l'âme et du corps dans les passions. Mais poser Dieu composé86 • Mais la dignité de l'image rejaillit cepen- quand Plotin parle du choix primordial qu'a fait l'âme il intro- dant indirectement sur le corps, car il est le sanctuaire qui abrite duit le problème du libre arbitre, une des idées fondamentales le "selon l'image"87.. A plus forte raison le corps de Jésus, qu'il d'Origène que nous examinerons plus loin. s'agisse de son corps historique ou de l'EgHse qui est aussi son corps, bénéficie de la même dignité de contenir l'Image de Nous avons plus haut laissé ouverte la question suivante : Dieu88• Pourquoi après la chute des intelligences préexistantes le corps Que l'âme de l'homme soit radicalement différente de de l'homme seul a revêtu une qualité terrestre et pourquoi toutes les âmes animales, malgré ce que dit Platon 89 et que l'homme a-t-il été mis dans un monde sensible auquel l' état nou- reprend Plotin, est affirmé nettement dans le Contre Celse, dans veau de son corps le rendait connaturel ? Nous avons répondu la longue discussion avec Celse sur les capacités respectives de que l'homme y était mis parce qu'il était encore guérissable, l'homme et de l'animal90 • Origène ne pense pas "que toutes les comme en un lieu d'épreuve. Cela ouvre tout le problème du âmes sont de la même espèce et que celle de l'homme ne rapport de la corporéité sensible avec le péché. Il a été discuté l'emporte en rien sur celles des fourmis et des abeilles". La raison dans un colloque tenu à Milan, à l'Università deI Sacro Cuore, en est que "l'âme humaine a été créée à l'image de Dieu" et qu'il du 17 au 19 mai 1979 sous la direction d'Ugo Bianchi, entre des est impossible "pour sa nature façonnée à l'image de Dieu de historiens des religions et des patrologues95 . Les points de vue perdre absolument tous ses caractères et d'en recouvrer d'autres, des historiens des religions, qui trouvaient en Origène un cer- à l'image de je ne sais quoi, dans les êtres sans raison"91. En cela tain dualisme entre Dieu et la loi - de quelque façon qu'on la Origène est conscient de s'opposer à Platon puisqu'il écrit de qualifie - qui joint le péché à la matière et des patrologues pour Celse: "en bien des points il entend platoniser"92 : il trouve au qui, selon Origène, la souveraineté absolue de Dieu ne peut contraire un appui chez les "philosophes du Portique". Car admettre à côté de lui ce qui pourrait sembler une loi de nature ceux-ci placent à bon droit l'homme et en général la nature rai- indépendante de sa volonté, se sont rapprochés pendant le col- loque sans cependant parvenir à une concordance complète. Col l, 15 avec l'ajout du premier mot "invisible". SelGn 1,26-27,93 BG. On peut dire d'une part qu'Origène hérite du platonisme une CCels VI, 63, 17. Cf. Fragm 1 Co XXIX, 4. 17. CCels VI, 63, 33. 18. CCels VI, 73 ; ComJn X, 35 (20), 228 ss. 93-94. CCels IV, 74, Il ss. Chrysippe est cité par PLUTARQUE, Moralia 1000 f. 19. Timée 69 cd, Phèdre 246 b- 247 b. Dans Von ARNIM, Stoicorum Vetemm Fragmenta II, 1158. 10. CCels IV, 74-99. 95. Voir: Arché e Telos : L'antropologia di Origene e di Gregorio di Nissa : Analisi Il. Ibid. IV, 83, 39. storico-religiosa. (Atti) Pubblicati a cura di U. BIANCHI con la cooperazione di 12. Ibid. 38. H. CROUZEL, Studia Patristica Mediolanensia 12, Milano (Vita e Pensiero). :46 247 .'- structure d'origine plus ou moins dualiste96 , mais d'autre part que Mais en quoi consiste cet "exercice" ? Pour l'apprendre nous le sens qu'il a de la toute-puissance divine empêche tout dualisme devons nous rapporter à la notion origénienne du péché dans à proprement parler. En outre Dieu dans sa souveraine liberté son aspect anthropocentrique. Le péché consiste à s'attacher au a créé l'homme doué de libre arbitre, capable d'acquiescer, monde sensible, bon en lui-même puisqu'il est l'image des réali- mais aussi de s'opposer, aux desseins divins. Ce point essentiel tés célestes et qu'il est créé par Dieu, mais dont le but essentiel de toute la synthèse d'Origène est un des paradoxes fondamen- est de nous montrer la direction de ces réalités célestes et par sa taux de l'histoire du salut dans la perspective chrétienne : c'est beauté de nous en donner le désir. Mais s'attacher à l'image la liberté de l'homme, s'ouvrant à l'action de la grâce divine, comme si elle était l'absolu que recherche l'âme, la prendre qui décide de la sainteté et du salut; c'est aussi la liberté de pour but alors qu'elle n'est que moyen, poteau indicateur pour l'homme, refusant de se laisser mener par la grâce divine, qui ainsi dire, oublier pour elle son modèle divin, c'est là le péché. est à l'origine du péché. Le paradoxe est celui d'un Dieu tout- C'est pourquoi tout péché est idolâtrie, de même que tout puissant douant ses créatures du pouvoir de s'opposer à lui. péché est un adultère envers l'Epoux divin, le Christ: tel est On ne peut donc accepter, dans la perspective d'Origène, l'aspect théocentrique. Pour montrer le premier aspect nous qu'il y ait une loi de nature indépendante de la volonté de Dieu signalons quelques textes. Le péché desJuifs du temps du Christ qui lierait péché et matière - le problème de la matière et du et d'Origène c'est de s'attacher à leur loi et à leur culte qui ne mal sera traité au chapitre V -, mais il peut en être ainsi par la sont que les "ombres" des "vraies" réalités et de refuser pour volonté divine. Avant de chercher pourquoi, selon Origène, cela ces "vraies" réalités elles-mêmes, le Christ. Ainsi sont inter- l'homme a été mis ainsi dans le sensible, faisons deux remar- prétés dans la parabole des vignerons homicides loo les serviteurs ques. D'abord Origène n'attribue pas un corps matériel aux qui mettent à mort le fils du propriétaire de la vigne: "Ils intelligences qui ont le plus péché et qui sont les démons. En- avaient pensé, en mettant à mort le Christ et en ne comprenant suite l'affirmation de la création du monde ex nihilo, non à par- pas sa Résurrection - s'ils l'avaient connue ils n'auraient pas cru- tir d'une matière préexistante, est claire pour Origène, étant cifié le Seigneur de gloire pOl - qu'ils seraient les maîtres des attestée non seulement par le Peri Archon97 qu'on pourrait croi- 'réalités' parce que leur malice les avait aveuglés et re interpolé par le traducteur Rufin, mais par un des grands ils n'avaient pas connu les mystères de Dieu"lo2. est fré- commentaires conservé en grec, le Commentaire sur jean 98, avec quemment chez Origène le synonyme de ou d'àÀn9Eta les mêmes citations. et désigne les mystères suprêmes, les réalités divines lo3 . Ils ont C'est donc selon lui une intention particulière de Dieu qui donc cru en tuant Jésus que les images qu'étaient leur culte et :1 rendu matériel le corps de ceux qui lui apparaissaient guéris- leur loi resteraient les "réalités" définitives et pour cela ont fait iables et qui a créé dans la même intention ce monde sensible99 : exécuter celui qui était lui-même la Vérité et le Mystère. En cela .es hommes ont été placés en ce monde "pour y être exercés". ce péché est exemplaire de tout péché: tout péché est idolâtrie, donnant la place de Dieu, le rôle de fin dernière, à une créature, Faut-il voir du dualisme partout où il y a une structure duelle ? Dans ce cas image de Dieu, dépendante de Dieu. Semblable est le péché m peut en trouver partout. Il est plus normal de réserver ce mot aux cas où il 'agit de deux principes irréductibles l'un à l'autre. 17. PArch II, 1,3, 157. Cf. 1,3, 3, 56, citant pour cela 2 Macc 7, 28 et le PrLSteur 100. Mt 21,33-43. l'HERMAS, préc. 1 (considéré par Origène comme Ecriture). 101. 1 Co 2, 8. 18. ComJn l, 17 (18), 103. 102. ComMt XVII, Il,614,3. 9. PArch III, 5, 4, 129. 103. Voir notre Origène et la "connaissance mystique p. 36. :48 249 des philosophes païens : leur attachement à leurs systèmes est et de sa pureté première ... amie de la matière corporelle et une véritable idolâtrie ; au lieu de la Parole de Dieu ils adorent aimée d'elle"lo7, est seule responsable du péché proprement leurs propres constructions104• comme les idolâtres proprement dit. Mais la matière corporelle a aussi son rôle dans cette dits. Les hérétiques sont les plus coupables : comme les philo- situation : elle ne décide pas du péché, mais elle met dans un sophes ils adorent l'oeuvre de leur esprit, mais ils l'ont érigée état de tentation. sur les Ecritures, souillant ces dernières par le fait même 105. Beau- TI y a en effet, concernant cette matière corporelle et la sexua- coup d'autres textes seraient à citer, nous renseignant sur ce lité comme son degré le plus aigu, une notion difficile, celle de que représente pour Origène tout péché. souillure, punüÇ ou sordes, qui ne se confond pas avec le péché, car il .) Si, vu du côté de l'homme, tout péché est idolâtrie, c'est- r faut en outre l'acceptation libre de l'homme, mais qui y porte. On à-dire dans la vision exemplariste d'Origène, qu'il consiste à peut lire à ce sujet l'article très documenté de Giulia Sfameni adorer l'image comme si elle était le mystère, on peut com- Gasparro qui a examiné à peu près tous les textes d'Origène qui en prendre en quoi consiste l'épreuve à laquelle Dieu a soumis relèvene os • Certes, ces textes partent d'expressions scripturaires: l'homme pécheur en le mettant dans un monde d'images. Il se sont-ils la plupart du temps fidèles ou infidèles au sens biblique et rachètera si, au lieu de céder à l'attrait immédiat du plaisir que dans quelle proportion, il est difficile de le dire. Mais ils sont certai- ces images exercent sur lui, il s'en sert conformément à leur nement interprétés avec une mentalité qui a subi l'influence du pla- véritable destination divine comme des indications qui lui tonisme et qui en outre est celle d'un ascète et d'un mystique qui res- montrent la route du Mystère, c'est-à-dire de Dieu et de son sent dans les contraintes que lui fait subir le corps tout ce qui Verbe, et en éveillent en lui le désir. Ce faisant il offre à Dieu s'oppose à sa montée spirituelle. Par lui-même le monde sensible et l'acte d'amour, l'acte de préférence à toutes choses, qui le matériel constitue un obstacle à l'ascension des âmes vers Dieu, un sauve. Toute l'économie de l'Incarnation et de la Rédemption obstacle que la grâce divine acceptée par le libre arbitre peut sur- s'inscrit dans cette perspective. monter. Faut-il y voir un élément de dualisme? Comme cela a été dit plus haut cette solution ne paraît pas compatible avec le sens très Mais quelle est aux yeux d'Origène la valeur morale du haut qu'Origène a de la souveraineté divine. Mais de même que monde matériel et corporel et, notion qui en représente le de- Dieu respecte même dans ses orientations mauvaises le libre arbitre gré le plus aigu, de la sexualité? Sa position n'est pas facile à sai- de l'homme, de même il n'anéantit pas les conséquences du péché, sir d'une manière unifiée. D'une part le monde matériel est bon pas plus que les démons, ni les propensions perverses qui cons- par l'idée à laquelle il participe et dont l'Ecriture dit, au début tituent la partie inférieure de l'âme. Les surmonter avec l'ai- de la création - entendue comme celle du monde intelligible de divine sera le moyen du retour à Dieu109 • dont le monde sensible est l'image - : "Dieu vit que tout cela était bon"l06. Le péché n'est pas ailleurs que dans une décision 107. PArch II, 10, 7, 247. 108. "Le sordes (rhupos), il rapporto genesis - pht'hora e le motivazioni protologiche mauvaise du libre arbitre. La partie inférieure de l'âme, consé- dell'enkrateia in Origene. Chapitre V dàns : Origene: Studi di antropologia e di storia cutive à la faute, "celle qu'elle a assumée à cause de la chute du della tradizWne, Roma (Ed. dell'Ateneo) 1984, 193-252. libre arbitre, contrairement à la nature de sa création première 109. Autres textes sur le corps: Fragm 1 Co XXIX, 4 : Le corps doit être le temple du Seigneur où l'âme sainte et bienheureuse servant l'Esprit Saint devient le prêtre de l'Esprit Saint qui est dans l'homme. Maintenant que le Christ est ressuscité le corps ne 104. HomJr XVI, 9, 1 ss. doit être qu'au Seigneur. Ibid. XXX, 2: Le corps instrument de l'âme; l'âme commande 105. Lettre à Grégoire le Thaumaturge 3 (2), SC 148, 190 : l'exemple d'Ader et le corps obéit. Ibid. XXI, 2 : celui qui fornique pèche contre son corps. Ibid. XXXII : (Haddad) l'Iduméen, confondu aussi par Origène avec Jéroboam. Le corps temple de l'Esprit Saint : la fornication impiété envers la Trinité. Dans Conyn If 106. Gn 1,3. 10. 12. 18. 21. 25 : CdlIÙn XIII, 42, 280-283. 17,97-102: l'ambiguïté du tenne corps. 250 3. Nature de l'âme pourraient la recevoir autrement : la division vient des corps, non d'elle-même 1• - PLOTIN Si elles n'étaient pas à la fois divisibles et indivisibles il n'y Bien des caractères affirmés plus haut de l'Ame du aurait pas de sensibilité commune entre les différentes parties Monde sont vrais de l'âme individuelle puisqu'elles ont même d'un corps et il faudrait supposer pour un même corps une in- origine et dans une certaine mesure même nature. Deux traités finité d'âmes. La continuité ne suffit pas, il faut l'unité. Suit une très courts sur l'essence de l'âme commencent l'Ennéade IV. attaque contre les Stoïciens qui disent que les sensations vont Elle est de nature intelligible et de rang divin. Il faut distinguer progressivement jusqu'à la partie dominante de l'âme. Une la nature sensible qui est celle des corps et la nature intelligible série d'objections est élevée contre cette notion de partie domi- qui appartient aux incorporels. La première est composée de nante et contre celle plus générale de parties de l'âme. Mais si corps divisibles dont aucune partie n'est pareille aux autres ni l'âme individuelle était absolument indivisible elle ne pourrait au tout et la partie y est nécessairement moindre que le tout : animer le corps tout entier. Il faut donc que l'âme soit une et chacune de ces grandeurs ou de ces masses a son lieu propre et multiple, divisible et indivisible à la fois : les formes qui sont ne peut se trouver en même temps en plusieurs lieux. Au dans le corps sont multiples et unes, le corps seulement mul- contraire la seconde n'admet ni partie ni division ni lieu : elle tiple, le principe supérieur, c'est-à-dire l'Un un seulemene. ne se trouve en aucun être mais elle est comme "véhiculée" ensemble par tous les êtres qui ne peuvent être sans elle. A côté L'essence vraie est dans l'intelligible et l'Intelligence est sa de l'Ame du Monde il y a une autre nature qui n'était pas pri- partie la meilleure. Les âmes sont en haut et viennent ici-bas, di- mitivement divisible, mais qui se divise parmi les corps. Quand visées dans des corps dans le monde sensible. Là-haut aucune les corps se divisent, la forme qui est en eux se divise aussi, mais division, l'éternité, pas de temps. L'Intelligence est indivisible reste tout entière en chacun des fragments: ainsi les qualités comme l'âme là-haut, mais cette dernière peut se diviser quand peuvent être en plusieurs objets. Mais, outre la nature entière- elle s'éloigne de l'intelligible et entre dans un corps. Mais elle ment indivisible, il y a une autre nature qui en dérive et qui tient ne descend pas tout entière et ce qui d'elle reste là-haut est indi- d'elle l'indivisibilité, mais qui va à la nature corporelle et se visible. Comme dit Platon elle est faite d'une essence indivisible tient entre les deux natures, intelligible et sensible, d'une et d'une essence divisible selon les corps : cela correspond à ce manière différente de celle de la qualité qui est la même par- qu'elle est à la fois en haut et en bas. Mais elle reste indivisible tout où elle se trouve : car cette troisième nature est formée ici-bas tout en se divisant, car elle est tout entière dans le corps d'êtres différents suivant les corps. Elle est substance (oùo(a) et tout est présente dans les corps: bien qu'elle soit présente en L'âme est donc à la frontière de l'intelligible et du sen- chaque partie des corps, même des plus grands, elle ne cesse sible : "la nature de l'âme est la raison de tout, la raison der- pas d'être une. Elle n'est pas une comme est un le corps dont nière des intelligibles et de ce qu'ils contiennent et la raison les parties sont toutes différentes, mais en continuité. Non plus première de ce qui se trouve dans l'univers. C'est pourquoi comme les qualités qui sont unes en plusieurs corps différents. '" elle est en relation avec les deux: avec les premiers elle est L'âme individuelle est à la fois divisible en ce qu'elle se trouve heureuse et revit, avec les autres trompée par la ressemblance en chaque partie du corps, indivisible parce qu'elle est tout 1. IV, 2 (4), 1,1. 1 SS. entière en chacune. Elle n'a pas de grandeur mais est présen- 2. Ibid. 2,1.1 SS. te en toute grandeur. Elle se divise dans les corps, car ils ne 3. IV, 1 (21), 1,1. 1 SS. 252 253 elle descend comme ensorcelée". La ressemblance en ques- chaque endroit du corps étendu. Partout l'âme possède la tion provient des formes intelligibles qui viennent informer la faculté sensitive et la végétative. Mais la réflexion et l'intelligen- matière pour faire les êtres sensibles. "Etant au milieu elle sent ce n'appartiennent pas au corps qui n'intervient pas en elles, et les deux et on dit qu'elle pense les intelligibles quand elle vient il serait pour elles plutôt un obstacle : c'est la puissance supé- à s'en souvenir, si elle se trouve parmi eux: elle les connaît rieure de l'âme qui est indivisibleo. Les facultés ou "parties" de parce que en quelque sorte elle est eux ; elle les connaît, non l'âme sont-elles dans un lieu? Ni l'âme ni ses parties ne sont parce qu'ils viennent demeurer en elle, mais parce qu'elle les dans le corps comme dans un lieu, comme dans un contenant. possède en quelque manière, qu'elle les voit, qu'elle est eux de C'est l'âme qui contient le corps et non réciproquement. Mais manière plus obscure et qu'elle devient d'obscure plus claire elle ne sera pas non plus dans le corps comme dans un substrat en s'éveillant en quelque sorte et en allant de la puissance à (UflO1ŒijJLvov), car l'âme est un être séparé du corps. L'âme n'est l'acte. Les êtres sensibles sont comme liés à elle de la même pas la forme qui, informant la matière, fait le corps, mais cette manière et elle les rend lumineux d'elle-même et elle agit pour forme dérive d'elle. Dire que l'âme est dans le corps est une qu'ils soient sous son regard, sa puissance est prête pour cela expression inexacte qui vient de ce que nous voyons le corps et et auparavant elle les engendre pour ainsi dire"4. non l'âme ll • Comme l'Ame du Monde, comme les âmes qui animent les L'âme est-elle dans le corps comme le pilote dans son astres dans le ciel, ces astres que Plotin nomme des dieux, notre navire? Mais le pilote n'est pas à la fois dans tout le navire, il âme a grand prix et est divine : elle a même prix que l'Ame du n'est pas intérieur au gouvernaillui-même 12 . L'image du feu Monde, elle est infiniment plus précieuse que ce qui est corporel 5. dans l'air cloche pareillement. Selon c'est le corps qui La nature de l'âme n'a rien de commun avec celle du sensible, est dans l'âme, mais il n'occupe qu'une partie de l'âme puisqu'il elle est dans le même ,genre d'être que l'Intelligence, elle appar- y a dans l'âme des puissances qui n'ont pas besoin du COrpS14. tient à ce que Platon appelle "l'homme intérieur"6. Son activité Les diverses puissances de l'âme, par exemple les sensitives, se intellectuelle n'a pas besoin d'organe corporel. Elle est en dehors trouvent dans les parties du corps qui leur correspondent. Au- de tout lieu. Quand Platon die qu'il faut qu'elle se sépare dessus des facultés sensibles se trouve la raison (À6yoç) qui ne (XWpiCEIV) du corps, il n'entend pas là le lieu, mais recommande communique en rien avec le corps mais doit être en relation de ne pas s'incliner vers le corps et de lui rester étranger, si on avec la faculté sensible qui a un rôle critique, la faculté imagina- fait remonter l'âme vers le haut alors qu'elle est installée ici-bass. tive qui est d'une certaine façon intellectuelle et celles de C'est vers l'intérieur qu'il nous faut tourner notre attention : lais- l'appétition et du désir mues par l'imagination et la raison. La ser les auditions sensibles à moins de nécessité et garder notre raison n'est pas dans la tête mais il y a dans la tête des facultés attention pure, prête à entendre les voix d'en haut9 • qui ont besoin d'elle 15 . Indivisible et divisible, ce dernier qualificatif est à appli- Comment trouver une multiplicité dans une âme qui n'a quer au fait que l'âme doit être présente tout entière dans pas de dimension et est tout à fait simple ? C'est facile quand 4. IV, 6 (41), 3,1. 5 ss. 10. IV, 3 (27), 19,1. 1 ss; 5. V, 1 (10),21. 44 ss. et 3. Il. Ibid. 20, 1. 1 ss. 6. République 589 a 7 - b 1 : voir Paul dans Eph 3, 16. 12. Ibid; 21, 1. 1 ss. 7. Phédon 67 c 6. 13. Timée 36 d 9 - e 3. 8. V, 1 (10), 10,1. 1 ss. 14. IV, 3 (27), 22, 1. 1 ss. 9. Ibid. 12, 1. 1 ss. 15. Ibid. 23, 1. 1 ss. 254 255 il s'agit du corps; mais de l'âme ?16 Ce n'est pas un composé la chose de ce qui la participe, tout en restant en elle-même. de beaucoup d'éléments mais une unique nature multiple. Ce Elle ne se partage pas et ceux qui la désirent la désirent tout qui fait le corps c'est l'âme et c'est en cela qu'elle est multiple. entière22 • Car le même être immatériel peut être partout sans Cette multiplicité vient-elle des raisons de ce qu'elle produit? être divisé en morceaux23 . Tout ce qui vient de l'Un est incor- Elle est elle-même raison et somme des raisons, et les raisons ruptible, les âmes sont immortelles, de même toutes les intelli- sont son acte quand elle agit selon son essence qui est d'être gences 24 . Les êtres incorporels, dont l'âme, peuvent être pré- la puissance de ces raisons. La multiplicité de l'âme une est sents à quelque chose tout en étant séparés et ils ont des modes manifestée par ses actions. Elle al' existence, une existence divers de présence25 . Le même son est entendu tout entier et le qui n'est pas celle d'une pierre: elle est être, elle est un l7 , elle même spectacle vu tout entier par des personnes diverses : ainsi a l'être et l'être teP7biS, elle est vie. Elle est multiple aussi dans l'âme est partout présente. Ses caractères ou propriétés sont de ses rapports avec les autres, multiple dans ses mouvements, même. Dans un corps nouveau ce n'est pas une partie d'âme qui multiple quand elle essaie de se voir et de se contempler elle- vient, mais une âme qui était déjà dans l'univers26 . La notion de mêmes. Elle a de même en elle les idées l9 . participation suppose l'incorporéité car un corps ne participe Comme l'Ame du Monde est présente tout entière dans pas à un autre27. Dans l'Ame du Monde toutes les âmes sont une: chaque partie du monde, les âmes individuelles le sont dans une infinité de vies, mais toutes sont ensemble. Les âmes préexis- chaque partie du corps qu'elles animent. L'âme est tout entiè- tent donc à leur union au corps, sous formes d'hommes ou de re partout. La multiplicité n'est pas en contradiction avec dieux: mais l'homme spirituel a été en quelque sorte capté par un l'unité car l'âme ne se divise pas dans les différents organes homme corporel, tellement qu'ils sont devenus un couple âme- du corps. Avant même la formation du corps, l'âme est à la corps2S. Ce n'est pas cependant par hasard que tel corps ren- fois multiple et une. Cela est aussi vrai des âmes individuelles contre telle âme. Mais alors que l'âme par elle-même est dans la par rapport à l'Ame du Monde, cette dernière contenant les sérénité le corps apporte le trouble à!' ensemble, comme quand la premières: de même des sciences multiples se trouvent dans populace envahit de ses cris et de ses vociférations une assemblée une seule âme 20 . Mais la grandeur de l'âme n'est pas affaire de de sénateurs. TI peut se faire que la voix d'un d'entre eux apaise la masse ou de volume. Quand la masse du corps devient plus foule, mais aussi que la foule ne soit pas capable d'entendre une grande l'âme s'étend toujours sur toue l. La lumière immatériel- parole raisonnable. C'est le cas de l'homme qui a en lui la popula- le de l'âme n'est pas la lumière matérielle 'des corps: elle est ce des passions, désirs, plaisirs ou craintes et qui se laisse asservir antérieure à tout corps, elle ne commence pas ni n'est locali- par elle, au lieu de la dominer'. sée. Elle ne peut pâtir ni être divisée en parties elle-même car Tous les êtres désirent l'Un et vont vers l'Un30 . L'unité ce qui est immatériel n'a pas de dimensions. Et c'est pourquoi de toutes les âmes entre elles a pour conséquence leur infini- elle peut être participée par plusieurs, participée sans devenir 22. Ibid. 8, 1.1 ss. 23. Ibid. 9, 1. 18 ss. 16. VI, 2 (43), 4, 1. 20. 24. Ibid. 10, 1. 28. 17. Ibid. 5, 1. 10 ss. 25. Ibid. Il, 1. 20 ss. 17 bis. On dira plus tard l'existence et l'essence. 26. Ibid. 12,1. 1 ss. 18. Ibid. 6-7. 27. Ibid. 13,1. 1 ss. 19. Ibid. 22, 1. 1 ss. 28. Ibid. 14, 1. 1. 20. VI, 4 (22), 4, 1. Il ss. 29. Ibid. 15, 1. 1 ss. 21. Ibid. 5-7. 30. VI, 5 (23), l, 1. 1 ss. 256 257 té. L'âme ne manque pas au corps ni à ses parties, mais elle ne comme celui qui entre dans une maison pleine d'objets magni- peut être mesurée. Si elle était composée elle ne serait pas fiques qu'il commence par admirer, mais il les oublie quand paraît présente tout entière à toutes les parties, elle serait présente le maître de maison. L'âme ne connaît plus alors de mouvement, par ses parties à toutes les parties du corps. Elle a l'un et le mul- elle n'est plus âme ni vie, car l'Un ne vit pas mais est au-dessus de tiple en elle-mêméll • Elle appartient à la nature incorporelle la vie, elle n'est plus intelligence car elle ne pense plus. Elle décrite comme sans mesure ni limite, elle n'existe pas dans le devient semblable à l'Un qui ne pense pas39. "Si par le corps temps, mais dans l'éternité (aiwv ),qui ne se divise pas comme le nous sommes loin d'être substance, par l'âme, ce que nous temps, mais reste en elle-même, infinie par sa puissance32. Elle sommes le plus, nous participons à la substance (oùola) et nous est comme la vie qui est présente partout dans l'animal, avec sommes une substance, c'est-à-dire comme un composé de diffé- une puissance qui n'est pas quantitative33 . Les vertus sont en rence et de substance. Nous ne sommes certainement pas sub- substance dans l'Intelligence (= l'intelligible) et par acccident stance au sens propre (Kuplwç), substance en soi (aùToouola) : dans l'âme, en puissance, mais elles deviennent en acte quand c'est pourquoi nous ne sommes pas maîtres de notre substance. l'âme va vers l'Intelligence et s'unit à elle34. La substance est en quelque façon une chose et nous une autre, L'âme intelligente a la forme du Bien et désire le Bien, et nous ne sommes pas maîtres de notre substance mais notre d'abord à travers l'Intelligence et les vertus. Mais son désir ne substance l'est de nous, puisque c'est elle qui ajoute la différen- s'arrête pas à l'Intelligence, il va au Bien auquel elle participe. ce. Mais puisque nous sommes en quelque façon ce qui est Elle désire la vie, elle veut vivre éternellement et agir de même : maître de nous, ainsi néanmoins, ici-bas aussi, nous pourrions si elle désire l'Intelligence ce n'est pas seulement en tant être dits maîtres de nous"40. qu'intelligence, mais parce que l'Intelligence vient du Bien et va Plotin entre dans une distinction faite par Aristote41 entre vers le Bien 35 . Ce n'est pas l'Intelligence seule qui émeut l'âme et l'essence de l'âme qui dans ce cas sont identiques parce d'amour l'âme, mais l'attirance du Bien qui se manifeste à tra- qu'il s'agit d'un être simple, et entre l'homme et l'essence de vers elle, et alors elle monte vers le Bien par delà l'Intelligence36. l'homme qui ne sont pas identiques. Ce que nous traduisons par Cette conversion, cette montée vers le Bien de l'âme menée par essence et qu'on pourrait aussi traduire par quiddité (TO Tl nv l'amour est magnifiquement décrite, avec le mépris qu'elle dval) est exprimé par un datif Kat TO dval, liv9pwTlQÇ entraîne pour les réalités d'ici-bas37. Pour atteindre l'Un, l'âme se Kat dval). Il en est de même chez Plotin. Tout ce qu'on dépouille de toute forme car elle ne peut le recevoir que seule à dit être est soit la même chose que son essence dval aÙToù), seul, n'étant plus deux avec lui, mais un. Elle voit alors tout son soit autre : ainsi cet homme est une chose, l'essence de l'homme désir satisfait. Désormais, elle méprise tout ce qui lui causait dval) une autre; cet homme participe seulement à auparavant du plaisirs. Elle dépasse l'Intelligence et l'intelligible l'essence de l'homme. Tandis que l'âme et l'essence de l'âme sont la même chose parce que l'âme est simple et ne dépend pas 31. Ibid. 9, 1. 12 ss. d'autre chose: de même l'homme en soi (liv9pwTlQÇ aÙTo), c'est- 32. Ibid. 11,1. Il. 33. Ibid. 12, 1. 1 ss. à-dire l'idée de l'homme et l'essence de l'homme42 . 34. VI, 6 (34), 15,1. 21 ss. 35. VI, 7 (38), 20 (1. 12 ss.), 21 (1. 6 ss). 39. Ibid. 35, 1. 1 ss. 36. Ibid. 22, 1. 8 ss. 40. VI, 8 (39), 12, 1. 3. 37. Ibid. 31, 1. 1 ss. 41. Métaphysiqu.e H 3, 1043 b. 38. Ibid. 34, 1. 1 ss. 42. VI, 8 (39), 14, l. 1 ss. 258 259 C'est l'âme qui donne au corps son unité. Elle donne ce ne nous désire pas mais nous le désirons49 • Nous ne sommes faisant quelque chose de différent d'elle et c'est en regardant pas coupés de l'Un, même si la nature des corps nous tire à l'Un qu'elle fait chaque chose un. Car elle n'est pas l'Un en soi elle. La vie de maintenant sans Dieu est une trace de la vie qui (OÙ1"O 1"0 Ëv). L'un fait nombre avec l'âme, ils sont deux, comme imite la vie bienheureuse. Mais ici-bas c'est la chute, l'exil, la le corps et l'un. Mais si elle n'était pas une elle ne serait pas. perte des ailes50 • L'âme est comparée à une vierge qui aime un L'âme est multiple et une, quoique non faite de parties: elle est bon père. Elle vient à la naissance trompée par des promesses multiple par ses nombreuses facultés. Elle introduit l'un dans le de mariage, mais tourmentée par la privation du père. Elle se corps mais elle le reçoit d'un autre4S • Elle ne comprend que purifie de tous les mauvais traitements d'ici-bas et elle a la joie l'idée (d60ç) et elle ne peut comprendre ce qui est sans idée de rejoindre son père. Et l'âme a une autre vie quand elle est (àvd6e:ov) - c'est-à-dire probablement l'Un - et c'est pourquoi avec lui. Elle peut le voir dès ici-bas et briller de son éclat elle descend volontiers jusqu'au sensible comme jusqu'à un ter- divin, mais ces instants ne durent pas5I • On ne peut rester là- rain ferme. Pour rejoindre l'Un et s'unir à lui l'âme doit devenir haut tant que l'on n'est pas sorti définitivement de l'obscurcis- d'abord intelligence en remontant loin du sensible44 • Ce n'est sement du corps et on retombe alors dans les raisonnements pas par conséquent par la science que l'âme atteint l'Un, car la de la science52 • science est discours et le discours multiplicité45 • C'est par la contemplation qu'elle va à l'Un46, dépassant la raison raisonnan- ORIGÈNE te et discursive47 • L'Un n'est présent qu'à celui qui peut le tou- On trouve dans le Traité de la Prièrls une petite disserta- cher, non à celui qui ne le peut pas. L'âme doit rejeter de sa pen- tion sur 1'00010 dont la technicité tranche sur le caractère pasto- sée tout le reste : elle doit se dépouiller de toutes les autres ral et spirituel de l'ensemble de l'écrit. C'est pour expliquer pensées, devenir sans idée, séparée de tout ce qui est extérieur l'adjectif trnouoloç, un hapax qui qualifie le pain du Notre Père et pour se tourner entièrement vers le dedans, ignorant toutes que l'on trouve dans les deux versions de cette prière, celle de choses et ignorant même que c'est elle-même qui contemple MatthieuM et celle de Luc55 • L'étymologie qu'Origène préfère, à l'Un. Elle doit s'unir à l'Un et annoncer aux autres l'union sur- partir du préfIXe tn1 et de 00010, lui donne le sens de suressen- venue là-haut. Dieu n'est extérieur à aucune âme et il est présent tiel, de supersubstantiel : il signale cependant une autre étymo- même à ceux qui ne le savent pas parce qu'ils fuient loin de lui logie56, considérée habituellement comme plus vraisemblable, et loin d'eux-mêmes48 • L'âme devient alors un dieu, car un dieu faisant venir le mot de tnlÉvol, ou plus exactement de il tnloOOO c'est celui qui est attaché à l'Un. Les êtres corporels ne sont pas le lendemain, désignant ici le jour de la vie éternelle. empêchés par des corps de communier entre eux. Ds sont sépa- Cependant la première étymologie est expliquée par une rés par l'altérité et la différence mais quand il n'y a plus altérité double signification de l' oùolo, l'incorporelle des platoniciens ils sont présents les uns aux autres. L'Un étant sans altérité est toujours présent et nous aussi quand nous n'en avons plus. Dieu 49. Ibid. 8, 1. 1 55. 50. Phèdre 246 c 2. 43. VI, 9 (9), l, 1. 17. 51. VI, 9 (9), 9, 1. 755. 44. Ibid. 3, 1. 4 55. 52. Ibid. 10,1. 1 55. 45. Ibid. 4, 1. 3 55. 53. PEuch 27,8,367, 13. 46. Ibid. 1. 17. 54. Mt 6, Il. 47. Ibid. 6,1. 555. 55. Le Il,3. 48. Ibid. 7, 1. 1 55. 56. PEuch 27, 13, 372, 2. 260 261 et la corporelle des stoïciens : les deux se retrouvent dans la La trichotomie origénienne, dont nous avons donné plus synthèse propre d'Origène et la seconde, surtout dans ses expli- haut une idée succincte - nous allons maintenant l'exposer plus cations concernant les corps ressuscités57 • La première selon complètement - est différente de la platonicienne par les ceux qui la tiennent n'admet ni accroissement ni diminution termes qu'elle emploie et les réalités qu'elle désigne. Elle dérive car ce sont des caractéristiques corporelles. Les corps en effet de l'énumération que fait Paul dans la salutation finale de 1 Th sont susceptibles de s'accroître et de se corrompre: ils doi- 5, 23 : "Que le Dieu de la paix vous sanctifie tout entiers et vent à chaque instant remplacer ce qu'ils perdent sous peine garde parfaits votre esprit votre âme et votre de diminuer. D'autres, les stoïciens, pensent que l'essence des corps (awlia) sans reproche au jour de notre Seigneur Jésus corps est dominante. L'oùala est alors la matière première des Christ". Ce ne sont pas là les termes employés par Platon, voüç, êtres et des corps : elle subsiste de façon indéterminée, pré- Èn19ulila. On les retrouvera cependant, le premier abon- existe aux êtres, reçoit toutes les transformations et les chan- damment, les deux autres sporadiquement, au niveau de l'âme. gements. Selon sa propre nature elle est indéterminée et sans Remarquons seulement que les mots nveülia et voGç ne sont pas forme, soumise à toute détermination possible. Elle ne parti- du tout équivalents: aussi nous les traduisons respectivement par cipe indissolublement à aucune qualité, mais elle est toujours "esprit" et par "intelligence" ou "intellect". Nous ne suivons pas liée à une qualité. Elle est entièrement muable et divisible et dans ce livre - nous l'avons indiqué à la fin de l'introduction -la peut se mélanger à une autre 58 • Nous reviendrons là-dessus en coutume de bien des plotiniens français de traduire voüç par étudiant ce qu'est la matière. "esprit", car nous sommes obligés de rendre de la même façon L'âme selon Origène appartient évidemment à la première les mêmes vocables chez Plotin et chez Origène. catégorie, non à la seconde. TI diffère de Plotin en ce qu'il ne par- En fait l"'esprit" (nveülia, spiritus) est la notion majeure tage pas son panpsychisme : si Origène met des âmes dans les de la trichotomie origénienne. Il y a une différence notable astres qu'il pense, sans l'affirmer toujours très fermement, être entre l'usage que font de ce mot les premiers écrivains chré- des créatures vivantes et intelligentes, s'il en met aussi dans les ani- tiens et celui des stoïciens et des méso- et néo-platoniciens. Le maux, mais des âmes qui ont peu en commun avec celles des pneuma chrétien est absolument incorporel tandis que le grec êtres raisonnables, il ne va pas plus loin. D'autre part sa trichoto- garde l'idée d'une corporéité subtile: ainsi pour l'enveloppe mie anthropologique n'a subi que secondairement l'influence de de pneuma qui fait le joint pour les platoniciens postérieurs Platon. D'abord elle concerne, non l'âme seule comme chez entre l'âme et le corps et constitue le "véhicule" de Platon, mais l'homme tout entier, et cela manifeste, malgré tout, l'âme, expliquant les apparitions de fantômes 6o • L'origine du un jugement plus positif sur le corps, rejoignant l'affirmation qui se trouve trois fois dans le Peri Archon: seule la Trinité est sans pneu ma patristique est la ruah hébraïque exprimant l'action COrpS59, toute créature a un corps, bien que l'âme soit, pour ce qui divine à travers Paul et aussi Philon qui la marie aux différen- la concerne, incorporelle; mais elle est toujours unie à un corps. tes formes du pneu ma stoïcien61 , tout en lui faisant exprimer l'action divine. Chez Origène il est le don que Dieu fait à 57. Voir notre article "La doctrine origénienne du corps ressuscité", Bulletin de l'âme pour la conduire dans la voie de la vertu, de la contem- Uttérature Ecclésiastique 80, 1981, 175-200. 241-266. Réédité dans Les fins der- 'lières selon Origène. 60. Voir notre article "Le thème platonicien du 'véhicule de l'âme' chez Origène", )8. PEuch 27, 8, 367, 15. Cf. aussi sur l'incorporéité de l'âme et de l'intelligen- DùkJ.sJudia, Usbonne , 7, 1977,225-237. Réédité dans: Les fins demières selon Origène. :e PArch l, 1,6-7. 61. André Laurentin, "Le pneuma dans la doctrine de Philon" Ephemerides ,9. PArch l, 6, 4 ; II, 2, 2 ; IV, 3, 15. Theologiae Lovanienses 27, 1951,390-437. !62 263 plation et de la prière : il ne fait pas partie à proprement par- dances plus viles. Cette partie inférieure, corrrespondant en ler de l'essence de l'homme, ce que montre le fait qu'il ne grande partie à ce qui sera appelé concupiscence par Augustin, participe pas à ses péchés. Il correspond plus ou moins, avec puis par les scolastiques, ne s'y réduit pas : c'est à cause d'elle d'autres concepts ou symboles origéniens, à ce que la théologie que l'âme est définie par Origène <f>avTaOTlKn et 0p/-lllTlKn, siège scolastique appellera grâce sanctifiante. Il est le maître, le men- des imaginations et des impulsions. Bien que l'âme du Christ tor, l'entraîneur, dont l'âme est l'élève. ait été absolument impeccable65, elle possédait cette partie infé- L'âme, second élément, est l'essentiel de l'homme, le rieure, car elle était sujette au trouble. C'est à ces deux aspects siège de sa personnalité et du libre arbitre. Elle est disputée que se réduit l'âme des animaux. Quant au corps (ow/-la, corpus), entre ce que l'on pourrait appeler deux parties ou deux ten- éthéré ou "étincelant", ou sombre et obscur, ou encore ter- dances : elle est donc une et multiple, ou plutôt duelle à la fois, restre, nous en avons déjà suffisamment parlé. Une des pers- comme chez Plotin. Ces deux expressions, parties et tendances, pectives centrales de cette anthropologie est le combat spirituel sont à maintenir l'une et l'autre car, si l'anthropologie origé- qui se manifeste dans l'opposition des deux parties de l'âme, nienne est surtout d'ordre dynamique, elle a une consistance l'une tendant à la spiritualiser en la rendant semblable à l'esprit, ontologique, elle est les deux ensemble. La partie supérieure, l'autre à la faire toute chamelle, l'alignant sur le corps terrestre. qui est dans l'âme l'élève du pneuma, est tantôt désignée d'un S'y joignent les combats que se livrent au-dessus de l'âme les terme platonicien, vouç, dans les traductions latines de Rufin anges sous la conduite de l'''Ange du grand conseil"66, le Christ, et ou de Jérôme, mens ou animus, l'intelligence, tantôt d'un terme les démons sous celle du Prince de ce monde, Satan67 • stoïcien f}YE/-l0VIKOV, en latin principale cordis, principale mentis, Plotin dit que l'âme est divine et d'origine divine. Cela principale animae, faculté hégémonique ou principale, tantôt rejoint chez Origène la doctrine de la création de l'homme d'un terme biblique Kapôia, cor, coeur. On ne voit pas de diffé- selon l'image de Dieu, dont le siège est précisément l'âme 68, rence entre ces trois appellations. Cette partie supérieure, assis- l'esprit étant un don divin qui ne fait pas à proprement parler tée de son pneuma et vêtue d'un corps éthéré, constituait à elle partie de la substance de l'âme. On peut citer aussi l'exégèse des seule l'âme dans la préexistence, avant la chute: c'est pourquoi "dieux" dont parle le Psaume 81 (82), aux versets 1 et 6. Origène on parle des "intelligences" préexistantes et elles ne deviennent n'ignore pas que dans le sens littéral du Psaume il s'agit des "âmes" qu'à la suite du "refroidissement" - étant rattaché juges69 • Mais il a pour allégoriser ce texte l'exemple deJésus lui- 62 à froid - de leur ferveur primitive. La partie inférieure même pour qui ont été dits dieux ceux à qui est parvenue la de l'âme, "amie et chère à la matière"63 est donc postérieure à la Parole (le Logos) de Dieu 70 • Aussi s'agit-il de ceux "qui sont chute et elle tire l'âme vers le corps terrestre. Elle est désignée appelés dieux par grâce et participation de Dieu", bien qu'au- de multiples manières, souvent du terme paulinien64 de <f>povll/-la Tflç oapKaç, sensus camis ou camalis, sagesse de la chair, souvent 65. PArch II, 6, 5, 166. aussi du simple terme oap( ou caro, qui est distingué de corps, 66. Is 9, 5 LXX. quelquefois, mais rarement, du couple platonicien SUI-l0ç- 67. Pour avoir les références confirmant ce que nous venons de dire, voir notre 8nlSu/-lia, sans distinguer entre tendances plus nobles et ten- article: "L'Anthropologie d'Origène dans la perspective du combat spirituel", Revue d'Ascétique et de Mystique, 31, 1955,364-385. Plus complètementJ. DUPUIS, L'esprit de l'homme, Bruges-Paris 1967. 52. PArch II, 8, 3, 12l. 68. Voir notre Théologie de l'Image de Dieu. 33. Ibid. II, 10, 7, 250. 69. CCels IV, 31, 42. 34. Rm 8, 6-7. 70.Jn 10,33-36. 265 cun "ne se trouve semblable à Dieu en puissance et par natu- Les autres spéculations sur l'âme ne se retrouvent guère re"71. Ce terme s'applique aussi aux anges qui, comme le dit aussi chez Origène. Il tient comme Plotin la préexistence de l'âme, le Psaume, seront jugés comme les hommes72 . Si actuellement hypothèse, mais favorite : il ne se la représente guère comme nous percevons Dieu anthropomorphiquement, comme un Plotin. Le désir de Dieu qu'a l'âme tient à sa création selon homme, parce que nous ne sommes pas encore devenus des l'image : l'image veut retourner à son modèle. Mais ce désir dieux, dans la béatitude, lorsque nous serons des dieux, Dieu se s'accomplit selon les mystères du libre arbitre de l'homme que manifestera à nous en Dieu7:i. On peut en conclure qu'anges et Dieu jamais ne force. Sur l'affirmation de ce désir de Dieu hommes ont par nature et création, dans le "selon l'image", citons les deux passages déjà signalés sur l'"amour ordonné"77. quelque chose de la nature divine ou du moins une possibilité Comme le dit le Sauveur lui-même il faut aimer Dieu et son de la recevoir et que cette possibilité s'accroît par la réception Christ, mais eux seuls "de tout son coeur, de toute son âme et de la grâce dans la disponibilité du libre arbitre, augmentant la de toutes ses forces" : aimer pareillement une créature serait ressemblance qui deviendra parfaite dans la béatitude, mais de l'idolâtrie78. Il n'y a aucune mesure à l'amour de Dieu dans cette perfection ne donne pas aux anges, à plus forte raison aux son Fils 79 . Mais nous voyons là que le Fils n'a pas vis-à-vis du hommes, d'être adorés : "ils ne sont pas dieux au point qu'il Père la même situation que l'Intelligence plotinienne, celle nous soit ordonné de vénérer et d'adorer à la place de Dieu d'un stade que l'on dépasse: le Père est aimé dans le Fils et le ceux qui nous dispensent et nous apportent les grâces de Fils dans le Père, ils sont aimés ensemble et de la même maniè- Dieu", car toute prière doit monter vers Dieu par le Souverain re, "de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses Prêtre, son Logos74. forces". Quant aux rapports de contenant ou de contenu entre l'âme Il Ya coïncidence entre les deux penseurs sur la place de et le corps, nous avons vu plus haut qu'Origène dit l'âme vêtement l'âme dans l'être humain. D'une manière analogue à celle de du corps, mais en rapport avec le dogme de la résurrection, parce Plotin, Origène appelle "notre principale substance" (fUlwv ôè qu'elle "cache et couvre sa nature mortelle". Elle donnera au corps il unocJTacnç)80 le fait d'être créé selon l'image du l'incorruption qu'elle possède75. Mais dans la vie présente on peut Créateur: or c'est l'âme qui est ainsi créée. Et l'un et l'autre dire, en essayant d'interpréter la pensée d'Origène, que la fonction définissent l'homme par son âme. du gouvernement du corps - du corps terrestre dont le caractère terrestre a été assumé après la chute - incombe à la partie inférieu- Pour rejoindre l'Un l'âme plotinienne doit devenir re de l'âme qui n'est pas à assimiler complètement à la concupis- d'abord intelligence en remontant loin du sensible. La créature cence, puisqu'elle existe aussi dans l'âme du Christ qui est impec- raisonnable selon Origène était intelligence (voùç) dans la pré- cable76 : cette partie inférieure est analogue à l'âme des animaux, existence, mais, par le fait même que la "qualité" de son corps alors que la partie supérieure n'a rien de commun avec eux. se changeait en terrestre une partie inférieure gouvernant le corps "refroidissait" l'intelligence primitive pour en faire une \ 71. HomEx VI, 5, 4 ss. '1 âme. Mais dans la résurrection et la béatitude, l'âme "sauvée" 72. Ibid. VIII, 2, 48. 73. ComMt XVII, 20, 641, 29. Cf. CCels IV, 27, 6 ; V, 4, 14 ; VIII, 4, Il ; VIII, 77. HomLc XXV et ComCant III, 186-191. 74, 12 ; Fragm 1 Co 19,358, 35. 78. HomLc XXV, 6-7. 74. CCels V, 4, 14. 79. ComCant III, 186, 26, interprétant Cant 2, 4. 75. PArch II, 3, 2, 52. 80. ComJn XX, 22 (20), 182 : C. Blanc traduit: "notre existence primordiale"; 76. PArch II, 6, 5, 166. traduction qui peut aussi se défendre. 266 267 redeviendra ce qu'elle était avant d'être "perdue", c'est-à-dire 4. L'âme et la mémoire intelligence8 }• PLOTIN Origène insiste autant que Plotin sur la contemplation, Plotin loge la mémoire dans l'âme seule et non dans le "com- notamment sur la "contemplation transformante" qui trans- mun" âme-corps, même s'il reconnaît que l'état du corps peut forme le contemplant en l'image du contemplé82 , en dépen- gêner l'acte de se souvenir. En effet l'impression qui est à l'origine dance de 2 Co 3, 18. Mais il y a entre eux des différences du souvenir a déjà été éprouvée par l'âme. TI s'agit évidemment importantes. Origène ne parle pas du dépassement de la rai- d'une âme qui est dans un corps et qui a reçu des sensations. Ces son raisonnante dans une contemplation intuitive, bien que empreintes (runol) ne sont pas à concevoir comme des empreintes son idéal de la connaissance l'assimile, non seulement à un de sceaux (eV<J>paYlOElC;), résultat de pressions (àvrEPe1OEIC;), comme contact sans intermédiaire imaginatif ou conceptuel, mais des impressions (TunwoEIC;), car il n'y a pas là de choc, ni même encore à une participation et pour finir à une union, un comme sur la cire, elles sont plutôt comparables à des pensées, "mélange", de l'âme avec Dieu. Ensuite il n'est pas question même quand il s'agit de choses sensibles. Mais l'âme doit avoir le pour atteindre le Père de dépasser le Fils, à l'inverse de souvenir de ses propres mouvements, désirs, jouissances, même l'Intelligence plotinienne. Le Père est atteint par et en son quand ils n'ont pas eu le corps pour origine. Fils, le médiateur incontournable. Transformant, comme nous l'avons dit, le contemplant en l'image du contemplé, la Dans le quarante-et-unième traité (IV, 6) intitulé "De la contemplation divinise. sensation et de la mémoire" Plotin s'oppose à une conception qui ferait de la sensation une empreinte imprimée dans l'âme Un des chapitres du Peri Archon 83 discute au sujet de et de l'âme un conservatoire de souvenirs, ce qui aurait pour l'âme entre deux opinions et entre ces deux, dans une longue conséquence une représentation corporelle de l'âme. Elle a digression, d'une troisième. La première est qu'il y aurait déjà la forme intelligible (ETôoc;) de ce qui est vu}. La nature de deux âmes en l'homme, une raisonnable et une charnelle ; la l'âme est intermédiaire entre l'intelligible où se trouvent les troisième qu'il y a une âme intermédiaire entre la 'chair et formes et le sensible que ces formes informent. La sensation l'esprit et qu'elle a une volonté propre, moralement indiffé- n'est pas pour l'âme pure passivité comme le montrerait la rente; la seconde qu'il n'y a qu'une âme qui reste indécise théorie des empreintes, mais au contraire une activité. entre le haut et le bas et qui peut être attirée vers l'un comme :4 vers l'autre. A la fin du chapitre Origène laisse le choix au lec- Le corps est plutôt obstacle à la mémoire, apportant pour teur. En fait sa propre doctrine, abondamment représentée certaines choses l'oubli2• A ce sujet une distinction est faite entre dans son oeuvre et dans le Peri Archon lui-même, d'une âmeB4 deux âmes, celle qui est· considérée comme plus divine, proba- unique avec ses deux parties ou tendances, fait la synthèse des blement la part de l'âme qui n'a pas quitté l'intelligible, et celle hypothèses discutées. qui vient de l'univers, c'est-à-dire qui est en rapport avec le sen- , ,1 sible!!. A quelle faculté de l'âme se rattache la mémoire? A la 81. PArch II, 8, 3, 106 selon Rufin, confinné par Jérôme et Justinien (SC 253, convoitise? A l'irascible ?4 Plotin discute et finalement rattache p. 201-202 note 26 ; p. 206 notes 26 et 27 avec un autre texte de Justinien, p. 252 note 55 avec un autre texte de Jérôme). 1. IV, 6 (41),2-3. 82. Voir Théologie de l'image de Dieu., p. 232-236. 2. IV, 3 (27), 26, 1. 1 ss. 83. PArch III, 4. 3. Ibid. 27,1. 1 ss. 84. PArch II,10,7,244. 4. Ibid. 28,1. 1 ss. 268 269 la mémoire à l'imagination. Il remarque en passant que ni l'acui- ce, une puissance qui passe à l'acte quand elle retombell • Mais té de la sensation ni celle de la réflexion ne vont nécessairement l'âme qui descend n'a pas seulement le souvenir de ce qu'autre- de pair avec l'intensité de la mémoire et que les différences exis- fois, dans une incorporation précédente, elle a vu ici-bas, mais tant entre les mémoires viennent de la différence entre les facul- aussi celui de ce qu'elle a contemplé là-haut, dans l'intelligible. tés, de l'attention ou du manque d'attention, des forces corpo- Plotin reprend ainsi la réminiscence platonicienne: elle s'opère relles 5 • Comment s'explique la mémoire des conceptions par la même faculté qui a contemplé les réalités d'en haut. Elle intellectuelles? Par l'image qui les accompagne, ou parce que retrouve aussi des souvenirs concernant le ciel astral qui est l'imagination conserve la parole qui exprime la pensée. Autre entre l'intelligible et notre monde sublunaire 12 • est la pensée, autre la perception de la pensée : nous pensons toujours, mais nous ne le percevons pas toujours6 • Plotin se ORIGÈNE remet ensuite dans la perspective des deux âmes distinguées Il n'y a guère de spéculation sur la mémoire chez Origène, plus haut et se demande, si chacune a son imagination et sa ou du moins de spéculation originale d'ordre psychologique1!!. mémoire, comment concevoir cette dualité 7 et comment se On trouve chez lui les débuts d'un thème spirituel qui sera comportent les deux âmes et leurs mémoires, l'âme supérieure repris par le monachisme, celui du "souvenir de Dieu", la j.1Vrlj.1Tl s'efforçant d'oublier les réalités multiples et corporelles s. Seoü, base de la méditation et de la contemplation14 , qui consiste Revenue dans l'intelligible, l'âme, en contemplant les réalités aussi dans le fait de retenir dans sa mémoire les enseignements supérieures, oublie les souvenirs de cette vie. Puisque là-haut de l'Ecriture 5 : la mémoire et la f.1EÀÉTTl, mot qui peut se traduire tout est dans l'éternité, non dans le temps, il est impossible qu'il par méditation ou par exercice, ensemencent dans l'âme les y ait dans ce monde supérieur une mémoire des choses d'ici-bas, paroles de l'Ecriture : Origène ne dédaigne pas la raison discur- mais tout est présent, sans passage successif d'un souvenir à un sive dans l'approche de Dieu 16 • De toute façon il faut pour prier autre: c'est une intuition globale àSp6av) de choses s'élever au-dessus des souvenirs d'ici-bas17, porter le Logos dans globales (àSpOOv) ; tout est donné d'un coup, ensemble, quelque sa mémoires, se rappeler les paroles du Chrise 9 • Le tourment nombreuses et variées que soient les pensées9 • Plotin réfléchit du damné résiderait dans le souvenir de ses actes20 , mais le juste ensuite sur l'absence de mémoire qu'il prête à l'Intelligence et à se souvient des bienfaits de Dieu21 • La mémoire a donc son rôle l'Ame du Monde9bis • Mais l'âme qui quitte l'Ame du Monde pour dans la prière. revenir en ce bas monde, voulant prendre son indépendance, '4 En dépit de la doctrine de la préexistence il n'y a guère retrouve la mémoire et devient ce dont elle se souvient, tiraillée chez Origène d'allusion claire et indiscutable à la réminiscence, entre l'en haut et l'en baslO. Mais à cette âme la mémoire n'est pas un bien, mais l'occasion de tomber davantage. Si elle la Il. Ibid. 4, l. 1 ss. retrouve en descendant, c'est que là-haut elle l'avait en puissan- 12. Ibid. 5, l. 1 ss. 13. PArch 1, 1, 7, 214 ou 1, 4, 1, 21. 14. HomNb X, 2,78,27; SerMt 27, 49, 3. 5. Ibid. 29, l. 1 ss. 15. HomNb XXIII, 9, 220,17 ss. ; HomLv IV, 9, 13. 6. Ibid. 30, l. 1 ss. 16. FragmLc 157,6: souvenir des enseignements légaux, prophétiques, évangéliques. 7. Ibid. 31, l. 1 ss. 17. ComJn XXVIII, 4, 25. 8. Ibid. 32, l. 1 ss. 18. FragmMt 48. 9. IV, 4 (28), 1, l. 1 ss. 19. SerMt 61, 138, 27. 9 bis. Ibid. 2, l. 1 ss. 20. PArch II, 10, 4, 144. 10. Ibid. 3, 1.1 ss. 21. Ibid. III, 1, 12, 347. 270 271 ce qui semble montrer que, malgré l'origine platonicienne de la Sadducéens26 . En effet dans le monde des ressuscités, non seule- doctrine de la préexistence, les raisons qui la motivent sont ment il n'y aura plus de relations conjugales, mais on ne se sou- autres que celles de Platon. Plus qu'une reconnaissance des viendra plus des liens familiaux: "On ne se rappellera plus la "idées" contemplées dans la préexistence et retrouvées à tra- parenté chamelle ... Dans le siècle à venir Thara ne s'appellera vers les êtres sensibles, leurs images, ce sont des raisons propre- plus le père d'Abraham, ni Abraham le père d'Ismaël ou des fils ment chrétiennes qui lui ont inspiré cette hypothèse favorite. de Cettura, peut-être même d'Isaac". L'hésitation sur Isaac vient D'abord la nécessité d'échapper aux difficultés qu'occasion- de la place de cette filiation dans l'histoire du salut. Le contexte naient les deux doctrines courantes chez les chrétiens à pro- est une réaction contre Millénaristes ou Chiliastes accusés de se pos de l'origine de l'âme, le traducianisme -l'âme sort avec le représenter le monde futur à l'image de celui d'ici-bas. Mais corps de la semence paternelle - et le créationnisme - Dieu seules les relations surnaturelles compteront dans le monde crée individuellement chaque âme à l'occasion du développe- futur. Origène est donc ici assez proche de Plotin27 . ment de l'embryon _22. Ensuite la polémique contre les princi- paux hérétiques du temps en opposant aux Valentiniens qui 5. La connaissance de soi-même tenaient les hommes sauvés ou damnés selon la nature reçue en partage, l'égalité originelle de tous les êtres raisonnables PLOTIN que distingueront seulement dans la suite les différents degrés Plotin commence comme d'habitude le quarante-neu- de la chute originelle venant de leur libre arbitre, et aux Mar- vième traité (V, 3), "Des hypostases qui connaissent et de ce cionites, pour qui l'inégalité des conditions humaines à la nais- qui est au-delà", par une suite d'objections à la connaissance sance montrait la méchanceté du Dieu créateur, le report de de soi chez un être simple: elles sont inspirées pour la plupart cette responsabilité sur le libre choix fait par chacun dans la par une représentation plutôt matérielle de cet être simple . qui, n'ayant pas de parties, ne peut observer lui-même par Deux textes cependant ont été avancés en faveur d'une une de ses parties les autres. Cependant refuser d'accorder doctrine de la réminiscence chez Origène 24 . C'est bien peu cela aboutirait à des absurdités quand il s'agit de l'âme ou de pour trouver chez Origène une telle doctrine et d'ailleurs ils l'Intelligence. L'Intelligence connaît tous les intelligibles qui peuvent s'expliquer plus simplement par la doctrine de la par- sont en elle, mais connaît-elle qu'elle les connaît ?28 Qu'en est- ticipation de l'homme à l'image de Dieu. il donc de l'âme? Il n'y a pas de problème pour les choses extérieures que l'âme connaît par la sensation, ni pour la Un rapprochement peut être fait entre l'opinion de Plotin conscience de l'intérieur du corps qui reste extérieure à soutenant que l'âme revenue dans l'intelligible et contemplant l'âme. Pour savoir si "l'intelligence de l'âme" a la connaissan- les réalités supérieures oublie celles d'en bas, et un développe- ce d'elle-même il faut monter jusqu'à l'Intelligence propre- ment d'Origène25 à propos de la conversation de Jésus avec les ment dite29 . Pour cela Plotin commence par la sensation qui 22. PAMPHILE de Césarée, Apologie pou.r Origène IX, PC 17,604 C -607 4. présente la figure d'une personne rencontrée. Mais elle la 23. Cf. H. CROUZEL, Origène, p. 268-272. 24. Maria Barbara von STRITZKY, "Die Bedeutung der Phaidrosinterpretation 26. Mt 22, 23-33. für die Apokatastasislehre des Origenes", Vigiliae Christianae 31, 1977, 282-297. 27. Voir encore sur ce sujet HomLc XXI, 6 : l'immensité du coeur humain par Ce sont PEuch 24, 3, 355, 5-8 et une citation de Ps 21 (22),28 dans PArch IV, 4, tout ce qu'il contient et se souvient. 9,382. 28. V, 3 (49), l, l. 1 ss. 25. ComMt XVII, 33, 690, 27. 29. Ibid. 2, l. 1 ss. 272 273 juge sous le rapport du bien, ce qui suppose qu'elle a en elle discursive et par l'Intelligence avec laquelle on s'identifie, "la règle du bien", parce qu'elle est àya8oElCSTlç, ayant la forme tirant ainsi après soi le meilleur de l'âme pour lui rapporter ce du bien, ayant été éclairée par l'Intelligence : il y a en elle les qu'on a vu. La raison discursive comprend les réalités du dehors, traces de l'Intelligence. A l'âme correspond le raisonnement mais les juge suivant des règles qu'elle tient de l'Intelligence : ne et la faculté raisonnante à qui revient d'examiner ce qui est en voit-elle pas qu'existe quelque chose qui est meilleur qu'elle, elle. "Mais si quelqu'un dit: 'Qu'est-ce qui empêche que ce qu'elle ne cherche pas mais en réalité possède ? Elle découle de qui lui appartient soit examiné par une autre faculté' ? On ne l'Intelligence et est son image, possédant écrit en elle tout ce qui recherche pas la puissance discursive (ÔWVOTlTlKOV), ni raison- la constitue. On peut s'arrêter à elle, mais aussi la dépasser et nante (ÀOYlCHIKOV), mais on prend l'intelligence pure", l'intelli- aller jusqu'à contempler cette Intelligence qui se connaît elle- gence pure que rien n'empêche de se trouver dans l'âme. même, ou participer à elle, connaître l'Intelligence et par elle Nous avons là probablement la distinction, fréquente chez nous-mêmes. C'est ainsi qu'on se connaît soi-même dans l'intelli- Plotin, entre la raison discursive et l'intelligence intuitive. gence. En laissant tout le reste on devient intelligence, on la voit C'est en effet par cette dernière seule que l'âme pourra avoir directement, on se voit soi-même en elle, comme l'Intelligence se l'intuition d'elle-même. Cette "intelligence pure", distinguée voit elle-même:52. Cela constitue dans la perspective plotinienne le de la raison discursive, est nôtre et non nôtre: nous en usons premier degré de l'ascension mystique qui se poursuit par le et nous n'en usons pas ; elle est nôtre quand nous en usons et dépassement de l'Intelligence et l'union avec l'Un. non nôtre quand nous n'en usons pas. C'est dire que ce n'est Comment l'Intelligence se voit-elle elle-même? Avec toutes pas notre manière ordinaire de penser. Nous ne sommes pas sortes de raisons Plotin montre l'absurdité d'une réponse qui l'Intelligence, mais nous sommes selon elle par la partie supé- voudrait que l'Intelligence soit connue par une partie d'elle- rieure de la raison qui la reçoit. La sensation et le raisonne- même. Sa réponse est inspirée par l'identité, dans la seconde ment nous appartiennent en propre. Mais les opérations de hypostase, de l'intelligence, c'est-à-dire la pensée et son acte, et l'intelligence viennent d'en haut comme la sensation vient de l'intelligible, son objet. Quand l'Intelligence pense cet acte d'en bas : nous sommes entre ces deux facultés, l'inférieure la elle est elle-même ; elle pense l'intelligible, donc elle pense elle- sensation, la supérieure l'intelligence. Mais si on est d'accord même 33. Elle se pense ainsi tout entière par elle tout entière, sur le fait que la sensation est toujours nôtre, il y a des doutes non partie par partie. Peut-on étendre à l'âme cette connaissan- sur l'intelligence parce qu'elle n'est pas toujours et qu'elle est ce de soi, l'âme qui est en quelque façon "intellectuelle" ? La rai- séparée, ne s'inclinant pas vers nous: c'est nous au contraire son discursive (ôlaVOTlTlKOV) par laquelle l'âme pense le plus qui allons vers elle en regardant vers le haut: "la sensation est communément est aussi "une certaine intelligence", tenant de pour nous un messager, l'intelligence est pour nous le roi":5O. l'Intelligence sa puissance et venant d'elle: elle a la connaissance Etre selon l'intelligence, pour nous c'est régner: c'est avoir d'elle-même à cause, justement, de ses rapports avec l'Intel- l'intelligence et ses lois:51 écrites en nous, ou en être remplis et ligence. n ne s'agit pas là d'une raison pratique qui regarde au- sentir sa présence. Dans cette connaissance de nous-mêmes dehors et n'a donc pas besoin de se connaître elle-même 54. Si nous connaissons tout le reste et l'Intelligence elle-même: l'Intelligence contemple Dieu (l'Un) il faut qu'elle se connaisse nous y voyons nos deux manières de connaître, par la faculté 32. Ibid. 4, 1. 4. 30. Ibid. 3, l. 1 SS. 33. Ibid. 5, 1. 1 SS. 31. Cf. Paul, Rm 2, 15. 34. Ibid. 6, l. 7 SS. 274 275 elle-même, car elle connaîtra tout ce qu'elle a reçu de Dieu, tueux ou non, si son action est déterminée par une des diverses pas- donc tout ce qu'elle est, car elle est tout ce que Dieu a donné 35. sions. Mais à la suite de cet examen de conscience particulier à cha- Dans le traité quarante-sixième (l, 4), intitulé "Du bonheur" cun et à chacun de ses actes se placent les grandes questions méta- il est fait quelques réflexions sur la conscience au sens psycholo- physiques sur l'origine de l'âme, son caractère substantiel, sa gique du terme. Plotin demande s'il faut avoir conscience de corporéité ou incorporéité, si elle est simple ou double ou triple ou son bonheur pour être heureux, et en conséquence si les ani- composée de plusieurs parties, si elle est créée ou non, s'il faut se maux et les plantes qui n'ont pas la conscience de soi peuvent rallier à une des deux doctrines concernant son origine, le traducia- être heureux36 • La réponse est négative7 • Mais vouloir prendre nisme ou le créationnisme, si elle a été créée avant le corps, s'il y a conscience de nos actes risque au contraire de les troubler38 . une transmigration des âmes dans des corps successifs, s'il y aura une fin du monde. Elle doit se demander encore pour se connaître ORIGÈNE ;1 s'il y a d'autres esprits analogues et différents d'elle, si elle est de 1 Ce qu'Origène dit de la connaissance de soi est assez dif- même substance que les anges ou si elle le devient par grâce, etc. Ce férent de ce que dit Plotin. Une longue dissertation sur ce sujet passage est un catalogue de questions auxquelles Origène ne se trouve dans le Commentaire sur le Cantique des Cantiques à pro- donne pas ici de réponses : elles sont à chercher ailleurs dans son pos de Cant 1, 8 qu'Origène cite suivant la Septante: "Si tu ne oeuvre. Alors que Plotin s'interroge sur la possibilité de la connais- te connais pas, ô bonne - ou belle - parmi les femmes, sors sur sance de soi, Origène, considérant cette possibilité comme acquise, les traces des troupeaux et fais paître tes boucs dans les tentes détaille en moraliste le programme qu'elle contient des bergers"39. A cette occasion Origène cite le fameux En effet pour l'âme la connaissance de soi, telle qu'Origène "connais-toi toi-même" dit par l'un des sept sages de la Grèce - pro- l'a développée dans ses aspects théologique -l'image de Dieu -, bablement Chilon de Lacédémone -, mais Salomon, auteur ascétique et moral - connaissance des motifs de ses actions - et présumé du Cantique des Cantiques, l'a dit avant lui dans la métaphysique - les grands problèmes concernant l'âme - est phrase que nous venons de citer. Salomon s'adresse à l'âme une nécessité. Si elle la néglige elle courra à la suite des boucs, représentée par une femme, et la menace. Mais pour se animaux changeants et versatiles, c'est-à-dire à la suite des opi- connaître elle doit savoir qu'elle a été créée selon l'image de nions diverses des philosophes : "C'est un grand danger pour Dieu et que de là provient sa beauté. Si l'âme l'ignore elle sera l'âme de négliger la science et la connaissance d'elle-même", car parmi les boucs au Jugement dernier40. Se connaître, c'est donc dans ce cas elle sera repoussée par l'Epoux, d'autant plus que ce savoir son origine divine. Cela rappelle chez Plotin le passage dernier lui a manifesté plus d'amour, si elle n'a pas utilisé les parlant des âmes qui ont oublié que Dieu est leur père41 . Suit capacités qu'elle avait de répondre à ces problèmes42. chez Origène tout un développement sur l'examen de cons- cience : que l'âme sache ce qui la fait agir, si c'est un motif ver- 6. L'âme et l'intelligence PLOTIN 35. Ibid. 7, l. 1 ss. 36. 1,4 (46), 2, l. 1 ss. C'est la sagesse (ou la prudence, <ppOVllOlÇ) qui donne sa 37. Ibid. 9, l. 1 ss. beauté à l'âme et cette sagesse lui vient par l'Intelligence 43 . 38. Ibid. 10, l. 28 ss. 39. CornCant II, 141-150. 42. Sur le lien entre connaissance et glorification: CornJn XXXII, 28-29 (18), 40. Mt 25, 33. 344 ss., 349 ss., 352, 358 ss. 41. V, 1 (10), 1. 43. V, 9 (5), 2, l. 20 ss. 276 277 L'âme est d'autant plus belle qu'elle regarde vers l'Intelligen- puissances étrangères à la masse 50 • Dans l'Intelligence en tant 44 ce • Elle est comme la matière dont l'intelligence qui est en elle que telle toutes les intelligences dans leur individualité se trouvent est la forme ou si l'Ame du Monde donne en plus des quatre comme des parties51 • éléments sa forme au monde, il y a une intelligence qui est la Il y a dans chaque âme humaine une intelligence en liai- 45 forme de l'âme • L'intelligence est nécessairement supérieure à son étroite avec la seconde hypostase qui est au-dessus de l'âme et elle lui est logiquement antérieure comme le parfait est nous. Cette dernière est à la fois commune à tous et particu- antérieur à l'imparfait, l'impassible au passible: l'acte aussi à la lière à chacun, commune parce qu'elle est indivisible, une, puissance en ce sens que seul un être en acte peut faire passer à toujours la même, particulière parce que chacun l'a tout l'acte un être en puissance46 • Des sciences qui se trouvent dans entière dans son âme supérieure: en d'autres termes la partie l'âme raisonnable les unes regardent le sensible: plutôt que des supérieure de son âme, celle qui tient au monde intelligible. sciences ce sont des opinions Seules sont Les idées et formes sont dans notre âme comme "déroulées" vraiment sciences celles qui concernent les intelligibles et qui et séparées, dans l'intelligence comme ensemble2 • Nous pos- viennent de l'Intelligence dans l'âme raisonnable 47 • De même sédons la pensée (VOn01ç) parce que notre âme est intelligente que l'Ame du Monde voit mieux les idées qui sont en elle (voepa) et la pensée est une vie meilleure, quand l'âme pense quand elle les regarde dans l'Intelligence, de même notre intel- et quand l'intelligence agit sur nous: l'intelligence est une ligence elle aussi les voit mieux dans l'Intelligence, car si en elle- partie de nous et vers elle nous montons 53 • C'est l'intelligence même elle voit, dans l'Intelligence elle voit qu'elle voit. Notre qui rend l'âme belle54 • Une âme est unie à chaque intelligen- intelligence n'est pas séparée de celle qui est avant elle et ce55 • Nous nous percevons nous-mêmes comme pensant, mais comme elle, elle est une et multiple, multiple par la multiplicité avant cette pensée il y a une autre pensée (l'Intelligence) qui des idées qui sont en elle, venant de l'Intelligence. Celle qui est est comme immobile56 • Cette liaison entre les âmes et les intel- dans l'homme, venue de la seconde hypostase, représente la ligences, à la fois distinctes et unes, ne cesse pas quand après partie supérieure de l'âme individuelle, celle qui se dirige vers la mort elles retournent là-haut57 • Toutes ces intelligences se le haut: mais les régions basses de l'âme ne sont pas coupées trouvent dans le monde intelligible: il n'yen a pas qu'une d'elle; elles peuvent être comparées à l'image qu'on voit dans mais elles sont à la fois unes et multiples. Mais toutes viennent un miroir tant qu'est présent le modèle que reflète l'image48 • d'une seule, l'Intelligence qui les contient. L'âme raisonnable pense, comme l'intelligence qui est avant elle, mais en outre L'intelligence individuelle, aussi bien que la grande Intel- elle ordonne, gouverne et commande ce qui est après elle58 • ligence, voit tous les intelligibles en les possédant, en les ayant inté- L'âme parfaite est celle qui a l'intelligence, celle qui raisonne rieurs à elle-même, sans les séparer les uns des autres49 • L'Intel- et celle qui donne de raisonner, cette dernière désignant pro- ligence est à considérer avec l'intelligence nue, dépouillée de tout sensible, car ni la Vie ni l'Intelligence ne sont des masses, mais des 50. Ibid. 8, 1. 7 ss. 51. Ibid. 15, l. 13 ss. 52. 1, 1 (53), 8, l. 1 ss. 44. V, 8 (31), 13,1. Il ss. 53. Ibid. Il, l. 5. 45. V, 9 (5), 3, 1. 20 ss. 54. 1, 6 (1),6, l. 13 ss. 46. Ibid. 4, 1. 1 ss. 55. III, 5 (50), 8, l. 19. 47. Ibid. 7, 1. 1 ss. 56. III, 9 (13), 6, l. 1 ss. 48. VI, 2 (43), 22, 1. 3 ss. 57. IV, 3 (27), 5, l. 6 ss. 49. VI, 6 (34), 7, 1. 8 ss. 58. IV, 8 (6), 3, l. 6 ss. 278 279 bablement la seconde hypostase. L'action de raisonner se pro- duit d'une action intérieure à elle (Èv aùT4» alors que l'âme est duit sans organe corporel 59. L'intelligence qui est en nous a le celui d'une action extérieure aÙTou)64. C'est avec notre concept de justice60 • Il y a une intelligence de l'âme, dite par- intelligence dépouillée de toute représentation quantitative tie de l'âme, distincte de l'Intelligence d'en haut61 . Elle est qu'il faut contempler l'Intelligence65 . Mais dans une intelligen- nôtre et non nôtre à la fois, partie de l'âme et non partie de ce particulière toute l'Intelligence est présente en puissance66 • l'âme. Nous en usons et nous n'en usons pas: elle est nôtre quand nous en usons, non nôtre quand nous n'en usons pas. ORIGÈNE Dans un sens nous ne sommes pas intelligence. C'est Les rapports de l'âme individuelle et de l'intelligence qui nous qui raisonnons et nous pensons les pensées qui sont est en elle présentent une certaine analogie entre nos deux dans la raison discursive (ôlavola), mais les opérations de auteurs : nous en avons déjà vu les éléments. Au moment de l'intelligence nous viennent d'en haut comme celles de la sen- leur création qui s'est produite dans le temps67, - la création sation d'en bas : l'âme est au milieu entre la sensation en bas coéternelle à Dieu est, nous l'avons dit, celle du monde intelli- et l'intelligence en haut. Il est certain que la sensation est de gible des mystères, idées et raisons dans le Fils -, les êtres rai- nous, mais pour l'intelligence il y a doute parce qu'elle n'incli- sonnables étaient essentiellement des intelligences, vêtues de ne pas vers nous comme la sensation, mais c'est nous qui corps éthérés et menées par leur pneuma. D'intelligences, elles allons vers elle quand nous regardons vers le haut. La sensa- sont devenues âmes par le "refroidissement", la baisse de fer- tion est notre messager, l'intelligence notre roi 62 . L'Intelligen- veur qui a constitué la faute originelle et, de même que leurs ce universelle qui est avant les intelligences particulières exis- corps recevaient une qualité sensible et matérielle, l'adjonction tant en acte les contient: chacune est accomplie par les autres à l'intelligence primitive d'une partie inférieure destinée à et l'universelle est leur chorège. Elle est présente en chacune régir le corps charnel mais aussi pouvant subir son influence et d'elles. Toutes ont leur existence individuelle et se contien- la répercuter dans l'ensemble, en faisait une âme. Dans un sens nent mutuellement, en acte elles-mêmes, en puissance les donc l'âme contient l'intelligence comme sa partie supérieure. 6S Mais il arrive aussi qu'Origène représente l'âme comme une autres . Si l'âme qui est après l'Intelligence, bien qu'ayant en elle les idées, les voit mieux dans l'Intelligence qui est avant intelligence dégradée, à cause de l'adjonction de la partie infé- elle, de même notre intelligence les ayant dans l'Intelligence rieure, et qu'il oppose ainsi l'âme à l'intelligence qui subsiste qui est avant elle, les voit mieux: comme nous l'avons indiqué en elle et l'homme animal, celui où l'âme domine, à l'homme plus haut, en elle-même elle voit seulement, dans l'Intelligen- spirituel. Il est question de l'imperfection de l'âme parce ce, elle voit qu'elle voit. L'Intelligence fait les intelligences qu'elle est tombée, et "pour cela Paul, voulant nous enseigner unes et multiples comme elle est elle-même. Elles sont le pro- plus clairement quelle est la faculté qui nous permet de com- prendre les réalités de l'Esprit, les réalités spirituelles, unit et 59. V. 1. (10). 10.1. 12 ss. associe à un esprit saint plutôt l'intelligence que l'âme". Est 60. Ibid. Il. 1. 6. cité pour montrer cela 1 Co 14, 15 : "Je prierai par l'esprit, je 61. V. 3 (49). 2. 1. 14. 62. Ibid. 3. 1. 36 : cf. 4. 1. 1 ss.Dans V. 8 (31). 3 1. 17 il est question de "l'intelli- 64. VI. 2 (43). 22. l. 1 ss. Voir Ibid. 4. l. 1 : "il y a beaucoup d'intelligences". gence qui est en nous" et de celle qui est dans les "dieux". les astres. Dans V. 9 65. VI, 6 (34), 8. l. 7 ss. Cf. ibid. 15. l. 13 : dans l'Intelligence toutes les intelli- 3 l. 20 ss .• 33 ss. : l'intelligence qui est dans l'âme est à l'âme comme la gences individuelles sont comme des parties. De même VI. 7 (38). 8. l. 27 ss. forme à la matière. VI. 2 (43). 19.1. 18: chaque intelligence. 66. VI. 7 (38). 9,1. 31 ss. >3. VI. 2 (43). 20. l. 10 ss. 67. PArch II. 9, 2. 31. 281 prierai aussi par l'intelligence ; je psalmodierai par l'esprit, je progresser. Il en serait de même des démons sans l'acte de psalmodierai aussi par l'intelligence". Il ne dit pas: Je prierai liberté qui les a éloignés de Dieu et en a faits des oÀoya. par l'âme, mais : par l'esprit et l'intelligence ; et non plus : "je psalmodierai par l'âme, mais: par l'esprit et l'intelligence"68. 7. pénsée intuitive En effet c'est l'intelligence, partie supérieure de l'âme, qui et pensée conceptuelle et discursive est à proprement parler l'élève du pneumo, de l''' esprit qui est en PLOTIN l'homme", participation à l'Esprit divin. Certes, quand l'intelligen- ce se livre tout entière à la conduite et à l'influence de l'esprit c'est Plotin revient à plusieurs reprises sur les problèmes que toute l'âme qui devient spirituelle, "ayant abandonné le fait d'être posent ces deux modes de la pensée humaine et souligne âme"69. Cette expression n'est pas à prendre tout à fait à la lettre: constamment l'infériorité de la pensée conceptuelle et discursi- tout en devenant spirituelle elle reste âme. Elle est l'un et l'autre à ve. Il se demande si l'âme use du raisonnement avant d'entrer la fois. De même l'âme deJésus est une âme comme les autres, dans ce monde et après en être sortie. Mais le raisonnement est mais l'intensité de charité que produit en lui son union au Verbe utilisé par une âme en difficulté sur la vérité, pleine de soucis et la rend absolument impeccable et la change dans le Verbe, affaiblie. L'intelligence ne se suffit pas alors à elle-même. Dans les comme le fer plongé dans le feu devient feu 70 Or, plongé dans le divers arts on n'use du raisonnement que s'il y a difficulté, autre- feu le fer reste fer tout en étant transformé en feu. Ce qui s'est ment c'est l'art lui-même qui conduit. Par raisonnement produit au plus haut point dans l'âme de Jésus se renouvelle à un (ÀOyl0J.16ç) Plotin précise ici qu'il n'entend pas "la disposition qui degré moindre dans l'âme du juste: elle est spiritualisée tout vient toujours de l'intelligence et qui est dans les âmes, un acte entière et cette spiritualisation rejaillit sur le corps, même ici-bas71. stable qui est comme un reflet de l'intelligence", car s'il le faisait les âmes là-haut seraient toujours dans le raisonnement: mais La liaison de l'intelligence, partie supérieure de l'âme, elles ne se servent pas de paroles quand elles sont dans l'intelli- avec la Trinité divine est faite de deux façons. D'une part elle gible, car les paroles proviennent des besoins et des incertitudes. est l'élève de l'esprit, participation à l'Esprit divin : c'est l'esprit Là-haut elles comprennent tout par une simple compréhension, qui entraîne l'âme dans la connaissance, la prière et la vertu72 • il n'y a rien de caché ni de simule. Le gouvernement de l'uni- D'autre part il y a équivalence entre intelligence et ÀOylKov, mot vers, fonction de l'Ame du Monde, ne vient pas du raisonnement traduit approximativement par "raisonnable", approximative- ni de la mémoire, mais de la sagesse ou prudence (<I>p6VllOlÇ) : il ment parce que son sens, comme celui de Logos, est principale- ne suppose pas d'apprentissage ni d'exercice, ni que l'on cherche ment surnaturel 73 • C'est le Logos, le Fils, qui rend raisonnables à savoir, car ce qui gouverne le monde sait; pas besoin de raison- dans ce sens surnaturel hommes et anges et, en tant qu'il est nement, ni de problème, ni de mémoire 2 • La nature n'a pas l'Image de Dieu7\ leur communique le "selon l'image" et les fait davantage d'imagination car la pensée est toujours supérieure à l'imagination. L'Intelligence possède tout et l'Ame du Monde 68. Ibid. II, 8, 2, 78 ss. 69. PEuch IX, 2, 319, 7. reçoit éternellement ce tout de l'Intelligence3 • 70. PArch II, 6, 4-6. 71. CCels VII, 4, 5 ss. (connaisance Père-Fils), 66-68 (connaissance de Dieu). Fragm 1 Co XUX; LXVI, 2. 72. Voir notre article "L'anthropologie d'Origène ... ". ComRm II, 14; III, 9 Connaissance et foi; VII, 7 (1125 B) connaissance et amour. 73. Voir de même H. CROUZEL, Théologie de l'image de Dieu,.p. 170 ss.,179. 1. IV, 3 (27), 19,1. 1 ss. 74. Autres textes sur la connaissance: ComJn XIX, 3, 13 et 6,23 sur la connais- 2. IV, 4 (28), 12,1. 1 ss. sance qu'on a de Dieu; XX, 20, 167. Et FragmJn CXII. CCels VI, 17 3. Ibid. 13, 1. 1 ss. 282 283 De l'intelligence au raisonnement il y a donc une des- voit qu'il y a un mode de connaissance plus parfait qui ne cente, une décadence 4 : voùç et ÀOYUJf-LOç s'opposent, d'une cherche pas mais possède. Cet autre mode d'intelligence est opposition qui ne recouvre pas seulement la distance entre aussi présent en elle par participation à l'Intelligence : il per- l'Ame du Monde et la nôtre, mais celle de la partie supérieure met de la voir et de se voir en elle9 • Nous n'arrivons pas à et de la partie inférieure de notre âme5 • Ailleurs nous lisons: comprendre ainsi parce que nous pensons que les sciences "Etant de l'Intelligence elle (= l'âme) est intelligente et son sont composées de théorèmes et d'accumulations de proposi- intelligence est dans les raisonnements". De quelle âme s'agit- tions 1o• La vraie sagesse n'est pas composée de théorèmes il ? Si c' était l'Ame du Monde, cette phrase serait en contra- mais tout entière une, non d'une unité qui suit une multiplici- diction avec celles qui ont été précédemment indiquées à té ramenée à l'un, mais c'est plutôt elle qui de l'unité se moins de donner à Àoytof-LOç le sens précédemment exclu. La décompose en multiplicité. Les dieux et les bienheureux là- phrase qui précède est ainsi rédigée: "Il faut concevoir haut ne voient pas des axiomes, mais tout ce qu'on y dit est (l'âme) qui est là-haut (c'est-à-dire soit l'Ame du Monde, soit comme de belles images non dessinées, mais ayant l'existence: peut-être mieux la partie supérieure de l'âme individuelle qui ce sont les idées que les anciens disaient être des êtres et des reste dans l'intelligible) comme ne s'écoulant pas, mais res- substancesll • Plotin loue la sagesse des Egyptiens qui se mani- tant immobile en lui (le voùç) et l'autre âme ayant fait être". festait dans leurs hiéroglyphes à signification globale au lieu de C'est-à-dire la partie de l'âme qui a affaire au corps: c'est elle lettres se développant en discours et en propositions, car leurs "dont l'intelligence est dans les raisonnements"6. Il y a l'intelli- hiéroglyphes étaient des images. Plus tard on recherchera les gence qui raisonne et celle qui donne de raisonner : la secon- causes et on développera ce qui était donné synthétiquement12 • de est probablement la seconde hypostase, la première l'intel- Cet univers n'a pas été créé par une raison raisonnante, analy- ligence qui est dans l'homme'. Une opposition est faite entre tique, imaginant chaque chose l'une après l'autre. C'est com- l"'intelligence pure" et la raison discursive (BtaVOTJTtKoV), ainsi me si la conclusion était donnée avant le syllogisme : elle ne que le raisonnement (ÀOytOTtKOV)8. De même entre la pensée sort pas des prémisses, ne découle pas d'une suite logique (VOTJOtç) et le discours entre ce qui connaît "la (àKoÀou91a) ni d'un concept humain (ÈITlvota), mais elle les pré- nature de la raison discursive (BHlvota) naturelle" et "ce qui cède. C'est plus tard que viennent le discours, la démonstra- est au-dessus d'elle". Ce dernier cas est celui de l'âme devenue tion et la preuve11l • entièrement conforme à l'Intelligence. Ce n'est plus une Dans un des trois traités dans lesquels est divisé l'unique connaissance d'homme, mais de quelqu'un qui est devenu traité "Des genres de l'être"l\ nous trouvons un petit aperçu sur complètement autre, qui s'est élevé vers le haut en tirant avec l'activité de la raison discursive quand elle construit le concept soi le meilleur de l'âme. Le rôle de la raison discursive avec "une seule nature" qu'elle divise "par nos concepts"15. (BtavOTJTtKOV) est de comprendre les choses du dehors, de les Nous distinguons dans le même être substance, quantité, qua- juger suivant les règles qu'elle tient.de l'Intelligence, mais elle .1 9. V, 3 (49), 4, l. 7 ss. 4. IV, 8 (6), 1,1. 8. 10. V, 8 (31), 4, 1. 47 ss. 5. Ibid. 8, 1. 13 ss. ; cf. 7, 1. 29 ss. Il. Ibid. 5, l. 5. 6. V, 1 (10),3,1. 10 ss. ; cf. V, 3 (49), 3,1. 14. 12. Ibid. 6, l. 1 ss. 7. V, 1 (10), 10,1. 12 ss. 13. Ibid. 7,1. 1 ss., 40. 8. V, 3 (49), 3, l. 20. 14. VI, 1-3 (42-44). 8 bis. VI, 9 (9), 5, 1. 7 ss. 15. VI, 2 (43), 3, 1. 22 ss. 284 285 lité: "tout est ensemble, mais par la raison nous le divisons en 8. Immortalité de l'âme trois, alors que les trois sont un seul COrpS"16. La raison qui exa- mine brise pour ce faire l'unité des êtres et divise la substance en PLOTIN la pensant divisée sans croire à l'unité, car elle n'en a pas fait les C'est le sujet du second traité des Ennéades (N, 7). L'hom- principes de sa recherche l7 • me a une âme et un corps, un corps qui peut être considéré com- me l'instrument de l'âme ou vu d'une autre manière, Plotin Le début du trente-huitième traité (VI, 7)18 montre que le ne se prononce pas ici. Le corps est lui-même composé, desti- Démiurge pour faire l'homme et le monde n'a pas usé d'un né à se dissoudre et à pourrir quand l'âme n'y est plus. En raisonnement, car il n'y a pas de raisonnements là-haut, ni de tant que grandeur le corps peut être divisé. S'il est une partie prévision. De toute façon un raisonnement doit partir d'un prin- de nous-mêmes nous ne sommes pas tout entiers immortels ; cipe et on ne peut remonter indéfiniment de principe à principe. s'il est un instrument il nous est donné pour un temps. L'es- Et ce principe est nécessairement d'ordre intelligible l9 • Pour sentiel c'est l'homme lui-même, forme par rapport au corps- s'approcher de Dieu il faut laisser de côté la multiplicité de la matière ou utilisateur par rapport au corps-instrument: l'hom- science20. L'union mystique avec l'Un est au-delà de l'intelligence, me est donc essentiellement l'âme. Si l'âme était elle aussi mais quand elle cesse on retombe dans la multiplicité du dis- corps, elle serait tout entière dissoluble parce que composée. cours21 • Plotin discute ici les matérialismes stoïcien, démocritéen et épicurien. Le corps n'a la vie que parce qu'il y a une Ame de ORIGÈNE l'univers et qu'une raison venant d'elle vivifie la matière 2 • Origène n'a guère insisté sur la distinction entre ces deux Plotin réfute la théorie atomique qui constitue l'âme d'atomes formes de pensée. Ce qui s'approche le plus chez lui de la pen- se rencontrant au hasard, car elle est inapte à expliquer sée intuitive est le concept de qui existe aussi chez l'unité et la sympathie, et comment le corps reçoit la vie sans Plotin avec son équivalent Le sens primitif est "s'élancer une forme qui l'informe 3 • Il critique ensuite la conception . vers", "s'appliquer sur", indiquant une connaissance qui se fait stoïcienne du avec de nombreux arguments reposant tout d'un coup par une application de l'intelligence sur l'objet. en bonne part sur le fait que l'âme est donneur de vie et de On ne peut ici-bas voir Dieu parfaitement par une : forme. Une autre raison est que le corps doit avoir une unité, elle ne sera vraiment réalisée que dans la béatitude25 • Nous comme un centre d'où partent les rayons, pour unifier toutes n'insistons pas sur ce point l'ayant déjà abordé. Nombre de don- les sensations. Ses arguments sont surtout d'ordre psycholo- nées sur la connaissance mystique peuvent être tirées de notre gique, pris à la description des sensations 5 • Plotin analyse livre consacré à ce sujet24 • ensuite la transmission de la douleur jusqu'au centre de l'hom- me 6 • L'activité de la pensée serait impossible si l'âme était 16. Ibid. 4, 1. 6 SS. corps: comment, étant une grandeur, connaîtrait-elle des 17. VI, 5 (23), 2, 1. 1 ss. 18. Voir Pierre HADOT, Plotin: Traité 38, Paris 1988. 19. VI, 7 (38), 1. 1. IV, 7 (2), 1. 20. VI, 9 (9), 4, 1. 1 ss. 2. Ibid. 2. 21. Ibid. 10-11. 3. Ibid. 3. 22. FragmJn XIII, 14 et 20; XIV, 10. 4. Ibid. 4-5. 23. ExhMart XIII, 13, 14; PEuch XXV, 2, 358, 11. 5. Ibid. 6. 24. Chapitre intitulé "L'idéal du connaître", p. 496-523. 6. Ibid. 7. 286 287 choses sans grandeur ? Et les vertus ? Et les intelligibles ? Et objets de contemplation contemplés avant de venir dans le les réalités éternelles? Et cela alors que la nature des corps corps lui donne d'être et de jouir des sciences éternelles. Seul s'écoule continuellemene. Les activités même du corps sup- ce qui est composé peut se décomposer, mais ce n'est pas le posent une puissance qui ne se réduit pas au matériel: de cas de l'âme. Elle ne peut davantage s'altérer, car cela suppo- même les qualités8 • Si l'âme était corps elle se mélangerait au serait forme et matière. Elle est donc incorruptible l6 • corps selon les lois des mélanges, ce qui n'est pas9 • Il ne faut Cela n'est pas vrai seulement des âmes humaines, les pas penser que l'inférieur soit antérieur au supérieur, c'est âmes des végétaux et des animaux sont aussi immortelles: tout le contraire lO • Les Pythagoriciens ont vu dans l'âme une nous allons le voir à propos de la métempsycose, puisque ce harmonie comme celle que produit un instrument à cordes, sont des âmes humaines déchues. En effet toute âme est prin- une harmonie dont l'instrument serait le corps. Mais l'âme cipe de vie l7 • Une preuve supplémentaire de l'immortalité est précède l'harmonie ll • Suit une critique de la conception aris- à voir dans les révélations des dieux ordonnant d'apaiser par totélicienne de l'âme entéléchie du corps d'où il résulte que des cérémonies funèbres la colère des défunts. Ces derniers l'âme est substance et antérieure au corps qui naît et périrt 2 • ne cessent de faire du bien aux hommes par les oracles et L'âme est pour le corps principe de vie et de mouvement. autres manifestations: tout cela montre que les âmes existent Cette âme doit être immortelle: autrement elle tiendrait d'un toujours l8 • autre vie et mouvement qu'elle donne. Mais on ne peut L'âme n'est donc pas seulement immortelle pour l'ave- remonter indéfinimenrt3 • nir : elle n'a pas non plus de commencement. Elle est donc De ce que l'âme n'est pas corps il s'ensuit qu'elle est d'une certaine façon éternelle, d'une éternité qu'il faut repré- parente de la nature divine et éternelle. Quand elle est puri- senter, au moins pour son séjour dans le corps, comme un fiée des désirs du corps elle possède les biens les meilleurs, la temps sans commencement ni fin. prudence et les autres vertus, qui la font semblable au divin. Mais il faut pour cela, répète Plotin, une âme purifiée, sépa- ORIGÈNE rée des choses du dehors. Il souligne donc ici fortement la Origène distingue deux sortes d'immortalité, une grandeur divine de l'âme humaine débarrassée de tout ce qui immortalité de nature qui supprime la mort naturelle, une la souille14 • L'âme n'a pas une vie surajoutée: elle est vie, sub- immortalité de grâce, que l'on pourrait appeler impeccabilité, stance vivant par elle-même, ou si elle ne l'était pas, il faudrait enlevant la mort du péche 9 • C'est bien entendu la première monter plus haut encore jusqu'à un être immortel mû par lui- seule qui peut être comparée avec ce que dit Plotin. Mais il même l5 • On ne peut dire immortelle l'Ame du Monde si on faut remarquer d'abord que, puisqu'Origène ne partage pas ne dit pas la même chose de la nôtre. La réminiscence des le panpsychisme de Plotin, cette immortalité ne concerne que l'âme des êtres raisonnables, anges (et démons) et hommes, 7. Ibid. 8. 8. Ibid. 8/1. non les âmes des animaux. D'autre part les êtres raisonnables 9. Ibid. 8/2. 10. Ibid. 8/3. 16. Ibid. 12. Il. Ibid. 8/4. 17. Ibid. 14. 12. Ibid. 8/5. 18. Ibid. 15. 13. Ibid. 9. 19. Cette impeccabilité ne sera complète qu'à la résurrection. Voir notre article: 14. Ibid 10. "Mort et immortalité selon Origène", Bulletin de Littérature Ecclésiastique, 79, 15. Ibid. Il. 1978, 19-38,81-96, 181-196. Réédité: Lesftns dernières selon Origène. 288 289 ont eu un commencement20 : il n'y a pas en eux d'éternité, même Origène revient sur ce même sujet d'une autre façon conçue comme un temps sans commencement ni fin. dans la Récapitulation qui termine le Traité des Principel3 • Son Plusieurs raisons sont données à leur immortalité, toutes raisonnement est basé sur l'idée de participation. "Tout être différentes de celles de Plotin. D'abord la nécessité d'une rétri- qui participe à quelque réalité est sans aucun doute d'une seule bution finale pour les actes faits en cette vie21 • D'autres raisons substance et d'une seule nature avec tout autre être participant se trouvent dans le Traité des Principes. Nous ne connaissons pas à la même réalité". Ainsi tous les yeux participent à la lumière, la manière dont ont été accomplies les oeuvres de Dieu et bien qu'inégalement: ils sont tous d'une même nature. "Toute cependant nous désirons la connaître, comme c'est le cas des intelligence qui participe à la lumière intellectuelle doit être objets fabriqués par un artisan humain : "bien plus et sans com- sans aucun doute d'une seule nature avec toute autre intelligen- paraison possible nous brûlons du désir ineffable de connaître ce qui participe également à la lumière intellectuelle". Il Y a la raison des oeuvres de Dieu que nous voyons". La raison c'est- donc même nature de l'âme humaine et des puissances célestes: à-dire au sens stoïcien un principe dynamique de développe- or ces dernières sont incorrompues et immortelles. TI en est donc ment: c'est ce qui incite l'homme à comprendre de mieux en ainsi de l'âme de l'homme. Et comme "la nature du Père, du Fils mieux la manière dont fonctionne l'univers. Or, "ce désir, cet et du Saint Esprit qui est la seule lumière intellectuelle dont toute amour, nous croyons que, sans aucun doute, ils ont été mis en la création tire sa participation est incorrompue et éternelle", il nous par Dieu. Comme l'oeil désire par nature la lumière et la faut en conclure logiquement que l'âme humaine l'est aussi. Le vision, comme notre corps désire par nature nourriture et bois- raisonnement se développe avec une ampleur dont nous avons son, de même notre intelligence porte en elle un désir qui lui est pu seulement marquer les grandes lignes. propre et naturel de connaître la vérité divine et les causes des L'immortalité de l'âme est aussi abordée dans la discus- choses". Et Origène anticipe l'adage médiéval: desiderium natu- sion avec Celse et cela à plusieurs reprises et Origène reproche rae nequit esse inane, un désir naturel ne peut être vain, sous à Celse de manifester un certain épicurisme à ce sujet. Mais peine de faire de l'homme un être absurde: "Ce désir, nous ne Origène ne s'en tient pas à l'immortalité et spécule sur la résur- l'avons pas reçu de Dieu pour qu'il ne doive ni ne puisse jamais rection finale du corps. Ses idées à ce sujet découlent surtout recevoir de satisfaction: autrement c'est en vain que l'amour de en ce qui concerne le corps ressuscité de la comparaison avec la la vérité semblerait avoir été mis dans notre intelligence par le graine et la plante qui en sort faite par Paul en 1 Co 15, 35 ss. Dieu créateur, s'il ne pouvait jamais obtenir ce qu'il désire". Les controverses nées des opinions d'Origène sur les corps glo- Origène continue en montrant que nous ne pouvons obtenir ici- rieux viennent surtout d'un contresens de Méthode d'Olympe bas que peu de chose de ce que nous désirons savoir. "Il est qui n'a pas compris le sens métaphysique de l'Elôoç corporel donc clair qu'à ceux qui ont déjà eu en cette vie une certaine qui assure selon Origène l'unité et l'individualité du corps ter- ébauche de la vérité et de la connaissance sera ajoutée dans le restre et a pris ce mot dans le sens courant d'apparence exté- futur la beauté de l'image parfalte"22. Tout ce raisonnement sup- rieure24 • Mais la doctrine origénienne de la résurrection n'a pas à intervenir dans une comparaison doctrinale avec Plotin. pose la survivance dans la vie future de la faculté humaine du connaître. 23. Ibid. IV, 4, 9-10. 24. Voir H. CROUZEL: "Les critiques adressées par Méthode et ses contempo- 20. PArch II, 9, 2, 3l. rains à la doctrine origénienne du corps glorieux", Gregorianum 53, 1972, 679- 21. EntrHer 25, 24. 716 ; "La doctrine origénienne du corps ressuscité" ; Bulletin de Littérature 22. PArch II, 11,4, 103-142. Ecclésiastique 81, 1980, 175-200, 241-266. Réédités: Les fins dernières selon Origène. 290 291 Ajoutons qu'Origène, selon Eusèbe 25 , eut à défendre Une allusion à la fois à la préexistence et à la métenso- l'immortalité de l'âme dans un concile contre des chrétiens qui matose est faite à travers une citation de Platon29 : il y est ques- soutenaient que l'âme meurt avec le corps et ressuscite avec lui: tion de quelqu'un qui, à sa première naissance - comme s'il y ils sont désignés par le terme de Thnètopsychites. Dans un autre en avait plusieurs - entre, comme s'il existait auparavant, concile dont les actes sont conservés en partie par l'Entretien dans le germe d'un homme, etcso . Nous avons vu la préexis- d'Origène avec Héraclide 26 , la réaction étonnée d'un évêque tence supposée constamment par Plotin dans ce qu'il dit de la nommé Démétrios : "Le frère Origène enseigne que l'âme est descente de l'homme dans le corps. Une autre allusion est immortelle" entraîne un développement sur l'âme devant les faite sous forme d'image : "de sorte que parmi ses actions les trois sortes de morts dont Origène parle fréquemment: la mort unes tendront vers le bonheur, les autres seront faites non en au péché qui est bonne, la mort du péché qui est mauvaise, la vue de la fin et en règle générale non pour lui, mais pour ce mort physique ou commune qui est indifférente. Il affirme clai- qui lui est adjoint (= le corps) dont il se soucie et qu'il suppor- rement l'immortalité de l'âme à l'égard de cette troisième sorte te, dans la mesure du possible, comme un musicien de sa lyre, de mort. L'opinion des Thnètopsychites est attestée à plusieurs tant qu'elle est capable de servir : sinon il en changera ou il reprises pendant les premiers siècles, ainsi que celle que l'âme, abandonnera l'usage de la lyre et il s'abstiendra de l'action- au lieu d'aller au ciel ou ailleurs, reste auprès du COrpS27. ner, ayant une autre activité en dehors d'elle et l'ayant mise à terre à côté il la méprisera pour chanter sans instrument. Et 9. La métempsycose ce n'est pas en vain qu'au début l'instrument lui a été donné; PLOTIN car il s'en est déjà servi souvent". L'allusion est faite d'une part à un changement de corps, d'autre part à l'activité d'une De nombreuses allusions, pas toutes très affirmatives, âme séparée du corpsSI. Le traité contre les Gnostiques fait mais indiquant au moins une possibilité28, sont faites par Plotin à la transmigration des âmes. Le terme employé n'est pas dans le raisonnement allusion à des naissances multipless2 . SS mais : à juste raison puisqu'il n'y Cette doctrine est expressément attribuée aux gnostiques a pas changement d'âme, mais qu'une même âme change de mais Plotin parle pour lui-même des "âmes qui changent de corps, allant jusqu'en des corps d'animaux ou de végétaux. Et corps"S4. On pourrait faire remonter à une vie antérieure le la "métensomatose" est une des formes du châtiment des âmes fait d'avoir tel caractère et il est question de l'âme d'un boeuf après la mort. qui auparavant était hommes5 . La destinée de l'homme après la mort sera conforme à 25. EUSEBE de Césarée, Histoire Ecclésiastique, VI, XXXVII. ce qu'il a fait dans sa vie antérieure. De là la description sui- 26. EntrHer 24, 18 à 27, 8. 27. ComJn XXVIII, 6, 44: Origène s'oppose à ceux qui prétendent que l'âme vante : "Ceux qui ont conservé l'humanité seront hommes de du mort reste près du cadavre. Cette opinion cependant ressort du canon 34 nouveau. Ceux qui ont vécu pour la sensation seule seront du concile d'Elvire (début Ive siècle) défendant d'allumer des cierges pendant le jour dans les cimetières, "de peur d'inquiéter les esprits des saints" ; des doc- 29. Phèdre 248 d 1-4. trines du commingeois Vigilance de Calagurris, telles que les combats, Jérôme 30. l, 3 (20), l, l. 6 ss. dans son Contra Vigilantium ; des scrupules de l'évêque Exupère de Toulouse 31. 1,4 (46), 16, l. 20 ss. au moment de transporter les reliques de l'évêque martyr Saturnin dans la basi- 32. II, 9 (33), 4, l. 19 ss. lique qu'il venait de construire en son honneur, selon la Passio Saturnini. Ces 33. Ibid. 6, l. 13. deux derniers cas sont des premières années du ve siècle. 34. III, 2 (47), 4, l. 8. 28. l, 1 (53), Il, l. 9. 35. III, 3 (48), 4, l. 34 et 43. 292 293 des animaux. Mais s'il s'agit de sensations accompagnées de Mais il n'est pas nécessaire que les âmes reviennent dans un colère ils seront des animaux sauvages et la différence sur ce corps sitôt après en avoir quitté un autre. Zeus leur père, c'est- point fait les différences entre les animaux. Tous ceux qui se à-dire l'Ame du Monde, leur ménage des temps de repos pas- sont conduits avec concupiscence et en désirant le plaisir seront sagers où elles sont complètement libérées de corps et peu- parmi les intempérants et les gloutons. Si avec cela ils n'ont pas vent ainsi être tout entières présentes dans l'intelligible42 . de sensibilité et que leur sensibilité est émoussée ils deviennent Celles qui méritent par leur injustice un châtiment sont châ- des plantes: car seulement et principalement agit en eux la puis- tiées selon une loi inexorable représentée comme une loi de sance végétative et leur but est de devenir des arbres. Les amis nature qui est une loi divine, mais qui ne semble pas conçue de la musique, purs quant au reste, deviennent des animaux comme un jugement porté : elle dépend, quant au châtiment chanteurs ; les rois qui ont gouverné déraisonnablement, des et quant à son achèvement de "la puissance de l'harmonie qui aigles, s'ils n'avaient pas d'autres vices; les astronomes sans tient toutes choses". S'il s'agit d'un châtiment corporel l'âme sagesse, toujours dressés vers le ciel, des oiseaux qui volent haut. reçoit un corps pour le subir43 . Celui qui a pratiqué les vertus civiques, un homme36 ; mais celui Mais un problème est posé par le passage d'une âme qui les a moins pratiquées, un animal social, une abeille ou un humaine dans un corps d'animal. On définit l'homme un ani- être semblable"37. Il n'est pas exclu qu'il faille lire ces lignes avec mal raisonnable et on fait de l'âme son élément essentiel. "Si un certain humour. l'homme est l'âme raisonnable, quand l'âme passe dans un autre A propos du "démon qui nous a reçu en partage", Plotin animal, comment ce dernier ne sera-t-il pas un homme ?"44. Il ajoute à la vie dans un corps de bête une destinée bien supé- faudrait donc trouver pour l'homme une autre définition45 : si rieure dans les astres, "dans le soleil ou dans un autre des astres l'homme prend un corps de bête, comment sa raison serait-elle errants ou dans les étoiles fixes, chacune selon l'action raison- celle d'un homme? Mais c'est la conséquence du choix d'une nable qu'elle a eue ici-bas". Nous n'avons pas seulement en nature bestiale que l'homme a fait pendant sa vie humaine : sa nous un monde intelligible, celui des idées, mais une disposi- raison est devenue celle de cet animal 46 . Une transformation tibn d'âme de même nature que celle de l'Ame du Monde, qui morale entraîne une transformation physiquë7. se répartit à travers la sphère aplane ou des fixes et les sphères planétaires selon des puissances diverses, mais celles qui sont ORIGÈNE en nous sont de même nature que ces puissances38. Nous avons vu qu'Origène a tenu, comme une hypothè- Selon Plotin Platon die9 que c'est d'après les vies précé- se, mais une hypothèse favorite, la préexistence des âmes. demment vécues que se font les choix des âmes40 : il peut aussi Mais cela entraÎne-t-il nécessairement la métensomatose ? y avoir le passage d'un corps aérien ou igné à un corps ter- C'est le terme employé par Origène comme par Plotin: il restre, ou même d'un état absolument incorporel à un corps41. 42. IV, 3 (27), 12, 1. 8 ss. 36. Vertus "politiques", qu'on peut traduire par "civiques" ou "soci<iles" : cf.l, 2 43. Ibid. 24, 1. 8. Cf. IV, 4 (28), 45, 1. 1 ss. sur l'ordre et la justice dans l'univers; (19), 1-3 : ce sont les quatre vertus dites cardinales. de même IV, 8 (6), 51. 1 ss.l'expression "loi de nature", ct>OOEWÇ s'y trouve 37. III, 4 (15), 2, l. 16 ss. expressément concernant la destinée des âmes. 38. Ibid. 6, l. 19 ss. 44. VI, 7 (38), 4, 1. 36. 39. République 620 a 2-3. 45. Ibid. 5, 1. l. 40. IV, 3 (27), 8, l. 9-10. 46. Ibid. 6, 1. 21 SS., 33 ss. 41. Ibid. 9, l. 4. 47. Ibid. 7,1. l. 294 295 peut signifier le passage soit d'un corps d'homme à un autre ger les arguments que soutiennent les partisans de la transmi- corps d'homme, soit d'un corps d'homme à un corps d'animal. gration des âmes et il cite le désaveu final, comme nous avons Selon Jérôme et Justinien il y aurait eu dans le Traité des vu, à peu près dans les mêmes termes que Jérôme. Mais, dit Principes un long développement sur la métensomatose dont Pamphile, ce passage avait pour sujet les âmes des animaux, il ne reste qu'un court passage dans le latin de Rufin 48 • Selon non directement la métempsycose. Au sujet de cette dernière Rutin, Origène refuse complètement cette doctrine. Selon il cite le refus formel que lui oppose Origène dans quatre pas- Jérôme, il a exposé cela très longuement, mais "à la fin pour sages du Commentaire sur Matthieu et dans un du Commentaire sur ne pas être accusé de professer la doctrine pythagoricienne les Proverbes. S'il faut donc accepter le témoignage de Pamphile, qui affirme la métempsycose, après une si néfaste discussion Origène, étant donné le caractère de son Traité des Principes qui qui a blessé l'âme de son lecteur: 'Que ce ne soient pas là, dit- avait pour but de donner une réponse chrétienne aux problèmes il, des doctrines, mais des points que nous avons recherchés que se posaient les chrétiens instruits de son temps, sans parler et rejetés, pour ne pas les laisser tout à fait sans examen'". de ceux des hérétiques et des païens, problèmes qui étaient ceux Cette finale coïncide à peu près avec celle de Rufin dans sa de la philosophie grecque, ne pouvait se dispenser de traiter de traduction de l'Apologie pour Origène de Pamphile 49 qu'il a cette doctrine, tenue par bien des philosophes grecs et qui devait changée, on ne sait trop pourquoi, dans celle du Peri Archon. aussi inquiéter des chrétiens. Et il devait le faire loyalement en Jérôme présente donc cette discussion comme soutenant la donnant aux arguments des partisans de la métensomatose toute métempsycose, mais la refusant hypocritement à la fin pour leur valeur pour que sa critique même soit prise au sérieux. C'est ne pas en être accusé. Le fragment de Justinien ne rapporte justement cela qui scandalise Jérôme qui n'attache plus guère pas ce désaveu final, mais on peut se demander dans quelle d'importance à la conversion de la philosophie et y voit un dan- mesure il n'a pas vu la métempsycose dans des expressions ger pour les croyants. relevant du thème des "images bestiales", c'est-à-dire de la res- Qu'Origène ne soit pas à compter parmi les partisans de semblance morale avec des animaux que le péché donne à la métensomatose, nous en sommes assurés par de nombreux 50 l'homme : thème assez fréquent chez Origène - on a parlé à passages, pour la plupart conservés dans des oeuvres d'authenti- ce sujet de "ménagerie théologique" _51, mais qui jamais ne cité indiscutable que nous possédons en grec. On ne peut même passe d'une ressemblance morale à une ressemblance phy- pas parler d'une évolution de sa pensée sur ce point puisqu'on lit sique. Présentons enfin un dernier témoin, Pamphile de Césa- le même refus dans un de ses premiers écrits, conservé, il est vrai, rée, dans son Apologie d'Origène 52 • Il déclare que les accusa- en latin, cité lui aussi par Pamphile, un passage du Traité de la teurs d'Origène n'ont pas compris pourquoi il avait rédigé résurrection53• En grec nous possédons un bon nombre de refus cette discussion. Ils lui attribuent cette opinion parce qu'ils ne de la réincarnation. Mt Il, 14 ne doit pas être entendu dans le se rendent pas compte qu'Origène a développé sans les parta- sens que Jean Baptiste serait Elie réincarné, donc refus de réin- carnation de l'âme humaine dans un autre homme: ceci dans le 48. PArch l, 8, 4, 161-178. Pour Jérôme et Justinien voir les textes et leur dis- Commentaire surjean54• Dans le Commentaire sur Matthieu: un frag- cussion dans SC 253, p. 119-125 note 28. 49. PG 17,608 A 8. ment du livre VII conservé seulement en latin par Pamphile55 50. Cf. H. CROUZEL, Théologie de l'Image de Dieu, p. 197-206. 51. Voir Hugo RAHNER, Mythes grecs et Mystère chrétien, Paris 1954, p. 128. Ou : 53. PG XI, 94 D 4 ou XVII, 596 C 5. "Das Menschenbild des Origenes", Emnos-jahrb1lch, Zürich 1947, p. 222:'226. 54. ComJn VI, 10-14 (7),64-87. 52. PG 17,607 B 14 ss. 55. PG XVII, 608 B 5. 296 297 sur Mt Il, 14. Les autres existent en grec: Hérode Antipas paux dont les âmes sont de même nature que les anges, selon le croyant que Jésus est Jean ressuscité56 ; la croyance de certains Traité des Principes lui-même68 • dans le passage d'hommes dans des corps ; encore La doctrine plotinienne de la métensomatose comporte sur Elie etJean58 • Plusieurs passages du Contre Celse où Origène un jugement des âmes, porté, nous l'avons vu, par une sorte parle de la "sottise"(aVOla) de la métensomatose dont il faut guérir de loi de nature. Origène parle plusieurs fois du Jugement les philosophes qui croient à une réincarnation jusque dans des dernier, devant Dieu et le Christ, auquel seront soumis non êtres privés de représentations, c'est-à-dire dans les plantes59 ; où seulement les hommes, mais même les anges69, et aussi d'un est blâmée la "théorie platonicienne de la métensomatose tt60 ; où jugement précédant la naissance 7o , fixant la condition où Origène en distingue sa propre théorie de la descente des âmes l'homme naîtra suivant la profondeur de la chute précos- en des corps terrestres61 ; où il est dit que les Pythagoriciens s'abs- mique. Le rôle de châtiment que Plotin attribue à la métenso- tiennent de viande "à cause du mythe de la métensomatose de matose a pour correspondants chez Origène comme dans l'âme", alors que les chrétiens le font pour dominer le COrpS62. On toute la tradition chrétienne les notions d'Hadès et de Gé- pourrait encore citer le Commentaire sur Romains à plusieurs henne 71 . reprises63, le Commentaire sur le Cantique des Cantiques64, un frag- ment grec correspondant à une homélie sur Luc6S, toujours à pro- pos d'Elie et de Jean Baptiste, un fragment, cité par Pamphile, du 10. Libre arbitre ou destin Commentaire sur Proverbes66• Devant cette avalanche de textes qui PLOTIN atteignent toutes les formes possibles de métensomatose, d'hom- me à homme, d'homme à animal et même d'homme à végétal, on Dans le cinquante-deuxième traité (11,3) Plotin examine si les astres agissent sur le destin des hommes, comme le pré- ne peut que souscrire à cette phrase de Pierre Daniel Huet: tend l'astrologie, très en vogue à l'époque. Nous étudierons "Maintenant au lecteur équitable de juger s'il ne faut pas accorder ce chapitre plus tard en traitant des astres. Plotin ne nie pas plus de foi à tant de témoignages clairs qui suppriment la méten- que les astres, comme tout dans la nature, n'aient une action somatose qu'aux allégations de Jérôme et de Justinien qui préten- dent l'établir"67. Un argument supplémentaire est apporté par la sur le caractère des hommes: mais ils ne constituent qu'un des nombreux facteurs qui agissent sur eux et l'âme n'est pas considération que pour Origène les animaux sont des êtres secon- complètement déterminée par les influences qu'elle reçoit: daires, tout à fait inférieurs aux hommes qui sont les êtres princi- "elle est la seule de tous les êtres à ne pas avoir de nature propre", mais elle a des puissances nombreuses. "L'âme, s'il 56. ComMt X, 20, 36: sur Mt 14, 1-2. en est qui se sépare, a son action séparée et propre, ne faisant 57. ComMt XI, 17, 107. 58. Ibid XIII, 1-2, 172, 27. 59. CCels III, 75,37. 68. Voir PArch II, 8-9 et Gilles DO RIVAL, "Origène a-t-il enseigné la transmi- 60. Ibid. IV, 17, 16. gration des âmes dans des corps d'animaux ?"Origeniana Sectinda, Vetera 61. Ibid. V, 29, 46. Christianorum 15, Roma 1980, 11-32. 62. V, 49, 16 et VIII, 30, 24 69. HomNb XI, 4, 82,16. D'après HomLv VII, 6, 49 des philosophes croient en 63. ComRm V, 1, 1015 A 12 à propos du gnostique Basilide; VI, 8,1083 A, 4. un jugement futur et tiennent l'immortalité de l'âme et la rétribution. 64. ComCant II, 147,9. 70. PArch II, 9, 8. 65. HomLc IV, 5. 71. Sur les problèmes que posent ces deux notions voir notre article "L'Hadès 66. PG XVII, 615 D 2 ss. et la Géhenne selon Origène", Gregorianum 59, 1978, 291-331. Le CCels VII, 67. Origeniana II, II, VI, XIX: PG XVII 917 A 2. 32, 12 fait un rapprochement entre la métensomatose et la résurrection. 298 299 pas siennes les passions du corps, parce qu'elle voit déjà que Sommes-nous guidés par des tendances aveugles qui nous tnènent l'un et l'autre sont différents"l. nécessairement comme les animaux, les bébés ou les fous ?8 Plotin Important pour notre sujet est le traité du Destin, le troi- se préoccupe dans cette discussion de sauvegarder la réalité des sième (III, 1). Tout a une cause2• Plotin parcourt ensuite diverses prédictions et de la divination. Mais à côté de l'Ame du Monde théories sur le destinS, réfute celle qui explique tout par le il y a les âmes individuelles qui ne sont pas non plus un principe hasard des rencontres d'atomes, surtout quand cela est appliqué négligeable, mais une cause première. Grâce à leur incorporéité à l'âme et à son avenir4 • Mais est-ce que la cause n'en est pas elles sont maîtresses d'elles-mêmes, libres, indépendantes de l'action d'une Ame du Monde? Dans ce cas ce n'est pas nous toute causalité cosmique. Mais dans les corps, elles ne sont plus qui agissons ou réfléchissons, mais l'Ame du Monde qui le fait tout à fait maîtresses d'elles-mêmes, obligées qu'elles sont de pour nous, comme ce ne sont pas nos pieds qui frappent le sol, composer avec la fortune qui gouverne tout ce qui est autour d'elles : tantôt elles s'y abandonnent, tantôt elle la dominent et mais nous avec nos pieds. Cette négation de notre action et la conduisent où elles veulent. Elles dominent d'autant plus réflexion propres n'est pas acceptable, "et il ne faut pas attribuer qu'elles sont fortes, d'autant moins qu'elles sont faibles: dans le à l'univers la création de ce qui est laid"5. Nous avons donc une premier cas elles sont capables de résister, de changer les choses action personnelle. Les prétentions de l'astrologie à expliquer plutôt que d'en être changées, en modifiant ou en acceptant, tous les mouvements du monde sont ensuite réfutées, car elles mais en utilisant9 • Seule doit être considérée comme libre (t<f>' attribuent aussi aux astres ce dont la décision est de notre res- nJ.1ïv) et volontaire l'âme qui est guidée par la raison pure et sort: elle ne nous rend pas différents des pierres que d'autres impassible et on voit alors dans son action notre oeuvre, car elle transportent, alors qu'en tant qu'hommes nous sommes par vient réellement du dedans, de l'âme pure, et non d'une âme nous et de nous les auteurs des oeuvres de notre nature, parmi affectée par l'ignorance, vaincue par la violence des convoitises, lesquelles il faut distinguer ce que nous faisons de nous-mêmes qui ne pose plus des actions, mais est menée par des passionslO• et ce que nous subissons de la nécessité, sans attribuer tout aux Tout se produit donc selon des causes, mais ces dernières vien- astres. Car les astrologues disent que les positions ne font pas nent soit de l'âme soit du milieu qui l'entoure. Les âmes qui que signifier les actions des hommes, mais qu'elles les produi- agissent selon la droite raison le font d'elles-mêmes, les autres sent6 • Certes, le mouvement de l'univers a une influence sur les subissent plutôt qu'elles n'agissent et elles suivent un destin événements humains, mais il ne saurait tout expliquer. Com- extérieur à elles. "Les meilleures actions sont de nous : nous ment la méchanceté des hommes viendrait.elle des astres qui sommes de cette nature quand nous sommes seuls. Les sages sont des dieux ?7 Si l'univers est mû par un déterminisme strict à agissent et font d'eux-mêmes les belles actions : les autres dans partir d'un principe unique qui fait que toutes nos actions la mesure où ils reprennent haleine, quand il leur est accordé découlent nécessairement de l'Ame de l'univers, dans ce cas (ouYXwpT\9Évn:ç), font le bien, ne prenant pas d'ailleurs leur notre libre arbitre (TO t<f> 'nJ.1ïv) ne sera qu'un mot sans réalité. sagesse, quand ils sont sages, mais n'en étant pas empêchés"ll. Le mot que nous venons d'écrire en grec pourrait faire penser 1. II, 3 (52), 14-15, citation 1. 19,25-28. à une "grâce" au sens chrétien, mais la suite dément une telle 2. III, 1 (3), 1. 3. Ibid. 2. 8. Ibid. 7. 4. Ibid. 3. 9. Ibid. 8. 5. Ibid. 4. 10. Ibid. 9. 6. Ibid. 5. Il. Ibid. 10. 7. Ibid. 6. 301 300 interprétation: ils font le bien parce qu'en elle-même la natu- leur propre pouvoir", celles des hommes, "d'autres concèdent re est bonne. Mais si quelque chose s'y opposait ils n'auraient (au destin) tout ce qu'il est nécessaire de supporter, mais peu- pas la force de lui résister : ils font le bien parce que rien ne vent s'appartenir à elles-mêmes pour tout ce qui est de leurs s'y oppose. actions, vivant sous une autre législation que l'ensemble des Si l'homme mauvais doit être blâmé, c'est qu'il a en lui, en êtres et se donnant elles-mêmes à cette autre loi" : ces derniers plus de ce qu'il a été fait, un autre principe libre (EÀEuSÉpav) qui sont, bien entendu, les sages qui ne s'abandonnent pas aux lois n'est pas hors de la providence ni de la raison universelle. Les du monde inférieur, mais gardent leurs regards fixés vers le hommes ont donc un autre principe, mais tous n'usent pas de haue s. Un petit paragraphe aborde ensuite le problème du mal ceux qu'ils possèdenrI 2 • Plotin interprète Platon 1S disant que physique. Pour les mauvais il constitue un châtiment, mais que l'âme là-haut choisit son démon et que sa vie signifie la volonté faut-il en penser quand il tombe sur les bons ? Expiation d'un (npoaipE(nç) de l'âme et sa disposition, volonté qui dépend aussi péché antérieur? Mais la raison essentielle est que les événe- de ce que l'âme a vécu auparavant: dans ce cas ce n'est pas le ments sont liés les uns aux autres, formant un ordre qui, consi- corps qui est cause du mal, mais le choix qu'a fait l'âme et le déré dans l'ensemble de l'univers, n'est pas injuste, mais corps choisi sera en rapport avec cette disposition primordiale, s'impose. "Si la victime est un homme de bien, cela finira par car "les autres hasards du dehors ne suppriment jamais toute la son bien"19. volonté". Dans la notion de volonté entre donc l'idée d'un choix Le meilleur est donc de ne donner qu'une partie de nous- fondamental ou, pour reprendre avec Plotin l'expression de mêmes au corps de l'univers sans penser que tout lui appartien- Platon 1\ d'un modèle (napaÔEIYj-la) de vie 15 • La descente des ne, donc de recevoir seulement son action de façon modérée : âmes dans les corps est-elle volontaire? Ce n'est pas clair, mais Plotin prend pour image la situation de serviteurs qui ne sont la profondeur de cette descente doit l'être dans une certaine pas esclaves, qui obéissent, certes, à leurs employeurs, mais qui mesure 16, car l'âme va vers ce qui lui est semblable et adapté. s'appartiennent à eux-mêmes pour tout ce qui n'est pas de leur Cependant "elles ne vont ni volontairement (ÉKoüoal), ni parce service et à qui pour cela le maître commande de façon plus qu'elles sont envoyées, et leur volontaire (ÉKot)OlOV) n'est pas tel retenue20 • La descente des âmes dans les corps est dite explicite- qu'elles l'auraient choisi d'avance, mais elles se meuvent comme ment par Plotin à la fois volontaire (É1I::0ÛOIOV) et non volontaire on saute naturellement ou comme le désir naturel du mariage (ÙKOÛOIOV). D'une part tout ce qui va vers l'inférieur est involon- ou comme on est mû sans raisonner à certaines actions belles". taire et considéré comme châtiment. Mais cela vient aussi d'une Chacun est envoyé selon la loi universelle, innée en chacun et loi de nature (<j>ÛOEWÇ et de la volonté divine : en le pen- accomplie par lui tout naturellemenrt 7 • Au moment de la des- sant on ne serait pas en désaccord avec la vérité ni avec soi- cente des âmes dans les corps "les unes sont tombées complète- même. Il y a faute pour être descendu et seconde faute si on ment sous l'action du destin d'ici-bas", celles qui informent ani- fait le mal après la descente. Mais il faudrait se demander ce maux et végétaux, "les autres sont tantôt comme elles, tantôt en que représente pour Plotin la faute (àj-lOPTia). De toute façon il est ici question de jugement (KpioEWÇ) qui est une décision divi- 12. III, 3 (48), 4, 1. 4 ss . 13. RéPublique 617 e 1-2. ne sd<p) et d'un châtiment sous la responsabilité de 14. Ibid. 617 e 6 - 618 a L 15. 111,4 (15), 5, 12 ss. 18. Ibid. 15, 1. 10 ss. 16. IV, 3 (27), 12. 19. Ibid. 16,1. 1 S8. 17. Ibid. 13,1. 21. 20. IV, 4 (28), 34, 1. 1 SS. 302 303 démons qui font expier; de même d'une chute du libre question car il mène au-dehors et suppose le manque, même arbitre (ponij aùn:(o\)ol<p). Mais si l'âme échappe rapidement à lorsqu'il pousse au bien. Peut-on parler de libre arbitre dans le cette situation elle ne subit pas de dommage, mais elle en rap- cas où le sujet est asservi à sa nature ou à un autre ? Mais les porte la connaisance du mal et elle a accompli des œuvres et dieux n'ont pas la dualité de la puissance et de l'acte et ils sont des actions qui auraient été impossibles dans l'incorporel et ainsi en quelque sorte dans un état supérieur au libre arbitre, qui lui ont révélé des possibilités qu'elle ignoraie l • Dans leur celui de ne dépendre de rien27 • Le libre arbitre se situe-t-il seule- éloignement de Dieu les âmes ont paru joyeuses de leur libre ment dans l'intelligence qui pense, l'intelligence pure et l'âme arbitre (aùn:(ouol<p )22. opérant selon l'intelligence et la vertu? Mais l'occasion de l'exer- Dans les textes que nous avons parcourus Plotin n'a pas mis cer et de le manifester dépend des circonstances, de circons- de réserve à l'existence en nous du libre arbitre. TI sait fort bien que tances contraires dont on préfèrerait qu'elles n'existent pas. En tout, passé, présent et futur, est contenu en Dieu, c'est-à-dire dans fait le libre arbitre n'est pas dans l'action mais dans l'intelligence l'Intelligence23 • Mais tout le traité trente-neuvième (VI, 8) est consa- libre des actions28 • La liberté et le libre arbitre sont donc à rame- cré au problème de la liberté et de la volonté, chez l'Un, comme ner à la vertu et à l'intelligence : c'est quand on préfère l'honnê- l'indique le titre, mais aussi chez l'homme. Ou plutôt il pose le pro- teté à tout le reste, y compris la vie. Le libre arbitre est ainsi en blème pour l'Un, mais déclare ensuite qu'il va commencer par dernière analyse ramené à l'action intérieure et à la pensée et chercher si l'homme a un libre arbitre (TO et quel concept contemplation de la vertu, mais non aux passions qui tendent (evvolO) correspond à cette expression. Le libre arbitre est le pou- toujours vers le corps. Il est indépendant de la matière, même si voir d'agir sans être esclave des hasards, des nécessités, ni des c'est la volonté qui en décide. Il y a un lien entre la volonté et fortes passions, mais selon notre volonté, ce qui ne se fait pas par l'intelligence, car la volonté cherche le bien29. violence mais selon le savoir; ce que nous sommes maîtres de faire L'âme est donc libre quand elle se hâte par l'intelligence en pleine conscience24 • Suit une discussion sur la faculté à laquelle vers le Bien. Toutes les objections qui tendent à ôter au Bien le rattacher le libre arbitre, à l'irascible ou au concupiscible, ou au rai- libre arbitre sont réfutées : il l'a au suprême degré30 • Mais tout sonnement, etc25 • Ou encore à la volonté, à la droite raison, à la langage est insuffisant pour exprimer ce qui en est du Bien31 • science. Mais non aux imaginations qui peuvent être provoquées Rien d'accidentel ne peut lui être attribué. Il est "une toute-puis- par certains états corporels, car alors il ne s'agit pas de libre arbitre sance réellement maîtresse d'elle-même, étant ce qu'elle veut ou ni de volontaire. C'est pourquoi il faut refuser le libre arbitre au plutôt rejetant ce qu'elle veut dans les êtres, elle-même est plus méchant mais l'accorder seulement "à celui qui par les activités de grande que tout le vouloir, ayant placé le vouloir après elle "32. l'intelligence est libre des passions du corps". C'est donc cela qui Dans l'Un il n'y a pas de hasard ni dans l'Intelligence, mais la rai- donne le libre arbitre, ainsi que les désirs qui naissent de la pensée son et l'ordre33 • Nous sommes substance (oùoia) mais non sub- et pour cela ne sont pas involontaires. Un tel libre arbitre est pré- stance en soi (aùToouola), nous ne sommes pas maîtres de notre sent chez les dieux puisqu'ils vivent ainsi26 • Mais le rôle du désir fait 27. Ibid. 4. 21. IV, 8 (6),5. 28. Ibid. 5. 22. V, 1 (10), 1,1. 5. 29. Ibid. 6. 23. VI, 7 (38), 1,1. 45 SS. 30. Ibid. 7. 24. VI, 8 (39), 1. 31. Ibid. 8. 25. Ibid. 2. 32. Ibid. 9. 26. Ibid. 3. 33. Ibid. 10. 304 305 substance, nous sommes à distinguer d'elle qui est maîtresse de bant aux trois personnes de la Trinité. Car Dieu respecte complè- nous. Mais l'Un est absolument substance en soi et la substance ne tement la liberté de l'homme. C'est la raison principale d'une se distingue pas de lui. C'est lui qui rend la substance libre, il est polémique qu'on retrouve à plusieurs reprises et qui vise sans faiseur de liberté (tÀEt>8Epon01ov), n'étant même pas soumis à sa les nommer les Montanistes, la secte à laquelle avait adhéré propre substanceS4 • Dans le Bien la volonté s'identifie à la sub- Tertullien. Il s'agit de l'inspiration des prophètes. Faisant écho à stance: il est complètement maître de lui. "Si donc le Bien existe certaines opinions philosophiques grecques à propos de l'inspi- et avec lui le choix et la volonté - car sans eux il ne serait pas -, il ration poétique ou mantique, ils pensent que l'Esprit-Saint ne faut pas qu'il y ait plusieurs choses et on doit réunir en un la quand il pénètre dans le prophète, chasse son intelligence, son volonté, la substance et le vouloir: le vouloir, s'il vient de lui, il vouç, et prend sa place: le prophète est alors un pur instrument est nécessaire qu'il soit de lui et que l'être soit à lui, de sorte qu'il actionné par l'Esprit, comme selon une image rapportée par est non par hasard, mais ce qu'il a voulu"S5. Tout cela, comme Epiphane4!l la lyre que fait résonner le plectre. A cette concep- Plotin le précise à plusieurs reprises, constitue un effort humain tion Origène s'oppose résolument, quitte à avoir quelque diffi- pour exprimer avec des mots l'ineffable mystère divin. Rien n'est culté à expliquer deux passages scripturaires, la prophétie de fortuit ni par hasard ni accidentel: tout découle de l'Un36 • C'est Balaam44 et celle de Caïphe45 • C'est en toute conscience et liberté l'union à l'Un qui apporte la maîtrise de soi et le libre arbitre, que le prophète collabore avec l'Esprit divin. Le trouble ne vient rendant davantage libre!l7. Tout regarde vers l'Un mais l'Un ne pas de Dieu mais du diable et il ne faut prendre en cet état aucu- regarde que vers lui-même : il se donne l'existence, il est comme ne résolution, même apparemment bonne, car le diable sait se il le veut!l8. Le monde est fait comme Dieu l'a voulu, comme il changer en ange de lumière46 . Telle est la règle d'or du "discer- l'avait auparavant projeté: il y a une Intelligence stable de l'uni- nement des esprits" origénien47 , qui sera suivie par toute la tra- vers selon laquelle l'univers a été fait; il n'y a pas de hasard!l9. A la dition chrétienne postérieure. Les inspirations divines sont suite de cela Plotin s'intéresse à la maîtrise de soi que manifeste reçues dans le calme et la paix de l'âme: c'est ainsi qu'elles sont l'Intelligence40, puis il insiste de nouveau sur l'Un et son libre reconnaissables48 . arbitre qui vient de ce qu'il est lui-même et rien d'autre 41 • Que D'autres objections seront faites au libre arbitre de l'Un ne puisse pas faire le mal n'est pas un signe d'impuissance, l'homme dans la suite de l'histoire du christianisme. D'abord au mais d'une puissance inébranlable et immuable : pouvoir les nom de la prescience divine : si Dieu sait d'avance ce que fera contraires manifeste l'impuissance de ne pouvoir rester dans le l'homme comment l'homme n'est-il pas forcé d'agir ainsi? Cette meilleur. Sa volonté, c'est sa substance, c'est lui-même42 • objection est faussée à la base : elle met Dieu dans le temps. Origène y répond à plusieurs reprises, par exemple par ce qui ORIGÈNE suit: "Ce n'est pas celui qui prédit qui est la cause de l'événe- Pour Origène il n'est pas question de destin, la notion de Providence suffit, une Providence personnelle et bonne, incom- 43. EPIPHANE de Salamine (Constantia), Panarion, 48,4, 1. 44. Nb 22-24 : HomNb XIII-XIV. 45.Jn XI, 51 : ComJn XXVIII, 20 (15),171-177; FragmJn LXXXV. 34. Ibid. 12. 39. Ibid. 17. 46.2 Co 11, 14. 35. Ibid. 13. 40. Ibid. 18. 47. Voir François MARTY, "Le discernement des esprits daris le Peri Archon 36. Ibid. 14. 41. Ibid. 20. d'Origène", Revue d'Ascétiqu.e et de Mystiqu.e 34, 1958, 147-164,253-274. 37. Ibid. 15. 42. Ibid. 21. 48. Voir dans notre Origène et la "connaissance mystiqu.e" les pp. 197-207 : "Le 38. Ibid. 16. rejet de l'extase-inconscience". 306 307 ment futur parce qu'il a prédit qu'il arriverait, mais l'événement pitres les plus célèbres du Traité des Principes, conservé en grec futur qui arriverait, même sans être prédit, fournit au voyant la par la Philocalie, un de ceux qui ont eu le plus d'influence sur la raison de le prédire"49. Ensuite la fameuse question de la compa- tradition subséquente, défend le libre arbitre contre les objec- tibilité entre le libre arbitre et la grâce divine qui entraînera des tions qu'on pourrait élever contre lui à partir de l'Ecriture. Il ne hérésies opposées tout au long de l'histoire chrétienne, les pre- concerne la philosophie que par son début51 dans lequel, usant mières étant au V siècle le pélagianisme et le semi-pélagianisme, d'un vocabulaire stoïcien, Origène pose le problème. Il dis- supprimant ou amoindrissant le rôle de la grâce dans l'action tingue quatre espèces d'êtres. Ceux qui sont inertes et "qu'on libre. Origène est antérieur à elles et n'a pas, semble-t-il, à cause porte" (<f>opl')Ta) et dont la matière (tiÀl') est maintenue ensemble de cela la sensibilité qu'on aura dans la suite: de là certains par une ë(tç, un "état", n'ont donc pas en eux la cause de leurs textes insuffisants qui ont permis àJérôme de voir en lui le père mouvements. Les végétaux ont en eux la cause de leurs mouve- du pélagianisme. Mais c'est à tort car nous lisons chez lui, dans ments et sont maintenus ensemble par une <l>uc:nç, dans le sens un des grands commentaires conservés en grec, donc dans un étymologique de force de croissance. Les animaux y ajoutent texte d'authenticité indiscutable, ce qui suit: "C'est le propre de une une âme, principe de vie. Les végétaux sont mus la bonté de Dieu de vaincre par ses bienfaits celui à qui il les d'eux-mêmes, è( eaUTwv, les animaux par eux-mêmes, à<l> 'eaUTwv : adresse ; il devance celui qui va être digne, afin que cette aptitu- les animaux sont dits animés, les végétaux sans de l'en rende digne. Et ce n'est pas ce dernier qui, par suite de âme. Les mouvements des animés viennent d'une représenta- sa propre dignité, atteint de lui-même son bienfaiteur et devan- tion, <l>avTaola, qui provoque l'impulsion, oP!J.rl, une impulsion ce ses grâces pour s'en rendre capable"50. Le concile d'Orange qui peut entraîner des suites d'actions ordonnées, comme chez qui a condamné le semi-pélagianisme (529) n'aurait pas désavoué l'araignée qui tisse ou l'abeille qui façonne la cire. Mais la qua- une formulation semblable. Elle suppose que toute l'oeuvre du trième espèce est l'animal raisonnable, ÀOyuc:ov, qui, en plus de salut est à attribuer à la grâce divine. Mais l'homme a la l'imagination et de l'instinct a la raison, ÀOyoç : cette dernière lui lité d'accepter ou de refuser cette action : c'est en cela que rési- permet de juger les représentations, d'accepter les unes et de de essentiellement le libre arbitre de l'homme. repousser les autres, de telle sorte que les premières passent à L'affirmation du libre arbitre tient une grande place dans l'action et non les secondes. Cet animal raisonnable, l'homme, la pensée d'Origène parce que c'était une notion très en danger n'est pas contraint par les stimulants extérieurs, d'autant plus à son époque: du côté païen à cause de l'astrologie - nous ver- qu'il a pris l'habitude par l'exercice et l'étude de rester maître rons plus loin comment Origène se représente l'action des des excitations qu'il éprouve. S'il prétend qu'il ne peut leur astres -, de la divination, de la magie, de la croyance au destin, résister il s'assimile alors aux objets mûs du dehors, dégradant la ; du côté chrétien à cause des gnostiques puisque, nature humaine au rang du bois ou de la pierre, alors que selon Origène et d'autres Pères de l'époque, ils niaient l'influen- l'enseignement et l'éducation peuvent changer les plus sauvages ce du libre arbitre et en conséquence de la vie morale sur le et qu'au contraire la négligence et le laisser-aller peuvent salut des pneumatiques ou la damnation des hyliques, ne l'ad- conduire les plus civilisés à un état sauvage. Il ne dépend pas de mettant dans une certaine mesure que pour le salut d'ordre notre libre arbitre que tels événements se produisent en dehors inférieur que pouvaient atteindre les psychiques. Un des cha- de nous, mais nous sommes libres de nous en servir de telle ou telle façon selon le jugement de notre raison. 49. CCels II, 10, 15; FragmMt 21. Voir PLATON, République, 617 e. 50. CornJn VI, 36 (20), 181. 51. PArch III, l, 1-5. 308 309 La vision origénienne de l'humanité qui est à la base du conflagration stoïcienne, Origène déclare: "Nous affirmons, nous, Traité des Principes peut se résumer dans la dialectique de qu'un jour le Logos dominera toute la nature raisonnable et trans- l'action divine et du libre arbitre de l'homme. L'égalité primitive formera chaque âme en sa propre perfection, au moment où des intelligences52 voulue par Dieu est brisée, nous l'avons vu, chaque individu, n'usant que de sa simple liberté choisi- par la faute originelle, produit du libre arbitre de chacune de ra ce que veut le Logos et obtiendra l'état qu'il aura choisi"60. ces intelligences, et la profondeur de cette chute sera la source D'une étude de tous les textes conservés qui concernent l'apoca- d'une considérable variété. Outre l'intelligence unie au Verbe tastase61 il semble qu'il ne faille lui donner que le sens d'un quelques-unes n'ont pas péché, comme semblent le supposer grand espoir, précisément à cause de l'importance qu'y garde le plusieurs passages5!J : certaines d'entre elles, comme ce serait le libre arbitre : Origène espère que le Logos se fera tellement cas deJean Baptiste54 , s'incarneront pour préparer l'Incarnation convaincant que toutes les âmes, en pleine liberté, adhéreront à du Verbe. Des degrés divers de rébellion du libre arbitre pro- lui, encore que plusieurs textes s'opposent au salut final du viendra toute la variété des conditions d'êtres raisonnables, diable et des démons, bien que d'autres aillent dans ce sens. anges, hommes, démons, et parmi les hommes les conditions Origène dans le Traité des PrinciPes pose d'abord une alternative diverses dans lesquelles ils naissent55 . En effet, nous l'avons vu, qu'il ne résout pas : est-ce que les démons "pourront jamais un jugement divin, analogue auJugement dernier, a précédé la dans les siècles futurs revenir à la bonté parce que reste en eux venue en ce monde des êtres raisonnables 56 : il s'est prononcé la faculté du libre arbitre ? Ou au contraire la malice durable et sur la situation qui correspondait aux décisions du libre arbitre invétérée ne se changerait-elle pas par l'habitude, d'une certaine de chacun. On pourrait constater à ce sujet un certain parallélis- façon, en nature"62 ? Plus loin il semble bien professer le retour me, toute idée de réincarnation étant supprimée pour Origène, en grâce du démon, "le dernier ennemi appelé la mort", par avec l'affirmation de Plotin que la destinée de l'homme après sa suite de sa conversion 6\ alors que dans la Lettre à des amis mort sera conforme à ce qu'il aura fait pendant sa vie 57 . La vie d'Alexandrie, dans un passage conservé à la fois par Rufin et par terrestre sera pour les hommes occasion de montée ou de des- Jérôme64 au plus fort de leur querelle - et pour ces raisons diffi- cente à partir de l'état de la naissance58, selon les mouvements cilement contestable -, il juge que seul un fou pourrait soutenir du libre arbitre. Tout cela sera l'objet du Jugement dernier59 . que le diable sera sauvé65 • L'Incarnation du Christ et toute sa vie terrestre jusqu'à la De la seconde hypothèse de l'alternative précédemment Passion n'ont pas eu pour but de forcer le libre arbitre de l'hom- reproduite concernant les démons on peut conclure que l'habi- me, mais de le motiver davantage à s'ouvrir à Dieu. Quant à tude de la méchanceté puisse bloquer le libre arbitre au point l'"apocatastase", la restauration finale de toutes choses, elle ne se fera qu'avec l'accord du libre arbitre: en opposition avec la 60. CCels VIII, 72, Il. 61. Voir notre article "L'Apocatastase chez Origène" dans Origeniana Quarta 52. Ibid. II, 9, 6, 183. (L. Lies), 1987, Innsbruck-Wien, 282-290. Réédité: Les fins dernières selon 53. Ibid. 1,5,5,287; 1, 6, 2, 73 ; 1, 8, 4, 118; II, 9, 6, 192; IV, 2, 7, 235. Origène, Variorum 1990. 54. ComJn II,29-31 (24-25),175-192. 62. PArch 1, 6, 3, 122. 55. PArch II, 9, 6, 177. 63. Ibid. III, 6, 5, 134. 56. Ibid. II, 9, 8, 270. 64. De Adulteratione , CChr XX, 7,4; Contre Rufin II, 18,65 (SC 303). >7. Enn. 111,4 (15), 2, 1. 16 ss. 65. H. CROUZEL, "A letter from Origen 'to Friends of Alexandria'" dans: The >8. PArch III, 1,21,706 ; IV, 3, 10, 155 et le fragment correspondant de Heritage of the Early Church, Essays in honor of. Georges Vasilievich Florowsky, érôme, SC 269, p. 215, note 55 et p. 218, note 62 c. edited by D. Neiman and M. Schatkin, Orientalia Christiana Analecta, Rome »9. HomNb XI, 4, 82, 16; XX, 4, 197,3. 1973, 135-150. Réédité: Lesfins dernières selon Origène, Variorum 1990. no 311 de le supprimer pratiquement. La réciproque est-elle vraie? de manière inconvertible et inséparable: ainsi la fermeté de son L'habitude de la bonté et de la charité supprime-t-elle le libre propos, l'immensité de son affection et la chaleur inextinguible arbitre? Remarquons d'abord que le libre arbitre qu'Origène de son amour ont retranché tout désir de changement et de exprime comme Plotin par TO aùn:(olKnov ou par la locution TO retournement de telle sorte que ce qui se trouvait dans la volon- È<J> 'i)j.1ïv ne semble jamais appelé du vocable paulinien d'ÈÀE:u9Epia té s'est transformé en nature par suite d'une longue habitude". et n'exprime qu'un aspect de la notion paulinienne correspon- Et Origène exprime cela par la fameuse image du fer qui, plon- dante, le pouvoir de choisir entre le bien et le mal, alors que la gé dans le feu, devient feu68 • liberté paulinienne s'accroît par la vertu et l'union à Dieu Remarquons d'abord qu'entre le bien et le mal la partie jusqu'à coïncider d'une certaine façon avec la liberté de Dieu; n'est pas égale. Origène se demandait, nous l'avons vu plus haut, au contraire la malice fait décroître la liberté et va jusqu'à la sup- si la malice durable et invétérée des démons, se transformant par primer, faisant retomber l'homme sous l'esclavage des détermi- l'habitude en nature, ne supprimait pas le libre arbitre, empê- nismes animaux. Cette conception de la liberté n'est pas absente chant tout retour vers le bien. Ici c'est l'immensité de la charité de la pensée d'Origène: elle est en retrait par rapport au libre qui par l'habitude se transforme en nature. Et la liberté n'est pas arbitre pour des raisons polémiques et pastorales - le danger supprimée, elle est au contraire exaltée: l'âme unie au Verbe, où certains courants philosophiques, l'astrologie et la gnose quoique ayant la même nature que les autres âmes, est libre de la mettaient le libre arbitre -, mais elle apparaît dans la doctrine liberté même du Logos-Dieu à qui elle est unie et en qui cette spirituelle de notre auteur. On la constate d'abord dans le cha- union la change comme le fer plongé dans le feu devient feu. pitre du Peri Archon6ô qui traite de l'âme humaine du Christ: Cela est certes le privilège incommunicable, du moins cette âme est en effet unie au Verbe dès sa création - qui est dans sa perfection, de l'homme jésus. Son union au Verbe et sans aucun doute le moment de la création de toutes les intelli- tout ce qui en découle est d'ordre "substantiel" : "le feu divin lui- gences préexistantes - d'une union telle qu'entre le Verbe et même repose substantiellement en lui", c'est-à-dire que l'âme du elle joue ce qu'on appellera plus tard la "communication des Christ jouit du privilège qui est celui de la Trinité seille de pos- idiomes" dont Origène donne ici une première présentation; séder "substantiellement" et non comme la créature "accidentel- "C'est pourquoi, à bon droit, parce qu'elle était tout entière lement" tout ce qu'elle a. Cependant "parvient à tous les saints dans le Fils de Dieu ou qu'elle contenait tout entier en elle le Fils une certaine chaleur de la Parole de Dieu"69. Dans la mesure de de Dieu, elle est appelée elle-même avec la chair qu'elle a assu- leur union au Verbe et par lui au Père les saints n'acquièrent-ils mée Fils de Dieu et Puissance de Dieu, Christ et Sagesse de Dieu; pas quelque chose de cette immutabilité dans le bien, de cette et réciproquement le Fils de Dieu par qui tout a été créé est impeccabilité qui constitue la liberté suprême ?70 nommé jésus-Christ et Fils de l'homme"67. Tout ce qui appar- C'est bien ce que disent plusieurs textes. Dans l'homélie tient au Dieu Logos est donc attribué à l'homme jésus et réci- sur la naissance de SamueI'l tout un développement prend pré- proquement. Mais toute âme est susceptible de recevoir le bien et le mal et douée de libre arbitre, et Origène continue: "On ne :leut douter que la nature de cette âme n'ait été celle de tou- 68. Ibid. II, 6, 5-6, 159. 69. Ibid. II, 6, 6, 199 et 197. :ers les âmes". Elle est donc douée elle aussi de libre arbitre, 70. CornRm l, 18. De même V, 10, 1052 A -1054 A: le libre arbitre restera tou- nais "par suite de l'intensité de son amour elle a adhéré au bien jours à la créature raisonnable (1052 C) ; La liberté existera dans les siècles futurs mais aussi l'amour: l'amour de l'âme pour Dieu sera tel qu'il n'y aura plus place •6. PArch II, 6. pour le péché (1053 B). Encore ibid. VIII, 11, 1191 C, 1193 A. ,7. Ibid. II, 6, 3, 144. 71. Hom 1 R (1 Sam) l, 4, 104-109. ,12 313 texte de l'expression employée au sujet de son père Elcana et Il. Le suicide venant de l'hébreu et du traducteur Aquila, non de la Septante, "un seul homme", av9pwnoç eTç, pour expliquer que le juste PLOTIN devient de plus en plus immuable dans le bien, tendant vers un Un tout petit traité (l, 9 (16), 19 lignes, se prononce néga- état qui est celui de Dieu lui-même dont il est l'imitateur. TI tire tivement sur la question du suicide. Le détachement du corps la même conclusion de 1 Jn 3, 6 : "quiconque demeure en lui ne prêché par Plotin n'est pas le suicide : l'âme doit s'occuper du pèche pas"72 et deJn 8,51 : "Si quelqu'un garde ma parole il ne corps et le supporter 1• C'est pourquoi il faut attendre que le verrajamais la mort"7S. C'est parce qu'ils ne peuvent plus pécher corps se détache de lui-même de l'âme. Agir autrement serait que les bienheureux ont la liberté complète, alors que les saints manquer à l'impassibilité du sage. Même si on se sent menacé sur terre ne l'ont pas encore entière74 . Le libre arbitre ne pourra de folie : accident qui serait à accepter par suite des circons- plus dans ce cas nous séparer de la charité de Dieu75 . C'est pour- tances. Employer le poison ne serait peut-être pas heureux pour quoi l'idée que dans le ciel les bienheureux "à qui n'est jamais l'âme, s'il y a un temps fixé par le destin à chacun. TI y a cepen- ôtée la faculté du libre arbitre" pourraient de nouveau pécher dant là une restriction : "à moins que, comme nous disons, ce n'est qu'une hypothèse soulevée par la discussion entre une fin soit nécessaire. Si nous devons avoir là-haut le rang semblable à corporelle et une fin incorporelle de l'humanité76 . celui dans lequel nous sommes sortis, puisque l'occasion nous L'idée que la malice pourrait devenir nature et supprimer est donnée de progresser, il ne faut pas faire sortir l'âme du le libre arbitre se retrouve aussi. L'Antichrist, figuré par le corps". Le contexte est de métempsycose. Prince de Tyr selon EzéchieF7, n'est pas mensonge "par son être, L'exception signalée "à moins que ce soit nécessaire" est du fait de sa constitution" mais c'est à la suite d'un libre choix confirmée par quelques petites allusions voilées dans d'autres qu'il s'est ainsi "naturé", écrit Origène en s'excusant de forger traités. Le traité 33 (II, 9) contre les gnostiques qui haïssent ce un néologisme En choisissant le bien le libre monde2 : "Si les âmes sont venues volontairement pourquoi blâ- arbitre exalte la liberté, en élisant le mal il la supprime. En mez-vous ce monde où vous êtes venus volontairement, alors somme pour Origène - cela ressort de PArch III, 1 pourvu de qu'il est donné d'en sortir, si on ne s'y plaît pas ?". Un peu plus prendre ce chapitre tout entier - c'est Dieu qui accomplit loins : "Si tu blâmes (ce monde) tu n'es pas obligé d'en être ci- l'oeuvre de notre salut dans le Christ, le rôle de l'homme étant toyen". Argument ad hominem et de polémique qui fait penser, de le laisser agir79 • avec une autre motivation, aux plaisanteries que Justin4 prête aux païens contre les chrétiens : "Donnez-vous tous la mort à 72. ComJn XX, 14 (13), 108-109. vous-mêmes. C'est le chemin pour aller à Dieu. Vous nous épar- 73. Ibid. XX, 39 (31), 367-371. 74. ComRm 1, 1,839 Css. confirmé par le FragrnRm 1 (en grec) de K. Staab gnerez la besogne". Ou encore, selon Tertullien5, à la réponse dans Biblisèhe Zeischrift 18, 1927-1928, 7475. du Proconsul d'Asie Arius Antoninus devant une manifestation 75. CornRni V, 5,1054 A. de chrétiens: "Malheureux! Si vous voulez mourir vous avez des 76. PArch II, 3, 3, 130. 77. E2 28, 19. précipices et des cordes". 78. CornJn XX, 21 (19), 174. 79. Autres textes: CCels IV, 47, 18 à propos de l'inceste des filles de Lot : un 1. 1,4 (46) 16, l. 22 ss. acte doit être jugé selon sa npoaif>Eolç;. ComMt X, Il, 40 : le libre arbitre cause 2. II, 9 (33), 8, l. 235. du mal ; XI, 12, 18 : les oeuvres indifférentes deviennent bonnes ou mauvaises 3. Ibid. 9, l. 26. selon l'orientation du libre arbitre. PEuch VI, 1 : le fatalisme de ceux qui refu- 4. Apologie II, 4, 1. sent le libre arbitre. 5. Ad ScaPlllam 5, 1 : CChr II, p. 1131. 314 315 Mais trois passages du traité sur le bonheur (l, 4 (46) envi- martyre, ou de ne pas fuir la persécution quand on le peut sans sagent ce cas plus sérieusement, dans un contexte sans polé- dommage pour la foi et pour l'Eglise? Sur ce point la position mique. Il s'agit de l'attitude devant les épreuves: "S'il est d'Origène est fort différente de celle de Tertullien dans le De né prisonnier, il a un moyen6 d'en sortir, s'il ne peut pas être oeuvre de son époque montaniste. Bien qu'il ait voulu à dix- heureux"7. Plus loin : "Si la souffrance se prolonge, il décidera sept ans, selon Eusèbe, suivre son père dans le martyre 13, qu'il ce qu'il a à faire, car le libre arbitre n'est pas ôté dans de tels donne une grande importance au martyre qu'il a désiré toute sa cas"s. Plus loin encore: "sans empêchement de le quitter (= le vie, qu'il ait subi la prison et la torture à la fin de sa vie mais sans corps) et devant le quitter au moment fixé par la nature, lui- en mourir1\ Origène n'accepte dans ses écrits ni la provocation même étant maître de délibérer à ce sujet". L'âme est comparée au martyre, ni même de se laisser arrêter quand on peut fuir. Ceta au musicien qui joue de la lyre : il la garde tant qu'il peut s'en pour plusieurs raisons : obéir au précepte du Seigneur: "Quand servir ; sinon il en change ou il se passera de lyre et chantera on vous persécute dans cette ville fuyez dans une autre"15 ; suivre sans instrument"9. son exemple quand il se retira dans le désert après l'exécution de Jean Baptiste. n y aurait témérité et légèreté à affronter soi-même ORIGÈNE le danger16, du moins sans raison sérieuse qui doit être appréciée Peu de textes s'expriment sur ce sujet. En se pendant avec discernement spiritueP7. Une autre raison profonde est '!iou- après avoir livré Jésus Judas, certes, a montré son repentir, mais tée à propos deJésus se retirant à Ephraim près du désert: en non "selon la science"IO. Il a pensé qu'il devait précéder son s'exposant étourdiment au martyre le chrétien se rendrait respon- Maître dans la mort pour l'accueillir et lui demander miséricor- sable du crime du persécuteues. Dans un exposé de la théologie de. Il n'a pas vu qu'il n'appartient pas au serviteur de Dieu de origénienne du martyre, Celestino Noce 19 écrit que le martyr quitter de lui-même cette vie, mais qu'il doit attendre le juge- "dans le cas où est claire la pensée de Dieu, volontairement, avec ment de Dieu ll • Dans le Contre Celse, Origène s'élève contre la joie, va à la rencontre de l'épreuve. Il n'a pas le droit de la provo- conviction de Celse qu'il faut suivre les lois de sa patrie, même si quer. Ce n'est pas en effet l'homme par sa propre décision qui elles sont immorales, sous peine d'être impie: "A Celse de nous détermine s'il doit se présenter ou non devant le juge. Seulement dire l'impiété qu'il y aurait à enfreindre les lois traditionnelles quand la volonté divine est claire et que l'occasion de combattre pour qui épouser sa mère ou sa fille est permis, finir sa vie par s'est présentée il ne doit pas se soustraire à l'épreuve ni différer la pendaison mérite la béatitude, se livrer aux flammes et quitter la mort, mais la supporter avec force, confiant dans l'aide divine. vie par le feu obtient la purification parfaite"12. Il est clair que Origène, à part son attitude juvénile, en ce qui concern'e la doctri- pour Origène le suicide est un acte mauvais que ne justifie pas le ne et la conduite de sa vie, s'est conformé à l'orientation de la tra- repentir: il faut attendre le jugement de Dieu. dition ecclésiastique et l'a défendue: elle interdisait normalement Une question importante pour les chrétiens de son épo- aux chrétiens de se présenter spontanément aux juges en temps que peut être rattachée à cela :.est-il permis de provoquer au ,., 13. EUSEBE de Césarée, Histoire Ecclésiastique, VI, 2, 3-5. 6. HOMERE, Iliade, l, 43. 14. Ibid. VI, 39. 7. 1,4 (46), 7, l. 3l. 15. Mt 10,23: CCeis VIII, 44, 29. 8. Ibid. 8, l. 8. 16. Mt ID, 23 : ComMt X, 23, Il. 9. Ibid. 16, l. 18 ss., 23 ss. 17. ComMt XVI, 1,461-465. 10. Rm 10,2. 18.Jn 11,54: ComJn XXVIII, 23 (18), 192 ss. Il. SerMt 117, 245, 1-23, texte latin et fragments grecs. 19. ORIGÈNE, Esortazione al Martino, introduzione, traduzione, note. 12. CCeis V, 27, 12. Roma (Pontificia Università Urbaniana), 1985, p. 45. 316 317 de persécution. Et cela en conformité avec les paroles et exemples ne suffit pas, il faut savoir que c'est un bien : c'est jugé non par de Jésus". la sensation, mais par la raison et l'intelligence. Pourquoi attri- Le refus de se conformer à cette manière d'agir, comme buerait-on le bonheur seulement à l'animal raisonnable? Si c'est c'était le cas d'hérétiques, marcionites ou montanistes, comme le parce qu'il est plus apte à le rechercher, les êtres irrationnels montre le De Fuga de Tertullien, accusant de lâcheté l'Eglise des pourraient aussi l'obtenir par la nature. La raison ne serait alors "psychiques", pouvait équivaloir à une sorte de suicide, comme il qu'un moyen et non un but. Si elle est un constituant essentiel ressort des plaisanteries païennes que nous avons rapportées20 . du bonheur il faut chercher pourquoi et dire quelle est sa g Mais si le chrétien n'a le choix qu'entre le reniement et la mort, valeur • Plotin donne alors sa propre idée sur le bonheur. TI est ce sera alors le cas où, selon le Contre Celse 2t, l'unique manière de dans la vie, mais la vie raisonnable. La vie a des degrés divers quitter la vie jugée raisonnable est celle que demandent la reli- selon les êtres qui y participent. La vie parfaite et vraie se trouve gion et la piété, c'est-à-dire le martyre. dans la nature intelligente, les autres vies sont imparfaites, des images de la vie raisonnable. "Puisque tous les vivants viennent d'un principe unique et que les uns et les autres ne vivent pas 12. Le bonheur également il faut que le principe soit la première vie et la plus PLOTIN parfaite "24. Si l'homme est capable de posséder la vie parfaite il Le quarante-sixième traité (1,4) est intitulé Du Bonheur. est capable de bonheur: il faut le mettre parmi les dieux. L'idéal Plotin, identifiant bien vivre et bonheur, se demande d'abord du bonheur est de ne rechercher plus rien, d'être autarcique. si on peut parler de bonheur à propos des animaux autres L'homme qui ne cherche plus rien pour lui cherche cependant que l'homme ; ou si on identifie bien vivre avec vivre selon la pour son corps dont les besoins sont différents de lui: même les nature sans empêchement; ou s'il s'agit de se sentir bien ou deuils n'atteignent en lui que ce qui n'est pas lui25. Suit une dis- d'accomplir son oeuvre propre, selon sa nature. Le bonheur cussion sur le bonheur dans la souffrance26 . Le bonheur est dans est la fin, le but, des désirs naturels. Une objection à accorder l'acquisition de la vraie fin 27, dans le détachement à l'égard de ce le bonheur aux plantes est qu'elles n'ont pas de sensation: qui peut arriver ici-bas28, dans le support des coups de la fortu- cependant elles ont la vie et la vie peut être bonne ou non. Si ne29 • Y a-t-il bonheur quand on n'en a pas conscience ('O. Le bon- la fin est le plaisir (nôovn) il faut l'accorder aux animaux; de heur consiste à tourner sa volonté vers l'intérieur, même si même si c'est l'ataraxie, l'absence de trouble; ou si c'est la vie l'extérieur est hostilesl • TI est déjà présent dès ici-bas pour celui selon la nature. Ce premier paragraphe vise les positions stoï- qui ne le cherche pas dans l'intempérance ni dans les plaisirs du cienne et épicurienne22 . Mais il ne suffit pas d'avoir la sensa- COrpSS2. Même dans la souffrance il est possible de rester dans la tion qui perçoit le bonheur, il faut que l'impression de bon- 23. Ibid. 2. heur soit bonne, conforme à la nature, propre à l'individu, 24. Ibid. 3. agréable. Epicurisme et stoïcisme sont discutés à propos de 25. Ibid. 4. l'importance de la connaissance dans le bonheur. Le plaisir " 26. Ibid. 5. 27. Ibid. 6. 28. Ibid. 7. 20. Voir sur tout cela Bernhard SCHOEPF, Das Totungsrecht hei den fn"lhchrutli- 29. Ibid. 8. chen Schriftstellern, Regensburg (Pustet) 1958, p. 48, 57-58. 30. Ibid. 9-10. 21. CCels VIII, 55, 16. 31. Ibid. 11. 22. 1,4 (46), 1. 32. Ibid. 12. 318 319 contemplation du Le bonheur est dans le détachement racine. Mais ils s'appliquent quasi exclusivement au bonheur du corps et dans une bonne vie34 • L'attitude du sage vis-à-vis du céleste, ou du moins ici-bas à un bonheur spirituel. Il n'y a rien corps est de s'en occuper et de le sur un bonheur simplement humain. Dans le trente-sixième traité (1,5), Plotin se demande si le S'il est impossible de parler du bonheur céleste on peut temps ajoute quelque chose au bonheur. C'est une certaine parler de ses anticipations d'ici-bas. La connaissance du mystère disposition de l'âme qui fait le qui est dans une vie est un vin qui réjouit l'âme, "fait sortir de l'humain, donne bonne. Il ne faut pas compter cette vie bonne selon le temps, l'èveOOOlàv, c'est-à-dire le sentiment éprouvé de la présence divi- mais selon l'éternité : elle ne comporte ni moins ni plus. C'est ne, "et enivre d'une ivresse qui n'est pas déraisonnable, mais divi- la vie de l'éternité non composée de temps nombreux, mais de ne"41. Ce dernier membre de phrase distingue ce qu'Origène tout le temps tout entier ensemble (TnV èK navToç Xp6vou nàoav considère comme l'authentique position chrétienne contre "Ce n'est pas l'action qui fait le plaisir de l'homme heu- l'extase-inconscience, la folie sacrée, des Montanistes, dont nous reux, mais son état (ou sa disposition) fait le bonheur et l'agré- avons parlé plus haut. C'est tout l'aspect proprement affectif de ment qui peut venir du bonheur. Placer le bonheur dans les la connaissance mystique qui serait à développer à la suite de actions c'est le mettre dans ce qui est hors de la vertu et de toute une série de textes42 . Divers états affectifs sont les éléments l'âme: l'activité de l'âme est dans le fait d'être sage et d'agir de cette "sobre ivresse" : délices inexprimables, plaisirs inef- ainsi en elle-même. C'est cela le fables, allégresse, joie: c'est déjà une participation à la béatitude. D'autres allusions au bonheur se trouvent en d'autres trai- Le coeur est enflammé, comme celui des disciples sur la route tés: "Les bons seuls sont heureux; c'est pourquoi les dieux sont d'Emmaüs, on éprouve le repos et la paix, on goûte la douceur S'il n'est pas possible à certaines âmes d'obtenir le spirituelle des mystères. Tout cela se résume dans l'èveOOOlàv ou bonheur, c'est qu'elles ne peuvent bien lutter pour avoir le prix l'èveoootaol-1Oç selon le sens indiqué plus haut qui contraste avec de la vertu. Pauvreté et maladies ne sont rien pour les bons, l'emploi laïcisé de notre mot enthousiasme. Mais tout cela ne mais pour les mauvais elles sont un malheur40. constitue que des approches de ce que sera le bonheur céleste. Les béatitudes de Mt 5, 3-12 sont souvent citées mais il n'y ORIGÈNE a guère d'explication de l'aspect affectif du bonheur qu'elles Il Y a peu à dire sur le bonheur selon Origène. Nous procurent ou procureront. Quant aux promesses de bonheur n'avons jamais trouvé le mot Eùôall-1wv ni les autres termes de matériel de l'Ancien Testament, Origène les explique toujours même racine, peut-être à cause de ôall-1wv qu'ils contiennent: dans un sens spirituel, conformément à sa théorie des anthropo- dans les traductions latines felix et felicitas sont rares. En revanche morphismes. très employés sont et beatus, ainsi que les mots de même 13. La vertu 33. Ibid. 13. 34. Ibid. 14-16. PLOTIN 35. Ibid. 16. Le dix-neuvième traité (l, 2) dont le titre est Des Vertus 36. 1,5 (36), 1. 37. Ibid. 7. commence par une citation et un commentaire du célèbre pas- 38. Ibid. 10. 39. III, 2 (47), 4, l. 47. 41. CornJn l, 30 (33), 206. 40. Ibid. 5, l. 1 ss. 42. Voir H. CROUZEL, Origène et la "connaissance mystique" 184-197. 320 321 sage du Théétète 1 de Platon: il faut fuir d'ici-bas et cette fuite ner vers le Bien et de s'unir à lui. Avant cette conversion elle consiste à ressembler à Dieu en devenant justes et pieux avec n'a pas le Bien, mais son empreinte qui reste sur elle inagissante : prudence. Dieu désigne ici surtout la troisième hypostase, l'Ame il faut qu'elle confonne cette empreinte au modèle. L'Intelligence du Monde, et ce qui est en elle le principal qui a une prudence n'est pas étrangère à l'âme, surtout quand cette dernière se tour- merveilleuse. Mais on peut se demander si l'Ame du Monde qui ne vers elle6 • Se séparant du corps l'âme devient impassible, disci- n'a pas à subir d'opposition, car il n'y a rien en dehors d'elle pline l'irascible, le concupiscible et les passions, étant sans crain- dans l'univers, possède les vertus : la question se pose pour les te. Elle purifie la part irrationnelle d'elle.,même ou du moins en vertus dites ici politiques, qu'on pourrait traduire aussi par atténue fortement l'impact'. Le but de cette purification est la civiques ou sociales, qui recouvrent les quatre vertus cardinales divinisation de l'homme. Si elle éprouve encore quelque mouve- classiques : le mot "politiques" doit venir de ce qu'elles sont pra- ment involontaire, il y a là un mélange de dieu et de démon. Dans tiquées dans le cadre de la n6Àlç, de la cité. Ce sont la prudence la perfection, la sagesse et la prudence contemplent ce que qui concerne le raisonnement, le courage, l'irascible, la tempé- contient l'intelligence. Chacune de ces vertus est double, l'une rance qui accorde le concupiscible avec la raison, la justice qui dans l'Intelligence, l'autre dans l'âme: en haut ce n'est pas vertu, selon la définition de Platon dans la République est dans l'''action mais dans l'âme c'est vertu; dans l'Intelligence sont les para- propre" (oh::ElOnpayiav)2 en ce qui regarde le fait de commander digmes des vertus qui sont dans l'âme. Les vertus ont toutes pour ou d'être commandé. Il s'agit là d'une assimilation aux vertus but d'interrompre la sympathie de l'âme avec le COrpS8. Les ver- plus grandes qui leur correspondent dans l'Ame du Monde : la tus sont liées réciproquement dans l'âme comme leurs para- vertu de là-haut par rapport à celle d'ici-bas est ce qu'est le feu digmes dans l'intelligence: elle sont solidaires (l'antacolouthie en fonction de ce qu'il chauffe ou ce qu'est le modèle d'en haut des vertus). L'Intelligence est ses vertus, non l'âme : pour être et son image d'en Les vertus politiques nous rendent purifiée l'âme doit avoir toutes les vertus. Celui qui a les grandes meilleurs en modérant et en limitant les désirs et les passions, a nécessairement les petites, mais non inversement. La ressem- en apportant dans l'âme la mesure, trace du Bien qui est là-haut. blance à un homme bon est celle d'une image à une autre image, 9 Mais la parenté de l'âme avec Dieu peut tromper, car l'âme mais la ressemblance aux dieux va au paradigme • paraît être Dieu alors qu'elle n'est pas le tout de Dieu4 • Les ver- Dans les autres traités on peut glaner quelques renseigne- tus politiques sont des purifications, elles purifient l'âme conta- ments. La sagesse perfectionne les vertus naturelles 1o • La vertu minée par le corps. En quoi consiste la ressemblance à Dieu? Le n'est pas le bien, mais un bien qui donne la domination sur la mot pensée n'a pas le même sens quand il est rapporté à Dieu et matière ll : elle participe au bien 12 • On fuit les maux par l'acquisi- à l'homme : la pensée de l'homme est l'image de la pensée de tion de la vertu, la séparation d'avec le corps et donc d'avec la Dieu comme le langage proféré l'est du langage intérieur. La matière. Et en être séparé c'est être panni les dieux dans les réa- Vertu appartient à l'Ame, non à l'Intelligence5 • La purification lités La vertu se connaît par l'intelligence et la pru- s'identifie-t-elle avec la vertu ou en est-elle seulement la phase préliminaire? Après la purification il reste à l'âme de se tour- 6. Ibid. 4. 7. Ibid. 5. 8. Ibid. 6. 1. Théétète 176 ab. 9. Ibid. 7. 2. République 431 e 8, 434 c 8. 10. l, 3 (20), 6, 1. 18 ss. 3. l, 2 (19), 1 : cf. V, 8 (31), 10,1. 13-16. Il. 1,8 (51),6,1. 19; 9, l. 42. 4. Ibid. 2. 12. Ibid. 13. 5. Ibid. 3. 13. 1,8 (51), 7,1. 13 ss. 322 323 dence, elle se connaît elle-mêmeI4 . Les vertus existent à cause de la harmonie et le vice une désharmonie des parties de l'âme: il y a partie ancienne de l'âme, c'est-à-dire probablement de celle qui vertu lorsque chaque partie exécute ce qui lui incombe, comme reste dans l'intelligible: les vices viennent de la rencontre de les divers chanteurs et danseurs d'un choeur26. La vertu joue le l'âme avec le dehors l5 . Dans le tourment des passions il nous rôle de forme pour l'âme: elle est en effet un intelligible27 • Elle reste nous-mêmes dans notre être le plus vrai, nous à qui la n'est pas d'abord dans l'acte qui est une occasion de la manifester nature a donné de pouvoir dominer les passions. Dans tous les et cette occasion ne se présente pas toujours: pour manifester sa maux que le corps nous inflige Dieu nous a accordé la vertu qui bravoure il faut qu'il y ait la guerre. Mais comme le libre arbitre à n'a pas de maître l6 : son rôle est important, non quand nous laquelle elle est liée la vertu précède l'action. "Si donc la vertu est sommes dans le calme, mais quand nous sommes en péril de comme une autre intelligence et un habitus qui donne à l'âme de tomber dans le mal s'il n'y avait pas les vertus l7. se pénétrer d'intelligence, il s'ensuit que le libre arbitre n'est pas La notion de vertu intervient aussi à plusieurs reprises dans l'action, mais dans une intelligence libre des actions"28. dans le traité dirigé contre les Gnostiquesl8. TI leur est reproché L'âme qui vient de l'Intelligence a la vertu parce qu'elle commu- de considérer qu'ils sont les seuls à être bons alors qu'il y a nie à une raison qui vient de l'Intelligence elle aussi29• La montée d'autres hommes très bons. Celui qui veut être le meilleur doit de l'âme vers l'Un a lieu par delà l'Intelligence en "dépassant le se montrer bienveillant envers tous et penser qu'il y a aussi place choeur des vertus" qui sont dans l'Intelligence : elles sont pour les autres auprès de Dieul9. Plotin leur reproche orgueil et rées par les statues qui sont dans le Temple que le mystique 20 vantardise ; de même de mépriser toutes les vertus, de sorte dépasse lorsqu'il entre dans le sanctuaire le plus secret qui repré- qu'il ne leur reste que le plaisir. TIs pensent à eux, non au bien sente l'Un; mais "quand il sortira du sanctuaire elles seront les 21 premières qu'il verra après la contemplation intérieure et l'union commun . La vertu tend à nous rendre impassibles22 • Les châti- ments des mauvais font ressortir par contraste le prix de la là-haut avec ce qui n'est plus statue ni image mais l'Un lui- 2S même". Les vertus qui sont dans l'Intelligence sont donc dépas- vertu . Le scandale des maux que subissent les vertueux consti- tue une objection contre la Providence que Plotin essaie de sées par celui qui se trouve en union avec l'Un: mais cette union résoudre en s'appuyant sur le fait que l'homme est un être n'est que passagère et quand il en sort il les retrouve!lO. mélangé d'âme et de corps et que en tant que corps il est soumis ORIGÈNE à tous les aléas de la nature matérielle24 . Plotin discute aussi l'opinion avancée dans le Phédon de Platon25 que la vertu est une Pour Origène toutes les vertus et chaque vertu sont des Ènlvolal, des dénominations du Christ. Elles trouvent donc place 14. Ibid. 9, 1. 2ss. dans la doctrine des épinoiai que développe le premier livre du 15. II, 3 (52), 8, 1. 13 ss Commentaire surJean SI • Dans ces passages Origène ne mentionne 16. République 617 e 3. 17. II, 3 (52), 9. 18. II 9 (33). 26. III, 6 (26), 2,1. 5. 19. Ibid. 9, 1. 26 ss. 27. VI, 6 (34), 15,1. 21 ; VI, 7 (38), 27, 1. 3. 20. Ibid. 10, 1. 3. 28. VI, 8 (39), 5, 1. 1 55. 2l. Ibid. 15, 1. 10 ss. 29. VI, 9 (9), 5, 1. 6. 22. Ibid. 18,1. 27 ss. 30. VI, 9 (9), 11,1. 16 ss. 23. III, 2 (47), 5, 1. 18. 31. ComJn l, 21 (23) à 39 (42), 125 à 291. Voir SerMt 72, 168, 10: revêùr le Christ 24. Ibid. 6-7. et les vertus; ComJn l, 9 (11), 52-62 : Jésus est tous les biens (les vertus); De même 25. Phédon 93 e 8-9. ibid. 1,20 (21), 119; et bien d'autres textes surtout du ComJn. Encore FragmEph 1 sur les vertus épiflOÛli du Christ; ibid. IX, Il. 324 325 que quelques vertus qui sont plus que des vertus, des dénomina- mais elle n'a de valeur que si les autres vertus l'accompagnent. Si tions essentielles du Fils: ainsi la dénomination première de les vierges et les continents "sont atteints de la tache de l'orgueil, Sagesse (o<><l>ia) dont la participation rend les hommes sages, celle des souillures de l'avarice, des impuretés de la médisance et du de Logos qui fait les hommes Àoyu(oi au sens surnaturel du mot mensonge, il ne faut pas penser qu'ils offrent une hostie sainte, habituel à Origène, ou celles de Vérité et de Justice. Mais bien agréable à Dieu37 , par leur seule virginité", alors que les mariés d'autres vertus sont signalées ailleurs comme s'identifiant au chastes peuvent le faire 38 • Tel est le cas des vierges folles de la Christ. Par exemple dans un passage du Commentaire sur le parabole39 qui n'ont pas su "mettre dans leurs vases l'huile de la Cantique des Cantiq'l.JJ!f2, à propos de Cant 1,4 selon la Septante: charité, de la paix et des autres vertus, et pour cela n'ont pas "L'équité (aequitas = EOOUTT1Ç) t'a aimé" il écrit: "Ne t'étonne pas été introduites dans la chambre nuptiale de l'Epoux"40. si nous disons que ce sont les vertus qui aiment le Christ, Mais n'y a-t-il pas dans l'enseignement d'Origène une puisque dans d'autres passages nous avons coutume de com- vertu fondamentale qui donne leur valeur aux autres, comme prendre le Christ comme la substance de ces mêmes vertus. Tu chez Paul la charité selon le fameux hymne de 1 Co 13, 1-13, ori- trouveras fréquemment cela dans les Ecritures divines accom- gine de la doctrine scolastique de la charité "forme" des vertus : modé aux lieux et aux occasions: nous le trouvons ainsi dit justi- la charité selon cette doctrine donne aux vertus d'abord leur ce, paix, vérité. Il est écrit de même dans les Psaumes: 'La orientation vers Dieu - puisqu'elle est d'abord amour de Dieu- Justice et la Paix se sont embrassées' et 'La Vérité est venue de la et aussi leur valeur surnaturelle - puisque là où est la charité là terre et laJustice a regardé du ciel"33. On lit de même dans le est la grâce. Trouve-t-on donc chez Origène une doctrine Commentaire sur jeanM cette formule lapidaire : "Mais le Logos, équivalente ? Une de ses expressions visant la charité se trouve en un mot le Seigneur, est toute la vertu animée et vivante (n dans un des plus beaux passages du Commentaire sur le Cantique n<loa Ka1 Cwoa âpETTl)". Les mots et Cwv expri- des Cantiques à propos du "trait" et de la "blessure" d'amour. ment fréquemment chez Origène la notion de personne, car C'est Origène qui le premier en rapprochant Cant 2, 5 et Is 49, npÔ<Jwnov n'a pas encore ce sens chez lui: pareillement chez son 2, lus tous deux selon la Septante, a créé ce thème qui a traversé disciple Grégoire le Thaumaturge35. Le Christ est donc la "sub- toute l'histoire de la spiritualité chrétienne. "Certes, dans ce stance" des vertus, elles se confondent avec lui : avoir une vertu poème qui est comme un drame d'amour l'Epouse dit avoir est participer en quelque sorte à la substance du Christ. reçu des blessures de charité. L'âme pleine de ferveur envers la Sagesse de Dieu peut pareillement dire :je suis blessée de sages- Mais comme le Christ est l'ensemble dès vertus en avoir se, parce qu'elle a pu contempler la beauté de la Sagesse. Une une sans les avoir toutes ce n'est pas avoir le Christ. TI y a pour autre âme voyant la grandeur de la Force et ayant admiré la Origène comme dans la tradition grecque une "antacolouthie" 36 puissance du Verbe de Dieu peut dire :je suis blessée de force ... des vertus , elles se tiennent les unes les autres, en négliger une Mais une autre âme brûlant d'amour pour sa justice et voyant la c'est n'avoir rien. Ainsi Origène a en grande estime la virginité, justice de ses économies et de sa providence, dit sans aucun 32. ComCant l, 112, 25. doute: Je suis blessée de justice. Et une autre percevant l'im- 33. Ps 84 (85), 11-12. 34. ComJn XXXII, 11 (7), 127. 37. Rm 12,1. RemOrig IV, 39, 31-32. 38. ComRm IX, 1, 1205 B. Voir H. CROUZEL, Virginité et mariage selon Origène, Voir Harald HORN, "Antakoluthie der Tugenden und Einheit Gottes" p.98-1oo. 'ahrbuch fûr Antike und Christentum, 13, 1970, 5-28. Sur l'unité des vertus 39. Mt 25, 1-13. :;omCant l, 105; leur antacolouthie SerMt 63, 146,4. 40. HomLv l, 5, 38. ,26 327 mensité de sa Bonté et de sa Miséricorde parlera de même. à travers son humanité qu'Origène considère comme l'"ombre" Mais cette blessure de charité dont l'Epouse se déclare blessée du Verbe par une exégèse allégorique de Lam 4, 20 : "A son contient toutes les autres"41. La charité contient donc en elle ombre nous vivons parmi les nations". Cela ne veut pas dire que toutes les vertus dans la blessure qu'elle cause. l'âme du Christ n'ait pas eu communication de toute la réalité Le Peri Archon s'exprime un peu différemment, mais équi- du Verbe, puisque selon PArch II, 6 elle participe à la substan- valemment, quand, face à la séparation mise par les Marcionites tialité de la Trinité, son union au Fils lui ôtant l'accidentalité entre le Dieujuste de l'Ancien Testament et le Dieu bon du propre à la créature. Mais nous ne pouvons percevoir la divinité Nouveau, il veut montrer qu'elle est absurde, car il n'est pas du Verbe que comme à travers son ombre, son âme humaine possible d'être juste si on n'est pas bon. L'idée de l'antacolou- atténuant, tamisant en quelque sorte son éclat pour que nous thie des vertus est proche de son raisonnement, mais aussi une puissions le supporter. Si donc les vertus s'identifient dans leur prédominance en Dieu de la bonté à cause de laquelle il est essence au Verbe et si nous ne les possédons qu'à travers son 42 juste . Parler de bonté équivaut à parler de charité, d'amour de humanité, son "ombre", nous n'avons ici-bas que des ombres de Dieu pour les hommes. A cela ajoutons un texte qui peut être vertus, "nous vivons donc dans l'ombre de la justice, de la sages- dit deutéro-origénien puisqu'il reproduit explicitement l'ensei- se et de la vérité, même si nous paraissons être sages, justes, gnement d'Origène. Dans son Remerciement à Origène45 , discours amis de la vérité"46. Il ne faut pas oublier cela quand on lit dans prononcé devant son maître à la fin de sa scolarité, Grégoire le le Remerciement du Thaumaturge que des philosophes, les Thaumaturge déclare: "Car il (= Origène) nous avait donné, Stoïciens, "déclarent que la vertu de Dieu est la même que celle grâce à sa vertu, l'amour de la belle justice, dont il nous montra des hommes et que le sage est égal en sagesse au Premier Dieu" le visage vraiment étincelant comme l' or4\ de la prudence à et que un peu plus loin47 l'orateur prend davantage à son comp- laquelle tous font appel, de la véritable sagesse, tout aimable, de te la première partie de la phrase, mais non la seconde : nous la tempérance semblable au divin, qui apporte l'équilibre et la n'avons en effet que des "ombres" de vertus. L'enseignement paix de l'âme à tous ceux qui l'ont acquise, de la force mer- moral d'Origène, tel qu'il est décrit dans ce discours, est centré veilleuse, de notre45 patience, et surtout de la piété qui sur les quatre vertus cardinales, prudence, tempérance, justice est, dit-on avec raison, la mère de toutes les vertus. Elle est en et force: de chacune sont données plusieurs définitions. Mais le effet le principe et la fin de toutes: en partant d'elle il serait très rôle essentiel qu'elles jouent dans le texte de Grégoire ne se facile de posséder toutes les autres". Ici qui tient retrouve pas à un tel degré dans les écrits où homélies d'Ori- la place incombant plus haut à la charité et à la bonté. Mais étant gène. L'école de Césarée, telle que la décrit le Remerciement, avant tout rapportée à Dieu lui-même, elle est équivalente aux semble avoir été une initiation au Christianisme pour jeunes deux autres. païens sympathisants à partir de la philosophie du temps, sur- Le Christ est donc toute vertu. Mais nous ne percevons tout celle du Moyen Platonisme48. On peut donc expliquer par là pas ici-bas directement le Christ dans sa divinité, il nous parvient 46. ComRm VI, 3,1061 CD, 1062 A 10. 41. ComCant III, p. 194 l. 17 ss. 47. RemOrig IX, 124 ; XI, 142. Dans Origène lui-même CCels IV, 29, 33 : La 42. PArch II, 5, 3-4. même venu à Dieu et à l'homme. 43. RemOrig XII, 148-149. 48. Voir Adolf KNAUBER, "Das Anliegen der Schule des Origenes zu 44. Fragment 486 d'Euripide venant de Mélanippe la Sage : éd. A. Nauck, Teubner, Câsarea", Mflnchener theologische Zeitschrift, 19, 1968, 182-203 ; H. CROUZEL, III, 1912, p. 132-133. Cité aussi par Aristote et par Plotin l, 6 (1), 4, 1. 9 ss. "L'Ecole d'Origène à Césarée: Postscriptum à une édition de Grégoire le 45. Le mot "notre" veut dire que c'est une venu de chrétiens, les martyrs. Thaumaturge", Bulletin de Littérature &clésiastiqul! 71, 1970, 15-27. 328 329 qu'il se soit davantage servi de catégories philosophiques dans ce qu'il faut penser qu'il est, puisqu'il participe aux attributs son enseignement césaréen que dans ses écrits ou sa prédica- (ÈntVOlal) du Christ que nous avons énumérés"52. L'Esprit partici- tion destinés à des chrétiens formés. pe donc à toutes les dénominations du Christ, donc aux vertus Les vertus ne sont pas attribuées au Père puisque la multi- qui sont comptées parmi elles. En effet comme le Fils il est plicité des ÈntVOtal parmi lesquelles sont les vertus ne trouve pas médiateur entre la Trinité et les créatures raisonnables, son rôle de place dans sa simplicité, sauf peut-être, le qualificatif propre étant de produire la sainteté dans les Mais com- aÙToaya96ç que l'on trouve dans un fragment du Peri Archon ment les vertus existent-elles dans l'Esprit Saint? Origène ne selon Justinien49 et aÙT09EOç que l'on lit dans le Commentaire sur s'étend guère sur ce sujet, mais affirme seulement qu'il donne les jean50• Ce second terme, identifié à àÀ1191V6ç 9E6ç, "vrai" Dieu, vertus dont l'ensemble constitue la sainteté, et ces vertus s'identi- "vrai" par opposition à "en image" et non à erreur ou menson- fient au Fils qui est les vertus, comme l'Esprit est la grâce. Nous ge, signifie que le Père est l'origine de la divinité et que le Fils est avons vu qu'il est dit par Origène "matière des charismes"54, terme son Image. Le Père est ainsi le Bien en personne, l'origine du qui correspond à peu près à la notion scolastique de "grâce Bien, ou en d'autres termes, employés aussi dans le fragment actuelle", ou avec une autre expression équivalente qu'il est précité de Justinien, il est le seul à être àya96ç, "toute la nature des dons"55 avec leur diversité. "Une unique sour- alors que le Fils est son Image. Le terme ànapaÀÀ<l1c:Twç signifie ce de divinité gouverne l'univers par sa Parole et Raison - doublet ici "exactement", "tout à fait semblablement" : le Père s'identifie de Rufin pour traduire l'unique mot A6yoç - et sanctifie par au Bien alors que le Fils en est l'image. Est ainsi indiquée avant l'Esprit - le souffle - de sa bouche tout ce qui est digne de sanc- tout pour le Fils une subordination due à son origine : il n'est tification"56. Ou en d'autres termes: "Sanctifié par la participa- pas l'origine du Bien et tient sa bonté du Père. Cela veut-il dire tion au Saint Esprit on devient de plus en plus pur, on reçoit plus nécessairement que la bonté du Fils est moindre que celle du dignement la grâce de la sagesse et de la connaissance, en reje- Père et que la notion d'image englobe pour Origène quand il tant toutes les taches de la souillure et de l'ignorance et en s'en s'agit du Fils une diminution? Nous ne le croyons pas et nous nettoyant, on arrive à un tel progrès de pureté qu'ayant reçu de avons donné plus haut nos raisons venant d'un nombre considé- Dieu l'existence on parvient à être digne de Dieu, qui donne rable de textes : le Fils est à la fois égal et subordonné au Père. d'être d'une manière pure et parfaite"57. L'image de la purifica- Les principes plotiniens, celui du moins que l'engendré est tion et du nettoyage est commune à Origène et à Plotin58 • moindre que le géniteur, ne s'appliquent paS nécessairement à La vertu est souvent un équilibre entre deux excès59 . On Origène. trouve cela remarquablement développé dans un fragment sur En ce qui concerne l'Esprit-Saint le principal développe- la première épître aux Corinthiens à propos de 1 Co 7, 1-4 : ment se lit dans le Commentaire sur jean à propos de la phrase : L'homme ou la femme marié qùi désire vivre dans la continen- "Tout a été fait par lui (= le Verbe)"51. L'Esprit vient du Père par le Fils: "Il semble que le Saint-Esprit ait besoin de son intermé- (\ 52. CornJn II, 10 (6), 76. diaire pour subsister individuellement, et non seulement pour 53. PArch 1, 3, 7, 199. 54. CornJn II, 10 (6), 77. exister, mais encore pour être sage, raisonnable et juste et tout 55. PArch II, 7, 3, 66. 56. Ibid. 1,3, 7, 247. 49. SC 253 p. 53, note 75. 57. Ibid. 1, 3, 8, 295. 50. CornJn II, 2 (17) ; II, 3, 20. 58. Enn. 1, 2 (19), 3-5. 51.Jn 1,3. 59. CornRrn IX, l, 1210 A ss. 330 331 ce et se refuse à son conjoint est responsable des fautes que ce ce texte - qui n'est peut-être pas très exactement conservé ou dernier pourra commettre, car il a exagéré son désir de chasteté qui comporte des lacunes, comme le conjecture E. Bréhier - aux dépens de la charité. TI y a faute par excès et par défaut Selon une opposition entre la successivité du temps et la stabilité de le principe d'Aristote la vertu est dans un juste milieu60 • l'éternité où, comme nous le verrons tout est donné à la fois. Si le bonheur consiste en une vie bonne, cette dernière est 14. Temps et éternité dans la vie même de l'être, c'est-à-dire de l'Intelligence. Cette vie n'est pas dans le temps, mais dans l'éternité, elle ne com- PLOTIN porte pas de plus ou de moins, elle est sans intervalle et sans Nous avons déjà parlé de l'éternité et du temps à propos temps. Il faut la prendre tout entière, en bloc, cette vie de de chacune des trois hypostases plotiniennes et personnes origé- l'éternité qui n'est pas faite de nombreux temps juxtaposés niennes, mais il nous faut maintenant traiter la question dans son mais de tout le temps ramassé tout entier ensemble. ensemble. Nous nous excusons des répétitions inévitables. La définition du temps comme image de l'éternité se Chez Plotin le temps est désigné par Xpovoç, Kalp6ç dési- retrouve au début du quarante-cinquième traité (III, 7). "De gnant le moment: l'éternité est àd et aiwv, àlôlOÇ et aiwvloç, ce l'éternité et du temps", l'une concernant ce qui dure toujours, dernier adjectif étant nettement moins employé que le précé- l'autre tout l'univers qui est en devenir. Nous pensons en avoir dent; en outre le dérivé àlBlOTTlç61. des idées claires, mais quand il s'agit de s'exprimer avec plus Le traité trente-sixième (l, 5) "Le bonheur reçoit-il accrois- d'exactitude nous sommes dans l'embarras, même en consul- sement par le temps ?" contient, en termes parfois difficiles à tant les anciens philosophes. Entre les deux il y a une ressem- comprendre, plusieurs enseignements : nous donnons nos tra- blance, l'éternité étant le paradigme dont le temps est l'image6!!. ductions sous toutes réserves : "En général, la multiplicité (TO L'éternité est donc à attribuer à tout le monde intelligible, non à nÀÉov) du temps veut la dispersion (oKÉBa(Hv) de ce qui est un ce qui est au-delà de l'Intelligible, à l'Un : les deux concepts, dans le présent. C'est pourquoi le temps est dit raisonnable- éternité et monde intelligible, se recouvrent tout en se distin- ment image de l'éternité62, car cette image veut supprimer dans guant. L'éternité s'identifie-t-elle à la stabilité de là-haut comme sa propre dispersion (Èv oKIBvaJ.!Évcp aÙTnç) ce que l'éternité a le temps au mouvement? Elle s'identifie à la stabilité concer- de stable. D'où vient que, même si était ôté de l'éternité ce qui nant la substance: la stabilité de l'éternité reste donc dans serait stable en elle et si cette image de l'éternité se l'était l'unité64. Toute une série de questions est posée pour définir approprié (mot à mot: l'avait faite d'elle) elle l'a perdu et il s'est l'éternité : elles insistent sur la globalité de l'éternité contenant conservé jusqu'à l'éternité d'une certaine manière, mais il s'est tout ensemble. "C'est la vie au sujet de ce qui est dans l'être, vie perdu si dans cette image tout est en devenir". On peut tirer de tout entière ensemble et pleine sans discontinuité partout, ce que nous cherchons, l'éternité"65. L'éternité n'est pas un acci- 60. Fragm 1 Co XXIII, 500. Autres textes: FragmJn XLV: L'être raisonnable dent de la nature intelligible qui lui serait conféré comme du n'engendre les biens (les vertus) que s'il les a reçus; HornJos XIII, 3 : les vertus dehors, mais elle est cette nature même, elle vient d'elle, elle est sont plantées par Dieu à la place des vices déracinés; HornJr VI, 1, 7 : ce sont les avec elle. Suit un tableau opposant le monde intelligible immuable vertus que le Seigneur regarde. Signalons sur ce sujet la thèse (dactylographiée) de Bruce J. M. BRADLEY, 'APETH as a Christian Concept: The stmctural elements of Origen s doctrine.. The University of Cambridge, septernber 1976. 63. III, 7 (45), 1 : Platon voir note 2. 61. Voir le Lexicon Plotinianum. 64. Ibid. 2. 62. PLATON, Timée 37 d 5. 65. Ibid. 3 332 333 au monde sensible changeant, tendant vers l'avenir. Et Plotin que l'éternité contient, tout étant donné à la fois 75. Le temps n'est fait venir alwv de <id ov66 • Si on était immuable on serait éternel. pas à prendre hors de l'âme, Ame du Monde ou âme individuelle, L'éternité dans un sens c'est Dieu qui se manifeste lui-même67 . comme l'éternité hors de l'intelligible76 . Le temps est né avec cet La véritable existence proscrit toute fin et tout changement. De univers, car l'Ame du Monde l'a engendré avec lui77 • La succession l'Un il est préférable de ne pas dire <id, toujours, mais simple- du jour et de la nuit est une mesure du temps, car le temps n'est ment "il est". C'est pour prévenir de fausses compréhensions pas lui-même mesure, mais c'est selon lui qu'est la mesure. Le qu'on dit "étant toujours". L'univers n'a pas commencé dans le mouvement du soleil mesure le temps7S. Plotin critique la temps: Platon a paru l'affirmer mais il a blâmé plus tard conception aristotélicienne du temps mesure du mouvement, l'expression employée68 • car le temps est lui-même mesuré et elle ne dit pas du temps s'il Comment pouvons-nous avoir part à l'éternité en étant est mesurant ou mesuré. Il faut revenir à Platon pour savoir quel dans le temps? Il faut auparavant rechercher ce qu'est le temps. est le temps et quelle est sa quantité 79 . Le temps est né avec le Soit un mouvement, soit ce qui est mû, soit quelque chose d'un ciel sur le modèle de l'éternité, comme une image mouvante, ni mouvement: mais le temps n'a pas de stabilité, il n'est jamais le le temps ni la vie n'étant immobiles. Son origine est le mouve- même. Pour la première définition il s'agit de n'importe quel ment de l'univers. Avant l'Ame est l'éternité, mais l'Ame en- mouvement ou de celui de l'univers : la seconde est appliquée à gendre le monde, son mouvement et ainsi le temps. Le temps la sphère de l'univers, la troisième à ceux qui disent qu'il est la est dans l'Ame de l'univers et avec la même nature dans toutes mesure du mouvement, qu'il est ce qui accompagne le mouve- les âmes qui forment une seule âme. "C'est pourquoi le temps ment : ou bien ils attribuent le temps à tout mouvement, ou à ne se dispersera pas, puisque l'éternité ne se disperse pas, elle un mouvement ordonné 69 . Plotin discute ces définitions du qui se trouve par ailleurs dans tous les êtres de même espèce"so. temps, notamment celle qui le définit par le mouvement du Après ce traitement ex professo de l'éternité et du temps il cieFo. Il examine enfin la définition aristotélicienne'l : le temps nous faut récolter ce qui est épars dans les autres traités concer- nombre ou mesure du mouvement. Il donne sa préférence au nant ce sujet. Dans le traité du ciel (II, 1 (40), il dit bien que le mot mesure et discute la formule 72 . Mais la question reste irréso- monde, soit le ciel astral, soit la terre sublunaire, dure toujours: lue : qu'est le temps ?,S Comment s'est-il ·manifesté et est-il né ? Plotin emploie <id et non alwv, qui suggèrerait alors une éternité Pour la troisième fois le temps est dit image de l'éternité74 . C'est conçue comme un temps sans commencement ni fins1 : le mon- une puissance de l'Ame qui ne gardait pas la tranquillité et a de n'a jamais commencé et il serait absurde de penser le contrai- ainsi déployé dans la successivité ce qui était uni ensemble dans re ; pour la même raison il ne finira jamais. Pourquoi y aurait-il le monde intelligible. Ainsi le temps imite dans la successivité ce un moment où le monde n'était pas Mais <ii8lOÇ est utili- sé quand il s'agit de la "matière intelligible" et des idées: elles 66. Même origine effectivement de àd et de aiwv : voir P. CHANTRAINE, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, tome l, p. 42. 75. V, 1 (10),4, l. 17 ss. 67. Ibid. 5. 76. III, 7 (45), 11. 68. Timée 37 e 4-5: Ibid. 6. 77. PlATON Timée, 38 b 6. 69. Ibid 7. 78. Nous dirions aujourd'hui le mouvement de la terre. III, 7 (45), 12. 70. Ibid. 8. 79. Timée, 39 b-c. 71. Physique 1111,219 b 2; De coelo A 9, 279 A 14. 80. III, 7 (45), 13. Cf. VI, 3 (44), Il, l. 7 ss. : le temps mesure du mouvement; 72. III, 7 (45), 9. 22, l. 43 ss. Le temps fait par le mouvement. 73. Ibid. 10. 81. II, 1 (40), 1-2 passim. 74. PlATON, Timée, 37 d 5. 82. Ibid. 4 1. 25 ss. 334 335 sont engendrées en ce sens qu'elles ont un principe, mais elles rait-il pas et ne se retournerait pas vers le passé, conférant la sont par ailleurs inengendrées parce que ce principe n'est pas dans mémoire à l'Ame du Monde? Cependant il faut lier à l'éternité le temps, car le temps est t0tY0urs comme venant d'autre chose: l'identité et au temps l'altérité, autrement les deux se confon- elles ne sont pas toujours en devenir (ytv0l-Œva), mais toujours draient et les actes de l'Ame changeraient. Si nos vies subissent existantes (ovTa), comme le monde d'en haut83 . Que le monde les changements et les manques du temps il n'en est pas de n'ait pas commencé ni ne finira est aussi affirmé contre les gnos- même de l'Ame du Monde qui, si elle engendre le temps, n'est tiques84 et ailleurs85 • Cependant on trouve le terme àiôtüÇ appli- pas dans le temps. Les âmes ne sont pas dans le temps, elles qué à la révolution du ciel astral86 où il ne s'agit que d'un temps sont àiôtot, éternelles, mais en ce sens qu'elles n'ont ni com- sans commencement ni fin. Mais ce mot venant de àd exprime mencement ni fin 89• probablement moins l'éternité conçue comme la présence de tout ensemble que aiwv et aiwvtüÇ. Le mot àtÔtOTT)Ç est pareille- ORIGÈNE ment appliqué au monde à propos de la divination et il semble L'emploi des mots Xpovoç, temps dans sa continuité, et bien qu'il ne s'agisse pas là du monde intelligible car il est ques- x:atpOç, moment avec un sens ponctuel, ne diflère guère de celui tion peu avant des révolutions célestes. On trouve pareillement de Plotin. En revanche àiôtoç et àtÔtOTT)Ç sont rares90 • Quant à des composés de àd, àEtyEVllç et àiôtüÇ, à propos de l'amour, de aiwv et aiwvtüÇ il y a de grandes différences entre les deux par le la recherche du bien et de celle de l'immortalité, quand on est fait qu'Origène subit l'influence du vocabulaire biblique qui voit encore dans le mortel 87 . dans ce terme, soit le siècle dans le sens d'une longue durée, soit Zeus symbolise habituellement chez Plotin l'Ame du l'éternité conçue plutôt comme un temps sans fin, sans compter Monde, en concurrence avec Aphrodite. Mais il lui arrive aussi d'autres acceptions comme celle qui identifie aiwv et x:00J.10ç, d'y distinguer deux fonctions. "Puisque ce qui ordonne est donc dans le sens de monde91 • double nous appelons l'un comme le démiurge, le second Dans le Traité des Principes Origène définit ainsi, selon la comme l'Ame du Monde, et le nom de Zeus nous le portons traduction de Rufin, les adjectifs sempiternum et aeternum : "ce tantôt au démiurge tantôt à ce qui gouverne l'univers"88. Le qui n'a pas eu de début à son existence et ce qui ne peut jamais démiurge, qui a créé l'univers, est donc distingué en tant que cesser d'être ce qu'il est"92. C'est donc un temps sans commen- fonction du gouverneur du monde. "Du démiurge il faut ôter cement ni fin. Il s'agit là de la génération éternelle du Fils de complètement l'avant et l'après, lui donnant une seule vie sans Dieu: Origène n'a jamais eu sur cette éternité aucune hésitation changement et sans temps". Le démiurge, le créateur, est donc et sans concevoir clairement cette éternité comme tout donné à dans l'éternité, même s'il crée le temps en créant le monde. Cela la fois, il l'exprime cependant par deux affirmations complé- est précisé plus loin dans le même traité. L'éternité (aiwv) est liée à l'Intelligence, le temps à l'Ame. Comment, puisque le 89. Ibid. 15,1. 1 ss. Cf. V, 8 (31), 12,1. 17: l'Ame du Monde a son à&i, son "tou- temps est divisé et contient le pàssé, l'acte de l'Ame ne se divise- jours", en tant qu'image (de l'Intelligence). Le temps s'éparpille toujours, l'éternité reste en elle-même. Encore VI, 7 (38), l, l. 49 : le futur est en Dieu comme présent. 83. II, 4 (12), 5,1. 24 ss. 90. ComJn XIII, 8, 48 : le Christ ressuscité "restant éternel" ; 84. Ibid. II, 9 (33), 7, 1. 1 ss. XIII, 25, 153, la lumière éternelle (TOÙ àlôlo'\) cl>wTOÇ) de Dieu; deux autres 85. III, 2 (47), 1,1. 15 ss. exemples dans les FragrnJn. 86. Ibid. 3, 1. 30. 91. Voir les articles aiwv, aiWVlOt dans le Theologisches Worterbuch zum Neuen 87. III, 5 (50), l, 1. 38-46. Testament, tome l, 1933, 197-209. 88. N,4 (28), 10,1. 1-6. 92. PArch l, 2, Il, 400. 336 337 mentaires, qui se trouvent dans deux œuvres différentes. Nous peut pas dépasser la durée de sa vie ; puis Qo l, 4 où la même avons vu qu'on lit à deux reprises dans le Traité des Principes, expression s'applique à la durée de notre terre, c'est-à-dire "au selon la traduction de Rufin, une fois confirmé par un fragment temps du siècle présent". Mais quand le Sauveur parle de "vie conservé par Athanase, la formule: "il n'y a pas eu (de moment) éternelle (aiwvloç)"96, dit qu'il est la Vie 97 , quand Paul écrit98 où (le Fils) n'était pas, OÙK nv on: OÙK nv"93. Origène montre de qu'après la Parousie du Sauveur nous serons toujours (mlvToTE) même que cette génération est continuelle dans une homélie avec lui, il veut dire que notre cohabitation avec lui, "la vie éter- sur Jérémie 94, s'appuyant sur Prov 8,22-25 où dans la même nelle", sera sans fin. En revanche, Origène emploie fréquem- phrase la Septante pour exprimer la génération de la Sagesse, ment pour désigner la Géhenne l'expression évangélique de qui pour Origène est le titre principal du Fils, emploie d'abord "feu éternel, nup aiwvlov", mais cela ne résout pas les difficultés l'aoriste EKTlOEV - KTICEIV n'a clairement le sens de créer qu'avec qu'il a à concevoir l'éternité de l'enfer: tantôt ill'affirme99 , tan- la réaction antiarienne -, puis le présent yEvvà JlE. Origène en tôt il paraît la refuser, tantôt il reconnaît qu'il n'en sait rien 100. déduit que le Fils est engendré à chaque instant: "Si donc le Une des raisons de ses hésitations - non la seule - est le double Sauveur est toujours engendré - et pour cela il dit : 'Avant sens scripturaire de aiwv et de aiwvlOç, désignant soit un temps toutes les collines il m'engendre' et non 'Avant toutes les col- très long, soit l'éternité conçue comme un temps sans commen- lines il m'a engendré' -, toujours le Fils est engendré par le cement ni fin 101. Père". Nous nous excusons de répéter ces textes déjà étudiés à Si Plotin tient l'éternité du monde - dans ce cas nécessai- propos de la génération du Fils et nous renvoyons à cet endroit rement elle est conçue comme un temps sans commencement pour les autres passages qui ont été invoqués. ni fin - cette pensée est très éloignée des opinions d'Origène. Cette phrase présente l'intérêt de contenir une approche, Certes la Trinité est éternelle et le Père engendre son Fils de guère consciente encore, d'une notion d'éternité conçue toute éternité et continuellement. Qu'en est-il de la "proces- comme un unique présent: pas très consciente, disons-nous, car sion" du Saint Esprit, dont Origène ne sait pas s'il faut y voir Origène n'est pas parvenu clairement au concept de l'éternité une génération, si le Saint Esprit est Fils 102 ? Le verbe procedere telle qu'on la trouve chez Plotin, qui n'est plus un temps sans est appliqué par le Peri Archon selon Rufin assez souvent au Fils, commencement ni fin. quelquefois au Saint Esprie03. Ce verbe traduisant ÈKnopEuEo9al Quand il s'agit des êtres raisonnables l'aiwv peut représen- appliqué à la "procession" de l'Esprit par Jn 15, 26 deviendra le ter pour Origène une durée très longue, mais qui a une fin. terme habituel concernant l'origine de l'Esprit Saint. Origène D'après le Commentaire sur Romains95 "l'éternité (aeternitas) signi- en dit seulement, nous l'avons vu, que l'Esprit vient du Père par fie dans l'Ecriture, tantôt le fait qu'on ignore la fin, tantôt celui de ne pas avoir de fin dans le siècle présent, mais d'en avoir une 96.Jn 17,3. 97.Jn 14,6. dans le futur. Parfois l'éternité désigne un certain espace de 98.1 Th 4, 16. temps, même le temps d'une vie humaine". Il cite alors Ex 21,5- 99. HomJr XVIII, l, 20, entre autres textes. 6, où un homme accepte d'être esclave Eiç TGV aiwva, ce qui ne 100. Voir H. CROUZEL, "L'Hadès et la Géhenne chez Origène", Gregorianum 59, 1978, 291-331. Réédité: Les fins dernières selon Origène. 101. La postérité a prêté à Origène la négation de l'éternité de l'enfer en outre- 93. PArch 1, 2, 9, 286 ; IV, 4, 1,25 (dans Athanase De decretis Nicaenae 27 ; passant la portée de ses affirmations et en se scandalisant à Ciluse de points dans SC 269, p. 244-246, note 9); de même ComRm 1, 5, 848 C 12. qu'il ne voyait pas clairement, non seulement lui, mais l'Eglise de son temps. 94. HomJr IX, 4, 74. 102. PArch Préf. 4, 85. 95. ComRm VI, 5,1066 C 13. 103. Ibid. 1, 2, 13,459; 1, 3, 4, 110 citantJn 15, 26 ss. ; IV, 2, 9, 369. 338 339 le Fils lO4 • Nous avons déjà vu en quoi consiste la création coéter- sans commencement ni fin ? L'éternité et la continuité dans la nelle à DieulO5 : c'est le monde intelligible des idées. Le monde des génération du Fils, acheminent, mais on ne peut dire plus, vers êtres raisonnables a commencé (et vraisemblablement pour une notion plus complète de l'éternite 1o• Origène le temps avec lui) et après la chute qu'Origène devait expliquer dans son Commentaire sur la Genèse, outre son Peri 15. L'amour Archon, Dieu aurait créé le monde sensible comme un établisse- PLOTIN ment de correction. Mais ce monde sensible va vers une fin, celle que l'on habituellement, quand il s'agit d'Origène, Le cinquantième traité (III, 5) est consacré à l'amour. Est-il du terme d'apocatastase, de restauration de toutes choses, bien un dieu, un démon, ou une passion de l'âme? Platon n'y a pas qu'il soit peu employé par l'Alexandrin. A cela s'ajoutent plu- vu seulement une passion, mais dans le Banquet un démon lll • sieurs hypothèses de recherche qui ne sont pas autre chose mal- Ses principes sont le désir de la beauté, d'abord dans les âmes, la gré l'importance que leur ont donné Jérôme et Justinien lO6, par connaissance de cette même beauté, la parenté avec elle, une exemple celle que les bienheureux au ciel pourraient encore compréhension irraisonnée de cette familiarité. La nature regar- tomber et le monde sensible recréé à cause de leur chute l07 , de vers le beau et le produit: il est dans la ligne du Bien, il naît hypothèse en contradiction avec l'affirmation étudiée plus haut du Beau et du Bien. Le désir d'engendrer est contenu dans le que la charité stabilise le juste dans le bien ; ou encore l'évoca- beau. Mais il yale beau d'ici-bas et celui de là-haut. Ceux qui tion par Jér.ôme de "mondes futurs" au pluriel, dans le commen- désirent le premier n'ont pas encore connu son archétype qui taire par Jérôme d'un passage où selon le texte qu'en donnent est le second et ils prennent l'image pour la réalité. Pour ceux Jérôme lui-même et Rufin, il n'est question que d'un monde qui sont tempérants la familiarité avec la beauté d'ici-bas est sans futur lO8 • Pour Origène donc les êtres raisonnables et le monde péché, mais la chute dans l'union sexuelle l'est. sensible ont eu un début et le monde sensible aura une fin, à Ceux qui se souviennent du monde supérieur - la rémi- l'apocatastase, quand "le Fils remettra son Royaume au Père"l09 : niscence platonicienne - se le rappellent à partir des beautés le monde des êtres raisonnables n'aura pas de fin puisqu'il est d'ici-bas, qu'ils ne méprisent pas parce qu'elles en sont le destiné à la vie future ; quant au monde divin, y compris le reflet. Mais pour ceux qui en restent à ce monde-ci le désir du monde intelligible contenu dans le Fils, il n'a pas eu de début ni bien entraîne la chute 112 • Suit l'explication du mythe de la nais- n'aura de fin. Son éternité équivaut-elle seulement à un temps sance d'Eros, fils de Poros et de Penia, dans le Banquet, le jour de la naissance d'Aphrodite qui est dite ailleurs, mais non ici, 104. ComJn II, 10 (6), 73 ss. 105. PArch II,9,2,31. 110. A propos d'"instants de raison" chez Origène comme chez Plotin voir ce 106. Sur Jérôme voir notre article "Jérôme traducteur du Peri Archon que nous disons dans le premier chapitre: PArch l, 3,4, 129-135 remarque d'Origène" dans Jérôme entre l'Occident et l'Orient publié par Yves Marie Duval, qu'on est obligé parfois à employer des termes à signification temporelle alors Paris 1988, 153-161. qu'il s'agit de réalités supratemporelles. Autres textes: le monde actuel est par- 107. PArch II, 3, 3, 130. fois comparé devant Dieu à un seul jour: SerMt 111, 232, 13 ; Fragm. Mt 396 108. Pour Jérôme voir SC 269, 105-106 note 13. Pour Rutin PArch III, 5, 3, 72. (tout l'éon à partir de la faute d'Adam est un seul jour), 432 (cet éon est appel 109. 1 Co 15, 24. Sur l'exégèse origénienne de ce texte cf. H. CROUZEL, et préparation) ; ComMt XV, 31, 442, 22 ; HomJr XII, 10, 4 et 27. Encore "'Quand le Fils transmet le Royaume à Dieu son Père' : l'interprétation PEuch XXVII, 13: aujourd'hui désigne l'éternité, hier le siècle passé. ComRm d'Origène", Studia Missionalia 33 (Rome 1984), 359-384 ; "Origène a-t-il tenu V, 7, 1036 D : la mort n'est pas éternelle comme l'est la vie. que le règne du Christ prendrait tin ?", Augustinianum 26, Rome 1986,51-61. 111. Banquet 202 d 13. Réédités dans: Lesftns dernières selon Origène, Variorum, 1990. 112. III, 5 (50), 1. 340 341 mère d'Eros. TI y a deux Aphrodites, la céleste née d'Ouranos et Us participent à une certaine matière, non à cette matière-ci, car une autre, née de Zeus et de Dioné, qui est préposée aux ils tomberaient alors sous les sens : ils ont des corps aériens ou mariages d'ici-bas. La céleste représente l'Ame du Monde et reste ignés et une matière intelligible (VOnn1v). Cela suppose que leur là-haut, sans pouvoir venir ici-bas, parce qu'elle est complètement nature soit différente d'eux, car ce qui est complètement pur séparée de la matière, qu'elle veut se fIXer à l'Intelligence et que ne se mêle pas aussitôt à un COrpS117. Né de Pénia, l'indigence, c'est ainsi qu'elle engendre Eros. Cet Eros est tout entier tendu Eros est un être qui reste indéterminé et toujours insatisfait, ce vers le désir d'en haut, se remplissant de la contemplation du qui est le cas de tout démon, mais il peut se procurer ce qui lui beaullS. Donc l'Ame du Monde, Aphrodite céleste, contemple de manque à cause de la nature de la raison 118• Eros est le désir de toute sa force l'Intelligence et c'est ainsi qu'elle engendre Eros, l'âme vers le meilleur, une réalité mêlée d'indigence qu'il veut l'Eros de l'Ame d'en haut, séparé lui aussi de la matière. Cet Eros combler, il n'est pas sans ressources puisqu'il cherche ce qui est oeil: epwC; / opàv, étymologie prétendue. Mais l'Aphrodite manque à son être: il ne manque pas cependant tout à fait du inférieure engendre l'Eros inférieur, préposé lui aussi aux bien, car alors il ne le rechercherait pas. Né de Poros et de mariages. TI peut ramener vers le haut les âmes des jeunes dans la Pénia il y a en lui le manque et le désir: le souvenir des raisons mesure où elles se souviennent - la réminiscence - des choses se réunissant dans l'âme a engendré l'acte qui va vers le bien et d'en haut. "Car toute âme désire le bien, même celle qui est est Eros. Sa mère Pénia signifie que le désir vient du manque : mêlée (à la matière) et devenue l'âme d'Un Tel; parce que celle-ci c'est la matière qui est le manque et l'indéterminé avec le désir (la terrestre) est à la suite de celle-là (la céleste) et en vient"114. TI y a du bien. L'Eros matériel est un démon né de l'âme en tant non seulement l'Aphrodite céleste avec son Eros, mais autant qu'elle manque du bien et le désire l19 • d'Aphrodites et d'Eros particuliers que d'êtres individuels _ y Les allusions à l'amour que contiennent les autres textes compris les animaux! -, l'Eros étant l'acte de l'âme bonne qui nous mettent toujours dans la perspective d'un amour qui est s'efforce vers le haut. L'Eros de l'Ame d'en haut est un dieu qui désir et non d'un amour qui serait don: c'est le désir de l'âme, unit l'âme au bien, mais l'Eros de l'âme mélangée au corps un 115 celle du monde et l'individuelle, de rejoindre l'Intelligence. démon . Plotin va rechercher quelle est la nature de ce démon et Celui ou celle qui aime ici-bas essaie de se conformer à l'image des démons en généraI d'après le mythe du BanqW!t . Mais inter- que désire de lui ou d'elle l'amante ou l'amant: aussi tient-il à préter Eros par le monde présente une série de difficultés 116. Les participer aux vertus que l'autre apprécie le plus. Mais cela est dieux sont impassibles et les démons ont des passions. Ils sont une image et l'amour dont il est question ici n'est pas le désir de éternels, ùtÔtouc;, mot qui peut seulement s'interpréter ici de réalités d'ici-bas que cet amour est porté à mépriser, mais celui l'absence de début et de fin, ils sont intermédiaires entre dieux et des réalités d'en-haut120 • C'est là le seul véritable amour et non hommes. Sont-ils uniquement dans notre monde et non dans "ce qui est beau par une participation obscure", c'est-à-dire la l'intelligible et les dieux dans l'intelligible et non dans notre beauté d'ici-bas. Ici-bas l'aimable n'est pas la matière, mais la monde? TI est préférable de penser qu'il n'y a pas de démon dans forme venant d'en haut qui informe la matièrel21 • Le sommet de l'intelligible, saufle "démon en soi", l'aùToôaiJ.lWv, qui serait dieu. 117. Ibid. 6. 113. Ibid. 2. 118. Ibid. 7. 114. Ibid. 3. 119. Ibid. 9, 1. 42 ss. 115. Ibid. 4. 120. VI, 7 (38) 31 ; 32 1. 24 ss. 116. Ibid. 5. 121. Ibid. 33. 342 343 la satisfaction de l'amour est l'union mystique l22. L'Un est aimé, Le traité du Beau, premier dans l'ordre chronologique (l, amour et amour de soi, mais il n'est pas représenté comme 6) essaie de rendre l'émotion produite par le beau "au sujet des 23 aimane , ce qui est conforme à la position de Plotin sur le beautés plus élevées que la sensation n'a pas encore obtenu de manque de connaissance dans l'Un. Mais s'il s'aime lui-même il voir, mais que l'âme voit sans organe et dont elle parle". On ne faut bien lui accorder, puisqu'il y a "une telle inclination de lui peut la faire comprendre qu'à celui qui l'a déjà éprouvée et qui vers lui" quelque chose d'ineffable qu'on ne peut pas dire, pour aime l28 . "Toute âme désire le bien mais, si quelqu'un l'a vu, il sait rester fidèle à Plotin, connaissance, mais qui est cependant, en ce que je dis, comme il est beau". Il faut pour l'atteindre se ôtant tout dualisme, un certain sentiment de soi. Mais il est objet dépouiller de tout ce qui est étranger à Dieu, c'est-à-dire de tout d'amour, de "la passion amoureuse de voir de l'amant qui se ce que l'âme a revêtu dans sa descente vers les corps pour voir repose dans ce qu'il aime"124. L'amour est connaturel (cnJJ.1<1>uToç) Dieu dans sa pureté. Quand on le voit on veut "se mélanger ce que montre le mythe d'Eros s'unissant aux âmes: l'âme aime (OuyKEpao9Tjval)" à lui. On ne le désire pas seulement alors, mais nécessairement le dieu Eros dont elle vient. En haut elle a l'Eros on l'admire pour sa beauté et on l'aime (èpéiv) d'un vrai amour céleste, ici-bas le vulgaire (navôT)J.1oç) : de même il y a là-haut et on méprise tous les autres amours, on laisse tout pour ce seul l'Aphrodite céleste, ici-bas la vulgaire qui est comme se prosti- spectac1e l29 . La beauté corporelle qui n'est qu'image doit être tuant. Et toute âme est Aphrodite. L'âme aime Dieu selon sa pour cela délaissée, ce que n'a pas fait Narcisse. TI faut fuir vers nature et veut lui être unie "comme une vierge ayant l'amour la patrie comme Ulysse échappant à Circé et à Calypso, vers honnête d'un père honnête". Egarée dans sa descente ici-bas par notre patrie qui est notre vrai père et pour y aller il faut laisser de fausses promesses de mariage concernant un amour mortel tout ce qui est terrestre l30 . Une description de l'extase ouvre le elle est tourmentée par la privation du père. Si elle échappe aux traité sixième "sur la descente de l'âme dans les corps" (N, 8)131 : mauvais traitements d'ici-bas elle a la joie de retourner au père. "Souvent m'éveillant à moi-même hors du corps et étant hors Les amours d'ici-bas ne sont que des images décevantes de celui des autres êtres, mais à l'intérieur de moi-même, voyant une du "vrai aimé à qui il est possible de s'unir en participant à lui et beauté la plus merveilleuse possible et ayant cru avoir alors la en l'ayant vraiment sans être dissipé au-dehors par la chair"125. plus belle des destinées, ayant vécu une vie excellente et étant La satisfaction de cet amour tout spirituel sera donc devenu une même chose avec le divin, installé en lui, en venant à cette activité et m'installant sur tout le reste de l'intelligible, l'union qui peut être anticipée dès ici-bas dans ce que la tradi- après ce séjour dans le divin, redescendu de l'Intelligence dans tion chrétienne postérieure nommera l'union mystique ou le raisonnement, je me demande comment, alors et maintenant, l'extase. Ce dernier terme est ambigu car il peut ne désigner je redescends et comment pour moi l'âme se trouve à l'intérieur que certains phénomènes physiques extraordinaires qui ne du corps, étant celle qui est apparue en elle-même, bien que se sont que des à-côtés de l'union. D'après Porphyre 126 Plotin attei- trouvant dans un corps". Ce texte manifeste aussi le caractère gnit cet état quatre fois pendant la période où Porphyre vécut avec lui 127. passager de telles rencontres de Dieu -l'âme redescend -, le "\ sentiment d'être dégagé du corps et celle de ne faire plus qu'un 122. Ibid. 34. avec Dieu. La ressemblance entre l'homme et Dieu rend 123. VI, 8 (39), 15, l. 1 ss. ; 16, l. 8 ss. 124. VI, 9 (9), 4, l. 18 ss. 128. 1,6 (1) 4, l. 1 ss. 125. Ibid. 9. 129. Ibid. 7. 126. PORPHYRE, Vie de Plotin, 23, l. 16 ss. 130. Ibid. 8. 127.263-268 environ. 131. IV, 8 (6), l, l. 1-11. 344 345 l'union possible: "par ce qui est semblable de ce qui est en nous contemplation. Et encore: "Il vient comme ne venant pas". nous touchons Dieu, nous sommes avec lui, nous sommes sus- L'intelligence le voit par ce qui en elle n'est pas intelligence. pendus à lui; nous nous y établissons, nous qui tendons vers là- "C'est donc une merveille, comment, ne venant pas, il est là et haut"132. Nous pouvons parler de Dieu, mais non dire Dieu, car comment, n'étant nulle part, il n'y a rien nulle part où il ne soit nous n'avons de lui ni connaissance ni pensée: nous parlons de pas"l36. La beauté de l'objet de cette contemplation rejaillit sur le lui à partir de ce qui lui est postérieur. Nous pouvons l'avoir contemplateur qui lui aussi devient beau et, enivré de ce nectar, sans pouvoir en parler. Ainsi les inspirés (èv90ucHwvn;ç) et les n'est plus un contemplateur, car "il n'y a plus un objet extérieur possédés (1«hOX01), deux termes qui visiblement pour Plotin se et quelqu'un qui contemple de l'extérieur, mais celui qui voit recouvrent, savent jusqu'à un certain point, semble-t-il, qu'ils avec acuité a en lui-même ce qui est vu, et ayant tout cela il igno- sont habités par plus grand qu'eux, même s'ils ne peuvent pas re qu'il l'a, il le regarde comme si il était au-dehors parce qu'il le dire qui c'est, et qu'ils sont autres que celui qui les meue33 • Les regarde comme des objets vus et parce qu'il veut les voir ... Il images du toucher spirituel et de la vision d'une lumière qui est faut le transporter en soi-même, le regarder comme un avec soi lui sont utilisées, mais il ne faut pas les prendre à la lettre. Mais et comme soi-même... "137. Il faut se faire un avec Dieu: si on veut "comment cela se produit-il ?". La réponse est fameuse: garder ses distances et la conscience de soi comme individualité "Supprime tout (lî<pEÀE n<ÎVTa )"134. En effet, écrit Plotin dans un on perd toue 38. Ici-bas la vie n'est constatée qu'obscurément: autre passage: "Alors ne voyant pas, surtout alors (l'âme) voit; "là-haut elle est vue clairement : elle donne à celui qui la voit la car elle voit la lumière. Les autres choses étaient lumineuses et vision et la puissance pour vivre plus et en vivant plus intensé- non lumière. Ainsi l'intelligence se cachant de tout le reste et se ment pour voir et devenir ce qu'on voit"139. Devenir ce qu'on recueillant dans son intérieur, ne voyant rien, contemple une voit, c'est aussi le thème mystique origénien de la contemplation lumière qui n'est pas autre en autre chose, mais qui est apparue transformante, qui transforme le contemplateur à l'image du subitement elle-même et d'elle-même, seule et pure en elle- contemplé. On trouve de même chez Origène, mais en moins même, de sorte qu'on se demande d'où elle est apparue, du détaillé et en moins étudié, la succession des présences et des dehors ou du dedans, et quand elle est partie l'intelligence dit : absences du Verbe. elle était donc intérieure et elle n'était pas intérieure"u5. Un tableau enthousiaste de la vie qui est dans l'Intelligen- Affirmation et négation : leur contraste, continuellement utilisé ce 140 conduit au conseil de dépasser l'Intelligence pour cher- par Plotin, signifie à la fois la ressemblance et la différence avec cher à atteindre l'Un 141 . Car si l'Intelligence et la Vie portent les réalités humaines. On le retrouve dans ce qui suit immédia- déjà la ressemblance du Bien, ils deviennent plus aimables tement : "Il ne faut pas chercher d'où vient cette lumière, car il encore lorsque la lumière du Bien les éclaire et les colore, n'y a pas de lieu d'où elle vient: elle ne vient pas ni ne s'en va, comme un visage, certes beau par lui-même, est transformé par mais elle apparaît et n'apparaît pas. C'est pourquoi il ne faut pas ce qui lui donne de la grâce et le rend aimable 142 . L'âme qui la poursuivre mais rester calme jusqu'à ce qu'elle paraisse, se préparant à la contempler, comme l'oeil attend le lever du soleil". Il dépassera l'intelligence qui reste inactive dans sa 136. Ibid. 8. 137. V, 8 (31), 10. 138. Ibid. 11, l. 1. 132. V, 1 (10), Il, l. 13 ss; . 139. VI, 6 (34), 18, l. 24-26. 133. V, 3 (49), 14, l. 1 SS. 140. VI, 7 (38), 15. 134. Ibid. 17. 141. Ibid. 16. 135. V, 5 (32), 7, l. 29. 142. Ibid. 21-22. 346 347 cherche le contact de l'Un après s'être modelée par la vertu à la vient de lupso • Pour atteindre Dieu il faut que l'âme laissant tout ressemblance de l'aimé dépasse et méprise les beautés d'ici-bas. le reste se tourne entièrement vers le dedans. Dieu n'est exté- Puis elle monte143 jusqu'à la vision des formes, des intelligibles rieur à personne, mais il est présent à tous, même à ceux qui ne contenus dans l'Intelligence, mais là elle ne trouve pas ce qui est le savent pas et qui fuient hors de lui, c'est-à-dire d'eux-mêmes. le principe de ces formes, à savoir celui qui est sans forme, Seul celui qui s'apprend soi-même saura d'où il vient l5l • Dans l'Un l44 • Pour l'atteindre il faut donc dépasser toutes les formes, les derniers chapitres des Ennéades, telles que les a arrangées même spirituelles 145 . Lorsque l'Un vient à l'âme, il n'y a alors Porphyre, Plotin parle toujours de la contemplation de Dieu. plus rien entre l'âme et l'Un: "ils ne sont plus deux mais un". Tant qu'on reste dans le corps elle ne peut être continue, ni L'âme ne se sent plus elle-même, elle ne regarde plus elle, mais l'union de deux en un qui la constitue et la rend inexpri- lui ; et elle méprise tout ce à quoi elle s'intéressait auparavane 46 . mable152 . C'est pourquoi rien ne peut être révélé à qui n'a rien Elle ne pense plus. C'est l'image, que nous avons déjà rapportée, pu voir lui-même. Nous avons déjà rencontré la belle image de du visiteur qui entrant dans une belle maison admire d'abord celui qui entre dans le temple, l'Intelligence, où se trouvent les les beaux objets dont elle est remplie, mais dès qu'il a vu le statues, "le choeur des vertus", ou l'ensemble des intelligibles, maître de maison ne contemple plus que lui et ne prête plus et le traverse pour atteindre le sanctuaire le plus secret du dieu, attention au reste 147. Devenue à la fois spectateur et spectacle symbolisant le contact avec l'Un. Dans le sanctuaire il a trouvé l'âme ne voit plus le bien de l'extérieur. "TI n'y avait plus (dans la "l'union avec ce qui n'est ni statue ni image, mais l'Un lui- contemplation) d'une part ce qui est vu, de l'autre sa lumière, ni même" : elle est décrite par une série d'expressions: "Peut-être intelligence ni ce qui est pensé, mais une clarté qui engendre n'était-ce plus une contemplation mais un autre mode de cela ensuite et qui laisse être près d'elle. Lui-même (le Bien) est vision, extase, simplification, abandon de soi, désir de contact, seulement une clarté engendrant l'Intelligence, sans s'éteindre repos, pensée soigneuse d'un ajustement, si en effet on dans cette génération, mais restant la même, l'Intelligence étant contemple ce qui est dans le sanctuaire". On voit le principe engendrée par le fait que l'Un est"148. Un peu plus loin Plotin fait par le principe et le semblable par le semblable. C'est en appel à l'expérience de ceux qui ont contact avec le Bien149. entrant en elle-même que l'âme va vers l'Un. On se voit alors La compréhension de l'Un ne vient donc pas de la scien- devenir lui, on a une ressemblance de lui et on passe de soi- ce, mais d'une présence qui est meilleure que la science, car la même à lui comme l'image à son archétype. Mais quand on sort science est discours. L'Un n'est présent ceux qui peuvent de la contemplation on retrouve les vertus d'où pourra recom- le recevoir et s'y sont préparés, qui peuvent s'adapter à lui et mencer le voyage vers l'Un. "Telle est la vie des dieux et des comme le toucher ou le contacter par suite de leur ressemblan- hommes divins et bienheureux, la séparation des autres choses ce et parce qu'il y a en eux une puissance apparentée à ce qui d'ici-bas, la vie qui ne cherche pas le plaisir des choses d'ici-bas, la fuite du seul vers le seul"153. C'est sur ce dernier mot emprun- 143. Ibid. 31. té au Théétète de Platon l54 que s'achèvent les Ennéades selon leur 144. Ibid. 32. classement habituel selon Porphyre. 145. Ibid. 33. 146. Ibid. 34. 150. VI, 9 (9), 4, 1. 1 ss. 147. Ibid. 35. 151. Ibid. 7. 148. Ibid. 36. 152. Ibid. 10, l. 1 ss. 149. Ibid. 40,1. 1-2. Voir pareillement VI, 8 (39), 15, L. 1 ss. et Ibid. 19,1. 1 ss; 153. VI, 9 (9), Il, l. 16 ss. VI, 9 (9), 9, L. 46. 154. Théétète 176 a 1-2. 348 349 Est-il question de prière chez Plotin? Nous avons déjà cité lui comme un trait et une blessure d'amour"162. Le thème mys- un texte à propos de l'union mystique dans le chapitre consa- tique du trait et de la blessure d'amour, joignant ensemble Ct 2, cré à la première hypostase. On trouve des prières aux astres- 5 et Is 49, 2, tous deux selon les Septante, et abondamment dieux155 : ce n'est pas que l'astre prête attention à la prière, mais représenté dans l'oeuvre d'Origène, commence avec lui une son objet se réalise par sympathie 56 • On voit Plotin prier "un longue carrière chez les mystiques chrétiens 163 . Il est à remar- dieu" de le secourir pour la solution d'un problème157. Le texte quer, en opposition avec Plotin, que celui sur qui porte cet que nous avons cité plus haut s'adresse à Dieu ou à "un dieu"l58. amour, c'est le Fils, la seconde personne, "image et splendeur Ailleurs, "ayant invoqué le dieu qui a fait (la sphère du monde) du Dieu invisible"l64, l'intermédiaire, le médiateur, entre Dieu dont tu es l'image, prie-le de venir. Qu'il vienne portant son et les hommes. Il en est ainsi de toute la mystique d'Origène monde avec tous les dieux qui sont en lui"159. Il doit s'agir de et très largement de celle de tous les mystiques chrétiens: le l'Ame du Monde. Il y a donc peu de chose sur la prière et on Père est atteint dans le Fils son Image et ils sont inséparables. peut se demander comment elle pourrait s'adapter à l'idée qu'a Cet amour porte aussi sur "tout ce qui a été créé en lui", le Plotin de la divinité. monde intelligible des réalités divines, mystères, idées et rai- sons, dont les images sont perceptibles dans les réalités ter- ORIGÈNE restres : la beauté de la création sensible doit élever l'âme vers Le passage principal où Origène développe sa conception celle de la création intelligible et du Verbe qui la contient. Si de l'amour est le prologue au Commentaire sur le Cantique des pour Plotin l'âme doit dépasser ce monde intelligible et Cantiques 160. Il distingue un amour chamel que, selon la traduc- l'Intelligence où il se trouve, pour Origène au contraire elle tion de Rufin, les poètes appellent Cupidon, c'est-à-dire Eros, et doit l'assumer dans le Fils par qui elle atteint le Père. Mais de un amour spirituel, le premier correspondant à l"'image du ter- même qu'il peut y avoir dans le charnel un amour illicite qui restre"161 selon l'homme extérieur, le second à l"'image du céles- ne porte pas sur le conjoint mais sur la prostituée, cela peut te" selon l'homme intérieur. Ces deux expressions viennent de aussi se produire sur le plan spirituel lorsque son objet est Rm 15, 49, mais contrairement à Paul qui voit dans le Terrestre constitué par les "esprits de méchanceté" et non par l'Esprit- Adam opposé au Céleste, le Christ, Origène la plupart du temps Saint et par le Verbe, Epoux fidèle de l'âme. Origène pense désigne comme le Terrestre le Diable. "L'âme est menée par un alors constater une différence de vocabulaire dans l'Ecriture, amour (amor) et un désir (cuPido) céleste lorsque ayant vu la beau- privilégiant caritas et dilectio (= àyaTlll) comme plus spirituels té et la grâce du Verbe de Dieu elle aime sa beauté et reçoit de que cupido ou amor (Ëpwç) et il donne de cela quelques exem- ples bibliques, tout en précisant que cette constatation n'a 155. IV, 4 (28), 30, 1. 3. De même ibid. 38, 1. 3 : "les prières soit simples, soit rien d'absolu et que l'on trouve aussi amor et amare pris dans chantées avec art". Ibid. 40 : contexte de magie. un sens spirituel. Il ne faut donc pas s'attacher trop fortement au mot utilisé. Mais Dieu est dit caritas, charité 16\ et aimer, 156. Ibid. 41, 1. 1 et 42,1. 3. 157. IV, 9 (8), 4, 1. 6. 158. Pareillement V, 1 (10), 6, 1. 8. Il invoque Dieu (ou un dieu) "non avec une parole sonore, mais avec l'âme, en nous étendant dans une prière vers lui, pou- 162. ComCant Prol. 67, 7. vant le prier seul à seul. 163. H. CROUZEL, "Origines patristiques d'un thème mystique: le trait et la 159. V, 8 (31), 9, 1. 13 ss. blessure d'amour chez Origène". Kyriakon, FestschriJt Johannes Quasten (Patrick 160. ComCant 66,24 à 75, 2. Sur l'amour chez Origène: Henryk PIETRAS, Granfield and Joseph A.Jungmann). Münster i. W. 1970, l, 309-319. L'amore in Origene, Studia Ephemeridis "Augustinianum" 28, Roma 1988. 164. ComCant Prol. 67,10. 161. Voir notre Théologie de l'Image de Dieu chez Origène, p. 182-189. 165. 1 Jn 4, 7-8. 350 351 c'est être né de Dieu et connaître Dieu. La charité vient de Dieu. aimer, non seulement lui, mais les vertus, tous les biens conte- C'est donc Dieu, c'est-à-dire toujours chez Origène le Père, car nus en son Fils, en second lieu, au sens large et dérivé, à l'amour c'est là son nom propre -le mot Dieu n'incombe au Fils que du prochain, qui est à aimer comme nous nous aimons nous- comme un attribut sans article, non comme un nom propre, car mêmes, en troisième lieu au faux amour porté à l'argent et au il reçoit du Père sa divinité, et c'est aussi le cas du Nouveau plaisir qui mènent à la corruption et à l'erreur. Car Dieu n'a pas Testamenrt66 - qui est charité et l'origine de la charité. De lui la donné à l'homme les réalités sensibles pour qu'il les aime, mais charité passe à celui qui est né de lui, le Fils, et qui est venu en ce pour qu'il les utilise. Les aimer c'est dénaturer en l'appliquant monde. Père et Fils sont donc charité, mais la charité est une au terrestre et au caduc cette puissance de la charité qui vient de réalité unique, donc Père et Fils sont un. Charité devient alors Dieu. Cette affirmation et le paragraphe qui la suit montrent un des titres, une des e111volal, du Fils, et là où est la charité, là se que le faux amour qui va vers le sensible est un abus de celui trouve Dieu, Père et Fils. Cette charité ne porte pas sur des dont Dieu nous a donné le pouvoir, mais qu'en dernière analyse objets matériels et corruptibles : elle est immortelle puisque le tout amour vient de Dieu. Dieu-charité est immortel. En ce qui concerne l'homme le pre- Il y a donc une gradation de l'amour de l'homme qui doit mier précepte est d'aimer Dieu, Père et Fils, "de tout son coeur, porter d'abord sur Dieu et son Verbe et qui est alors absolu, de toute son âme, de toutes ses forces"167. Dieu, Père et Fils, puis sur le prochain tout entier, mais de façon "ordonnée" selon demande de nous pour lui le même amour que celui qu'il nous la proximité et la vertu de chacun. Cela est développé par deux porte ; cette charité, que nous recevons de lui et que nous lui paragraphes déjà signalés sur l'"amour ordonné"170. Nous retournons, nous unit à lui. Elle fait pour nous de tout homme n'entrons pas ici sur les controverses soulevées par cet "amour notre prochain, ce qu'il est déjà par la nature et qu'il devient ordonné" qui a eu au Moyen Age toute une postérité 171 , mais encore davantage par là : "C'est pourquoi il faut savoir que la qu'on a accusé de sacrifier la gratuité de l'amour chrétien172. charité de Dieu tend toujours vers Dieu dont elle tire son origi- Signalons dans le passage que nous venons d'expliquer ne et regarde vers le prochain auquel elle participe, en tant qu'il une belle comparaison dont on trouve l'équivalent chez Plotin : est lui aussi créé dans l'incorruption"l68. Aussi ne peut-on appli- voici les deux textes. Chez Plotin : "Comme ici-bas ceux qui quer qu'abusivement le terme d'amour à l'argent ou à la prosti- aiment se conforment dans leurs attitudes à la ressemblance de tuée. De même que l'appellation "Dieu" convient en premier l'aimé et disposent convenablement leurs corps et leurs âmes à lieu à la Trinité, en second lieu au sens large aux "dieux" dont sa ressemblance, parce qu'ils ne veulent pas être inférieurs, parle le Psaume 81 (82), ceux à qui, selon Jésus, "est parvenue la selon leur possibilité, à l'aimé en tempérance et dans les autres parole de Dieu"l69, c'est-à-dire aux puissances célestes, et aussi vertus - ou ils seraient repoussés par les aimés qui ont ces ver- aux justes suivant d'autres explications d'Origène, en troisième tus - et ce sont eux qui peuvent être unis, de même l'âme aime lieu, non plus au sens large, mais faussement, aux dieux du l'Un ... ". Et chez Origène 174 : "Supposons par exemple une paganisme qui sont en réalité des démons ; de même le mot "charité" convient d'abord à Dieu qui nous donne de pouvoir 170. Sur Cant 2,4 selon les LXX: HomLe XXV; ComCant III, 186, 13 - 191,22. 171. Hélène PETRE, "Ordinata cari tas : Un enseignement d'Origène sur la cha- rité", Recherches de Science Religieuse, 42, 1954,40-57. 166. Voir Karl RAHNER,,&rits Théologiques, Paris 1959, pp. 93-96. 172. W. J. P. BOYD, "Origen's Concept of the Love of Gad", Studia Patristica 167. Lc 10,27. XIv, Texte und Untersuchungen 117, 1976, 110-116. 168. ComCant Pral 70, 29. 173. Enn. VI, 7 (38),31,1. 11-17. 169.Jn 10,35. 174. ComCant Pral. 73, 12-21. 352 353 femme brûlant de l'amour d'un homme et désirant être admise à taine audace", dirait Origène, que dans l'amour de Dieu s'unir à lui, ne fera-t-elle pas toutes choses et ne gouvernera-t-elle pour l'homme il y a un certain éros puisque Dieu désire une pas tous ses mouvements selon ce qu'elle sait plaire à celui qu'elle réponse d'amour de la part de l'homme et que cette réponse aime, de peur que, si elle faisait quelque chose contre sa volon- est nécessaire pour le salut. Bien qu'Origène ne présente té, cet homme excellent ne refuse et ne daigne pas s'unir à elle? aucune distinction claire entre amour-désir et amour-don, le Pourra-t-elle, cette femme qui brûle de l'amour de cet homme, passage du Commentaire sur le Cantique des Cantiques que de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces, com- nous avons expliqué se tient sur le plan de l'agaPè : l'amour mettre un adultère alors qu'elle sait qu'il aime la chasteté, un jailli en quelque sorte de Dieu et de la Trinité, bien que Dieu homicide alors qu'elle le sait doux, un vol alors qu'elle connaît soit considéré comme sans désir : il en unit les personnes et sa générosité, ou convoiter le bien d'autrui, elle dont tous les se déverse sur les créatures raisonnables, anges et hommes, désirs sont occupés par l'amour d'un tel homme ?". Comme d'où il revient vers Dieu. Quand on essaie d'analyser l'amour seuls Dieu et son Christ sont à aimer "de tout son coeur, de chrétien on ne peut séparer complètement ces deux aspects. toute son âme et de toutes ses forces et qu'aimer de la sorte une Ajoutons que dans l'Antiquité, même chrétienne, ces deux créature même humaine serait idolâtrie - voir les deux passages termes n'ont pas un sens aussi tranché que sous la plume indiqués plus haut sur l'amour "ordonné" -, cet "homme excel- des modernes: le vocabulaire et sa signification sont plus lent" ne peut être que le Christ. fluents. A. Nygren 175 constate qu'Origène, tout en percevant le A propos de la mystique d'Origène nous n'avons rien à caractère propre de ce que Nygren, comme les philosophes et ajouter à ce que nous avons expliqué dans le premier cha- théologiens de notre temps, nomme l'agaPè, c'est-à-dire l'amour- pitre. Un dernier mot cependant sur la prière selon Origène don, ne peut s'empêcher de le confondre avec l'éros platonicien, qui présente tous les caractères de la prière chrétienne. Elle l'amour-désir. Ce jugement repose, à notre avis, sur une concep- est expliquée en détail dans son Traité de la Prière, le second tion insuffisante de l'amour chrétien. Un amour qui serait de la écrit de ce genre de la tradition chrétienne, rédigé un peu pure agaPè, séparé de tout éros, est inconcevable. Conçoit - on après celui de Tertullien et un peu avant celui de Cyprien, que la créature que nous sommes, tenant tout de Dieu, puisse avec comme chez les deux autres un commentaire du Pater lui dire: "Je veux tout donner et non recevoir" ? Alors que nous Noster. Dans les nombreuses homélies d'Origène les prières ne donnons que ce que nous avons reçu !' Ce serait là un acte sont fréquentes, surtout pour demander à Dieu la lumière d'hybris, par lequel la créature se mettrait sur le plan même de nécessaire pour comprendre le passage expliqué. D'autre part Dieu. Il serait en contradiction avec l'acte d'adoration par lequel toutes se terminent par une doxologie suivant des formules nous nous tenons devant Dieu comme des indigents, avec l'acte venues du Nouveau Testamene 76 • Dans les écrits plus "scienti- d'espérance par lequel nous espérons recevoir de Dieu les biens fiques" on trouve aussi des prières: par exemple au début du célestes, et avec le désir de l'union mystique qui est éros et agaPè livre XX du Commentaire sur jean l77 pour demander à Dieu tout ensemble. En fait dans l'acte d'amour du chrétien, envers l'inspiration. Plus étonnantes pour un moderne, trop habitué Dieu et aussi envers le prochain et les créatures, l'éros ne se sépare pas de l'agaPè. On pourrait même dire "avec une cer- 176. Voir H. CROUZEL, "Les doxologies finales des homélies d'Origène selon le texte grec et les versions latines", Ecclesia OTans : Mélanges A. G. Hamman, 175. A. NYGREN, Eros et AgaPè, traduction de P. Jundt, II/l, Paris 1952, p. publiés par Mgr Victor Saxer, Augustinianum 20/1-2, 1980, p. 95-107. 153-178. 177. XX, l, 1,3-12. 354 355 Mais cette raison a son rôle dans la création et le gouverne- à séparer la science de la piéte 78 , sont dans le Peri Archon lui- ment du monde. L'Intelligence donnant quelque chose d'elle- même une exhortation à la prière et trois doxologies 179 • même dans la matière a fait toutes choses sans s'agiter et calme- ment : ce quelque chose c'est la raison qui découle de 16. La raison l'Intelligence et qui en découle toujours, tant que l'Intelligence PLOTIN est présente dans les êtres. Alors un rapprochement est fait entre cette raison et la raison séminale, celle qui est dans la semence et Outre le sens de Àoyoç comme équivalent d'eTBoç ou contient déjà tout ce qui sera dans le vivant, mais d'une manière d'iBéa, il faut signaler un même emploi du même mot comme pacifique, sans que les germes de ces différents éléments soient une sorte d'intermédiaire entre l'Intelligence et l'Ame. en lutte les uns contre les autres. Pareillement d'une seu1e Intelli- L'Intelligence est toujours dans un acte stable : le mouvement vers elle et autour d'elle est l'oeuvre de l'Ame et une raison gence et de la raison qui vient d'elle naît cet univers. Mais parmi venant de l'Intelligence fait de l'Ame une Ame intelligente, ses parties les unes sont en accord avec d'autres, les autres en sans qu'il y ait une autre nature entre l'Intelligence et l'Ame. Il opposition, volontairement ou involontairement, se faisant du n'y a pas à distinguer plusieurs intelligences, l'une qui pense et malles unes aux autres: cependant de tout cela se fait une seu1e l'autre qui pense qu'elle pense, et à supposer que la première harmonie et une organisation unique. Cet univers n'est pas ne ferait que penser sans avoir conscience qu'elle pense. comme l'intelligible intelligence et raison mais il participe aux L'intelligence nécessairement dans son acte de penser se possè- deux. L'harmonie vient du concours de l'Intelligence et de la de et se voit elle-même. Il n'y a aucune dualité entre penser et nécessité, la seconde tirant vers le bas et menant à la déraison, la penser qu'on pense. Quand on fait venir la raison de première commandant cependant à la seconde. Le monde intel- l'Intelligence et qu'ensuite on dit qu'il y a dans l'Ame une autre ligible n'est que raison, mais il ne peut y avoir un second monde raison venant de cette raison pour que cette raison soit entre intelligible dans le même cas. Le monde inférieur est un mixte, l'Ame et l'Intelligence, on prive l'Ame du penser si elle fait de matière et de raison, mais c'est l'Ame qui préside au n'obtient pas la raison de l'Intelligence mais de quelque autre mélange181 • S'il y a dans le monde du mal avec le bien, c'est aussi chose entre elles et elle n'aurait alors qu'une image de la rai- la volonté de la raison : la variété est voulue par ellel82 • De l'état son, non la raison elle-même; l'Ame ne connaîtrait pas de lutte qui sévit dans le monde c'est la raison plus que la matiè- 83 l'Intelligence et ne penserait pas du tout. La raison n'est donc re qui est responsable et tout cela se justifie • pas une entité comparable à l'Intelligence et à l'Ame qui serait Un autre passage parle de la nature et de l'origine de la située entre les deux, mais ce par quoi l'Intelligence rend l'âme raison. Elle n'est pas l'intelligence pure ni l'Intelligence en soi, intelligentel80 • elle n'appartient pas à la race de l'âme pure, mais elle dépend de l'Ame et est comme une illumination venue des deux, l'Intelli- 178. Voir à la page 141-142 la note de la traduction allemande de Karl SCHNIT- ZER, Origenes tWer die Gmndkhren der Glaubenwissenschnjt, Stuttgart1835 : selon le gence et l'Ame, l'Ame disposée selon l'Intelligence: toutes deux procédé habituel en la maùère il y voit un ajout de Rufin, sans remarquer que ce engendrent cette raison comme une vie ayant calmement une passage correspond d'assez près à la finale de la Lettre d'Origène à Grégoire le certaine raison. Etre doué de raison est être doué de forme, car Thaumaturge, § 4 (ou 3). 179. L'exhortation à la prière se trouve en PArch II, 9, 4, 115-120 ; les trois doxologies en Ibid. 111,5,8, 243 (laùn) ; IV, l, 7, 221 (grec), 251 (latin) ; IV, 3, 18l. III, 2 (47), 2, 1. 15 ss. 14,475 (latin). 182. Ibid. 11-12. 180. II, 9 (33), l, 1. 29-63. 183. Ibid. 15, L. 6. 356 357 l'acte qui se produit selon la vie peut les former. Cette raison La raison universelle contient le mal et le bien qui en sont vient d'une Intelligence unique et d'une vie unique, l'une et des parties. Ce n'est pas la raison universelle qui les engendre l'autre étant complètes, elle n'est ni une vie complète ni une mais elle est avec eux. Les raisons sont l'acte d'une âme univer- intelligence une qui serait complète sous tous les rapports et se selle et leurs parties l'acte de ses parties. L'âme étant une et donnerait tout entière à ceux à qui elle se donne. C'est juste- ayant des parties, il en est de même des raisons, de sorte que les ment parce qu'elle ne se donne pas tout entière qu'elle oppose actes sont leurs derniers produits187 • La raison suit l'Ame univer- entre elles les parties de l'univers et les met en état de guerre, selle et cette Ame l'Intelligence et l'Intelligence n'est pas un seul dans un drame qui est cependant accordé en une seule harmo- être, mais tous c'est-à-dire une multiplicité. La raison de l'ani- nie, faisant l'union entre les couples de contraires. Pour pou- mal, même s'il a une âme, n'est pas celle dont vient la raison et voir opérer entre eux cette harmonie, cette raison doit être toute cette raison devient plus petite quand elle se hâte vers la unique: sans cela elle ne ferait pas un ensemble l84 • matière 1ss• L'Homme n'est pas seulement ce qu'il a été fait, mais C'est la raison qui donne à chacun son sort ici-bas. Cette affir- il a un autre principe libre qui n'est pas en dehors de la provi- mation contient deux conséquences difficiles à concilier. D'une dence ni de la raison universelle. Un peu plus loin sont distin- part il y a des méchants et ils ne sont donc pas tels par eux-mêmes. guées une raison créatrice d'une autre qui adapte les réalités D'autre part chacun va selon la nature et selon la raison, ayant le supérieures aux êtres créés: il s'agit d'une part de la providence lieu qui convient et qu'il a choisi. Fatalisme ou libre arbitre, ce n'est d'en-haut, d'autre part de celle qui en dérive, l'autre raison liée à pas clair. A moins de supposer que, selon ce qui suit, la raison, sem- la première, et des deux découlent toute la combinaison et la blable à l'auteur d'un drame, distribue son rôle à chacun des providence tout entière. Les hommes ont donc un autre princi- acteurs et que ce dernier s'en acquitte bien ou mal. De toute façon pe, mais tous n'usent pas de tous ceux qu'ils ont: les uns de unique est la raison de l'univers l85 • L'incertitude revient à la fin du celui-ci, les autres de celui-là ou de ceux-là qui sont inférieurs l89 • paragraphe suivant: "Si donc il est absurde d'introduire des âmes y a-t-il distinction ou continuité entre cette raison qui est partici- qui feront les unes le bien les autres le mal - nous priverions la rai- pée par chaque homme et la raison séminale qui exprime la son du bien en lui enlevant le mal -, qui empêche de faire des puissance de croissance qui se trouve dans chaque germe de actions des acteurs comme des parties de ce drame-Ià, et aussi de la vivant? TI semblera d'abord que la cause n'est plus dans la raison raison qui est dans tout l'univers ici-bas, le bien et son contraire, de mais plutôt dans la matière, et que la matière, non la raison, sorte qu'ainsi le rôle vienne à chacun des acteUrs de la raison elle- l'emportera; ensuite ce sera le substrat (unOKElI-1EvOV) de la même, d'autant plus parfait qu'est le drame et que tout dépend de matière dont il a été façonné. Mais ce substrat au début, c'est la la raison ? Mais pourquoi faire le mal ? Et les âmes plus divines ne raison et ce qui est né de la raison et est selon la raison; de sorte sont-elles rien dans l'univers? Mais toutes sont des parties de la rai- que ce n'est pas la matière qui dominera, puis le façonnage. Et son. Est-ce que les raisons sont toutes des âmes ou pourquoi les dans un contexte de métempsycose, le raisonnement continue : unes sont des âmes, les autres seulement des raisons, toute la raison le fait d'être tel peut se ramener à la vie antérieure, comme si on étant une âme" ? Ces dernières interrogations ne sont pas faciles était devenu faible à la suite de ce qui précède par rapport à ce à situer dans l'ensemble de la doctrine l86 • qui était avant cette raison, comme si l'âme était devenue plus 184. Ibid. 16, l. 12 ss. 187. III, 3 (48), 1,1. 1 ss. 185. Ibid. 17, l. 8 ss. 188. Ibid. 3, 1. 20 ss. 186. Ibid. 18, l. 18 ss. 189. Ibid. 4, 1. 6 ss. 358 359 faible; mais plus tard elle brillera. Et que la raison soit dite avoir participe à la nature intelligible et est mélangée de forme (dôoç) aussi en elle la raison de la matière qu'elle travaille pour elle- et d'indétermination, ce qui est l'état de l'âme avant d'atteindre le même, donnant à la matière sa qualité selon elle ou l'ayant trou- Bien: c'est ainsi qu'est engendré Eros. Ou en d'autres termes une vée en accord. Car la raison (séminale) du boeuf ne peut être raison est venue dans ce qui n'était pas raison avec un désir trouvée ailleurs que dans la matière du boeuf: de là (Platon) imparfait et une existence obscure et cela donne un engendré qui 90 die que la raison est entrée dans les autres animaux comme si est déficient, une raison qui n'est pas pure parce qu'elle a en elle l'âme était devenue autre et que la raison s'était modifiée pour un désir indéterminé, irrationnel et indéfini qui ne sera jamais devenir par exemple une âme de boeuf, alors qu'auparavant elle satisfaie95 . Poros, le père d'Eros, représente la raison universelle l96, était celle d'un homme l91 . la raison de ceux qui sont dans l'intelligible et dans l'Intelligence, Tout ce qui est dans le monde intelligible est raison et au- la raison qui est dans l'Ame venant de l'Intelligence, la raison pro- dessus de la raison, car c'est Intelligence et Ame pure ; de là duit de l'Intelligence et "hypostase" après l'Intelligence. Mais en vient la providence, et ce qui est dans l'Amé pure et ce qui va de quel sens la raison est dite un6crrocnç, alors que cela, semble-t-il, a là dans les vivants. La raison vient divisée non également : elle été nié plus haut? L'Ame unie à l'Intelligence et existant par elle ne fait pas des êtres égaux comme en chaque vivant. Tout ce est dite rassasiée de raisons 197. que fait la raison de la providence est aimé des dieux. Dans l'ani- Quel rapport a la raison avec la nature (<J>Ucnç) ? La raison, mal c'est la raison qui guérit les blessures. Les maux ne viennent dirait-on, est immobile, la nature autre que la raison est mue. La pas de la providence, mais de nous. L'oeuvre de la providence nature est forme (dôoç), non composée de matière et de forme. est en accord avec la raison. Mais le sujet peut agir selon la rai- Ce n'est pas le feu qui enflamme la matière, mais une raison. son ou contrairement à elle, comme le ferait le malade qui suit Des raisons agissent dans les animaux et les plantes, la nature est ou ne suit pas les prescriptions du médecin l92 . Mais le mot Àoyoç une raison qui fait une autre raison, son produit, donnant qui exprime la raison séminale a un sens très proche de celui de quelque chose au substrat, la matière, mais restant immobilel98 • forme. Les êtres sont composés de forme et de matière: Elle produit en restant elle-même immobile et elle est ainsi en voyant la forme et la raison on voit ce qui est formé. On ne contemplation (gewpia). L'action se fait selon la raison mais est voit pas pareillement l'animal intelligible - c'est-à-dire la forme autre qu'elle, bien que la raison y préside. C'est parce qu'elle est ou raison dans l'intelligible - et l'animal composé - celui d'ici- contemplation, objet de contemplation et raison qu'elle agit 199. bas, matière et forme - mais on voit la raison' de l'animal dans le La nature de l'univers a fait toutes choses avec beaucoup d'art à composé qui informe ce qui lui est inférieur, la matière. Les l'imitation de ce dont elle avait les raisons, puisque chaque actions et dispositions de l'animal sont mélangées de raison et chose était ainsi une raison dans la matière, une raison formée de selon celle qui existe avant la matière : c'est dire que la raison Dans l'interprétation du mythe de la naissance d'Eros qui informe la matière en chaque être est issue d'une autre rai- dans le Banquet 194 Poros est enivré de nectar et s'unit à Pénia qui son qui est dans l'intelligible. Celle-là ne peut exister sans celle-ci 190. Timée 42 c 3-4. 195. III, 5 (50), 7, L. 1 ss. 191. III, 3 (48), 4, 1. 29 ss. 196. Ibid. 8, 1. 3. 192. Ibid. 5, 1. 16 ss. 197. Ibid. 9, 1. 1 ss. 193. PLATON, Timée, 47 e 5 - 48 al: 111,3 (48), 6, 1. 2 ss. 198. III, 8 (30), 2, 1. 19 ss. 194.203 a - 204 c.. 199. Ibid. 3, 1. 1 ss. 360 361 et celle-ci ne peut descendre ici-bas200. Sur les rapports de la raison (l'esprit) de Dieu; celle de raison que l'on trouve dans la philoso- avec l'Intelligence et l'Ame nous lisons aussi que l'hypostase de phie grecque à partir d'Héraclite et des stoïciens. Le Logos divin l'Ame vient de l'Intelligence et que sa raison est en acte quand est donc pour Origène la Parole et la Raison divines et dans l'Intelligence est vue par elle201-202. L'Ame qui vient de l'Intelligence l'impossibilité où il se trouve de rendre les deux sens par un a la vertu en communiant à la raison qui découle d'elle. même terme comme dans l'original grec Rufin emploie une La notion de ÀOyoç au sens de raison - nous laissons de périphrase, verbum vel ratio par exemple204 , ou d'autres expres- côté celui de parole et tous ses à-côtés pourtant bien représentés sions équivalentes, formées de verbum ou de sermo et de ratio. dans les Ennéad.es - est donc complexe. Il y a d'abord la Raison Cette raison n'est pas à interpréter dans le sens purement "natu- au sens absolu, issue de l'Intelligence et intermédiaire entre elle rel" des scolastiques, mais a toujours un sens "surnaturel" pour et l 'Ame, un intermédiaire qui, malgré le passage signalé plus employer une distinction rarement attestée chez Origène, sewe- haut, n'est pas une hypostase comme les deux autres, mais ment deux fois205. C'est la raison divine. Or c'est parce qu'il est appartient à l'intelligible joint à l'Intelligence. Cette Raison a Logos, sa seconde èntVOlU après celle de Sagesse206, que le Fils son rôle, avec l'Ame, dans l'organisation du monde. C'est ainsi fait des créatures "raisonnables", anges et hommes, des ÀOYU(Q, que procèdent d'elle, séparées et non séparées à la fois selon un celles du moins qui n'ont pas comme les démons renié leur rela- schème constant chez Plotin, d'autres raisons qui se confondent tion au Logos pour devenir des uÀoya, des "déraisonnables". La plus ou moins avec les formes, dÔT) et quelquefois mat - quand relation que, selon Plotin, la seconde hypostase, l'Intelligence, a n'a pas le sens de figure extérieure - et informent la avec la troisième, l'Ame du Monde, en la rendant "raisonnable", matière pour produire les êtres. Mais dans ces ÀOyOl informa- on la retrouve ici entre le Logos et ce qui correspond chez teurs il faut aussi distinguer deux catégories : une raison origi- Origène à la troisième hypostase plotinienne, que ce soit l'âme nelle qui reste immobile et une autre raison qui en procède et humaine unie au Verbe que le Logos rend "raisonnable" qui informe directement l'objet. comme les autres âmes, soit le Saint Esprit qui tient du Verbe sa participation à toutes les ènivolUl, donc à celle de Logos207 • Cette ORIGÈNE Parole-Raison qui est le Fils a son rôle dans la création du On trouve chez Origène comme chez Plotin une Raison monde, puisque la création est, comme tout ce que fait Dieu contenue dans la Sagesse et des raisons qui se trouvent dans les l'oeuvre commune des trois personnes208 : il en est de même êtres et sont en relation avec les E1ÔT), iÔÉal, àpXat, de la créa- pour le gouvernement de la création, la providence, qui incom- Le mot ÀOyoç aux significations multiples en a deux prin- be aussi pour Origène à la Trinité entière. Si la chute primitive cipales, Parole et Raison. Dans le Logos divin des Pères grecs des êtres raisonnables, parce qu'elle s'est produite à des niveaux convergent et se joignent ces deux significations premières : divers, est cause de la variété considérable de ce monde et des celle de Parole, le Debar lahwe, dominante dans la tradition êtres raisonnables eux-mêmes, une certaine harmonie est réta- hébraïque et reprise par les écrits johanniques, qui exprime blie par Dieu qui "avec l'art ineffable de sa sagesse... ramène (ces l'action de Dieu dans l'univers, de même que la ruah, le souille créatures) d'une certaine façon à un unique accord, dans leurs 204. Ibid. l, 2, 4, 82. 205. CornJn l, 37 (42),273 ss. ; CCels V, 23, 18. 200. IV, 3 (27), Il, L. 8 ss. 206. PArch l, 3, 8, 272. 201-202. V, 1 (10), 3, 1. 15. 207. CornJn II, 10 (6), 76. 203. PArch l, 2, 2, 54. 208. PArch l, 3, 7, 246 ; l, 3, 8, 278. 362 363 activités et leurs intentions, pour consommer, malgré la diversité comme nous l'avons vu, il lui est fréquemment refusé la connais- des mouvements des intelligences, l'accomplissement et la per- sance de lui-même, car autrement il dépendrait de cette connais- fection d'un monde unique et diriger la variété des intelligences sance et en aurait besoin. Les êtres complètement bienheureux elles-mêmes vers une seule fin parfaite"209. Cette rationalité qui restent en eux-mêmes, sont ce qu'ils sont et cela leur suffit. pénètre toutes choses est l'oeuvre, nous le verrons, d'un élément L'idéal est tout le contraire d'une activité qui ferait sortir de intelligible qui organise la matière elle-même, désigné de divers soi215 . L'Ame du Monde, principe des êtres, où tout est contenu termes, forme, raison, qualité, correspondant au monde intelli- en un, reste en elle-même et tout sort d'elle comme les plantes gible que contient le Fils en tant qu'il est la Sagesse. d'une racine216 . Celui qui désire produire le beau veut le faire Nous reviendrons plus loin sur le problème du mal, à pro- par indigence, car il n'est pas autosuffisane17 . Ainsi Eros est le pos duquel Origène diffère profondément de Plotin, car il ne continuel insatisfait: seul est vraiment satisfait celui qui l'est considère comme mal que le mal moral venant de la mauvaise par sa propre nature218 . Ce qui est seul et isolé de tout, complè- orientation du libre arbitre: "L'intelligence de chacun est cause tement simple, serait impassible19. C'est aussi le cas de la matiè- de sa malice personnelle : c'est elle le mal. Les maux sont seule- re220 . Le sage peut bien subir l'effet de la magie dans son corps, ment les actions qu'elle commande et pour nous, à parler en mais non dans son âme, car seul celui qui est en rapport avec rigueur de termes, rien d'autre n'est un mal"210. Plotin ramène le lui-même ne peut être ensorcelé221 . La contemplation seule est à fait d'être tel à la vie antérieure dans un contexte de métempsy- l'abri de tout sortilège parce qu'aucun homme regardant vers cose : Origène aussi, mais dans un contexte de préexistence, lui-même ne s'enchante lui-même222 • L'unique Ame du Monde puisque la condition où naît chaque homme est fixée par un est capable de se donner à toutes les âmes et de rester une22!J. jugement divin, analogue au Jugement dernier, situé avant la Il est cependant un cas où la volonté d'être à soi-même a naissance, en fonction du degré de profondeur de la faute origi- des effets mauvais : le désir d'autosuffisance qui produit chez nelle211 . Mais à partir de l'état dans lequel il est né, l'homme peut les âmes l'éloignement de Dieu et qui a pour conséquence, une s'élever ou s'abaisser selon son libre arbitre212 . conséquence qui contredit la volonté d'être à soi-même, leur attachement aux êtres qui les entourene24 . 17. L'idéal d'autosuffzsance Il est constamment affirmé que l'Un reste en lui-même225 . PLOTIN Il donne en restant en lui-même 226 . Il se suffit parce qu'il est Plotin exprime constamment un idéal d'autonomie, d'autosuffisance, que les êtres possèdent ou vers lequel ils ten- 215. III, 2 (47), 1, l. 40 ss. 216. III, 3 (48), 7, l. 8 ss. dent quand ils ne l'ont pas. Il ne craint pas la mort celui qui 217. III, 5 (50), 1, l. 47. aime être seul21 !J. L'aùTapKEla revient souvent dans les traités de 218. Ibid. 7, l. 22. Plotin. L'Un l'a évidemmeneH , et son autonomie est telle que, 219. III, 6 (26), 9, l. 37 ss. 220. Ibid. 15, l. 10. 221. IV, 4 (28), 43, l. 17. 209. PArch l, 1, 1,8: citation l, 1, 2, 31. 222. Ibid. 44, l. 1. 210. CCels IV, 66, 10. 223. IV, 9 (8), 5, l. 4. 211. PArch II, 9, 8, 270 .. 224. V, 1 (10), 1, l. 5 ss. 212. Ibid. 282. 225. Par exemple V, 1 (10), 12, l. 4 ; VI, 8 (39), 17, l. 25. Passim dans VI, 7 (38) 213. l, 6 (1), 6, l. 10. et VI, 8, (39). 214. II, 9 (33), 1, l. 9. 226. V, 2 (11), 2, l. 25. 364 365 simple et le premier de tout227 . L'âme qui est en elle-même est il est la source de la charité qui s'épanche de lui sur les deux aussi présente dans le COrpS228. Par opposition à l'être mobile et autres personnes et de la Trinité sur l'ensemble de la création muable il y a "ce qui existe toujours, étant de la même façon raisonnable. Et on peut voir à travers toute l'oeuvre d'Origène dans les mêmes choses229, sans devenir ni corruption, sans avoir le Père constamment associé à l'action médiatrice et rédemptri- de lieu ni de siège, ne sortant de rien et n'entrant en rien, mais ce de son Fils. Le Fils, lui, est constamment nourri par son demeurant en soi-même"230. En opposition avec le temps tou- Père et Origène pense de même du Saint-Esprit, mais n'a pas jours divisible, l'éternité (aiwv) reste en elle-même231 . Aucun trouvé de texte scripturaire qui le dise235 . Sur la question de être n'a à chercher autre chose que lui-même: sortir de soi est l'idéal d'"autarcie", l'opposition semble à peu près totale entre vain ou nécessaire. Chacun possède davantage l'être, non Origène et Plotin. quand il devient multiple ou grand, mais lorsqu'il est à lui- même: et il est à lui-même quand il tend vers lui-même. Or se diriger vers soi-même, c'est entrer dans son intériorité. Le 18. Magie et divination multiple doit tendre vers l'unité 232 . Mais si le bien d'un être PLOTIN c'est lui-même, cette phrase doit être comprise dans le sens La magie est pour Plotin une réalité. Des d'une montée vers le transcendant: l'expression "lui-même" drogues ou philtres magiques, peuvent faire perdre la conscien- signifie ce dont il est en puissance, sa forme, à la limite ce de soj236 : de même les artifices (n:xva1ç) des magiciens237. Des l'Intelligence qui contient les formes et l'Un qui engendre incantations (ènaolôaç) et autres actes de sorcellerie (yol1TdaÇ) l 'Intelligence233 . sont attribués aux gnostiques238 . Un des arguments contre l'ato- misme est que, si cette explication est vraie, il n'y a plus de pré- ORIGÈNE diction ni de divination, même pas de prédiction d'ordre tech- Cet idéal d'autosuffisance, d'être en soi, aÙT<lplŒta, n'exis- nique, puisque le hasard préside à la rencontre des atomes ; pas te guère pour Origène : le mot lui-même n'est guère fréquent, davantage de possession ni d'inspiration239 . La préoccupation de en dehors des formules par lesquelles il achève ses tomes en ne pas supprimer prédictions et divinations réapparaît plus loin disant qu'il y met fin car ce qu'il a écrit suffit pour remplir le dans le même traité240 . Plotin essaie de trouver des explications à volume. Dieu est dit ÙVEVÔEllç, le seul sans besoin, et aÙT<lp Kl1Ç, la divination, à partir de l'unité du monde qui est un vivant, une fois dans le Commentaire sur jean 234 • Mais si Dieu est monde intelligible et monde "composé", c'est-à-dire aÙTClp Kl1Ç, s'il n'a besoin de rien ni de personne, il est au contrai- monde sensible, y compris les astres, où les formes intelligibles re de celui de Plotin constamment tourné vers sa créature: informent l'"inférieur", la matière. Celui qui voit l'ensemble voit d'après le Prologue du Commentaire sur le Cantique des Cantiques : en même temps de quoi il est constitué et la providence qui est en lui et découle vraisemblablement de l'Ame du Monde. Mais 227. V, 4 (7), l, l. 12. distinguer tout cela est au-dessus des capacités de l'homme et 228. VI, 4 (22), 121. 40. 229. PLATON, Banqu.et 211 a 1. 235. Ibid. 221. 230. VI, 5 (23), 2, 1. 12. 236. 1, 4 (46), 5, 1. 2. 231. Ibid. 11, l. 6. 237. Ibid. 9, 1. 1 ss. 232. VI, 6 (34), 1,1. Il. 238. II, 9 (33), 15, 1. 2 ss. 233. VI, 7 (38), 27, l. 1 ss. ; pareillement VI, 8 (39) 13, l. Il ss. 239. III, 1 (3), 3, 1. 1 ss. 234. ComJn XIII, 34, 219. 240. Ibid. 8, 1. 1 ss. 366 367 n'appartient qu'à Dieu, probablement l'Ame du Monde ou rait-il être atteint par la magie et par les philtres? Son âme et sa l'Intelligence. Le devin ne peut dire le pourquoi, mais seulement raison sont impassibles, hors d'atteinte, mais il y a aussi en lui de le fait: son art consiste à lire les "lettres de la nature", qui mon- l'irrationnel. Des incantations, il ne pourrait souffrir que corpo- trent l'ordre sans incliner jamais vers le désordre. Cela vaut rellement, par la maladie ou la mort, en ce qui en lui est partie pour l'astrologie qui étudie les révolutions célestes, mais aussi de l'univers, mais lui il resterait sans dommage. Tout être en pour les autres formes de divination, par exemple le vol des contact avec un autre est enchanté par lui, mais on ne peut oiseaux, les entrailles d'animaux sacrifiés, etc, car les terrestres enchanter celui qui est en rapport avec lui-même 245 • Nous sont en rapport avec les célestes et signifient par analogie retrouvons l'idéal plotinien consistant à être en soi ou à soi, (clvaÀoyiq.) leur sens à ceux qui les observent. Cette analogie mais aussi le déterminisme de l'univers n'est pas aussi absolu explique aussi les autres modes de divination. Ce n'est pas que que nous pouvions le craindre plus haut. Seule la contemplation tous les êtres dépendent les uns des autres mais ils se ressem- (9Ewpia) qui représente le retour en soi-même est exempte de blent les uns avec les autres. Comme il l'a été die41 , l'analogie sortilège, car personne ne s'ensorcelle soi-même. Le raisonnable tient ensemble toutes choses et elle permet de prédire. Le rap- échappe à l'ensorcellemene46 • port qu'il y a entre les différentes parties du corps humain ou La sympathie qui explique la magie montre, selon le titre animal existe entre celles de l'univers, céleste et terrestre : c'est du huitième traité247, que toutes les âmes dans un certain sens cette analogie qui permet de prédire. Cette explication ne laisse n'en font qu'une, ou plus exactement, que nos âmes sont à la pas place à la liberté humaine, mais elle doit être conciliée avec fois une seule et distinctes, suivant un schème fréquent chez d'autres affirmations242 • On retrouvera ce que nous venons de Plotin248 • dire à propos de l'astrologie. ORIGÈNE Plotin tente d'expliquer aussi la magie, par la sympathie L'attitude d'Origène envers la magie a été bien analysée qui fait s'accorder le semblable avec le semblable, s'opposer les par Gustave Bardt49 • Pour tout dire en quelques mots, la magie dissemblables, et cela par la variété des puissances nombreuses n'est pas pour Origène sans réalité et il n'approuve pas les philo- qui existent dans ce vivant unique qu'est l'univers. La vraie sophes qui la refusent. Mais elle est l'oeuvre des démons au sens magie est le couple de l'amitié et de là. lutte 243 existant dans chrétien de ce dernier terme, c'est pourquoi le chrétien ne la l'univers. L'univers est donc le premier magicien, celui dont les pratique pas : condamnation qui retombe, nous le verrons, sur hommes se servent dans leurs philtres et leurs enchantements, l'astrologie. Mais Origène parle parfois des exorcismes dont jouant sur la puissance de cette réalité humaine qu'est l'amour. l'effet est opposé à la magie, le nom divin, celui de Jésus mettant Ils usent de figures qui ont des puissances et ils s'incorporent à en déroute les démons. Il est par ailleurs facile pour celui qui ne ces figures et à ces puissances. Ils ne peuvent agir que parce qu'ils sont eux-mêmes dans l'univers. Mais ils n'atteignent ni la 245. Ibid. 43, l. 1. volonté ni la raison, seulement l'âme irrationnelle, car la partie 246. Ibid. 44, l. 1 ss. 247. IV, 9 (8). dominante de l'âme est impassible244 • Comment le sage pour- 248. Ibid. 3, l. 1 : métaphores magiques en V, 3 (49),17, l. 15 ss. 249. "Origène et la magie", Recherches de Science Religieuse, 18, 1928, 126-142. A 241. PLATON, Timée 31c 3 et 32 c 2. propos de l'accusation de magie portée par Celse contre les miracles de Jésus 242. 111,3 (48), 6, l. 1 ss. on peut voir l'ouvrage récent de Francesco MOSETTO, 1 miracoli evangelici nel 243. EMPEDOCLE, Fragm B 17, 19-20. dibattito tm Celso e Origene. Biblioteca di Scienze religiose 76, Rome 1986, p. 49- 244. IV, 4 (28), 40, l. 1 ss. ; Ibid. 42, l. 1 ss. 58, 109-128. 368 369 comprend pas exactement le sacramentalisme chrétien de taxer 19. Les cinq sens sPirituels de mentalité magique certains passages, comme celui d'une PLOTIN homélie sur Josué 250, dont le passage qui nous intéresse est aussi Plotin emploie quelquefois pour exprimer une perception conservé en grec par la Philocalie d 'Origène251 : Bardy ne le cite que dans la version latine de Rufin. Origène s'adresse au simple spirituelle des métaphores prises aux sens corporels. Citons par chrétien tenté de se décourager dans sa lecture des Ecritures exemple l'image de la vision et des yeux spirituels: liée à elle parce qu'il n'y comprend rien et Origène l'exhorte à continuer, celle de la lumière pour signifier ce qui permet de connaître; et bien qu'il ait l'impression de ne rien en tirer. Il compare cette lec- aussi l'affirmation d'une parenté entre ce qui voit et ce qui est ture à une incantation - il s'agit dans le contexte de listes de vu, spirituellement s'entend, d'où la nécessité d'être semblable noms propres hébreux -, une incantation qui fortifie les puis- pour connaître1• On trouve aussi l'audition spirituelle. Plus fré- sances, terme désignant à la fois les facultés de l'âme et les puis- quente peut-être est l'image du toucher: "par ce qui lui est sem- sances angéliques : elle affaiblit les serpents et les vipères qui sont blable de ce qui est en nous, nous touchons Dieu, nous sommes dans l'âme. En fait, précise Bardy, "il ne s'agit pas ici de magie, avec lui et nous nous suspendons à luiS". En contraposition avec mais de piété". L'Ecriture agit sur le lecteur parce que ce dernier la pensée est "seulement le toucher et comme le contact inef- accomplit en la lisant un acte de bonne volonté qui est une prière fable et non intellectuel qui est avant la pensée, l'intelligence et qui fait de cette lecture un acte quasi-sacramentel, par lequel n'étant pas encore et ce qui touche ne pensant pas"4. Ce toucher Dieu fortifie en lui ce qui est bon et débilite ce qui est mauvais. précède la pensée en ce qu'il n'est pas marqué par l'opposition Cela concerne davantage la doctrine sacramentelle d'Origène du sujet et de l'objet, mais par une sorte d'union ou de fusion. Il que son attitude à l'égard de la magie. est aussi question de toucher intellectuellement et de ce qui est A propos de divination Origène croit, bien entendu, aux ainsi touché5. Dans le même contexte de contemplation de Dieu prophéties de l'Ancien Testament inspirées de Dieu, de même au-delà de tout discours et de toute science, l'union est aussi que les auteurs de l'Ecriture. Quant au mode de la prophétie exprimée par les verbes Ë<!>allTEOSal et SiyElv, toucher et contac- nous avons dit, à propos du libre arbitre, que l'inspiration divine ter, par la ressemblance et par la puissance qui est en soi appa- respecte la conscience et la liberté du prophète. Il accorde rentées à ce qui vient de lui6 • Mais à la différence d'Origène cependant peu d'attention à ce que l'auteur sacré apporte de Plotin ne bâtit sur cet usage métaphorique aucune théorie. lui-même, de son humanité, dans la rédaction. L'Esprit Saint est ORIGÈNE l'auteur universel de l'Ecriture. Origène néglige donc habituelle- ment les contingences humaines de l'écrivain lui-même au point Le thème des cinq sens spirituels est un des grands thèmes que suivant sa méthode d'expliquer l'Ecriture par l'Ecriture, mystiques d'Origène et on le rencontre continuellement dans comme les Grecs Homère252 par Homère, il la considère prati- quement comme l'oeuvre d'un seul auteur, l'Esprit Saine5S . XLVI (pouvoir des noms). HomNb XIII, 4, p. 267 et 271 ; 6, p. 273-274 ; XVI, l, p. 311 ; XVII, 3, p. 342. HomJos VII, 1 et 4. Hom1 R, 28. Homls VII, 3-4. 1. l, 6 (1), 9, 1. 1 ss. : cf. V, 3 (49), 10,1. 7 ss. ; ibid. 17,1. 28 ss. 250. XX, 2. 2. V, 1 (10), 12,1. 14 ss. 251. 12, SC 302, p. 386-397. 3. Ibid. 11, 1. 13. 252. Voir Bernhard NEUSCHAEFER, Origeru!s aJ.s Philologe, Schweizerische Beitrâge 4. V, 3 (49), 10,1. 41 ss. zur Altertumswissenschaft, Heft 18, Teil l, p. 276-285, Basel (Reinhardt), 1987. 5. Ibid. 17,1. 25 ss. 253. Voici les principaux textes d'Origène sur la magie et la divination: CCels l, 6; 6. VI, 9 (9), 4, 1. 26 ss. Nombreux autres exemples dans le Lexicon Plotinianum à 1,24-25; l, 67 ; IV, 83; VI, 41 et 45; VIII, 37 (sur le pouvoir des noms). ExhMart ces deux verbes et à leurs dérivés. 370 371 les homélies et les commentaires : des métaphores d'ordre sen- spirituelles. Ce ne sont là que les deux premières approxima- sible sont employées pour désigner une perception spirituelle. TI tions qui indiquent l'idéal de la connaissance mystique, la plus constitue un aspect important de ce qu'on pourrait appeler la essentielle étant celle d'une connaissance qui s'identifie avec loi d'homonymie qui essaie de rendre compte des anthropo- l'union dans l'amour lO • Nous n'insistons pas davantage sur ce morphismes bibliques : les noms des membres du corps figu- sujet que nous avons déjà traité. Origène a donc, pour la pre- rent les facultés de l'âme, de même qu'appliqués à Dieu ils mière fois dans la tradition chrétienne, théorisé le thème des représentent des puissances ou des activités de Dieu7 • Le thème cinq sens spirituels qui sera repris bien des fois après lui,jusqu'à des sens spirituels a en outre deux intentions. D'une part l'"application des sens" d'Ignace de Loyola. Mais les images l'homme a la persuasion que la connaissance sensible est une dont il l'a tiré font partie d'un langage courant aussi bien chez perception immédiate, sans intennédiaire, de la réalité : persua- les philosophes grecs que dans l'Ecriture et même chez les sion fausse, dirait avec raison un psychologue contemporain, auteurs chrétiens qui le précèdent. Théophile d'Antioche ne car l'adulte a oublié tout le travail qu'il a fait étant petit enfant parle-t-il pas des "yeux de l'âme" et des "oreilles du coeur" ? 11 pour associer et rapprocher ensemble les sensations et les attri- buer à des êtres ou à des objets indépendants et extérieurs à lui. 20. L'exégèse allégorique L'analogie de la connaissance sensible fournit donc un premier PLOTIN aspect de ce qui constitue l'idéal de la vision et du toucher spiri- tuels : l'absence d'intennédiaire, signe ou parole, s'interposant L'exégèse allégorique de mythes venant, soit de la myth<r entre le connaissant et le connu. Mais un second aspect s'y logie (Homère et Hésiode), soit de Platon, est assez fréquem- te qui commence à surmonter la dualité de sujet et d'objet et ment employée dans les Ennéades. Confonnément aux principes de l'exégèse grecque, elle y voit des vérités d'ordre philoso- approfondit dans une certaine mesure la notion de connaissan- phique, mais elle sert, semble-t-il, plus à les illustrer qutà les ce spirituelle : entre l'objet sensible et l'organe qui le perçoit, découvrir. Les termes les plus fréquemment employés sont entre la lumière et l'oeil, le son et l'oreille, etc, il Y a similitude alvl(lç, aiVlTTECJ9al 12 • et participation. Seul le semblable connaît le semblable, vieux principe platonicien : pour que l'organe connaisse l'objet il doit Les deux mythes les plus interprétés sont celui de la nais- y avoir entre eux une ressemblance. L'incorporéité de l'intelli- sance d'Eros dans le Banquet de Platon13 , avec les significations gence est ainsi prouvée par le fait qu'elle perçoit des pensées et données à Poros, Pénia, Eros, Aphrodite et au Jardin de Zeus14 , des souvenirs qui sont incorporels8 • Tous les yeux participent à et celui des trois dieux suprêmes d'après Hésiode15, Ouranos le la lumière, donc ils ont la même nature entre eux et quelque grand-père qui figure d'après Plotin l'Un, Cronos le père qui chose de commun avec la lumière qu'ils perçoivent, car sans dévore tous ses enfants sauf Zeus et représente l'Intelligence qui cela ils ne la percevraient pas9 • Cela ne les empêche pas d'être garde en elle tout l'intelligible, enfin Zeus l'Ame du Monde, rôle plus ou moins sensibles à cette perception. Tout homme a qui échoit aussi à Aphrodite16• On trouve pareillement le mythe pareillement la capacité, plus ou moins grande selon son degré 10. En dépendance de Gn 4, 1 : "Adam connut Eve, son épouse". de correspondance à la grâce divine, de percevoir les réalités 11. Ad Autolycum l, 2. 12. Voir Lexicon Plotinianum. 13. 203 b - 204 c. 7. Cf. H. CROUZEL, Origène et la "connaissance mystique", p. 258-262. 14. 111,5 (50), 2. 5. 6-9 ; III, 6 (26), 14; VI, 9 (9), 9. 8. PArch l, 1,7,211. 15. Théogonie 453 ss. 9. Ibid. IV, 4, 9 (36), 338. 16. V, 1 (10), 7 ; V, 5 (32), 3 ; V, 8 (31), 12-13. 372 373 d'Héraclès dont l'image est dans l'Hadès et lui parmi les dieux17, ORIGÈNE celui de Narcisse; non nommé, qui contemple son image dans L'exégèse allégorique joue, chez Origène, un rôle bien plus l'eau 18 , celui du fuseau des Moïres 19 . De façon isolée, le dieu considérable que chez Plotin. Mais elle a une origine toute diffé- marin Glaucos 2o , Ulysse chez Circé et chez Calypso21, Hermès rente de celle des Grecs et on ne peut la confondre non plus avec ayant l'organe de la génération toujours en activité22 , le premier celle de Philon, car elle constitue en son fond un phénomène typi- couple humain Epiméthée et Pandore2!, Lyncée voyant même quement chrétien, même si certains de ses procédés lui sont com- l'intérieur de la terre24 . muns avec celle des Grecs ou de Philon et si elle en a subi A propos de l'interprétation des mythes, on peut signa- l'influence. En effet l'exégèse chrétienne de l'Ancien Testament, ler le principe suivant posé par Plotin: "Il faut que les mythes, qui a indiscutablement sa source dans le Nouveau Testament -les s'ils le sont vraiment, divisent en divers temps ce qu'ils disent deux textes sont 1 Co 10, 1-13 et Ga 4,21-31, mais il y en et distinguent les uns des autres beaucoup d'êtres qui existent a beaucoup d'autres plus courts dans Paul, Jean et même les en même temps, divisés par leur rang ou leurs puissances, là Synoptiques - se résume dans l'affirmation que le Christ est le où les textes font naître des êtres qui ne sont pas nés, sépa- centre, la clef, l'aboutissement de l'Ancien Testament: elle consis- rent ce qui existe ensemble et, enseignant comme ils le peu- te donc à y retrouver l'image des réalités du Christ, du Nouveau vent, accordent à celui qui les a déjà compris de les réunir"25. Testament, de l'Eglise, des sacrements et de toutes les institutions Ce texte montrerait-il que les mythes ne servent pas seule- inhérentes au Christianisme. TI y a aussi une exégèse allégorique ment à Plotin d'illustration de ses doctrines, mais qu'il pense du Nouveau Testament qui peut se résumer en deux propositions : en fournir la vraie explication ? L'utilisation plotinienne des d'une part tout ce qui est dit du Christ doit pouvoir être appliqué mythes semble donc être dans la ligne de l'exégèse allégo- au chrétien; d'autre part le Nouveau Testament historique, bien rique grecque voyant en eux l'expression figurée de réalités qu'aboutissement de l'Ancien, est encore image, image de la béa- d'ordre philosophique. Mais on ne trouve guère chez lui titude eschatologique. Mais c'est une image qui accomplit déjà, l'intention qu'on met souvent à l'origine de cette forme d'exé- progressivement, la réalité qu'elle symbolise. Ce caractère, qui est gèse : répondre aux critiques de Xénophane de Colophon et à l'origine du sacramentalisme, est très net chez Origène pour qui de Platon sur l'immoralité des mythes d'Homère et d'Hé- l'"Evangile temporel", celui que le chrétien vit dans sa vie présen- siode26 . te, se distingue de l'"Evangile éternel" de la béatitude, non par l'unoo-racnc;, c'est-à-dire par la réalité, mais par l'ÈnlvOla, une maniè- 17. HOMÈRE, Odyssée A 602: IV, 3 (27), 27. 29. 32 ; l, 1 (53), 12. re humaine de voir les choses. Cette différence consiste en ce que 18. l, 6 (1),8; V, 8 (31), 1. 19. PLATON, Républiqu.e 616 c 4: l, 1 (53), 12. nous percevons ici-bas, .selon 1 Co 13, 12, "à travers un miroir, en 20. PLATON, RéPu.blique 611 c 7 - d 1. énigme" ce que nous verrons dans le monde futur "face à face". 21. HOMERE, Odyssée 1 29 ss. et K 483-484: l, 6 (1), 8. Mais Evangile temporel et Evangile éternel constituent un seul 22. III, 6 (26), 19. Evangile, l'unoo-racnc; est la même. TI n'en est pas de même pour 23. Façonnés par Prométhée qui est puni par Zeus et délivré par Héraclès : HESIODE, Les Travaux et les jours 60-89: IV, 3 (27), 14. l'Ancien Testament à qui l'expression "à travers un miroir, en 24. Fragment 9 de Cypria (Kinkel) ou d'Apollonios de Rhodes, 1, 153 - 155 : 27 énigme" n'est jamais appliquée par Origène . V,8 (31), 4. De même le Léthé, fleuve des enfers: PLATON, République 621 c 1-2 : IV, 3 (27), 26. 25. III, 5 (50), 9, l. 24 ss. 27. C'est la conclusion d'un chapitre de mon Origène et la "connaissance mys- 26. Sur tout cela F. BUFFIERE, Les mythes d'Homère et la pensée grecque, Paris tique", intitulé "L'Evangile temporel est-il image ou vérité ?" : sont étudiés là de 1956: dans l'Index au mot Plotin, surtout p. 406-409, 531-535. nombreux textes qu'il n'est pas possible de citer ici. 375 374 Comprise comme nous venons de la résumer, l'exégèse il est infini parce qu'il est un, que rien ne le limite, ne le mesure, allégorique tant de l'Ancien que du Nouveau Testament est un ne le nombre, et il ne se limite pas lui-même parce qu'alors il point fondamental, non seulement de la théologie d'Origène, serait deux. Il n'a ni figure ni forme ni parties. mais de la théologie chrétienne tout court. Si la Révélation est pour percevoir cette vérité il faut dépasser le sensible qui ne avant tout la personne du Christ, Verbe de Dieu fait homme, voit que des grandeurs corporelles : autrement on est privé ou Verbe, c'est-à-dire Parole, donc Dieu parlant aux hommes, et si désert de Dieu sans pouvoir participer aux réalités la Bible n'est révélation que par rapport à lui, parce qu'elle nous sacrées de là-haufl. L'Un est le plus grand, non par la grandeur parle de lui, l'Ancien Testament n'est tout entier révélation que mais par la puissance, de sorte que celui qui n'a pas de gran- si tout entier il parle du Verbe. L'exégèse allégorique d'Origène deur est grand en puissance. Son infinité n'est pas dans le fait ne se comprend en outre que dans un contexte de vie spirituelle qu'on ne peut le mesurer en grandeur ou en nombre, mais elle et bien des incompréhensions qui se sont manifestées à son est dans l'impossibilité de contenir sa puissance. Il est plus que sujet viennent de ce que ce point n'est pas perçu28 • tout ce que l'on peut imaginer de luilJ2 • On ne peut parler de nombre infini, car rien de sensible 21. L'infini n'est infini et le nombre s'applique au sensible: on ne saurait PLOTIN nombrer l'infini. Le nombre définit tout ce qu'il nombre. Il est L'infini, l'a1lEtpov, a au moins une fois chez Plotin un sens toujours possible, certes, de reprendre la numération et d'ajou- négatif et péjoratif: il est alors identifié avec le mal qui se trouve ter une unité à un nombre. Mais il s'agit là d'un nombre abstrait dans ce qui est non-être, ou mélangé au non-être ou commu- et non d'un nombre nombrant des êtres. Dans l'intelligible tous niant au non-être. Ces expressions désignent le sensible et tout les êtres sont en nombre défini. Mais il est possible de voir dans ce qui en dépend. C'est le sans mesure, le sans limite, le sans un homme une multiplicité en distinguant en lui des aspects ou forme (avdBeov), suivant le sens plotinien de forme qui est l'intel- des qualitéslJlJ • ligible. C'est ce qui est toujours déficient, non défini, sans solidi- ORIGÈNE té, capable de tout subir, insatisfait, pauvreté complète. Tous ces Le mot anelpoç, traduit plusieurs fois par Rufin en infinitus, manques ne sont pas des accidents, mais comme son essence : il s'agit de tout ce qui participe au mal en soi, la matière 29. a parfois un sens approximatif pour désigner un grand nombre: on le trouve aussi rendu par innumerabilis. Ainsi: "innombrables Dans les autres cas l'anelpov a un sens' positif. L'Un-Bien (anelpol) sont les âmes et innombrables (aTŒlpa) leurs carac- n'est pas limité, puisque rien ne peut le limiter. Mais il n'est pas tères"lJ4. Ou bien, selon un fragment de Jérôme, Origène veut non plus illimité ou infini comme le serait une grandeur : c'est parler infinita cautione, avec une précaution infinielJ5 • Une autre sa puissance qui possède l'infinité. Il n'y a en lui aucun manque fois il est fait allusion à des fabulas infinitas, des fables sans fin, tra- puisque c'est par lui qu'existent les êtres En ce sens duisant anepavToÀoyiav lJ6 • Ou Origène parle de siècles infinis, 28. Sur l'exégèse d'Origène: Henri de LUBAC, Histoire et Esprit: L'Intelligence 31. Ibid. 11, 1. 1 ss. rk l'Ecriture d'après Origène, Paris (Aubier), 1950. Sur l'exégèse allégorique chr& 32. VI, 9 (9), 6, 1. 7. tienne en général, Manlio SIMONETI1, LeUera e/o Allegoria: un contributo alla 33. VI, 6 (34), 2, 1. 1 Ss. Nous n'insistons pas sur les spéculations difficiles à storia rkll'esegesi patristica. Studia ephemeridis "Augustinianum" 23, Roma- (Inst. suivre sur l'ùm:lpta qui se trouvent Ibid. 3, 1. 1 ss. Patrist. "Augustinianum ft) 1985. 34. PArch III, l, 14,401 (560). 29. 1,8 (51),1. 1 ss. 35. PArch dans SC 253, 201 note 16 correspondant à II, 8, 3, 106. 30. V, 5 (32), 10,1. 18. 36. PArch IV, 3, 2, 65 (73). 376 377 exprimant ainsi l'éternité comme un temps sans commence- ce qui concerne la matière. Les créatures raisonnables ont donc ment ni fin s7 • Les temps sont dits anElpolss et les nombres aussis9 : été créées par Dieu au début, c' dans la préexistence, pour eux c'est plutôt la catégorie de l'indéfini qui convient que suivant un nombre déterminé, car un nombre infini d'êtres celle de l'infini, mais Origène connaissait-il une telle distinction ? existant en même temps ne pourrait être compris ni gouverné Quand le Seigneur dit qu'il faut pardonner à son frère jusqu'à par la providence divine. A ce texte correspond un fragment de soixante-dix-sept fois sept fois, il exprime par là TO anElpov TTiÇ Justinien reproduit deux fois: plus complètement dans le corps àVE(n:mc:laç, l'infinité, ou mieux l'indéfinité du support du mal. de la Lettre à Ménas, partiellement dans le florilège de passages Mais le problème de l'infini va être traité plus directement scandaleux qui la suivent. Voici le texte de la lettre, le plus com- trois fois dans le Peri Archon et une fois dans le Commentaire sur plet : "(disant que) dans le début tel qu'on se le représente Dieu Matthieu. Examinons ces passages l'un après l'autre. D'abord II, a donné l'existence par sa volonté à un nombre d'essences intel- 9, 1 suivant Rufin : "Il faut penser que dans ce début Dieu a fait ligentes tel qu'il pouvait y suffire. Car il faut dire que la puissan- les créatures raisonnables ou intellectuelles ... suivant un nombre ce de Dieu elle-même est limitée et il ne faut pas, sous prétexte qu'il a estimé pouvoir suffire. Il est certain qu'il les a faites sui- de bien parler d'elle, supprimer ses limites. Car si la puissance vant un nombre qu'il avait défini d'avance en lui-même; il ne de Dieu était infinie (anElpoç), elle ne pourrait même pas se faut pas penser, comme certains, que les créatures sont en comprendre elle-même: car l'infini est par nature inconcevable. nombre infini, car là où il n'y a pas de fin, il n'y a pas de possibi- Il a créé par conséquent autant d'êtres qu'il pouvait en embras- lité de compréhension ni de détermination. S'il en était ainsi, ce ser, les avoir sous la main et les maintenir sous sa providence; et qui a été fait ne pourrait être envisagé dans son ensemble ni être il a fabriqué pareillement autant de matière qu'il pouvait en gouverné par Dieu. Car ce qui est infini par nature est incom- ordonner"42. Plusieurs indices que nous avons étudiés dans le préhensible. En outre, comme le dit l'Ecriture, Dieu a créé commentaire de ce passage joint à notre édition du Traité des toutes choses avec nombre et mesure 40 et c'est pourquoi le Principes montrent que ce texte n'est pas exactement celui nombre s'adaptera bien aux créatures raisonnables ou intelli- d'Origène, mais qu'il a été abrégé et peut-être plus ou moins gences créées en quantité convenable pour pouvoir être gouver- interprété. Il ajoute à celui de Rufin cité plus haut - Rufin a nées, régies et entourées par la providence de Dieu. En vérité la peut-être lui aussi atténué certaines· expressions - l'idée que la mesure s'appliquera bien à la matière corporelle: il faut croire puissance de Dieu est elle-même limitée, car si elle ne l'était pas en tout cas qu'elle a été créée par Dieu en quantité suffisante Dieu ne pourrait se comprendre. pour pouvoir suffire selon les plans divins à l'ordonnance du Un second texte, selon Rufin, veut montrer que "le nlonde. Ainsi faut-il penser que tout cela a été créé par Dieu au monde a eu un commencement et espère une fin "4S : "Si quel- début, avant toutes choses"41. Laissons pour plus tard qu'un s'oppose sur ce point à l'autorité des Ecritures et à la foi, nous lui demanderons si Dieu, selon lui, peut comprendre 37. PArch III, 1, 13, 353, traduit en 488 "quod immortale et aetemum est". Voir III, 6, 6, 168 : "infinitis et immensis labentibus saeculis". De Jérôme SC 269, 51, toutes choses ou non. Dire qu'il ne le peut pas est manifeste- note 130, correspondant à III, 1, 23 : "in infinitis perpetuisqlle saec1l1is in quibus ment impie. Mais s'il répond, comme c'est nécessaire, que Dieu anima subsistit et vivit" ; chez Rufin, ibid. 1024 : "in multis et sine fine spatiis per comprend toutes choses, il s'ensuit que, du fait même qu'elles immensa et diversa saecula ". 38. ComMt XIII, 1, 174, 18. peuvent être comprises, il faut entendre qu'elles ont un début 39. ComJn (Philoc) V, 5, 380, 16. 40. Sag Il, 20. 42. Dans SC 253, 211-213, note 2. 41. PArch II, 9, 1,9. 43. PArch III, 5, 1, 46. 378 379 et une fin. Car ce qui n'a absolument pas de début ne peut pas de connaissance qui atteigne toutes choses comme si toutes du tout être compris. Quelle que soit en effet l'extension que choses étaient infinies"5O. peut prendre l'intellect, la possibilité de comprendre se dérobe Il est donc certain que pour Origène il ne peut y avoir un et s'éloigne sans fin là où il n'y a pas de commencement"44. Ce monde infini, car il serait incompréhensible, et par Dieu lui- texte s'applique uniquement au monde sensible comme le même, soit qu'il s'agisse d'un monde infini existant ensemble au montre tout ce qui le précède, non aux créatures raisonnables même moment, soit d'un monde qui existerait sans fin. Mais est- qui, si elles ont eu un commencement45, n'auront pas de fin.·Il ce Origène qui a lui-même dit explicitement que la connaissance ne parle pas de créatures en nombre infini qui subsisteraient de Dieu est limitée ou est-ce une interprétation des moines ensemble, mais d'un monde qui existerait indéfiniment. palestiniens anti-origénistes qui ont réuni le dossier soumis à Le troisième texte n'est pas chez Rufin: il peut seulement l'empereur Justinien? Il est difficile de se prononcer car les se raccrocher chez lui aux phrases suivantes: "(Dieu) a fait ainsi interprétations qui vont plus loin que ce qu'a écrit Origène lui- toutes choses avec nombre et mesure46 : rien en effet n'est pour même ne sont pas rares dans les dossiers accusateurs de Jérôme, Dieu sans limite et sans mesure"47. C'est de nouveau un frag- Théophile ou Justinien. Cette même opinion se trouve dans la ment de Justinien: "Que personne ne se scandalise de cette Lettre Pascale de Théophile d'Alexandrie en 402 selon la traduc- parole si nous mettons des limites même à la puissance de Dieu. tion latine qu'en a donnéJérôme51 : mais il est difficile de dire si, Car concevoir l'illimité est impossible par nature. Une fois selon Théophile lui-même, Origène a tenu explicitement que la admis que sont limités les êtres que Dieu lui-même embrasse, il puissance de Dieu est limitée ou si c'est une conséquence tirée faut qu'il y ait une limite à la quantité d'êtres finis auxquels il de l'affirmation qu'un monde infini serait inconnaissable pour pourvoit"48. Dieu lui-même. D'autre part si Jérôme a traduit la lettre de Enfin, dernière pièce à verser au dossier, un passage du Théophile qui présente cela, on ne trouve pas cette opinion Commentaire sur Matthieu , écrit conservé en grec, sans être, dans la Lettre 124 à du même Jérôme qui recense minu- comme les fragments de Justinien, tiré d'un recueil de textes tieusement et dans l'ordre même du livre toutes les hérésies que prétendûment hérétiques : "Encore, à ceux qui osent prétendre Jérôme a cru y trouver. que le monde ne sera pas corrompu, nous dirons que, si le On pourrait d'autre part opposer à l'affirmation que la monde ne se corrompt pas mais reste indéfiniment (dç anelpov) puissance de Dieu est limitée plusieurs passages du Contre Celse: on ne pourra dire que Dieu connaît toute chose avant qu'elle ne Dieu surpasse d'une "supériorité infinie" (àndp<t> unep oxij)52 soit produite49 • Mais s'il en est ainsi il connaîtra individuellement toute la nature créée : il est question aussi d'''une supériorité (àva llÉpoç) chaque chose soit avant qu'elle ne soit produite, soit Certes, il n'est pas impossible qu'il y ait eu une évo- les unes et après elles de nouveau les autres; car ce qui est infini lution dans la pensée d'Origène entre le Peri Archon, une de ses ne peut par nature être compris par une connaissance qui limite premières oeuvres, le Commentaire sur Matthieu et le Contre Celse, naturellement ce qu'elle connaît. Il s'ensuit qu'il ne peut y avoir écrits dans les dernières années de sa vie, bien que sur la plupart des points une telle évolution soit peu perceptible. 44. Ibid. III, 5, 2, 48. 45. Ibid. II, 9, 2, 31. 46. Sag 11, 20. 50. ComMt XIII, 1, 176, 15. 47. PArch IV, 4, 8, 305. 51. JEROME, Lettres 98, 17. 48. SC 269 p. 262-263, note 63. 52. CCeis III, 75, 12. 49. Dan 13,42 (Suzanne). 53. Ibid. V, 11, 21. 381 380 Quoi qu'il en soit donc de cette opinion sur Dieu il reste morts s'inscrivent dans l'ordre de la nature et pour cela n'ont que pour Origène le monde sensible ne peut être infini ni dans rien de terrible, comme au théâtre9 • l'espace ni dans le temps, sous peine de n'être plus intelligible. Il y a sur ce point opposition entre Origène et Plotin. Cela suppo- ORIGÈNE10 se-t-il que la puissance de Dieu ne soit pas infinie ? Pas nécessai- La mort, selon Origène, est dominée par la doctrine des rement, car on ne comprend pas comment il pourrait y avoir un trois sortes de morts, correspondant à la distinction stoïcienne autre infini à côté de Dieu. du bien, du mal et de l'indifférent: à la vie vertueuse corres- pond la mort au péché qui est bonne ; la mort du péché est 22. Mort et Vie mauvaise; la mort "physique" ou "commune" est indifférente en elle-même, bonne ou mauvaise selon qu'elle est accompa- PLOTIN gnée de l'une ou de l'autre des deux autresll • La mort physique La mort est définie classiquement par la séparation de est définie, comme chez Plotin, par la séparation de l'âme et du l'âme et du corps. Le courage (àvôpia) consiste à n'en avoir pas corps: elle tient au caractère composé de l'être humain, car tout peur. Ne la craint pas celui qui aime être seul. Les principales composé est dissociable, mais elle atteint seulement le corps ter- vertus sont dans ce mépris des choses d'ici-bas l • La mort est pré- restre et non l'âme. Bien qu'indifférente en elle-même elle est férable à la vie dans le COrpS2. Que la mort soit liée au corps, à la cependant en rapport avec la mort du péché, puisque c'est à la matière et au mal apparaît lorsqu'il est question de l'âme impu- suite de la chute que le corps éthéré ou étincelant de l'intelligen- res, "pétrie avec le COrpS"4 ou encore "pétrie avec beaucoup de ce préexistante a revêtu une qualité terrestre et mortelle, qui mal" et, dans la même phrase que cette dernière citation, "mêlée n'est pas mauvaise en elle-même puisqu'elle a été créée par à beaucoup de mort"5. La vie est un bien, certes, mais elle est Dieu, mais qui est liée au péché parce que sa création a suivi la estropiée chez le méchant, parce qu'elle est jointe au mal. Mais faute et qu'elle rend possible la tentation de l'âme par le sen- si la vie et l'âme survivent à la mort, cette dernière ne serait-elle sible. Mais une liaison inverse unit la mort au péché à la mort pas un bien, le bien d'une âme non assujettie au corps? Il n'y a rédemptrice du Christ, à celle du martyr qui l'imite et même à la aucun mal pour l'âme qui a conservé sa pureté: dans le cas mort ordinaire du chrétien vécue avec les sentiments du marty- contraire ce n'est pas la mort qui est un mal pour elle, mais la re : ces deux dernières participent à la valeur rédemptrice de la vie. La vie est l'union de l'âme et du corps,la mort leur sépara- mort du Christ. C'est ainsi que la mort "indifférente", consé- tion. C'est la vertu qui donne à l'âme le bien, non la vie avec le quence du péché, peut cependant racheter du péché. COrpS6. Mais l'âme aussi meurt quand, plongée encore dans le corps, elle s'enfonce dans la matière et s'en remplie. Il vaut En opposition avec les trois sortes de morts se trouvent les mieux mourir que vivre contrairement aux lois de l'universB• Les trois sortes de vies: la "vraie vie", vie surnaturelle, participation au Christ qui est la Vie, opposée à la mort du péché; la vie dans 1. l, 6 (1), 6, l. 9 ss. : cf. II, 9 (33), 18,1. 41 ss. le péché qui s'oppose à la mort au péché et coïncide avec la 2. 1,4 (46), 7, l. 25. 3. PLATON, Phédon 66 b 5. 9. Ibid. 15, 1. 43. 4. 1,2 (19), 3, l. 12. 10. Nos différents articles sur ce sujet ont été réédités dans Les fins dernières 5. l, 6 (1), 5, l. 34 et 36: cf. VI, 6 (34), 18, l. 13. selon Origène, Variorum (Aldershot), 1990, avec leur pagination primitive: dans 6. l, 7 (54), 3, 1. 2 ss. les notes suivantes nous donnons seulement la référence aux revues qui les ont 7. l, 8 (51), 13, l. 21. publiés la première fois. 8. III, 2 (47), 8, l. 46. Il. L'exposé le plus complet est dans EntrHer 24-27. 382 383 mort du péché ; enfin la vie physique, indifférente en elle-même, enveloppe corporelle dont nous avons déjà parlé en montrant susceptible de recevoir la vie surnaturelle ou de s'abîmer dans la que le corps est pour Origène la caractéristique de toute créatu- mort du péché. n y a en outre deux sortes d'immortalités bien re, seule la Trinité étant sans COrpS16. Il va sans dire que dans ses distinguées par Origène, une immortalité de nature et une autres textes, spécialement dans les homélies prêchées devant immortalité de grâce. La première appartient à toute âme le tout-venant des chrétiens de Césarée ou de Jérusalem, Ori- humaine et est fondée sur plusieurs arguments exposés plus gène ne s'embarrasse pas de telles considérations et présente haut. La seconde est l'impeccabilité, elle rend indemne de la comme incorporel l'état de l'âme entre mort et résurrection. mort du péché: privilège de l'âme humaine du Christ, dans sa Le passage cité par Méthode vient probablement d'un des deux préexistence, dans sa vie terrestre et dans sa vie bienheureuse, le livres perdus Sur la Résurrection qui figurent parmi les pre- juste s'en approche ici-bas dans la mesure de son union au mières oeuvres d'Origène17. Christ, sans parvenir cependant à l'impeccabilité absolue; mais dans la résurrection le Christ devenu le "vêtement de l'âme" lui 23. Toutes les âmes n'en sont qu'une seule confèrera cette immortalité de grâce que l'âme, devenue elle- même le "vêtement du corps" parce qu'elle lui aura communi- PLOTIN qué sa propre immortalité de nature, lui transmettra de même 2• Tel est le titre du huitième traité (N, 9 (8». Cette affirma- tion, comme nous allons le voir, n'est pas à prendre dans un sens La doctrine de la résurrection distingue évidemment strictement moniste, car si dans un sens toutes les âmes n'en Origène de Plotin : là où Plotin suppose pour les meilleurs une font qu'une seule, dans un autre elles n'en sont pas moins dis- immortalité incorporelle dans l'intelligible avec l'Ame du tinctes : elles sont l'un et l'autre à la fois. Monde, pour les moins bons des réincarnations successives, Origène a tout un enseignement conforme à l'eschatologie du En chaque vivant il y a une âme unique, mais qui se trouve Christianisme avec purification eschatologique, résurrection entière en chaque partie du corps. Si on considère le monde pour la béatitude ou pour la damnation. Les critiques soulevées comme un unique vivant, on peut se demander si toutes les contre la doctrine origénienne du corps ressuscité et continuel- âmes qui se trouvent dans les vivants ne forment pas une seule lement répétées dépendent principalement d'un contresens de âme. Toutes viennent de l'âme de l'univers. Si on prend cela son premier détracteur, Méthode d'Olympe, dans son écrit strictement, il faudrait montrer que les sensations de l'un sont Aglaophon ou De la Résurrection lS • Mais un texte d'Origène, cité perçues par les autres, que si quelqu'un est bon les autres le sont par le même Méthode 14 et conservé par Photios15 , faisant écho à aussi, etc, donc qu'il y a chez tous les mêmes sentiments. la doctrine méso-platonicienne du "véhicule de l'âme", suppose Comment donc y aurait-il des âmes raisonnables et d'autres sans raison, dans les animaux et dans les plantes ?18 Mais l'unité des que l'âme conserve entre mort et résurrection une certaine âmes n'entraîne pas celle du composé humain chez tous. De là les différences entre les sensations, car les corps ne sont pas les 12. PArch II, 3, 2, 52. Voir "Mort et immortalité chez Origène" Bulletin de Littérature &clésiastique, 79, 1978, 19-38.81-96. 181-196. mêmes et dans le corps lui-même la douleur est localisée dans 13. Voir "Les critiques adressées par Méthode et ses contemporains à la doctri- ne origénienne du corps ressuscité", Gregorianum, 53, 1972, 679-716, et "La 16. "Le thème platonicien du "véhicule de l'âme", Didaskalia, 7, 1977, 225-237. doctrine origénienne corps ressuscité", Bulletin de Littérature Ecclésiastique, 17. Principaux textes sur les trois sortes de morts: ComJn XIII, 22, 139 ; XX, 81, 1980, 175-200.241-266. 39,363 ss. FragmMt 209. ComRm VI, 6,1068 A; VI, 14, 1102 C. HomNb XII, 14. Dans GCS (Méthode), Aglaophon III, 17. 3, p. 250. 15. Bibliotheca, 234, 300 B. 18. IV, 9 (8), l, l. 1 ss. 384 385 un organe sans que les autres la perçoivent. Il est des sensa- même temps elle ne se donne pas à elle, elle peut se donner à tions si petites que d'un membre elles ne parviennent pas aux tout et cependant ne pas se diviser. La science de même forme autres. Certes il y a une sympathie au sens étymologique du une unité, et est présente en chacune de ses parties; la semence terme, une compassion, une communauté de sensation, dans est un tout et elle contient toutes ses parties. On peut objecter tout le corps, mais cela ne correspond pas nécessairement à une cependant que dans la science la partie n'est pas le tout, car le impression sensible. La vertu dans l'un et le vice dans l'autre tout n'est dans la partie qu'en puissance et de manière latente22 • peuvent se comprendre, car la vertu peut être en mouvement Ce qui a été dit de l'âme peut aussi être affirmé de l'intelli- chez l'un, immobile dans l'autre, et le vice pareillement. L'unici- gence. Elle est à la fois commune à tous car elle est indivisible, té de toutes les âmes n'est pas telle qu'il n'y ait pas aussi plurali- une et toujours la même; et propre à chacun qui l'a tout entière té : les âmes sont à la fois une seu1e âme et des âmes mu1tiples19• dans la première âme, vraisemblablement l'Arne du Monde. Les La raison montre que nous sommes dans une certaine idées ou fonnes (dBn), nous les avons de deux façons, dans l'âme mesure en sympathie les uns avec les autres: souffrances et joies en tant que développées et séparées, dans l'intelligence toutes communes, influence des actes magiques. Quant au fait qu'il y ensemble. Dieu, nous l'avons "comme véhiculé par la nature ait des âmes raisonnables, des âmes non raisonnables et d'autres intelligible et par la vraie substance", l'Intelligence. Nous qui purement végétatives, il se reproduit dans l'être humain où la sommes les troisièmes - en tant que contenus dans l'Ame du sensation, la raison ou la puissance végétative ne se trouvent pas Monde -, nous sommes fonnés d'une partie indivisible qui vient également en tous les organes20 • Mais comment toutes ces âmes d'en haut et d'une partie qui se divise selon les COrpS2S, se donne viennent-elles d'une seule? Cette seule âme se divise-t-elle ou aux dimensions du corps, selon la nature de chaque vivant, alors reste-t-elle entière, tout en produisant de nombreuses âmes ? que dans tout l'univers elle est une. Ou bien on l'imagine pré- Pour que l'âme unique se soit divisée il faudrait qu'elle soit un sente aux corps en les éclairant et en en faisant des vivants, non corps. Si elle avait toutes ses parties semblables (homéomères), à partir d'elle-même et du corps, car elle reste en elle-même et toutes les âmes seraient homogènes, formeraient une seule donne d'elle des images : dans ce cas les âmes telles qu'elles se espèce. C'est dire qu'une seule et même âme se trouve dans les manifestent dans les corps sont des images de l'âme unique ; corps et qu'avant cette âme qui est en beaucoup il y a une autre c'est comme un visage qui se reflète dans des miroirs multiples. âme qui n'est pas en beaucoup, d'où découle celle qui est en La première image est la sensation qui se trouve dans l'en- beaucoup et est l'image partout répandue de l'unique âme origi- semble âme-corps : ensuite toutes les espèces d'âmes provenant nelle : comme un seu1 sceau imprimé sur plusieurs morceaux de toujours l'une de l'autre; elles aboutissent à l'âme qui engendre, cire. Mais cela supposerait que l'âme soit considérée comme à la qui fait croître, qui produit autre chose que soi 24. fois incorporelle et corporelle. L'âme est incorporelle et sub- La responsabilité de l'âme dans l'action de l'homme est stance (oùcrla)21. Le problème se pose donc de nouveau: ou l'objet de deux affirmations apparemment contradictoires. l'âme unique est tout entière-en toutes, ou de cette âme tout Plotin la dit en effet exempte de toute responsabilité sur le mal entière et une, restant immobile, viennent des âmes multiples. que fait l'homme, car ce dernier est l'oeuvre de l'ensemble âme On peut dire qu'elle se donne à une multiplicité, mais qu'en et corps. Mais si l'opinion et la réflexion incombent à l'âme, 19. Ibid. 2, l. 1 ss. 22. Ibid. 5, l. 1 88. 20. Ibid. 3, l. 1 88. 23. PLATON, Timée, 35 a 1-3. 21. Ibid. 4, l. 1 S8. 24. 1, 1 (53), 8, l. 1 8S. 386 387 comment serait-elle sans faute? Une opinion fausse engendre que l'intelligence agit sur nous : elle est alors une partie de go bien des maux et le mal suppose que nous sommes vaincus par nous et nous montons vers elle • la concupiscence, la colère ou une image fausse : ou par l'imagi- De même que, nous l'avons vu, l'âme individuelle est à la nation entraînant un raisonnement faux qui n'a pas attendu le fois un tout et partie d'un tout, de même est l'homme dans ce jugement de la raison, suivant que nous avons été touchés ou tout qu'est le mondeg1 • Il est question dans le passage que nous non par l'Intelligence ou par l'intelligible qui est en elle, ou par étudionsg2 du soufIle (nvEÜI-l0) qui entoure l'âme: allusion à la celui qui est en nous. Il faut donc distinguer en nos actes ce qui doctrine méso-platonicienne de l' 0XTlJ-l<lgg. Dans le traité contre les est commun à l'âme et au corps et ce qui n'a pas besoin du Gnostiques (II, 9 (33), Plotin distingue dans l'âme humaine plu- corps et est propre à l'âme. Il y a dans tout ce passage une dis- sieurs degrés :. "De notre âme ceci est toujours auprès des êtres tinction entre ce qui est de l'âme seule, qui ne serait pas respon- d'en haut, cela avec ceux d'ici-bas et autre chose au milieu". La sable, et ce qui est du composé âme-corps - où se trouverait la nature étant une avec des puissances multiples tantôt se porte culpabilité25 • toute au meilleur d'elle-même et de l'être, tantôt ce qui est infé- Que représente le mot "nous", l'âme seule ou l'âme avec rieur en elle est tiré vers le bas, entraînant avec lui sa partie le corps que Plotin appelle "la bête vivifiée" (9Tlpiov C<t>w9Év). moyenne ; mais il n'est pas permis de tirer vers le bas la totalité L'''homme véritable" (6 ô' àÀTl9i,ç av9pwnoç) est le premier: il a de l'âme. Et cette passion lui arrive parce qu'elle n'est pas restée les vertus qui sont dans la pensée et ont leur fondement dans dans le meilleur. Est restée dans le meilleur l'âme qui, après avoir l'âme séparée du corps, même si elle est encore ici-bas. Les donné au corps tout ce qu'elle devait, persiste dans la contempla- autres vertus qui ne tiennent pas à la pensée, venues de l'habitu- tion de ce qui est au-dessus d'elleM • Cette âme supérieure qui est de ou de l'exercice (de l'ascèse, acnc:TlcJlç) appartiennent au com- toujours en haut explique probablement que Plotin dise de l'âme posé âme-corps. Les amitiés viennent soit du composé soit de qu'elle n'a pas de responsabilité dans la faute. Elle communique l'''homme intérieur" (TOÜ EVÔOV àv9pWnou)26. Cette âme supérieu- sa lumière à ce qui est après elle. Si le Bien ne se communiquait re se dégage lentement chez l'enfant de ce qui tient du composé pas il ne serait pas le Bien : de même pour l'Intelligence et pour et même les adultes n'utilisent pas toujours ce qu'ils possèdent. l'Ame. Tout ce qui est parfait engendreg5. Qu'en est-il des bêtes (9Tlpio) si ce sont des âmes d'hommes qui ont péché ?27 Qu'en est-il aussi des châtiments qui suivent le ORIGÈNE péché, dans le cas de la thèse qui donne à l'âme l'impeccabilité On trouve chez Origène assez fréquemment le même jeu et la simplicité? Plotin tente de répondre à ces questions. Il trou- du duel ou multiple et de l'un qui le tient, comme Plotin, à l'écart ve une certaine vérité dans ce qu'Homère dit d'Héraclès28 : son de tout monisme comme de tout dualisme absolu. Plusieurs pas- image, correspondant au composé, est dans l'Hadès, pendant sages peuvent être cités, notamment lorsque dans l'Entretien avec qu'il se trouve parmi les dieur'. L'acte de l'intelligence (VOTlCJlç) Héraclide, après avoir fait reconnaître par l'évêque de ce nom, est de nous parce que l'âme est intelligente (voEpa) et l'acte de l'intelligence est une vie meilleure, quand l'âme comprend et 30. Ibid. 13, l. 1 ss. 31. II, 2 (14), 2, l. 3 ss. 25. Ibid. 9, l. 1 ss. 32. Ibid. l. 21. 26. Ibid. 10, l. 1 ss. 33. Allusions au 1tVEùt,UX chez Plotin, voir Lexicon Plotiniantlm à ce mot. Ces 27. Ibid. Il, l. 1 ss. textes sont en partie critiques, visant la doctrine stoïcienne du nVEÙlJ.<l. 28. Odyssée À 602. 34. II, 2 (14), 2, l. 4. 29. l, 1 (53), 12, l. 1 ss. 35. Ibid. 3, 1. 1 ss. 388 389 soupçonné de monarchianisme, que le Père et le Fils sont à la se. Réciproquement plus cette dernière progresse dans les vertus fois deux et un, il donne comme exemple l'homme et la femme sponsales, plus l'Église y progresse. La manière dont Origène qui doivent former une seule chairs6, le juste qui sera un seul représente l'unité des âmes dans l'Eglise et l'unité des unes et de esprit avec le ChristS7, le Christ et le Père qui sont un seul DieuSB • l'autre avec le Christ par la métaphore du mariage est plus per- Une pareille unité et dualité existent entre le Verbe et l'âme humai- sonnaliste que celle de Plotin. ne qu'il s'est adjointe et elles sont si fortes que tout ce qui est dit La notion de sympathie ne semble pas avoir été très uti- du Dieu est appliqué à l'homme et réciproquement, ce qu'on lisée pour elle-même par Origène et l'emploi des mots appellera plus tard la "communication des idiomes"S9, et que oUliTla9Ela, OUliTla91k, oUliTla9E1V n'est pas fréquent, en dehors l'âme du Christ, bien qu'elle soit une âme comme les autres, pos- du sens d'avoir pitié. Mais celle de participation, liETéXE1V, sède substantiellement, comme la Trinité, tout ce qu'elle a et est liETa8186val, ou exprimée aussi par d'autres absolument impeccable40 • Evidemment cette unité dans la dualité verbes, est continuelle et a pour source la création de ne se produit pas selon le même aspect dans chacun des l'homme - et de l'ange - suivant l'Image de Dieu, le Verbe. exemples pris. L'union du Père et du Fils n'est pas du même Elle ne joue pas seulement verticalement, de Dieu ou du genre que celle du Fils avec son âme, cela va de soi, et Origène, Verbe aux hommes, mais horizontalement, d'homme à pour qui cela allait de soi, ne s'est pas toujours donné la peine de homme, y compris l'homme assumé par le Verbe, et nous le préciser, notamInent dans un passage du Traité des Principes41 sommes alors très proches de la notion de sympathie, créée qui a soulevé le scandale de Théophile d'Alexandrie42 • par leur ressemblance commune à la divinité. On peut citer dans ce sens les considérations sur l'immortalité de l'âme qui Nous avons déjà exposé, en recherchant ce qui corres- clôturent le Traité des Principes: "Tout être qui participe à pond plus ou moins chez Origène à l'Ame du Monde, de Plotin, quelque réalité est sans aucun doute d'une seule substance et le thème du mariage mystique selon lequel à l'Epoux, le Christ, d'une seule nature avec tout autre être participant à la même s'unit une Epouse, entendue, soit au sens collectif, de l'Eglise, réalité". Le premier exemple est emprunté aux sens corpo- soit au sens individuel, de l'âme fidèle. Tant le Commentaire et les rels, yeux ou oreilles, qui participent tous, selon des degrés divers deux Homélies sur le Cantique des Cantiques où le thème du maria- d'acuité, à la lumière ou aux sons et, de là, Origène passe aux ge mystique est traité pour lui-même, que 'les nombreuses allu- intelligences participant à la lumière intellectuelle pour affir- sions qu'on trouve aussi dans toute l'oeuvre, montrent que le mer la connaturalité spirituelle de l'homme avec les "puis- passage du collectif à l'individuel et réciproquement semble à sances célestes", c'est-à-dire angéliques, puisqu'ils participent Origène tout naturel et ne crée aucun problème. C'est parce tous à cette lumière; et de là son raisonnement monte à la qu'elle est membre de l'Eglise-Epouse que l'âme fidèle est épou- participation de l'homme et de l'ange à cette lumière spiri- 4s tuelle elle-même, c'est-à-dire aux trois personnes divines • 36. Gn 2, 24. Certes de même que selon ce texte il y a du plus et du moins 37.1 Co 6,17. 38. EntrHer 1-4. dans l'acuité visuelle ou auditive, il en est de même dans la 39. PArch II, 6, 3, 159. perception de la lumière de Dieu. Si ceux qui sont devenus les 40. Ibid. II, 6, 5-6, 159 . démons parce qu'ils ont refusé leur relation à Dieu ont 41. Ibid. IV, 4, 4, 126 et 146. perdu, selon l'expression fréquente d'Origène, la compréhen- 42. Lettre Pascale de 402 : en traduction latine Lettre 98 de la correspondance deJérôme, § 16. Les deux passages visés sont conservés en grec par THEODO- RET de Cyr dans l'Eranistes: voir SC 269, p. 251-254, notes 31 et 34. 43. PArch IV, 4, 9-10, 38. 390 391 sion de ce qui concerne l'ordre du salut4\ à des degrés divers tion de la mort de l'esprit"49. Ici-bas le nveùJ.1O n'est jamais ôté au d'ailleurs car tous les démons n'en sont pas au même point, il en pécheur et il lui reste comme une possibilité de conversion. Dans est de même de l'homme pécheur qui, par suite de son péché, l'eschatologie seule il lui sera enlevé : si le juste ressuscite avec les perd plus ou moins ce qu'on peut appeler le sens du spirituel45 . trois éléments de son être, le mauvais est "coupé en deux", Un des trois éléments de l'anthropologie trichotomique selon le terme étonnant employé par Matthieu et par Luc50, est exempt de toute responsabilité dans le mal que commet ÔlXoT0J.1nOEl, pour exprimer l'action du maître de retour qui l'homme: c'est "l'esprit qui est dans l'homme", le nveùJ.1a, parti- punit le mauvais intendant qui s'est montré tyrannique envers les cipation à l'Esprit divin, mentor et entraîneur de l'âme ou plutôt autres et a profité de sa place pour s'enivrer. L'âme et le corps du de sa partie supérieure. C'est en lui que réside la conscience damné ressuscité iront dans la Géhenne, mais son esprit revien- 46 morale : il reproche à l'âme ses mauvaises actions et se réjouit dra à Dieu qui l'a donné, car il n'appartient pas en propre à des bonnes. Il "ne peut recevoir le mal" : il est au contraire la l'homme51 . En fait l'''esprit qui est en l'homme", participation à source du bien et dans ce passage il s'agit clairement de "l'esprit l'Esprit-Saint, sanctificateur de l'âme, ressemble, avec quelques qui est dans l'homme, non de l'Esprit Saint"47. La personnalité différences cependant, à ce que la théologie postérieure nomme- de l'homme, manifestée par le libre arbitre, et la participation à ra grâce sanctifiante52 . Mais entre l'âme supérieure de Plotin et l'image de Dieu, ne résident pas dans le nVEùJ.1a qui est un don l'esprit de l'homme selon Origène, il y a une différence majeure: divin et ne fait pas partie à proprement parler de la nature de pour employer la notion de personnalité dont le premier a assez l'homme: elles se trouvent dans l'âme dont la partie supérieure, peu le sens, le second bien plus, mais sans un mot pour l'expri- le voùç, la tire vers l'esprit, tandis que la partie inférieure, mer avec précision, la personnalité de l'homme est pour Plotin "chair" ou "pensée de la chair" veut l'entraîner vers le corps. davantage dans l'âme supérieure que dans l'inférieure jointe au L'effet du péché sur l'esprit est de l'endormir en quelque sorte corps ; pour Origène elle ne se trouve pas dans l'esprit, mais parce que sa voix n'est plus entendue par l'âme. C'est dans ce dans l'âme qui dans l'état présent de l'humanité est jointe par sa sens qu'Origène commente "Eveille-toi, ô toi qui dors, lève-toi partie inférieure au corps devenu terrestre et mortel. d'entre les morts et le Christ t'éclairera"48. Le début de la phrase est rapporté à "l'esprit de l'homme qui est en lui, qui s'applique, 24. Contemplation et action selon ce que nous avons observé, à ce qu'il y a de meilleur". Ce qui vient ensuite convient "à l'âme qui peut recevoir la mort par PLOTIN suite de ses péchés". En résumé: "l'expression <Eveille-toi, ô toi Le trentième traité (III, 8) est intitulé "Au sujet de la nature qui dors> est dite à cause de l'esprit, l'autre <lève-toi d'entre les et de la contemplation (9Ewpia) et de l'Un". Laissant de côté les morts> à cause de l'âme, puisque l'âme qui a péché meurt (de la derniers chapitres qui s'occupent de l'Un, nous allons examiner mort du péché), mais nous n'avons jamais trouvé qu'il fût ques- les huit premiers. Ce traité assez difficile est éclairé par un petit 44. Voir notre Origène et la "connaissance p. 421-425. 49. FragmEph XXVI, JThS III, 563, 22 : voir J. nUPUIS, op. cit. 146-148. 45. Ibid. 415-421, 425-430. 50. Mt 24,51 ; Le 12,46. 46. Voir J. nUPUIS, "L'esprit de 1967, p. 71-73. 51. Cette exégèse se trouve en PArch II, 10, 7,229; SerMt 62, 144,9; ComRm 47. ComJn XXXII, 18 (11),,218. Beaucoup d'autres textes peuvent être invo- II, 9, 893 C 6. qués dans ce sens: cf.J. nUPUIS, op. cit. 143-148, sur "Pneuma saint et état de 52. N'oublions pas la différence entre le pneuma stoïcien qui exprime une cor- péché". poréité subtile et celui des Pères de l'Eglise qui, dérivant de la mah hébraïque, 48. Eph 5, 13. est absolument incorporel. Pour la doctrine de voir plus haut. 392 393 livre de René Amoul • Selon lui Plotin distingue habituellement duit en silence. La contemplation en tant que telle est action, deux sortes d'actions, l'une, intérieure, liée à la contemplation et nOlT1CllÇ, et la nature produit parce qu'elle est contemplation. La désignée par nOlT)cnç, l'autre, extérieure, en opposition avec la nature est fille de l'Ame du Monde et par sa contemplation elle contemplation et indiquée par Cette distinction serait achève le monde sensible qui en est le produit. Mais sa contem- antérieure à Plotin, mais ce dernier inverse les termes qui la dési- plation est faible et son produit aussi. Pareillement des hommes à gnent habituellement chez les Grecs, l'action intérieure étant la contemplation faible ne font qu'une ombre de contemplation l'extérieure nolllcnç. Amou voit dans ce changement une et de raison et ne produisent que de la afin de voir ce qu'ils influence juive, par Philon, ou chrétienne, peut-être inconscien- ne peuvent voir par l'intelligence6 • L'Ame du Monde qui est toute te, venant de ce que la Bible désigne par nOlEÏv l'action créatrice contemplation fait de la nature qu'elle engendre un objet de de Dieu2• Mais Amou ne cache pas que, bien que le sens nouveau contemplation. Chez le petit enfant ces objets de contemplation donné à nOlT)cnç et à soit dominant, on trouve chez Plotin restent obscurs et inutiles. L'âme laisse sa partie supérieure dans des survivances de l'ancien usage grec. l'intelligible et s'étend partout. Son action est à la fois contempla- Plotin dit d'abord, en soulignant le paradoxe, que tous les tion et action, mais le produit de l'action est de plus en plus faible. êtres désirent la contemplation et la prennent pour fin, même Et le désir de la contemplation est transmis du cocher du Phèdre7, animaux et végétaux, même la terre qui les engendre, chacun à l'Intelligence, aux deux coursiers, l'irascible et le concupiscible8 • sa façon. L'action a tout son intérêt dans la contemplation. L'action a pour but la contemplation et l'objet à contem- Plotin commence par la terre et les plantes pour voir quel est pler : on cherche à posséder le bien qui vient de l'action et à rester leur mode de contemplation et comment ce qu'ils font et pro- ainsi dans la contemplation en s'unissant à ce qui est connu9 • Tout duisent a pour but la contemplation : c'est aussi le cas de la ce qui est vraiment vient de la contemplation et est contempla- nature que l'on dit sans imagination et sans raison!!. L'action de tion, soit par la sensation, soit par la connaissance ou l'opinion. la nature elle-même qui est forme et raison, immobile, suppose Ce paragraphe résume ce qui a été dit et s'achève sur la généra- un substrat qui est la matière4 • Cette raison qui produit en res- tion des animaux qui est toujours contemplation, produisant des tant immobile est une certaine contemplation. L'action selon la formes lO • La contemplation aboutit à une union ou fusion du raison est autre que la raison, mais la raison préside à l'action : contemplant et du contemplé qui deviennent un tout en restant et raison signifie contemplation. Elle est le produit d'une deux. Vie sensitive, végétative, psychique, tout cela constitue des contemplation, non du discours et de l'examen, car examiner pensées puisque ce sont des raisons. Toute vie est une pensée, c'est n'avoir pas encore. Elle agit par le fait d'être contemplation mais les hommes ne considèrent pas comme des pensées les vies et objet de contemplation. La production est l'achèvement inférieuresll • On trouve aussi dans un autre passage l'affirmation d'une contemplation restant contemplation, ne faisant rien que l'âme est et devient ce qu'elle voie 2• d'autre, mais produisant parce que contemplation5 • Mais la ORIGÈNE nature ne se comprend que par le silence, de même qu'elle pro- Le couple action-contemplation est aussi familier à 1. flPAElr et eEDPIA chez Plotin, Paris (Alean) 1921, réédité Rome (Université Origène qu'à Plotin et il est le premier à en voir le symbole dans Grégorienne) 1971. 2. Gn 1,1. 6. Ibid. 4, 1. 1 ss. 10, Ibid. 7,1. 1 ss. 3. III, 8 (30), l, 1. 1 ss. Il. Ibid. 8, 1. 1 ss. 7.247 e 5-6. 4. Ibid. 2, l. 1 ss. 8. Ibid. 5, 1. 1 ss. 12. IV, 3 (27), 8 1. 15 ss. 5. Ibid. 3, 1. 1 ss. 9. Ibid. 6,1. 1 ss. 394 39' les deux soeurs de Béthanie, Marthe et Marie: "Marie symboli- de souffrir, d'être haï, souvent il arrive de dire: Je me retire se la vie contemplative, Marthe la vie active ... Marthe semble (àvaxwpw, l'anachorèse), qu'aije à faire avec ces difficultés. Si à avoir plus de zèle que Marie, car elle court à la rencontre de cause de cela je suis dans ces difficultés, si c'est parce que j'ensei- Jésus, tandis que Marie reste assise à la maison1!J. Il y a des gens gne, parce que je distribue la parole, pourquoi ne vaisje pas plu- comme le centurion, qui ne sont pas capables de recevoir Jésus 14, tôt me retirer dans la solitude et le repos ?"19. d'autres qui en sont dignes, comme le chef de la synagogue15 . Nous avons touché à propos de Plotin au thème de la C'est parce qu'elle est moins parfaite que Marthe court vers contemplation transformante. Il est toujours chez Origène en Jésus. Marie l'attend à la maison pour l'y accueillir car elle peut relation avec ce que dit Paul 20 : "Nous tous, la face dévoilée, recevoir sa venue"16. contemplant (ou reflétant, la gloire du Seigneur, Les deux sont d'une certaine façon inséparables: cela se nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comprend d'autant plus que l'action représente l'ascèse et aussi sous l'action du Seigneur qui est esprit". La mention du "visage la vie apostolique. L'ascèse n'est pas pour Origène le moyen dévoilé" vient de l'épisode de Moïse mettant un voile sur sa face 21 d'atteindre la vie mystique qui est pure initiative divine: cepen- après avoir contemplé Dieu sur le Sinaï, parce que les Hébreux dant sans l'ascèse qui ôte les obstacles à la venue de Dieu et mani- n'auraient pu supporter la lumière qui rayonnait de sa face: Paul feste le désir qu'a la liberté humaine de la recevoir, il n'y a pas en fait dans tout ce passage une exégèse allégorique22 • Le partici- possibilité de vraie contemplation, car la rencontre de Dieu et de pe dérivé de K<ÎTonTpov, miroir, a d'après l'homme est celle de deux libertés. Quant à l'action apostolique Origène le sens moyen de "contempler comme dans un miroir", elle n'a de valeur que si son but est la contemplation: "Le mystè- bien qu'on lui donne habituellement le sens passif "être contem- re de la charité est ôté à la vie active si renseignement et l'exhor- plé, refléter, comme dans un miroir". Origène, commentant ce tation à l'action n'ont pas pour but la contemplation: car l'action texte à plusieurs reprises, y voit la contemplation qui transforme et la contemplation n'existent pas rune sans l'autre"17. Le "mystè- le contemplant en l'image du contemplé. La contemplation de . re de la charité", c'est sa valeur et son effet surnaturel qui sont de Dieu dans le Christ divinise celui qui contemple, l'assimilant à l'ordre du mystère, c'est-à-dire appartiennent au monde divin. celui qu'il contemple. La face dévoilée est la partie supérieure de Mais une vie de contemplation pure, comme sera celle du l'âme, le voüç ou qui pour pouvoir contempler doit monachisme qui est postérieur à Origène, est parfois passée ôter de dessus elle le voile qui est soit le corporel, soit l'intelligen- dans les rêves de l'Alexandrin et il ra rejetée comme une tenta- ce grossière de l'Ecriture, soit le péche!J. tion, celle d'échapper à toutes les contradictions dont il était l'objet. Ainsi à propos du découragement de Jérémie s : "Il dit 25. Dialectique et autres disciplines cela en éprouvant des sentiments humains : nous aussi nous ris- PLOTIN quons souvent de les ressentir. Surtout lorsqu'on a conscience, à cause de son enseignement et de sa.parole, d'être malheureux, Dans le vingtième traité (l, 3) intitulé par Porphyre "De la Dialectique" seuls les chapitres 4, 5, et 6 exposent la conception 13. Dans la scène de la résurrection de Lazare,]n Il, 1,44. 14. Mt 8,5-13. 19. Horn]r XX, 8, 28 : Voir Origène et la "connaissance mystique", 434-438. 15. Mc 5, 22-24, 35-43. 20.2 Co, 3, 18. 16. Fragrn]n LXXX, 547, 23. 21. Ex 34, 29-35. 17. FragrnLc 171, 198 , 2 22. 2 Co 3, 7-18. 18.]r 20, 7-12. 23. Voir Théologie dl! l'Image dl! Dieu chez. Origène, 232-236. 396 397 plotinienne de cette science. Elle dit ce qu'est chaque chose, quemment dans ses homélies il admire la manière dont la Bible - il en quoi cette dernière diffère des autres et en quoi elle leur est s'agit habituellement de la Septante - s'exprime, parce qu'il la semblable, ce en quoi elle est, etc ; elle discute sur le bien et le voit suggérer le sens spirituel. Le Logos divin lui-même nous mal, l'éternel et ce qui ne l'est pas et elle se base sur la science invite à la dialectique8 • Dans un fragment sur Luc9 il écrit de non sur l'opinion (ô6t:a). Elle ne se fie pas au sen- ceux qui sont dépourvus de doctrine et qu'il faut catéchiser: "ils sible, mais à l'intelligible, elle distingue les espèces et les genres ne savent pas mener un raisonnement par demande et réponse ou inversement elle analyse jusqu'à retrouver le principe et reste et de manière dialectique". En revanche, il compare une des alors en reposl. La dialectique est la partie la plus précieuse de la plaies d'Egypte, celle des moustiques 10, "à la dialectique qui philosophie, car elle ne s'occupe pas de simples théorèmes mais taraude les âmes des dards subtils et menus des mots et les cir- des réalités intelligibles et elle a les êtres pour matière. Elle ne convient avec tant d'astuce qu'une fois séduit on ne voit ni ne connaît le faux que par accident, par opposition à la règle du comprend d'où vient la séduction"11. Ailleurs, il évoque les Gen- vrai qui est en elle. Elle ne connaît pas le raisonnement par pro- tils disputant entre eux dans leurs discussions et accumulant les positions, elle sait seulement ce qu'on appelle propositions2 • Elle uns contre les autres des impiétés avec les artifices de la dialec- aide la philosophie dans ses recherches sur la nature : de même tique"12. A propos de ceux qui enseignent des doctrines fausses, pour la morale et pour l'exercice des diverses vertus qu'elle per- probablement les hérétiques, il recommande de ne pas se laisser fectionne 3 • leurrer par ce qui paraît au-dehors, mais de considérer le dedans, le sens l3 • ORIGÈNE L'opinion d'Origène sur la dialectique est plus mêlée. Des Origène avait reçu une formation de grammairien et, après exercices dialectico-critiques menés avec une méthode socra- le martyre de son père, enseigna un certain temps la grammaire, tique, comme c'est explicitement dit, ouvrent le cycle d'enseigne- c'est-à-dire la littérature 14 • On en trouve des traces fréquentes ment d'Origène à Césarée de Palestine, selon le Remerciement à dans son oeuvre15. TI signale des formes de style, comme la sup- Origène de Grégoire le Thaumaturge4 • La dialectique a chez lui position impossible de 1 Co 13, 1_2 16 ou des solécismes dans les parfois bonne presse, parfois mauvaise. Dans le premier cas il écrits pauliniens17• TI est sensible aux fautes de grammaire et aux juge la distinction nécessaire pour la connaissance de la vérité 5et incohérences que l'on trouve dans l'Ecriture, mais il n'accepte à propos de 1Jn 3, 8-9 écrit: "Sois attentif aux différences entre pas qu'on les corrige car un sens spirituel y est contenul8 • les propositions, vois de quelle manière Jeàn les a énoncées en TI est une discipline cependant qui ne trouve guère grâce à toute rigueur, de sorte qu'on pourrait s'étonner qu'il les ait ses yeux, la rhétorique. Grégoire le Thaumaturge s'en fait l'écho: émises sans donner prise à la critique et, diraient certains, en dia- lecticien" 6. Un peu plus loin il trouve dans une expression 8. CCels VI, 7, 17. 9. FragmLc 209, 19: dans SC 87, 83. employée par Jean "une interprétation des plus sages"7. Fré- 10. Ex 8, 12-15. 11. HomEx IV, 6, 49. 1. l, 3 (20), 4, l. 1 ss. 12. HomPs 36, III, l, 1236 D 4. 2. Ibid. 5, l. 1 ss. 13. SerMt 21,37,25. 3. Ibid. 6, l. 1 ss. 14. EUSEBE, Histoire Ecclésiastique VI, II, 15. 4. VII, 93-108, le mot I:WKpaT1KWÇ en 97. 15. Voir Bernhard NEUSCHAEFER, Origenes ais Philologe, 2 volumes, Bâle 1987. 5. ComJn XIII, 13, 82. 16. Fragm 1 Co XLIX, 2 ss.; FragmRm (Schérer), VI, 1, 182, 11. 6. Ibid. XX, 14 (13), 115. 17. FragmEph. XIII, 11.. 7. Ibid 15 (13), 116. 18. Philoc VIII. 398 399 "TI ne nous formait pas selon les manières de juger des rhéteurs est belle par l'intelligence et la vertu, laide par l'adjonction d'un fameux ... cette étude est sans importance et sans nécessité"19. Et élément étranger, la tendance vers le corps et la matière: l'âme cependant dans ce discours l'élève, pour louer son maître, a mis belle est celle qui est assimilée à Dieu, celle qui est dans sa sim- en train toute la rhétorique qu'il a apprise d'un de ses profes- plicité originelle25 . En effet toute âme désire le Bien, mais pour y seurs antérieurs dans sa ville natale. Certes, la rhétorique appar- parvenir elle doit se dépouiller de tout ce qui lui est étranger6 • tient à la "sagesse du monde"20, mais c'est le cas d'autres disci- Le vice est une faiblesse (àa8ÉvEta) de l'âme causée par la matiè- plines et, bien utilisée, la sagesse humaine, de soi indifférente, re7 • Selon le Timée de Platon28 les passions viennent des astres, peut aider à recevoir la divine21 . Si Origène est parfois éloquent "les dieux qui sont mûs" mais, tout cela ôté, il reste ce que nous dans ses homélies ou dans son Entretien avec Héraclide, il ne mani- sommes en réalité nous-mêmes, nous à qui la nature a donné de feste guère de rhétorique d'école. TI n'a pas beaucoup d'estime dominer les passions. Contre tous ces maux infligés par le corps pour les "arguments de rhéteur" qui risquent "d'infléchir violem- Dieu nous a donné la vertu qui n'a pas de maître9, la vertu qui ment le sens de la Loi divine"22, ce qui arrive bien quelquefois à nous sauve du péril où nous mettent les passions. C'est pour- son contemporain africain, Tertullien. quoi il faut fuir d'ici 30 et nous séparer de tout ce qui a été ajouté, du composé âme-corps où le corps domine une trace d'âme. 26. Divers sur ['âme Mais il y a l'autre âme qui est hors du composé et qui va vers le PLOTIN haut. Si on en est privé on vit soumis au Destin et les astres ne sont pas alors seulement des signes, mais l'homme en devient La ressemblance de l'homme à Dieu est indiquée par comme une partie. Chaque homme est double, formé d'une Platon dans un texte fameux du Théétète 23 , identifiée à la fuite, part du couple âme-corps, puis de soi-même, ce "soi-même" qui fuite du corps, pense Plotin, qui explique par là les quatre vertus s'identifie à l'âme supérieure, capable d'échapper au destin fixé cardinales qu'il nomme politiques. L'âme ressemble à Dieu par par les astres. Et le monde est pareillement double, il contient sa disposition (ôla8Ecnç) qui lui donne de penser et d'être impas- d'abord le couple du corps et d'une âme liée au corps, puis sible. Mais cette disposition ne se trouve pas dans l'être d'en l'Ame du Monde qui n'est pas liée au corps et fait briller ses haut, car il n'a pas de disposition, c'est là le propre de l'âme. De traces dans l'âme unie au corps31. Vis-à-vis du Destin que figu- même le penser n'a pas même signification pour Dieu - il doit rent les trois Moïres se trouvent deux catégories d'hommes. Les s'agir des deuxième et troisième hypostases - et pour l'homme, uns sont menés par l'univers et le dehors, comme ensorcelés, et car le penser humain dérive du divin : de même que la parole ils sont peu ou pas du tout eux-mêmes: en d'autres termes non proférée est l'image de la parole intérieure, de même cette der- plotiniens ils manquent de personnalité. Les autres dominent nière en l'homme est l'image de celle du divin. La parole profé- tout cela, lèvent la tête vers le haut, sauvent le meilleur de leur rée au-dehors par l'homme est fragmentée si on la compare à âme et la partie ancienne de leur substance psychique. Ce n'est celle qui est dans l'âme et qu'elle exprime, de même la parole pas ce que l'âme subit du dehors qui est sa nature : dans ce cas qui est en l'âme est l'interprète de celle qui la précède24 . L'âme 25. l, 6 (1), 5-6. 19. RemOrig VII, 107. 26. Ibid. 7. 20. Fragrn 1 Co IX, 15. 27. l, 8 (51), 14-15. 21. FragrnRm (Sehérer), VI, 9, 230, 5. 28. 69 e 5 - d 3. 22. HomLv XVI, 8, 40. 29. PLATON République, 617 e 3. 23.176 be. 30. Idem, Théétète, 176 a 8. 24. l, 2 (19), 3, l. 1 ss. 31. II,3 (52), 9, l. 6 ss. 400 401 seule de tous les êtres elle n'aurait pas de nature propre. Mais même le meilleur de nous recevra l'image du terrestre ; mais si plus que tous les êtres, puisqu'elle a le rôle d'un principe, elle a comprenant ce qui a été fait selon l'image et ce qui a été pris de de nombreuses puissances propres pour accomplir les actes qui la poussière de la terre, nous nous tournons tout entiers vers sont selon sa nature. Elle a aussi des désirs et des actions et ils celui à l'image de qui nous avons été créés, nous serons selon la tendent vers le bien. Si elle se sépare du composé âme-corps ressemblance de Dieu, ayant laissé toute propension à la matiè- l'âme a ses actes propres, elle ne reconnaît pas comme siennes re et aux corps et même à certaines des créatures faites selon la les passions du corps et elle voit qu'elle est autre chose que le ressemblance" . COrpS32. Les raisons qui se trouvent dans l'Intelligence sont don- Origène distingue habituellement le "selon l'image" du nées par elle à l'Ame de l'univers et cette Ame les donne à l'âme "selon la ressemblance". Le premier, reçu à la création, est le qui la suit en l'illuminant et en l'informant : cette dernière âme germe du second, un germe qui doit se développer, sous commandée par l'autre agit déjà; parmi ses actions les unes ne l'action de la grâce divine avec l'accord du libre arbitre, pour connaissent pas d'obstacles, les autres, inférieures, en connais- aboutir dans l'eschatologie à la ressemblance parfaite coïncidant sent. Elle produit à partir des raisons qu'elle a reçues et il naîtra d'elle un vivant, imparfait, supportant mal sa propre vie, diffici- avec la vision divine selon 1 Jn 3, 2 : "Nous savons que lorsqu'il le, grossier, formé d'une matière inférieure, comme le dépôt se sera manifesté nous serons semblables à lui parce que nous le amer des êtres supérieurs, et produisant l'amertume : tout cela verrons tel qu'il est". Dans Gn 1,26, Dieu a communiqué à son l'âme le communiquera à l'univers33 . Fils - c'est l'interprétation du fameux pluriel : "Faisons" - son dessein de créer l'homme "selon notre image et ressemblan- ORIGÈNE ce"37. Mais dans le verset suivant qui montre le projet réalisé, il n'est question que d'image, la ressemblance n'est pas nommée Nous avons déjà consacré un livre à étudier chez Origène parce qu'elle est réservée pour la fin 38. Il s'agit, certes, dans le le thème de l'image de Dieu et de la ressemblance à Dieu qui texte cité plus haut, de la matière et des corps, mais ce ne sont tient chez lui une place considérable4 • Mais pour le chrétien pas eux, c'est l'attachement à eux qui constitue la faute, dans la qu'il est, ce n'est pas la matière qui ternit en lui l'image de Dieu mesure où cet attachement nous empêche de "nous tourner et la recouvre d'images adverses, c'est le péché qui n'est pas sans tout entiers vers Dieu. La faute ne détruit pas l'image de Dieu rapport avec la matière, mais ne se confond pas avec elle. Un en l'homme, car œuvre du Fils de Dieu elle est indélébile9 • Mais des textes majeurs d'Origène35 exprime bien cela: "Notre exis- on ne la voit plus, car elle est toute recouverte d'images hostiles tence primordiale Ch npoTlYouJ.lÉVll un6cHacnç) est dans le fait qui la cachent comme l'eau dans les puits d'Abraham que les d'être selon l'image du Créateur et celle qui vient de la faute Philistins ont comblés d'ordures40 • Vienne le Christ dont Isaac dans le modelage (nÀclaJ.lan) à partir de la poussière de la terre36 • est l'image, il déblaiera ces puits - pourvu que ces puits se lais- Si oubliant en quelque sorte notre essence (oùala) supérieure sent déblayer -, l'eau qui est l'image de Dieu réapparaîtra et nous nous soumettons au modelage à partir de la poussière, elle continuera sa progression jusqu'à la ressemblance. Les images hostiles que le péché met sur l'image de Dieu sont repré- 32. Ibid. 15, l. 13 ss. 33. Ibid. 17, l. 15 ss. 34. Théologie de l'Image de Dieu chez Origène, Paris 1956. 37. C'est ainsi qu'Origène lit ce texte dans les Septante. 35. ComJn XX, 22 (20), 182-183. 38. PArch III, 6, 1, 7. 36. Le mot représente le verbe nÀaoOf:\V employé par le texte grec des 39. HomGn XIII, 4, 31. Septante en Gn 2, 7, considéré comme la création du corps. 40. Ibid. 3, 88. 402 403 sentées comme l'image du Terrestre qui n'est plus Adam comme en 1 Co 15, 49, mais le diable: il est question aussi d'image du diable et d'images de bêtes figurant les différents vices ou pas- sions. CHAPITRE V LE MONDE 1. Ames autres que celles des hommes PLOTIN On pourrait appeler la philosophie de Plotin un animisme généralisé, ou un panpsychisme, car tous les êtres du monde ont des âmes. Cela se comprend par le fait qu'âme signifie vie. Mais l'âme est étendue aussi à des êtres que nous considérons comme sans vie. Ce sont en effet des âmes bonnes qui donnent vie aux astres, et à la révolution bien ordonnée et éternelle du ciel, menée en cercle à l'imitation de l'intelligence, raisonnablement et tou- joW'S autour du même centre. Le ciel a une âme, ainsi que tous les dieux, les astres, qui sont dans les parties du ciel. Sont aussi dans ce cas animaux et plantes et même tout ce qui paraît (801(&1) sans âme dans le monde. TI faut souligner ce verbe paraître. Dans ce monde il y a ce qui "paraît" participer seulement à l'être, ou à la vie, ou à la sensation, ce qui a déjà la raison, ce qui a la totalité de la viel. Les astres sont des dieux parce qu'ils ne s'éloignent jamais des êtres d'en-haut, qu'ils sont liés à l'âme qui existe dès le principe, à l'âme qui procède de l'Intelligence, à l'Ame du Monde, et par elle ils regardent vers l'Intelligence, leur âme ne regardant que là-haut. Pour les astres une mémoire serait superflue, mais ils ont des sensations puisqu'ils écoutent les prières des hommes!. 1. III, 2 (47), 3, 1. 25 55. 2. IV, 3 (27), Il, 1. 23. 3. IV, 4 (28), 30, 1. 1 85. 404 405 Il Ya des âmes dans la terre et dans les plantes. Ce qui cor- pour lui, bien qu'il ne soit pas toujours absolument affirmatif, respond cheZ nous au concupiscible est dans les plantes la puis- les astres ont des âmes raisonnables15 • sanCe végétative. Pour affirmer qu'il y a une âme dans la terre Les animaux sont aÀoya, sans parole ni raison, conformé- Plotin s'appuie sur Platon qui y voit, soit le rayonnement sur la ment au double sens du mot ÀOyoC; : ils sont des êtres secon- terre de l'Ame du Monde\ soit la première et la plus ancienne daires, non principaux comme est l'homme à qui ils sont soumis des divinités qui sont à l'intérieur du ciel avec une âme sem- selon Gn 1, 26-29 14 • Secondaires, ils le sont parce que leur créa- 5 blable à celle des astres • La terre a une âme végétative à cause tion est intervenue après la chute des êtres raisonnables et parce de tout ce qui pousse sur elle; elle est animal puisque tant d'ani- que leur importance devant Dieu est inférieure et subordonnée maux naissent d'elle, allusion possible à la génération sponta- à celle des hommes. On peut voir à ce sujet la longue discussion née. Vu son importance, elle a, faut-il penser, une intelligence et du Contre Celse IV, 74-99 : ils sont aux êtres raisonnables comme elle est dieu : elle est une partie du vivant qu'est l'univers. Plotin le placenta par rapport à l'embryon15, image qu'Origène attri- réfute toutes les objections qu'on peut élever contre une âme de bue aux Stoïciens et qui serait de Chrysippe selon Plutarque16• 6 la terre • Il lui accorde des sensations et justifie cette opinion7• Il Au début du traité sur le libre arbitre du Peri Archon 17 , suivant prétend que les pierres s'accroissent quand elles sont insérées des sources stoïciennes, les êtres sensibles sont classifiés en dans8 la terre, mais restent immobiles quand elles en sont sépa- quatre catégories à partir de leurs possibilités de mouvement : rées • n y a aussi une âme dans les trois autres éléments9• Plotin ceux qui sont mûs du dehors, qu'il faut porter et dont la cohé- en trouve de même dans la chair et le sanglO• sion est seulement maintenue par une Ë(\C;, un état des choses; A propos de l'âme qui est dans les plantes, participation à ceux qui sont mûs d'eux-mêmes (È( ÉauT<7>v), qui ont en eux la l'Ame du Monde, il vajusqu'à se demander quel est le sort de cause de leurs mouvements qui sont des phénomènes de crois- l'âme quand on coupe une partie de la plan tell. Plusieurs réfé- sance et tiennent leur cohésion d'une 4>ucnc;, mot qui est à rences sont faites aux âmes des plantes et des animaux12• Tout prendre ici dans un sens rigoureusement étymologique, une cela est à mettre en relation avec la croyance en la métensomato- force de croissance, mais qui sont des des inanimés, sans se (métempsycose) que nous avons étudiée. âme; ensuite ceux qui sont mûs par eux-mêmes (à4>'ÉauTwv), les animaux, qui ont une âme, leur action venant de représenta- tions (4)aVTaolal) qui provoquent l'impulsion à agir ; seul ORIGÈNE l'animal raisonnable possède le ÀOYoç, la raison qui lui donne le Origène ne partage pas le pan psychisme de Plotin. Il y a, libre arbitre, car elle juge les représentations et il peut accepter certes, des âmes dans les animaux, mais ce ne sont pas des âmes les unes et repousser les autres. Il faut en conclure que les végé- comparables à celles des hommes. Il semble bien cependant que taux n'ont pas d'âme, que les animaux en ont une, mais non rai- 4. Timée 36 e. sonnable, donc bien inférieure à celle de l'homme que l 'hypo- 5. Ibid. 40 e 2-3. thèse de la préexistence montre de même origine que celles des 6. N, 4 (28), 22. 7. Ibid. 26, 1. 5 ss. 13. Voir Philoe II, 4, fragment du ComPs 1. Sur l'âme des animaux de même 8. Ibid. 27, 1. 1 ss. ; 1. 9 ss. ; cf. VI, 7 (38), Il, l. 24 ss. PAreh II, 8, 1 : qxxv'tCWTlxnXCl1opJ.1T\tlxn. 9. VI, 7 (38), Il, l. 36. 14. PAreh II, 9, 3, 92 ; II, 2, 2, 28. 10. Ibid. 1. 60. 15. CCels N, 74. Il. V, 2 (Il), 1-2. 16. Platonicae Quaestiones 1000 f : SVF II, 1158. 12. VI. 4 (22), 15,1. 3 ss. ; VI, 7 (38), l, l. 14. 17. III, 1, 2-3 ss. 13. 406 407 anges. Dans sa discussion avec Celse 1B Origène montre que toutes êtres animés, bien que dans son exposé de la règle de foi dans la les supériorités sur l'homme que son interlocuteur souligne chez préface du Peri Archon il signale ce point comme n'ayant pas été les animaux disparaissent devant le fait qu'ils ne jouissent pas de tranché par l'Ecriture 24 . C'est donc sous l'influence des philo- la raison. sophes qu'il penche vers cette opinion. Nous écrivons "qu'il Le cas des astres est compliqué par le fait qu'Origène ne penche" car plusieurs passages laissent la question ouverte. Le s'exprime pas habituellement à leur sujet par manière d'affirma- Peri Archon lui-même se demande "s'ils sont des êtres animés ou tion, mais de recherche. Il se pose des questions à leur sujet. quelque chose d'autre"24bis. A propos de la citation de Job 25, 5 : Dans le Peri Archon19 il se demande s'il faut les compter dans les "les astres ne sont pas purs à ses yeux" il reste possible pour lui principautés angéliques. Sont-ils exempts de toute possibilité de que cela ait été dit par hyperbole25 . De toute façon, ce ne sont changement et de péché? Job 20 semble dire le contraire: "Les pas des êtres divins et l'astrolâtrie est rejetée2fi , car s'ils sont des étoiles mêmes ne sont pas pures à ma vue". Autre série de ques- êtres animés, eux-mêmes adorent Dieu et le prient: on n'adore tions : sont-ils animés? Leurs âmes ont-elles été créées avec pas celui qui adore27 . Dans une homélie surJérémie nous consta- leurs corps ou leur sont-elles antérieures? Nous voyons là l'am- tons une variante: il n'est pas question que le soleil, la lune et les biguïté du mot corps dans le Peri Archon et chez Origène en étoiles soient des anges, mais des anges leur sont préposés 2B. général, car tantôt le corps est inhérent à la qualité de créature, Ajoutons deux derniers traits. Le soleil est le symbole du donc toute créature a un corps, tantôt il désigne seulement Christ, souvent appelé Soleil de Justice: "Celui qui a été créé au comme ici le corps perceptible aux sens. Or aucun corps ne second rang, comme serviteur et comme esclave de la connais- peut se mouvoir sans âme et l'ordre et la raison que manifeste le sance de Jésus, c'est l'astre qui paraît à l'Orient, qu'il soit sem- mouvement des étoiles rendent inconcevable que les astres blable aux autres astres ou même peut-être supérieur à eux, soient des êtres irrationnels. Et s'ils sont animés et raisonnables puisqu'il est le signe de celui qui est au-dessus de tout"29. D'autre ils sont sujets au progrès et à la chute. Y a-t-il dans les astres une part, l'admiration d'Origène pour l'ordre avec lequel évoluent préexistence de l'âme par rapport au corps matériel? Si c'est les astres lui fait écrire: "La manière dont opère le Dieu provi- vraiment le cas de l'âme de l'homme "assurément inférieure à dent n'est pas aussi claire quand il s'agit des réalités terrestres celle des astres", ce serait a fortiori celui de l'âme des astres21 . que quand il s'agit du soleil, dt: la lune ou des étoiles, mais elle Mais les astres, comme les hommes, ont été soumis à la corpo- 22 n'est pas non plus aussi claire en ce qui concerne les événe- réité sensible , non, semble-t-il ici, comme conséquence d'une ments humains que quand il s'agit des âmes et des corps des ani- faute, mais pour le service de l'homme, situation qui, selon maux"lIO. Que faut-il conclure de cette dernière phrase? Ce qui Origène, aurait été aussi celle de plusieurs saints personnages empêche de lire clairement le plan de la Providence dans les qui n'ont pas participé à la faute primitive, mais se sontcepen- événements humains d'ici-bas, c'est le libre arbitre de l'homme dant incarnés pour aider le Christ dans sa rédemption 2s . Ori- gène semble donc pencher vers l'opinion que les astres sont des 24. PArch Pref. 10, 186. 24 bis. Ibid. II, 11, 7, 241. 18. CCels IV, 80-99. 25. CornJn l, 35 (40), 257. 19. PArch l, 7, 2-5. 26. CCels V, 8-10. 20. Job 25, 5. 27. CCels V, Il ; PEuch 7 ; CornMt. XIII, 20. 21. PEuch 7 ; CornMt XIII, 20, 237, 17. 22 . Rm. 8, 20 ss. 28. HornJr X, 7, 18. 29. CornJn l, 26 (24), 175. 23. CornJn II, 31 (25), 186-190. 30. PArch IV, 1,7, 188. 408 409 qui contrarie souvent la volonté divine. Cela supposerait que les astres L'âme se rétracte devant la laideur; mais comme c'est la participa- n'ont pas ce libre arbitre - donc qu'ils ne sont pas raisormables - ou tion à la forme (Jlop<l>n) qui donne leur beauté aux êtres de ce bien que comme celui des bienheureux leur libre arbitre est complè- monde, est laid tout ce qui ici-bas est sans forme ni idée ni rai- tement accordé à la volonté de Dieu. En effet, l'ordre que manifeste son. Or la matière ne peut être entièrement informée par le mouvement des astres est un signe de leur l'idée40. Une âme laide est celle qui se laisse aller aux passions Nous examinerons plus loin l'attitude de Plotin et d'Ori- matérielles et sensibles, comme quelqu'un qui est plongé dans la gène à l'égard de l'astrologie32. fange et le bourbier: cette laideur vient de l'cyout d'un élément étranger, corporel et matériel; l'or n'est pas beau tant qu'il est 2. La matière et les corps rempli de scories41 . Le corps matériel est encore comparé aux PLOTIN vêtements dont doivent se dévêtir ceux qui montent vers Dieu42. Les beautés qui sont dans les corps ne sont que des images et des TI faut fuir d'ici-bas pour s'assimiler à Dieu: c'est sur cette traces des vraies beautés: elles sont ainsi par l'idée, la forme ou la pensée du Théétète de PlatonSS que Plotin commence son traité des raison qui informent la matière. Les admirer serait rééditer le vertusM • Or s'il yale mal ici-bas, la cause en est la matière. Elle est mythe de Narcisse amoureux de sa propre image qu'il voyait se sans mesure et tout à fait dissemblable à la divinité : la forme se refléter sur l'eau et qui pour cela disparut dans l' eau43 . La vie joignant à elle donne à l'être qu'elles constituent un peu de res- dans le corps est un mal dont l'antidote est la vertu par laquelle semblance!l5. Les vertus sont des purifications de l'âme que rend l'âme déjà se sépare du corps44. La mort de l'âme tant qu'elle mauvaise son union au corps, car il la fait participer à ce qu'il reste dans le corps c'est d'être plongée dans la matière et d'être éprouve et qui colore ses opinions!l6. Le corps est caractérisé par la remplie d'elle45 . TI faut fuir d'ici46, se séparer de tout ce qui a été matière qui le compose. TI rend la mort préférable à la vie en lui 37. ajouté, c'est-à-dire du corps matériel, ne pas rester un composé TI trouble Le bonheur n'est pas dans les biens du COxpsS9. que domine la nature du corps et qui n'a qu'une trace d'âme de sorte que la vie du couple âme-corps est dominée par le COrpS47. 31. Ibid. 1, 7, 3, 93. C'est le corps qui donne à l'âme sa faiblesse, qui est pour elle 32. Autres textes: ComJn 1, 26 (24), 173: si ceux qui sont dans des corps éthérés (les astres) assumaient des corps terrestres, même les luminaires du ciel ne traver- cause de méchanceté et la tire vers le bas48 . Le mal ne vient pas seraient pas cette vie sans danger et sans aucun péché. II, 3, 25 : ne pas adorer les des raisons séminales des êtres, c'est la matière qui le produit49. astres. Ibid. 27 : mais leur culte est cependant bien préférable à celui des idoles. II, 17 (11), 117 ss. : Astres animés. CCels V, 10,40 : rh'omme non inférieur aux Le douzième traité (II, 4) a pour titre "De la matière" et astres. Ibid 56 : à supposer qu'ils soient des êtres vivants, raisonnables et vertueux ; en parle en tous ses chapitres. Tout le monde admet que la peut-être ont-ils l'aùTf;(oucnov, le libre arbitre. V, 12 : les astres serviteurs de Dieu. PEuch VII, 1 : les astres possèdent une certaine liberté et louent Dieu. ExhMart 40. 1, 6 (1), 2-3. VII : le soleil lui-même, être vivant et raisonnable, adore Dieu. ComRm VII, 4, 41. Ibid. 5, 1. 25. Ce thème du bourbier apparaît plusieurs fois : Ibid 6, 1. 4 ss. 1111 C : les astres soumis à la vanité. PArch III, 6, 4, 110 : les astres "faits par la d'après PLATON, Phédon, 69 c 1-6 ; 1, 8 (51), 13,1. 17 ; VI, 7 (38), 31,1. 26. Il main et visibles", c'est-à-dire créés, opposés à la maison non faite de main s'agit chaque fois du "bourbier des corps" en écho à Platon. d'homme, éternelle dans les cieux. 42.1,6 (1), 7, 1. 3 ss. 33.176 ab. 43. Ibid. 8, 1. 6 ss. 34.1,2 (19), 1,1. 1. 44. 1, 7 (54),3,1. 19 ss. 35. Ibid. 2, 1. 20 ss. 45. 1,8 (51), 13,1. 2l. 36. Ibid. 3,1. 15. 46. PLATON, Théétète, 176 a 8 - b l. 37. 1,4 (46), 7, 1. 25. 47. II,3 (52), 9,1. 19. 38. Ibid. 10,1. 17. 48. Ibid 13,1. 40 ss. 39. Ibid 14,1. 1 ss. ; 16,1. 9 et 22. 49. Ibid. 16, 1. 45 ss. 410 411 matière est le substrat et le réceptacle des formes. Mais les La quantité est une forme (ei6oç) et c'est une raison qui produit hommes diffèrent dans l'idée qu'ils s'en font. Certains n'admet- la qualité et la quantité 57. tent comme êtres que des corps matériels, tiennent que la matiè- Comment donc penser la matière ? Plotin explique alors re est une et sousjacente aux quatre éléments, qu'elle constitue l'expression platonicienne : penser par un raisonnement bâ- la substance et que les différences des êtres ne sont que des pas- tard58 • En effet, on se fait un concept déterminé de quelque sions de la matière : selon eux Dieu lui-même est matériel. Ils chose d'indéterminé: c'est un peu comme voir l'obscurité. donnent à la matière un corps sans qualité mais qui a une gran- L'âme pense clairement les formes des objets, obscurément leur deur. Les autres disent la matière incorporelle et distinguent substrat, la matière qui est sans forme: elle la pense sans la pen- une matière sous-jacente aux corps et une autre dans les réalités ser (voei où vooùao). Mais la matière n'existe pas sans forme intelligibles qui est sous-jacente aux formes de là-haut et aux (j-LOp<l>n) et elle reçoit sa forme dans les choses: c'est pourquoi essences incorporelles50 • Plotin discute d'abord l'existence d'une l'âme qui souffre de l'indétermination et ne peut la penser pro- matière supérieure chez les êtres intelligibles: l'objection mcyeu- jette sur elle la forme des choses59 • Comment la matière reçoit- re est que ces êtres ne seraient pas simples51 • Là-haut cette matiè- elle le volume (oy1(oç, la masse) qu'elle n'a pas davantage que la re ne serait pas changeante à la différence de celle d'ici-bas 52 : grandeur? Les actions et les productions 1(01 nOlnaeu;), tout là-haut forme un ensemble. La discussion sur cette matière les temps, les mouvements n'ont pas par eux-mêmes de matière supérieure porte sur la nature des idées ou formes58 • Les corps comme substrat et c'est aussi le cas des corps premiers, expres- doivent avoir un substrat autre qu'eux, comme le montrent les sion qui doit désigner les quatre éléments classiques qui sont changements des éléments, car ce qui change n'est pas complè- des mélanges de formes (ei6wv) nombreuses. Si la matière paraît tement détruit. La génération suppose de même un change- recevoir les formes dans le volume, c'est qu'elle a d'abord reçu ment de forme à partir d'une autre forme: la même chose est à le volume, mais comme vide d'autres déterminations: c'est une dire de la corruption. La matière est le substrat qui reçoit la manière de se représenter les choses60 • La matière est nécessaire forme 54 • Plotin réfute ensuite les opinions d'Empédocle et aux corps comme substrat et de même à la qualité et à la gran- d'Anaxagore sur la matière 55 • Puis il énonce ses principales deur. Elle n'est pas saisie par les sens. Il n'y a pas de corporéité 61 caractéristiques: elle est une, continue, sans qualité, elle n'a pas en elle, car la corporéité est une raison, autre qu'elle • Le sub- par elle-même de grandeur ni de figure (axTlj-Lo). Elle n'est pas strat n'est pas une qualité, car une privation ne saurait être qua- un corps puisqu'elle est sans qualité. Elle n'est pas composée, lité. Elle est essentiellement "autre chose" que tout le reste, ou mais simple et une par nature. Elle reçoit une forme, une gran- mieux "autres choses", afin que le pluriel exprime encore davan- deur, mais toutes ces qualités sont autres qu'elle et lui sont sur- tage son indétermination62 • La notion de privation est alors ajoutées. La matière est disposée à tout recevoir de ce qui agit approfondie. En tant que substrat, matière et privation sont-elles sur elle. C'est la forme qui agit en elle et lui apporte tout avec la une seule chose, deux cependant par le concept ? Ou la priva- raison séminale et par elle56• Là matière est donc en elle-même tion est-elle comme un accident de la matière? 68 La privation incorporelle et en tant que telle n'a pas non plus de quantité. exprime ce que la matière n'est pas. L'infini et l'indéterminé 50. II,4 (12), 1, l. 1 ss. 54. Ibid. 6, l. 1 ss. 57. Ibid. 9, l. 1 ss. 61. Ibid. 12, Il ss. 51. Ibid. 2, l. 1 ss. 55. Ibid. 7, l. 1 ss. 58. Timée 52 b 2. 62. Ibid. 13, l. 1 ss. 52. Ibid. 3, l. 1 ss. 56. Ibid. 8, l. 1 ss. 59. II,4 (12), 10,1. 1 ss. 63. Ibid. 14,1. 1 ss. 53. Ibid. 4-5. 60. Ibid. Il, l. 1 ss. 412 413 sont-ils par accident dans la matière? Ce qui ordonne est la limi- constitue avec les formes qui appartiennent à l'ordre intelli- te, la détermination, le rapport : c'est l'indéfini qui devient gible 70 • l'ordonné et le défini. L'indéfini n'est pas un accident pour la Nous avons vu que la matière, quoique constituant des matière, c'est elle qui est l'indéfini. Plotin revient alors à la dis- corps, est en elle-même incorporelle, et ne possède aucune des tinction de la matière d'en haut et de la matière d'en bas. Mais qualités qui constituent les corps, car elles lui viennent de la rai- l'indéfini d'en bas fuit l'être et le vrai et il s'est dégradé dans sa son qui l'informe. Mais est-elle aussi impassible comme les nature d'image. Dans son opposition à la matière n'est autres êtres incorporels, bien que si ces derniers sont, si on peut pas autre chose que l'indéfinité 64 • Elle est opposée à ce qui est parler ainsi, des incorporels de richesse et de plénitude, la vraiment, c'est-à-dire aux raisons. Mais la limite qui est la raison matière est un incorporel de pauvreté71 ? Elle est donc incorpo- ne détruit pas la privation: l'indéfini qui est la matière n'est pas relle et impassible mais aussi elle a d'autres caractéristiques dont détruit et reste dans l'être. Elle devient au contraire davantage Plotin fait un tableau peu reluisant. Incorporelle donc, car elle ce qu'elle est. Cette matière quand elle participe au bien est-elle n'est qu'un des deux éléments qui font les corps, elle n'est pas mauvaise? Oui, parce qu'elle en avait besoin, donc qu'elle ne un être, mais plutôt un non-être, "une image et un fantasme de l'avait pas. Ce qui a besoin de quelque chose et qui l'a est inter- masse, un désir d'existence, immobile sans être en repos et invi- médiaire entre le bien et le mal s'il est égal à chacun, mais ce qui sible en elle-même, fuyant ce qui veut la voir, arrivant quand on n'a rien, qui est dans la pauvreté, est nécessairement mauvais: ne la voit pas, non vue si on la regarde, manifestant toujours en pauvreté, non de richesse, mais de sagesse, de vertu, de beauté, elle-même les contraires, petite et grande, moins et plus, défi- de force, de forme, de qualité. La matière est donc sans forme, ciente et dépassante, ne restant pas image, mais au contraire ne laide, mauvaise, elle n'est pas un être65 • pouvant fuir ... C'est pourquoi elle trompe sur tout ce qu'elle Comment se situe la matière dans la relation puissance- promet : si elle paraît grande elle est petite, si elle apparaît plus acte? Est-elle en puissance par rapport à la forme qui l'informe, grande elle est moindre et ce qui est son être en imagination seul le couple matière-forme étant en acte Le fait que dans n'est pas de l'être, mais comme un point qui fuit: c'est pourquoi l'au-delà rien n'est en puissance, mais tout en acte, serait, sem- ce qui paraît être en elle est des jouets, des images dans une ble-t-il, en contradiction avec l'existence d'une matière chez les image tout simplement, comme ce qui est placé dans un miroir 67 intelligibles • Mais la matière d'ici-bas, si elle est en puissance de paraît être ailleurs ... Ce qui y entre et ce qui en sort sont des imi- tous les êtres, n'est en acte d'aucun, elle est du non-être 68 • Elle tations des êtres, des images dans une image sans forme, et à n'est pas être, elle n'a qu'un être futur, celui de l'être qu'elle cause de son caractère informe ce qu'on y voit semble agir en sera, mais elle n'est en aucune façon en acte, sinon comme elle, mais ne fait rien ; des êtres sans consistance, faibles, sans image et comme mensonge, comme non-être69 • Les êtres corpo- solidité; mais comme la matière n'en a pas, on la traverse sans la rels, composés de matière et de forme, sont beaux par cette couper, comme à travers l'eau et comme si on envoyait pour forme et c'est pourquoi Plotin peut affirmer face aux gnostiques ainsi dire des formes (j-lop<l>n) dans ce qu'on appelle le vide ... la beauté du monde sensible bien qu'elle ne puisse être compa- Faible et mensonger et tombé dans un mensonge, comme rée à celle du monde intelligible à cause de la matière qui les dans un rêve, dans de l'eau ou dans un miroir : (la forme ve- nue en elle) a laissé nécessairement la matière impassible, 64. Ibid. 15, 1. 1 ss. 67. Ibid. 3, 1. 1 ss. 65. Ibid. 16, 1. 1 ss. 68. Ibid. 4, 1. 1 ss. 70 II, 9 (33), 17,1. 1 ss. 66. II, 5 (25), 2, 1. 1 ss. 69. Ibid. 5, 1. 1 ss. 71. III, 6 (26), 6, 1. 1 ss. 414 415 bien que dans ce qui vient d'être indiqué il y ait dans ce qui Poros, "l'habileté de l'apparence", pour engendrer Eros. La est vu une ressemblance avec ce qui s'y voit"72. matière reste toujours mendiante comme Pénia, car elle ne La matière ne pâtit pas des qualités qui entrent en elle. garde réellement rien de toutes les images qui s'inscrivent sur Il peut se faire que des qualités opposées qui s'affaiblissent ou elleB2 • Elle est étrangère à toute limite et incapable de se mélan- se détruisent réciproquement, par exemple le chaud et le ger: ce qui entre en elle ne jouit pas d'elle ni elle de ce qui entre froid, la pénètrent, mais ce n'est pas le substrat qui est atteint en elle. Elle ne peut paraître, mais elle devient pour d'autres et on ne peut détruire ce dernier7s . Ce qui pâtit n'est pas la choses cause de paraîtreBS • C'est une raison venue en elle qui lui matière proprement dite, mais la matière informée par une a confié une grandeur qu'elle n'a pas par nature, la faisant ainsi qualité74 qui souffre de l'introduction d'une qualité opposée, aussi grande que l'univers. Mais si l'univers disparaissait sa gran- sans que la matière en elle-même subisse quoi que ce soit. deur cesserait, à cause justement de son impassibilité qui ne lui Dans ce cas le substrat est formé de la matière et d'une ou laisse subir nulle trace de ses états antérieurs84 • Elle n'est pas la plusieurs qualités 75. Les formes (etÔll) entrent dans la matière grandeur, car la grandeur est forme. Elle n'a qu'une grandeur ou se chassent les unes les autres, mais la matière reste ce empruntée85 . Elle revêt cette grandeur comme un vêtement. Elle qu'elle est, laide et mauvaise, impassible à l'égard du bien, reçoit ce que lui donne la raison d'en-haut, mais elle ne peut même si les formes transmuent en bien le composé76 . Suit une donner domicile en elle-même à toutes les formes à la fois, elle exégèse un peu critique de Platon77 sur ce sujee8 : Plotin essaie ne peut les recevoir indivisiblement86. Ce qui entre dans la d'expliquer cette "fuite" de la matière exprimée par Platon et matière comme dans une mère ne lui cause ni tort ni utilité : ce de la concilier avec d'autres expressions en sens inverse dans sont les formes qui peuvent s'opposer les unes aux autres: sous le même passage, notamment "réceptacle et nourrice de tout elle la matière reste intacte. Elle est réceptacle et nourrice 87, le devenir", "ce en quoi chaque chose qui se produit apparaît mère seulement par analogie, car elle n'engendre rien. On et de nouveau sort de là et en est le lieu et le siège", en sauve- l'appelle mère parce qu'elle a le rôle de la mère, conçu habituel- gardant le caractère impassible de la matière. Les formes en lement dans l'antiquité comme étant seulement le réceptacle où question ne sont que des images : ni ces formes ni la matière se développe en enfant la semence reçue du père. Si la mère ne sont des vraies réalités 79 ; les êtres sensibles dans la matière donne quelque chose à l'engendré c'est une forme : conception ne sont que des images, des apparences, comme dans un différente de celle qui vient d'être expliquée. C'est la forme miroir. La cause de ces apparences est l'existence des êtres seule qui engendre, la matière est stérile. La matière est femme intelligibles auxquels ils participentBO • La matière est vue dans par ce qu'elle reçoit, mais non par la capacité d'engendrer Pénia, la pauvreté, qui selon le mythe du Banquet 81 s'unit à qu'elle n'a pas: seule la forme, le mâle, engendre88 • La nature a besoin d'une matière pour agir sur elle: elle la 72. Ibid. 7, 1. 1 ss. travaille pour lui donner la forme. La matière est ce qui se meut, 73. Ibid. 8, 1. 1 ss. 74. Ibid. 9, 1. 1 ss. mais rien dans la nature ne se meut89 . Platon méprise tout le 75. Ibid. 10,1. 1 ss. sensible et blâme la communion de l'âme avec le corps, il dit 76. Ibid. Il, 1.1 ss. que l'âme est enchaînée, ensevelie, emprisonnée en lui. Et 77. Timée 49-52. 78. III, 6 (26), 12,1. 1 ss. 79. Vrai au sens de réalité originelle et pleine, mais le mensonge est pris ici au 82. III, 6 (26), 14,1. 1 ss. 86. Ibid. 18,1. 1 ss. sens strict: tout ce qui est vu dans un miroir est mensonge. 83. Ibid. 15, 1. 1 ss. 87 . PlATON , Timée 49 a 6 : Ibid. 50 a 4-5. 80. Ibid. 13,1. 1 ss. 84. Ibid. 16, 1. 1 ss. 88. III, 6 (26), 19, 1. 1. 81. 203. 85. Ibid. 17, 1. 1 ss. 89. III, 8 (30), 2, 1. 1 et 16. 416 417 cependant il loue cet univers et le dit dieu90 • La communion avec Les astres-dieux voient tout sauf les êtres à qui convient la le corps est pénible à l'âme: elle devient obstacle aux pensées et la génération (ou le devenir)97. N'est-ce pas encore la matière remplit de plaisirs, de convoitises et de chagrins91 . Le corps est "cette substance trompeuse (qui) a besoin d'une belle image pour l'âme une chaîne et un tombeau et le monde une caverne et empruntée (fournie par la forme) afin de paraître belle et de un antre92. Mais si la matière est considérée par Plotin comme le l'être tout à fait, d'autant plus qu'elle participe à la beauté qui mal il ne faut pas oublier qu'elle est une abstraction, qu'elle n'exis- est selon la forme,,98. Diverses catégories d'hommes sont distin- te pas séparée, mais seulement informée par des formes qui procè- guées selon leur dégagement ou non-dégagement du sensible: dent de l'Intelligence, donc de l'Un. C'est ce qui permet à Plotin au plus bas sont ceux qui identifient le mal à la douleur et le d'écrire en sens inverse: "Si la nature de la matière existe toujours, bien au plaisir99 • La beauté qui est dans les corps leur est sur- il n'était pas possible qu'elle ne participe pas (à l'Un ?) puisqu'elle ajoutée : ce sont les formes mises sur les corps comme sur la est ce qui fournit à chacun le bien dans la mesure où chacun (peut matière oo • Chacun des quatre éléments est composé de matière le recevoir) ; ou bien si la production de la matière suivait nécessai- et de ce qui l'informe, car la matière des éléments est par elle- rement des causes antérieures à elle, même ainsi il ne lui fallait pas même sans forme: une forme est venue à la matière. C'est donc être séparée, comme si celui qui donne l'être comme une grâce l'union d'une forme au substrat qui fait le feu, l'eau, l'air et la s'arrêtait par impuissance avant de parvenir jusqu'à elle. Ce qui est terre. Les formes que reçoit l'âme du Monde sont proches de la le plus beau dans le sensible manifeste le meilleur dans les intelli- vérité, c'est-à-dire de l'authenticité primitive dans l'intelligible ; gibles, de leur puissance et de leur bonté, et tout se tient toujours, mais celles que reçoit le corps sont bien diminuées, des images ce qui existe intelligiblement ou sensiblement, les uns existant par et des imitations 101 . La dépréciation du sensible s'étend jus- eux-mêmes, les autres ayant toujours reçu l'être de leur participa- qu'aux sciences qui s'en occupent et qu'il serait pré- tion, car ils imitent autant qu'ils le peuvent la nature intelligible"93. férable d'appeler opinions : elles sont postérieures aux Ce texte pose problème sur la nature et l'origine de la matière. choses, donc leurs images 102 . Dérive-t-elle elle aussi de l'Un ou non, sommes-nous en présence La substance (oùoia) dans les corps n'est pas réellement d'un monisme ou d'un dualisme? Ou la matière ne serait-elle pas substance parce qu'elle s'écoule et on la nommerait mieux deve- la part de négativité qui imprègne les êtres, à mesure qu'ils s'éloi- nir (yÉVEOIÇ). Les corps sont composés de matière et de forme, gnent de l'Un? Se séparer du corps n'est pas affaire de lieu, mais constituants qui n'ont rien de commun. La matière d'ici-bas cor- c'est dans le fait de ne pas s'incliner vers lui 'par l'imagination, en respond-elle à l'être de là-haut et la forme d'ici-bas au mouve- restant étranger à lui94 • n faut laisser le sensible, sauf dans la mesu- ment de ? La forme est-elle comme la vie et la perfection re de la nécessité95 • On comprend alors la consigne qui clôt le qua- de la matière ? Le fait que la matière ne sort pas d'elle-même rante-neuvième traité96 : pour parvenir à l'Un "supprime tout". correspond-il au repos (onlolv) de là-haut et la grande altérité et Mais ce tout n'est pas seulement le sensible, c'est même tout ce qui dissemblance de la matière aux notions de même et d'autre là- est du domaine de l'Intelligence et de l'intelligible, du discursif et haut ? Mais la matière ne possède ni ne reçoit la forme comme du multiple, pour s'abîmer dans l'unité. sa vie ni comme son acte et la forme vient d'ailleurs, de l'intelli- gible, sans être quelque chose de la matière. Là-haut la forme 90. IV, 8 (6), 1, l. 23 ss. 94. V, 1 (10), 10, l. 24 S8. 91. Ibid. 2, l. 42. 95. Ibid. 12, l. 17. 97. V, 8 (31), 4, l. 3. 100. Ibid. 2, l. 12 ss. 92. Ibid. 3, l. 1 ss. 96. V, 3 (49),17, l. 38. 98. Ibid. 9, l. 43. 101. V, 9 (5), 3, l. 1788., 27 sS., 35 S8. 93. Ibid. 6, l. 18. 99. V, 9 (5), l, l. 1 88. 102. Ibid. 7, l. 1 88. 418 419 est acte et mouvement: ici-bas le mouvement est autre chose est la chose la plus déficiente de toutes et la forme qui 112 que la matière et lui survient par accident. La forme est plutôt le s'approche d'elle la plus basse de toutes les formes • La matière 113 repos de la matière et comme son immobilité, limitant ce qui est est le mal, mais la forme qui s'approche d'elle l'élève • Cette sans limite. Comment parler d'un repos de la matière alors conception de la matière a bien évidemment des conséquences qu'elle s'étire dans toutes les dimensions, prend du dehors ses morales. Le désir des richesses empêche de comprendre le formes lO3 ? La matière, ce qu'il y a de commun à toutes les sub- bien114 • Le plaisir du corps ne peut être mélangé à l'intelligen- stances sensibles, n'est pas un genre, car il n'y a pas en elle de ce115• Même les beautés d'ici-bas sont à mépriser parce qu'elles se différences spécifiques, ce sont des formes que viennent les dit: trouvent dans des chairs, dans des corps d'ici-bas comme dans férences. Ni la matière ni la forme ne sont substances, mais le un bourbier116• La matière doit être sans qualité pour pouvoir 117 composé des deux104 • La discussion pour savoir dans quelle recevoir les empreintes de toutes choses • L'action du corps lls mesure on peut dire substance la matière, la forme ou le couple qui nous tire à lui ne nous sépare pas complètement de Dieu . matière-forme se poursuit dans plusieurs chapitres du quarante- Mais on ne sera vraiment et continuement uni à Dieu que lors- quatrième traité 105 • Est concédé à la matière un être obscur, qu'on ne sera plus obscurci par le corpsll9. A l'opposé de la moindre que celui des choses qui sont en elle dans la mesure où contemplation l'âme ne va pas vers le néant absolu mais en des- elles sont des raisons et où elles sont davantage de l'être, alors cendant elle va vers le mal et ainsi vers le néant, mais non vers le qu'elle est complètement sans raison, ombre et chute de la rai- néant absolul20 • son. Elle ne peut pas donner de l'être à ce qui en a plus qu'elle, On peut constater dans toute cette conception de la matiè- la forme lO6 • La substance sensible est donc composée d'éléments re le sens constamment péjoratif, ou presque, que revêt la qui ne sont pas substances, la matière et la forme, mais elle- notion d'image. TI y a là une nette différence avec Origène qui même n'est pas non plus une vraie substance, elle imite seule- voit davantage dans l'image ce qu'elle apporte alors que Plotin ment la vraie. C'est de la vraie substance, celle d'en haut, que met l'accent sur ce qui lui manque. naissent les êtres, mais le substrat des choses sensibles est infé- cond, une ombre qui est seulement une apparencel07 • La matiè- ORIGÈNE re est cause d'infériorité pour la forme qui s'y met: l'homme Nous traiterons de la matière par rapport au mal dans le individuel est inférieur à l'homme en soi lOs . chapitre qui suit. Disons seulement provisoirement qu'Origène Le corps avec sa faiblesse et ses passions trouble l'âme, ne considère pas la matière comme le mal mais qu'il y a cepen- comme une populace désordonnée et criarde envahissant une dant entre le sensible et le mal un rapport qui sera précisé. assemblée de sages sénateurs lO9 • Par opposition à la stabilité d'en haut l'être d'ici-bas est mobile, apte à tous les changements et Deux passages principaux du Traité des Principes s'occu- divisé en tous lieux, il est davantage devenir (yÉvEcnç) que sub- pent de la matière et on trouve aussi dans le même livre des stance et ne peut être objet que d'opinion La nature allusions plus courtes : il y en a de même dans les autres écrits. d'en bas a la prétention dérisoire d'être substancelll • La matière La nature corporelle, c'est-à-dire la matière informée par des 103. VI, 3 (44), 2, 1. 7 SS. 108. Ibid. 9, 1. 32 SS. 112. VI, 7 (38), 27, 1. Il. 117. VI, 9 (9), 7, l. 12. 104. Ibid. 3, 1. 6 SS. 109. VI, 4 (22), 15, 1. 18 SS., 23 SS. 113. Ibid. 28, 1. 1 SS. 118. Ibid. 9, l. 7. 105. VI, 3 (44), par exemple 4 et 7. 110. VI, 5 (23), 2, 1. 3 SS. 114. Ibid. 29, l. 12 SS. 119. Ibid. 10, l. 2 SS. 106. Ibid. 7, 1. 5 SS. 111. VI, 6 (34), 18, 1. 34 SS. 115. Ibid. 30, l. 15 SS. 120. Ibid. Il, l. 35 SS. 107. Ibid. 8, 1. 30 SS. 116. Ibid. 31, l. 21 ss. : cf. 34, 1. 30. 420 421 de la lune: au plus bas la sphère de la terre, puis au-dessus celle de qualités, constitue le monde sensible. Elle subit des change- l'eau, un peu plus haut celle de l'air, plus haut encore celle du feu. ments divers et la matière, son substrat, s'y prête. Entre autres exemples est donné celui de la nourriture qui met le corps ani- Mais contrairement à l'avis de la plupart des Grecs tenant mal et humain en changement continuel, les éléments matériels la matière pour incréée et conformément à la thèse chrétienne étant comme un fleuve toujours le même, bien que ses eaux de la création ex nihilo que nous avons déjà vue affirmée par soient toujours différentes. Ce dernier exemple est développé Origène, la matière est créée par Dieu : Dieu n'est pas seule- par un fragment du Commentaire sur le Psaume 1 conservé par ment celui qui la modifie en lui donnant des qualités nouvelles, Méthode dans AglaoPhon ou De la Résurrection, en grec dans le mais il lui confère l'existence, et Origène s'étonne de ce que Panarion 64 d'Epiphane121 . Selon ce passage l'unité du corps est "tant de grands hommes ont pensé qu'elle était incréée", soute- assurée, malgré son caractère fluent, par un ETôoç cHùj.1aTlKOV, nant que le grand ouvrage du monde dure sans artisan et sans une "fonne corporelle" qui reste la même pendant toute la vie personne qui y pourvoie". Car si elle est, comme ils le pensent, et assure la continuité du corps terrestre à chaque âge et aussi "incréée et coéternelle au Dieu créé", il faut en conclure que entre le corps terrestre et le corps ressuscite 22. Les quatre élé- Dieu aurait été oisifl26. "Cette matière est donc si considérable et ments classiques, terre, eau, air, feu, sont susceptibles de se de telle nature qu'elle peut suffire à tous les corps du monde, à changer les uns dans les autres, car ils ne sont pas des principes qui Dieu a voulu donner l'existence et le créateur s'en sert pour absolument premiers, mais ils sont constitués de matière infor- fabriquer toutes les formes et espèces qu'il veut, lorsqu'elle mée par deux des quatre qualités, chaud, froid, sec, humide: reçoit les qualités qu'il a voulu lui imposer"127. On retrouve plu- tous les êtres corporels ont ces quatre éléments comme consti- sieurs fois dans le Peri Archon des affirmations équivalentes: tuants. En elle-même la matière est sans qualité, mais elle ne "Lorsque le monde a eu besoin de variété et de diversité", c'est- peut subsister sans être infonnée par des qualités123 . Ces concep- à-dire lorsque la chute des intelligences préexistantes a amené tions sont fréquentes chez les "Grecs", c'est-à-dire chez les Dieu à créer le monde sensible, dont la diversité devait refléter païens, de l'avis d'Origène lui-même 124 et on les retrouve fré- les différents niveaux où étaient tombées les intelligences, "la quemment dans son oeuvre avec cependant l'idée que les chan- matière s'est livrée en toute disponibilité dans ses différents gements de qualités sont dus à l'action du Créateur125 . Le Com- aspects et espèces des choses à celui qui l'a faite, puisqu'il est mentaire surJean, à propos des quatre mois de Jn 4, 35, reproduit son seigneur et son créateur, pour qu'il puisse tirer d'elle les une doctrine selon laquelle les quatre éléments constituent formes diverses des êtres célestes", les astres, "et terrestres"128. quatre sphères placées sous la nature éthérée, c'est-à-dire sous Ou encore :"Quelle que soit la chose dans laquelle veuille la les sphères stellaires et planétaires dont la plus proche est celle façonner, la travailler ou la remanier l'artisan de toutes choses, Dieu, la matière lui est disponible en tout, il peut donc la trans- 121. METHODE, Aglaophon ou De la Résurrection XX, GCS 244,13 ss. 122. Cf. CCels V, 23 ; H. CROUZEL, "Les critiques adressées par Méthode et 126. La conception du Dieu oisif est combattue par l'élève d'Origène, Grégoire ses contemporains à la doctrine origénienne du corps ressuscité" Gregorianum le Thaumaturge, dans un dialogue conservé en syriaque, "A Théopompe, du 53, 1972, 679-716 ; "La doctrine origénienne du corps ressuscité", Bulletin de passible ou de l'impassible en Dieu". Voir H. CROUZEL, "La passion de Littérature Ecclésiastique 81, 1980, 175-200, 241-266. Réédités dans Les fins der- l'Impassible" dans L 'homme devant Dieu, : Mélanges offerts au père Henri de Lubac. nières selon Origène , Variorum 1990. Tome 1 : Exégèse et patristique, Paris 1963. L'authenticité de cet écrit a été dis- 123. PArch II, 1,4,92. cutée depuis avec des raisons qui nous paraissent insuffisantes. 124. CCels III, 41, 13. 127. PArch Il, 1,4, 118. 125. CCels IV, 56 ; VI, 77 ; ComJn XIII, 21, 127 ; XIII, 40, 262-267 ; XIII, 61 (59),429. 128. Ibid. III, 6, 4, 126. 423 422 muer et la transformer en n'importe quelle forme ou apparen- d'hui la personnalité, de la nature raisonnable de l'homme, alors ce, selon ce que demandent les mérites de chacun"l29. Nous que l'unité de sa nature corporelle, en dépit de même de ses muta- constatons encore la liaison étroite qu'il y a entre la création de tions, est faite par la "forme corporelle", l'dôoç OWJ.l<lTlKOV, dont la matière et les différentes formes qu'elle prend par suite de la parle, nous l'avons vu plus haut, le Commentaire sur le Psaume 1 et faute des êtres raisonnables. à laquelle fait allusion le Contre Ce/sel35, la comparant à la raison Pour revenir au passage que nous avons commencé à séminale des Stoïciens. A ces deux "natures générales" corres- expliquer Origène polémique donc avec ceux qui tiennent une pondent les deux oùolal que dans un passage très technique matière incréée et qui en font, dit-il, un produit du hasard, et il dont le ton contraste avec l'ensemble du livre le Traité de la ne cache pas que cela lui paraît, dit-il "tout à fait absurde et le Prière oppose dans l'explication du pain ÉruouoloÇ du Notre propre d'hommes qui ignorent tout de la puissance et de l'intel- Pèrel36 • Il Y a une oùola ou une ùnooTaolç - les deux mots sem- ligence de la nature incréée"l30, c'est-à-dire de Dieu. Il les réfute blent ici équivalents - des incorporels dont l'être n'admet ni par un raisonnement per absurdum sur lequel nous n'insistons accroissement ni diminution ; et une autre des êtres corporels pas. Les mêmes raisonnements peuvent être lus dans un passage susceptibles au contraire de s'accroître ou de se corrompre. du Commentaire sur la Genèse conservé par Eusèbe dans sa Pré- Pour ceux qui voient dans cette seconde catégorie celle qui paration Evangéliquel'!>l. On y lit que Dieu a créé assez de matière domine, cette ousia est la matière première des corps, des êtres pour donner l'existence à ce qu'il a VOulUl,!>2. La création ex nihilo qui ont un nom, elle est le premier subsistant (ùnooTaTov) sans de la matière est prouvée par des textes: 2 Macc 7, 28, parole de qualité (anolov), ce qui préexiste (npoU<f>loTatLEvov) aux êtres, qui la mère des sept fils martyrs à l'un d'entre eux; le Pasteur reçoit toutes les transformations et tous les change- d'Hermas, Précepte l, l, considéré par Origène comme Ecri- ments en étant lui-même inaltérable (àvaÀÀolwTov) ture; une exégèse adaptée de Ps 141, 5 qui lui paraît distinguer selon sa propre nature (Àoyov), ou ce qui subsiste (ùnoJJivov) matière et qualités l'!>'!>. sous tout changement ou transformation. Selon ceux qui la pro- Il y a donc pour Origène deux "natures générales", créées fessent l'ousia est sans qualité (anoloç), sans forme extérieure par Dieu : "une nature visible, c'est-à-dire corporelle, et une selon sa propre nature, elle n'a pas de grandeur nature invisible qui est incorporelle". Les deux peuvent chan- fIxe, mais elle est disponible à toute qualité comme un ger, mais de manière diverse : "L'invisible, qui est raisonnable, lieu (xwplov) qui lui est préparé. Ces qualités sont les énergies change de mentalité et de propos par le fait qu'elle est douée de (ÉVEpydaç) et les actions (nOlT10EIÇ) à la fois et elles comprennent libre arbitre ; à cause de cela elle se trouve tantôt dans le bien, les mouvements (KlVnOElç) et les manières d'être (OxnOE1ç). tantôt dans le mal"l34. C'est bien, semble-t-il, le libre arbitre qui L'ousia selon sa nature ne participe à aucune d'elles, mais elle constitue, malgré ses variations, l'unité, nous dirions aujour- est toujours avec l'une d'elles et elle peut recevoir toutes les énergies de l'agent selon que ce dernier agit sur elle et la trans- 129. Ibid. III, 6, 7, 239. forme. Car la tension (TOVoç) qui est en elle est tout à fait sépa- 130. II, 1,4, 140. rée de toute qualité et est cause de toutes les organisations 131. VII, 20, 1 : SC 215, 272, 6 et 8. (oiKovollwv) où elle se trouve: elle est entièrement muable 132. el geÀy)oaç ùnooTijoal <> Tl expression qui correspond exactement à PArch l, 2, 6, 165, selon Rutin à propos de la génération du Fils: "Et ideo ego et divisible et toute ousia peut être mêlée ou unie arbitror quod suffuere debeat uolllntas Patris ad sllbsistendum hoc, quod mût Pater" 133. PArch II, 1,5, 157. 135. CCels V, 23, 4. 134. Ibid. III, 6, 7, 222. 136. PEuch 27, 8, 367, 13. 424 425 à toute autre. Cette conception de la substance matérielle, domi- jamais sans être informée par des qualités ? Certains ont pensé nante chez les Stoïciens, secondaire pour les Platoniciens, pour réduire la matière aux qualités pour supprimer le problème que qui la substance principale est la spirituelle, est exactement celle pose la création ou la non-création de la matière, puisque, dit de la substance matérielle chez Origène et elle préside à ses spé- Origène, tous les partisans d'une matière incréée "reconnaissent culations sur les corps ressuscités. que les qualités ont été faites par Dieu". Mais on perçoit un être Avant d'aborder le problème des corps éthérés que soulè- humain toujours dans une certaine attitude ou une certaine ve pour Origène le dogme de la résurrection des corps, ache- action qui constituent un caractère accidentel: on peut donc le vons de lire le Traité des PrinciPes. Car la nature de la matière considérer soit en lui-même, soit selon cette attitude ou cette intervient encore dans l'Anakejalaiôsis qui termine le livre IV. action. L'idée de l'homme en question fait abstraction de l'atti- Nous apprenons d'abord que le problème de la matière est posé tude ou de l'action. On peut de même écarter par l'intelligence aussi à Origène par les Gnostiques1S7 pour qui la matière est la qualité et "par une sorte de pensée artificielle contempler la intrinsèquement mauvaise et principe du mal. Sur ce point, que matière dépouillée de toutes ces qualités". L'expression traduite nous envisageons plus loin, Origène déclare dans le Contre par Rufin : "simulata quodammodo cogitatione" fait penser au "rai- Celse 1S8 : "Pour nous il n'est pas vrai que la matière qui réside sonnement bâtard" de Platon140 , reproduit par Albinos1 41 . La dans les êtres mortels soit cause du mal. L'intelligence de cha- matière reste donc imparfaite sans les qualités : Origène voit cun est cause de sa malice personnelle qui est le mal". Le der- cela dans le Ps 138, 16 et dans les livres d'Enoch 142, considérés nier chapitre du Traité des Principes 1S9 ne trouve pas le mot üÀl1 eux aussi plus ou moins comme Ecriture. dans l'Ecriture, sauf dans Is 10, 17 où, selon Origène, le mot A propos de la "matière intelligible" de Plotin nous avons désigne les péchés - en fait il signifie le bois et la forêt - et dans évoqué les corps éthérés ou "étincelants" d'Origène, attribués Sg Il, 17, sans cacher que le Livre de la Sagesse n'est pas reconnu d'une part aux intelligences préexistantes, aux anges et aux res- par tous comme Ecriture: rédigé à Alexandrie au premier siècle suscités14S, sans parler des corps obscurs des démons et de ceux avant Jésus-Christ - mais Origène ne le considère pas ainsi -, il des damnés figurés par les "ténèbres extérieures"l44, d'autre part reproduit la conception grecque de la matière informe (<llloP<l>ou aux astres puisque les sphères planétaires et astrales sont dites üÀl1ç). Puis Origène trouve cette matière- informe dans la "terre "la nature éthérée"145. Cette matière éthérée est-elle tout à fait invisible et sans ordre" que Dieu fit au commencement selon sans rapport avec la matière terrestre? Nous ne le pensons pas. Gn l, 1. La matière est donc le principe initial des corps anté- D'une part elle peut tomber elle aussi sous les sens puisque les rieur aux quatre éléments et Origène repousse diverses théories astres sont visibles et puisque Origène rapporte sans exprimer comme celle des atomes et des homéOrriéries, car elles suppose- de scepticisme que "Platon clans son dialogue sur l'âme", le raient des principes immuables autres que la matière susceptible Phédon 146, "dit qu'autour des tombeaux sont apparues à certains de toutes les formes. Pour Origène, la substance matérielle doit pouvoir s'adapter à tous les changements imposés par les mou- vements du libre arbitre des substances spirituelles. Mais com- 140. Timée 52 b. ment distinguer la matière de ses qualités, puisqu'elle n'existe 141. Epitome VIII, 2 (Louis) : dans PArch IV, 4, 7, 244. 142. 1 Enoch 21, 1 ; 2 Enoch 40, 1. 143. ComMt XVII, 30, 671, 16. 137. PArch IV, 4, 5, 199. 144. PArch l, pref. 8, 164; II, 10,8, 265. 138. CCels IV, 66, 8. 145. ComJn XIII, 40, 266 ; dit explicitement des astres PArch l, 7, 5, 157. 139. PArch IV, 3 (33),202. 146. Phédon 81 d. 426 427 des images semblables à des ombres, des hommes qui venaient Origène fait donc de l'éther une qualité de la matière, celle de mourir. Or ces images apparaissant autour des tombeaux des qui lui donne son état le plus pur, adapté aux régions célestes et morts viennent d'une substance, car l'âme subsiste dans ce que irréductible aux quatre éléments qui sont eux aussi, rappelons-Ie, la l'on appelle le corps lumineux"147. Il s'agit ici dans la pensée matière poUlVUe de qualités. TI semble donc bien que les corps éthé- d'Origène, non du corps ressuscité, mais de l'enveloppe qui revêt rés, qu'ils soient dans le ciel stellaire ou dans celui des bienheu- l'âme entre la mort et la résurrection 148 . Mais cette notion de reux, aient comme substrat la matière commune. TI y a d'ailleurs, "nature éthérée", telle qu'elle est employée par Origène, pose des semble-t-il, continuité pour Origène entre le ciel stellaire et celui problèmes. des bienheureux puisqu'il logerait volontiers ces derniers sur la neuvième sphère, celle qu'avait imaginé Hipparque pour L'éther, notion utilisée par Platon et par Aristote, désigne résoudre le problème de la précession des équinoxes 154 . Par pour Origène un lieu du ciel supérieur à celui de l'air, où se ailleurs il fait de la montée des âmes après la mort une ascension trouvent les corps les plus purs, les astres149, mais aussi la nature progressive à travers les sphères planétaires où les défunts reçoi- des corps qui vivent dans ces lieux, l'état le plus pur que puisse vent l'enseignement de maîtres angéliques comme dans une recevoir la nature corporellel50 • Cependant il s'oppose à la doc- Université d'après la mort155. trine aristotélicienne de l'éther cinquième élément, telle que le philosophe la présentait dans son dialogue de jeunesse Peri C'est dans ce contexte que se situe la discussion menée à Philosophias : Origène refuse que l'éther soit un cinquième corps quatre reprises dans le Peri Archon entre une fin totalement après les quatre éléments151 et que soient ainsi donnés aux res- incorporelle - le corps ressuscité n'étant alors qu'une étape - suscités des corps tout à fait dissemblables à ceux qu'ils ont eu et une fin corporelle dans un corps éthéré. Dans la version de de leur vivant. Les corps des ressuscités seront au contraire par Rufin on voit les deux solutions, bien que le traducteur ait, rapport aux corps terrestres comme la plante par rapport à la semble-t-il, télescopé un peu certains textes se rapportant à la graine selon l'image utilisée par Paul dans 1 Co 15, 42 ss. Mais il première. Et Origène ne conclut pas, laissant la solution au juge- ne fait aucune difficulté dans le Contre Celse 152 à admettre que "la ment du lecteur. Les fragments qui restent de la traduction de qualité mortelle du corps de Jésus a été changée en une qualité Jérôme ne parlent pratiquement' que de l'incorporéité finale et éthérée et divine". Ailleurs il contredit 'encore la doctrine de donnent l'impression qu'elle était fermement tenue par l'éther cinquième élément à propos de gens qui attribuent à Origène. Pour comprendre cela il faut se rappeler que la version Dieu un corps éthéré alors que Dieu est àbsolument incorpo- de Jérôme, rédigée pour montrer combien Origène était héré- tique et Rufin infidèle, est perdue : elle devait bien cependant 147. CCels II, 60, 10. rapporter les deux opinions. Nous n'avons d'elle qu'une collec- 148. Le "véhicule" de l'âme: voir H. CROUZEL, "Le thème platonicien du tion de "perles" hérétiques tirées de tout contexte dans la lettre <véhicule de l'âme> chez Origène", Didaskalia, 7, 1977,225-237; réédité Lesfiru der- nières selon Origène, Variorum 1990. Le texte principal est un passage cité par 124 à Avitus qui avait écrit àJérôme pour lui demander sa tra- Méthode dans Aglaophon ou De la Résurrection III, 17 (CCS 413, 17), connu par la duction. Ce dernier l'avait envoyée avec une lettre où, pour ainsi version paléoslave de ce livre et en grec par Photios, Bibliotheca, codex 234, 3000 B. dire, il mettait les points sur les i, signalant les opinions héré- 149. PArch II, 1, 1, 16; ComJn XIII, 40, 266-267 ; HomEz N, 1, 107. 150. PArch l, 6, 4, 184; l, 7, 5, 155; ComJn XIII, 21, 123; CCels III, 41, 19; III, 42, 10; IV, 56, 30. 153. ComJn XIII, 21, 126: cf. CCels N,56, 15. 151. PArch III, 6, 6, 195. 154. PArch II,3,6,275: voir le commentaire dans SC 253 p. 155-157, avec les explications de J. Rament. 152. CCels III, 41, 17 : cf III, 42, 9 "telle qu'il le fallait pour séjourner dans 155. PArch II, 11,5-6. particulièrement lignes 214 ss. l'éther et les régions au-dessus de lui". 428 429 tiques discutées par Origène, sans se demander si ce dernier les les non-êtres, non des non-êtres absolus, mais quelque chose tenait, et cela avec une compréhension théologique assez fai- d'autre que l'être. TI ne s'agit pas non plus de quelque chose de blel56 • Pour trancher entre Rufin qui donne les deux aspects de semblable au mouvement et au repos qui sont en relation avec l'alternative dans un contexte de discussion, habituel au Traité des l'être. C'est tout le sensible et toutes les passions du sensible et Principes, et Jérôme représenté non par sa traduction complète ce qui est lié à lui : sans mesure, sans limite, sans idée, toujours mais par les extraits contenus dans sa lettre, il suffit de constater déficient, indéfini, jamais stable, insatiable, une complète pau- que dans les autres oeuvres d'Origène la fin incorporelle n'appa- vreté. Tout cela n'est pas pour le sensible des accidents, mais raît pas et la fin corporelle est représentée fréquemment comme comme son essence. C'est là le mal en lui-même et ce qui parti- définitive 157 • Et pour juger de cette discussion comme de bien cipe au sensible participe au mal. TI y a un Bien en soi, auquel d'autres du même livre, il faut tenir compte de son intention pri- des êtres participent ; de même un mal en soi auquel pareille- mordialel58 • ment des êtres participent. Ce premier mal c'est le substrat qui est sous tous les êtres mesurés, etc ; il est orné d'un ornement étranger, substance du mal si on peut le dire substance, décou- 3. Le Mal vert par la raison comme le mal premier et en SOP61. La nature PLOTIN des corps n'est pas le premier mal, car elle a une idée, qui n'est La matière est donc en relation avec le mal. Le cinquante- pas vraie au sens platonicien de modèle premier et originaire, et-unième traité (l, 8) se demande quels sont les maux et d'où mais elle est privée de vie et les corps se détruisent eux-mêmes viennent-ils. Le mal est l'absence de tout bien, le contraire du par un mouvement désordonné, elle est obstacle pour l'âme bien: c'est pourquoi la science du mal est celle du bien. Le mal dans son activité. L'âme n'est pas mauvaise en elle-même, du est non une idée (d8oç), mais une privation (CHÉPTlCHÇ)159. Un moins elle n'est pas toute mauvaise. Est mauvaise la partie dérai- court chapitre résume la doctrine du Bien et de son acte pre- sonnable de l'âme qui reçoit le mal, l'absence de mesure, l'excès mier, l'Intelligence l60 • Le mal n'est pas dans les êtres, mais dans et le manque d'où viennent tous les vices. L'âme est mêlée à l'absence de mesure, de forme, elle est mélangée au corps qui a 156. Voir H. CROUZEL, "Jérôme traducteur du Peri Archon d'Origène" dans la matière. Elle entraîne avec elle la faculté raisonnante qui ne Jérôme entre l'Occident et l'Orient, Actes du Colloque de Chantilly (septembre peut plus voir le vrai, car elle est obscurcie par la matière qui 1986) publiés par Yves-Marie Duval, Paris, 1988, 153-161. l'enferme dans le devenir dont la matière est le principe et 157. Dans Origeniana Secunda, Quademi di "Vetera Christianorum" 15, Roma auquel elle assimile tout ce qui la touche 62 • Le mal pour l'âme 1980, Fr X. Kettler a voulu trouver la fin incorporelle dans d'autres textes d'Origène: "Neue Beabachtungen zur Apokatastasislehre", p. 333-348. En est dans la complète déficience du bien, déficience qui est la recensant ce livre dans la "Chronique origénienne" de 1982 (Bulletin de Litté- matière, incompatible avec la possession d'un peu de bien, avec rature Ecclésiastique 83, 224-227) nous disons pourquoi cette démonstration ne une participation au bien même infime 163 • Les dieux sensibles, nous paraît pas valable. les astres, ont la matière, mais non le mal. Le mal est réservé à 158. Voir H. CROUZEL, Origène, Paris 1985, 203-236 : "Caractères de sa théo- logie". A propos de la discussion sur la corporéité ou l'incorporéité finale Josep ici-bas. La fuite que préconise le Théétète de Platonl64 ne consiste RIUS-CAMPS, "La suerte final de la naturaleza corporea segun el Peri Archon pas à quitter la terre, mais à être juste et saint avec prudence : de Origenes", publiée à la fois dans Vetera Christianomm, 10, 1973, 291-304 et dans Studia Patristica XIV, TU 117, 1976,167-179. Voici quelques textes du 161. Ibid. 3, l. 1 ss. CCels sur le sujet: III, 41-42 ; IV, 56, 10; IV, 57 ; IV, 60, 10; IV, 54. 162. Ibid. 4, l. 1 S5. 159. l, 8 (51) 1,1. 1 ss. 163. Ibid. 5, l. 1 55. 160. Ibid. 2,1. 1 ss. 164.176 a. 430 431 c'est le mal qu'il faut fuir. Mais l'existence des maux est néces- dent qui existe en autre chose. La matière est le substrat où se saire car il faut qu'existe le contraire du bien. La vertu est un trouve l'accident, la qualité. Elle n'est pas mauvaise parce qu'elle bien qui permet de dominer la matière. TI n'est cependant pas aurait la qualité d'être mauvaise, mais parce qu'en elle-même nécessaire que, parce que quelque chose existe, existe aussi son elle n'a pas de qualite 71 . La matière opposée à toute forme, c'est contraire. Et la plupart des contraires ont des éléments com- la privation qui est toujours en autre chose et n'est pas substan- muns. Mais entre l'être et le non-être, le bien et le mal, c'est ce. La privation est le mal, le mal privé de forme, donc d'être. Le l'opposition complète165. mal dans l'âme c'est l'absence du bien. Cette privation du bien Mais pourquoi la présence du bien rend-elle nécessaire l'âme ne l'a pas par elle-même puisqu'elle est par définition la celle du mal ? Parce que cet univers est fait de matière, il est un vie : elle a la forme du Bien, une trace de l'Intelligence, elle est mélange d'intelligence et de nécessité 166 . Selon le Timée 167 , en elle-même bonne et non mauvaise 172. Le bien est dans l'essen- l'homme n'est pas immortel parce qu'il est né, mais par l'action ce de l'âme, le mal y est par accident'7!J. Le vice n'est pas directe- divine il ne périra pas : en conséquence les maux ne périront ment le mal, pas plus que la vertu le bien, mais son coopérateur. point. On les fuit en se séparant du corps par la vertu, ainsi on La vertu n'est pas le beau ni le bien en soi, pas davantage le vice est parmi les dieux, dans les intelligibles, qui sont éternels. On n'est le laid ou le mal en soi. De la vertu on monte au beau et au peut montrer qu'il y aura toujours du mal par le fait qu'il y aura bien et du vice on descend vers le laid et le mal, le lieu de la dis- toujours un dernier après lequel rien ne pourra être engendré : semblance174 et le bourbier ténébreux175 . La mort de l'âme, par ce dernier c'est le mal, c'est la matière qui n'a plus rien de l'Un l68 • delà le vice, c'est la plongée dans la matière, c'est d'être rempli Si quelqu'un prétend que les maux ne viennent pas de la matiè- d'elle176. Quelle est l'origine de cette faiblesse de l'âme qu'est le re, mais de la forme, il serait cependant forcé de reconnaître que vice? Cette faiblesse de l'âme est dans celles qui ont perdu leurs la matière est le mal, car la forme n'agit pas sans la matière et les ailes 177 et qui sont tombées, qui ne sont ni pures ni purifiées: formes qui sont dans la matière ne sont pas comme elles seraient elle n'est pas l'enlèvement de quelque chose, mais la présence sans la matière, car ce sont des raisons engagées dans la matière, d'un élément étranger, la matière qui obscurcit et veut entrer corrompues par elle et remplies de sa nature. La matière devient dans l'intérieur de l'âme 178. Si on dit que le mal n'existe pas dans maîtresse de la forme et projette sur son action ses désordres. La les êtres, il faut conclure que le bien non plus n'y existe pas. matière comme le corps est cause des maux, des diversités de dis- Dans une âme qui ne connaît pas le malles passions sont absen- positions que l'on voit chez les hommes 169. ,On connaît la vertu tes, car toutes proviennent du corps et de la matière, à part le par l'intelligence, mais comment connaît-{)n le vice? Nous le sai- désir qui la porte vers l'Intelligence179. sissons négativement par ce qui lui manque de l'idée. Nous Les vices viennent de la rencontre de l'âme avec le de- voyons la matière un peu comme l'oeil voit la ténèbre 170. Com- hors l80 • Les maux sont nécessaires, ils contribuent à la perfection ment la matière est-elle mauvaise, étant sans qualité ? La qualité de l'univers, mais il n'est pas facile d'en savoir toujours la raison: est ce par quoi une chose est dite de telle nature : c'est un acci- et le vice lui-même a beaucoup d'utilité et produit de nombreux biens ; il nous incite à la prudence et nous empêche de nous 165. l, 8 (51) 6, l. 1 ss. 166. PLATON, Timée 47 e - 48 a. 171. Ibid. 10, l. 1 ss. 176. 1,8 (51), 13, l. 1 ss. 167. Ibid. 41 b 2-4, 11-12 ;, ou Théétète 176 a 5. 172. Ibid. Il, l. 1 ss. 177. PLATON, Phèdre 246 b 7 - c 1. 168. l, 8 (51), 7, l. 1 ss. 173. Ibid. 12, l. 1 ss. 178. l, 8 (51), 14, l. 1 ss. 169. Ibid. 8, l. 1 ss. 174. PLATON, Politique 273 d. 6 - e 1. 179. Ibid. 15, l. 1 ss. 170. Ibid. 9, l. 1 ss. 175. Idem, Phédon 69 c 6. 180. II,3 (52), 8, l. 14 ss. 432 433 endormir dans une fausse sécurité1S1 . Mais il n'y a pas de mal dans ORIGÈNE le monde intelligible, on n'y trouve pas la malice du corps qui Nous avons déjà lu dans le Contre Celse 191 : "Pour nous il est troublé et qui trouble l82 . Il ne faut pas penser que le mal est n'est pas vrai que la matière qui réside dans les êtres mortels soit seulement un bien moindre : dans ce cas il y aurait du mal là- la cause du mal. L'intelligence de chacun est cause de sa malice haut, car l'Ame est inférieure à l'Intelligence et l'Intelligence au personnelle, qui est le mal". Mais de ce que pour Origène la Bien Les maladies ne sont pas à imputer à des démons matière n'est pas le mal, il ne s'ensuit pas, nous allons le voir, comme le font les gnostiques : elles se guérissent par la tempé- rance et un mode de vie ordonné l84 . Le mal moral commence que le sensible, mieux que la matière, soit sans rapport avec le parfois par une légère inclination, mais cette dernière s'accroît mal. D'autre part cette phrase montre que pour Origène le seul ensuite et peut mener à des fautes très grandes 185. Les maux mal à proprement parler est le péché : il faut en conclure que le d'ici-bas, pauvreté, maladies, ne sont rien pour les bons, mais mal seulement physique, celui qui ne dépend pas de la volonté sont pour mauvais des malheurs. Les maladies sont parmi libre de l'homme, ne compte pas beaucoup pour luP92. En effet les nécessités de l'existence. Tout cela a sa place dans l'ordre et seul ou à peu près le mal moral, le péché, revêt de l'importance l'accomplissement de l'univers, car il se sert de la disposition à ses yeux. des uns pour la ruine des autres. Certains maux sont utiles à Un des points de la controverse qu'il mène fréquemment ceux qui les subissent, même le vice en provoquant le châti- contre Aristote concerne la doctrine des trois sortes de biens, ment qui sert d'exemple. Il oblige à la vigilance et enseigne par d'où découlent logiquement trois sortes de maux : les biens et contrecoup que la vertu est un bien. Puisque les maux existent les maux de l'âme, c'est-à-dire les vertus et les vices sont seuls ils doivent être utiles et enseigner le devoir. Savoir tirer parti du reconnus par Origène biens ou maux, non ceux du corps com- mal lui-même pour le bien manifeste un très grand pouvoir. Il me la santé et la maladie, ni ceux du dehors comme richesse et faut considérer le mal comme le manque du bien. Les maux ne pauvreté, gloire et obscurité : Origène fait plusieurs fois allu- peuvent disparaître et existeront toujours l86 . Plotin pose le pro- sion à cette doctrine d' et des Epicuriens, rejetée par blème des malheurs qui atteignent le juste et des prospérités du Platoniciens et Stoïciens l94 et ses critiques trouvaient place dans méchant, alors qu'existe une providence187. La vertu est une har- son enseignement de Césarée, témoin le Remerciement de monie, le vice une désharmonie, harmonie ou désharmonie Grégoire le Thaumaturge195 . Un passage du Commentaire sur le des parties de l'âme l88 . Ce qui fait surtout la malice ce sont les Psaume 4, conservé par la Philocaliel96 , est consacré à cette ques- opinions fausses. La malice peut être aussi provoquée par le tion. Les véritables biens ou maux sont ceux qui dépendent de mauvais état du COrpSl89. Mais il n'y a aucun mal dans le monde notre libre choix, donc ceux de l'âme97 . Mais il y en a qui pré- intelligible: le mal n'est pas un être, mais vient d'un manque, tendent trouver dans l'Ecriture les trois sortes de biens et de d'une privation, d'un défaut; il est la passion que subit une matière, ou quelque chose qui joue le rôle de matière, et qui échoue l90. - 191. CCels N, 66, 8 : cf. 111,42, 12. 192. Voir Annaliese MEIS WOERMER, El problema dei mal en Origenes, Santiago (Chile) 1988. 181. Ibid. 18, l. 1 ss. 193. Ethique à Nicomaqlle 1, 13, 11021, 13 : cf. 1, 8, 1098 b, 12 ss. 186. Ibid. 5, l. 6 ss. : PLATON, Théétète 176 a 5. 194. CCels 1, 10, 18; ComRm III, 1, 927 B ; FragmRm (Schérer) II, 19, 130, 2. 182. II, 9 (33), 8, l. 34 ss. 187. III, 2 (47), 6, l. 1 ss. 195. RemOrig VI, 75-77 : et les biens et maux du dehors sont traités avec scep- 183. Ibid. 13, l. 25 ss. 188. PLATON, Phédon 93 e 8-9. ticisme, "s'il en existe" IX, 122. 184. Ibid. 14, l. 11 ss. 189. III, 6 (26), 2, l. 1 ss. 196. Philoc 26 (SC 226). 185. III, 2 (47), 4, l. 39 ss. 190. V, 9 (5), 10, l. 15 ss. 197. Ibid. 1. 434 1 1 435 maux, à cause des nombreuses promesses de biens qu'on y lit par M. Har1 21o , le dégoût du bien, du spirituel, comparable à l"'acé- 211 quand on les prend à la lettre98 • TI ne faut pas les prendre à la die" des moines orientaux; de même la paresse et l'orgueil , le lettre et Origène montre cela avec un argument qu'il pense rédhi- refus d'obéir à Dieu et à son Verbe212 ; et, comme nous l'avons bitoire : les prophètes, les plus saints hommes de l'Ancien vu plus haut, le fait de s'attribuer à soi-même le mérite de ce Testament, n'ont eu aucun de ces prétendus biens, mais ont reçu qu'on a par la grâce de Dieu, ou de considérer comme Dieu ce au contraire tout ce qui est considéré comme maux; on peut dire qui ne l'est pas, c'est-à-dire l'idolâtrie21:i. la même chose pour les tribulations du juste Job. Origène réagit Ce n'est pas notre nature qui est en nous cause du mal, contre la mentalité qui veut lier les maladies aux péchés et la pros- comme le prétendent les Valentiniens classant les hommes en périté matérielle à la vertul99 • Les bonnes actions accomplies pour pneumatiques, psychiques et choïques, mais c'est le libre arbitre obtenir des biens matériels ne sont pas de bonnes actions et quand il décide de faire le mal sans contrainte2H • TI Y a, certes, Origène s'élève, comme il le fait fréquemment, contre la mentali- des degrés dans le péché: il peut être faiblesse de l'âme, plus té millénariste qui fait de la vie après la "première résurrection" gravement maladie de l'âme, plus gravement encore mort de une vie de délices matériels200 • Le bien de l'homme dépend de son l'âme. Certains endorment leur libre arbitre par l'habitude du libre choix et bien plus encore de la grâce divine: il n'y a donc de péché215 • Cette expression, vuoTaCovTeç TnV npoalpeolv, fait pen- biens et de maux que là où joue le libre arbitre et encore avec ser à cette phrase du Traité des Principei16 qui se demande si les l'humilité qui ne s'attribue pas la gloire à soi-même, mais à Dieu201 • démons pourront un jour être sauvés par conversion de leur TI faut donc considérer que les mots biens et maux sont employés libre arbitre ou si "la malice durable et invétérée ne se change- souvent par l'Ecriture au sens large, par catachrèse202 • rait pas par l'habitude, d'une certaine façon, en nature". L'habi- tude du mal tend à enchaîner le libre arbitre. TI n'y a donc de bien et de mal, c'est-à-dire de péché, que pour celui qui participe à la raison à laquelle est lié le libre Le mal est la privation du bien, avons-nous vu plus haut. arbitre20:i : le péché c'est cesser de vivre de façon raisonnable, la Cela est confirmé par une exégèse curieuse deJn 1,3. Origène comme la plupart des Pères anciens coupe ainsi les versets 3 et 4 : Raison étant le Logos, fils de Dieu204 • TI est absurde d'attribuer au Créateur la cause de la malice qui dépend de l'orientation que se "Tout a été fait par lui (le Verbe) et sans lui rien n'a été fait. Ce qui donne la créature205, car la Trinité seule a une bonté substantielle, a été fait en lui était Vie ...".Quelle raison a le second membre de les autres êtres rayant accidentelle, capable de chute206 • Tout être phrase de 1, 3, apparemment inutile, puisqu'il semble répéter raisonnable peut faire le bien et le mal207 • Les âmes, certes, ont 1 négativement ce que le premier a dit positivement? En effet selon 1 les principes exégétiques d'Origène il n'y a absolument rien été faites pour le bien, mais elles sont changeantes. S'éloigner du d'inutile dans l'Ecriture, il n'y a pas de pléonasme. Dans ce "tout" bien c'est tomber dans le mal : le mal est la privation du bien208 • Parmi les causes du mal Origène cite la "satiété" du bien et la 210. "Recherches sur l'origénisme d'Origène: la satiété (koros) de la contem- négligence209 : la satiété (1C6poç), c'est-à-dire, suivant le sens précisé plation comme motif de la chute des âmes". Stooia Patristica VIII, TU 93, 1966, 374-405. 211. PArch l, 5, 4-5 : le Prince de Tyr selon Ezéchiel et le Porte-Lumière d'Isaïe, 198. Ibid. 2-3. 204. Ibid. l, 3, 7, 232 ; l, 5, 2, 31. figurant l'un et l'autre Satan. 199. Ibid. 4-5. 205. Ibid. l, 5, 3, 122. 212. Ibid. II, 3, 1, 13. 200. Ibid. 6. 206. Ibid. l, 6, 2, 59. 213. PEuch 29, 15. 201. Ibid. 7. 207. Ibid. 1,8,3,68. 214. ComMt X, 11,38. 202. Ibid. 8. 208. Ibid. II, 9, 2, 31. 215. Ibid. X, 24, 17. 203. PArch l, 3, 6, 155. 209. Ibid. l, 3, 8, 317 ; l, 4, 1, 1. 216. PArch l, 6, 3, 122. 436 437 qui a été fait par le Verbe on ne saurait compter le péché. "C'est été enseigné sur le diable et ses anges222 • TI est vrai, comme le dit pourquoi plusierns ont supposé que, puisque le maI n'a pas d'exis-- Celse, que le mal ne vient pas de Dieu, mais il n'est pas vrai, mal- tence propre - il n'était pas au commencement et il ne demeurera gré Celse, qu'il vient de la matière. C'est l'intelligence de l'hom- pas éternellement - ces choses-là sont le rien". Et Origène me qui est la cause du mal 22S . Origène s'élève alors contre la donne en exemple les distinctions faites entre le non-être et théorie stoïcienne des cycles dans lesquels les mêmes événe- l'être par des philosophes grecs et aussi par quelques passages ments se répètent. TI insiste sur l'action médicinale de Dieu pour 224 de l'Ecriture. Les méchants sont dits "ceux qui ne sont pas" en empêcher le mal de s'étendre et le restreindre le plus possible . antithèse avec Dieu qui se dit : "Celui qui est" et "Celui qui est S'il est vrai, comme le dit Celse, que le mal n'est pas un mal sous bon" et il y a donc un lien entre le bien et l'être: le mal et le vice tous ses aspects et qu'il peut avoir de bons effets, il n'en reste sont donc du non-être. Si le diable est, en tant que créature, pas moins un mal, même s'il est utile à l'univers: cela ne sert pas l'oeuvre de Dieu, il ne l'est pas en tant que diable. Les saints d'excuse pour le commettre225 • Suit tout un développement sur sont des "étants" car ils participent à Dieu, mais les démons "qui la colère de Dieu, expression anthropomorphique certes, mais ont repoussé cette participation à Celui qui est, étant privés de qui recouvre des vérités226 . On peut retenir de cette discussion Celui qui est, sont devenus des non-étants"217. Ces réflexions ne que les maux physiques ne sont guère distingués des maux sont pas sans rapport avec l'idée que Dieu et son Christ "ne moraux, tant par l'un que par l'autre, car les premiers sont la connaissent pas" le péché ni le pécheur en tant que pécheur. conséquence des seconds, résultant de l'intention qu'ont les Il y a dans le Contre Celse une discussion sur l'origine du dieux, ou Dieu, de purifier le monde. mal. Celse tient une thèse curieuse : "Il ne saurait y avoir ni plus Au problème du mal ou du péché se rattache une ques- ni moins de mal, autrefois, aujourd'hui, à l'avenir; car la nature tion voisine qui a davantage rapport, sinon avec la matière, du de l'univers est une et la même et l'origine du mal est toujours la moins avec le sensible, celle de la "souillure", pûnoç, sordes. Elle a 227 même". Origène rapproche cela de Théétète 176 a qu'il corrige fait l'objet d'un travail de Giulia Sfameni Gasparro : tout en par une autre phrase de Platon218 sur les purifications que les l'appréciant nous ne sommes pas absolument d'accord sur tout. dieux font subir à la terre par les catacIysmes219 . Origène oppose Ce concept de souillure ou d'impureté n'est pas à confondre à Celse que les maux sont q1Œtpa, illimités, dans le sens grec de avec celui de péché, nous allons le voir. TI s'applique à la condi- l'indéterminé assimilé au vide et au néant, puis présente selon tion corporelle elle-même et plus particulièrement à la condi- Chrysippe une histoire de la prostitution dont il déduit un accrois- tion sexuée, mais ne se restreint pas à elles. On le voit par un sement du mal dans l'humanité220. Puis il montre que la nature beau texte, assez mystérieux, des Homélies sur les Nombref28. Ori- de l'homme comme celle de l'univers est changeante et variable gène commente Nb 25, 6 : les fùs d'Israël après leur victoire sur et que "le mal ne subsiste pas toujours au même degré"221. Malgré ce que dit Celse l'origine du mal n'est pas facile à con- 222. Ibid. 65. naître, même pour un philosophe, peut-être même est-elle 223. Ibid. 66. 224. Ibid. 69. impossible à déterminer sans une inspiration divine et sans avoir 225. Ibid. 70. 226. Ibid. 71-73. 217. ComJn II, 13 (7), 91-99 : cf. CCels IV, 65, 30. 227. "Le sordes (rhupos), il rapporto genesis-phthora e le motivazioni protolo- 218 Timée 22 d. giche dell' enkrateia in Origene", chapitre V dans Origene : Stooi di antropologia e 219. CCels 4,62. di storia della tradizWne , Roma 1984. 220. Ibid. 63. 228. HomNb XXV, 6, 241, 22 : voir H. CROUZEL, Virginité et Mariage chez 221. Ibid. 64. Origène p. 64-65. 438 439 les Madianites, symbole des démons, sont cependant déclarés sont exempts de toute faute"2!J!J et que les gens mariés peuvent impurs et tenus à se purifier avant de revenir au camp. offrir leurs corps à Dieu comme "une hostie vivante, sainte, "Moi aussi, j'ai réussi à vaincre le diable, à chasser, quand agréable à Dieu"2!J4 : mais ils ne peuvent présenter "un sacrifice elles viennent, les pensées impures qu'il suggère à mon coeur, perpétuel", car leurs relations l'interrompent2!J5. A la différence ou du moins à les tuer, si elles sont entrées en moi, pour qu'elles du péché qui reste sur le pécheur tant qu'il n'a pas été expié cette ne passent pas à l'acte : je suis parvenu à fouler la tête du dra- impureté n'adhère aux époux qu'au moment de leurs rapports. gon. Par là même il faut que je me sois souillé et sali, parce que Cette notion de souillure n'est pas sans relation avec la j'ai voulu fouler celui qui est souillé et sali. Heureux suis je, chute de la préexistence, la qualité terrestre et mortelle revêtue certes, d'avoir pu le dominer; mais je suis cependant impur et alors par les corps "étincelants" primitifs et la création d'un souillé parce que j'ai touché l'impur. Pour cela j'ai besoin de monde sensible où ces corps devenus terrestres trouveront leur purification. Rien d'étonnant que l'Ecriture dise: <Personne entourage. n'est pur de souillure>. Tous nous avons d'une purifica- Nous avons déjà exposé ce qui semble être pour Origène tion, bien mieux de purifications multiples : eUes sont nom- le plan de Dieu en agissant ainsi: les êtres sensibles sont l'image breuses et diverses les purifications qui nous restent. Mais tout des mystères divins que contemplaient les intelligences préexis- cela est mystérieux et ineffable"229. tantes et conservent quelque chose de leur beauté et de leurs Ce texte exprime l'impureté de tout acte humain,jamais attraits dont ils doivent ainsi donner le désir et indiquer la complètement dépouillé de l'égoïsme et de la concupiscence, direction. Mais ils sont par le fait même objets de tentation, car situé dans une durée qui conserve la trace de nos actes, même l'homme sera tenté de s'en servir comme ersatz d'absolu, des de pensées passagères rejetées dès le débue!Jo. ersatz finalement décevants, et d'arrêter à eux les hommages TI Y a une impureté de la condition chamelle : Origène le dus à leurs modèles. C'est là, nous l'avons dit, la notion de base, dit à propos de Le 2, 22 où il lit dans un manuscrit: "lorsque du point de vue de l'homme, du péché chez Origène. Si furent accomplis les jours de leur purification" : il s'agit de Marie l'homme ne se laisse pas arrêter par la beauté et l'éclat des créa- et de Jésus à la Présentation de Jésus au temple2!Jl. Jésus, dont tures sensibles et continue son chemin vers les mystères divins l'âme humaine est absolument impeccablé, toute transformée qu'elles indiquent, il présente à Dieu la préférence et l'amour dans le Verbe selon PArch II, 6, aurait-il lui aussi besoin de puri- qui le sauvent, compensant en quelque sorte le mouvement fication ? Oui, répond Origène, qui cite plusieurs textes de d'éloignement de Dieu et de fermeture sur soi qui a constitué l'Ancien Testament et aussi une exégèse allégorique de Zach 3, la faute primitive. On comprend ainsi la souillure de la condi- 3, représentant Jésus, fils de Josédec, comme Josué symbole du tion corporelle dont la condition sexuée forme en quelque Christ à cause de son nom, revêtu de vêtements sales, sa corpo- sorte un degré plus aigu, on comprend aussi cette impureté réité. Enfin Origène trouve une impureté dans les relations que les retours d'égoïsme donnent à des degrés divers à tout conjugales même licites, impureté qui est seulement "une certai- acte humain. Mais il ne s'agit pas ici comme chez Plotin de ne" et "en quelque façon"2!J2, bien que "les mariages légitimes l'état ontologique de la matière, mauvaise en elle-même, mais tout au contraire de l'attrait que les mystères divins irradient 229. La traduction française des HornNb dans SC 29, 487. 230. HornJr XVI, 10, 1 et autres textes. 233. HornNb VI, 3, 35,16. 231. HornLc XN, suivant le texte hiéronyrnien et un fragment grec. 234. Rrn 12, 1 : CornRrn IX, 1, 1205 AB. 232. CornMt XVII, 35, 699, 9. 235. HornNb XXIII, 3, 215, 7. 440 441 sur les créatures sensibles leurs images et qui mettent l'hom- toniciens et aristotéliciens, et de ÀOYoç, stoïcien, pour désigner me en péril de s'arrêter à elles. C'est pourquoi nous avons certaines réalités situées en deux lieux: d'une part dans l'intelli- préféré parler pour Origène non de matière, mais du sen- gible, unies à l'Intelligence et formant avec elle l'objet et le sujet, sible, matière informée par une image du divin2S6 • ensuite dans les êtres sensibles comme "informant" la matière. TI Quelques remarques pour terminer. D'abord la question: faut distinguer cette "forme" intelligible de la "figure" extérieu- Pourquoi Dieu permet-il la méchanceté, donc le péché ? Ori- re, ou parfois aussi Y a-t-il des différences entre gène répond: parce qu'elle oblige le bon à la lutte237 ; pour ces divers termes ou expriment-ils la même réalité ? L'enquête manifester la grandeur de la vertu238 ; pour éprouver la vertu239 • qui suit le dira peut-être. TI faut leur cyouter la notion de qualité Et les châtiments du péché sont la marque de la miséricorde de (Tl010TllC;, TO Tl010V) qui leur est liée de près. Dieu: Dieu punit ses fils ici-bas pour qu'ils ne le soient pas dans L'âme est dite une etBoc;l. Nous avons les eiBll de deux le monde à venir 40. Certes, les démons ont reçu de Dieu le pou- façons l bis, dans l'âme comme déroulées et séparées, dans l'Intel- voir de produire des fléaux pour exercer les hommes, mais le ligence toutes ensemble2 • Entre la vertu qui se trouve chez les vrai chrétien ne peut rien souffrir des démons 241 • Origène hommes et son archétype dans l'au-delà il y a une ressemblance, emploie souvent la distinction stoïcienne du bien, du mal et de mais à sens unique, car elle descend du second au premier: non l'indifférent, mais elle ne vaut selon lui que pour l'acte abstrait, la même forme, mais une forme autre. la même forme suppo- sans tenir compte de l'intention qui le dirige. Quand il s'agit de serait un élément commun dans les semblables se trouvant sur l'acte concret il n'y a pas de milieu entre pécher et non pécher: le même plan. Par une sorte de paradoxe, si d'une part la matiè- les oeuvres indifférentes deviennent des péchés ou de bonnes actions suivant l'intention qui les guide242 • re prise en elle-même est tout à fait sans mesure et sans forme, toute dissemblable, quand elle participe à la forme (eiBoqc;) elle 4. Formes, raisons, qualités devient semblable à celui qui est sans forme, l'Un3 : paradoxe, car l'Un comme la matière sont sans forme, le premier par plé- PLOTIN nitude, si on peut dire, la seconde par pauvreté ; et c'est la Nous avons déjà perçu dans les chapitres précédents forme informant la matière qui donne à l'être sa ressemblance l'usage constant que fait Plotin des mots iBÉa, dBoC;, pla- avec le divin. Les êtres deviennent beaux par leur participation à une forme (eiBouç). Car tout ce qui est informe et doit 236. FragrnRm (JThS) XXI sur Rm 6, 12-14: le corps mortel (il ne s'agit pas de la matière seule) trône et palais du péché, par le cJ>r6VflllU Tiiç OUpKOc;;. Tous les péchés par nature recevoir une forme Kal dBoç), étant sans par- oeuvre de la chair. De même CornRm VI, l, 1055 B ss. Pareillement FragrnRm (JThS) ticipation à une raison (Àoyou) et à une forme (eiBouc;), est laid et xun : la loi des membres s'opposant à celle de l'intelligence. CornRm VI, 9, 1085 B. hors de la raison divine: c'est cela ce qui est complètement laid - Cette notion de "chair" comme la force qui pousse au péché, n'est pas seulement ori- génienne, elle est paulinienne. ComJn XXXII, 2, 12 : la souillure de la partie de l'âme la matière -. Est laid aussi ce qui n'est pas dominé par une forme qui touche au corps: de même ibid. 7,83 ; 8, 87 ss. ; 10, Ill, 116. HomJr XV 2: tout et par une raison (Àoyoç), la matière ne supportant pas ce qui a touché au terrestre a besoin de pÙrification ; de même HomNb XV, 6. d'être entièrement informée selon une forme. 237. ComRm VIII, 13, 1200 B. Nous voyons, dans ce texte du moins, que etBoç, AoyoC;, 238. FragrnJn III. 239. HomNb VII, 5 ; IX, 1 ; XIII, 1 ; XIV, 2. sont équivalents4 • L'âme a en elle comme la forme des choses 240. HomEx VIII, 5, 80.; HomJr latine II, 5, 8 ; HomJr XX, 1,346 et 350 ; ComMt 15, Il,379 ; CCels IV, 72, 4 ; HomEx VIII, 6, 45. 1. Cf. Lexicon Plotinianum. 3. 1, 2 (19), 2, 1. 4 et 120. 241. CCeis VIII, 31 ; VIII, 36. 1 bis. 1, 1 (53), 2, l. 6. 4. 1,6 (1), 2, l. 12 ss. 242. ComJn XX, 13, 107; ComMt XI, 12, 18. 2. Ibid. 8, 1. 6 ss. 442 443 dont elle use pour les juger comme on se sert d'une règle pour comme en un substrat : la qualité est "ce selon quoi une autre vérifier qu'une ligne est droite. Lorsque l'architecte a comparé chose est dite telle" (roilro tan, 1(a9 'ô Ën:pov nOlov AÉyE'tal) : elle est la maison qu'il construit au-dehors à la forme de la maison qu'il un accident qui existe en autre chose, ce qui est aussi 15 porte en lui-même, il dit qu'elle est belle : nous trouverons chez le cas de la forme quand elle est dans la matière • En somme la Origène la même comparaisons. C'est donc la forme qui décide forme ou raison est porteuse de la qualité, sans que peut-être il de la beauté par sa réalisation. Les sens de l'homme voient que faille la réduire à cela. Le mal ne réside pas dans les raisons, bien la forme incorporée aux corps lie et domine la nature opposée, qu'il puisse arriver que lorsqu'elles sont présentes dans la matiè- celle de la matière informe une forme véhiculée sur re des raisons incompatibles se combattent14 • Les raisons qui d'autres formes. La couleur est apportée à la matière obscure sont originairement dans l'Intelligence passent dans l'Ame du par une forme. Le feu est forme par rapport aux autres élé- Monde, puis dans les âmes individuelles. Faut-il les assimiler aux ments, d'où sa beauté. La forme ou idée explique ainsi toutes les pensées qui sont dans l'âme ? Elles sont surtout des puissances beautés sensibles6. L'âme purifiée devient une forme, une rai- qui agissent dans la matière, mais ses productions dans la matiè- son, tout entière incorporelle, intelligible, tout entière apparte- re sont nécessairement imparfaites à cause de la matière et peut- nant au divin, d'où vient la source du beau et de tout ce qui lui être parce que la raison ou la forme perd de son intensité en 15 est apparenté7• En montant dans l'Intelligence on constate que s'éloignant de l'intelligible originel . les formes sont belles et que ce sont les idées (iôéaç) qui consti- Puisque les raisons sont composées elles rendent compo- tuent la beauté8. Toute chose participe à la forme et par elle au sée en acte la nature qui agit pour produire la forme. La matière Bien, mais en image, car elle est image de l'Un, comme la des êtres engendrés reçoit toujours des formes diverses, celle forme 9 • L'Intelligence et l'Ame étant des formes, feraient la 16 des êtres éternels - s'il y en a une - est toujours la même . Les connaissance des formes et en auraient le désir. Mais le mal ne formes sont nombreuses ; elles ont en elles nécessairement peut être une forme, puisqu'il consiste dans l'absence de tout quelque chose de commun et quelque chose de propre par quoi bien, puisqu'il est privation lO • Le mal est le sans formelle Les elles diflèrent. L'existence de la forme suppose quelque chose formes engagées dans la matière ne seraient pas ce qu'elles sont qui est formé : ici-bas c'est la matière, mais en ce qui concerne si elles existaient en elles-mêmes, séparément, mais elles sont là-haut, ce serait un argument en faveur d'une matière des êtres des raisons engagées dans la matière, corrompues par elle et intelligibles17. Ici-bas la forme est une image de celle qui remplies de sa nature : la matière corrompt la forme parce que est dans l'intelligible et qui est vraie, vraie non par opposition à sa nature, informe, est contraire à la forme 12 • La matière est fausse, mais à "en image"18. Les changements dans les êtres pareillement sans qualité (anolüÇ) et cela équivaut à sans forme. engendrés sont des changements de forme et la forme (dôoç) C'est la forme qui lui apporte les qualités qui sont en elle existe selon la qualité (nolov) et selon la Le couple nOloTT)ç, équivalent à nOlov, et se retrouve plus loin. La 5. Même comparaison chez Origène: ComJn"I, 19 (22), 114. matière est par elle-même sans qualité, comme elle est sans 6. l, 6 (1), 3. 1. 1 ss. forme, pareillement sans quantité ni grandeur : tout cela lui 7. Ibid. 6, 1. 13. 8. Ibid. 9, 1. 34. 13. Ibid. 10,1. 1 55. 17. Ibid. 4, 1. 1 5S. 9. l, 7 (54), 2, 1. 3 ss. 14. Il, 3 (52) 16,1. 1 ss. 18. Ibid. 5, 1. 18 ss. 10. l, 8 (51), 1,1. 9. 15. Ibid. 17-18. 19. Ibid. 6, 1. 7 et 14 ss. Il. Ibid. 3, 1. 14. 12. Ibid. 8, 1. 13 S5. 16. Il, 4 (12), 3, 1. 65S. 445 444 est apporté par la fonne. On ne peut dire que la qualité est rai- ce qui est dans la semence et qui la développera pour fonner le son mais non la quantité, alors qu'elle est mesure et nomb re20. corps de la plante ou de l'animal. Dans la raison séminale tous Les corps premiers - probablement les quatre éléments - sont les organes futurs du corps sont présents en puissance et il n'y composés du mélange de beaucoup de fonnes 21 • Les raisons sont a pas de lutte mais la paix entre ces divers éléments. Mais dans l'âme, mais la corporéité est composée de raisons dans la dans l'être qui en naît il y a à la fois paix et guerre entre les 22 matière • La qualité ne peut servir de substrat, elle a besoin parties; de même dans le monde, où s'établit finalement une d'une matière. La privation ne saurait être dite une qualité, mais certaine harmonie, car la raison qui est dans ces parties pro- une absence de qualité25 • n y a opposition entre matière et raison duit l'harmonie et une organisation unique dans le tout. Le à cause du caractère indéfini de la matière24 • monde intelligible, à la différence du sensible, est seulement La matière est en puissance par rapport aux passions et raison et on ne peut concevoir en plus de lui un autre monde aux formes Kat dÔECHV)25 : c'est le couple matière-fonne qui soit seulement raison. Mais ce monde-ci se décompose en qui est en acte26• Le tenne dôoç est aussi appliqué à la fonne de matière et raison, et il est sous l'action de l'Ame qui préside à la statue qu'on pourra tirer de l'airain21• La fonne est-elle quali- ce mélangéll • Tout cela est exposé aussi dans une exégèse du té, ou non qualité mais raison ?28 On voit combien ces mots sont mythe de la naissance d'Eros dans le Banquet 52 • Les raisons intriqués les uns dans les autres : la même distinction se trouve sont dans l'Intelligence ou plutôt dans l'intelligible et elles plus loi n 29. Le trente-septième traité sur le mélange total (II, 7) s'écoulent de là dans l'Ame qui est ainsi rassasiée de raisons. examine si la corporéité est un composé de tout, ou une fonne Et la forme se dirige vers la matière qui est indigente55 • La par- et une raison qui, pénétrant dans la matière, font le corps. Ou tie passive de l'âme est une forme. C'est dans la matière qu'est en d'autres tennes si la corporéité est le corps fonné de toutes la racine et le principe de la forme en tant qu'elle désire et les qualités avec la matière. La corporéité est une raison qui subit. En aucune forme ne peut être présent le trouble ni en s'approchant de la matière fait le corps, cette raison contenant général la passion, mais elle reste immobile et c'est sa matière en elle toutes les qualités. Cette raison n'est pas seulement une qui éprouve la passion quand elle se produit, la forme la mou- définition qui montre ce qu'est la chose, mais une raison qui vant par sa présence. La nature de la forme est d'être en acte produit la chose, donc un principe d'action, mieux un agent. La et d'agir par sa présence, comme si dans un instrument de matière n'est pas comprise en elle, mais elle est dans la matière musique l'harmonie faisait d'elle-même mouvoir les cordesM • et en venant en elle elle achève le corps. Le corps est la matière Les qualités qui introduisent les formes se rencontrent les avec cette raison: raison qui est une fonne (dôoç) et est considé- unes les autres et sont parfois opposées entre elles: ce qui rée nue de toute matière, même si dans la réalité elle ne se sépa- pâtit n'est ni la matière ni la forme, mais le couple qu'elles re pas de la matière. La raison ou fonne séparée se trouve dans constituent55 • Les qualités pénètrent dans la matière et y lais- l'Intelligence et elle est elle-même intelligenceso • Procédant de sent quelque chose de leur action ; celles qui viennent après l'Intelligence elle est comparée à la raison séminale, à la puissan- d'autres rencontrent comme substrat non la matière pure, mais une matière déjà qualifiée:56. Mais la matière reste impas- 20. Ibid. 8-9. 26. Ibid. 2, 1. 10. sible bien que les formes entrent en elle ou sortent d'elle et 21. Ibid. 11, l. 1088. 27. Ibid. 1. 27. pâtissent les unes par les autres. Celles qui entrent chassent 22. Ibid. 12, l. 5 ss 28. II,6 (17), 2, 1. 1455. 23. Ibid. 13, l. 2 ss. 29. Ibid. 3, 1. 1 ss. 31. III, 2 (47), 2, 1. 1755. 34. III, 6 (26), 4, 1. 32. 24. Ibid. 15-16,1. 34 ss . 30. II, 7 (37), 3, 1. 1 55. 32. 203 b - 204 c. 35. Ibid. 9, 1. 24 55. 25. II, 5 (25), 1-2,1. 29 ss. 33. III, 5 (50), 9, 1. 1 55. 36. Ibid. 10, 1. 1 88. 446 447 les précédentess7 • L'union des formes avec la matière n'est pas une raison silencieuse, d'autant plus silencieuse qu'elle est rai- un genre de participation, puisque la matière, restant impas- son. La raison n'est pas hors de l'âme, mais unie à elle. Ces rai- 4s sible, ne subit pas d'altération de la part de la forme: aucun des sons l'âme les exprime, les manie, et elles la changent • Les vies deux éléments du couple n'agit sur l'autre, mais l'un empêche végétative, sensitive, psychique, sont des pensées (VoncrElç) et les l'autre de fuir'. En quel sens peut-on dire que la matière fuit la pensées des raisons44 • Quand les corps se divisent la forme qui forme? Pourtant il n'y a pas de moment où la matière n'est pas est en eux se divise, mais elle est tout entière en chacun des frag- dans une forme, bien que ce ne soit pas toujours la même forme, ments, devenue multiple et restant la même : cela vaut pour les car elle ne s'engage jamais en aucun être, mais elle reste autre couleurs, toutes les qualités et chaque forme (j-lop<l>n) qui peut que l'essence des êtres qui est raison. Que les raisons entrent ou être en même temps tout entière en plusieurs corps séparés, sortent, elle reste impassible. Ce qui entre en elle est image et aucune partie ne subissant la même chose qu'une autre • 45 non vrai, vrai toujours par opposition à "en image" : cela entre Comme l'âme les formes qui sont dans les corps sont à la fois donc dans ce qui n'est pas vrai, la matière. La forme vient donc multiples et une46 • L'âme qui demeure, celle du monde, est mensongèrement dans un mensonge, comme des images dans l'unique raison de l'Intelligence et d'elle viennent des raisons un miroir: comparaison insuffisante, car le miroir est une forme particulières et immatérielles, comme là-haut47 : ces raisons par- et est vu en lui-même ce qui n'est pas le cas de la matières9 • La rai- ticulières semblent être les âmes individuelles. L'Ame du son qui vient dans la matière la fait passer pour grande40 • Monde est pareillement dite "une seule raison universelle, mul- La nature (<I>OOlÇ) a besoin d'une matière sur quoi agir: la tiple et variée comme un vivant doué d'âme ayant de nom- matière est distinguée de la raison dite immobile par le fait breuses formes"48. L'âme est partout où le corps s'étend, comme qu'elle se meut. La nature doit être une forme, mais elle n'est un filet dans la mer s'étend dans la mesure où il le peut. pas composée de matière et de forme. Ce n'est pas le feu qui L'"ombre", la matière, est aussi grande que la raison qui vient enflamme la matière, mais une raison. Des raisons agissent dans de l'âme. Et la grandeur que produit cette raison a les dimen- 49 les plantes et les animaux et la nature est une raison qui fait une sions que la forme de cette raison a voulu produire • Les raisons . autre raison, son produit, donnant quelque chose au substrat qui sont dans les germes fabriquent et forment les vivants tout en restant immobile. La raison qui est selon la figure comme de petits mondes. Mais les vivants s'empêchant les uns (j-lop<l>nv) qui se voit, dernière déjà et morte, ne peut plus faire les autres n'atteignent guère bien souvent leur forme (j-lop<l>n) autre chose, mais celle qui a la vie, soeur de·celle qui a produit la propre, celle que voudrait la raison qu'il y a dans le petit animal ; figure (j-lop<l>nv), ayant en elle-même la même puissance, agit mais là-haut la forme universelle est produite par l'Ame du dans l'être engendré4 \ Nous avons traduit dans ce texte j-lop<l>n Monde et ceux qu'elle produit ont ensemble leur place et tout par figure (extérieure) parce qu'elle se voit: cette figure exté- cela qui se fait sans obstacle est beau50 • La nature de l'univers a rieure est produite par une raison qui meurt avec l'être, mais fait toutes choses avec beaucoup d'art à l'imitation des raisons une autre raison produit l'être engendré. Si cette raison produit qu'elle avait, puisque chaque chose était ainsi une raison dans la en restant immobile elle est contemplation42 • Mais l'action va à la matière, une raison formée selon la raison qui était avant l'union contemplation et l'âme qui est elle-même raison reçoit d'elle 43. Ibid. 6, l. 9 S5. 47. IV, 3 (27), 5, l. 15. 37. Ibid. Il, l. 1 ss. 40. Ibid. 16, l. 1 ss. 44. Ibid. 8,1. 14. 48. IV, 3 (27), 8, l. 18 S5. 38. Ibid. 12, l. 1 ss. 41. 111,8 (30), 2, l. 1 S5. 45. IV, 2 (4), l, l. 5455. 49. Ibid. 9, l. 39 ss. 39. Ibid. 13, l. 1 ss. 42. Ibid. 3, l. 1 55. 46. Ibid. 2, 1. 53. 50. Ibid. 10, l. 22. 448 449 avec la matière51 • Ici sont donc clairement distinguées, d'abord un autre. Et si l'ânle de chacun a les raisons de tous ceux qu'elle la raison qui est dans l'intelligible et sans contact avec la matière, a traversés tous peuvent être là-haut. Chaque âme a autant de rai- ensuite la raison issue de la première qui va informer la matière. sons que le monde. L'ensemble des raisons sera infini, si le L'âme n'est pas dans le corps comme la forme dans la matière monde ne revenait pas sur soi par périodes (cycles stoïciens ou car la forme est inséparable de la matière alors que l'âme ne l'est pythagoriciens) et dans ce cas son infinité sera limitée quand les pas du corps, et la matière est antérieure à la forme. L'âme pro- mêmes recommencent. Si dans ce cas les êtres produits sont plus duit la forme dans la matière comme autre que la forme originai- nombreux que leurs modèles (car ils se renouvellent) pourquoi re dans l'intelligible52• TI faut considérer que la forme que la natu- faut-il qu'il y ait des raisons et des modèles de tous ceux qui sont re donne à ce qu'elle façonne est une autre forme que la nature produits dans une période ? Car un seul homme-en-soi suffit elle-même5'. Toutes les raisons se trouvent ensemble dans l'Ame pour tous les hommes comme des âmes en nombre limité qui du Monde, tandis que dans les êtres produits elles ne sont pas font une infinité d'hommes. Mais de ces cas différents il n'est pas ensemble54 • Les êtres de l'univers ne viennent pas de raisons possible qu'ils aient la même raison et un homme-en-soi ne suffit séminales, mais de raisons contenant tout et de raisons anté- pas comme modèle d'hommes différents les uns des autres, non rieures aux raisons séminales: ce dernier terme doit désigner les seulement par la matière, mais par des différences spécifiques raisons qui sont dans l'intelligible. La raison de l'univers ressem- nombreuses; car ils ne sont pas comme les images de Socrate blerait plutôt à une raison qui met dans une cité l'ordre et la 10i55 • par rapport à leur archétype, il faut que leur facture différente C'est une raison survenant dans la matière qui fait un corps et vienne de raisons différentes. Toute la période a toutes ses rai- une raison ne provient que d'une âme56• Les raisons sont causes sons, puis de nouveau se reproduisent les mêmes choses selon des corps. Bien qu'apportant la quantité à la matière les raisons les mêmes raisons. TI ne faut pas craindre l'infinité dans l'intelli- comme les âmes sont sans quantite7-08. Les qualités sont des rai- gible car elle est tout entière dans ce qui est sans partie et elle sons immatérielles et incorporelles. Dans les semences le plus avance pour ainsi dire quand elle agit61 • Les problèmes de l'héré- important n'est pas constitué par les conditions extérieures mais dité tiennent aux mélanges des raisons du mâle et de celles de la par le nombre et la raison59• L'Ame contemple et crée des for- femelle, avec celles des ancêtres qui réapparaissent. Le parent mes, pareilles à des pensées perfectionnées, de sorte que tout est engendre selon des raisons différentes, car il les a toutes, mais trace de la pensée et de l'intelligence60 • d'autres sont toujours prêtes. Des enfants différents naissent des mêmes parents. Mais cela vient de prépondérances inégales62 • Le dix-huitième traité (V, 7) pose le problème suivant: y a-t- Domine la ressemblance au mâle ou à la femelle ou il y a égalité. il des idées des êtres individuels? Car dans la lignée platoni- Toutes les raisons sont données mais toutes ne dominent pas. cienne l'idée désigne surtout l'archétype qui se reproduit en in- Est-ce la matière qui agit différemment parce qu'elle est dominée dividus multiples. Y a-t-il là-haut par exemple un Socrate-en-soi, inégalement ? De là une multiplicité de formes. Pourquoi faut-il qui ne se confond pas avec l'âme de Socrate qui a pu, étant donné la métensomatose (métempsycose) être Pythagore ou autant de raisons que d'individus nés dans une même période ? 1 TI peut y avoir le même individu dans une autre période6S , mais 1 i 51. Ibid. Il, l. 8 ss. 56. IV, 7 (2), 5, 1. 3 ss, 49 ss. 61. V, 7 (18), l, l. 1. 52. Ibid. 20, l. 36 ss. 57-58. Ibid. 8/1, 1.30 ss. 62. Pareillement chez Origène, ComJn 1,17 (19), 104: voir plus loin. 53. IV, 4 (28),14, l. 8 ss. 59. V, 1 (10),5, 1. Il ss. 63. Le contraire chez Origène critiquant les cycles des Stoïciens quO il représen- 54. Ibid. 16, l. 4 ss. 60. V, 3 (49), 7, 1. 30 ss. te absolument semblables, le suivant au précédent, selon du moins l'opinion de 55. Ibid. 39, 1. 5 S5. certains membres du Portique: CCels V, 20. 450 451 rien n'est parfaitement le même dans celle-ci 64 • Le cas des l'état et à la nature et à l'âme: tout cela en puissance. Les sen- jumeaux suppose-t-il des raisons différentes? Ou s'il n'y a pas de sibles sont par participation ce qu'on dit être la nature substrat, différence une sewe raison ? Dans ce cas il n'y aurait pas autant ayant sa forme d'ailleurs, comme l'airain de la statuaire ou le de raisons que d'individus. Dans la nature l'autre n'est pas pro- bois de l'art du charpentier, par l'image de l'art qui pénètre en duit par un raisonnement mais par des raisons, il faut que le dif:- eux, mais l'art lui-même est hors de la matière et reste dans son férent soit joint à la forme, mais nous ne pouvons saisir la diffé- identité : c'est lui qui a la vraie statue et le vrai lit. Cet univers rence. La quantité est déterminée par le déploiement et le participant aux images montre que les êtres sont autres que ces développement de toutes les raisons. Il ne faut pas craindre images : ils sont immuables alors qu'elle sont changeantes, sans l'infinité dans les semences et les raisons, car l'âme a toutes être des grandeurs, des substances intellectuelles et autosuffi- choses. C'est que dans l'Intelligence et dans l 'Ame ces raisons santes68 • Tout est dans l'Intelligence comme les sciences dans sont toujours prêtes en nombre infini 65. l'âme, mais chaque chose dans l'Intelligence a une puissance A propos de la manière dont le monde sensible a été fait, propre. Les raisons dans les semences en sont l'image : tout est ce n'est pas par raisonnement. Tout dans l'univers est occupé sans distinction dans un centre unique; chacune des forces dans par des formes du début à la fin, d'abord la matière par les les semences est une raison totale avec le corporel comme formes des quatre éléments, ensuite sur ces formes d'autres matière et elle constitue une forme complète, étant la même rai- formes, puis d'autres encore: il est difficile de trouver la matière son, comme l'âme est l'image d'une Ame supérieure. Certains cachée sous de nombreuses formes. Puisqu'elle est elle-même la nomment nature l'âme qui est dans les semences, une âme qui dernière des formes tout est forme : le modèle est forme. C'est partie de là-haut de ce qui est avant elle, a, comme la lumière du pourquoi la création se fait sans peine. Nous agirions de même feu, fait jaillir et formé la matière en lui donnant de ses raisons69 • si nous étions archétypes, substance et forme en même temps. La forme est intérieure et se confond avec l'idée (i6Éa), c'est-à- Mais étant hommes nous fabriquons une forme de nous autre dire une intelligence et une substance intellectuelle qui n'est pas que ce que nous sommes66 • La forme est introduite en tout être autre que l'Intelligence, car chacun est intelligence. Toute fabriqué. Le substrat reçoit les formes pour faire les quatre élé- l'Intelligence est toutes les formes, chaque forme est chaque ments, l'Ame leur donne la forme du monde. L'Intelligence est intelligence comme la science et ses théorèmes 70. Dans l'Intelli- comme la forme de l'Ame67 • La forme qui est dans le sensible est gence se trouve tout l'archétype du vivant qui est le monde. TI une image dans la matière, toute forme qui est en autre chose n'y a pas d'intermédiaire entre la raison et celui qui peut la rece- -1 est venue en elle d'autre chose et est l'image de cette dernière. voir. Les formes sont diverses mais tout est en un71 • Tout ce qui Les formes existent avant le monde, non comme des emprein- ressemble à des formes dans le visible vient d'en haut, mais non tes, mais comme des archétypes premiers et la substance de ce qui est contre nature et cela s'explique par le fait que la rai- l'Intelligence. Si on dit que les raisons suffisent il est clair qu'el- son ne l'a pas emporté sur la matière ou que le hasard a cor- les sont éternelles : si elles sont éternelles et impassibles il faut rompu la forme: le mal ici-bas vient d'un manque ou d'une pri- qu'elles soient dans une intelligence semblable, antérieure à vation, d'un défaut ou d'un échec dû à la matière72 • Les êtres 64. V, 7 (18), 2, 1. 1 ss. 68. Ibid. 5, 1. 17 S8. 65. Ibid. 3, 1. 1 ss. 69. Ibid. 6, 1. 3. 66. V, 8 (31), 7,1. 18. 70. Ibid. 8, 1. 1 ss. 67. V, 9 (5), 3,1. 18.. 71. Ibid. 9, 1. 1 ss. 1 72. Ibid. 10,1. 1 8S. 452 j 453 artificiels utilisent des principes qui sont là-haut mais, parce forme en elle-même, mais dans la matière, quoi de moins aurait qu'ils les mélangent aux sensibles, ils ne viennent pas totalement l'homme que celui qui est dans la matière, et la raison elle- d'en haue'. Il y a là-haut les idées des universaux, par exemple même que celle qui est dans une matière". Le générique est de l'homme, mais non de chaque individu ; par exemple aussi antérieur à l'individueI81 • La qualité dans les choses vient de la celle du nez camus, mais non de tel homme qui a un nez forme ou de la raison qui la pénètre et y met son image82 • camus 74. Plotin discute sur les idées, les réalités en soi (aÙTO-) Certes, ce qui est uni à la matière est une image de la forme ou correspondant aux choses sensibles75 et examine des cas particu- l'idée elle-même ne serait pas en contact avec la matière qui liers : faut-il parler d'une âme-en-soi existant avant reçoit son image8.'l. La réalité qui n'existe pas par substance mais l'Ame de l'univers ?76 par accident doit avoir elle aussi un en-soi dans l'intelligible84 : L'âme est une unité-multiplicité. Cette multiplicité est-elle de même le nombre85 • La forme est pour chaque chose la cause formée des raisons des êtres produits ? L'âme pourrait être à la de l'être et dans chaque forme on trouve le pourquoi de la fois raison et la somme des raisons et les raisons de son acte chose, car elle est de l'Intelligence et elle-même intelligence86 • quand elle agit selon sa substance. Ainsi l'unité de l'âme est mul- Une chose est belle lorsqu'elle a tout ce qui la constitue: c'est la tiple et c'est montré par son action sur les autres êtres 77. forme qui a tout. Et c'est parce qu'elle domine la matière, L'Intelligence a en elle toutes les raisons, mais elle est comme qu'elle ne laisse rien d'elle-même être sans forme : elle la laisse- une seule raison, grande, parfaite, contenant toue8 • La forme est rait ainsi si quelque forme manquait87 • Il Y a l'homme-en-soi et comme une vie, perfection de la matière, mais la matière ne la l'homme individùel88 , de même le cheval-en-soi préexistant au reçoit pas ainsi, elle ne reçoit pas la forme comme sa vie et son cheval sensible89 • Cela est appliqué aux plantes, à la terre ; le feu acte: la forme vient d'ailleurs sans être quelque chose de la est une certaine raison dans la matière. Tous les êtres d'ici-bas 79 matière • Là-haut la forme est acte et mouvement: ici-bas le ont leurs paradigmes dans l'intelligible90 • Les formes sont pro- mouvement lui est étranger et présent par accident. La forme duites dans l'Intelligence par l'Un, car quand l'Intelligence est plutôt le repos de la matière et comme son immobilité : elle regarde vers l'Un il se produit en elle une limite, une frontière, limite ce qu'il y a d'indéfini dans la matière. La forme est définie une forme, qui se trouve dans ce qui est formé (l'Intelligence) comme ce qui fait la substance (Ta nOlTlTu::av TijÇ oooiaç) et la rai- alors que ce qui forme (l'Un) est sans forme. Et l'Intelligence son ce qui est substantiel (OOOlWÔn) selon la forme: d'après cette communique à l'Ame cette limite et cette forme 91 • Chacune de définition la forme serait l'origine de la raison. Mais la définition ces formes est bonne et porte la forme du Bien92 • Pour l'âme la ne semble pas expliquer réellement l'emploi de ces deux mots vertu est forme9!J. L'âme est davantage forme que ce qu'elle est par Plotin, car ils paraissent le plus souvent Et on en tant que forme du corps et quelque chose de l'âme est davan- le constate dans le même traité. Par exemple: "Si parce que tage forme que le reste, autre chose encore plus, et l'intelligence l'homme est seulement une forme (e;tôoç), la forme dans une est forme de l'âme94 • Cela veut dire qu'il y a des degrés de matière serait moins homme selon cela ; car dans la matière la raison (Àoyoç) est inférieure. Si l 'homme ne désigne pas une 81. Ibid. 9, l. 32. 88. Ibid. 4-5. 82. Ibid. 15, 1. 27 : cf. 16,1. 1 ss. 89. Ibid. 8. 83. VI, 5 (23), 8,1. 10 ss. 90. Ibid. Il. 73. Ibid. Il, l. 1 ss. 77. VI, 2 (43),5, l. 10 ss. 84. VI, 6 (34), 5, l. 24 ss. 91. Ibid. 17,1. Il. 74. Ibid. 12, l. 1 ss. 78. Ibid. 21, l. 28. 85. Ibid. 9, l. 23. 92. Ibid. 18,1. 1 ss. 75. Ibid. 13, l. 1 ss. 79. VI, 3 (44), 2, l. 16 ss. 86. VI, 7 (38), 2, l. 16 ss. 93. Ibid. 27, 1. 3. 76. Ibid. 14, l. 1. 80. Ibid. 3, l. 15. 87. Ibid. 3, l. 9 ss. 94. Ibid. 28, 1. 21 ss. 454 455 formes depuis celle qui informe la matière ou le corps, des degrés des raisons et des puissances de la substance. La qualité est une progressifs selon leur plus ou moins de spiritualité. Ces degrés de disposition dans les substances qui existent déjà et il s'agit d'une spiritualité sont des degrés de beauté, mais là où il y a forme il y qualité soit adventice, soit présente dès le début, mais si elle a beauté par une participation obscure. La forme sans forme (TO n'était pas avec la substance, cette dernière n'aurait rien de ôè oJ.lop<J>ov ETôoc;) est belle parce qu'elle est forme. Il y a donc moins. La qualité peut être facile ou difficile à changers. comme un progrès de formes avec un dépassement continuel jusqu'au sans forme, l'Un-Bien95 • C'est pourquoi pour atteindre ORIGÈNE ce dernier il faut dépouiller toute forme intelligible 96 • La On peut se demander, à propos de Plotin comme d'Ori- connaissance humaine s'appuie sur les formes. L'âme est inca- gène, pourquoi les idées d'origine platonicienne sont confon- pable de comprendre ce qui est sans forme : c'est pourquoi elle dues plus ou moins avec les raisons stoïciennes. A première vue se fatigue et se tourne vers le sensible. n faut tout un dépouille- cette confusion paraît assez étonnante: en effet les idées plato- ment pour pouvoir s'approcher de l'Un et s'unir à lui97• niciennes correspondent, au moins en partie, aux universaux, Ajoutons quelques informations concernant la qualité. considérés comme les modèles du monde sensible, alors que les Une première définition est présentée sous forme interrogative: raisons séminales des Stoïciens sont comme les germes des êtres des différences dans la substance et dans l'être, des différences individuels. Il y a donc confusion, antérieure d'ailleurs à nos faisant les substances autres les unes des autres et tout à fait sub- deux auteurs, entre le général et l'individuel. Mais aucun des stances. Cela n'est pas absurde, dit Plotin, si on applique cette deux n'en semble préoccupé. Peut-être faudrait-il voir une définition aux qualités d'en bas, les unes étant des différences réponse à ce problème dans cette phrase, dite incidemment par entre les substances, les autres non des différences mais des qua- le Traité des Principes100 : "Je parle seulement de raison générale, lités simplement. Il y a des différences qui complètent la sub- car chercher la raison spéciale de chaque chose est d'un homme stance, d'autres qui ne sont pas des différences et qui ne la com- sans expérience et vouloir en rendre compte est d'un insensé". plètent pas, mais sont des accidents. On peut donc distinguer Cette affirmation rejoint l'adage classique: "n n'y a de science dàns la qualité d'une part une propriété essentielle de la sub- que du général" et confond réellement les raisons avec les idées stance, d'autre part la simple qualité qui rend la substance telle, dans leur généralité. Prétendre cependant que cette phrase ajoutant à une substance qui existe déjà et est accomplie une résoudrait, en ce qui concerne Origène, toute opposition entre certaine disposition extérieure. Ici-bas les qualités ne sont donc idées générales et raisons individuelles semblerait aventuré. Un pas substances, mais leurs raisons dans l'au-delà le sont98 • La autre texte· du même livre, conservé à la fois dans le latin de même réalité peut-elle être tantôt qualité seulement, tantôt com- Rutin et en grec par Justinien10I, dit: "Tous les genres et les plément d'une substance ? Il faut donc que dans la substance espèces ont toujours existé, un autre dira aussi ce qui est selon qualifiée la substance existe avant sa qualification. La forme est n l'un par le nombre (navTa Tà yévll Kat Tà ErÔll àd v, OÀÀoç ôé nc; qualité, ou bien non qualité mais raison. Ce qui complète la sub- èpEi Kat TO KaS'Ëv àPlSll4» : mais de chaque façon il est montré stance n'est pas qualité mais procède des activités qui viennent que Dieu n'a pas commencé à créer comme s'il avait été oisif auparavant". Rutin traduit: "Sans aucun doute tous les genres 95. Ibid. 33, l. 1 ss. 96. Ibid. 34. l. 1 ss. 99. Ibid. 2, l. 1 ss. 97. VI, 9 (9), 3, l. 4 ss. 100. PArch II, 9, 4. 9B. II, 6 (17), l, l. 1 ss. 101. Ibid. 1,4,5. 456 457 et espèces ont toujours été, et peut-être même per singula. De les formes et espèces qu'il veut, lorsqu'elle reçoit les qualités toute façon est vrai ce qui est ainsi montré: Dieu n'a pas com- qu'il a voulu lui imposer"lOg. Dans la suite de ce texte, nous mencé un jour à être créateur, comme s'il ne l'avait pas été au- l'avons vu plus haut, Origène refuse, à la différence de philo- paravant". Les genres et espèces représentent évidemment des sophes, de considérer la matière comme incréée et il revient idées générales. L'expression TC> KaS' ëv opinion que plus longuement sur ce thème à la fin du même livre104. Mais la selon le grec Origène ne prend pas clairement à son compte - structure des êtres sensibles, composés d'une matière en elle- Rufin est moins net sur ce point et sa traduction plus floue -, même informe et de qualités ou formes ou espèces, est la même que désigne-t-elle ? Le passage où ce texte se trouve est un que chez les philosophes. Ainsp05 : "Et enfin, lorsque le monde a appendiceo2 aJouté par Origène à la fin du traité consacré aux eu besoin de variété et de diversité, la matière s'est livrée en trois personnes divines pour rectifier une mauvaise compréhen- toute disponibilité dans les différents aspects (facies) et espèces sion possible - qui fut vraiment effective avec le De Creatiç de des choses à celui qui l'a faite, puisqu'il est son seigneur et son Méthode d'Olympe - de PArch l, 2, 10 : celle que la création créateur, pour qu'il puisse tirer d'elle les formes diverses des coéternelle à Dieu concernerait des créatures concrètes, alors êtres célestes et terrestres". Ou encore dans un fragment sur qu'elle s'applique seulement, comme le dit tout cet appendice, à Matthieu 106 : "la science (Àoyov) concernant la matière et les la préfiguration de la Création contenue dans le Verbe en tant formes (dST)) dont est fait le monde". qu'il est la Sagesse. On ne peut donc comprendre le TC> KaS 'ëv La terre créée par Dieu d'après le début de la Genèse n'est des intelligences préexistantes, mais seulement des rai- pas notre terre sensible, mais le monde des réalités célestes : sons séminales qui seraient les germes des êtres individuels. Or "Dans cette terre je pense que se trouveront les modèles (formas) Origène attribue cette opinion d'après Justinien à "un autre" et vrais et vivants des observances que Moïse enseignait par l'ombre ne la prend pas à son compte: cela semble confirmer le caractè- de la loi". Le support scripturaire est Ex 25,40, quand Dieu dit à re général de ce qu'il nomme à la fois "idées" et "raisons". Moïse pour la construction du Tabernacle: "Prends garde à tout Les êtres sensibles sont faits de matière informée par ces faire selon le modèle et à la ressemblance de ce qui t'a été mon- principes que la traduction rufinienne du Traité des Principes tré sur la montagne"107. désigne de noms divers,jorma (dSoç), qualitas Plusieurs autres emplois d' dSoç et de ÀOyoç sont à signaler. (nolOTT)ç). Par exemple: "Nous nommons quatre qualités, le Parmi les définitions du mot àpxn au premier livre du Commen- chaud, le froid, le sec, l'humide. Ces quatre qualités insérées dans taire surjean 108 se trouve la suivante : TC> KaS 'otov KaTà TO dSoç qui l'üÀT) (en grec dans le texte latin), c'est-à-dire la matière, matière peut se traduire "le <selon quoi> selon l'eidos" : elle doit repré- qui par sa raison propre est autre que les qualités susdites, consti- senter ici le modèle, car l'exemple donné est le Père principe du tuent les diverses espèces (species) de corps. Cependant cette Fils qui est son image. En ce qui concerne la raison séminale au matière, bien que, comme nous l'avons déjà dit, elle soit sans qua- sens propre un petit passage du Commentaire sur jean109 constate lités selon sa nature propre, ne peut subsister sans les qualités. que l'enfant a en lui les ÀOyOl de son père, mais aussi parfois de Cette matière est donc si considérable et de telle nature qu'elle son oncle, grand-père, grand-oncle ou arrière-grand-père, du peut suffire à tous les corps du monde, à qui Dieu a voulu don- ner l'existence, et le créateur s'en sert pour fabriquer toutes 103. Ibid. II, l, 4. 107. PArch III, 6, 8. 104. Ibid. IV, 4, 6-8. 108. CornJn 1,17 (19), 104. 105. Ibid. III, 6, 4. 109. Ibid. XX, 5, 35-36. 102, Ibid. 1,4,3-5. 106. FragMt 506. 458 459 côté paternel comme du maternel : on serait tenté de traduire à l'image w, . Les idées platoniciennes ont exercé certainement dans ce cas en termes modernes ÀOyol par gènes. Nous venons une grande influence sur cet exemplarisme en ce qui concerne de voir chez Plotin la même remarque. Enfin ÀOyoç et e:Tôoç ont la relation de l'intelligible au sensible qui domine aussi bien la leur rôle dans la doctrine du corps ressuscité. En ce qui concer- doctrine origénienne de la connaissance que l'exégèse dans ne les rapports du corps terrestre et du corps glorieux Origène laquelle le sensible est représenté par la lettre de l'Ecriture. est soucieux, à la suite de Paul employant l'image de la graine et Mais les notions d'idée ou de raison jouent cependant chez de la plante llO, de marquer à la fois leur identité et leur altérité lll • Origène un rôle secondaire, dépassées et englobées comme L'identité est exprimée de trois façons. D'abord par le jeu de la elles sont dans la notion plus générale de mystère (j.1UOTllp10V, substance matérielle qui reste la même et de la qualité qui chan- àÀn8e1a, npàyj.1a, etc.) qui exprime l'ensemble des réalités ge, de terrestre devenant céleste. Puis par une raison séminale, divines contenues elles aussi dans le Fils, Monde Intelligible, un ÀOyoç spermatique qui, présent dans le corps terrestre, ger- Mystère par excellence en tant qu'image du Père. S'il est ques- mera pour donner le glorieux : le Àoyoç a ici une signification tion fréquemment d'eiôll et de ÀOyOl dans la cosmologie individuelle. Il en est de même pour la troisième manière d'Origène et dans sa doctrine de la création, représentée dans d'exprimer ce rapport, avec la notion d'e:Tôoç. Les éléments une certaine mesure selon les schèmes du Timée, ces notions matériels du corps terrestre se remplacent constamment: le interviennent beaucoup moins dans celle de la connaissance, corps est comme un fleuve, toujours le même, malgré ses eaux dont l'objet est avant tout le Mystère, qui contient dÔll et ÀOyOl, toujours différentes. L'unité du corps terrestre à chacun des mo- mais ne s'y réduit pas. ments de son histoire est assurée par un e:Tôoç oWj.1aTlKOV, une Les notions philosophiques qui interviennent ici sont pri- forme corporelle, qui expliquera aussi l'identité du corps ter- ses, bien entendu, au Moyen Platonisme, avec son mélange restre avec le ressuscité : c'est une notion de nature métaphy- d'éléments platoniciens, stoïciens et aussi aristotéliciens. Pour sique, mais à la différence de l'idée platonicienne e:Tôoç-iôéa ou comparer à Platon lui-même 1l4 l'aspect cosmologique des idées de la forme aristotélicienne e:Tôoç-j.1op<l>n, elle est individuelle et est exploité par Origène, mais beaucoup moins l'aspect gnoséo- propre à chaque corps. Dans son Aglaophon ou De la Résurrection, logique, pas du tout l'aspect mathématique, car l'arithmétique Méthode d'Olympe prendra e:Tôoç au sens vulgaire d'apparence, symbolique d'Origène est plutôt d'inspiration pythagoricienne commettant ainsi le considérable contresens qui lui permettra comme chez Philon. L'aspect éthique des idées, qui a représenté d'attaquer si âprement et si injustement la doctrine origénienne les débuts de la théorie, dans le Lachès, a un correspondant chez du corps ressuscité1l2 • Origène, mais il n'est pas exprimé par les mots que nous avons étudiés, les vertus étant comptées parmi les EnlVOlal, les dénomi- C'est tout l'exemplarisme origénien qu'il faudrait enfin évo- nations du Christ. Ces dernières sont affectées souvent du suf- quer, sa vision du monde commandée par la relation du modèle fixe aÙT - : par exemple le Christ est aùToaÀn8ela, la Vérité en personne. Par ailleurs, nous l'avons déjà dit, il n'y a guère chez 110. 1 Co. 15,35-44. Origène de référence à la réminiscence malgré l'hypothèse de la Ill. Voir H. CROUZEL, "La doctrine origénienne du corps ressuscité", préexistence des âmes. Bulletin de Littérature Ecclésiastiqu.e, 81, 1980, 175-200, 241-266. Réédité: Les fins dernières selon Origène. 113. Cf. H. CROUZEL, Théologie de ['Image de Dieu chez Origène, Paris 1956 ; 112. Cf. Idem: "Les critiques adressées par Méthode et ses contemporains à la Origène et la "connaissance mystique", Bruges-Paris 1961. doctrine origénienne du corps ressuscité", Gregorianum 53, 1972, 679-716. Réédité ibid. 114. Cf. D. ROSS, Plato's theory ofideas, Oxford 1951. 460 461 Les allusions origéniennes et plotiniennes à la matière rem- dans l'Ancienne Académie l22 , mais s'imposera surtout avec le plaçant la XWpa, l'espace platonicien, remontent à l'interprétation Moyen Stoïcisme de Poseidonios qui considère les logoi actifs du aristotélicienne de Platon, mais la distinction entre la fonne et le Portique comme équivalents des idées platoniciennes et des substrat est de Platon, de même que la représentation de l'âme nombres ces logoi sont tous contenus dans l'uni- comme intennédiaire entre les idées et le sensible. Contrairement que Logos de l'univers. Tous ces éléments philosophiques se trou- à ce qui a été écrit trop souvent, Origène distingue clairement le vent chez Philon et chez les auteurs chrétiens du second siècle, VOT}Taç, le monde intelligible des idées-raisons, contenu Justin, Athénagore, Clément: ils appartiennent à la koinè philoso- dans le Christ-Sagesse et qui constitue la création coétemelle à phique de l'époque 24 • Dieu dont parle PArch l, 2, 10, de ce que l'on pourrait appeler le VOEpaç, le monde des intelligences ou âmes qui a eu un commencement, car "elles ont été créées alors qu'elles n'exis- 5. L'exemplarisme taient pas auparavant"115 et elles sont "ce qui en effet n'était pas et Nous ramassons sous ce titre plusieurs remarques dont a commencé à être"116 : cette idée est liée chaque fois à l'affinna- certaines ont été déjà faites au cours de l'ouvrage tion très origénienne de l'accidentalité des créatures. A la différence de Platon, ni Origène ni Plotin ne donnent PLOTIN aux idées une existence séparée : elles sont contenues, nous La relation du modèle à l'image tient une grande place l'avons vu, dans le Fils ou dans l'Intelligence. Roberto Radice117 chez Plotin comme dans toute la tradition platonicienne. attribue à Philon cette mise des idées, pour la première fois, L'opposition de Tunoç ou mots équivalents à àÂ.ll0tvaç, vrai par dans une intelligence, car aucun texte antérieur à lui ne le mon- opposition à image, ou à VOT}TOÇ, se rencontre plusieurs foisl25. tre, bien qu'on ait parfois supposé que cela ait été fait antérieu- Mais l'image peut être prise dans un sens positif pour souligner rement au grand théologien juif: par exemple R. E. Witt1l8 attri- la parenté avec le vrai, ou dans un sens péjoratif, indiquant ce bue cette doctrine à Alkimos, philosophe sicilien du IV siècle qui lui manque pour être le vrai : c'est la bouteille à moitié plei- avant Jésus-Christ. Mais elle est courante avant Origène et ne ou la bouteille à moitié vide. Le sens péjoratif semble être Plotin chez plusieurs méso-platoniciens. Nouménios1l9 loge les dominant chez Plotin: images (E1KovEç), traces (ixvT}), ombres idées dans le Dieu suprême et en les contemplant le second (onai) des réalités intelligibles, les réalités corporelles sont plu- Dieu fait le monde. Pour Albinos 120 aussi les idées sont les pen- tôt à dédaignerl26. La connaissance d'un être se base sur la res- sées de Dieu. Atticos au contraire s'y oppose 21 • Par ailleurs une interprétation stoïcienne des idées se serait déjà manifestée 122. WITT, op. dt. p. 72. 123. Ibid. p. 74. 124. Autres textes: ComJn XIII, 42, 280-282 à propos de la phrase: "Dieu vit 115. PArch II, 9, 2. que cela était bon" répétée à plusieurs reprises dans Gn 1 : "Dieu examina les 116. Ibid. IV, 4, 8. raisons des choses et vit comment selon les raisons d'après lesquelles elle était 117. Roberto RADICE, Platonismo e creazionismo in Filone di Alessandria, Roma faite chaque créature est bonne". HomNb XXII, 3 : avant de mourir Moise sur 1989. le mond Nébo contemple les raisons et les causes célestes de ce qu'il a connu 118. R. E. WI1T, Alhinus and the history ofMiddle Platonism, Cambridge, 1937, p. 71. dans sa vie terrestre. HomGn l, 10, 35 : les raisons des êtres créés. HomJr 119. Numénius, Fragments, texte établi par E. des PLACES, Paris 1973, frag- XVIII, 2, 63 : Gardant leur âme en haut pour voir la raison des choses d'en bas ments 15-16, 18-20. qui se trouve là-haut. 120. WITT, op. dt. p. 73. 125. l, 2 (19), 4, 1. 24 par exemple. 121. Atticus, Fragments, éd. E. des PLACES, Paris 1977, p. 86 en note. 126. l, 6 (1), 8, 1.7 ss. ; V, 3 (49), 13,1. 28 ss. 462 463 semblance avec celui qui connaîe27 . La forme engagée ici-bas tant qu'image de l'Un, l'Intelligence lui est Par le dans la matière n'est qu'une image, dégradée, de celle qui est voGç qui est semblable à Dieu nous touchons Dieu, nous sommes dans l'intelligible128. Le semblable, certes, est perçu par le sem- avec iui, nous dépendons de lui l40 . Pareillement la raison discursi- blable l29. L'infini est double: celui d'en haut est archétype, celui ve est image de l'Intelligence c'est-à-dire de l'intuitive 141. Le monde d'en bas, qu'on appellerait mieux en français l'indéfini, est sensible est l'image eiôwÀov) de l'intelligible142 : entre les image (eiôwÀov). Cette image "fuit l'être vrai"llKl. Il Y a dans l'uni- deux il y a analogie et homonymie puisque ce sont les formes vers toutes sortes d'analogies entre les êtres et cela rend possible intelligibles qui façonnent le sensible, mais il n'y a pas synony- les prédictionsl3l • Ce monde qui est beau est l'ombre et l'image Origène trouve la même homonymie à propos de la de puisque les formes qui informent la matière question des anthropomorphismes divins : entre les membres de ce monde sont issues de celles qui sont dans l'Intelligence et ou passions humaines et les activités divines figurées par eux, puisque ce qui est à la ressemblance d'autre chose en subit de même entre les membres humains et les activités de l'âme. Proche de l'idée de similitude est celle de la sym- La substance sensible tient l'être de la substance intelligible l44 et pathie, de la sensibilité commune qui unit les êtres de l'univers1M c'est pourquoi le monde sensible imite l'intelligible 45 .Les êtres et la connaissance du semblable par le semblable s'applique à la d'en haut ne regardent pas vers les êtres d'en bas mais ces der- similitude qui joint les organes des sens à leurs Ainsi niers dépendent d'eux et les imitent146 . L'idée de cheval dans Plotin fait-il l'hypothèse d'un oeil qui se trouverait en dehors et l'intelligible est le modèle du cheval sensible147 : de même pour au-dessus de la voûte du ciel (astral) et se demande s'il verrait ce tous les animaux d'en haut et d'en bas148. L'amitié qui unit les qui n'est pas en sympathie avec Une des raisons de la êtres d'ici-bas est l'image de celle des êtres de là-haue 49 . Le chute de l'âme dans le corps est qu'elle est trompée par la res- pensé est présent à l'âme par sa ressemblance et son identité et semblance des réalités sensibles avec les intelligibles et croit il s'y attache par sa communauté de nature quand rien ne trouver dans les premières la même béatitude dont elle a joui l' empêchel50 . avec les : nous avons déjà signalé l'aspect anthropo- Il est possible ici-bas de contempler l'archétype dans son centrique de la notion origénienne du péché qui est proche de image 51 . L'âme humaine est à la fois semblable et dissemblable celle-là. L'Ame est l'image de l'Intelligence comme la parole à ce dont elle vient, mais elle peut se rendre semblable ici-bas proférée est celle de la parole L'intelligence de son par son action152. Le mot j.lij.lTlj.la est aussi employé pour désigner côté est l'image de l'Un et elle garde sa ressemblance, mais en l'image : il est appliqué à la vie qui est dans l'Intelligence, image de ce qui est dans Si les intelligibles étaient hors de l'In- 127. l, 8 (51), 1,1. 8. 128. II, 4 (12), 5, 1. 18 ss. telligence et étaient contemplés par elle du dehors, elle ne les 129. II, 4 (12), 10,1. 3 ; IV, 4 (28), 23, 1. 6 ss. verrait pas dans leur vérité, mais seulement dans leurs images, 130. II, 4 (12), 15,1. 22 ss. 131. III, 3 (48), 6,1. 1 ss. 132. III, 8 (30), Il, 1. 26. 139. Ibid. 7,1. 1 ss. ; V, 2 (11), 1,1. 15. 146. VI, 7 (38), 7, 1. 20 ss. 133. IV, 3 (27), Il, 1. 6 ss. 140. V, 1 (10), 11,1. 13. 147. Ibid. 8,1. 1 ss. 134. N, 4 (28), 32, 1. 4 ; IV, 5 (29), 1-3; IV, 9 (8), 2, 1. 1. 141. V, 3 (49), 4, 1. 20. 148. Ibid. 9,1. 1 ss. 135. IV, 5 (29), 1,1. 6 ss. 142. VI, 2 (43), 22, 1. 33 ; VI, 7 (38), 12,1. 2. 149. Ibid. 14,1. 18 ss. 136. Ibid. 8, 1. 1 ; cf. 3, L 21 ss. 143. VI, 3 (44), 1,1. 6 et 21 ; 3, 1. 26. 150. VI, 9 (9), 8, 1. 26. 137. IV, 6 (41), 3, 1. 9 ss. 144. Ibid. 6, 1. 28. 151. V, 3 (49),6,1. 17. 138. V, 1 (10),3,1. 6 ; V, 3 (49), 8, 1. 9. Comme le monde intelligible est l'arché- 145. Ibid. 8, 1. 32. 152. Ibid. 7, 1. 27 ss. type du monde sensible: V, 1 (10),4,1. 1 ss. 153. Ibid. 16,1. 38. Pareillement V, 4 (7), 2,1. 25 : Kat EiBwÀov. 464 465 des images qui sont ici qualifiées de fausses : il faut en conclure te le fait qu'il est fils ? Pour répondre à cette question il faut se que les intelligibles sont intérieurs à l'IntelligenceM • Les vertus reporter à ce que nous avons dit plus haut des rapports du Père et humaines imitent les vertus divines 155. Zeus figurant l'Ame du du Fils. En ce qui concerne l'homme le KaT 'eh:6va, le "selon Monde est l'image de Cronos, son père, l'Intelligence 56 • Le l'image", constitue un point de départ, un germe, dans le sens corps est image et imitation de la forme qui agit dans l'âme et que donnent au mot les raisons séminales stoïciennes. Il doit qui est proche de la "vérité", c'est-à-dire de la forme originelle donc progresser par l'exercice de la vie chrétienne, malgré le dans l'intelligible 157 . Les sciences qui s'occupent des réalités péché qui le recouvre sous des images adverses, mais ne saurait sensibles sont les images de ces réalités 158. L'un qui se trouve l'effacer. Seul le Christ Rédempteur peut le faire revenir à la sur- dans les êtres imite l'Un transcendane 59. L'Un-Bien est l'arché- face: ce progrès a lieu à la fois par l'action du Christ qui type de l'Intelligence qui est son image (ivôaÀJ.!a)160. La vie "forme" (J.!op<J>oüv) son image dans l'âme, "se forme" en elle pieuse ici-bas en l'absence de Dieu est une trace (ixvoç) qui selon les vertus qui s'identifient à lui, et par l'action propre de imite la vie de là-haue 61 . Dans l'extase l'âme n'est qu'un avec l'homme qui imite et suit Dieu et son Fils. L'aboutissement de l'Un; mais quand, après l'extase, elle s'en souvient, elle a en cette montée spirituelle est la ressemblance promise par Dieu elle l'image de l'Un, alors que dans l'union elle n'est plus en Gn 1, 26, non encore réalisée en Gn 1, 27, mais affirmée en 1 image, mais Dieu lui-même; si quelqu'un se voit ainsi devenir Jn 3,2: cette ressemblance c'est la divinisation que le Psaume 81 Dieu, il en a la ressemblance et passe comme d'une image à (Hébreu 82) montre déjà opérée, l'assimilation au Fils et, par le son modèle, ce qui est la fin du voyage 162. Fils, au Père. En vertu du principe de la connaissance du sem- blable par le semblable, c'est le "selon l'image" qui rend possible ORIGÈNE la connaissance de Dieu, qui fait l'homme capable de recevoir La vision exemplariste du monde est très développée chez les grâces divines de connaissance et plus le "selon l'image" se Origène, peut-être même davantage que chez Plotin et, comme développe par le progrès spirituel, plus l'homme devient apte à nous l'avons dit plus haut, elle est habituellement entendue accepter en toute liberté de sa part, de la suprême liberté divine, dans un sens optimiste. L'homme, comme l'ange, comme tout des grâces de connaissance de plus en plus parfaites jusqu'à la être raisonnable, même les astres et originairement les démons, vision suprême du Christ "tel qu'il est", et du Père à travers lui, a été créé selon l'image de Dieu, Image de Dieu qui est le Logos, que promet 1 Jn 3, 2, et qui est liée à la ressemblance accomplie. son Fils: Origène trouve cette affirmation dans l'Ecriture16s . Nous ne faisons que résumer cette doctrine l'ayant traitée à loi- Cette notion d'image appliquée au Christ suppose-t-elle une sir autrefoislM. infériorité du Fils à l'égard du Père autre que celle que compor- Seul l'être raisonnable, homme et ange, a été créé selon 154. V, 5 (32), 1, l. 50 ss. l'image de Dieu, mais il ne faudrait pas en conclure que les êtres 155. V, 8 (31), 10, l. 10 ss. ; l, 2 (19), 2, l. 1 ss. de ce monde soient tout à fait dépourvus d'images célestes: 156. V, 8 (31), 12. "Comme Dieu a créé l'homme selon son image et ressemblance, 157. V, 9 (5),3, l. 38. 158. Ibid. 7, l. 3 S5. peut-être a-t-il fait les autres créatures à la ressemblance de cer- 159. VI, 6 (34), Il, l. 1 ss. taine images célestes"165. Ils sont images de mystères divins. 160. VI, 8 (39), 18, l. 26. 161. VI, 9 (9), 9, l. 16 5S. 164. Voir notre Théologie de l'image de Dieu chez Origène. En résumé dans 162. VI, 9 (9), Il, l. 4, 16, 43. Origène, Le Sycomore, 1985, 130-137. 163. Gn 1,26-27 et en ce qui concerne le Christ Coll, 15. 165. ComCt III, 208, 14 ss. 466 467 Les mystères, objets suprêmes de la connaissance dite pour cela toujours préservée sur la terre, mais les individus ne seraient conser- mystique par Origène, correspondent aux "idées" de la philo- vésperpétuellement que dans le ciel astral. Cela reste cependant à sophie platonicienne et ils contiennent les idées, tout en les dé- prouver. Car ils peuvent n'être pas corruptibles par quelque passant, car ils expriment toute la réalité divine. Ils ont donc chose d'extérieur, mais l'être intérieurement, et dans ce cas la per- leur rôle à jouer dans la connaissance puisque connaître Dieu, manence du ciel ne subsisterait-elle que selon l'espèce, comme c'est aussi connaître les mystères. Les êtres de ce mon.de nous sur la terre. La seule différence entre la corruption des êtres mettent donc sur la voie qui conduit à Dieu. Mais nous avons vu célestes et celle des êtres terrestres serait alors que les premiers le péril qu'ils présentent cependant, celui de s'arrêter à eux, dureraient beaucoup plus longtempsl69. Si nous admettons la pre- comme s'ils étaient identiques aux mystères qu'ils révèlent obs- mière hypothèse et affirmons que les célestes subsistent toujours curément, comme s'ils constituaient par eux-mêmes l'absolu qui dans leur individualité, et les terrestres selon l'espèce, comment seul peut satisfaire l'âme l66 . cela possible pour les célestes, vu que les corps s'écoulent Tout cela se retrouvait dans l'enseignement d'Origène tel constamment? Platon et d'autres philosophes se sont interrogés à que le décrivait dans son Remerciement Grégoire le Thaumaturge. ce sujet, notamment Aristote avec son hypothèse de l'éther, cin- La "physique" ou "physiologie" consistait à retrouver l'idée divi- quième élément. Mais d'autres pensent que les célestes sont for- ne qui a présidé à la création de chaque être pour l'utiliser selon més de la même matière que les terrestres et sont des parties du la volonté de Dieu : elle apprenait, certes, l'insuffisance du sen- ciel, comme les terrestres le sont de la terre. Célestes comme ter- sible et la vanité de celui qui met en lui ses espoirs, mais aussi sa restres seraient composés d'âme et de corps. Si leur corps est valeur d'image du divin, celle que lui donne la volonté divine qui incorruptible ils n'ont pas besoin d'âme. Si quelqu'un dit que le est en luP67. Le monde de notre expérience sensible est tout corps est de lui-même corruptible et que l'âme est cause d'incor- pénétré de divin et, paradoxalement, l'homme s'en rend d'au- ruptibilité, il faut essayer de lui montrer que la manière d'être du tant plus compte qu'il ne s'arrête pas à lui, mais qu'il tend vers corps n'est pas contraire à cette combinaison et à cette survie, que son modèle. rien n'est désaccordé dans ce qui s'unit selon la nature, mais qu'il convient que la matière se prête à la volonté de cet accomplisse- 6. Astres et ciel astral mene70. Mais comment la matière et le corps qui toujours s'écou- lent pourraient collaborer à l'immortalité du monde ? Mais on PLOTIN peut dire qu'ils s'écoulent à l'intérieur d'eux-mêmes, non au i dehors, sans s'accroître ni diminuer. La terre garde toujours la Le quarantième traité (11,1) s'occupe du monde visible et corporel avec ses deux parties, le ciel astral et la terre. Il pose même forme et la même masse, de même l'air et l'eau, et le vivant d'abord certaines questions. L'existence du monde dure-t-elle qu'est l'univers ne change pas de nature. Les éléments sont main- depuis toujours et en sera-t-il toujours ainsi? La cause de cet uni- tenus par le mouvement circulaire de l'âme I71 . vers est-elle la volonté de Dieu'? 168 Mais cela ne dit rien de la Mais les êtres célestes subissent-ils des écoulements? Dans manière dont les choses ont pu se passer. L'unité des espèces est ce cas ils auraient besoin de quelque chose ressemblant à une nourriture. Le ciel ne contient-il que du feu ou a-t-il autre chose? 166. Voir notre Origène et la "connaissance mystique". En résumé dans Origène (ut supra) p. 139-164. 169. II, 1 (40), 1,1. 1 ss. 167. RemOrig VIII, 109-114. 170. Ibid 2, 1. 1 58. Phrase analogue chez Origène, PArch III, 6, 4, 126, citée plus haut. 168. Timée 41 b 4. 171. Ibid. 3, 1. 1 ss. 468 469 Mais il faut ajouter aux corps la cause principale qui est l'âme. des hommes, les vices ou vertus, et même toutes leurs actions , Un commencement du monde serait absurde: les éléments sub- et que les astres sont comme en colère contre les hommes sans sistent toujours et pour cela l'univers subsiste. TI se modifie, mais que ces derniers leur aient fait du tort. Les planètes seraient 172 demeure . Pourquoi subsistent les parties du monde astral, elles-mêmes bien ou mal disposées selon les lieux ou elles sont, non celles du monde terrestre? La raison en est, selon leurs situations réciproques, leurs conjonctions, les figures que celles d'en haut viennent de Dieu, mais les vivants d'ici-bas qu'elles forment, le mélange de leurs influences 179 . Les astres viennent des dieux que Dieu a engendrés. A la suite du démiur- sont-ils animés ou inanimés ? Dans le second cas ils ne pour- ge sont l'âme céleste, puis les nôtres qui sont des images raient avoir d'influence que sur nos corps, une influence qui de l'âme céleste, l'imitent, mais sont bien inférieures à serait la même pour tous les astres, et dépendrait seulement de elle par le corps et le lieu où elles sont. Le ciel est immobile leurs positions dont les effets s'additionneraient. Mais comment parce que les astres le sont. Mais cela n'est pas vrai pour ce qui peuvent-ils exercer une influence sur les situations différentes est au-dessous du ciel, car le ciel ne va pas jusqu'à la lune. Plotin des hommes? S'ils sont animés et ont une volonté comment distingue alors deux âmes, une donnée par les dieux qui sont ont-ils pu subir de nous un tort alors qu'ils se trouvent dans un dans le ciel, les astres, et par le ciel lui-même, l'autre "selon la- lieu divin et qu'ils sont divins? TI n'y a rien en eux de ce qui rend quelle nous sommes nous", c'est-à-dire ce que l'on pourrait un homme mauvais 180 . Comment leurs positions, à leur lever, appeler en termes modernes notre personnalité, qui est en nous dans leur centre, à leur coucher, suivant le signe du zodiaque où cause non de l'être, mais du bien être 174. Le ciel est-il donc seule- elles se trouvent, rendraient les planètes bonnes ou mauvaises ? ment du feu qui s'écoule et a-t-il pour cela besoin de nourriture? Comment d'ailleurs parler de leurs positions alors qu'elles diff'e- 175 Le Timée compose le corps de l'univers de terre et de feu, ce rent selon le lieu où se trouve l'homme qui les voit? TI faut croi- dernier assurant la visibilité et la terre la solidité. Mais il serait re au contraire que les planètes sont toujours heureuses et sans eau ni air : cette opinion est discutée 176. Le soleil est seule- bonnes181 . Prêter aux astres des sentiments hostiles est absurde: ment de feu l77 • on ne voit pas pourquoi ils les éprouveraiene82 • TI est aussi absur- Le petit traité 14 (II, 2) sur le mouvement du ciel se deman- de d'imaginer qu'ils sont dans le jour ou dans la nuit : c'est les de pourquoi le ciel se meut-il en cercle. TI agit ainsi parce qu'il juger à notre point de vue, alors qu'ils sont toujours dans la imite l'intelligence. Si le ciel se déplace circulairement alors que lumière ss • Mais ils sont signes des événements futurs, ils sont les autres corps le font habituellement en ligne droite la raison comme des lettres écrites dans le ciel: de même qu'on peut en est que l'âme qui le meut ne sort pas d'elle-même, "comme le connaître le corps d'un animal en considérant une de ses parties mouvement de la conscience, de la réflexion et de la vie"178. ou le caractère d'un homme en regardant ses yeux ou telle par- Le traité 52 (II, 3) a pour titre: "Les astres agissent-ils ?". TI tie de son corps. L'univers est plein de signes de ce genre. En ce affirme d'abord, contre l'astrologie, que les astres, s'ils signifient cas l'astromancie est à rapprocher de l'ornithomancie et elles le futur, n'en sont pas les agentS, et il présente des arguments. ont pour origine l'interdépendance des êtres, tout unis dans un On prétend que viennent des planètes les situatioris diverses seul grand vivant qui est le mondel84 , par les soins de l'âme qui anime l'univers. Les astres sont des parties non négligeables de 172. Ibid. 4, l. 1 SS. 176. II, 1 (40), 6, 1. 1 ss. ; de même 7, 1. 1. 173. Timée 69 c 3-5. 177. Ibid. 7, 1. 23. 179. II, 3 (52), l, 1. 1 ss. 182 Ibid. 4, 1. 1 ss. 174. II,1 (40),5,1. 1 SS. 178. II, 2 (14), 1,1. 1 ss. 180. Ibid. 2, 1. 1 ss. 183. Ibid. 5, 1. 1 ss ; cf. 6, 1. 1 ss. 175. Timée 31 b 4-8. 181. Ibid. 3, 1. 1 ss. 184. Ibid. 7, 1. 1 ss. 470 471 cet unique vivant. Platon 185 rattache les passions aux astres, car les contempteurs. Le monde sensible n'est pas l'égal du monde nous recevons d'eux notre âme et nous sommes soumis à la intelligible, mais son image très bellel92 • Malgré ce que disent les nécessité. Mais cette concession a sa contrepartie: la nature nous gnostiques les astres sont beaucoup plus beaux et plus' purs que a donné aussi d'être nous-mêmes, de pouvoir dominer les pas- les âmes humaines et Plotin pour l'affirmer sur la régu: sions et pratiquer la vertu; tel est l'effet de notre âme supérieure larité des mouvements du ciel opposée aux désordres terrestres. qui va vers le haut, distinguée de la trace qui anime le corps Ses adversaires méprisent cette terre e,n prétextant une terre et vient des Celui qui en reste à cette dernière est soumis nouvelle où ils iront après çette vie1 Ils blâment cet univers et !}g. au destin, il n'est plus qu'une partie de l'univers. A côté du couple accusent l'union de l'âme, et du corps, ils blâment aussi celui qui âme-corps, il y a ce qui nous constitue le plus profondément. gouverne cet univers 194 . Ils ne voient pas de différence entre Comme le monde avec son corps et l'âme qui lui est liée est régi l'Aine, du et les âmes Au contraire le par l'Ame du Monde, de même en est-il des astres l86 • Ds sont donc monde sensible est "une vie continue, claire, abondante, mani- des signes : ils agissent aussi, mais leùr action est limitée par la festant une sagesse ineffable, ... une statue claire et réaction de l'âme supérieure187. Reçue en l'h()mme l'influence des belle des dieux intelligibles". Il imite le monde intelligible dont il astres change, elle peut devenir mauvaise alors qu'elle ne l'est pas est une belle image (EiKWV) naturelle. La terre est pleine d'ani- par elle-mêmel88 • Ils ont donc une action mais ils ne sont pas les maux divers et immortels et jusqu'au ciel tout en est plein. seuls à agirl89 , car agissent aussi les diverses espèces d'êtres: les Pourquoi les astres ne seraient-ils pas des dieux, étant donné inanimés, purs instruments ; les animés dont le mouvement est l'ordre avec lequel ils se meuvent ? On ne trouve pas là-haut la sans direction fIXée comme des chevaux sans cocher; les animaux malice des gens d'en bas, venant du corps qui est troublé et raisonnables qui ont en eux leur cocher. Tous contribuent à la vie trouble. Plotin croit que les astres sont très supérieurs aux du tout. Mais si les parties du monde peuvent produire des altéra- hommes en intelligence l96 • Si les hommes ont plus de prix que tions dans un sens meilleur ou pire, aucune ne peut faire sortir les les autres animaux les astres en ont plus que les hommes et ils êtres de leur propre nature l90 • Il y a donc une action de l'univers, ne sontpas dc;ms l'univers pour le tyranniser, mais pour l'omer donc des astres, variable suivant les cas: certains se laissent et l'ordonner. Ils sont signes des événements 197. Mépriser le mener, d'autres dominent ces influences par leur vertu et leur monde et les dieux qui sont en lui, les astres, ce n'est pas être force d'âme. Car seule de tous les êtres, l.'âme n'a pas de nature et bon .. Quand on aime le père on aime les enfants: or toute âme elle peut ne pas accepter les passions du corps 191. est fille de ce père d'en haut. Les âmes des astres sont intelli- Dans le traité 33 contre les gnostiques (II, 9) il est fréquem- gentes, bonnes et plus que les nôtres en contact avec le monde ment question du monde et des astres dont ils sont, selon Plotin, intelligible. Il est impie de dire que la providence ne pénètre pas en ce monde, alors qu'il participe à celui d'en haue 98 • L'Ame du 185. Timée 69 c 5 - d 3. Monde a fait participer les corps à la beauté, ainsi que les âmes 186. Ibid. 9, 1. 1 ss. 187. Ibid. 10,1. 1 ss. qui les animent. Il y a donc de la beauté dans le sensible, partici- 188. Ibid. Il, 1. 1 ss. pation à celle de l'intelligible : il faut qu'il y ait correspondance 189. Ibid. 12,1. 1 ss. Les lignes 12-32 sont mises par Ficin à la suite de § 5, car elles y conviennent mieux, à moins que, selon Henry-Schwyzer, "nam utnlm Plotini an cuiusdam astrologontm sectato,ris sint diiudicare nolumus" : elle développe ce qui 192. II, 9(33), 4, 1. 24. 196. Ibid. 8, 1. 14 ss. concerne l'action des astres par sympathie. 193. Ibid. 5, 1. 1 ss. 197. Ibid. 13, l. 18 ss. 190. Ibid. 13, l. 1 ss. ' 194. Ibid. 6, l. 59. 198. Ibid. 16, l. 1 ss. 191. Ibid. 14-15. 195. Ibid. 7, l. 7. 472 473 entre la beauté extérieure et l'intérieurel99 • Le monde est une L'éternité du monde, une éternité qui est ici non l'éternité belle maison qui est notre demeure. Au contraire les gnostiques, au sens strict éliminant la successivité du temps, mais un temps s'ils jugent dignes d'être appelés frères les plus vils des hommes, sans commencement ni fin, est affirmée à plusieurs reprises par dédaignent d'attribuer ce nom au soleil et aux astres qui sont Plotin 205. Le monde sensible tire son existence du monde vrai et dans le ciel200. un qui est l'intelligible. Mais il n'est pas absolument un, il est Certains expliquent le destin par le mouvement de l'uni- divisé et ne connaît pas seulement l'amitié, mais la haine et la vers, les relations et les figures que font les astres, qu'ils soient lutte de ses parties entre elles. Il n'est pas né d'un raisonnement, errants (planètes) ou fixes (aplanes)201. Mais Plotin critique mais d'une nécessité de la nature seconde, l'Intelligence, qui ne l'astrologie. D'abord elle attribue à d'autres causes ce qui relève l'a pas créé comme travaille un artisan. Elle a mis quelque chose de nous, décisions et passions, malice et instincts et ne nous d'elle dans la matière, les raisons venues de l'Intelligible, et elle a donne rien de plus qu'à des pierres qu'on transporte, ne nous créé ce monde sans s'agiter et calmement. Comme dans la rai- considérant pas comme des hommes dont l'action vient d'eux- son qui se trouve dans la semence tout est uni et accordé, mais mêmes. Il y a certes en nous des éléments qui viennent de l'uni- se divise et se combat dans l'être qui en naît. Parmi les parties de vers, mais il faut distinguer ce que nous faisons de nous-mêmes cet univers, les unes sont amies et familières, d'autres ennemies et ce que nous subissons de la nécessité sans tout attribuer aux et adversaires, se faisant du mal volontairement ou non, mais astres. Attribuer aux positions des astres au moment de la nais- tout cela constitue cependant une seule harmonie. Ce monde sance tout le destin de l'individu au lieu de réduire leur rôle à est gouverné sans problème par l'Ame du Monde06 • Ce monde celui de signifier est absurde comme Plotin le montre par est beau, le plus beau qui ait pu être produit à partir de la matiè- quelques arguments202 • Chacun naît selon sa nature. Le mouve- re. Il ne faut pas blâmer le tout à cause de ses parties, mais exa- ment de l'univers y collabore, donne beaucoup sur le plan cor- miner les parties en fonction du tout et aussi ne pas considérer porel, mais comment aurait-il une telle influence sur le caractère le tout sans pousser l'examen jusqu'aux parties. Ce monde est et les occupations, sur tout ce qui ne paraît pas être soumis au parfait parce que Dieu l'a fait. Il y a en lui différents degrés tempérament du corps ? Comment viendrait des dieux astres la d'êtres et il faut les juger selon ce qu'ils possèdent et peuvent perversité du caractère ? Comment faire dépendre leurs fournir 207 . La vie ici-bas est en mouvement, mais là-haut dans humeurs de leurs levers et de leurs couchers, comme si cela l'intelligible elle est immuable. Les parties du monde sensible se n'était pas relatif à la position de la terre par rapport à eux, ou détruisent réciproquement et se succèdent. L'ordre ne vient pas comme si la vue d'un autre astre les mettait en joie ou en fureur du désordre, mais parce qu'il y a de l'ordre il y a du désordre208. et que nous en subissions les conséquences ? Mais en les regar- Dire que les astres sont signes et non agents, sinon secon- dant comme des lettres ceux qui connaissent une telle grammai- dairement, ne vide pas de tout son sens l'astrologie qui rejoint re lisent l'avenir à partir de leurs figures en recherchant métho- toutes les autres pratiques divinatoires. Le fait que le monde est diquement selon l'analogie ce qui est signifié 20!J. Le mouvement un unique vivant permet de deviner par ce qu'on voit ce qui lui des astres n'est pas tel que rien ne vienne de nouS: il y a une est lié. Il n'appartient pas au devin de dire le pourquoi, mais responsabilité personnelle204 . 205. 111,2 (47), l, l. 2055. ; IV, 3 (27), 9, l. 1555. ; Ibid. 10, l. 1 55. 199. Ibid. 17, l. 27 55. 202. Ibid. 5, l. 14 55. 206. III, 2 (47), 2, l. 1 55. 200. Ibid. 18, l. 1 55. 203. Ibid. 6, l. 1 55. 207. Ibid. 3, l. 1 55. 201. III, 1 (3), 2, l. 26. 204. III, 2 (47), 10, l. 1255. 208. Ibid. 4, l. 1 55. 474 47; seulement le fait et son art est comme la lecture de lettres natu- beauté de l'univers sensible ne vient pas de sa multiplicité qui relles qui montrent l'ordre et ne s'inclinent jamais vers le désor- éloignerait au contraire le beau: il ne s'est pas laissé fuir à l'infini dre. L'analogie entre les êtres, célestes et terrestres, est le point a mais il été contenu par l'Un21 8-219 ; le monde est ce qu'il est par de départ de la divination209 . la volonté du Créateur. Les astres - il seniblebien qu'il s'agisse. d'eux - sont des dieux parce qu'ils ne s'éloignent pas des êtres de là-haut, les intel- ORIGÈNE ligibles, qu'ils sont lIés à l'Ame- primitive et par elle regardent Nour avons vu que pour Origène - opinion qui reste vers l'Intelligence, leurs âmes étant toujours tournées vers le cependant problématique dans une certaine mesure - les astres haue10. Plotin parle fréquemment des astres qui sont signes, sont des êtres animés et raisonnables, supérieurs aux hommes, à toutoen leur attribuant une certaine action sur les hommes qui ne mettre oprobablement sur le même plan que les anges. Sont-ils saurait être déterminante et s'explique par la sympathie qui unit attachés à des corps pour avoir péché ou, à l'instar de certains tous les êtres dans l'unique .animal qu'est l'univers211 . Ce· monde des anges, se sont-ils incarnés· pour le service des hommes, .telles existe et existera toujours, il est éternel, ce qui veut dire seule- sont des questions qu'Origène se pose220 . En tout cas ils ne sau- ment qu'il n'a ni commencement ni fin212. Mais Platon suppose raient être l'objet d'un culte et leur lumière. sensible n'est qu'un que les choses naissent215 . fi est possible que les astres échappent reflet de la lumière éternelle que représente la Trinité. Dieu seul à l'écoulement continuel qui caractérise le sensible et restent est à adorer, Dieu que l'homme est capable de connaître, car il stables214 . Ce sont des dieux corporels, beaux, toujours sages, ils possède, donnée par Dieu, la lumière de la connaissance. Et connaissent, non les choses humaines, mais les réalités divines. plus admirable chez les astres que leur lumière sensible est la fis contemplent toujours, comme de loin, les êtres intelligibles, lumière intelligible que, semble-t-il, ils possèdent eux aussi 221 . en levant leurs têtes vers le ciel intelligible où ils sone15. fis voient Origène juge donc l'astrolâtrie condamnable comme toute ido- tout, sauf les êtres appartenant au devenir ou à la génération, lâtrie : cependant il lui attribue une noblesse particulière et la mais ils s'attachent aux vraies substances. Tout leur est transpa- pense préférable à l'idolâtrie vulgaire222 ; c'est en effet un culte rent et rien ne leur échappe. fis n'éprouvent ni fatigue ni satiété. éminemment philosophique. Leur sagesse ne vient pas de la réflexion, mais elle leur est don- Mais cela n'empêche pas Origène de refuser, comme née tout entière à la fois: c'est la science en soi (aùTOE1l10Tnj.11l), toute la tradition chrétienne, l'astrologie. Le texte le plus impor- compagne de l'Intelligence. fi ne s'agit pas là d'une science divi- tant, que nous allons étudier en détail, est un fragment du sée en théorèmes et en propositions comme la science humai- Commentaire sur la Genèse III, à propos de Gn l, 14, qui forme le ne216. Cet univers visible est l'image du monde intelligible217 . La chapitre 23 de la Philocalie d'Origène. La préface qu'Eric Junod a donnée à ce chapitre dans son édition225 expose de façon très 209. III, 3 (48), 6, l. 1 ss. complète "la polémique anti-astrologique chez les Pères anté- 210.0 3 (27), 11, l. 23 ss. rieurs et chez les contemporains d'Origène", les Pères aposto- 211. Ibid. 12, l. 22 ss.; IV, 4 (28), 31, l. 42. Deomême une certaine influence des âmes qui président aux astres: IV, 4 (28), 36, 1. 21 ss. 212. IV, 8 (6) 4,1. 42 ; V, 8 (31), 12,1. 17; VI, 8 (39),17, l. 5 S8. 213. VI, 7 (38), 3, l. 4. 218-219. VI, 6 (34), l, l. 23. 214. V, 6 (24),6,1. 16. 220. Voir aussi PArch II, 9, 7, 243. 215. V, 8 (31), 3, 1. 18 ss. 221. CCels V, 1Q..11. 216. Ibid. 4, 1. 1 ss. 222. ComJn II, 3, 27. 217. VI, 4 (22), 2, 1. 1 ss. 223. Philocalie 21-27 : Sur le libre arbitre. SC 226, 1976, p. 24-65. 476 477 liques et apologètes qui condamnent brièvement l'astrologie sans traités. Le premier est la conciliation de la prescience divine avec trop entrer dans les détails, le valentinien Théodote dont des la liberté humaine : les Philocalistes y ajoutent un passage du extraits sont conservés par Clément d'Alexandrie et qui dis- Commentaire sur la Genèsjl2" et un texte du Contre Celse traitant du tingue déjà dans les astres le nOIEÏv et le (Hll-lalVLlv, le fait d'être même sujet228 • Nous n'insistons pas maintenant sur ce premier agent ou d'être signe, le syriaque Bardesane dans son Livre des problème qui dépasse la question des astres : nous le retrouve- lois du pays, la littérature pseudo-clémentine, l'auteur de l'Elenchas rons à propos de la Providence. (Hippolyte de Rome ou un Pseudo-Hippolyte).Junod analyse Le second problème229 est celui des astres-agents ou des ensuite la polémique d'Origène telle qu'elle se présente comme astres-signes : produisent-ils les événements humains ou en sont- en passant dans plusieurs textes224 • ils seulement les signes ? La démonstration d'Origène en faveur Mais l'exposé le plus complet, où interviennent l'Ecriture, de la seconde opinion - qui aura besoin d'être complétée par la les considérations morales pour la sauvegarde du libre arbitre, réponse au troisième problème - consiste à montrer que les les connaissances philosophiques, scientifiques et théologiques astrologues sont incapables de fIXer avec précision la situation et la conciliation de la prescience divine avec le libre arbitre, est des astres au moment de la naissance d'un individu pour en le texte susdit de la Philocalie. Eric Junod compare ensuite tirer tout ce qu'ils en tirent, non seulement sur le personnage en Origène à Plotin, d'abord dans l'analogie des astres avec des question, mais encore sur tous ses proches. Et même en suppo- signes et des lettres, puis dans la distinction du nOlE:Ïv et du sant qu'ils puissent y arriver comment la configuration astrale 011I-lUIVEIV. Il achève son exposé sur l'utilisation postérieure du qui a été fIXée au moment de la naissance d'Un Tel a pu produi- commentaire d'Origène et sur les fausses accusations de profes- re des événements antérieurs à cette naissance? Le ciel est com- ser l'astrologie que lui lança entre autres Théophile d'Alexan- paré à "un livre qui contient prophétiquement l'avenir ... parce drie225 • qu'il est le livre de Dieu". Origène cite à ce sujet un apocryphe intitulé La Prière de JosePh dans lequel il est question des Le fragment en question qui constitue Philoc 23 est l'exé- gèse complète de Gn l, 14 disant des astres: "Qu'ils servent de "tablettes du ciel" où Jacob lit l'avenir, et Is 34, 4 : "Le ciel sera signes pour les saisons, les jours et les années"226. Une longue roulé comme un livre". Les astres servent donc de signes, non de causes, et il ne faut pas craindre les "signes du ciel" selonJr préface expose les méfaits du fatalisme astrologique qui, faisant croire que le destin des hommes est commandé par les astres, 10,2. Un second argument est présenté contre les astres-agents, mais en faveur, "à la rigueur", des astres-signes. Puisque, par détruit avec le libre arbitre toute moralité, rend vains les com- mandements, promesses et menaces de la Bible, aboutit à la exemple, le meurtre de tel personnage est contenu non seule- licence des moeurs, supprime la prière, et au nom de la pres- ment dans son horoscope, mais dans celui des membres de sa cience divine fait de Dieu l'auteur du mal. L'erreur est de s'ima- famille et de ses amis, comment se fait-il que son horoscope à lui soit agent et ceux des autres seulement signes. Comment voir giner que les astres sont causes des événements alors qu'ils en dans les horoscopes des gens de telle nation l'origine d'une cou- sont seulement les signes. Puis quatre problèmes sont posés et tume particulière à elle alors qu'ils ne le produisent pas chez 224. PArch 1, préf. 5 ; CCels l, 58-59 ; HomJos VII, 4 ; HomJr latine III, 4-5 ; les autres? HomNb XII, 4 ; ComMt XIII, 6, etc. 225. Lettre synodale de l'année 400, traduite en latin par Jérôme, Lettre 92, 2, 227. Ibid. 7-11. dans l'édition Labourt, IV, p. 151, l. 15. 228. Ibid. 12-13: CCels II, 20, 12-96. 226. Philoc 23, 1-5. 229. Ibid. 14-16. 478 479 Troisième problème2so : les hommes sont-ils capables de férence majeure : Plotin admet que les hommes puissent lire comprendre ce que les astres signifient ou faut-il réserver cette ces signes, mais Origène montre par une critique des procédés compréhension aux puissances célestes ? La détermination pré- des astrologues que cette lecture est impossible pour les hommes, cise de la position des astres au moment de la naissance est pra- possible seulement aux anges. Donc l'astrologie est une science tiquement impossible aux hommes, car il faut déterminer non trompeuse, avec laquelle les démons, profitant de la connaissance seulement l'heure, mais la minute et la seconde - dites le pre- qu'ils ont de ces signes, abusent les hommes232 • mier et le second soixantième - comme le montrent entre autres choses les naissances de jumeaux. S'y ajoutent aussi les 7. La Providence difficultés que cause pour ce calcul la précession des équinoxes découverte par Hipparque. C'est pourquoi "la d'échec dans Nous avons parlé à plusieurs reprises de la providence à les conjectures des astrologues ... l'emporte sur lèurs prétendus propos d'autres sujets: il faut actuellement aborder la question succès". Ainsi, si les astres sont signes, les hommes sont inca- pour elle-même. pables de les lire. Origène explique certaines affirmations scrip- PLOTIN turairespar des révélations d'anges et voit dans le Jacob de la Prière de JosePh quelqu'un de supérieur à la condition humaine. La providence, c'est-à-dire ici l'Ame du Monde, est à l'ori- gine du mouvement circulaire du ciel 233 • Il est impie de dire avec Le quatrième problème231 concerne précisément ces· puis- les gnostiques qu'elle ne pénètre pas dans le monde d'ici-bas, ni sances célestes qui peuvent lire ·les signes : pourquoi Dieu a-t-il dans n'importe quel monde, mais qu'elle s'occupe seulement fait des astres des signes pour ses anges ? Ds sont destinés princi- d'eux, les gnostiques. Le monde sensible a quelque chose de palement, conjecture Origène, à ceux qui s'occupent des affaires celui d'en haut et n'est pas abandonné par la providence ni ne le humaines pour leur donner des informations ou des commande- sera. Elle s'occupe du tout plus que des parties234 • ments : dans le premier cas pour qu'ils s'en réjouissent, dans le second pour qu'ils les exécutent. Les astres sont donc des "lettres Les traités 47 et 48 (III, 2 et III, 3) forment en réalité un seul célestes" qui jouent le même rôle que la Bible pour les hommes: traité que Porphyre a coupé en deux et intitulé : "De la Pro- le ciel est ainsi comme un immense tableau d'affichage, dirions- vidence". Il est absurde d'attribuer au hasard l'existence de cet nous. Non seulement les bons anges lisent ces signes et s'en ser- univers, même si son gouvernement par la providence présente vent pour l'utilité des hommes, mais ils n'échappent pas non plus des difficultés. Il ne s'agit pas d'une providence qui a besoin de aux puissances mauvaises qui en abusent pour le malheur des réfléchir avant d'agir, ou qui aurait créé un monde qui n'aurait hommes. pas existé auparavant et l'aurait fait avec prévision et raisonne- ment, car le monde existe depuis toujours et pour toujours. La La conception des astres-signes - et lettres - est donc providence du monde c'est le fait qu'il découle de l'Intelligence commune à Origène et à Plotin. Plotin admet en outre que les qui lui est antérieure non chronologiquement mais logiquement astres aient une certaine action sur les hommes, mais une action et qui est sa cause en tant qu'archétype et paradigme du monde extérieure qui ne met pas en danger le libre arbitre : il en est pour lui de l'action des astres comme de la magie. Mais Origène 232. La comparaison entre Origène et Plotin sur ce sujet est menée par Eric ne parle guère de cela. Il y a cependant entre les deux une dif- Junod dans sa préface à Philoc 21-27 aux pages 54-58. Sur Origène et l'astrolo- gie voir aussi ComMt XIII, 6, 194, 13. 230. Ibid. 17-19. 233. II, 2 (14), l, l. 25 ; II, 3 (52), 6, l. 16 ss. 231. Ibid. 20-21. 234. II, 9 (33), 16, l. 14 ss. 480 481 sensible, son image. L'intelligence, en tant qu'elle est l'intelli- et à la vie241 • L'homme est situé entre les dieux et les bêtes, il gible, est le monde vrai et premierS5 • On peut en conclure que n'est pas l'être le plus précieux de l'univers: les hommes sont la notion de providence ne s'applique qu'indirectement à l'Un, bons, mauvais ou entre les deux. Si les uns dominent et les seulement comme origine première de tout. La providence est autres sont dominés, c'est que les premiers se sont exercés et l'oeuvre de l'Intelligence qui agit par son intermédiaire cons- non les seconds. Ce sont les armes et le courage qui font gagner tant, l'Ame du Monde. la guerre, non les prières : on n'obtient pas de fruits en priant, Le monde sensible tire son existence de ce monde intelli- mais en travaillant. Les méchants commandent à cause de la gible. Il ne naît pas d'un raisonnement qui conclurait qu'il doit lâcheté des gouvernés242 • La providence n'est pas seille et tout à naître, mais "de la nécessité d'une nature seconde", l'Intelli- elle seille, l'homme est aussi quelque chose que le divin ne sup- gence, qui avait la puissance de faire naître un autre être sans prime pas. Elle promet dans une vie future récompenses ou châ- chercher à le faire. Elle n'a pas agi comme un artisan. L'univers timents, car l'homme a la responsabilité de lui-même et de son sensible n'est pas intelligence et raison comme l'intelligible, destin243 • Même le péché involontaire c'est l'homme qui le fait. mais y participe. L'Ame du Monde préside à ce mélange de L'influence des astres sur les hommes n'a pas une force telle matière et de raisons qui constitue le monde sensible : elle le que rien n'est en notre pouvoir L'homme va vers le gouverne très facilement, par sa présence pour ainsi dire236 • Le bien par sa nature propre et le principe de son action c'est le monde est beau, si on regarde les ensembles sans attacher aux libre arbitre )244. La raison ne veut pas que tout soit parties une importance trop grande237 • Une vision optimiste du bon, de la même façon qu'un artiste met une diversité dans son monde est ainsi développée par Plotin malgré les luttes qui divi- tableau: elle n'a pas fait que des dieux, elle a fait aussi des sent la nature et les injustices des hommes. Les âmes ne dépen- démons, des hommes et des animaux, parce qu'elle a en elle dent pas de la génération : elles existent toujours, avant comme une diversité intelligible. Un drame n'est complet qu'avec les après leurs incamations238. Les âmes sont heureuses ou malheu- rôles inférieurs245 • La raison n'est pas faite de choses toutes sem- reuses, malheureuses par leur faute, mais tout est récupéré dans blables et l'harmonie des âmes vient de ce que chacune est mise le grand ordre de la nature et le mal a lui aussi son utilité 239. Il selon ses mérites dans le lieu convenable246 • Il ne faut pas voir arrive que le bon soit malheureux, le mauvais heureux, et cela seillement le présent, mais aussi le passé et l'avenir, et les condi- constitue une objection contre la Providence: il faut la résoudre tions diverses et changeantes des hommes, des maîtres devenant pour montrer que le monde dépend d'une intelligence24o • esclaves ou des riches devenant pauvres parce qu'ils ont mal uti- L'homme ne peut avoir immanquablement le bonheur parce lisé leurs conditions antécédentes - il s'agit de métempsychose -. qu'il est un être mélangé et qu'il n'est pas absolument semblable Les diverses conditions des hommes ne viennent pas du hasard : à son archétype qui est dans l'intelligible. Il ne faut pas accuser tout est ordonné et cet ordre voulu par la providence s'étend aux la providence de la méchanceté des hommes : les âmes ont des animaux et aux plantes. Le divin agit toujours selon sa nature mouvements propres dont la providence n'est pas responsable. qui porte en elle le beau et le juste247 • L'ordre du monde ne Il n'est pas vrai cependant que la providence ne s'étendrait pas vient pas d'un raisonnement, mais il aboutit à des résultats qui jusqu'à la terre: animaux et plantes participent à la raison, à l'âme dépassent ceux des raisonnements les plus parfaits. C'est folie 241. Ibid. 7, 1. 1 SS. 245. Ibid. Il,1. 1 SS. 235. 111,2 (47), 1, l. 1. 238. Ibid. 4, l. 1 SS. 246. Ibid. 12, 1. 1 SS. 242. Ibid. 8, 1. 1 SS. 236. Ibid. 2, l. 1 SS. 239. Ibid. 5, l. 1 SS. 243. Ibid. 9, 1. 1 SS. 247. Ibid. 13,1. 1 SS. 237. Ibid. 3, l. 1 SS. 240. Ibid. 6, l. 1 SS. 244. Ibid. 10, 1. 1 88. 482 483 d'accuser la raison à cause des différences qui existent entre les té qui le constitue254 • Il faut accepter l'ordre de la création : il est êtres du monde sensible248 . La matière est-elle cause de cet état absurde de demander davantage que ce qui est donné. Il faut de lutte où il se trouve ou est-elle ainsi faite par la faute de la rai- donc accepter l'inégalité des êtres dans leurs différents degrés, son ? La mort est nécessaire pour que d'autres puissent vivre. même si, à mesure que l'animal descend dans la matière, il est plus Elle n'a rien de terrible, la pauvreté non plus. La vie est compa- déficient : cependant il est une merveille. La création ne mérite rable à une pièce de théâtre et l'homme qui ne sait vivre que de pas d'être accusée : on doit plutôt admirer ce qui est donné que la vie d'en bas y est un acteur ou mieux unjouef49. Où est alors ce qui manque255 . Le mauvais n'est pas seulement ce qu'il a été la méchanceté et le péché? Toute vie est acte, un mouvement fait, mais il y a en lui un autre principe libre qui n'est pas hors de qui ne vient pas du hasard, un acte artistique comme celui du la providence et de la raison universelle. Il y a d'une part la raison danseur. C'est en faisant déficientes les parties de l'univers que créatrice, d'autre part celle qui joint les réalités supérieures à ce cette raison engendre la guerre : car l'unité établie par la raison qui est créé, et elles constituent d'une part la providence d'en passe par la constitution de contraires250 . Il Ya une harmonie des haut, de l'autre celle qui vient d'en haut, l'autre raison liée à la contraires. Les méchants ne sont pas tels par eux-mêmes, mais première et des deux viennent toute combinaison et toute la pro- ils sont des acteurs et l'auteur du drame donne à chacun le rôle vidence. Les hommes ont donc un autre principe, la liberté, mais que l'auteur a choisi. L'Ame du Monde harmonise les différents tous n'usent pas de ce qu'ils possèdent. Le fait d'avoir tel caractè- sorts qui lui viennent selon la raison et, les ayant harmonisés, elle re dépend de la vie antérieurement vécue dans les existences pré- les adapte au drame et à la raison universelle pour former une cédentes256 . La providence vient d'en haut: elle n'est pas égale seule harmonie finale. Le mal est à situer en fonction de la beau- pour tous, mais analogique, comme dans un animal il y a des par- té même de l'univers : c'est ce qui est contre nature conçu dans ties variées qui cependant forment une unité. Tout ce qui vient le cadre de la nature : il est nécessaire comme le bourreau dans d'en haut est providence et la raison ne crée pas des êtres égaux. la ville251 . La coexistence du bien et du mal est nécessaire: le mal Les actions conformes à la providence sont aimées des dieux. Le peut avoir des conséquences bonnes. Nous priverions la raison but est que tout devienne conforme à la vertu, et s'il se produit des bonnes actions en lui enlevant les mauvaises car ces der- quelque chose de contraire à elle la raison s'efforce de le guérir. nières sont nécessaires à l'existence des premières252 . Les maux sont des conséquences qui viennent de nous, non ren- Au traité 48 (III, 3) se trouve la suite de ces développements. dues nécessaires par la providence, mais venant de la volonté de La raison universelle contient le bien et le- mal qui en sont des ceux qui agissent ou sous l'influence de la passion qui n'agit pas parties, mais le tout forme une unité, une unité dans une classifi- pareillement en chacun257 . L'existence du meilleur suppose celle cation ascendante, non animal et animal, l'être c'est-à-dire du pire : supprimer ce dernier serait refuser la providence. Le l'Intelligence, ce qui fournit l'être, c'est-à-dire l'Un; puis descen- principe c'est tout en un et tout découle du principe qui est dante, en voyant l'être se fragmenter, tout en contenant l'en- comme une racine d'où sort toute la plante • 258 semble dans un ordre L'ordre de l'univers est comparé à la réflexion d'un stratège qui organise tout le personnel et le 254. Ibid. 2, 1. 1 ss. matériel en vue du combat: c'est un ordre malgré la multiplici- 255. Ibid. 3, 1. 1 ss. 256. Ibid. 4, 1. 1 ss. 248. Ibid. 14, 1. 1 ss. 251. Ibid. 17, 1. 1 ss. 257. Ibid. 5,1. 1 ss. 258. Ibid. 7, 1. 1 ss. Zeus, l'Ame du Monde, principe de la providence: IV, 4 249. Ibid. 15, 1. 1 ss. 252. Ibid. 18,1. 1 ss. (28), 9, 1. 1. De même rIntelligence dont tout vient VI, 7 (38), 39, 1. 26. L'Un est 250. Ibid. 16,1. 1 ss. 253. III, 3 (48), 1. 1 ss. au-delà de la providence qui est dans l'Intelligence: VI, 8 (39), 17,1. 7-10. 484 i 485 ORIGÈNE divine. Les maux physiques sont comparés aux châtiments édu- La providence pour Origène incombe, comme toute catifs que parents ou maîtres infligent aux enfants. Dieu "crée les l'action de la Trinité, aux trois personnes. Mais elle est plus habi- maux physiques et extérieurs pour purifier et pour élever ceux tuellement rapportée au Père qui l'exerce à travers les deux qui ont refusé l'éducation par une doctrine et un enseignement 259 autres et aussi par l'intermédiaire des anges. TI faudrait donc sains"26S. Car quand Dieu châtie il le fait par bonté, pour le béné- étudier aussi tout ce que dit Origène sur l'ange gardien et pareille- fice de ceux qu'il punit264 . La "colère" de Dieu, dont l'Ecriture ment ce que dit son élève, Grégoire le Thaumaturge, dans son parle souvent, est en fait une manifestation de son amour, car le Remerciement à Origène 260. châtiment a pour but d'être utile au pécheur265. Dieu n'a pas créé Dans les chapitres du Traité des Principes concernant l'exé- le mal, mais il ne l'empêche pas, laissant l'homme à son libre gèse scripturaire il est écrit qu'il n'y a rien d'étonnant si "le arbitre. Et le mal aguerrit les meilleurs: "sans opposition la vertu caractère surhumain des pensées (de l'Ecriture) n'apparaît ne brillerait pas, il lui manquerait la gloire et l'épreuve". L'histoi- guère dans le sens littéral de chaque passag-e pour ceux qui ne re de joseph en est l'illustration, et même celle de judas. S'il n'y sont pas instruits". TI en est en effet de leur inspiration comme avait pas d'adversaires il n'y aurait pas de combat ni de vain- des "oeuvres de la providence", dont certaines apparaissent clai- Tout ce qui arrive au monde et que l'on estime morale- rement, mais d'autres restent cachées dans le but de "rendre ment mauvais ne vient pas de Dieu, mais ne se produit pas sans possible l'incroyance envers le Dieu qui gouverne toutes choses Dieu qui n'empêche pas les puissances malignes, mais même le avec un art et une puissance indicible". Dieu agit donc ainsi permet: ainsi l'histoire de job. Cela rend possibles les combats pour sauvegarder la liberté de l'acte de foi. On perçoit davanta- spirituels qui sont permis par Dieu267 : non seulement Dieu per- ge l'action de la providence quand il s'agit des astres que des met l'action des puissances mauvaises pour nous éprouver, mais réalités terrestres et de même, quand il s'agit des corps et des il les "engage presque" (incitare propemodum) pour nous donner âmes des animaux que des événements humains, car dans ce l'occasion de les vaincre268. dernier cas la providence doit s'insérer, nous verrons comment, A propos de cette dernière expression "il les engage dans le jeu du libre arbitre des hommes. Mais même alors "la presque", nous lisons dans le Traité de la Prière le commentaire providence n'est pas victime d'une banqueroute" pour ceux qui de l'avant-dernière demande du Pater Noster, dont la traduction 261 authentique est: "Ne nous induis pas en tentation"269. Elle consti- acceptent son action . En effet rien ne se fait dans la création sans la providence de Dieu, ce qui ne veut pas dire sans la volon- tue le développement le plus important d'Origène sur ce sujet. TI té de Dieu, car "si beaucoup de choses se font sans sa volonté" _ montre d'abord que toute la vie de l'homme est tentation, à la il s'agit évidemment du péché -, "rien ne se fait sans sa provi- fois par l'Ecriture et par l'expérience. TI faut prier pour dominer dence. La providence est ce par quoi Dieu organise, administre les tentations, non pour ne pas être tenté, car ce serait impos- et dispose toutes choses; la volonté est ce par quoi il veut ou ne sible270 . Origène explique ensuite comment ces tentations sont veut pas quelque chose"262. En effet, non seulement le mal phy- permises par Dieu et s'oppose aux Marcionites qui attribuent sique, mais encore le mal moral, le péché, peut servir à l'action leur origine à un autre Dieu, le Créateur, qui est mauvais. Puis 259. Le Fils: PArch l, 2, 9,275. L'Esprit Saint: Ibid. IV, 2, 7, 218. 263. CCels VI, 56, 1, citation 1. 21. 267. PArch 111,2,6-7. 260. Par exemple RemOrig IV, 40-47; V, 71-72; XIX, 206. 264. PArch II, 5, 3, 127. 268. HomJos XV, 5. 261: PArch IV, 1, 7, 181. 265. HomEz 1, 2, 1 ; cf. CCels IV, 71. 269. PEuch XXIX. 262. HomGn III, 2, 4. 266. HomNb XIV, 2. 270. Ibid. XXIX, 2-10. 486 487 il expose une fois de plus sa doctrine du libre arbitre et montre, ce. TI n'y a pas eu de moment où Dieu n'ait pas été créateur, bien- comme il le fait souvent, que Dieu, en sage médecin, abandonne faisant et provident281 . parfois l'homme à ses instincts pour l'en dégoûter plus sûre- 71 la Providence s'occupe principalement des créatures raison- mene . TI développe enfin l'utilité de la tentation, "afm de nous découvrir ce que nous sommes ou de nous faire connaître les nables, de l'homme. Cette idée intervient surtout dans la controver- sentiments cachés dans notre coeur". TI exhorte à s'y préparer et se avec Celse qui prétend qu'elle ne s'intéresse pas plus à l'homme à résister: "Ce qui nous manquera à cause de l'humaine faibles- qu'aux fourmis et aux grenouilles282 . Malgré son immutabilité se, lorsque nous aurons fait tout ce qui est en notre pouvoir, Dieu condescend à s'occuper des affaires humaines par sa provi- Dieu l'achèvera, lui qui coopère en tout avec tous ceux qui dence et son "économie"283 : ce dernier mot est employé fré- l'aiment, pour le bien, avec ceux dont il connaît d'avance selon quemment par les Pères pour désigner l'action de la divinité au- son infaillible prescience, ce qu'ils seront"272. De toute façon, si dehors par la création et la providence - c'est ici le cas - et Dieu n'est pas responsable du péché, s'il ne "gouverne" pas le surtout par l'Incarnation du Fils. L'homme a été fait démuni par péché, il "gouverne" ses conséquences, prises en compte dans le rapport aux animaux pour qu'il ait à exercer son intelligence284 . gouvernement de sa providence273 . TI agit ainsi en "coopérateur de la providence" et accomplit non seulement les oeuvres de la providence de Dieu mais celles de sa La providence de Dieu s'étend sur tout l'univers 27\ l'uni- prévoyance propre285 . C'est la providence qui a fixé les moments vers sensible dont la diversité a suivi la faute primordiale par de l'histoire d'Israël et de l'histoire chrétienne, qui a choisi les suite des différents propos des créatures raisonnables et la provi- prophètes286, a donné la Loi et les Evangiles en mettant fin au dence ramène cette diversité à un accord275. Elle maintient l'équi- culte juif87 et en abandonnant les sages païens qui ne se condui- libre entre les éléments du monde, empêchant que l'un ne pré- saient pas de manière digne des hautes intuitions qu'ils ont 276 domine , car elle s'étend sur tout l'univers, qu'il s'agisse des eues288 . L'universalité du christianisme est oeuvre de la provi- "réalités célestes et supracélestes, terrestres et infernales" qui for- dence289 . Les fléaux de l'Egypte décrits par l'Exode venaient ment "un seul monde parfait"277. Elle fait pousser les plantes278 et aussi de la providence en punition des mauvais traitements la variété qui existe parmi les animaux montre sa générosité 279. subis par les Hébreux290• Mais Dieu ne prend pas soin, comme le Les oeuvres de la providence et l'art manifesté dans tout l'uni- croit Celse, uniquement de l'ensemble des hommes, ou du vers sont comme des rayons de la nature de. Dieu en comparai- monde, mais de chaque être raisonnable en et le son de sa substance et de sa nature280. Dieu dispense ses bienfaits de façon ordonnée et suivant les mérites en vertu de sa providen- 281. PArch l, 4, 3, 61. Cette création coétemelle à Dieu est, comme le dit clai- rement le passage d'où cela est tiré, l, 4, 3-5, le monde intelligible des idées et raisons contenu dans le Fils. 271. Ibid. XXIX, 11-16. 282. CCels IV, 81, 2 ; IV, 74, 21 ; IV, 77, 26. 272. Ibid. XXIX, 17-19: traduction G. Bardy. 283. CCels IV, 14, 18. 273. CCeIs VII, 68, 18. 284. CCels IV, 76, 24. 274. PArch 1,2, 9 ; II, 1,3,58. 285. CCels IV, 82, Il. 275. PArch II, 1,2,31 ; II, 9, l, 19. 286. CCeis VII, 7,4. 276. CCels IV, 63, 7. 287. CCels VII, 26, 22. 277. PArch II, 3, 6, 261. 288. CCels VII, 47, 13. 278. CCels IV, 75, 17. 289. CCels IV, 32, 3. 279. CCels IV, 98, 30. 290. CCels III, 5, 13. 280. PArch l, 1,6, 142. 291. CCels IV, 99, 20. 488 489 récit que Grégoire le Thawnaturge fait de sa vie dans le discours conditions humaines montrait la méchanceté du Dieu créateur, qu'il adresse à son maître en est une illustration. En effet la provi- ou celle des Valentiniens avec leur doctrine des natures, certains dence s'occupe de tous les détails: sa ratio, sa manière d'être, est étant dès le début destinés au salut et d'autres à la damnation. minutissi1lU1, et suhtilissi1lU1, : elle prend soin de touf92. Dieu pomvoit Ces doctrines ont joué un rôle important dans l'adoption par à tout U5qt11! ad minimum, jusqu'à la plus petite chose29S. Elle connaît Origène, comme hypothèse favorite, de la préexistence des âmes jusqu'au nombre des cheveux de notre tête294. TI faudrait déve- et d'une faute originelle commise dans cette préexistence. C'est lopper à ce sujet les allégories de Dieu ou du Christ médecin qui cette faute, d'intensité variable suivant les créatures raisonnables, interviennent continuellement et même celle de Dieu agricul- qui non seulement va les distinguer en anges, hommes et Et c'est pourquoi la providence dirige chacun selon la démons, mais encore sera responsable de la diversité des condi- variété de ses mouvements, de son intelligence et de son pro- tions humaines à la naissance, diversité qui provient donc d'un pOS296. A cette dernière affirmation se rattachent plusieurs libre choix de leurs volontés, antérieur à la naissance, et d'un juge- grands thèmes origéniens rapportés au Christ: il apparaît à cha- ment divin, analogue aujugement dernier, qui a constaté la pro- cun selon la forme que ce dernier est capable de supporter; il se fondeur de la faute et précédé leur venue en ce monde. Ainsi fait toute sorte de nourriture spirituelle selon ce que chacun Dieu est déchargé de cette responsabilité qui retombe sur cha- peut absorber'7. Dans le don qu'il fait de lui-même aux hommes cun299 • Mais Origène dans sa vieillesse n'a pas repris, face à Celse, il s'adapte aux capacités de chacun. cette explication, bien qu'il n'ait pas complètement abandonné à cette époque l'hypothèse de la préexistence. Dans le Contre Celse 298 Origène se heurte au problème que pose en relation avec la Providence l'inégalité des conditions Sur ce que l'on pourrait appeler la "psychologie" divine en humaines que les "Grecs" selon lui attribuent au hasard. ce qui concerne la providence, Origène ne s'étend guère. On Beaucoup reçoivent dès le début une éducation telle qu'ils ne peut tout juste citer une phrase du Contre Cels? : "la providence peuvent avoir la moindre idée des biens célestes, ou si misérable contient (ne:plÉxe:l) tout ce à quoi pourvoit et elle le com- qu'ils n'ont pas la possibilité de regarder vers le haut. "Il est prend non à la manière d'un corps qui contient certes probable que la Providence a ses raisons pour permettre son contenu quand il est aussi un corps, mais comme une puis- ces inégalités et il n'est pas facile de les présenter aux hommes". sance divine qui comprend ce qu'elle contient". Origène veut Dans ce livre écrit à la fin de sa vie Origène ne s'engage pas vers par là refuser une représentation trop corporelle de la providen- une solution de ce problème : il en était autrement bien des ce divine et il a fait de même dans le Traité des quand années avant quand il composait le Traité des Principes où il il a expliqué comment la puissance de Dieu contient et main- devait affronter la thèse des Marcionites pour qui l'inégalité des tient tout le corps de l'univers : elle est dans le monde comme l'âme dans le corps. Mais il Ii'a guère de difficulté à parler fré- 292. HomLv IX, 8, 33. quemment de la prescience divine, surtout dans le dessein de la 293. PArch II, 9, 8, 291 : cf. II, Il,5, 1-76. concilier avec le libre arbitre de l'homme. TI faut, certes, conce- 294. Mt 10, 29-30 : CCels VIII, 20, 24. voir cette prescience selon la doctrine indiquée par Origène 295. Par exemple PArch III, 1, 12-14 et 17. Voir Gervais DUMEIGE, "Le Christ pour la compréhension des anthropomorphismes bibliques: Médecin dans la littérature chrétienne des premiers siècles". Rivista di Archeologia Cristiana, 1972, 115-141 : pour Origène, le Christ Médecin et Dieu l'homme ne peut s'exprimer au sujet de Dieu que de manière Médecin, pp. 129-138. 296. PArch II, 9, 6, 205. 299. PArch II, 9, 5-8, 132 ss. 297. H. CROUZEL, Origène et la "connaissance mystique", p. 166-184, 470-474. 300. CCels VI, 77, 9. 298. CCels III, 38, 10. 301. PArch II, 1,3,58. 490 491 anthropomorphique ; il ne doit pas prendre ce langage à la idées du traité pseudo-aristotélicien De Mundo511 • TI fait en outre lettre, mais essayer de percevoir, même s'il ne peut réellement une affirmation qui rebondit sur Platon et les platoniciens: il y a l'exprimer, la réalité divine qui y est contenue. La conciliation incompatibilité entre la foi en la providence et l'acceptation entre la prescience divine et le libre arbitre de l'homme est plu- d'une matière incréée512• sieurs fois traitée, notamment dans le fragment du Commentaire sur la Genèse III cité par la Philocalie502 et dans le passage du Contre que ce même recueil reproduit avec le fragmen(104. La solution d'Origène est la suivante: ce n'est pas la prescience de Dieu qui est cause de l'événement qu'il prévoit, mais c'est l'événement lui-même qui est cause de la prescience de Dieu505 • Le jugement de la providence est souverainement juste, car il atteint chacun suivant les mouvements de son libre arbitre506 • Mais si la technique humaine, par exemple celle du pilote d'un navire, a son rôle dans le salut du bateau, la part de la providence divine agissant sur les éléments est de beaucoup la plus grande : il en est de même dans l'œuvre de notre perfec- tion507 • On ne peut donc pas reprocher à Origène, comme le fait Jérôme, d'être un pélagien d'avant Pélage: bien des textes sont à citer dans le même sens508 • C'est la providence qui suggère les bonnes pensées, qui arbitre les luttes de la vie humaine 509 • A l'exemple du Christ à l'agonie, nous devons nous abandonner à la volonté de la providence51o • Dans le Contre Celse se trouvent de nombreuses allusions aux philosophes qui nient la providence, surtout les Epicuriens. Aristote est aussi accusé d'impiété envers la providence parce qu'il arrêterait son action à la sphère de la lune, donc en ferait échapper notre terre : Origène lui attribue - et cette fausse attri- bution est constante dans la littérature chrétienne primitive -les 302. Philoc 23, 7-11. 303. CCels II, 20. 304. Philoc 23, 12-13. 305. Philoc 23,8, 15 et 12, 1 (CCels II, 20, 14). 306. PArch 1, 6, 2, 71. 307. PArch III, l, 19,611. . 311. Voir H. CROUZEL, Origène et la philosophie, p. 27-35. 308. PArch II, 2, 4, 276. 312. PArch II, 1,4, 122. Sur la conduite de la providence envers le Pharaon de 309. PArch II, 2, 3, 173. l'Exode PArch III, l, 14,376. 310. CCels VII, 55, 27. 493 492 CONCLUSION Il nous faut maintenant essayer de résumer, conformé- ment au but de cette étude, les points de ressemblance et les points de divergence entre Origène et Plotin. La Trinité origénienne se distingue de la Triade plotinien- ne par une différence fondamentale. Les trois hypostases de cette dernière constituent en effet trois degrés différents et dans sa montée l'âme doit dépasser le plus bas pour parvenir au plus élevé. Il n'en est pas ainsi chez Origène. Nous avons défini les rapports du Fils au Père avec une expression paradoxale, disant le Fils à la fois égal et subordonné au Père. La réflexion d'Ori- gène n'a pas atteint le même développement concernant le Saint Esprit mais sa relation plus immédiate au Fils est affirmée et il semble que cette même formule pourrait lui être appliquée. C'est sa propre nature divine tout entière que le Père commu- nique au Fils et cela est supposé par l'affirmation que le Fils ne sort pas du Père ni le Père du Fils, même dans l'Incarnation : il semble que l'on puisse parler de même pour l'Esprit Saint qu'Origène ne craint pas de dire substance et de rang divin. Cette communication de la nature divine tout entière explique que le caractère substantiel soit affirmé du Fils et de l'Esprit par opposition au caractère accidentel des créatures, et cela bien qu'ils dérivent du Père : ils ont reçu et ils possèdent authenti- quement la plénitude de la divinité sans possibilité de croissance ou de diminution; ayant la nature même du Père ils ont la nature divine originelle elle-même, non une nature dérivée. 495 Bien qu'il y ait dans le Traité des Principes un essai selon Plotin exige le dépassement de l'Intelligence: pour d"'appropriations" attribuant plus particulièrement à telle per- Origène c'est en son Fils que le Père est atteint, on rejoint le Père sonne tel genre d'action, il est affirmé en même temps que l'acti- dans le Fils. vité de la Trinité est commune à tous. Le Père participe à toute La connaissance mystique revêt cependant des caractères l'oeuvre de son Fils et de son Esprit. Comme le dit l'Evangile de communs. L'intelligence humaine devient un avec Dieu, tout en Jean 1 qu'Origène cite et commente2, le Fils fait tout ce que fait restant deux. Le couple deux et un est fréquent chez nos deux son Père. Au contraire chez Plotin il n'est guère question d'une auteurs. Cela s'exprime surtout chez Origène par son idéal de la activité de l'Un: l'Intelligence et l'Ame du Monde ont chacune connaissance, qui est non seulement vision ou contact sans inter- une action hiérarchisée, la troisième dépendant de la seconde et médiaire de signe, non seulement encore participation, mais prolongeant dans le monde sensible ce que la seconde a fait union, "mélange", terme qu'on trouve aussi chez Plotin. La pré- dans le monde intelligible. sence divine n'annihile pas l'intelligence humaine : l'union mys- L'Un plotinien et le Père origénien ont certainement beau- tique n'est pas une inconnaissance, mais une superconnaissance. coup de traits communs : simples, incorporels, non situés dans On parle parfois d'inconnaissance à cause du caractère dérou- le lieu ni dans le temps, objets du désir et de l'amour des êtres, tant de cette sorte de connaissance par delà tous les moyens habi- d'eux découle toute la création. Mais que cette dernière soit tuels. Ce que nous venons de dire est exprimé surtout chez l'objet d'un acte volontaire de son auteur est moins clair chez Origène par sa polémique contre les Montanistes, par le refus Plotin que chez Origène. De même si la création à partir de rien d'une sorte de "possession" divine par l'Esprit Saint du prophète est affirmée par Origène on ne peut dire que la matière, ce non- qui ne serait plus qu'un instrument inconscient. Chez Plotin être, soit nettement créée par l'Un: l'origine de la matière n'est l'extatique se souvient qu'il a été en extase, bien qu'il ne puisse guère précisée par Plotin. En revanche la notion d'éternité et décrire cet état qui est ineffable : cela montre que le "mélange" celle d'infinité sont plus nettes chez le païen que chez le chré- n'est pas tel que la conscience soit absolument supprimée. tien. Mais une différence essentielle entre les deux est que Concernant le Père ou l'Un un autre point mérite d'être contrairement à l'Un plotinien qui ne sort pas de lui-même le souligné. Plotin dédaigne plus ou moins toute connaissance de Père origénien est ouvert sur la créature, au prix peut-être Dieu autre que l'union mystique. Certes les êtres qui dérivent de d'anthropomorphismes que nous ne pouvons éviter, car leur refus risque bien souvent de priver la divinité de points essen- l'Un en portent la "trace" (ixvoç), mais ce terme même suppose tiels qui ne peuvent s'exprimer autrement. Le Dieu d'Origène une dévaluation beaucoup plus forte que celui d'"image" (Ei.:::WV) n'est pas seulement objet d'amour, mais il aime: il est même utilisé le plus souvent par Origène qui donne leur valeur à des l'origine de tout amour. Il n'est pas seulement le Bien, il est sou- modes de connaissance, inférieurs certes, mais réels. Nous verainement bon. C'est pourquoi il est dit à la fois impassible et avons plusieurs fois remarqué que la relation d'image à modèle, passible: s'il éprouve la passion de l'amour ce n'est pas de façon commune à tous les héritiers de l'exemplarisme platonicien, est humaine. Il connaît: nous avons vu au contraire toutes les diffi- plutôt envisagée par Plotin dans un sens péjoratif, attentif à ce cultés que présente Plotin sur ce point, venant en partie du désir qui manque plus qu'à ce qui est donné, et par Origène plutôt d'éviter tout anthropomorphisme. La connaissance mystique dans un sens optimiste, sensible à la part du modèle qui par- vient ainsi à l'image, tout en voyant cependant le péché dans le 1.Jn5,19. fait de rendre à l'image les honneurs et l'adoration dus seule- 2. PArch, J, 2, 6, 161. ment au modèle. 496 497 Sur les rapports entre le Fils origénien et l'Intelligence plo- ne trouve chez Origène aucune spéculation de nature esthé- tinienne la différence majeure est, bien évidemment, l'Incarna- tique. Les quelques correspondances origéniennes avec l'Ame du tion du premier. Nous avons dit dans l'introduction du livre que Monde plotinienne rendent manifeste, par leur peu d'étendue en le silence complet de Plotin sur ce point, comme sur tout le chris- comparaison des spéculations de Plotin, qu'Origène n'attache pas tianisme de la Grande Eglise - et il n'est pas évident que les autant d'intérêt au fonctionnement de l'univers. gnostiques qu'il combat soient des chrétiens -, à une époque où A propos de la descente des âmes dans les corps Plotin le fait chrétien ne pouvait être ignoré, surtout à Alexandrie, à prend des positions diverses: conséquence d'une faute, malheur, Antioche et à Rome, semble montrer que Plotin considère l'affir- nécessité de nature, et même parfois il lui donne une certaine mation du Dieu devenu homme comme une absurdité qui ne valeur positive. En ce qui concerne Origène l'expression en ques- mérite même pas d'être contredite. Nous avons vu aussi que tion n'est pas adéquate, car les créatures raisonnables ont tou- selon H. A. Wolfson la génération éternelle de l'un et de l'autre jours eu un corps, éthéré ou terrestre: il est le signe de leur con- par conversion et contemplation se trouve pour la première fois dition de créature. Au lieu de descente dans les corps il faudrait dans la tradition grecque et dans la tradition chrétienne chez nos parler de revêtement d'une qualité terrestre par le corps aupara- deux auteurs et que cela rend vraisemblable une source commu- vant éthéré des créatures raisonnables qui deviennent des ne : ce serait selon Wolfson l'enseignement d'Ammonios Saccas hommes, dans la perspective de la préexistence, hypothèse favo- d'après le récit de Porphyre. TI y a là en effet une ressemblance rite d'Origène. TI est la conséquence d'une faute originelle. frappante. Une autre vient du fait que l'Intelligence plotinienne La définition de l'homme comme une âme usant d'un et le Fils origénien sont le lieu d'où émanent les idées, formes ou corps est commune aux deux. Mais Origène ne partage pas le raisons qui vont constituer les êtres. Le monde intelligible qui les panpsychisme de Plotin qui met des âmes même dans les végé- contient est d'après Origène créé par le Père dans la génération taux, les minéraux et les astres, des âmes qui, en vertu de sa éternelle du Fils. Pour Plotin de même l'Un est leur origine et croyance, qui n'est cependant pas tout à fait assurée, en la elles se trouvent dans l'Intelligence qui est ainsi l'intelligible, métensomatose (métempsycose) sont de même nature que objet de pensée en même temps que sujet. C'est Philon qui l'âme humaine: il admet en effet que les âmes des hommes aurait le premier selon Roberto Radiee logé les idées dans une puissent passer après la mort par punition dans des corps d'ani- intelligence et il fut suivi en cela par plusieurs philosophes du maux. Si Origène tient à la préexistence des âmes il refuse en Moyen Platonisme. revanche la métensomatose dans un nombre considérable de Plotin n'attribue pas à l'Un le concept d'être de peur d'intro- textes dont beaucoup sont conservés en grec, et cela nous oblige duire en lui une dualité : l'Etre premier est donc l'Intelligence. à refuser les allégations deJérôme et de l'empereur Justinien lui Quoiqu'il dise parfois que Dieu est de l'être Origène ne prêtant cette doctrine. TI met cependant des âmes dans les astres pouvait refuser de voir Dieu comme "Celui qui est" à cause de la qu'il voit, avec cependant quelques hésitations, comme des êtres révélation du Buisson ardent. Mais il donne le plus souvent au vivants et raisonnables, supérieurs aux hommes comme les concept d'être un sens plus "surnaturel" que purement naturel au anges et comme ces derniers encore de même origine que les point de considérer que les démons, ayant refusé l'être donné par âmes des hommes : en effet selon lui les êtres raisonnables ont Dieu, sont des "non-étants", bien qu'il croie à leur existence d'une été créés ensemble dans la préexistence, à l'image de Dieu, dans autre manière. TI est à remarquer que si pour Plotin la seconde une égalité complète, et c'est la faute originelle qui les a diffé- hypostase est aussi le Beau, distingué du Bien qui est l'Un, on renciés selon la profondeur de la chute: quelques-uns, semble- 498 499 t-il, Yauraient cependant échappé, mais certains d'entre eux sont tion pleinement chrétienne, car Dieu et l'homme sont claire- venus à la vie matérielle pour le service de l'humanité pécheresse ment pour lui des "personnes" au sens habituel du terme. TI ne ; Origène se demande si ce ne serait pas le cas des astres. Si possède pas, certes, un terme particulier pour désigner ce Origène parle parfois des âmes des animaux, elles sont d'une concept : TlpOOWTlOV, déjà employé par Hippolyte à la suite du autre nature, car ce sont des créatures secondaires mises par persona de Tertullien, n'a jamais ce sens chez lui. mais il conçoit Dieu à la disposition de l'homme et créées, comme le monde la grâce dans sa discussion avec Celse comme le don d'amour 4 sensible après la chute primitive pour mettre l'homme dontle d'une personne divine: Dieu n'est connu que s'il se révèle et corps est devenu terrestre dans un milieu adapté à lui. c'est aussi le cas des anges5 • Plotin n'a de cela qu'une idée appro- Origène ne distingue guère explicitement entre la raison chée : cependant l'initiative de l'extase mystique n'appartient pas à la volonté de l'homme. Mais on ne peut trouver pleine- conceptuelle et discursive et l'intuition : on trouve cependant quelquefois chez lui cette dernière notion désignée par la ment chez lui le sens de la personne qui est inhérent à la tradi- mot qu'on trouve pareillement chez Plotin avec le tion judéo-chrétienne : il lui aurait semblé trop anthropomor- terme équivalent Ce dernier a une conscience plus clai- phique. TI est difficile de considérer comme des personnes les re de la distinction de ces deux formes d'intelligence. Pour l'un hypostases de la Triade plotinienne. Par ailleurs si la prière comme pour l'autre il ya en l'homme quelque chose de divin. La intervient fréquemment chez Origène, constamment dans les partie supérieure de l'âme suivant Plotin reste dans l'intelligible, homélies, parfois dans les commentaires et même jusque dans dans le voisinage de l'Ame du Monde, alors que la partie infé- le Traité des Principes, elle n'est guère abondante dans l'oeuvre rieure fait couple avec le corps. Selon Origène d'une part la par- de Plotin et on peut se demander à quoi elle correspond. tie supérieure, intelligence, faculté hégémonique ou coeur, a été A propos de la connaissance de soi Plotin s'interroge sur sa faite à l'image de Dieu et c'est pourquoi elle peut recevoir la possibilité, Origène détaille en moraliste son programme. C'est connaissance du divin; d'autre part "l'esprit (TlVBülla) qui est en un bon exemple de la différence de propos entre le philosophe l'homme", participation à l'Esprit divin, entraîneur et mentor de et le théologien au sens moderne du terme. Origène utilise la l'âme, ou plutôt de l'intelligence, sans faire partie à proprement philosophie sans l'étudier pour elle-même, mais dans la mesure parler de l'homme, le dirige, dans la mesure cependant où ce où elle est utile pour l'exégèse de l'Ecriture, l'instruction des dernier, doué du libre arbitre qui lui permet d'acquiescer ou de fidèles, l'établissement et la défense de la doctrine. L'idée de la se refuser à l'action divine, se laisse diriger. Deux questions sont philosophie comme ancilla theologiae, servante de la théologie, a introduites par là. D'abord celle du libre arbitre, très importante sa source dans Philon : l'Agar du De congressu eruditionis gratia dans la synthèse origénienne : la notion qu'en a Plotin n'en est représente les sciences humaines qui servent d'introductrices et guère différente, car il souligne à plusieurs reprises la résistance d'auxiliaires à la Sagesse divine que figure Sara. Cela est ensuite que l'homme sage et fort peut opposer aux forces qui agissent repris par Clément dans le Stromate l, puis par Origène à diverses sur lui, qu'il s'agisse de magie ou d'action des astres. Ensuite la reprises, par exemple dans sa Lettre à Grégoire le Thaumaturge. notion de grâce, c'est-à-dire de Dieu agissant dans l'homme: sous Origène donc, comme le feront après lui tous les grands théolo- des mots ou des images diverses - Xaptç et gratia se rencontrent giens, utilise la philosophie dans les buts signalés plus haut: il a, plutôt rarement dans son oeuvre -, Origène en a une concep- certes, une grande érudition en philosophie, mais il ne la cul- 4. CCels VII, 42, 28. 3. Voir Benjamin DREWERY, Origen and the Doctrine 01 Gmce, London, 1960. 5. HomLc ID, 1-2 et fragments grecs correspondants dans GCS IX, 2 édition, p. 19-20. 500 501 tive pas pour elle-même. Ainsi agiront de même dans la suite des Chez l'un et chez l'autre on trouve la conception de la siècles un Augustin et un Thomas d'Aquin. matière courante dans la philosophie grecque : par elle-même Les raisons données par Origène et par Plotin à l'immor- informe, elle est informée par les idées, formes, raisons, qualités, talité des âmes sont diverses. Mais il y a plus que l'immortalité provenant pour l'un de l'intelligible qui est dans l'Intelligence, chez Plotin: les âmes sont éternelles comme d'ailleurs le pour l'autre du monde intelligible qui se confond avec le Verbe. monde, d'une éternité qui est un temps sans commencement ni Mais d'après Origène la matière a été créée par Dieu, comme fin. Elles peuvent traverser diverses existences, humaines, ani- toutes choses, à partir du néant: c'est beaucoup moins clair chez males ou même végétales, ou bien rester dans l'intelligible sans Plotin qui déprécie fortement la matière jusqu'à en faire le mal s'incarner) au moins pour un temps, près de l'Ame du Monde. absolu : Origène ne peut penser ainsi puisqu'elle est l'oeuvre de Au contraire pour Origène, si les êtres raisonnables n'auront Dieu. TI y a donc nette opposition sur la question du mal. Si pour pas de fin, ils ont eu un commencement dans la préexistence. Plotin le mal est la matière et l'assujettissement à elle, pour Ce ne sont pas eux, mais les idées et raisons, qui constituent, Origène qui ne considère guère le mal physique, le seul vrai mal malgré l'interprétation fautive de Méthode d'Olympe, la créa- est le péché : les êtres sensibles peuvent être occasion de péché, tion coéternelle à Dieu créée dans la génération du Fils: le mais cela ne tient pas particulièrement à la matière qui est en Traité des PrinciPelle dit clairement et le parallèle avec le monde eux, mais davantage aux idées qui les informent, images de mys- intelligible de Plotin contenu dans l'Intelligence le confirme. tères divins, car l'âme est tentée de s'arrêter à eux au lieu de Mais le monde qui a eu un commencement aura une fin. réserver ses adorations aux mystères divins qu'ils représentent. Souvent se manifeste chez Plotin l'autosuffisance La doctrine sur laquelle Origène et Plotin sont le plus comme un idéal: Origène ne connaît guère cela et il souligne seu- proches est celle des astres signes du destin des hommes, compa- lement une fois que Dieu est aÙTapKTJç sans préjudice d'ailleurs rés par les deux à des lettres écrites en plein ciel, et le refus de pour son ouverture au monde. Peu de différences concernent la reconnaître contre les astrologues qu'ils puissent être les agents notion de vertu - nous ne parlons pas ici des vertus prises indivi- de ce même destin et se substituer au libre arbitre. C'est là qu'on duellement - : les paradigmes des vertus sont pour Plotin dans pourrait le plus reconnaître l'enseignement d'un maître com- l'Intelligence et chez Origène elles constituent des dénominations mun, s'il est vrai qu'on ne trouve rien de semblable avant eux (Ènlvolal) du Verbe. Origène n'envisage guère le bonheur que spi- dans la philosophie grecque. Mais il y a cependant entre eux rituel ou céleste: Plotin n'en est pas loin puisqu'il le met dans la vie deux différences. Plotin ne refuse pas absolument toute action parfaite, dans le détachement des réalités d'ici-bas et dans la des astres sur l'homme, peut-être simplement d'ordre météorolo- contemplation du Bien. gique. Surtout Plotin pense que des hommes exercés peuvent La magie est reconnue par les deux comme un fait, tenant lire ces signes et ne disqualifie donc pas complètement l'astrolo- pour Plotin à la sympathie qui unit les êtres: mais elle est inopé- gie. Origène essaie de montrer au contraire que l'établissement rante sur le comportement du sage qui lui échappe par sa force d'un horoscope dépasse les possibilités humaines. Ces signes et d'âme, même si elle agit sur son corps. Origène la condamne ces lettres sont destinés par Dieu à informer les puissances angé- comme démoniaque, mais accepte la vertu des exorcismes chré- liques sur les réalités humaines pour qu'ils puissent aider les tiens qui agissent par la puissance divine. hommes et à leur transmettre les commandements divins. L'astrologie est donc une science trompeuse et seules des révéla- 6. PArch I, 4, 3-5. tions démoniaques ont pu lui donner une apparence de vérité. 502 503 La Providence incombe pour Plotin à l'Intelligence et sur- quelles donnaient lieu les deux opinions courantes alors parmi tout à l'Ame du Monde, pour Origène solidairement aux trois les chrétiens, traducianisme et créationnisme, et lui fournissait personnes de la Trinité qui se servent pour cela du ministère aussi des arguments dans sa polémique contre Valentiniens et des anges. Il s'agit chez Origène, moins chez Plotin, d'une Marcionites. C'est pour ces raisons directement inspirées du Providence personnalisée et bonne: personnalisée parce qu'elle Christianisme qu'il l'a adoptée et un signe en est qu'on ne trou- est exercée par des personnes divines au profit de personnes ve pas chez lui d'allusion claire et indiscutable à la réminiscence humaines et non seulement au profit d'ensembles; bonne parce qui en est une conséquence logique. Malheureusement pour sa qu'elle a en vue le bien des hommes, même si elle tolère le mal mémoire cette hypothèse reposait sur un mythe. pour les éprouver - idée développée aussi par Plotin -, et lors- qu'elle châtie pour le bien des êtres humains de châtiments médicinaux. D'autres problèmes concernant la Providence comme la conciliation de la prescience divine et du libre arbitre sont aussi envisagés par Origène et des solutions proposées. La plupart des différences entre Origène et Plotin vien- nent, cela est clair, de la doctrine chrétienne. Les points sur les- quels ils concordent représentent les enseignements du platonis- me postérieur qu'Origène juge compatibles avec la foi et qui peuvent servir à l'éclairer et à la développer. Dans la conclusion du livre que nous avons publié en 1985 et consacré à une présen- tation d'ensemble d'Origène à l'intention du public cultivé, mais non particulièrement spécialiste7, nous avons éliminé un certain nombre d'accusations soulevées pendant les crises origénistes par suite de contresens de ses détracteurs et montré que, si on prend en considération l'ensemble des textes subsistants, ni son soi-<lisant "subordinatianisme", ni son "apocatastase", tels qu'il les présente et non tels que ses adversaires les ont présentés, ne sont vraiment en opposition avec le dogme chrétien. n ne reste donc que son hypothèse de la préexistence des âmes selon laquelle il pense constamment et dont l'origine platonicienne ne fait pas de doute. Il l'a crue compatible avec la foi chrétienne. En effet à son époque l'Eglise n'avait aucun enseignement :lair sur l'origine des âmes si ce n'est leur création par Dieu. de la préexistence permettait à Origène, nous 'avons dit plus haut, de dépasser les graves objections aux- . Henri CROUZEL, Origène, Collection Le Sycomore, Paris-Namur :..ethielleux-Culture et Vérité) 1985, p. 344-345. 04 505 Graeca (PG) de]. P. Migne. D'autres écrits sont cités d'après des édi- tions particulières dont nous allons rendre compte. Quand un chiffre est donné entre parenthèses il s'agit d'une ancienne numérotation des chapitres, qui est habituellement celle de la PG. 1. Pour les écrits non directement exégétiques : CCels: Contre Celse, Marcel BORRET, SC 132 (1967), 136 (1968), 147 (1969), 150 (1969), 227 (1976, introduction et index). Références au tome (chiffres romains), au chapitre et à la ligne. (GCS 1-11,1899, Paul KOETSCHAU; PG Il). INDICATIONS CONCERNANT , , PArch: Peri Archon ou Traité Principes, Henri CROUZEL et LES OEUVRES ET LES REFERENCES Manlio SIMONEITI. Deux volumes avec introduction, texte latin, et grec de la Philocalie: SC 252 (1978) et 268 (1980) ; deux volumes de commentaires et de fragments grecs et latins: SC 253 (1978) et 269 Les références concernant Plotin sont données à l'édition (1980) ; un volume de compléments et d'index: SC 312 (1984). suivante: Plotini Opera, ediderunt Paul HENRY et Hans-Rudolf Références indiquant le tome (chiffres romains), le chapitre, le para- SCHWYZER, Museum Lessianum, Series Philosophica, 33-35 : graphe et la ligne. (GCS V, 1913, P. KOETSCHAU; PG Il). Tomus l, PORPHYRII Vita Plotini, Enneades 1-111, 1951, Paris PEuch: Peri Euchès ou Traité de la Prière: édition P. KOET- (Desclée de Brouwer) - Bruxelles (L'Edition Universelle) ; Tomus SCHAU, GCS II, 1899. Traduction française Gustave BARDY, II, Enneades N-Y, Plotiniana Arabica, 1959, Ibid. ; Tomus III, Enneas Origène: De la Prière, Exhortation au Martyre, Paris (Lecoffre-Gabalda) VI, Paris-Bruxelles (Desclée de Brouwer) - Leiden (Brill). 1932. Références: chapitre (chiffres romains), subdivision du cha- Nous avons utilisé aussi l'édition avec traduction française de pitre, page et ligne dans la page selon G€S. (PG Il). Emile BREHIER, Collection des Universités de France, Paris (Les ExhMart: Exhortation au Martyre: édition P. KOETSCHAU Belles Lettres) en 12 volumes, 1924-1931, 1954. Nos traductions en GCS, l, 1899 ; traduction française G. BARDY comme précédem- sont inspirées, mais ne la suivent pas rigoureusement. ment. Références : chapitre (chiffres romains) page et ligne dans la Nous indiquons comme références l'Enniade (chiffres romains), page selon GCS. (PG Il). . le traité, entre parenthèses le traité selon l'ordre ,chronologique, le chœ EntrHer: Entretien avec Héraclide: édition Jean SCHERER. SC pitre et la ligne. 67. Références: deux chiffres arabes correspondant le premier à la page du papyrus, le second à la ligne. Les références concernant les oeuvres d'Origène sont moins simples, étant donné leurs genres, leurs éditions diverses et leur volu- PPasch : Peri Pascha ou Sur la P'âqiu! : édition Octave GUERAUD me. Nous citons d'après la colle<:tion Sources Chrétiennes (SC), Paris et Pierre NAUTIN, Christianisme Antique 2, Paris (Beauchesne) 1979. (Editions du Cerf) tout ce qui a été publié en ce jour, habituellement Références à la page et à la ligne du papyrus. en grec ou latin, avec traduction française, dont nous nous inspirons Resur : Traité de la Résurrection, fragments : PG Il, 91-96. sans la suivre généralement de près. Le reste est cité dans l'édition de Référence à la colonne de PG avec chiffre, lettre et chiffre. l'Académie de Prusse (CCS: Die Griechischen Christlichen Schriftstelkr). EpistGreg : Lettre à Grégoire le Thaumaturge ( pour l'identité Si l'oeuvre n'a paru ni dans SC ni dans GCS, nous la citons d'après du destinataire voir plus bas), SC 148, p. 186-195, H. CROUZEL. l'édition C. Delarue du XVIIIe siècle reproduite dans la Patrologia Références: les quatre parties de la lettre et la ligne. (PG Il, 87-92). 506 507 EpistAfr: Lettre àJuliw; Africanw;, SC 302, 1983, Nicholas DE HomLv : Homélies sur le Lévitique: SC 286-287, 1981, Marcel LANGE, p. 514-573. Références: chapitre et ligne. (PG Il,41-86). BORRET (GCS VI, 1920, W. A. BAEHRENS, ; PG 12). HomNb : Homélies sur les Nombres: texte latin GCS VII, 1920, 2. Pour les Commentaires exégétiques. W. A. BAEHRENS : Références à l'homélie (chiffres romains, au ComCant : Commentaire sur le Cantique des CantiquRs : GCS VIII, chapitre, à la page et à la ligne dans la page. Traduction française 1925, W. A BAEHRENS. Comme le texte du ComCant n'a pas de divi- dans SC 29,1951, André MEHAT. (PG 12). sion intérieure autre que le prologue et les quatre tomes, sont indiqués HomJos : Homélies surJosué: SC 71, 1960, AnnieJAUBERT: comme références le tome, la page et la ligne dans la page. (PG 13. Le références à l'homélie (chiffres romains), au chapitre et à la page ComCant vient de paraître dans SC avec des divisions intérieures : (GCS VII, 1921, W. A. BAEHRENS ; PG 12). deux tomes SC 375-376, 1991-1992; L Brésard, H. Crouzel, M. Borret. HomJud : Homélies sur lesJuges : CCS VII, 1921, W. A. BAEH- ComJn : Commentaire sur l'Evangile dt!Jean. Pour les tomes I-XX, RENS : homélie (chiffres romains), chapitre, page et ligne dans la SC 120 (1966), 157 (1970), 222 (1975), 290 (1982), Cécile BLANC. page.(PG 12). Pour les tomes XXVIII et XXXII GCS IV, 1903, Erwin PREUSCHEN. Hom 1 R (1 S): Homélies sur 1 Rois (grec) ou 1 Samuel (hébreu): Dans les deux cas tome (chiffres romains), chapitre et paragraphe. (PG 14; dans SC les deux derniers tomes vont paraître bientôt). SC 328, 1986, Pierre et Marie-Thérèse NAUTIN (CCS III, 1901, Erich KLOSTERMANN et VIII, 1925, W. A. BAEHRENS ; PC 12). ComMt : Commentaire sur l'Evangile dt! Matthieu. Pour les tomes X et XI, uniquement grecs, SC 162, 1970, Robert GIROD: tome HomPs 36, 37, 38 : Homélies sur les Psaumes 36, 37, 38 : PG 12 : (chiffres romains), chapitre et ligne. Pour les tomes XII-XVII, avec homélie, chapitre, colonne (chiffre, lettre, puis chiffre) (En prépara- texte grec et traduction latine, GCS X, Erich KLOSTERMAN·N - tion pour SC). Ernst BENZ, 1935 : tome (chiffres romains), chapitre, page et ligne HomCant: Homélies sur le Cantique des Cantiques: SC 37, 1953, dans la page. (PG 13). Olivier ROUSSEAU: homélie (chiffres romains), chapitre et page. SerMt : Séries sur Matthieu: c'est la partie du ComMt conservée (CCS VIII, 1925 W. A. BAEHRENS; PG 13). uniquement en traduction latine, la fin, après le tome XVII : GCS HomIs : Homélies sur Isaïe: CCS VIII, 1925, W. A. BAEHRENS : XI, Erich KLOSTERMANN - Ernst BENZ, 1933 : chapitre, page et homélie (chiffres romains), chapitre, page et ligne dans la page. ligne dans la page (PG 13, Commentariorum Series). HomJr et HomJrlat: Homélies surJérémie et Homélies latines sur ComRm : Commentaire sur l'Epître aux Romains: PG 14. Jérémie: SC 232 et 238, 1976-1977, Pierre HUSSON et Pierre NAU- Référence au tome (chiffres romains), à la colonne de PG (chiffre, TIN. (CCS 111,1901, E. KLOSTERMANN et CCS VIII, 1925, W. A. lettre, puis chiffre). Une nouvelle édition critique commence à paraître, BAEHRENS ; PG 13). par Caroline Hammond Bammel (1-111, Freiburg, Herder, 1990). HomEz : Homélies sur Ezéchiel : SC 352, 1989, Marcel BOR- 3. Pour les Homélies : les références des recueils d'homélies RET. (GCS VIII, 1925, W. A. Baehrens; PG 13). publiés par SC sont indiquées par : l'homélie (chiffres romains), le cha- HomLc : Homélies sur l'Evangile dt! Luc : SC 87, 1962, Henri pitre et la ligne dans le chapitre; sauf pour les HomJos, les HomNb, CROUZEL, François FOURNIER, Pierre PERICHON : homélie les HomCant, les HomLc. (chiffres romains), paragraphe et page. (GCS VIII, 1925, W. A. HomGn: Homélies sur la Genèse: SC 7 bis, 1976, Louis DOU- BAEHRENS ; PG, 13). TRELEAU. (GCS VI, 1920 W. A. BAEHRENS ; PG 12). HomEx : Homélies sur l'Exode: SC 321, 1985, Marcel BOR- RET (GCS VI, 1920 W. A. BAEHRENS; PG 12). 509 508 4. Pour les fragments exégétiques. D'abord deux recueils Origène, SC 148, 1969, Henri CROUZEL. Références: chapitre d'extraits : (chiffres romains) et paragraphe. Les contestations récentes sur l'iden- L'Apologie pour Origène de PAMPHILE de Césarée, tome 1 tra- tité de l'auteur nous paraissent insuffisamment fondées: "Faut-il voir duit en latin par Rutin : PG 17 : les passages cités se trouvent aussi à trois personnages en Grégoire le Thaumaturge ?", Gregorianum 60, leur place dans PG parmi les oeuvres d'Origène. 1979,287-320. De toute façon on n'a pas mis en doute que ce discours La Philocalie d'Origène, attribuée à BASILE de Césarée et à émane d'un élève d'Origène ni prétendu que ce soit un faux: son uti- GREGOIRE de Nazianze: SC 302,1983, Marguerite HARL, frag- lisation ne pose donc pas de problème. ments 1-20, et SC 226, 1976, Eric]UNOD, fragments 21-27 (sauf les passages qui ont trouvé place dans l'édition des oeuvres par SC) : fragment, chapitre et ligne: dans PG 14, 1309-1316, liste des frag- ments qui se trouvent dispersés dans tout le livre. Nombreux fragments divers, souvent d'authenticité douteuse, dans PG 11-14 et 17 et dans]. B. PITRA, Analecta Sacra, II et III, Paris 1884 et 1883. Dans GCS III Fragm]r (Fragments sur Jérémie), FragmLm (Fragments sur Lamentations), Fragm S et R (Fragments sur Samuel et Rois). Dans GCS IV, Fragm]n (Fragments surJean). Dans GCS IX, 2e édition, FragmLc (Fragments sur Luc). Dans GCS XlIII FragmMt (Fragments sur Matthieu). Dans]ThS (Journal oftheological studies) 111,1902,]. A. F. GREGG, FragmEph (Fragments sur EPhésiens) ; IX-X, 1909-1910, C. ]ENKINS, Fragm 1 Co (Fragments sur 1 Corinthiens); XIII-XIV, 1912- 1913, A. RAMSBOTHAM, FragmRm (Fragments sur Romains). D'autres FragrnRm dans J. SCHERER : Le Commentaire d'Origène sur Rom. III, 5 - V, 7, Le Caire 1957. D'autres encore dans Karl STAAB, Biblische Zeitschrift, 18, 1927-1929, 72-83. Des FragmPs 118 (Fragments sur le Psaume 118) dans M. HARL, La Chaîne Palestinienne sur le Psaume 118, SC 189-190, 1972. Un FragmPs 1 cité dans METHODE d'Olympe, AglaoPhon ou De la Résurrection l, 20-24 dans GCS (Methodius), 242-250, et par EPI PIiA- NE de Salamine, Panarion 60 10-16 dans GCS (Epiphanius II). Un FragmGn (Fragment sur la Genèse) cité par Eusèbe, PréParation Evangélique VII, 20 (SC 215). Pour les questions d'authenticité concernant les fragments: J. ALLENBACH et alii, Biblia Patristica III: Origène, Paris 1980 (dans la liste des oeuvres d'Origène) et Mauritius GEERARD, Clavis Patrum Graecorum 1, Turnhout 1983. Pareillement: Robert DEVREESSE, Les anciens commentateurs des Psaumes, Studi e Testi 264, Vatican 1970. 5. Nous mentionnons pour finir un écrit qu'on peut dire deutéro-origénien : GREGOIRE le Thaumaturge, Remerciement à 510 511 Bruce J. M. BRADLEY, zASFVH as a Christian Concept: The struc- tural elements of Origen s doctrine. The University of Cambridge, 1976 (thèse dactylographiée). Félix BUFFIERE, Les mythes d'Homère et la pensée grecque, Paris 1956. 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139 II,4,4: 41 V, 10: 410 VIII, 4: 266 l, 3, 1 : 15, 16 II,5,3: 487 V, 10-11 : 477 VIII, 14: 131 l, 3, 3 : 25, 248 II, 5, 3-4 : 328 V, Il : 381,409 VIII, 15: 131 1,3,4: 105,212,339,341 II,6: 245, 312 V, 12: 410 VIII, 20 : 480 1,3,5-7: 28, 457 II,6, 1 : 95 V, 20: 451 VIII, 30 : 298 l, 3, 5 à l, 4,2 : 195 II,6,3: 174,217,312,390 V, 22: 153 VIII, 31 : 442 l, 3, 6 : 58, 69, 436 II,6,4: 174,219,246 V, 23 : 363, 425 VIII, 36 : 442 l, 3, 7-8 : 28, 436 II, 6, 4-6 : 282 V, 27: 316 VIII, 37 : 370 1,3,7: 212, 331, 363 II,6,5: 174,265,266 V, 29: 298 VIII, 38 : 56, 173 1,3,8:224,331,363,436 II, 6, 5-6 : 313, 390 V, 39: 153 VIII, 44 : 317 1,4, 1 : 271, 436 II,6,6: 174, 221, 313 V, 49: 298 VIII, 55 : 318 1,4,3: 489 II,6,7: 174,246 VI,4: 80 VIII, 70 : 31 1,4,3-5: 25, 53, 138, 151,458, II, 7, 3 : 212, 331 VI, 7: 399 VIII, 72 : 311 489,502 II, 8, 1 : 182, 211, 407 VI, 17 : 164, 168, 283 VIII, 74 : 266 1,4,5: 151 II,8,2: 281 VI, 18-19: 24 1,5, 1-2: 225 II, 8, 3 : 224, 264, 268, 377 VI, 41 : 370 1,5,2: 225 II, 8, 5 : 39, 215 VI, 44 : 28, 70 l, 5, 3 : 28, 436 II,8,9: 299 VI, 45: 370 Traité des Principes 1,5,4-5: 437 II,9, 1 : 378 VI, 46: 370 l, préf. 3 : 13 1,5,5: 70, 224, 310 II, 9, 2 : 26, 66, 138, 281, 290, VI, 47: 219 l, préf. 4 : 25, 27, 53, 166, 213, 1,6,2:28,32,224,310,436,492 340,380,436,462 VI,48 : 216, 219 339 1,6,3: 311, 437 II, 9, 3 : 30, 215, 407 VI, 56: 487 l, préf. 5 : 478 l, 6, 4 : 138, 139, 262, 428 II,9,4: 151,356,457 VI,62: 106 l, préf. 8 : 138, 140,427 1,7, 1 : 182 II,9,5-8 : 491 VI, 63: 246 l, préf. 10 : 409 1,7,2-5: 408 II,9,6: 30, 66, 224, 236, 310, VI,64:57,153,172 l, l, 1 : 84, 364 1,7,3: 410 490 VI, 66-68 : 283 l, 1,3: 69 l, 7, 5 : 139, 427, 428 II,9, 7: 477 VI, 69: 130 l, 1,5: 40, 105 1,8, 1 : 226 II,9,8: 31, 224, 236, 299, 310, VI, 71 : 31 l, 1,5-6: 40 1,8,2: 488 364,410 VI, 73: 246 l, l, 6 : 38, 41, 107, 182, 262, l, 8, 3 : 28, 436 II, 10,4: 271 VI, 75: 73 488 1,8,4: 224, 296, 306, 310 II, 10, 7: 183,225,226,251,264, VI, 77: 422, 491 l, l, 7 ": 182, 262, 271, 372 II, l, 1 : 139,428 268,393 VII, 4: 282 l, 1,8: 133 II, l, 1-3: 173,214 II,10,8: 138 VII, 7: 489 l, 1,8-9: 43 II, 1,2: 488 II, Il, 4 : 155, 290 VII, 10: 101 l, l, 10: 151 II, l, 3 : 138, 213, 491 II, 11, 5 : 490 VII, 26: 489 1,2, 1 : 149 II, l, 4 : 138,422, 423, 424, 459, II, Il, 5-6 : 429 VII, 32: 299 1,2,2: 151 493 II, 11, 7 : 409 VII, 34-35 : 81 1,2,3: 28 II, 1,5: 424 III, 1 : 73 524 525 III, l, 1 : 13 IV, 4, 9-10 : 40, 291, 391 XXVII, 13 : 81, 341 Prol. 73 : 353 III, l, 1-5: 309 IV, 4, 10 : 93, 164 XXIX: 487 l, 88-92 : 220 III, 1,2: 143, 160 XXIX, 2-10 : 487 l, 102: 32 III, 1,2-3: 407 XXIX, 11-16: 488 l, 105: 326 III, 1,3: 159 XXIX, 15 : 437 l, 112: 326 III, l, 4 : 159, 229 Traité des Principes : XXIX, 17-19: 488 II, 138: 226 III, l, 7: 13 Fragments II, 141-150: 276 III, l, 12 : 93, 271 II, 147: 298 SC 253, p. 13-14: 53 III, l, 12-14: 490 p. 41: 127 III, 186 : 63, 129, 267 III, l, 13 : 237, 378 Exhortation au Martyre III, 186-191 : 353 p. 53 : 64, 330 III, l, 14: 377, 498 VII: 410 111,194,328 p. 53-55 : 129 III, l, 17: 31, 93, 159,490 XIII: 286 III, 208 : 32, 49, 70, 467 p. 64-70: 195 III, l, 18 : 159 XLVI: 371 111,213: 226 p. 80-81 : 151 III, l, 19 : 492 111,219: 107 p. 119-125: 296 III, l, 21 : 310 III, 220 : 107, 115 p. 155-157: 429 III, 2-4 : 226 IV, 232: 218 p. 178: 219 Entretien avec Héraclide III, 2, 6-7 : 487 p. 201 : 268, 377 111,4: 182,268 1-4: 390 p. 211-213 : 379 III, 5, 1 : 379 2-4: 390 p. 252: 268 III, 5, 2 : 380 24-27 : 290, 292, 383 ConunenbÛresurJean III, 5, 3 : 340 SC 269, p. 12 : 225 25: 290 1,4 (6) : 173 III, 5, 4 : 154, 248 p. 34: 237 1,9 (11) : 149,325 III, 5, 8 : 356 p. 51: 378 l, 17 (18) : 25, 248 III, 6, 1 : 403 p. 64: 225 Traité de la Pâque 1,17(19):251,451,459 111,6,4: 410, 423, 459, 469 p. 105-106: 340 81 1,19(22):48,149,150,152,156, 111,6,5: 311 p. 125: 43 444 III, 6, 6 : 101, 139, 378, 428 p. 215-218 : 310 1,19(22)-39(42): 149, 150 111,6, 7: 424 p. 238-241 : 54 Lettre à 1,20(22):39,43,130,148,325 III, 6, 8 : 459 p. 245-246: 105,338 Grégoire le Thaumaturge 1,20(22)-39(42): 149,150 IV, 1,3: 30 p. 251-254 : 390 1,25 (24): 172 IV, 1,7:30,214,356,409,486 p. 262-263 : 380 250,356 1,26 (24) : 409,410 IV, 2, 7:224,245,310,486 263-266: 165 l, 27 (25) : 166 IV, 2, 9: 339 Lettre à des amis d'Alexandrie l, 30 (33) : 321 IV, 3, 2 : 377, 426 l, 34 (39) : 152 IV, 3, 10: 310 311 Traité de la prière 1,35 (40) : 409 IV, 3, 14: 105, 106, 165,356 1,37 (42) : 363 IV, 3, 15 : 138, 182, 262 V,2:66 1,38(42): 126, 153 IV, 4, 1 :43,54,80, 105, 124, Traité sur la Résurrection VI, 1: 314 II, 2 : 91, 126, 153, 164, 330 213,338 VlI:408,409 297,385 II,3: 226, 330, 410, 477 IV, 4,2: 80, 175 VII, 1 : 410 II,8(4):32 IV, 4, 3: 175,215 IX, 2 : 183, 282 n, 10(6): 128, 148,212,331,340, IV, 4, 4: 390 XVII, 13: 81 Conunentaire sur le Cantique 363 IV, 4, 5: 426 XXIII, 1-3: 41, 81 Prol. 66-71 : 64 II, 10-12 (6) : 29 IV, 4, 6: 138 XXIV,2: 58 Prol. 66-75 : 350 II,13(7):66,95,226,438 IV, 4, 6-8 : 459 XXIV,3: 272 Prol. 67 : 351 II, 17 (11) : 410 IV, 4, 7-8 : 138, 427 XXV,2: 286 Prol. 69 : 129 II, 18 (12) : 165 IV,4,8:26,28,70,101,380,462 XXVI, 1-6, 101 Prol. 70 : 352 II,28(23):106 IV, 4, 9 : 272, 372 XXVII,8: 8, 138,261,262,425 Prol. 71 : 65 II,29-31 (24-25) : 310 526 527 II,31(25):408 XXXII, 10 : 442 Il Séries sur Matthieu Homélies sur la Genèse V, 5 : 153, 378 XXXII, Il (7) : 326 21 : 398 l, 1 : 81 V,5-6: 32 XXXII, 12 (7): 174 27: 271 1,10: 463 V,8: 13 XXXII, 14 (8) : 94, 95 45: 131 l, 13 : 43, 95, 221, 233 VI, 30 (15) : 215 XXXII, 16 (9) : 25 55: 167 III, 1-2 : 43 VI, 36 (20) : 308 XXXII, 18 (11) : 392 61 : 271 111,2 : 31, 102,486 VI, 38 (22) : 215 XXXII, 18 (18) : 165, 166 62: 393 IV, 6: 94 VI, 53 (35) : 66 XXXII, 28-29 (18) : 277 63: 326 VIII, 8 : 220, 226 X, 6 :41 XXXII, 29 (18) : 131 72: 325 IX,3: 226 X, 35 (20) : 246 73: 41 XII, 1 : 80 XIII,3: 131 90: 41 XIII, 3 : 80, 403 XIII, 8: 337 92: 41 XIII, 4 : 95, 403 XIII, 21 : 43, 422, 428, 429 111 : 341 XVI,2: 223 XIII, 22: 385 117: 316 XIII, 25 : 131,337 Commentaire sur Matthieu XIII, 34 : 40, 125, 154, 366, 367 XIII, 36 : 130 VII: 297 Homélies sur l'Exode XIII, 37 : 131 X, 11 : 314, 437 X, 13: 226 Commentaire sur Romains IV,6: 399 XIII, 40 : 422, 427, 428 XIII, 42 : 155, 250 X, 20: 298 VI, 1 : 226 X, 23: 42, 317 l, 1 : 314 VI,5: 266 XIII, 61 (59) : 422 1,5: 125,338 X, 24: 437 VI, 13: 81 XIX, 2 (1) : 81 l, 16: 107 XI, 12 : 314, 442 VII,4: 226 XIX, 3-6 : 282 l, 17: 107 XI, 17: 298 VIII,2 : 266 XIX, 4 (1) : 96 l, 18: 313 XII, 32: 84 VIII, 2-3 : 226 XIX, 22 (5): 53, 150, 154, 192 II,9: 393 VIII,5: 442 XIII, 1 : 378, 381 XX, 1: 355 II, 14: 283 VIII, 6 : 226, 442 XIII, 1-2 : 298 XX,5: 459 III, 1 : 435 XIII, 4-6 : 226 XX, 13: 442 XIII, 6 : 478, 481 111,9: 283 XX,14(13):314,398 XIII, 20 : 408, 409 IV, 9-10 : 66 XX, 15 (13) : 398 XIII, 28 : 225, 226 V, 1: 298 Homélies sur le Lévitique xx, 18 (16) : 43, 54, 81, 124, 128 XIII, 42 :- 93, 463 V,5: 314 XX, 19(17):219,221 V, 7: 81, 341 1,5: 327 XIV,9: 226 III, 1 : 41 XX, 20 (18) : 282 XIV, 17: 217, 219 V, 10: 313 XX, 21 (19) : 314 VI,l : 442 IV,9: 271 XIV, 17-18 : 233 VI,2: 235 XX, 22(20): 182,233,236,267, XV, 10: 131 VI,3 :175, 329 402 VI, 5: 338 VII,2: 168 XV, 11: 442 VII,6: 299 XX, 27 (22) : 32 XV, 17:41 VI, 6: 385 XX, 36 (29) : 41 IX,8 : 31,490 XV, 31: 341 VI,8: 298 XX,39(31): 314, 385 VI, 9: 442 XII,5 : 218 XV,32,81 XVI, ô-7 : 226 XXVIII,4: 271 XVI, 1 : 317 VI, 14: 385 XVI,8: 400 XXVIII, 6 : 292 XVII,2: 226 VII,4: 410 XXVIII, 19 (14): 66 XVII, Il : 249 VII, 7: 283 XXVIII, 20 (15): 307 XVII, 20 : 266 VIII, 2: 175 XXVIII, 23 (18) : 317 XVII, 30: 138, 140,226,427 VIII, 11 : 313 Homélies sur les Nombres XXXII, 2 : 442 XVII, 33 : 220, 272 VIII, 13: 442 XXXII, 7 : 442 XVII, 35 : 440 IX, 1 : 327,331,441 VI, 3: 441 XXXII, 8 : 442 XVII, 36: 57 X,8 :58 VII,5: 442 528 529 IX,l : 442 IV, 1 : 165 Homélies sur le Cantique XXIII, 1-5 : 478 X,2: 271 VII, 3-4 : 371 XXIII, 4 : 93, 97 XI, 4 : 225,310 IX: 115 1,7: 114, 115 XXIII, 7-11 : 479, 492 XI,8: 29 XXIII, 8 : 492 XII,3: 385 XXIII, 10-11 : 93 XII, 4 : 299, 478 Homélies sur le Psaume 36 XXIII, 12: 492 XIII-XIV: 307 Homélies sur Jérémie II, 1 : 214 XXIII, 12-13: 479,492 XIII, 1 : 442 1,8: 94 III, 1 : 399 XXIII, 14-16: 479 XIII,3 : 226 l, 10: 94 IV, 1 : 115 XXIII, 17-19: 480 XIII,4: 371 V,2: 226 V, 5 : 58, 66, 95 XXIII, 20-21 : 93, 480 XIII,6 : 371 VI,l : 332 XXVI, 1: 435 XIV, 2 : 442, 487 VIII,2: 150 XXVI, 2-3 : 436 XV, 6: 442 IX,4: 54, 125,338 Homélies sur le Psaume 38 XXVI, 4-5 : 436 XVI, 1 : 371 X,7:409 XXVI,6: 436 XVII,3: 371 II,2: 175 XII, 10: 341 XXVI, 7: 436 XVII,4: 106 XV,2: 442 XXVI,8: 436 XX,3-4: 226 XVI, 8: 94 XX,4 :310 Homélies sur Luc XVI,9: 250 XXII,3: 463 XVIII, 1 : 339 II,2: 218 XXIII, 2: 41 XVIII, 2 : 463 III, 1 : 107,226 Fragments du Commentaire XXIII, 3 : 441 XVIII, 6: 41 III, 1-2 : 501 sur la Genèse XXIII, 9 : 271 XX, 1 : 41, 442 IV,5: 298 selon Eusèbe: 127,424 XXIV,3: 226 XX,8: 397 VII, 1 : 107 selon Pamphile: 106 XXV,6: 439 VIII,94 selon Théodoret : 235 XII,3: 226 Selecta in Genesim l, 6 : 94 XIV: 440 Selecta in Genesim 1,26-27: 246 Homélies sur Josué Homélies latines sur Jérémie XXI, 6: 273 VII, 1 : 371 1 (III), 4-5 : 478 XXII, 9-10 : 216 VII,4: 371,478 1 (III), 6 : 32 XXV: 267, 353 XXV,6: 63 Fragments sur 1 Rois (1 Samuel) XI, 1 : 81 II,5: 442 XIII, 3 : 332 XXV, 6-7: 63, 267 80 XIV,2: 107 XXV, 7: 129 XV, 5: 487 XXX, 1-2: 81 XX,2: 370 Homélies sur tzéchiel XXXI : 40, 226 Fragments des Commentaires XX, 12: 370 XXXIV,8: 54 1,2: 487 sur les Psaumes IV,l : 428 selon Méthode III, 17 : 139, 422 IV, 6: 32 selon Philocalie : 435 Homélies sur les Juges VI,6: 42, 95 du Psaume 118: 43, 107 Philocalie II,3: 66 IX,3: 185 II,4,216,407 VI,5: 245 V, 5 : 153, 378 V, 5-6: 32 Fragments sur Proverbes Homélies sur 1 Rois V, 7: 13 298 Homélies sur Isaïe (1 Samuel) VIII: 399 l, 1 : 115 1,4: 32, 57, 313 VIII, 2-3 : 32 1,2: 165 l, 11 : 28 XII: 370 XX,6:97 Fragments sur Isaïe 111,3: 49, 126 XXVIII: 371 XXIII, 1-5 : 478 selon Pamphile: 32 530 531 Fragments sur Ézéchiel XXIII: 332 IV-V (40-72) : 32 VIII, 109-114 : 216, 468 16,8: 41 XXIX, 4 : 246, 251 V, 71-72 : 486 IX, 122 : 435IX, 124: 175,329 XXXII: 251 VI, 75-77 : 435 XI, 142: 175 XLIX: 283, 399 VI, 86-87 : 182 XII, 146: 175 LXVI: 283 VI, 87: 41 XII, 148-149: 328 Fragments sur Matthieu VII, 93-108 : 398 XIX, 206 : 486 Il : 26 VII, 107: 400 XIX, 206-207 : 32 12: 26 Fragments sur Éphésiens 21 : 308 48: 271 1: 325 64; 41 II: 58,95 209: 385 VI: 153 380: 226 IX: 325 396: 81, 341 XIII: 399 TEXTES PLOTINIENS : ENNÉADES 400: 226 XVI: 32 432: 81, 341 XXVI: 393 l, 1 (53) 1,4(46) 4351: 226 1 : 318 506: 459 1 : 241 2 : 38, 241, 443 2: 276, 319 Fragments sur Romains 3: 241 3: 319 Ramsbotham II : 95 4: 241 4: 239, 319 Fragments sur Luc XXI: 442 5: 242 5: 239, 319, 367 12: 226 XXV: 58, 95 6: 242 6: 319 96: 226 XLIII: 442 7: 242 7:239,316,319,382,410 157: 271 8: 279, 287, 443 8: 316, 319 171:396 Schérer II, 19 : 435 9: 242, 388 9 : 276,319,367 209: 399 VI, 1 : 399 10: 243, 388 10: 276, 319,410 VI, 9: 400 Il : 279, 292, 388 11 : 319, 320 XXII: 58 12 : 243, 374, 388 1'2 : 319, 320 13 :j389 13: 320 Fragments sur Jean Staab 1: 334 14: 320, 410 1 III: 442 15: 320 XIII : 91, 164, 286 16:293,316,320,410 XIV: 286 1,2(19) Fragments sur Colossiens XVI: 107 1 :73, 171, 187,294,322,410 XXXIII: 168 selon Pamphile: 130 2:294,322,410,443,466 XLV: 130,218,332 3:73,294,331,382,400,410 1,5 (36) XLVI: 130 4 : 323, 331,463 1: 320 LI: 41 Fragments sur Hébreux 5: 323, 331 7: 320 LXXX: 396 selon Pamphile: 133 6 : 73, 172, 222, 323 10: 320 LXXXV: 307 7: 73, 323 CXII:282 Grégoire le Thaumaturge 1,6(1) Remerciement à Origène 1,3(20) 1 : 155 Fragments sur 1 Corinthiens IV, 35: 54 1 : 293 2 : 155,411,443 IX: 400 IV, 37: 124 3 : 156,411,444 4: 398 XIX: 266 IV, 39: 326 4: 156,345 XXI: 251 5: 398 IV, 40-47 : 486 6: 323, 398 5 : 156,382,401,411 532 1 6,156,279,364,382,401,411 II,2(14) II,5(25) 3: 300, 367 7:59,156,222,345,401,411 1 :446 4 : 187, 210, 300 1 : 470, 481 8: 156,345,374,411,463 2: 414, 446 5: 300,474 2: 186, 191,206,389 9: 71, 157,371,444 3 : 136, 163,414 6: 300,474 3: 200, 382 4: 414 7: 187,301 5: 414 8 : 203, 301, 367 9: 301 1,7(54) II,3(52) 10: 301 1 : 68, 89 II,6(17) 1: 471 2: 69,444 2: 471 1: 456 3: 382,411 3: 471 2: 446, 456 m, 2 (47) 4: 471 3 :446 1: 170,336,365,375,482 5: 471 2: 171,193,357,447,475,482 6: 471, 481 1,8(51) II, 7 (37) 3: 140,222,336,405,475,482 7: 471 4:203,293,320,434,475,482 1: 198,376,430,444,464 8 : 194, 324, 433 3: 446 5:320,324,434,482 2:67,163,186,191,430 9:205,324,401,411,472 6: 193,324,434,482 3: 431, 444 10: 472 7: 324,483 4: 431 11 : 472 II,8(35) 8: 382,483 5: 431 12: 472 1: 89 9: 483 6: 323, 432 13: 194,411,472 2: 89 10: 474, 483 7: 323, 432 14: 300, 472 11 : 222, 357, 483 8: 432, 444 15: 300, 402, 472 12: 357,483 9 : 323, 324, 432 16: 194,411,445 II,9(33) 13: 483 10: 433, 445 17: 199,402,445 14: 171,484 11 : 89, 433 18: 191, 199,434,445 1 : 34, 63, 67, 90, 163, 198,356, 15 : 357, 383, 484 12: 433 19: 191 364 2: 24, 209 16: 358, 484 13 : 323, 382, 411, 433 17: 193,358,484 14: 401, 433 3: 24 4: 191,209,293,473 18: 193,358,484 15: 401, 433 II,4(12) 5: 473 6: 164,293,473 1 : 136,412 7: 210, 336,473 2: 136,412 8 : 315, 364, 434, 473 m, 3 (48) 1,9(16) 3: 136,412,445 9: 75,191,222,315,324 1: 193, 199,359,484 315 4: 412, 445 10: 324 2: 193,485 5: 137,336,412,445,464 13: 434,473 3: 193,293,302,360,485 6: 412, 445 14: 222,434 5: 360,485 7: 412 15: 324, 367 6 : 360, 368, 464, 476 8: 412, 446 16: 473, 481 7: 365,485 II, 1 (40) 9: 41.3, 446 17: 195,415,474 1 : 213, 335, 469 10: 413, 464 18:208,209,324,382,474 2: 335, 469 Il : 413, 446 3: 191,469 12: 90, 136,413,446 m, 4 (15) 4: 192,335,470 13: 413, 446 m, 1 (3) 5: 210, 470 14: 413 1 :206,222,294,310 6: 222, 470 1 : 210, 300 4: 189 15: 136, 137,414,446,464 7: 470 2: 300, 474 5: 243, 302 16: 414, 446 534 535 6: 294 9: 197 IV,3 (27) 14: 450 ID, 5 (50) 10: 334 1: 207 15: 196,337 11 : 77, 197,335 2: 202, 207 16: 191, 196,450 1 : 222, 336, 341, 365 12: 198,335 3: 202, 208 18: 239, 243 2: 184,222,342,373 13: 202, 335 4: 169,202,208 19: 244 3: 176,183,184,209,342 4: 223, 342 5 : 169, 208, 279, 449 20: 244 5 : 223, 239, 342, 373 6: 189,208 21 : 244 6: 110,343,373 7: 189 22: 406 8 : 294, 395, 449 23: 245, 464 7:343,361,365,373 ID, 8 (30) 24: 245 8: 176, 195,279,361,373 9: 190,294,449,475 1: 394 25: 191 9: 176, 184,343,361,373,374, 10: 190,449,475 2 : 361, 394, 417, 448 26: 406 447 Il: 169, 190,362,405,450,464 3 : 361, 394,448 476 ' 27: 406 4: 395 28: 244 12: 169, 190,232,295,302,476 29: 244 5: 395 13: 232, 302 6: 395,449 30: 350, 405 ID, 6 (26) 14: 232, 374 31 : 476 7: 395 15: 232, 363 38 32: 464 8: 161,395,449 16: 232,303 2 : 240, 325, 434 34: 303 9:21,22,77,87,90,144 17: 232 3: 240 36: 476 10: 21, 23, 110 18: 232 4: 240, 447 38: 350 Il :21,23,34,88, 136,464 19: 255,283 5: 240 39: 450 6 : 55, 169, 180, 415 20: 255, 450 40: 350, 368 7: 415 21 : 255 41 : 350 8: 415 22: 190,255 42: 350, 368 9: 365, 415, 447 23: 255 43 : 223, 365, 368 ID, 9 (13) 24: 295 10: 415, 447 44: 365, 368 11 : 415, 448 1 : 146,201,206 26: 269,374 45: 295 12,415,448 3: 206 27: 269, 374 13: 415, 448 4: 21, 76 28: 269 14: 373,417 5: 136, 184 29: 270,374 6: 279 30: 87, 270 IV,5 (29) 15: 365,417 16: 417, 448 7: 86,160 31 : 270 1: 464 17: 240,417 9: 86, 160 32: 270,374 2: 89, 464 18 : 198,240,417 3: 464 19: 374,417 8: 464 IV,4 (28) IV, 1 (21) 1 : 90, 270 IV, 6 (41) ID, 7 (45) 168,252,253 2: 270 2: 269 1 : 196,333 3: 270 3 : 254, 269, 464 2: 77, 196,333 4: 207, 271 3: 78, 196,333 5: 271 4: 196 8: 90 5 : 78, 90, 334 IV, 2 (4) IV, 7 (2) 9: 485 6: 79, 189, 197 1: 180, 181,200,201,252,253, 10: 336 1: 287 7: 197,334 449 12: 283 2: 187,287 8: 197,334 2:201,203,253,449 13: 283 3: 187,287 536 537 4: 287 4:142,147,335,464 V, 5 (32) V, 9 (5) 5: 287, 450 5: 34, 450 1 : 144, 161,466 1: 419 6: 287 6:82,112,118,120,185,350 2 : 72, 157, 186, 277, 419 2: 142, 161 7: 287 7:20,44,45,52,74,75,90,121, 3 : 56, 142,373 3: 170, 177, 184, 187,278,280, 8: 288 142,177,185,373,465 4: 104 419,452,466 8/1 : 288,450 8:52,55,62,146,170 5: 50,121 4: 278 8/2: 288 9: 85 6:44,46,55,74,103,105,142 5: 143, 160,453 8/3: 288 10:55,254,280,284,418 7: 83, Ill, ll5, 346 6: 143,453 8/4: 288 Il :280,346,371,465 8: 77, lll, 347 7: 278, 419, 466 8/5: 288 12:254,365,371,418 9: 77 8:135,144,148,453 9: 288 10:23,36,51,75,90,104,376 9: 147,453 10: 180,288 Il : 36, 75, 376 10: 434, 453 II : 288 12:45,48,60,72,159 II : 454 12: 180,289 V,2 (11) 13:45,46,62,67,105 12: 454 13: 289 13: 454 1 :46,56, 118, 135,406,465 14: 289 14: 200, 209,454 15: 289 2 : 46, 365, 406 V, 6 (24) 1 : 86, 161 2: 86,144 VI,2 (43) IV,8 (6) V, 3 (49) 3: 86 3: 285 1: 188,228,231,284,345,418 1 : 88, 162,273 4: 86, 161, 186 4: 181,256,281, 286 2: 188, 196,204,228,418 2: 273, 280 5 : 87, 110, 160, 161 5: 181, 198,256,454 3: 204, 228, 279, 418 3 : 274, 280, 284 6: 87, 143, 169,476 6: 256 4 : 204, 228, 476 4:275,280,285,465 7: 63, 256 5:223,229,295,304 5: 142, 162,275 8: 90 6: 17,229,418 6 : 162, 275, 465 17: 67 7 : 181, 230, 284 7: 162, 181,276,450,465 V, 7 (18) 18: 142 8: 231, 284 8: 185,464 19: 142,280 9: 162 1: 451 2: 452 20: 178,280 10:89,90,105,162,371 21 : 90, 164,454 Il : 24, 45,49, 52, 67,142,162, 3: 452 22: 144, 199,256,278,381,465 450 IV, 9 (8) 12 : 51, 52, 82, 89 1 : 205, 369, 385 13:89, 103, 14: 104, 105,346 V, 8 (31) 2 : 205, 385, 464 1 : 24, 374 VI, 3 (44) 3 : 205, 369, 385 15:47,55,82,141,142 4 : 205, 350, 385 16: 47, 52 3 : 158,280,476 1: 465 5 : 205, 365, 386 17:82,104,115,169,346,369, 4: 285, 374, 419, 476 2: 420, 454 371,418 5: 158,285 3 : 420, 454, 465 6: 158,285 4: 420 7 : 158, 285, 452 6: 465 V, 1 (10) 8: 72 7: 420 9: 159, 350,418 8: 420,465 1: 121,230,276,304,365 V, 4 (7) 10 : 322, 347, 466 9: 420, 454 2 : 189, 206, 254 1 : 18,34,37,44,45, 103, 121, II : Ill, 347 II : 335 3 : 24, 136, 176, 184, 200, 254, 141,366 12:337,373,466,476 15: 454 284,362,464 2: 49, 55, 142,465 13: 177, 186,278,373 16: ll9, 454, 465 538 539 VI, 4 (22) 5: 305, 325 VI,9 (9) VI, 7 (38) 6: 305 1 :56, 186, 188, 198,260 1 : 189,201 passim: 365 7: 99, 305 2: 75, 123 2: 476 1 : 286, 304, 406 8: 99, 105,305 3:19,34,35,50,74,76,77,260, 4: 146,202,256 2: 146,455 9: 99, 305 456 5: 202, 256 3: 455, 476 10: 99, 305 4: 76, 103, 110,260,286,344, 6: 256 4 : 238, 295, 455 11 : 77,90, 100, 105 349,371 7: 256 5 : 238, 295, 455 12:100,238,259,306 5:19,24,51,52,55,56,103,144, 8: 202, 257 6: 223, 295 13: 61, 100,306 284,325 9: 257 7: 295, 465 14: 24, 259, 306 6:37,62,66,75,76,85,98,260. 10: 257 8: 141, 147,281,455,465 15 : 306, 344, 348 377 Il : 76, 169, 257 9: 281,465 16: 77, 306 7: 83, 260, 349, 421 12: 257, 366 Il : 406, 455 17: 171,306,365,476,485 8: 37,261,465 13: 257 12: 465 18: 47, 90, 306, 466 9: 20, 112,261,344,348,373, 14: 202, 257 14: 141,465 15 : 257, 406, 420 19: 348 421,466 15:63,120,147,169,347 20: 306 10:109,261,286,349,421 16: 231 16: 134, 164,347 21 : 100, 105,306 Il : 73, 108, 286, 325, 349, 421, 17 : 136, 169, 455 466 18 : 121, 122, 455 20: 258 VI,5 (23) 21 : 122,258,347 1 : 59, 76, 257 22 : 123,258,347 AUTEURS ANCIENS 2 : 286, 366, 420 24: 61 3: 146 25: 61 4 : 75, 76, 122 26: 61 Académie (ancienne) : 463 Euripide: 328 5: 119, 122 27:61,325,366,421,455 Albinos: 427, 462 Eusèbe de Césarée: 9, 10, 16, 133, 6: 145 28: 421, 455 Alexandre d'Aphrodise (Pseud<r), 292,317,399,424 8: 455 29 :421 Exupère de Toulouse: 292 241 9: 207, 258 30: 169,421 Ammonios Saccas: 9, 10, 14, 124 Gnostiques: 15 10: 59 31 :358,343,348,353,411, Aristote: 68, 74, 197, 238, 241, Grégoire de Nysse: 106, 112 Il :75,76,79,258,366 421 259,328,334,435,461 Grégoire le Thaumaturge; 42, 43, 12,59,258 32 : 72, 75,.343, 348 423,490 (voir Textes origéniens) Aristotéliciens: 12 36 : 52, 83, 348 Héracléon : 133 Arius et Ariens: 53, 127 37: 88 Hermas: 25, 248 Athanase: 54, 105, 124, 213, 338 38:60,88,90,162,337,406 Hésiode: 373, 374 Athénagore : 463 VI, 6 (34) 39:88,89,90,162,485 Hilaire de Poitiers : 128 Atticos : 462 40 : 110, 162, 348 Hippolyte: 114, 151,478 1: 366, 417 Bardesane : 478 41 : 61, 162 Homère: 316, 373, 374, 388 2: 377 Celse: 31, 83, 439 42: 24, 34 Jérôme: 64, 154, 165, 268, 292, 3: 377 Chrysippe: 247, 407 5: 145,455 Clément d'Alexandrie: 42, 463, 298,311,340,378,381,390, 7: 145,278 478 430,478 8 : 178, 279, 281 Constantinople (2e Concile) : 27 Justin: 315,463 9: 455 VI, 8 (39) Denys d'Alexandrie: 133 Justinien: 25, 64, 129, 151, 165, 11 : 466 passim: 365 Elvire (Concile) : 292 268,298 14: 145 1 : 90, 98, 304 Empédocle: 368 Marcionites : 236, 487, 490 15: 146,225258,279,281 2: 304 Epicuriens: 435 Méthode d'Olympe: 139, 234, 17: 148 3: 304 Epiphane de Salamine: 235,307, 235,384,422,428,460 18: 146,347,382,420 4: 98, 305 422 Nouménios d'Apamée : 462 540 541 Pamphile de Césarée: 133,272, Théétète: 171, 322, 349, Devreesse (Robert): 94 Pollet (Gilbert), voir Sleeman (J.H.) 296,297,298 400,401,410,411, Diekamp (Franz) : 27 Prestige (G.L) : 53 Parménide: 161 431,432,434 Dorival (Gilles) : 299 125 Passio 292 Timée : 27, 34, 145, 150, Drewery (Benjamin) : 500 Radice (Roberto) : 79, 462 Philon d'Alexandrie: 79, 110, 375, 152,170,188,190, Dumeige (Gervais) : 490 Rahner (Hugo) : 296 394,463 198, 201, 228, 246, Dupuis (Jacques): 182,392,393 Rahner (Karl) : 352 Photios: 139,384,428 255, 332, 334, 335, Festugière (AJ.) : 15 Rius--Campo (Josep): 430 360, 368, 387, 401, F1ament (Y.): 429 Ross (D.): 461 Platon: 68, 74, 79, 103, 154 Geerard (Mauritins): 91 Alabiade : 238, 245 Banquet: 110, 176, 183, 406,413,415,417, 427, 432, 438, 468, ° Goulet (R) : 1 Hadot (Pierre): 90, 286
Schnitzer (Karl): 356
Schoepf(Bernhard): 318 470,472 Schroeder (Frédéric M.) : 10 222, 341, 360, 366, Hanson (RP.C.): 133 373,416,447 Platoniciens: 10, 11, 12, 15, 17,30, Schwyzer (Hans Rudolf): 10,90. 124,428,431,435,461 HarI (Marguerite): 224,437 Voir Henry (Paul) Cmtyle: 142 Henry (Paul) : 90, 135, 200 Plutarque de Chéronée: 10,247 Sfameni Gasparro (Giulia): 251, Letire II : 24, 52, 62 407 ' Horn (Harald) : 326 439 Lettre VI: 52, 170 Porphyre: 9, 10, 14, 38, 344 Huet (Pierre Daniel) : 298 Simonetti (Manlio): 43, 141,234, Parménide: 52, 103, 161 Junod(Eric):477,481 Poseidonios d'Apamée : 463 376 Ketder (Franz X.) : 430 Phédon: 201, 227, 254, Procope de Gaza: 140, 234, 235 Sleeman (J.H.) - Pollet (Gilbert) Kirchloff: 12 324,382,411,427, Pythagoriciens: 463 Lexicon Plotinéanum : 17, 18, Knauber (Adolf) : 329 433,434 Rutin de Concordia, dit d'Aqui- 21,23,24,34,38,56,71, Koch (Hal) : 112 Phèdre: 123, 194,201, lée: 16,25,54,64, 127, 133, Laurentin(André):363 135,145,147,149,170, 203, 204, 206, 227, 151,245,268,311,340,378 Lubac (Henri de) : 112, 376 200,332,371,373,389, 246, 261, 293, 395, 430. ' 443 Martinez Pastor (Marcelo) : 84 433 Stoïciens: 12,30,39,68, 79, 389, Marty (François) : 307 Stritzky (Maria Barbaravon) : 271 Philèbe : 189, 207 435,461,463 Meis Wôrmer (Annaliese) : 435 Theologisches WD1terbuch zum Neum Tertullien: 39, 315, 317 Mosetto (Francesco) : 369 Testament: 337 Politique: 433 Théodoret de Cyr: 235, 390 Valois (Henri de) : 9 République: 31, 54, 56, Théodote : 478 Vôlker (Walter) : 113 Noce (Celestino) : 317 83, 110, 119, 146, 164, Théophile d'Alexandrie: 390, Vogt (HJ.): 212 Nygren (Anders) : 354 172, 227, 243, 254, 478 Weber (Karl Otto) : 9 Papagno (J.L): 217 294, 302, 308, 322, Théophile d'Antioche: 373 Witt (RE.) : 462, 463 Pétré (Hélène) : 353 324,374,40l. Valentiniens: 124,236,478 Wolfson (HA) : 123 Pietras(Henryk): 65, 350 Sophiste : 161 Vigilance de Calagurris : 292 AUTEURS MODERNES Abramowski (Luise) : 43 80nwetsch (Nathanaël): 139,235 Aeby (Gervais) : 130 Boyd (WJ.P.): 353 Arnim (von) : 247 Bradley (BruceJ.M.): 332 Arnou (René) : 394 Bréhier (Emile): 12 Bardy (Gustave) : 369 Buffière (Félix) : 374 Béatrice (Pier Franco) : 141. 234 Chantraine (P.) : 50, 78, 103, 119, Berchman (Robert M.) : 29 196,334 Bianchi (Ugo) : 247 D,miélou (Jean) : 226 Biblia Patristica : 26, 91, 167, 172 DeJong (K.H.E.) : 11 542 543 r 1·", >: TABLE DES MATIÈRES Introduction ........................................................................................ 9 CHAPITRE 1 : LE PÈRE ORIGÉNIEN ET L'uN PLOI'INIEN ......................... 17 1. Dieu, principe premier et suprême .................................. 17 · li·'· 2. Slffip ate, IncorporeIte, ,. " purete ........................................ . 33 3. Antérieur à tout et de tout, différent de tout et contenant tout en puissance ................ 44 4. Le Premier dans la génération du Second....................... 49 5. Dieu et l'être......................................................................... 54 6. Le Bien ................................................................................. 58 7. Dieu se transmet aux êtres................................................. 66 8. Le Bien et le Beau ....................... :....................................... 71 9. Dieu et les caractéristiques des êtres de ce monde ......... 74 10. Le rayonnement de Dieu en dehors de lui ...................... 81 Il. La connaissance dont jouit Dieu ....................................... 85 12. La volonté de Dieu.............................................................. 98 13. Dieu est ineffable ............................................................... 103 14. L'union mystique ............................................................... 108 CHAPITRE n : LE ORIGtNIEN ET L'JNTEUJGENCE PLOTINIENNE •• 117 1. La génération ..................................................................... 117 2. Les étapes (de raison) dans la génération, de l'Intelligence et la matière intelligible ......................... 134 3. Le Second, un et mwtiple ................................................. 141 4. Le Second et le Beau ......................................................... 155 5. La connaissance dont jouit le Second ............................. 159 6. Les caractéristiques du Second ........................................ 168 7. Le Second entre les deux autres ...................................... 175 545 CHAPITRE m : L'AME DU MONDE SELON PLoTIN 22. Mort et Vie .......................................................................... 382 ET SES CORRESPONDANCES ORIcÉNIENNES •..••••.••••••.•... 179 23. Toutes les âmes n'en sont qu'une seule .......................... 385 1. L'Âme du Monde selon Plotin ......................................... 179 24. Contemplation et action ................................................... 393 A. Nature d,e l'ârn,e............................................................. 180 25. Dialectique et autres disciplines ....................................... 397 B. Procession et conversion d,e du Monlle ................. 183 26. Divers sur l'âme .................................................................. 400 C. L du Monlle et k Monlle ....................................... 187 D. du Monlle et /0, pruvidenœ ................................ 192 CHAPITRE V : LE MONDE ...................................................................... 405 E. L du Monlle et k temps ......................................... 195 1. Âmes autres que celles des hommes ............................... 405 . F. et les idées, raisons ou/ormes .............................. 198 2. La matière et les corps ....................................................... 410 G. du Monlle et les âmes ................... 200 3. Le mal .................................................................................. 430 2. Correspondances origéniennes de l'Âme du Monde .... 211 4. Fonnes, raisons, qualités ................................................... 442 A. Le Saim-&prit .............................................................. 211 5. L'exemplarisme .................................................................. 463 B. Le Père et k Fils, Ârn,e du Monlle ................................. 213 6. Astres et ciel astral.............................................................. 468 C. L'ârn,e humaine du Christ, 7. La Providence ..................................................................... 481 époux d,e l'Église et des âmes .......................................... 217 ApperlAiice : et t1émons ............................................. 221 Conclusion ......................................................................................... 495 Indications concernant les œuvres et les références .................... 506 CHAPITRE IV : L'HUMANI'fÉ ................................................................. 227 Bibliographie: 1. L'âme acquiert un corps matériel .................................... 227 sur Origène ............................................................................. 512 2. L'âme et le corps ................................................................ 237 sur Plotin ................................................................................. 517 3. Nature de l'âme .................................................................. 252 sur Ammonios Saccas, Origène et Plotin ............................ 520 4. L'âme et la mémoire .......................................................... 269 5. La connaissance de soi-même .......................................... 273 Index ........................................................... :....................................... 523 6. L'âme et l'intelligence ........................................................ 277 7. Pensée intuitive et pensée conceptuelle et discursive ... 283 8. Immortalité de l'âme ......................'................................... 287 9. La métempsychose ............................................................. 297 10. Libre arbitre ou destin ...................... :............................... 299 Il. Le suicide ............................................................................ 315 12. Le bonheur ......................................................................... 318 13. La vertu ............................................................................... 321 14. Temps et éternité ............................................................... 322 15. L'amour ............................................................................... 341 16. La raison .............................................................................. 356 17. L'idéal d'autosuffisance ..................................................... 364 18. Magie et divination ............................................................ 367 19. Les cinq sens spirituels ...................................................... 371 20. L'exégèse allégorique......................................................... 373 21. L'infini ................................................................................. 376 546 547
F. M. Lethel Théologie de L'agonie Du Christ. La Liberté Humaine Du Fils de Dieu Et Son Importance Sotériologique Mises en Lumière Par Saint Maxime Le Confesseur
Matter. Histoire Critique Du Gnosticisme, Et de Son Influence Sur Les Sectes Religieuses Et Philosophiques Des Six Premiers Siècles de L'ère Chrétienne. 1843. Volume 2.